Idies Rapport 2013 BAT

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  • rapportsur ltat de linformation conomique et sociale

    2013

    La fabrique de l'information conomique

    www.idies.org

    par Jean-Marie Charon, sociologue des mdias

  • La fabrique de l'information conomique

    2

    Rsum......................................................................................................................p.3

    La fabRique de L'infoRmation conomique.................................................p.4

    Economie et formation des journalistes.............................................................................p.6

    Information conomique et communication.....................................................................p.7

    Situation contraste des rdactions..................................................................................p.9

    De lutilit dun service conomie.....................................................................................p.10

    Acclration et information en temps rel......................................................................p.12

    Puissant impact de la crise des modles conomiques.....................................................p.14

    Externalisation de la comptence...................................................................................p.16

    tmoiGnaGeS

    Loc Hervouet.....................................................................................................................p.6 Jean-Marc Vittori...............................................................................................................p.8 Vincent Rocken..............................................................................................................p.10 Laurent Joffrin.................................................................................................................p.12 Julie Bloch-Lain..............................................................................................................p.13 Anton Brender................................................................................................................p.15 Andr Orlan.....................................................................................................................p.17

    anneXeS...................................................................................................................p.20

    Diffusion de la presse conomique..................................................................................p.20 Tableau des services conomiques..................................................................................p.21 Le statut de l'conomie dans les mdias..........................................................................p.22 Lconomie, star de la prsidentielle...................................................................................p.26 Des conomistes sous influence?.......................................................................................p.28 De linfluence des communiqus de presse......................................................................p.30

    LeS deRniReS PubLicationS de LidieS.........................................................p. 32

    Prsentation de l'Idies......................................................................................................p.34

    RAPPORT N1

    MAI 2013

    SOMMAIRE

  • 3 Lconomie est laffaire de tous. Elle na jamais autant faonn notre quotidien. Il na jamais t aussi urgent de la comprendre, de la dcrypter.

    Natalie Nougayrde, Le Monde du 30 avril 2013.

    RAPPORT N1

    MAI 2013

    RSUM

    L 'conomie occupe aujourd'hui une place centrale dans le dbat public. C'est un sujet technique mais qui fait l'objet de nombreuses controverses. Les journalistes sont-ils capables d'en rendre compte de manire satisfaisante ? Ont-ils les moyens d'analyser les problmes qu'elle soulve et dont la complexit est croissante ? Ont-ils suffisamment d'autonomie pour traiter de manire satisfaisante d'un domaine o les intrts en prsence sont consi-drables ? Il est permis d'en douter. Pour au moins cinq raisons, qui ont trait la formation des journalistes, l'importance prise par la communication, l'organisation des rdactions, l'acc-lration de l'information et au bouleversement du modle conomique des mdias.

    Tout d'abord, le niveau de formation l'conomie des journalistes est souvent faible et a tendance dcliner, alors mme que les questions conomiques sont de plus en plus prsentes dans l'agenda mdia-tique. Ce dficit de formation peut les handicaper quand il s'agit de lire les comptes d'une entreprise, de comprendre les mcanismes d'une restructuration ou les subtilits du droit du travail. Mais plus fonda-mentalement, cela les soumet au systme de valeurs, aux grilles de lectures et aux postulats dominants.

    Ce risque est d'autant plus fort que les services de communication des entreprises, dans le mme moment, ont pris un poids considrable et disposent de moyens sans commune mesure avec ceux des rdactions. Rsultat : trop de journalistes conomiques reprennent les communiqus de presse sans chercher valider les informations qui leur sont transmises.

    D'autre part, au sein des rdactions, les services conomiques occupent gnralement une place spcifique, moins valorise sur le plan hirarchique que les services politiques et travaillent de manire peu articule avec ceux-ci. Une situation qui nuit la qualit de l'information conomique - qui tend tre objective - , comme de l'information politique - qui rend mal compte des enjeux politiques lis aux questions conomiques. Cette distance est entretenue par la faible comptence des hirarchies en matire conomique qui les conduit parfois privilgier les sujets perus comme les moins complexes.

    L'acclration du traitement de l'information joue galement ngativement. Quand une information ncessite d'tre traite dans l'urgence, les journalistes spcialiss sont gnralement court-circuits par les reporters de terrain qui enchanent les sujets sans prparation, ni connaissance des donnes de base. Paralllement, le recours des experts extrieurs (souvent les mmes) se gnralise pour compenser le manque d'expertise interne aux rdactions.

    La crise des modles conomiques des mdias n'arrange rien. Les effectifs sont en baisse et la tension sur le temps imparti pour traiter d'un sujet s'amplifie. De plus en plus, les rdactions cherchent recruter des journalistes immdiatement oprationnels, capable de traiter tous les sujets, sur diffrentes plateformes, et ce au dtriment des rubricards, spcialistes d'un domaine. Paralllement, la perte des ressources publicitaires met en pril l'autonomie du travail journa-listique, poussant les directions de rdaction tre davantage l'coute des alertes et conseils des rgies publicitaires.

    Au final, toutes ces tendances fragilisent l'information conomique, au moment mme o les questions dont elle traite devraient tre places au cur du dbat et o les attentes du public ne cessent de s'lever. u

  • 4La fabrique de l'information conomique

    (1) Cr en 1908 sous sa version

    mensuelle, devenu quotidien en 1928.

    RAPPORT N1

    MAI 2013

    L ongtemps, l'conomie occupa une place plutt modeste dans les mdias franais, au regard par exemple de la presse anglo-saxonne. C'est surtout partir des annes quatre-vingt qu'une volution sensible devait se produire, tant par la place occu-pe par les rubriques (cahiers parfois) qui lui sont consacres dans la presse, que par

    l'apparition et souvent le succs de titres, antennes de radios, puis canaux de tlvi-sions, spcialiss dans celle-ci : naissance de la Tribune, renouvel-lement des Echos (1), cration du cahier saumon du Figaro, lancements dAlterna-tives Economiques, Capital, Challenges, BFM radio, BFM Bu-

    siness, etc. Rgulirement, avec des mo-ments d'intensification correspondant des contextes sociaux, politiques et co-nomiques particuliers, l'information co-nomique va se retrouver au coeur du dbat public. Les entreprises, et notamment cer-tains de leurs dirigeants, deviennent des stars de l'actualit, faisant l'objet de vri-

    tables success story . Avec la crise, partir de 2007, l'conomie est installe sur une priode longue au centre de l'actua-lit, un moment o la croyance faiblit dans la capacit du politique rgler des questions telles que celles de la dsindus-trialisation, du chmage, etc. Signe de cette volution, un responsable de la rdaction de TF1 peut affirmer que le service cono-mique de la chane est devenu l'un des, voire le plus gros service de la rdaction, rvlant l'intrt port ces sujets, tant par la rdaction en chef, que par les res-ponsables d'ditions.

    Logiquement, la monte des enjeux et la sensibilit des questions conomiques, ainsi que leur place dans le dbat public conduisent une discussion, souvent vive, sur la richesse et la qualit de l'information les concernant. Face la complexit croissante des problmes poss et la monte des controverses et dbats que ceux-ci suscitent, les rdactions et les journalistes se montrent-ils capables d'en rendre compte, de les ana-lyser ? Dans un domaine o les intrts en prsence sont considrables, les journalistes peuvent-ils garder une autonomie suffisante ? L o cohabitent souvent un fort niveau de technicit, mais aussi de profondes contro-verses scientifiques, sans parler de puissants prsupposs idologiques, les journalistes

    Avec LA cRIse, LcONOMIe esT

    INsTALLe suR uNe PRIOde LONgue

    Au ceNTRe de LAcTuALIT.

    La fabrique de l'information conomiquepar Jean-Marie Charon, sociologue des mdias

  • 5RAPPORT N1MAI 2013ra

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    exercent-ils dans des cadres et avec les com-ptences qui leur permettent de produire une information distancie et indpendante, ou au contraire se trouvent-ils pris dans des rapports de domination les conduisant produire une information la fois redondante et reprenant le discours des principaux acteurs (financiers, bancaires, industriels, etc.). (2)

    enqute sur les services conomie et leurs journalistesPour clairer le sujet, sans prtendre r-

    pondre l'ensemble des questions poses qui demanderaient un travail de recherche approfondi et dans la dure (3), il est int-ressant de s'attarder sur la question des hommes et femmes qui produisent cette information, sur les moyens dont ils disposent, sur les organisations au sein desquelles ils exercent, sur les volutions qui sont obser-vables dans leur activit, dans un contexte surdtermin par le bouleversement des modles conomiques des mdias et les stratgies dployes par les acteurs cono-miques en matire de communication. Sans doute une telle approche bute-t-elle sur les diffrences profondes qui traversent les mdias du point de vue de l'information conomique, entre ceux dont c'est la sp-cialit et la vocation de s'adresser un public d'experts ou d'acteurs du domaine et ceux qui touchent des audiences trs larges, moins formes la comprhension de phnomnes souvent complexes. Le parti pris a t de considrer que les uns et les autres se trou-vaient en interrelations, en mme temps que des tendances comparables s'exeraient sur eux (questions d'effectifs et de comptence) fussent des degrs diffrents. Le nombre des rdactions s'adressant des publics peu forms l'conomie conduit sans doute grossir certains traits (profils, comptence, mobilit des journalistes), ce qui n'est pas forcment trs grave si l'on se situe du point de vue du dbat public, vis--vis duquel la nature de l'information dlivre par un grand quotidien rgional ou la principale chane de tlvision gnraliste joue un rle crucial. Peut-tre, cet gard, la diminution de moi-ti du service conomique du Parisien a-t-il plus d'impact sur la comprhension des questions conomiques pour le grand public que le dernier plan social aux Echos.

