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Nutr Clin M&abol 1999 ; 13 : 35-40 © Elsevier, Paris Cas clinique Ict re et nutrition parent6rale prolong& Andrd Van Gossum Hdpato-gastroentdrologie, h@ital Erasme, route de Lennik, 808, 1070 Bruxelles, Belgique Une femme ~gde de 83 ans re~oit une nutrition parent6- rale h domicile depuis 18 mois, h la suite d'un infarctus mdsentdrique ayant conduit ~t une rdsection &endue du grele. La patiente est porteuse d' une jdjunostomie (gr~le rEsi- duel : 120 cm) et conserve un moignon rectosigmol'dien. Sa qualitd de vie est relativement bonne, mais elle n&es- site une prise en charge permanente. Les apports paren- t&aux comportent 10 g d'azote/j, 1 400 kcal non protdiques/j et des apports en eau, 61ectrolytes, vitamines et oligo~16ments. Elle re~oit trois lois, 500 mL d'Intra- lipid ® 20 % par semaine. La patiente s alimente par voie orale (environ 800 kcal/j). Le poids est stable h 62 kg, pour une taille de 1,60 m. La patiente est hospitalisde dans un contexte de fi~vre, avec frissons, nausdes et vomissements. Elle est hypoxdmique. L'examen sanguin indique : leucocytose, 10 700/mm 3 ; h6matocrite, 43,5 % ; glycdmie, 37 mmol/L ; crdatinine, 142 Ixmol/L ; c-reac- tive protein (CRP), 163 mg/L (n < 10) ; l'enzymologie hdpatique est normale. L'examen bact&iologique direct (hdmoculture du sang prElevE par le catheter central via une veine pdriph6rique) montre la pr6sence de germes en grande quantitd dans le prEl~vement rdalisE au niveau du cathdter. La patiente est admise "a l'unitd de soins intensifs pour surveillance hEmodynamique. D~s la suspicion d'infec- tion du cath&er central, on commence une antibioth6ra- pie ~t base de vancomycine (1 g/j) et d'Augmentin ® (3 x 2,2 g par voie intraveineuse). Apr& 48 h, le germe est identifid comme dtant un Streptocoque mitis ; l'anti- biothErapie est adaptEe en fonction de l'antibiogramme et la patiente reqoit 6 x 3 millions de pdnicilline. Elle recevait par ailleurs un inhibiteur de la pompe ?a protons (20 mg/j), de la digoxine (0,25 mg/j), de l'insuline selon besoins et de la Sandostatine ® (3 x 0,1 mg/j) ainsi que de l'Imodium ®. t~tant donnd la symptomatologie abdo- minale, une dchographie est r6alis6e et r6v~le de la , boue >>vdsiculaire. La tempdrature persistant, le cathE- ter central est retird (2 e j). Au 8 e j apr~s l'admission, la pose d'un nouveau catheter central entra*ne un volumi- neux hdmatome cervical qui se rdsorbera progressive- ment. partir du 7 e j d'hospitalisation (figures 1 et 2), on constate une dldvation progressive de la concentration de bilirubine sdrique (surtout la bilirubine directe) alors que l'activitd des phosphatases alcalines et des transaminases reste normale. Le nombre de leucocytes sanguins reste amol/L 180 160 140 120 100 80 60 40 20 0 1 feaC tnit bi odhgr;t~ iet e ~ SE dour dour dour dour 1 7 14 21 Biopsie hbpatique -- J~ormales: < 17 dour 28 Figure 1. t~volution de la bilirubin4mie. UI/L 400 q 350 -~ I 300 J 25O 2O0 150 100 50 j 0~ Infection du catheter SE i antibioth~rapie I Jour Jour Jour Jour 1 7 14 21 Biopsie hepatique I Normales: - < 300 i dour 28 Figure 2. ]~volution de l'activit6 des phosphatases alcalines. SE : sphinct6rotomie endoscopique. 35

Ictère et nutrition parentérale prolongée

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Nutr Clin M&abol 1999 ; 13 : 35-40 © Elsevier, Paris

Cas clinique

Ict re et nutrition parent6rale prolong&

A n d r d Van G o s s u m

Hdpato-gastroentdrologie, h@ital Erasme, route de Lennik, 808, 1070 Bruxelles, Belgique

Une femme ~gde de 83 ans re~oit une nutrition parent6- rale h domicile depuis 18 mois, h la suite d 'un infarctus mdsentdrique ayant conduit ~t une rdsection &endue du grele.

