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Hommage académique
Au terme de cette célébration eucharistique, je vais prononcer l'éloge académique de celui qui fut également professeur à la Faculté de théologie de l'Université catholique de Louvain (Louvain-‐la-‐Neuve) 1 , dont le Recteur, le Prof. Bruno Delvaux, tenait beaucoup à être présent, mais en est empêché en raison du décès inopiné de son épouse.
Né le 19 avril 1920 à Fouches, près d'Arlon, aux confins des mondes latin et germanique, Julien Ries a accompli ses humanités gréco-‐latines et deux années de philosophie au Séminaire de Bastogne. C'est au Grand Séminaire de Namur qu'il poursuivra le cycle de quatre ans de théologie. Il est ordonné prêtre le 12 août 1945. Il est alors envoyé par son évêque, Mgr Charue, à l'Université catholique de Louvain pour y obtenir une licence en théologie (1948), puis une licence en philologie et histoire orientales (1949), et enfin y soutenir une thèse de doctorat en théologie (1953). Cette thèse, préparée sous la direction de Mgr Lucien Cerfaux et Mgr Louis-‐Théophile Lefort, traitait de l'influence des textes du Nouveau Testament sur l'euchologe manichéen copte de Medînet Mâdi.
C'est en 1960, sur la recommandation de Mgr Cerfaux, que l'abbé Ries est invité par le recteur de l'Université catholique de Louvain à donner une série de six conférences à l'Institut Orientaliste sur les rapports entre manichéisme et christianisme. Il y assurera ce cycle bisannuel jusqu'en 1968, date de la scission de l'Universitas Lovaniensis.
À partir de 1968, il dispense, comme maître de conférences, les cours d'histoire des religions à la Faculté de théologie de l'Université catholique de Louvain (UCL), qui s'apprêtait à déménager à Ottiginies -‐ Louvain-‐la-‐Neuve. En 1970, il y est nommé chargé de cours à temps plein, et promu professeur l'année suivante. Tandis qu'il devient également directeur du Centre d'histoire des religions créé à l'initiative du recteur Massaux, son enseignement portera, jusqu'en 1990, sur les religions comparées et la méthodologie de cette discipline, les religions indo-‐européennes, les religions du Proche-‐Orient ancien et les religions vivantes de l'Orient (hindouisme, bouddhisme, islam). C'est alors que sa recherche en ces domaines, auxquels il faut ajouter le gnosticisme, va se déployer d'une manière remarquable. En témoignent les quatre collections lancées dans le cadre du Centre louvaniste d'histoire des religions: Information et Enseignement, Collection Cerfaux-‐Lefort, Conférences et Travaux et surtout, dirais-‐je, Homo Religiosus, la plus connue et la plus emblématique. Témoigne aussi du dynamisme de cette recherche la liste impressionnante de ses publications individuelles et des ouvrages collectifs qu'il a dirigés, des écrits dont beaucoup ont connu plusieurs éditions et ont été traduits en plusieurs langues. Cette liste de publications n'a cessé de s'enrichir jusqu'à son décès.
Si l'on parcourt cette bibliographie, on retrouve tous les grands thèmes d'enseignement et de recherche du Prof. Ries. Outre une soixantaine d'articles sur le manichéisme et le gnosticisme, son premier amour scientifique, si je puis dire, je voudrais mettre en exergue une veine de recherche qu'il a particulièrement exploitée et qui caractérise assez bien, me semble-‐t-‐il, l'essentiel de ses investigations: l'étude de l'homo religiosus, du sacré, du symbole, du mythe et du rite. C'était une conviction du
1 Pour les indications biographiques, je renvoie notamment à A. VAN TONGERLOO et S. GIVERSEN (éds), Manichaica Selecta (Manichaean Studies, I), Lovanii, 1991, p. XV-‐XX, et A. THÉORIDÈS, P. NASTER, A. VAN TONGERLOO (éds), Humana condicio. La condition humaine (Acta Orientalia Belgica, VI), Bruxelles -‐ Louvain-‐la-‐Neuve -‐ Leuven, 1991, p. 7-‐11, ainsi que P.-‐M. BOGAERT, "Hommage au professeur Julien Ries", dans Revue théologique de Louvain, 22, 1991, p. 452-‐454.