    Mais peut-tre faut-il au pralable inter-roger ce qui est entendu par information conomique et ce quoi correspond l'exis-tence de services conomiques dans les rdactions. La rponse n'est pas aise, alors qu'au quotidien, les faits, vnements, ph-nomnes revtent des dimensions cono-miques, politiques, sociales, culturelles, etc. troitement imbriques. L'observation des organisations de rdactions, comme des rubricages, souligne bien l'hsitation entre des approches diffrentes, voire opposes : la premire aurait l'ambition de rechercher, analyser, commenter, expliquer la dimension conomique de l'ensemble de l'actualit. C'est ce que semble rvler la composition d'un service comme celui de TF1, o au ct de la macroconomie , va se retrouver un trs large ventail de questions incluant bien sr le social, m a i s a u s s i l e s sciences et tech-niques, l'nergie, la consommation, les transports et la cir-culation, l'environ-nement, les mdias, etc. La deuxime prtend davantage se focaliser sur des domaines forte spcificit et tech-nicit, distinguant clairement les quipes charges de la macro et de la micro-conomie (4) ; le social, les sciences, l'envi-ronnement, etc. relevant d'autres services ou de services spcifiques (cf. Le Figaro). En tout tat de cause, l'impression domine d'un ttonnement et d'une difficult penser les articulations, changes, cooprations entre spcialits diffrentes.

    Traiter de la production de l'information conomique soulve de nombreuses ques-tions. Le parti pris retenu ici est d'en pri-vilgier quelques-unes, qui paraissent pouvoir clairer les questions d'indpen-dance, de diversit et de qualit des conte-nus proposs aux diffrents publics. Il s'agira de la formation des journalistes, du poids de la communication, de la place des services conomie dans les rdac-tions, de l'acclration du traitement de l'information, de l'impact de la crise des

    Le seRvIce cONOMIque du PARIsIeN esT PAss de 24 5 jOuRNALIsTes.

    (2) Cf. Julien Duval, Critique de la raison conomique. Les transformations de la presse conomique en France, Paris, Le Seuil, Liber , 2004.

    (3) En loccurrence il ne sagit pas dapporter ici des conclusions, mais bien dinviter la discussion journalistes, sources et destinataires de linformation, ainsi qu louverture de travaux denqute et de recherches, qui ne se limiteraient ni dans le temps, ni dans lespace.

    (4) Le plus souvent utilis pour signifier le secteur entreprises , les services, etc. Dans lensemble du texte les termes utiliss seront ceux des rdactions et le qualificatif de microconomie sera interprter dans ce sens.

  • 6La fabrique de l'information conomique

    RAPPORT N1

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    modles conomiques et enfin du recours une expertise externe aux rdactions.

    EconomiE Et formation dEs journalistEs

    6% de diplms en conomie ou gestionLe niveau de formation des journalistes

    franais progresse rgulirement, la moiti de ceux-ci tant au moins Bac +4. Cepen-dant, la rpartition des spcialits de for-mation volue peu, domine par les lit-traires au sens large (lettre, langues, histoire, etc. et surtout InfoCom). En 2008, l'tude de l'Institut franais de presse, partir des dossiers de la Commission de la carte d'identit professionnelle des journa-listes (CCIPJ) (5), rvlait que 85 % des jour-nalistes avaient suivi un cursus de ce type. Les formations l'conomie (au sens large : conomie, gestion) sont marginales, repr-sentant 6 % des journalistes. Un tel pour-centage n'est bien sr pas en rapport avec la progression des sujets et des rubriques traitant d'conomie dans les mdias, sans parler des mdias spcialiss dans le do-maine. L'observation est d'autant plus frap-pante qu'en une dcennie la proportion de

    journalistes forms l'conomie a diminu de moiti, passant de 12 % 6 % !

    Cette faible reprsentation de journalistes forms l'conomie a en fait une triple consquence. Dabord, la grande majorit des journalistes traitant de sujets consacrs l'conomie n'a pas t forme ce domaine et manque bien de bases pour approfondir les questions les plus complexes qui sy retrouvent. En second lieu, les hirarchies sont encore plus loignes de cette com-ptence conomique, alors qu'elles ont une multitude de choix faire concernant les moyens affecter, les choix de sujets, les angles privilgier. Enfin, aussi peu de jour-nalistes disposant de comptence en co-nomie ne permettent pas une acculturation de la rdaction ces questions, laissant s'imposer des postulats et conceptions dominantes dans le dbat public, sans pou-voir aller contre-courant du sens commun ou du discours dominant.

    Le sentiment d'tre insuffisamment formsDans une enqute ralise auprs des jour-

    nalistes conomiques (6), les effets du manque de formation cette discipline ressortaient clairement : 47 % des journalistes interrogs disaient tre incapables de lire les comptes des entreprises, 51 % ne matrisaient pas les oprations de restructuration financire. La proportion de journalistes qui disaient ne pas connatre le droit du travail tait encore suprieure, atteignant 76 %. Dailleurs 68 % des journalistes ayant rpondu ce ques-tionnaire disaient avoir le sentiment d'tre insuffisamment forms. Certes, cette enqute est un peu ancienne (1996), mais sur ces points les donnes de base n'ont sans doute pas beaucoup volu, sachant que l'on tait alors une sorte d'ge d'or des services co-nomiques, de par le nombre de journalistes (et notamment de spcialistes de domaines particuliers) qui y taient affects.

    La faible proportion de journalistes ayant suivi un cursus d'conomie pourrait se trouver compense par la place qu'occuperait cette matire dans les formations au journalisme, voire le recours une offre de formation conti-nue. La formation au journalisme est cepen-dant loin de pouvoir combler ce manque puisquelle nest ni obligatoire, ni majoritaire,

    Il est clair que le niveau

    de formation gnral des

    journalistes a augment : ils

    rentrent en moyenne Bac +3

    et demi en cole de journalisme,

    voire Bac +5, ce qui nest pas

    rare. Mais leur niveau de

    formation en conomie, lui,

    a plutt tendance diminuer.

    Je me souviens que lorsque lon

    a fond le service conomie

    Ouest-France, on conseillait aux jeunes qui rentraient en cole de

    journalisme de faire une licence

    AES. Aujourdhui, ceux qui

    rentrent en cole de journalisme

    ont en gnral fait Sciences-Po

    (40 % dentre eux). Mais, mme

    sil y a un peu dconomie

    Sciences-Po, on ne peut pas dire

    que les journalistes sortant de

    Sciences-Po ont une formation

    conomique. Et rares sont les

    personnes qui intgrent une cole

    de journalisme aprs avoir t

    diplmes dune cole de

    commerce. Cela ne concerne

    quun ou deux tudiants par

    promotion. Et encore, cest

    une nouveaut !

    Un niveau de formation en conomie qui baisse

    Loc Hervouet, ex-directeur de lcole de journalisme de lille

    Retrouvez lintgralit de ce tmoignage dans la note de travail de lIdies n 17, La fabrication de linformation conomique , avril 2011, tlchargeable au format PDF sur www.idies.org

    (5) Christine Leteinturier : La formation des

    journalistes franais: quelles volutions? quels

    atouts lembauche? Le cas des nouveaux

    titulaires de la carte de presse 2008, Les cahiers

    du journalisme n21, Lille, pp. 110 134.

    (6) La perception des entreprises par les

    journalistes conomiques et sociaux,

    MdiasPouvoirs n43-44, pp 176 189. Paris,

    1996. Lenqute ralise conjointement par

    lObservatoire du CFPJ et le Cabinet de conseil

    Deloitte et Touche, avait concern 233journalistes

    sur 500 identifis dans cette spcialit.

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    ne concernant que 41 % des journalistes, les coles reconnues comportant un minimum d'lments d'conomie ne reprsentant quant elles que 22 % des journalistes (7). Or pr-cisment il ne s'agit bien que d'un minimum, puisque dans le rfrentiel commun ces dernires, propos par la confrence nationale des mtiers du journalisme (CNMJ), l'conomie se trouve insre dans les enjeux du monde contemporain couvrant moins du quart du cursus de DUT et au mieux 10 % du Master (8). Reste le potentiel constitu par la formation continue, alternance et sessions courtes, mais elles ne concernent respectivement que 9 % et 10 % des journalistes. L'conomie y tant l encore fort peu ou pas du tout prsente. Parmi les grandes rdactions, TF1 constitue un exemple intressant avec la mise en place en 2012 d'une formation aux fondamentaux de l'conomie, ralise Sciences-Po Paris, suivie par l'ensemble du service conomie de la chane, dont aucun journaliste n'est issu de formation l'conomie (9).