La patiente est porteuse d' une jdjunostomie (gr~le rEsi- duel : 120 cm) et conserve un moignon rectosigmol'dien. Sa qualitd de vie est relativement bonne, mais elle n&es- site une prise en charge permanente. Les apports paren- t & a u x c o m p o r t e n t 10 g d ' azo te / j , 1 400 kcal non protdiques/j et des apports en eau, 61ectrolytes, vitamines et oligo~16ments. Elle re~oit trois lois, 500 mL d'Intra- lipid ® 20 % par semaine. La patiente s alimente par voie orale (environ 800 kcal/j). Le poids est stable h 62 kg, pour une taille de 1,60 m. La patiente est hospitalisde dans un contexte de fi~vre, avec frissons, nausdes et vomissements. Elle est hypoxdmique. L 'examen sanguin indique : leucocytose, 10 700/mm 3 ; h6matocrite, 43,5 % ; glycdmie, 37 mmol/L ; crdatinine, 142 Ixmol/L ; c-reac- tive protein (CRP), 163 mg/L (n < 10) ; l 'enzymologie hdpatique est normale. L 'examen bact&iologique direct (hdmoculture du sang prElevE par le catheter central via une veine pdriph6rique) montre la pr6sence de germes en grande quantitd dans le prEl~vement rdalisE au niveau du cathdter.

La patiente est admise "a l 'unitd de soins intensifs pour surveillance hEmodynamique. D~s la suspicion d'infec- tion du cath&er central, on commence une antibioth6ra- pie ~t base de vancomycine (1 g/j) et d 'Augmentin ® (3 x 2,2 g par voie intraveineuse). Apr& 48 h, le germe est identifid comme dtant un Streptocoque mitis ; l 'anti- biothErapie est adaptEe en fonction de l 'ant ibiogramme et la patiente reqoit 6 x 3 millions de pdnicilline. Elle recevait par ailleurs un inhibiteur de la pompe ?a protons (20 mg/j), de la digoxine (0,25 mg/j), de l 'insuline selon besoins et de la Sandostatine ® (3 x 0,1 mg/j) ainsi que de l ' Imodium ®. t~tant donnd la symptomatologie abdo- minale, une dchographie est r6alis6e et r6v~le de la , boue >> vdsiculaire. La tempdrature persistant, le cathE- ter central est retird (2 e j). Au 8 e j apr~s l 'admission, la pose d 'un nouveau catheter central entra*ne un volumi-

neux hdmatome cervical qui se rdsorbera progressive- ment.

partir du 7 e j d'hospitalisation (figures 1 et 2), on constate une dldvation progressive de la concentration de bilirubine sdrique (surtout la bilirubine directe) alors que l'activitd des phosphatases alcalines et des transaminases reste normale. Le nombre de leucocytes sanguins reste

amol/L 180 160 140 120 100

80 60 40 20

0

1 feaC tnit ,¢ bi odh gr;t ~ iet e ~ SE

dour dour dour dour 1 7 14 21

Biopsie hbpatique

- - J~ormales: < 17

dour 28

Figure 1. t~volution de la bilirubin4mie.

UI/L 400 q

350 -~ I

300 J

25O

2O0

150

100

50 j 0~

Infection du catheter SE

i antibioth~rapie I

Jour Jour Jour Jour 1 7 14 21

Biopsie hepatique I

Normales: - < 300

i

dour 28

Figure 2. ]~volution de l'activit6 des phosphatases alcalines. SE : sphinct6rotomie endoscopique.

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normal mais les concentrations de CRP sont toujours supdrieures h la normale.

La patiente se rdalimente par vole orale. Elle ne signale pas de douleurs abdominales. Ndanmoins, une dchographie abdominale est rdalisde et montre une vdsi- cule distendue sans signe dchographique de choldcystite. On ddcide de rdaliser une cholangiographie endosco- pique avec sphinctdrotomie qui permet d'61iminer de la boue biliaire stagnant dans la voie biliaire principale. Malgr6 la rdalisation dans la sphinctdrotomie endosco- pique, la concentration sdrique de bilirubine continue de s'dlever avec une faible augmentation des phosphatases alcalines. La nutrition parentdrale est transitoirement arr&de. Los sdrologies virales sont ndgatives. On rdalise ensuite une biopsie hdpatique dont l 'examen histolo- gique montre de la fibrose, un infiltrat inflammatoire lymphoplasmocytaire ainsi que des thrombi biliaires au sein d'une prolifdration de canalicules biliaires.

Quelle attitude proposez-vous ?

RI~PONSE 1

Jean-Marie Reimund, service d'hdpato-gastroentdrologie et assistance nutritive, h6pital universitaire de Stras- bourg.