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spécialiste de l'histoire des religions que l'être humain est naturellement religieux et que, pratiquement partout, on peut repérer des traces d'un sacré religieux "comme approche de Dieu". Aussi n'a-‐t-‐il eu de cesse de partir à la recherche de ces traces du sacré dans toutes les religions et cultures. C'est ainsi qu'on lui doit la collection Homo Religiosus et la grande trilogie qui l'ouvre, L'expression du sacré dans les grandes religions, de 1978 à 1986. C'est ce Traité d'anthropologie du sacré, selon le sous-‐titre de la traduction italienne, qui le fera connaître en Italie2. Une des dernières synthèses de l'ensemble de son enquête dans les religions, il y a quatre ans, s'intitulait précisément Introduction à une nouvelle anthropologie religieuse3. C'est dire la constance d'une trajectoire scientifique.
Ce travail ne fut cependant pas l'œuvre d'un solitaire. Le chercheur louvaniste aimait nouer des contacts, former des réseaux, dirait-‐on aujourd'hui, et susciter des collaborations. Il était aussi un organisateur né. On ne saurait donc, ici en Belgique, ne pas mentionner, par exemple, l'importance des cinq colloques internationaux préparés en collaboration avec le Centre d'Histoire des Religions de l'Université de Liège, et le Prof. Henri Limet en particulier. À destination d'un large public, il faut signaler les Meetings de Rimini, organisés par le mouvement Comunione e Liberazione, où celui qui avait aussi un grand sens de la vulgarisation est intervenu très régulièrement.
Pour la mise en route de cette recherche d'une vie, Julien Ries reconnaissait volontiers sa dette envers de grands devanciers: Mgr Charles de Harlez de Deulin, professeur louvaniste à la fin du XIXe siècle; Mircea Eliade et Georges Dumézil dans la seconde moitié du XXe siècle.
La science des religions n'était pas pour lui uniquement une science historique. Au-‐delà des documents, il s'agissait de cerner le phénomène religieux en tant que phénomène et d'en interpréter la signification. Histoire et phénoménologie débouchaient ainsi sur une herméneutique à l'école de Mircea Eliade. L'enthousiasme du Prof. Ries pour la science des religions en dialogue avec les autres sciences humaines lui a attiré de nombreux étudiants en cours et en séminaire, mais aussi en direction de mémoire et de thèse.
Parallèlement à son enseignement et à sa recherche, ce savant avait un sens certain de la logistique scientifique au service de son université. Lors du transfert de l'UCL en région francophone, il avait accepté de s'investir dans deux secteurs: les bibliothèques et les publications. Avec Mgr Philippe Delhaye, alors doyen de la Faculté de théologie, dès 1969, il mit sur pied une association sans but lucratif, qui permettrait d'acquérir des livres et des revues en vue de contribuer à reconstituer à Louvain-‐la-‐Neuve et Woluwé le patrimoine de la bibliothèque louvaniste divisée en 1968. Ainsi naquit le Centre Cerfaux-‐Lefort, grâce auquel furent acquis un million six cent mille volumes au moins.
En 1970, Julien Ries a participé à la fondation de la Revue théologique de Louvain. Il fut aussi membre du Conseil d'administration de la revue Le Muséon, et président de l'Institut orientaliste, de 1975 à 1980.
Nombreuses sont les sociétés savantes, belges et étrangères, dont il fut membre. On n'en finirait pas non plus d'énumérer les distinctions et les prix qui lui ont été attribués en reconnaissance de ses travaux scientifiques. Outre les prix décernés par l'Académie française, à titre d'exemple, mentionnons qu'il fut fait docteur honoris causa de
2 Le origini e il problema dell'homo religiosus. Trattato di antropologia del sacro, 1, Milano, Jaca Book/Massimo, 1989. 3 L' "homo religiosus" et son expérience du sacré. Introduction à une nouvelle anthropologie religieuse (Patrimoines. Histoire des religions), Paris, Éd. du Cerf, 2009.
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l'Université catholique du Sacré-‐Cœur de Milan le 27 octobre 2010. Puis, reconnaissance suprême, Mgr Julien Ries fut créé cardinal par le Pape Benoît XVI le 18 février 2012.
Que cet hommage, abrégé en raison des contraintes de temps, soit un signe de profonde reconnaissance pour l'importante contribution du Cardinal Ries à la science des religions, et pour tout ce qu'il a accompli au service de son Alma Mater, l'Université catholique de Louvain, et plus particulièrement de la Faculté de théologie de Louvain-‐la-‐Neuve!
Tournai, le 2 mars 2013
Prof. Joseph Famerée, Doyen de la Faculté de théologie de l'UCL