    une formation en travaillantL comme ailleurs, le dficit de formation

    initiale et surtout continue est justifi par le fait qu'en matire de journalisme, lappren-tissage se ralise tout au long de l'activit professionnelle, dans le travail lui-mme. Nous passons notre temps nous former est une formule qui revient rgulirement dans la bouche des journalistes conomiques. Pourtant, dans les enqutes qualitatives sur le sujet, il est frappant de noter qu'une mino-rit de journalistes dit avoir le temps de lire des livres sur leur domaine. Ils ne lisent pas non plus majoritairement, en profondeur, les rapports et tudes manant d'organismes officiels, cabinets, voire des sources elles-mmes. Il ne serait d'ailleurs plus possible non plus, pour nombre dentre eux, de dga-ger du temps pour suivre colloques ou smi-naires. Sur ce point, la mutation que connaissent les mdias et tout particulire-ment la fragilisation du modle conomique de la presse crite rend encore plus hypo-thtique la possibilit de se former au travers de son travail, y compris dans les gros services conomiques des titres de rfrence. Un rdacteur en chef adjoint du service cono-mique du Figaro lexprimait clairement en regrettant de ne plus pouvoir rserver de

    temps pour de tels moments, dont l'effica-cit s'exprimera dans la production venir. Il y voyait une menace pour la qualit de l'information conomique.

    dficit de bases et conformismeDu point de vue des journalistes, cet ap-

    prentissage en faisant semble plus facile en matire de microconomie. En suivant assidment les entreprises d'un secteur, une comprhension des problmes apparat faci-lement accessible. Un sentiment de familia-rit s'installe en mme temps que s'toffe le carnet d'adresses, dans lequel dominent les noms de commu-nicants, plutt que de sources in-ternes aux entre-prises pouvant prsenter des ana-lyses divergentes ou distancies. En r a l i t , q u i l sagisse de mi-cro ou de macroconomie , le dficit de bases solides se paie d'une dpendance plus forte l'gard des sources, commencer par les services de communication, qui connaissent souvent individuellement les journalistes et leur niveau dexpertise du domaine. Au-del, la formation en travaillant expose une forme de soumission contrainte au systme de valeur, aux grilles de lectures, aux postulats qui dominent le secteur. Dans ce domaine, les confrences de presse sont des moments forts o se calent et s'ajustent ces grilles de lectures et systmes de valeur entre sources et journalistes et entre les journalistes prsents. L'identification des experts passe notamment par ce filtre. Le manque de base en formation l'conomie empche de s'loigner du cercle des experts les plus mdiatiss, pour tenter d'identifier des analyses originales. La pratique des rseaux sociaux, en tout cas de Twitter, parat aller dans le mme sens.

    information conomiquE Et communication

    Le traitement de l'information sur les acteurs conomiques, commencer par les entre-prises, se transforme substantiellement avec le poids que va prendre la communication.

    47% des jOuRNALIsTes sONT INcAPAbLes de LIRe Les cOMPTes d'uNe eNTRePRIse.

    (7) C.Leteinturier, idem, p. 119.

    (8) Cf. Rfrentiel commun, 3me dition. Lconomie se retrouve dans deux des huit thmatiques constituant ces Enjeux du monde contemporain : Enjeux conomiques, sociaux et politiques de la socit contemporaine , et Initiations aux principales notions de la gestion dentreprises, pour rendre compte de la vie conomique pour les DUT. Pour les Master deux ensembles l encore aux intituls suivants : Appropriation de langages sectoriels : diplomatique, conomique, politique et Interprtation dun bilan dentreprise . Confrence Nationale des Mtiers du Journalisme.

    (9) Le module de formation stale sur 2 ans, les journalistes le suivant par petits groupes de cinq, alors quil comporte cinq demi-journes.

  • 8La fabrique de l'information conomique

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    Celle-ci fait une apparition significative en France dans les annes 1970, partir des entreprises les plus internationalises qui introduisent et adaptent les dmarches

    dveloppes outre-Atlan-tique (10). Il ne parat pas exagr de parler d'un tournant dans la relation entre les entreprises et les mdias, l o celles-ci avaient plutt pour rgle le refus de l'accs des m-dias leur ralit, dsormais des quipes de profession-nels forms, ayant une connaissance des tech-niques rdactionnelles, du vcu des rdactions, des journalistes eux-mmes (parmi lesquelles d'anciens

    journalistes) se chargent de matriser la pr-sence de leur entreprise dans l'information. Avec les annes, la communication d'entre-prise se spcialise, multipliant ses registres

    d'intervention : explication de la stratgie, promotion et dfense de l'image (corporate), promotion des produits, gestion des crises, etc. Dans ce dernier registre, les entreprises confrontes au risque industriel ou aux acci-dents fort retentissement sur les populations vont jouer un rle crucial que ce soit dans la chimie (Rhne Poulenc, Grande Paroisse, etc.), l'nergie (EDF et ptroliers), les trans-ports (SNCF), etc.

    Les directions de communication ont un lien avec le top management , en mme temps que leurs services s'toffent. Le nombre de communicants (11) dpasse dsormais largement celui des journalistes, plus forte raison des journalistes conomiques, en mme temps que le milieu s'organise, avec le rle jou par des associations comme Entreprise et mdias , et que les formations se spcia-lisent et se multiplient. Le paradoxe est que l o la question du travail journalistique face la communication devient trs sensible, les coles de journalisme, les universits et les instituts d'tudes politiques rapprochent les formations la communication et celles de journalisme, lorsqu'ils ne participent pas la mise au point de protocoles de communica-tion de crise (12). Ce rapprochement est tout bnfice pour les communicants, alors qu'ils considrent la bonne connaissance, y compris personnalise des journalistes comme un pralable la communication de crise (13). Dans ce registre, des groupes industriels, notamment dans la chimie, ont constitu ds les annes 1980 des fichiers trs informs sur les journalistes suivant leur secteur ou mme d'intervenir en cas de crise grave (accident, pollution, etc.). Pouvaient y figurer les dates de naissance des membres de la famille, l'acceptation ou refus des cadeaux et m-nages , l'attitude plus ou moins favorable ou hostile au message de l'entreprise, l'image du journaliste dans son milieu (crdibilit). Certains protocoles prvoyaient quel journa-liste privilgier en matire d'informations sensibles, y compris les moins favorables, mais les plus crdibles, afin d'obtenir le meil-leur impact en cas de reprise des messages de l'entreprise.

    dsquilibres des moyensDans ce dveloppement de la communi-

    cation, plusieurs lments sont importants

    Les gens qui dlivrent

    de linformation conomique

    mobilisent des moyens normes :

    la monte en puissance

    des services de communication

    des entreprises depuis que

    jai commenc travailler est

    quelque chose de tout fait

    impressionnant. Avant, nous

    tions confronts une ou deux

    personnes en charge de la

    communication dans une grande

    entreprise. Maintenant, nous

    sommes confronts des services

    de 20 ou 30 personnes, composs

    de gens trs forms, souvent

    mieux que les journalistes en face

    deux. Parfois, ce sont dailleurs

    danciens patrons de rdaction.

    Pour lutter contre a, pour faire

    notre mtier qui est de trouver

    de linformation, de la recouper,

    de la mettre en perspective

    et de la hirarchiser, il faut avoir

    de bons journalistes. Ce qui est

    assez compliqu. Dabord, les

    journaux nont pas beaucoup

    dargent. Or, comme le dit

    ladage: Quand vous payez des

    cacahutes, vous obtenez des

    singes. La presse conomique

    nen est pas ce point-l, mais

    la faiblesse conomique de

    la presse en gnral en France

    est une vraie menace pour la

    qualit de linformation. Il nest

    pas facile dattirer de trs bons

    professionnels.

    Jean-Marc Vittori, ditorialiste aux "echos"

    Retrouvez lintgralit de ce tmoignage dans la note de travail de lIdies n 17, La fabrication de linformation conomique , avril 2011, tlchargeable au format PDF sur www.idies.org

    La communication a d'normes moyens

    Le dfIcIT de bAses sOLIdes se PAIe duNe dPeNdANce

    PLus fORTe LgARd

    des sOuRces.

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    en matire d'information conomique, commencer par la disproportion des moyens (14) entre les services de communication et les quelques journalistes suivant l'entreprise. L'cart s'est encore creus avec les plans sociaux qui ont diminu les effectifs y com-pris des rdactions les plus expertes (cf. Les Echos, Le Figaro ou LExpansion). L'accs aux dirigeants et cadres responsables des secteurs les plus sensibles se rarfie et dpend compltement des conditions et du cadre exig pour ces rencontres (interviews, petits-djeuners, moment d'change lors d'un voyage de presse, etc.). Enfin, autant les services de communication ont le temps et les moyens de travailler la connaissance de leurs interlocuteurs journalistes et de penser les meilleurs conditions/supports (dossiers de presse, rapports, sminaires, etc.) de la relation ceux-ci, autant nombre de jour-nalistes n'ont pas le temps de dcoder les stratgies qui les concernent, certains se trouvant largement obligs de reprendre des lments fournis par les services de com-munication, sans avoir pu les croiser ou tre en capacit d'exercer une forme de contre-expertise. Dans l'tude de 1996 dj cite, un tiers des journalistes conomiques inter-rogs disait reprendre des communiqus de presse sans vrification (15).

    situation contrastE dEs rdactions

    Cela n'a pas beaucoup de sens d'apprhen-der les statistiques sur la formation et donc la comptence suppose des journalistes indpendamment des conditions d'emploi dans les rdactions et de l'volution de celles-ci. Au risque de caricaturer l'extrme, il faut distinguer les rdactions des mdias gn-ralistes et celles des mdias spcialiss dans l'conomie, c'est--dire celles qui s'adressent un public d'initis et celles qui doivent expliquer un public trs large et forcment htrogne, sans parler des spcificits des supports imprims, radio, tlvision, num-riques. Quoi de commun entre les 4 journa-listes de 20 Minutes traitant d'conomie ou encore les 8 au sige de la rdaction de Ouest France (16) et les 36 journalistes du service conomie du Figaro imprim, auxquels s'ajoute une dizaine au figaro.fr, sans parler

    des plus de soixante-dix journalistes des Echos traitant d'conomie, temps plein. Cette distinction conduit prendre en compte deux notions, celle de l'audience des rdac-tions et donc des volumes de publics touchs (et de la composition de ceux-ci) et celle de la crdibilit de la rdaction au regard de la collectivit profession-nelle, sachant que les plus grosses audiences n'ont rien voir avec la crdibi-lit des rdactions concer-nes, tout particulirement en matire d'conomie.