Le probl&ne posd dans cette observation est celui d'une femme de 83 ans, en nutrition parentdrale 5 domicile depuis 18 mois, qui prdsente darts les suites d'une infec- tion du cathdter central fi Streptocoque mitis une 61dva- tion progressive de la bilirubine sdrique prddominant sur la bilirubine conjugude alors que la biologie hdpatique l'admission est normale.

Parmi les ictbres ?a bilirubine conjugude sans syndrome cytolytique, on peut schdmatiquement distinguer ceux d'origine intrahdpatique et ceux d'origine extrahdpa- tique, habituellement associds h des anomalies morpho- logiques de la voie biliaire principale et dont l'origine est le plus souvent biliaire ou ndoplasique.

Dans le cas clinique proposal, ces deux dtiologies peu- vent &re discutdes. La patiente prdsente un sludge vdsi- culaire (vraisemblablement lid /t la nutrition parentdrale

domicile [1]) ainsi que de la boue biliaire au sein de la voie biliaire principale. L'histologie hdpatique corres- pond par ailleurs assez bien h celle d'une cholangite infectieuse [2]. L'absence d'dldvation des gamma-GT (y-GT) et des phosphatases alcalines (mSme si celles-ci augmentent un peu ~ partir de la 3 e semaine), et surtout l'inefficacitd de la sphinctdrotomie endoscopique vont cependant contre ce diagnostic. De mSme, une obstruc- tion biliaire ndoplasique appara~t peu probable ; l'dcho- graphie et/ou la cholangiopancrdatographie rdtrograde endoscopique (CRPE) auraient certainement permis de faire le diagnostic d'ampullome, de cancer de la t&e du pancrdas ou de la voie biliaire principale, chez une

patiente ictdrique ayant une vdsicule distendue h l'dcho- graphie.

Les affections auto-immunes des voies biliaires, cir- those biliaire primitive (CBP) et cholangite scldrosante primitive (CSP), peuvent dgalement &re dcartdes compte tenu du contexte de survenue, de l'fige de la patiente, du sexe (pour la CSP), de l'absence d'dldvation franche des phosphatases alcalines et de l'absence d'anomalies des voies biliaires h la CPRE (pour la CSP). II reste doric envisager les causes d'ictOre ~t bilirubine directe, sans syndrome cytolytique, d'origine intrahdpatique.

La nutrition parent&ale peut-elle fitre responsable des anomalies observ6es ?

Avant son 6pisode septique la patiente ne prdsentait a priori aucune anomalie hdpatique biologique (les tests hdpatiques dtaient en tout cas normaux h l'admission). Cela n'est pas particulidrement surprenant chez une patiente n'ayant aucun des facteurs de risque habituel- lement lids 7t la survenue d'une cholestase au cours de la nutrition parentdrale prolongde: nutrition cyclique, maintien d'une alimentation par voie orale, faibles apports dnergdtiques (glucidiques et lipidiques) intravei- neux quotidiens, absence de notion de ddficit en acides gras essentiels, absence d'inflammation sur le gr~le res- tant favorisant potentiellement une translocation bactd- rienne cbronique [3]. Aprbs un traitement anti-infectieux prdcoce et ajustd sur l'antibiogramme, la patiente a bdnd- ficid d'une reprise de sa nutrition parentdrale au bout de huit jours. I1 aurait 6td intdressant de savoir si, ~t ce moment, la composition de la nutrition parentdrale 6tait identique ~t celle apportde fi domicile, ou si au contraire, l'apport parentdral dtait supdrieur en termes d'apport 6nerg6tique total ou d'apport en calories d'origine lipi- dique. Un ddsdquilibre brutal de la nutrition parentdrale, chez une patiente prdsentant un syndrome infectieux per- sistant (CRP > 100 mg/L) malgrd l'antibiothdrapie et l'absence d'hyperleucocytose pourrait, en thdorie, expli- quer les ldsions histologiques observdes. Celles-ci sont en effet assez caractdristiques de celles observdes en cas de cholestase induite par la nutrition pm'entdrale [4]. La dissociation entre l'histologique hdpatique et les rdsultats biologiques (hyperbilirubindmie quasi exclusive) est cependant troublante, et on s'attendrait davantage ~ voir appara~tre dans un premier temps une cytolyse (m~me moddrde) et une plus franche dldvation des phosphatases alcalines et des 7-GT [5].

Pourquoi le syndrome inflammatoire persiste-t-il aussi longtemps ?