    Profils des journalistesOr prcisment les rdac-

    tions des mdias disposant des plus fortes audiences ont connu des volutions extrmement dfa-vorables la comptence conomique, tout particulirement lorsqu'il s'agit de supports audiovisuels ou encore de l'apparition de quotidiens gratuits au dbut des annes 2000 (17). Confrontes au durcissement des conditions des modles conomiques des radios et tlvisions gnralistes (face la concurrence des canaux et rseaux thma-tiques) ou l'troitesse de celui qu'ils tentaient d'imposer (pour les gratuits), les rdactions ont eu tendance diminuer le nombre de journalistes spcialiss, au profit de gnra-listes, tous terrains, voire multi-supports. C'est la figure du reporter, passant d'un sujet un autre, pouvant enchaner faits divers, actua-lit politique, information conomique, etc. y compris dans la mme journe (18). Depuis, face la tension de l'ensemble des modles conomiques dans le contexte de la mutation des mdias, le mouvement s'est largi l'en-semble des mdias qui voient rtrcir les effec-tifs des rdactions, aux dpens en premier lieu des spcialistes, les rubricards .

    Au-del des chiffres, les diffrences entre titres ou mdias vont se marquer dans le pro-fil et la formation des journalistes. Cest ainsi que le secteur macroconomie du Figaro va compter pas moins de trois diplms d'coles de commerce, des diplms de Sciences-Po Paris (spcialit co) et de facul-ts de sciences conomiques. De leur ct,

    uN TIeRs des jOuRNALIsTes cONOMIques RePReNNeNT Les cOMMuNIqus de PResse sANs vRIfIcATION.

    (10) Entreprises et Mdias lassociation qui regroupe les directeurs de communication ( Dircom ) est cre en 1985. En 1986, MdiasPouvoirs consacre son dossier de septembre La communication dentreprise, alors que Les dossiers de laudiovisuel du mme t abordent Le Mdia entreprise .

    (11) Une tude ralise conjointement par Communication et Entreprise et lIFOP value 110000 le nombre de professionnels de la communication corporate en France en 2012, sachant quil y avait la mme anne 37000 journalistes avec carte de presse .

    (12) Comme le CIM, dpartement du CFPJ, auprs de la SNCF et de EDF dans les annes 1990.

    (13) Thierry Liebert, La communication de crise, Dunod, 2010.

    (14) Communication et Entreprise value les investissements en communication par les entreprises 12milliards deuros, dont 10milliards pour la communication externe, soit plus que le chiffre daffaires global de la presse crite (9,7milliards deuros).

    (15) MdiasPouvoirs, n43-44, 3me trimestre 1996.

    (16) Renforcs il est vrai par une douzaine de journalistes des antennes co-soc locales.

    (17) 20 minutes, avec 4353000 lecteurs dispose de la plus forte audience de presse quotidienne, devanant sensiblement Ouest France, le leader de la presse rgionale et ses 2539000 lecteurs, comme les 1861000 lecteurs du Monde. Cf. tude One , www.audipresse.fr

    (18) Alors que le service conomie de TF1 et LCI compte 27 journalistes, LCI ne peut compter que sur cinq dentre eux pour lalimentation de la chane en continu.

  • 10

    La fabrique de l'information conomique

    RAPPORT N1

    MAI 2013

    les services conomiques de gratuits ou mdias audiovisuels comporteront principa-lement des journalistes de formation littraire, ventuellement double d'une cole de jour-nalisme. Il est mme possible de trouver un journaliste charg du secteur automobile venant d'une locale o tait implant un important tablissement de fabrication de voitures. Sur les huit journalistes du service conomie et social, travaillant au sige (19) de Ouest France, aucun n'a de formation initiale l'conomie, alors que l'orientation est traite par un ancien instituteur et la marine, par un ancien marin. Quant au service conomie du Parisien, issu d'une scission du service socit , il fut constitu pour une large part de journalistes volontaires des dif-frents secteurs de la rdaction.

    organisationL'existence d'quipes ou services conomie

    plus ou moins toffs va permettre de conce-voir des organisations trs diffrentes, plus ou moins fines, avec des spcialisations pr-cises, en mme temps qu'une trs grande htrognit se manifeste dans les organi-sations d'un titre l'autre, y compris pour des titres comparables. Cest ainsi que le service conomie du Figaro est constitu de quatre

    entits consacres la macroconomie , aux entreprises, aux mdias et tlcommuni-cations, au patrimoine et marchs, alors mme qu'au sein de ceux-ci un journaliste pourra se consacrer exclusivement l'agriculture, un autre l'automobile, etc. Au Monde, dont le service conomie est un peu plus petit (34 journalistes, dition comprise), il y a galement quatre entits distinctes mais dfinies trs diffremment : industrie, macro et finances, technologies et mdias, gnraliste (tout le reste). A une toute autre chelle, des services aussi resserrs que ceux de France Info, de 20 Minutes ou du Tlgramme demanderont au mme journaliste de couvrir des domaines trs tendus, alors mme que ceux-ci seront amens changer frquemment d'affectation. Cette rotation l'intrieur ou l'extrieur du service conomique peut mme se trouver formalise ou thorise, comme ce fut le cas au Monde sous la direction dEdwy Plenel, ou comme c'est la rgle l'AFP.

    Au jour le jour dans le suivi de l'actualit conomique, les diffrences de moyens entre titres ou mdias peuvent sembler se gommer par le fait que chaque service ne travaille pas en vase clos et cela de moins en moins. Il y a les fils d'agence, la lecture des confrres, que celle-ci se fasse sur les sites Internet ou dans les journaux imprims. Et puis il y a le dve-loppement de cette veille de l'information qui passe largement par le numrique (sites de mdias, d'institutions, d'entreprises, blogs, rseaux sociaux). Via ces ressources disponibles, une poigne de journalistes, pas forcment trs forms, peut donner le change et propo-ser des contenus traitant des mmes sujets que les mdias de rfrence. Il s'agit l d'un ressort puissant de l'homognisation de l'information conomique, avec l'imposition d'une forme de consensus large autour d'ana-lyses de la situation et des principaux faits. Impossible de se distinguer, d'tre diffrent, lorsque l'on est fragile, tout particulirement aux yeux de sa propre hirarchie, qui lui repro-chera : Pourquoi ne l'a-t-on pas?

    De L'utiLit D'un serViCe ConoMie

    Place du service conomiqueAutant il existe une sorte de fil direct entre

    la direction des rdactions et les services

    Quand jai intgr la rdaction

    du Progrs, en 1990, il y avait

    cinq journalistes en charge

    de lconomie au quotidien plus

    quatre journalistes affects

    au supplment conomie. Jai

    quitt la rdaction conomie

    quelques annes plus tard

    et quand je lai rintgr en 2008,

    il ny avait plus que trois

    journalistes au quotidien et deux

    journalistes au supplment.

    Aujourdhui, nous ne sommes

    plus que deux journalistes pour

    les deux supports. Quand on

    parle datomisation et de

    rduction des effectifs, mon

    exprience le confirme.

    Heureusement, nous pouvons

    compter sur le soutien de

    plusieurs pigistes pour continuer

    traiter lconomie de manire

    satisfaisante. Nanmoins,

    la tendance la rduction

    des effectifs est relle et pose

    des problmes dans le traitement

    de lconomie dans un quotidien

    rgional.

    Vincent rocken, responsable de la rubrique conomie au quotidien le progrs

    Retrouvez lintgralit de ce tmoignage dans la note de travail de lIdies n 17, La fabrication de linformation conomique , avril 2011, tlchargeable au format PDF sur www.idies.org

    Des effectifs en forte baisse

    (19) La douzaine de journalistes rpartis dans douze dpartements couverts par Ouest France, ont une

    fonction dantenne co-soc, ceux-ci constituant le rseau

    co-soc du journal participant chaque jour une confrence

    tlphonique, en mme temps quils bnficient dactions de

    formations et rencontres organises avec les grands acteurs

    conomiques et sociaux (chefs dentreprises, syndicalistes, etc.).

  • 11RAPPORT N1MAI 2013ra

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    politiques (Alexis Brezet au Figaro, Christophe Barbier lExpress, Renaud Dely au Nouvel Observateur, etc.), voire avec le service inter-national, autant cette configuration est peu rpandue concernant les services cono-miques. Cette situation est porteuse de nom-breuses rpercussions sur le traitement de l'conomie et les moyens dont vont pouvoir bnficier les services spcialiss dans celle-ci. Le premier effet concerne la distance entre l'conomie et les dcideurs des grandes orien-tations ditoriales, de la hirarchie des infor-mations, des angles privilgier. Cest parti-culirement sensible pour l'audiovisuel, o par dfinition le nombre de sujets pouvant tre traits dans un bulletin de matinale de radio ou un journal tlvis est limit. Cette distance ou faible comptence des hirarchies peut galement conduire privilgier les sujets perus comme les moins complexes, pouvant intresser notre public . Peut-tre faut-il y voir galement l'une des explications du maintien d'organisations qui cloisonnent le traitement des sujets, alors que bien souvent politique et conomie seront troitement imbriques, de mme que l'conomie et la socit, l'conomie et les sciences.

    Concrtement, cette sparation tanche des domaines aura pour consquence de tenir distance les journalistes conomie de l'expres-sion des politiques, quand bien mme ceux-ci traitent de questions conomiques. Il est devenu plus rare (faute d'effectifs suffisants) qu'une rdaction envoie un journaliste co-nomique au ct d'un journaliste politique une confrence de presse d'un ministre, ou encore participe l'interview de ce dernier. Cet tat des choses sera d'autant plus pesant lorsque le centre de gravit de l'information politique se resserre toujours plus sur la tac-tique politique, la politique politicienne, la chronique du comportement des personna-lits. Un responsable du service conomique dun grand quotidien constate ainsi avec regret que lors d'une confrence de presse ou un meeting, leurs collgues du service politique, envoys sur place, lvent le stylo lorsque sont abordes les questions conomiques.

    Justification de services conomie autonomesLe flou qui rgne d'une rdaction l'autre

    quant au primtre du service, le flottement

    qui s'exprime dans les relations avec les autres services (social et politique, mais aussi so-cit, sciences, culture, etc.) conduit s'inter-roger sur la justification ou la lgitimit d'affecter l'conomie un service spcifique, le plus souvent autonome, dfendant sa ou ses spcialits. Julien Duval, interprte cette clture comme l'expression d'un rapport de force entre journalistes d'un ct et propri-taires, annonceurs, voire une frange du public (au travers de la notion d'at-tente ) (20), de l'autre. Il soutient d'ailleurs que l'volution des dernires dcennies aurait confirm cette tendance avec par exemple la sparation entre conomie et social dans la r-daction du Monde. Julien Duval pousse un peu plus loin le raisonnement en tablissant un rap-port direct entre la volont des hirar-chies d'autonomi-ser les services conomie et la monte de l'ap-proche librale, toujours sous la pression du mme rapport de force. La tendance est ce-pendant moins univoque que le suppose une telle interprtation puisque la rdaction de TF1 a opt pour un trs large service co-nomie intgrant le social.

    Manifestation d'un dbat intellectuel et d'un tat du rapport de force qui induirait la dfinition de l'information conomique comme relevant de services autonomes ou considrations voquant les questions de technicit particulire afin de faire face la complexit des questions traites, sans par-ler du poids spcifique de la communication dans ce domaine, la tendance semble indis-cutable dvelopper des services conomie jouissant d'une forte autonomie. Il est int-ressant cet gard de relever par exemple la nouvelle organisation de la rdaction du Monde, dans laquelle dominent quatre grands services : international, France, co-nomie, culture. Bien loin donc de l'organi-sation exprimente par Edwy Plenel, la

    LA dIsTANce Ou LA fAIbLe cOMPTeNce des hIRARchIes PeuT gALeMeNT cONduIRe PRIvILgIeR Les sujeTs PeRus cOMMe Les MOINs cOMPLexes.

    (20) Julien Duval : Le journalisme conomique in Eveline Pinto Pour une analyse critique des mdias, Bellecombe en Bauge, Editions du croquant, 2007.

  • 12

    La fabrique de l'information conomique

    RAPPORT N1

    MAI 2013

    fin des annes 1990, avec la cration d'une squence France incluant politique et conomie. Le constat dans le cas du Monde est d'autant plus significatif, que les argu-ments avancs alors par le directeur de la rdaction concernaient l'imbrication des questions d'conomie et de politique, avec l'intrt d'y appliquer des mthodes simi-laires, telles que l' investigation . Investi-gation qui dans l'actuelle organisation de la rdaction se situe dans le service France, au ct de la politique et de la socit, en dehors donc de l'conomie, alors que le journal annonce un renforcement dans celle-ci, avec cration d'un cahier Eco&Entreprise . A la mme poque (1997-1999), l'Huma-nit faisait un choix comparable en regrou-pant la trentaine des journalistes spcialiss en politique et en conomie, avant de renon-cer, le service co-pol tant considr comme ingrable , pour revenir une formule plus classique pour le journal de service conomie et social. TF1 fit aussi un temps le choix d'un service commun politique et conomie, avant d'opter pour l'organisa-tion actuelle, avec un service politique, plu-tt modeste, alors que l'conomie agrge de plus en plus de domaines tels que l'en-vironnement en 2012.

    crations plus rcentes dans la presse grand publicDans les mdias grand public, la cration

    d'un service conomie se rvle souvent plus rcente. Elle dcoule du constat de l'existence d'un ensemble de questions mritant de bnficier d'une place constante dans le travail de la rdaction. C'est ainsi qu'au Pari-sien le service socit va clater en 1995 pour donner naissance deux services : Votre conomie et vivre mieux . Dans plusieurs quotidiens rgionaux, l'conomie correspond un largissement de domaines couverts localement et rgionalement. Au Tl-gramme, par exemple, les quatre journalistes du service co-soc sont les hritiers de confrres spcialiss dans l'agriculture et dans les questions mer/maritime .

    acclration Et information En tEmps rEl

    L'acclration du traitement de l'information est une des tendances lourdes qui interfrent sur le traitement de l'information conomique. Elle a un effet d'autant plus puissant qu'il s'agit d'un domaine de complexit dans lequel les acteurs, qui sont en mme temps des sources, sont difficilement accessibles et que la com-munication mobilise des moyens sans cesse plus importants. Dans la communication de crise, la question du temps et de l'acclration du traitement de l'information joue un rle considrable. Les interlocuteurs privilgis sont alors les journalistes des mdias les plus rapides radios et tlvisions d'information en continu, sites d'information qui sont ceux qui disposent des quipes spcialises les plus resserres. Aux moments les plus forts dune crise, la commu-nication se resserre sur les reporters de terrains, enchanant les sujets, sans prparation et connaissance des donnes de base. De leur ct, les hirarchies, principalement sensibles la dimension spectaculaire de l'vnement, court-circuitent compltement l'expertise propre des journalistes spcialiss, notamment celle des mdias de rfrence plus lents. La seule ressource, afin de reprendre de lautonomie vis--vis des communicants spcialistes du traitement de crise, devient le recours des experts extrieurs la rdaction, spcialistes du secteur concern ou du problme pos.

    On est l dabord pour raconter.

    On nous reproche dtre dans

    limmdiat, dans lapparence des

    choses. Certes, mais il faut bien

    que quelquun fasse ce travail.

    Les universitaires ont une autre

    mission. Nous ne prtendons pas

    faire des thories sur le

    fonctionnement du monde.

    Nous allons interviewer les gens

    qui savent. Nous distribuons

    la parole. La pdagogie est une

    contrainte parmi dautres. Bien

    entendu, un journaliste qui crit

    un article abscons a tort. Il vaut

    mieux tre compris. Mais notre

    matire premire, cest

    lvnement, ce nest pas ce qui

    est habituel, mais ce qui est

    inhabituel. On nous dit toujours

    quil faudrait que lon fasse de

    la pdagogie par temps calme,

    mais personne ne le lit ! Les gens

    lisent chaud, quand il se passe

    quelque chose. Personne ne lira

    un article sur la titrisation avant la

    crise. Cest la force de lvnement

    qui attise la curiosit des lecteurs.

    Laurent Joffrin, ex-directeur de libration

    Retrouvez lintgralit de ce tmoignage dans la note de travail de lIdies n4, Placer les questions conomiques et sociales au cur du dbat , mars 2009, tlchargeable au format PDF sur www.idies.org

    La force de l'vnementattise la curiosit

  • 13RAPPORT N1MAI 2013ra

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    De la mme manire, face des campagnes de lancement de produits ou en faveur d'un tournant stratgique d'une entreprise, soudai-nement lances afin de bnficier de l'effet de surprise, les rdactions des mdias les plus ra-pides se tourneront vers les experts. Ces derniers sont les seuls pouvoir dcrypter, interprter, comparer, remettre en perspective, voire critiquer les argumentaires prsents, alors mme que les rdactions de services importants et trs spcialiss ne proposeront leur propre lecture que plusieurs heures, voire jours, plus tard. Les quelques journalistes spcialiss des rdactions d'information en continu ou de sites d'actua-lit doivent se cantonner la simple fourniture de coordonnes de personnes interviewer, partir de leurs carnets d'adresses. Le plus souvent l'interview de lexpert, proprement dite, ne leur reviendra mme pas, ralise par un reporter ou un prsentateur en plateau.

    omniprsence des mmes expertsEn elle-mme, cette acclration va jouer

    un rle important dans l'omniprsence des mmes experts. En premier lieu, parce quil sagira des experts qui savent ou peuvent se rendre disponibles instantanment. A cet gard, la mdiatisation a des retombes posi-tives pour certains d'entre eux sur leur position ou le dveloppement de leur activit dans leur domaine du conseil, de l'audit, des tudes, etc. En second lieu, l'instantanit du traitement de l'actualit interdit les rats. On ne pourra pas refaire une interview, encore moins recher-cher un autre expert. Il faut mme privilgier ceux qui ont une expression concise, qui vitent les montages trop importants et donc trop longs. Il faut surtout que le propos soit imm-diatement comprhensible par un public large. Une once de charisme ne gche rien. De fait, ces experts ont une exprience, voire une comptence de l'expression sur un mdia audiovisuel (21). Cest la dfinition du bon client , qui empche de s'loigner du petit carr des mmes spcialistes qui reviennent sans cesse, quitte leur demander d'largir ou de s'loigner quelque peu de leur rel domaine de comptence.