Dans le cas clinique prdsentd, cette question me semble d'une importance particulidre. En effet, si une inflam- mation systdmique prolongde apparaR associde aux

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anomalies biologiques hdpatiques (en particulier la cho- lestase) chez des patients en nutrition parent@ale pro- longde [6], la question i c i e s t de savoir si l ' infection initiale a 6t6 totalement maitrisde par le traitement pres- crit. Les septicdmies ~ streptocoques ingroupables sont en effet frdquemment compliqudes d'autres atteintes infectieuses, principalement endocardiques. Strepto- coque mitis en particulier, semble etre, aprbs Strepto- coque sanguis, responsable de 16,5 % des endocardites bact6riennes compl iquant une infection ~t strepto- coques [7]. Au cours des affections bactdriennes s6v~res, avec ou sans septicdmie, il est fr6quent d 'observer un ictbre ou un subict~re (associ6 ou non h une cytolyse ou

une cholestase biologique). L'616vation persistante de la CRP sugg~re l 'existence d 'un foyer infectieux r6si- duel.

Darts cette situation clinique, mon attitude serait donc la suivante : - m'assurer de la gudrison de l ' infection ~a Streptocoque mitis en recherchant avant tout une endocardite bac- t6rienne. Cela implique de refaire une sdrie d 'hdmo- cultures pr61evdes sur milieu sp6cial (la patiente 6tant sous traitement antibiotique), en y associant 6galement des hdmocultures sur milieu de Sabouraud afin de ne pas m6conna~tre une infection 5 levures associ6e ~ l ' infection bactdrienne, ainsi qu'un bilan cardiologique complet (examen clinique ~t la recherche d 'un souffle d'apparition rdcente ou de signes d'insuffisance cardiaque, 6chogra- phie cardiaque transpari6tale et/ou transoesophagienne) ; - si l 'endocardite bact6rienne 6tait 61iminde, il convien- drait de revoir le brian h6patobiliaire ~t la recherche de signes de localisations infectieuses hdpatiques (ce qui est exceptionnel avec Streptocoque mitis) ou surtout, bi- liaires : la sphinct6rotomie endoscopique 6tait-elle suf- f isamment large ? Y a-t-il eu fermeture secondaire de la sphinctdrotomie initiale ? L'absence d'616vation des phosphatases alcalines et des 7-GT ne plaide cependant pas en faveur de cette hypoth~se ; - ce n 'est que lorsque ces 616ments auront 6t6 61imin6s que j 'envisagerais une relation directe hyperbilirubin6- mie/nutrition parent6rale.

R E F E R E N C E S

1 Messing B, Bories C, Kunslinger F, Bernier JJ. Does total parente- ral nutrition induce gallbladder sludge formation and lithiasis? Gas- troenterology 1983 ; 84 : 1012-4.

2 Scheuer PJ. Biliary disease. In: Scheuer PJ, ed. Liver biopsy inter- pretation. London: Bailli~re Tindall; 1973.25-39.

3 Bashir RM, Lipman TO. Hepatobiliary toxicity of parenteral nutri- tion in adults. Gastroenterol C/in North Am 1995 ; 24 : 1003-25.

4 Messing B, Colombel JF, Heresbach D, Chazouilli6res O, Galian A. Chronic chotestasis and macronutrient excess in patients treated with prolonged parenteral nutrition. Nutrition 1992 ; 8 : 30-6.

5 Quigley EMM, Marsh MN, Shaffer JL, Markin RS. Hepatobiliary complications of total parenteral nutrition. Gastroenterology 1993 ; 104 : 286-301.

6 Reimund JM, Dron K, Baumann R, Duclos B. Persistent inflam- matory and immune activation participates in the occurrence of cholestasis in patients receiving long-term parenteral nutrition [abstract]. Clin Nutr 1998 ; 17 Suppl 1 : 17.

7 Etienne J, Reverdy ME, Mouren C, Fleurette J. l~tude bact6riolo- gique de 125 endocardites infectieuses h streptocoque. Pathol Biol 1982 ; 30 : 707-10.

R I ~ P O N S E 2

Gdrard Boncompain, service de rdanimation mddicale, unit6 de nutrition parent6rale, h6pital de la Croix rousse, 69317 Lyon cedex 04.

Chez cette femme de 83 ans pr6sentant un syndrome d'intestin court postinfarctus mdsent6rique est pos6 le problbme de l 'apparition d'un ict~re sous nutrition parent6rale au long cours (NPALC) et de la conduite h tenir. Cette observation conduit ~t plusieurs commen- taires.