    Rythm par l'information en continu et le webBien sr, tous les mdias ne sont pas sous

    l'emprise de ce rythme de l'instantan, du

    quasi temps rel. Il s'agit surtout de l'infor-mation en continu en radio et tlvision, ainsi que des sites d'information, qui ne sont pas forcment gnrateurs de trs grosses audiences. LCI, Itl ou BFM, hors des priodes de crises aigus sont autour du 1 % dau-dience (22), mme si France Info talonne le quarteron de tte des radios gnralistes (23). Il n'empche que les angles qu'elles privil-

    Nous avons en effet de plus en

    plus recours des conomistes.

    Indniablement, depuis

    2007-2008, nous sommes face

    une actualit conomique de

    plus en plus complexe. Le recours

    aux experts est devenu dautant

    plus indispensable quau-del

    des questions qui nous entourent

    comme la rduction de la dette

    publique ou le rle de la BCE,

    on fait aussi face des choix

    politiques.

    On a aussi besoin des

    conomistes parce que

    linformation en continu a volu.

    Les antennes sont de plus en plus

    gourmandes en informations.

    Il faut produire de plus en plus

    vite, il y a plus de directs, plus

    de dossier quauparavant. Face

    cela, le service conomique

    de France Info nest compos

    que de six personnes ddies

    au traitement de lactualit

    conomique. Nous devons caler

    sur France Info une quinzaine de

    dossiers et dinvits chaque jour

    en plus des chroniques. Ce nest

    pas spcifique lconomie, bien

    sr, mais il est vident que les

    jours o des sujets conomiques

    font la une de lactualit, on ne

    peut pas tre, nous journalistes,

    seuls lantenne. ()

    Le fait de travailler de plus en plus

    vite entrane galement des

    difficults varier les

    interlocuteurs. Tous les

    conomistes ne sont pas

    forcment disponibles pour telle

    ou telle mission. Alors, par souci

    defficacit et parfois par

    contrainte, on finit par se

    rsoudre contacter celui dont

    on sait quil rpondra

    favorablement notre requte.

    Tous les conomistes nont

    galement pas envie de se plier

    aux contraintes des mdias

    et de rpondre des questions

    qui pourraient leur paratre

    absconses, trop simplistes.

    Le temps dintervention peut,

    par exemple, tre rduit une

    minute alors quil en aurait fallu

    quinze. Il existe aussi des

    conomistes quon aimerait bien

    faire venir, mais qui nont pas

    forcment envie de le faire.

    Malgr tout, on essaie quand

    mme dtre les plus varis,

    les plus pluralistes possibles.

    Nous avons dans notre carnet

    dadresse une petite centaine

    dconomistes.

    Julie Bloch-Lain, chef du service conomique et social de france info

    Retrouvez lintgralit de ce tmoignage dans la note de travail de lIdies n 26, Comment assurer une information conomique pluraliste et de qualit ? , mai 2013, tlchargeable au format PDF sur www.idies.org

    Le recours aux experts est devenu indispensable

    (21) Anton Brender, professeur associ Dauphine et conomiste Dexia-AM, proposait ainsi une explication de lomniprsence des conomistes de banques, dans les mdias, lors des Rencontres de lIdies de 2012 (organises dans le cadre des Journes de lconomie de Lyon).

    (22) Cf.Mediamtrie. La plus puissante, BFM TV, ne dpassant 1,5 % que dans des moments demballement de lactualit, comme lors de laffaire Merah.

    (23) Lgrement au-dessous de 10% daudience. Cf. Mdiamtrie.

  • 14

    La fabrique de l'information conomique

    RAPPORT N1

    MAI 2013

    gient, les dclarations qu'elles relaient, les expertises qu'elles mobilisent, vont obliger les grandes chanes gnralistes s'en ins-pirer. Quant aux grandes rdactions des quotidiens ou de certains hebdomadaires,

    leur travail plus approfondi, plus technique , intervien-dra beaucoup plus tard, ne concernant quun public stratgique de dcideurs, cadres suprieurs, intellec-tuels, mais numriquement beaucoup plus limit. Les journalistes de ces gros services conomiques dcouvrent cette contrainte de la rapidit, par la demande qui leur est dsormais faite d'alimenter plusieurs plate-formes, avec une amplitude de temps beaucoup plus longue (7 heures 24 heures) et surtout l'exigence de se confronter aux plus rapides sur les supports de l'infor-

    mation de flux commencer par le smart-phone. Nombre dentre eux s'inquitent de la difficult d'approfondir suffisamment les sujets sous cette pression du temps.

    puissant impact dE la crisE dEs modlEs conomiquEs

    baisse des effectifsLa question de la rpercussion de la crise

    des modles conomiques des mdias et tout particulirement des quotidiens, traverse l'ensemble de ce texte. La manifestation la plus nette de ce phnomne est celle des plans sociaux et plans de dparts volontaires. L'anne dernire, 15 journalistes ont t concerns aux Echos, 17 au Parisien, 80 au Figaro, 9 lExpansion, etc. (24) Des titres comme Libration ou des quotidiens de la presse rgionale ont pu en connatre plusieurs au cours de la dernire dcennie (25). Selon les rdactions, tous les services sont touchs (Libration, Le Figaro, Les Echos), quand l'conomie n'est pas particulirement affec-te (Le Parisien).

    Des services moins nombreux, c'est une forme de tension sur le temps imparti pour traiter d'un sujet, c'est aussi l'obligation de

    traiter de domaines plus larges ou plus nom-breux, lorsque cela n'oblige pas abandon-ner et dlaisser, de fait, des secteurs entiers (Libration, Le Parisien). Au-del du nombre, la tension sur le modle conomique affecte galement l'ensemble des facteurs de cots, commencer par les rmunrations. Or dans les rdactions recherchant le plus de tech-nicit (Le Figaro, Les Echos, etc.) la stagnation des salaires, voire leur recul pour les nouveaux embauchs, peut dissuader certains profils. C'est en tout cas ce qui serait trs perceptible pour les diplms d'coles de commerce, voire les personnes ayant un parcours pr-alable dans l'audit, le conseil, etc. Disposant de moins de journalistes, devant travailler sur davantage de plateformes, les rdactions peuvent faire voluer les profils de recrute-ment, afin de disposer de journalistes imm-diatement oprationnels. Aux Echos, par exemple, cette exigence conduit rechercher moins les profils de diplms en conomie ou d'coles de gestion, au profit des lves des coles de journalisme, quitte ce que cela pse par la suite sur le niveau d'expertise collective de la rdaction. Les rdactions n'auraient plus le temps d'intgrer et accom-pagner la formation la pratique journalis-tique des profils atypiques, issus de l'audit, des tudes, etc.

    fragilisation face la communicationIl est classique galement d'voquer les

    rpercussions d'conomies de cots de fonc-tionnement sur les possibilits de financer dplacements, achats de documents trs spcialiss, entres dans des cycles de conf-rences, etc. Faute de quoi les journalistes devront renoncer ou seront obligs de s'en remettre aux invitations de leurs sources, via la bonne volont, mais aussi les conditions mises par les services de communication. Pour les pigistes et les micros agences sp-cialises, les communicants proposeront de quoi complter les salaires ou permettre d'quilibrer les comptes via la ralisation de rapports, la confection de dossiers de presse, la ralisation de publirdactionnels, quand il ne s'agit pas de mdia training. C'est donc l'autonomie du travail journalistique qui se trouve affecte, parfois mise en pril, mena-ant tant son indpendance que sa fiabilit.

    NOMbRe de jOuRNALIsTes

    sINquITeNT de LA dIffIcuLT

    dAPPROfONdIR suffIsAMMeNT

    Les sujeTs sOus LA PRessION

    du TeMPs. (24) Ce mouvement est dailleurs

    plus prononc ltranger comme le montrent les saignes dans les

    rdactions dEl Pais, mais aussi les suppressions de poste dans des journaux jusquici prospres tels

    que le Financial Time ou The Telegraph.

    (25) Pour la presse rgionale, les clauses de cession, non

    compenses, auront parfois un impact puissant sur les effectifs,

    comme dans les cas des Dernires Nouvelles dAlsace ou de

    lEst Rpublicain.

  • 15RAPPORT N1MAI 2013ra

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    La question des dsquilibres entre rdactions et services de communication se trouve repose avec force et dans des termes sans cesse plus dfavorables l'information. Expression de cette dpendance, le directeur de la communication d'un constructeur automobile pouvait affirmer sur le ton de la confidence : Nous, nous traitons bien nos journalistes.

    La pression sur le temps imparti pour trai-ter de chaque sujet et l'intensification du rythme de production des articles conduit aussi supprimer tous les temps morts productifs, qui dans un domaine comme

    l'conomie taient du temps pour enrichir le background, par le suivi de sminaires, de confrence ou la lecture et l'tude de documents, rapports, livres, etc. L encore, l'augmentation de la productivit court terme se paie d'une moindre capacit s'imposer face aux sources, par sa comptence (prcision et pertinence des questions poses, justesse des analyses publies, etc.), en mme temps que c'est l'ensemble de la crdibilit de l'information produite qui est affecte (degr de fiabilit, suivisme vis--vis des sources, etc.). Au niveau le plus global, la fragilisation de l'expertise de chaque rdac-

    La qualit du dbat dmocratique

    en matire conomique dpend

    de la qualit des mdias. Ils

    reprsentent un filtre faisant que

    linformation disponible arrive

    ou narrive pas au public.

    Idalement, le journaliste

    conomique devrait avoir une

    formation spcialise solide et tre

    capable par lui-mme de dire que

    les travaux de tel conomiste sont

    plus intressants que ceux de tel

    autre, que telle analyse laide

    comprendre tel point mieux

    quune autre. Le bon journaliste

    ne doit pas juste tre un

    intermdiaire, mais un conomiste

    part entire. Il est charg de faire

    le tri entre les diffrentes analyses

    ou informations que les

    conomistes mettent sa

    disposition et pour cela il doit tre

    en mesure de porter un jugement

    sur leur qualit. Cette situation

    reprsente malheureusement un

    idal dont nous sommes loin.

    Pourquoi les journalistes

    sollicitent-ils des conomistes ?

    La premire raison, bien que trs

    mauvaise, est la plus frquente.

    Un journaliste a limpression de ne

    pas dtenir toutes les comptences

    ncessaires. Et mme sil pense

    les avoir, il a besoin dun son,

    dune image, dune citation.

    Autrement dit, mme sil ne porte

    que peu dintrt ce que dit son

    interlocuteur, la citation va

    renforcer sa crdibilit. Mme

    en affirmant une chose vidente,

    le journaliste aura limpression

    de ne pas tre pris au srieux sans

    ltayer par une interview

    ou la prsence de guillemets.

    La deuxime raison, plus profonde,

    cest que la matire est complexe.

    En allant chercher un conomiste,

    on ne fait pas quillustrer un

    propos, on va chercher des

    rponses des questions

    auxquelles on naurait pas pu

    rpondre seul. La personne que

    lon veut questionner est donc

    cense avoir une certaine

    comprhension du sujet

    commenter et, subsidiairement,

    tre capable de lexpliquer peu

    prs clairement au journaliste qui,

    son tour, doit le traduire

    clairement son public.

    La dernire raison expliquant

    pourquoi les mdias consultent

    frquemment des experts issus

    du milieu financier est que ces

    derniers ont professionnellement

    lhabitude de sadresser un public

    de non-conomistes. Le milieu

    financier, contrairement ce que

    lon peut penser, nest pas un

    milieu dconomistes.

    Lconomiste dune institution

    financire doit non seulement tre

    capable de dcrypter les

    mcanismes financiers, mais

    galement de les expliquer ceux

    qui le paient, c'est--dire

    la socit qui lemploie

    ou aux clients de cette dernire.

    Il a donc lhabitude de parler

    clairement des problmes en

    question, ce qui est logiquement

    apprci par les journalistes

    et peut aussi expliquer pourquoi

    les conomistes financiers sont

    plus souvent interrogs que ceux

    travaillant dans un laboratoire

    universitaire.

    anton Brender, professeur associ paris dauphine, conomiste dexia-am

    Retrouvez lintgralit de ce tmoignage dans la note de travail de lIdies n 26, Comment assurer une information conomique pluraliste et de qualit ? , mai 2013, tlchargeable au format PDF sur www.idies.org

    Pourquoi les journalistes sollicitent-ils des conomistes ?

  • 16

    La fabrique de l'information conomique

    RAPPORT N1

    MAI 2013

    tion se traduira par un phnomne de sui-visme accentu, en mme temps qu'un effet de redondance tend rebuter le public d'une information par dfinition exigeante.

    moins dautonomieIl ne faut pas non plus ngliger les cons-

    quences des pertes de ressources, notam-ment publicitaires, dans le vcu des rdac-tions et tout particulirement des services conomiques. L'inquitude de perdre des budgets publicitaires dans un contexte de pnurie (disparition des petites annonces, baisse des tarifs et volumes de la publicit commerciale, dveloppement de la vente aux enchres des espaces publicitaires)

    oblige les directions de rdaction couter da-vantage les alertes et conseils des rgies publi-citaires. Moins d'agressi-vit l'gard des entre-prises qui sont aussi des annonceurs, quand il ne s'agit pas d'une forme d'autocensure partage par les journalistes du service conomique. Simultanment, les r-dactions pourront cou-ter davantage le marke-ting qui va inciter produire une information conforme aux attentes des lecteurs, voire d'un

    lectorat potentiel. Or pour les mdias qui visent les publics les plus professionnels, ces lecteurs sont galement les sources et les acteurs de l'conomie. D'aucuns relve-ront galement qu'une moindre profitabi-lit rebute les actionnaires qui peuvent tre ports cder leurs mdias, les exposant des reprises par des groupes pour qui les proccupations d'image ou d'influence pr-valent. Telle est la lecture qui peut tre faite de la cession des Echos par Pearson per-mettant son rachat par LVMH. De la mme manire que les dficits, le surendettement de titres comme Le Monde ou les quotidiens rgionaux de l'est de la France ont oblig s'en remettre de nouveaux propritaires, banquiers, entrepreneurs de tlphonie et de l'Internet, etc. multipliant les risques

    d'autocensure, plus lourdement encore que les ventuelles pressions sur le management et les hirarchies rdactionnelles.

    ExtErnalisation dE la comptEncE: l'intErvEntion dEs ExpErts

    Des effectifs de journalistes rduits, devant servir plusieurs supports, et l'acclration de l'information sont autant de facteurs qui accentuent une tendance dj perceptible, surtout dans l'audiovisuel : celle d'une forme d'externalisation de la comptence, dans le sens o celui qui traite de la technicit ou de la complexit d'un problme n'est plus le journaliste, mais l'expert , le sp-cialiste, qu'il s'agisse d'universitaire, de consultant, de responsable d'organisme d'tude ou d'audit, etc. Que le journaliste soit capable ou non d'exposer les termes d'un problme ou les circonstances d'une situation, d'un vnement, n'est plus la question, au sens o le responsable de la rdaction d'un mdia, gnraliste en tout cas, a le sentiment de crdibiliser celui-ci par l'entremise des expertises qu'il met en scne. Et dans ce contexte, des journalistes, y compris spcialiss, s'entendent rtorquer par leur hirarchie qui veut une parole d'expert : Ton avis ne nous intresse pas. Traduction de la multiplication des points de vue d'expert, dans la presse grand public, notamment rgionale, l'AFP propose dsor-mais avec une grande rgularit des trois questions rpondant cette attente. Dans les journaux s'adressant un public cultiv, fort niveau d'exigence, l'expertise intervient sous forme de chroniques confies des experts en conomie, sachant que des profils comparables seront accueillis et recherchs, pour les pages de tribunes libres : rebonds, horizons dbats, forum, etc.

    Laboratoire de la presse en ligneUne tape suprieure est franchie dans ce

    mouvement d'externalisation de la comp-tence dans la presse en ligne et plus parti-culirement chez les pure players d'infor-mation. Certains d'entre eux, en l'occurrence Rue89, Slate, HuffingtonPost, Atlantico, Newsring, Leplus-nouvelobs dveloppent des projets ditoriaux reposant sur la contri-

    LAuTONOMIe du TRAvAIL

    jOuRNALIsTIque esT PARfOIs MIs

    eN PRIL, MeNAANT TANT sON

    INdPeNdANce que sA fIAbILIT.

  • 17RAPPORT N1MAI 2013ra

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    bution de spcialistes. Les journalistes dfinissent les sujets qui vont tre traits par le site, les angles qui seront privilgis, puis tentent d'identifier dans la commu-naut des experts les personnes susceptibles de fournir les contributions souhaites. Une fois celles-ci fournies par ledit expert (sous forme de texte ou d'interview tlphonique), le journaliste finalisera sa forme et validera son contenu. Ce recours large chelle aux contributions d'experts n'est pas propre l'conomie. Celle-ci tient en revanche une place importante dans des sites comme Rue89 (Eco89), Slate ou le Huffington Post. A un niveau encore plus large, la sollicitation d'experts non-journalistes sur le web concerne de trs nombreux sites de mdias sous la forme de blogs. Le travail des jour-nalistes pourra tre de susciter l'ouverture de tels blogs sur la plateforme du site, tout en s'assurant que le contenu de ceux-ci est rgulirement renouvel. Dans certains cas, la modration des commentaires reviendra galement aux journalistes. Dans les blogs, l'intervention ditoriale et journalistique est faible, sachant que l'enjeu est d'associer les contributions des experts au travail de la rdaction, plutt que de voir ceux-ci ouvrir des blogs indpendants, ventuels concurrents en matire d'expertise aux yeux d'un public le plus souvent comptent et exigeant, dans ce domaine (26).