Le circuit digestif associant un syndrome d'intestin court avec j6junostomie haute sans r6tablissement de la continuit6 digestive malgr6 un moignon rectosigmo~'dien est un 616ment favorisant l 'h6patopathie de NPALC. L'dtiopathogdnie de l 'hdpatopathie de NPALC reste dis- cutde et est probablement multifactofielle, mais les ano- malies de la composition biliaire entrain6es par le court-circuit intestinal sont certainement en cause, comme le sugg~re souvent l 'efficacit6 de l 'acide ursodd- soxycholique donn6 per os ou l'am61ioration des patients obtenue aprbs r6tablissement de la continuit6 digestive.

On se situe dans des ddlais de NPALC de 18 mois assez courts, mais qui sont compatibles avec cette complication.

La composition de la nutrition parent@ale el le-mame semble avoir 6t6 bien 6quilibr6e au premier abord, car le poids de la patiente est demeurd stable. Cependant, en calculant les besoins th6oriques de la malade par la for- mule de Harris et Benedict, on trouve un m6tabolisme de base ~t 1 156 kcal/j. En fait, la patiente re~oit des apports caloriques qui sont exc6dentaires par voie parentdrale tous les jours, sans tenir compte des apports oraux qui sont estim6s ~ 800 Kcal/j (on ne conna~t pas l 'absorption rdelle digestive de la malade, mais avec 1,20 m de grale cette absorption existe). Les apports caloriques sont au total probablement excessifs en glucose, en lipides et peut-6tre en azote. Les apports lipidique excessifs sont en cause dans l 'h6pathopathie de NPALC car souvent la diminution de l 'apport lipidique am61iore l ' ictbre [1]. En ddfinitive, la nutrition de cette patiente est hypercalo- rique. I1 faut donc diminuer l 'apport calorique de la patiente, et arr~ter en premier lieu tout apport lipidique, surtout si la patiente prdsente une hypertriglycdriddmie et une hypercholest6rol~mie.

II faut remarquer toutefois que les anomalies h6pa- tiques ont 6t6 d6clenchdes comme cela est classique par un 6tat septique ; au d6part, c '6tai t une septic6mie

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Streptocoque mitis. Ici, le t rai tement de cette compli- cation semble avoir 6te adapt6 par la prescr ipt ion de 6 x 3 mil l ions de penici l l ine par jour (cet antibiotique est c lass iquement efficace sur ce germe), et par l ' abla- tion du catheter. On ne salt pas quelle a ete la duree du t rai tement antibiotique, mais la CRP n 'es t pas norma- lisee. A priori, il persiste un element septique chez cette patiente. Aussi, darts un marne temps, il faut cer- ta inement faire prat iquer une echographie cardiaque pour 61iminer une endocardi te infectieuse qui expli- querait la persistance de 1'6tat infectieux et de l ' aug- mentat ion de la CRR Si ce fait n 'es t pas confirme, on peut penser que le sepsis provient des voies bil iaires : la patiente n ' a pas ete cholecystectomisee, elle vient de pr6senter les classiques complicat ions bil iaires de la NPALC (la biopsie hepatique est typique des anoma- lies observees darts ce contexte). On a real ise une cho- langiographie re t rograde avec sphincterotomie, mais la vesicule bil iaire est restee en place, elle est tendue avec un sludge, les problbmes bil iaires ne sont pas resolus. II faut discuter d 'une ant ibiotherapie h visee bil iaire en intraveineuse, et d 'une cholecystectomie chirurgicale assez rapidement , et, au cours du geste, discuter la possibi l i te d ' un re tabl issement de continuite colique, Ce geste r isque d ' expose r la patiente ~t des diarrhees inconfortables mais permettrai t de gagner en fonction d 'absorpt ion digestive, car en definit ive le sevrage de la NPALC ne depend que de la longueur du circuit digest i f [2], et ici le grale n ' es t pas trbs court. Un traitement "a l ' a c ide ursodesoxychol ique per os est ~t associer.

La resorption de l 'hematome du cou pourrait expliquer une augmentation de la bilirubine libre ou indirecte, mais pas de la bi l imbine conjuguee.

Un autre alternative therapeutique peut atre d 'a r re te r la NPALC en apportant uniquement les apports hydro- sodes, et en micronutr iments necessaires. Ceux-ci ne sont pent Otre pas tr~s importants (Sandostatine®+ lope- ramide + inhibiteurs de la pompe ?~ protons doivent d iminuer beaucoup les pertes par la stomie non preci- sees et dont depend le sevrage de la NPALC) [3]. ll faut donner ?a la patiente un trai tement per os h l ' a c ide ursodesoxychol ique (Ursolvan ® ou Delursan @) ?~ la posologie de 10-15 mg/kg. Ce trai tement previent la toxici te des acides bi l iaires endog6nes hepatotoxiques, il peut 6tre real absorbe dans ce contexte mais c ' e s t le medicament de choix [4]. Si les pertes par la stomie sont inferieures 5 1,5 L/j, une eau de boisson compor- tant 1,5 L de solute OMS/j peut etre prescri te, pour aider au sevrage de la NPALC. Enfin, une cure d ' an t i - biot iques h visee bil iaire est ~ associer jusqu '~ norma- l isat ion de la CRP et la patiente doit Otre surveil lee (biologie, 6chographie), car l ' amel io ra t ion du brian hepat ique peut etre lente et 6talee sur plusieurs semaines.

R E F E R E N C E S

1 Goulet O, Girot R, Maier-Redelsperger M, et al. Hematologic disorders following parenteral use of intravenous fat emulsions in children. JPEN J Parenter Enteral Nutr 1986 ; 10 : 284-8.

2 Carbonnel F, Cosnes J, Chevret S, et al. The role of anatomic fac- tors in nutritionnal autonomy after extensive small bowel resection. JPEN J Parenter Enteral Nutr 1996 ; 20 : 275-80.

3 Edwards C, McIntyre A. Nutrition enterale et parenterale dans le syndrome de grele court. Nutr Clin Mdtabol 1994 ; 8 : 171-8.

4 Keith D, Bumes J. Ursodeoxycholic acid for the treatment of home parenteral nutrition-associated cholestasis. A case report. Gastroen- terology 1991 ; 101 : 250-3.

RI~PONSE 3

Bernard Messing, service d 'hdpato-gastroenterologie et nutrition, h6pital Saint-Lazare, Paris.

1. Concernant l'histoire de ia malade avant sa rehospitalisation

Je propose que soient precises plusieurs points : a. Cette femme ~gee de 83 ans presente un diabbte de type 1 puisqu'el le reqoit << de l ' insuline selon besoins >> ; depuis combien de temps ? i.e. ce diabete est-il recent ou ancien ? (cf. 3a.). b. A l 'entree dans le service, il est dit que << l ' enzymolo- gie hepatique est normale >>, et ~ partir du 7 e jour d 'hos- pitalisation il est observe un ictare : la bilirubine depasse 50 gmol/L. En revanche, on ne connait pas l 'evolut ion anterieure des tests fonctionnels hepatiques, alors qu 'e l le est en nutrition parenterale depuis 18 mois : cholestase chronique ?

2. Concernant l'histoire actuelle

a. Deux echographies abdominales sont realisees : la premibre revble un sludge vesiculaire, la seconde montre une vesicule distendue sans signe echographique de cholecystite. Une cholangiographie endoscopique avec sphincterotomie, qui el imine de la boue biliaire stagnant dans la voie biliaire principale (VBP), n 'entraine pas d 'ameliorat ion de l ' ictbre puisque la concentration de bilirubine continue ~t s 'dlever (cf. 3a.). b. L 'observation n ' indique pas si la malade reste febrile au decours du 2 ° jour d'hospitalisation, date ~t laquelle le catheter central est retire.

3. Cholestase extrahepatique : non

a. Pancreas : non mais. Chez cette dame ~gee, diabetique, ayant un ictbre nu associe ~ une grosse vesicule, une lesion pancreatique, en particulier un cancer du pancreas, doit Otre evoquee ~t l 'or igine de cet ictere. A c e stade de la discussion, j ' au - rais prefere avoir des donnees plus precises dans l ' ob-

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servation, me permettant d'dliminer fermement cette hypothbse, ~t savoir une enzymologie pancrdatique (il n ' y a pas de douleurs ~t la reprise de l'alimentation), des pr6- cisions sur l'anciennet6 du diab~te (un diab~te r6cent aurait incit6 ~ rechercher un cancer du pancr6as avant la survenue de l'ictbre), et surtout : - la taille de la voie biliaire principale, en particulier sur son trajet intra- et suspancrdatique ; - la morphologie du pancrdas, en particulier au niveau de sa tote.

N'ayant pas eu ces informations, j 'ai consid6r6 que celles-ci 6talent normales. b. Lithiase : non. En effet, devant un ictbre survenant en cours de nutrition parent6rale, il est indispensable d'61iminer une cause inddpendante de celle-ci (cf. 3a.). Les donn6es histolo- giques obtenues apr~s ponction biopsie h6patique (PBH) ne t6moignent en effet ni plus ni moins que d 'une cho- lestase, celle-ci pouvant 0tre intrahdpatique (association

la nutrition parent6rale) ou extrahdpatique (alors ind6- pendante de la nutrition parent6rate). Dans ce dernier cas, la PBH est d'ailleurs contre-indiqu6e. I1 me semble 6galement sous-entendu dans l 'observation que si une lithiase de la VBP avait 6t6 pr6sente elle aurait 6t6 not6e lors de la cholangiographie rdtrograde. De plus, la sphinct6rotomie ayant drain6e le sludge, on ne peut attri- buer l'ict~re ~t une cholestase extrahdpatique, en particu- lier lithiasique.

4. Cholestase intrah6patique ind6pendante de la NPAD : non

Devant cette vieille dame en nutrition parentdrale pro- longde pour syndrome de gr01e court (en particufier sans ildon), et avec exclusion colique (rectosigmoYde exclu), la probabilit6 d 'une cholestase chronique, avant l'6pi- sode infectieux motivant la rdhospitalisation, est de plus d 'une chance sur deux (cf. lb.). a. Mddicaments : non (cf. liste de l'observation). b. Virus : non. Je relbverai une derni~re phrase de l 'observation : ~ les sdrologies virales sont n6gatives ~ : j 'eusse prdf6r6 que soient pr6cisdes les s6rologies virales pratiqu6es. Cela 6tant dit, devant la normalit6 des transaminases et en 1' absence de ldsion h6patocytaire histologique, une cause virale peut-0tre effectivement 6cart6e.

5. Cholestase intrah6patique d6pendante de la NPAD : oui

Chez cette femme qui p6se 62 kg pour une taille de 1,60 m (IMC = 24,2), le poids, comme l'indique Fob- servation, ne devrait pas etre stable puisqu'elle regoit par ta seule vole intraveineuse 1,66 lois ses d6penses 6ner- g6tiques de base. On ne doit donc pas s'dtonner que ses

ingesta soient peu importants, puisqu'ils ne sont que de l 'ordre de 50 % de sa ddpense 6nerg6tique de repos selon Harris et Benedict : 1 540 kcal/j. Cela m'ambnera h une proposition th6rapeutique en fin de discussion.

6. Cholestase infectieuse : oui

a. L'infection h Streptocoque mitis a pu 0tre responsable de l'apparition de l'ict~re chez cette patiente, chez laquelle d'ailleurs persiste un syndrome inflammatoire dissoci6, dont tdmoignent l 'absence de leucocytose et l'616vation persistante et notable de la CRP (cf. 2b.). Au sens large du terme, je retiendrai donc 6galement le dia- gnostic de cholestase intrah6patique infectieuse ; b. L'ictbre, survenant 5 l 'occasion d'un 6pisode infec- tieux, peut en effet 0tre secondaire ?~ sa rectosigmoidite d'exclusion avec translocation bactdrienne. I1 a en effet 6t6 montr6 que la probabilitd de survenue d 'une choles- tase chronique, en pr6sence d 'un c61on exclu 6tait de 100 % ~ 6 mois. Cela explique le souhait que j 'avais plus haut d 'avoir une 6volution ddtaill6e et pr6cise des tests fonctionnels hdpatiques depuis le ddbut de la nutrition parentdrale chez cette patiente (cf. lb.).

Avant de conclure sur rues propositions tb6rapeutiques, j ' indiquerai de plus que notre patiente en prdsence d'in- gesta suffisants dolt pouvoir ~tre sevr6e de toute nutrition parent6rale. En effet, le sevrage, en prdsence d' une jdju- nostomie terminale, est probable avec plus d 'un m6tre de gr~le restant sain, ce qui est le cas de cette dame.

7. Proposit ions th6rapeutiques

En pratique, je propose l'attitude suivante. a. Soit un traitement symptomatique, traitement de cet ictbre, survenant en nutrition parentdrale prolong6e : - r6duction des apports intraveineux du point de vue des macronutriments, en particulier pas plus de 200 g de glu- cose/j, 9 g d'azote, et suppression de tout apport lipi- dique ; - traitement de la rectosigmo]'dite d'exclusion par lave- ments ~ garder d'acides gras ?a chaine courte, d 'abord quotidien (60 ml) pendant 2 semaines puis en traitement d'entretien les semaines suivantes. Une telle attitude devrait 0tre associ6e ~t la rdgression de l'ict~re et peut- 0tre 5 une am61ioration des ingesta. b. Soit un traitement 6tiopathogdnique : suppression de toute nutrition parentdrale aprbs chirurgie digestive, comportant : - choldcystectomie, il y a eu un sludge ; - gastrostomie << 5 la Witzel >> permettant une nutrition entdrale, ~ un niveau d'environ 1,3 ~ 1,5 fois les ddpenses 6nergdtiques basales, ~t ddbit constant, sur 22-23 h/j ; - rdtablissement de la continuit6 j6junosigmoidienne, aprbs traitement systdmatique de la rectosigmo'fdite d'exclusion (selon les modalitds ddcrites ci-dessus - 2 se-

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Nutr Clin Mdtabol 1999 ; 13 : 35-40 A. Van Gossum

maines de traitement) au ddcours de laquelle sera effec- tude une manomdtrie anorectale pour juger de la compd- tence sphinctdrienne. Si celle-ci est bonne ou rddducable, rdtablissement de la continuit6, si elle est trds mauvaise et non rddducable, la jdjunostomie terminale est mainte- nue sans rdtablissement de la continuitd.

En conclusion, apr~s avoir revu ce cas clinique, je l'in- titulerai personnellement << le petit bout de la lorgnette >>, puisqu'en effet la rectosigmoi'dite d'exclusion aura 6t6 le point d'appel rdvdlateur de l'ict6re en cours de nutrition parentdrale prolongde, d'ailleurs inappropride puisqu'ap- portant un niveau calorique excessif. De plus, cette dame aurait pu bdndficicr antdrieurement, c'est-~-dire d~s la rdsection initiale, de la gastrostomie d'alimentation asso- cide au rdtablissement de la continuit6 jdjunosigmo)'- dienne.

SYNTHESE

Aprbs quelques jours compldmentaires d'observation, la patiente ddveloppe une pyrexie moddrde (38 °C) et se plaint de douleurs abdominales, centrdes dans l 'hypo- chondre droit. On rdalise une nouvelle 6chographie abdominale qui montre une vdsicule tr6s distendue avec paroi fine. La palpation 6chographique de la vdsicule est douloureuse.

Une laparotomie est rdalisde et confirme la prdsence d'une vdsicule distendue avec une paroi quasiment ndcrotique. Une chol6cystectomie est pratiqude, rdvdlant de la boue biliaire purulente. Une antibiothdrapie action biliaire est administrde. La concentration de bili- rubine retourne rapidement h des valeurs normales, simultandment ~t la diminution des concentrations de CRR L'dvolution fut favorable et la patiente put regagner son domicile.

En conclusion, cette patiente ~gde de 83 ans, recevant une nutrition parentdrale depuis 18 mois suite ~ un in- farctus mdsentdrique, a prdsent6 un ictbre de type sep- tique associd h une choldcystite lithiasique, qui est restde initialement indolore.

Les diffdrentes causes d'ict6re proposdes par les experts interrogds sont plausibles et avaient 6t6 retenues en cours d'hospitalisation. Une dchographie cardiaque avait 6t6 rdalisde pour exclure une endocardite suite h l'dpisode de l'infection du cathdter. L'opacification des voles biliaires par cholangiographie endoscopique avait permis d'dliminer l'existence d'une 16sion obstructive. La sphinctdrotomie avait 6t6 large et fonctionnellc.

La biopsie hdpatique avait 6t6 rdalisde pour prdciser la sdvdrit6 des ldsions hdpatiques assocides 5 la nutrition parentdrale 5 long terme, mais aussi pour exclure un ictbre d'origine mddicamenteuse secondaire /t la prise d'Augmentin ®.

La remise en continuit6 du tube digestif avait ddj~t 6t6 6voqude mais refusde par la patiente. La mise en 6vi- dence d'une hypotonicit6 sdv~re des sphincters de l'anus nous avait confortds dans ce choix malgr6 l'indication d'dviter le maintien d'un segment colique exclu, comme ce fur soulignd par un expert.

Les apports nutritionnels parentdraux 6talent certes relativement 61evds au moment de l'admission de la patiente. L'anorexie de la patiente dtait partiellement lide 5 une tendancc ddpressive lide ~t sa situation clinique. Une tentative de nutrition entdrale entamde au cours des semaines suivant la rdsection du grale avait dchou6 suite h l'inconfort ressenti par la patiente, consdcutif h l 'aug- mentation importante des pertes digestives dans la poche de jdjunostomie.

L'apparition d'un ictbre chez un patient sous nutrition parentdrale prolongde doit faire 6voquer les facteurs lids

la nutrition elle-m~me, mais aussi au patient.

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