    quels experts?Dans les faits, le recours aux experts ne

    va pas sans poser bien des problmes, commencer par l'identification et le choix de ceux-ci. Comment se reprer pour un non spcialiste dans un milieu constitu, aux dires de Laurent Mauduit, de quelque 200 300 conomistes de banque, 500 co-nomistes travaillant pour les administrations et 3 500 chercheurs et enseignants en co-nomie ? D'autant que les uns et les autres n'ont pas la mme visibilit et qu'expertise signifie le plus souvent, du moins dans le domaine de la recherche, un fort niveau de spcialisation. Or il n'existe pas a priori de carte du territoire de l'expertise en cono-mie, chacun des journalistes devant dessi-ner celle-ci, avec plus ou moins de finesse. Et, la finesse dans ce domaine, la prcision dans les questions couvertes par l'un ou

    l'autre, dpendra largement de la comp-tence du journaliste, de sa formation au dpart ou progressivement acquise, ainsi que de l'tendue du domaine qu'il a cou-vrir, sans oublier l'apport plus moins impor-tant du ou des collectifs dans lesquels il s'insre : son service, d'ventuelles associa-tions (telle l'association des journalistes de l'information sociale, AJIS, et l'association des journalistes conomiques et financiers, AJEF) ou encore des rseaux plus ou moins informels constitus par les anciens d'cole de journalisme ou de journalistes ayant couvert dans la dure les mmes secteurs. Faute de quoi la tendance sera de se rfrer quelques autoroutes ou routes trs pas-

    Lconomiste lorsquil parle

    la radio ou la tlvision met

    toujours des certitudes, sur tous

    les sujets sur lesquels le

    journaliste laborde. Cest toujours

    pour moi lobjet dune profonde

    perplexit, pour deux raisons

    troitement lies. Dune part,

    lconomie est loin dtre une

    science exacte. Il ny a gure de

    propositions qui ne trouvent sa

    proposition oppose. Par exemple

    sur leffet de laugmentation du

    SMIC sur lemploi. Pourtant, dans

    les mdias, jamais on nentend

    cette incertitude quant aux

    rsultats que lconomie produit.

    Deuximement, le journaliste

    interroge lconomiste sur tous les

    domaines. Comment peut-il

    rpondre ? Est-il omniscient ?

    En tant que chercheur, il y a

    de nombreux domaines que je

    connais mal. Ou, pour tre plus

    exact, il y a peu de domaines que

    je connais bien. Or, dans les

    mdias, il faut rpondre tout.

    Je suis frapp de constater que

    lon peut interroger certaines

    personnes sur les sujets les plus

    divers sans connatre la

    spcialisation de lconomiste que

    lon invite. Souvent je me

    demande : comment fait-il ?

    Ce phnomne est dangereux car

    moins on a de connaissances sur

    un sujet prcis, plus on a

    tendance rpter ce que les

    autres disent, ce qui conduit

    la production dune doxa.

    Ce que je dis nest gure

    constructif et je men excuse.

    Certainement, je demande trop

    aux mdias. Mais je rappelle que

    je parle en tant que chercheur.

    Pour le chercheur que je suis,

    le bien le plus prcieux est lesprit

    critique. Or, les mdias naiment

    pas le doute. Comme nous tous,

    le public, ils prfrent

    grandement les certitudes

    et les solutions. Mais ce sont des

    denres extrmement rares, bien

    plus rares quon ne le pense.

    andr orlan, prsident de lassociation franaise dconomie politique

    Retrouvez lintgralit de ce tmoignage dans la note de travail de lIdies n 26, Comment assurer une information conomique pluraliste et de qualit ? , mai 2013, tlchargeable au format PDF sur www.idies.org

    L'conomie est loin d'tre une science exacte

    (26) Tels Pauljorion.com, Leblogalupus, Les-crises.fr, etc.

  • 18

    La fabrique de l'information conomique

    RAPPORT N1

    MAI 2013

    santes dans lesquelles se retrouve un petit cercle d'conomistes, toujours les mmes (27).

    Risques de conflits d'intrtsDe la connaissance plus ou moins prcise

    du territoire de l'expertise dpendra large-ment la capacit des journalistes identifier les possibles conflits d'intrts. Car contrai-rement aux journalistes qui sont censs res-pecter l'quilibre et l'indpendance l'gard des sujets traits, les experts eux dpendent pour beaucoup d'engagements dans le domaine de l'conomie, qu'il s'agisse d'acti-vits de services, de conseils, d'tudes, etc. Il revient alors au journaliste d'valuer les

    risques de conflits d'in-trts en fonction des questions poses et de donner connatre au public l'existence de liens de dpendance possible. Encore faut-il que ces potentiels conflits d'intrts soient perus. Ce qui est rare-ment le cas pour des journalistes qui ne connaissent pas intime-ment un secteur, lorsque la question n'est pas simplement occulte par l'omniprsence du mme expert dans de nombreux mdias (28).

    Une moindre matrise des territoires de l'expertise conomique poussera galement les journalistes dlibrment ou leur corps dfendant largir le domaine de spcialit des experts, jusqu' prendre le risque que ceux-ci n'expriment plus que leurs a priori, voire se contentent de reprendre le discours ambiant sur le sujet.

    occultation ou traitement des controversesL'conomie, comme nombre de domaines

    complexes, ne peut se traiter par des r-ponses uniques, indiscutables, surtout lorsque celles-ci doivent tre livres dans des dlais aussi courts. La tentation qui consiste faire appel un expert est d'au-tant plus problmatique qu'elle masque les

    zones d'incertitude ou de dbat, par l'appa-rence de la technicit ou de la scientificit. Comment prtendre rendre compte d'un thme comme celui du choc de comp-titivit au moment o celui-ci arrive dans le dbat public autrement qu'en prenant en compte la diversit des analyses qu'il gnre chez les spcialistes de cette ques-tion ? C'est toute la question de la prise en charge des controverses par les rdactions et de la manire d'en rendre compte.

    Les rdactions les moins aptes s'emparer de la technicit d'une question sont souvent celles qui voient leurs hirarchies rejeter les controverses, comme si le travail du journa-liste, en conomie comme ailleurs, tait de trancher, d'arbitrer dans les discussions et dsaccords afin de prsenter un seul point de vue. Sauf qu'en conomie, la complexit de trs nombreuses questions, le trs haut niveau d'incertitude dans un domaine qui ne peut pas tre apprhend avec une pr-visibilit comparable aux sciences exactes, fait qu'il y a des analyses diffrentes, souvent divergentes. Or ces divergences ne sont pas l'expression d'une fragilit ou d'une faiblesse, mais bien un signe de vitalit du domaine intellectuel concern. Les rdactions les plus dotes en comptences conomiques sont d'ailleurs celles qui hsitent le moins ouvrir leurs colonnes la controverse, voire des points de vue htrodoxes, l'exemple des Echos par exemple.

    Lorsque les rdactions sont amenes reconnatre l'importance de telles contro-verses, trop souvent elles se montrent dsem-pares pour en rendre compte. Le plus simple est alors de s'effacer devant des paroles d'experts ou d'acteurs opposes - un pour, un contre - sans oser reprendre la main pour inscrire celles-ci dans un cadre plus large et si possible dans la dure. L'exercice n'est pas ais. Il appelle un niveau de connais-sance lev des termes de la discussion. Cependant, si l'information conomique veut tre un outil du dbat public, un moyen pour l'action, et faire oeuvre de pdagogie pour le citoyen, elle appelle une telle mise en scne des principales controverses qui tra-versent et participent au dveloppement de la connaissance dans le domaine. Les moda-lits, la mthodologie qu'appellent le trai-tement et la mise en forme de ces contro-

    LcONOMIe Ne PeuT se TRAITeR PAR des

    RPONses uNIques, INdIscuTAbLes,

    suRTOuT LORsque ceLLes-cI dOIveNT TRe

    LIvRes dANs des dLAIs TRs cOuRTs.

    (27) Laurent Mauduit, Les imposteurs de lconomie, Paris,

    Jean-Claude Gawsewitch, 2012.

    (28) Thme dvelopp par Laurent Mauduit dans Les imposteurs de

    lconomie, Paris, Jean-Claude Gawsewitch, 2012.

  • 19RAPPORT N1MAI 2013ra

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    verses, constituent l'une des grandes exigences d'volution pour une information conomique de qualit. Il n'est pas certain qu'elle trouve sa place dans la formation des journalistes dispense aujourd'hui, tout comme dans les modles privilgis par les hirarchies rdactionnelles.

    ConCLusion

    Resserrement tendanciel des comptences, intensification de l'activit, pression de la communication, acclration du traitement de l'information, matrise de l'expertise : il est peu probable que les services cono-mie et leurs journalistes puissent rpondre ces dfis par leurs seuls moyens, d'autant que la crise des modles conomiques continuera de pousser la diminution des effectifs. Doit-on se rsoudre accepter une fragilisation de l'information conomique au moment o prcisment les questions dont elle traite sont au coeur du dbat public ? Tout fatalisme parat intenable, alors mme que les attentes et les exigences des publics ne cessent de s'lever, se mani-

    festant par une critique toujours plus fine et aigu, notamment dans des supports dsormais disponibles tels que les blogs et les rseaux sociaux.

    Il n'est pas niable que le traitement de l'information conomique fait face une contradiction, qui s'accentue et oblige penser diffremment la rdaction, de manire ce qu'elle s'appuie davantage sur une expertise partage entre journalistes et sp-cialistes des domaines concerns. Aux rdac-tions aux frontires clairement dlimites devront certainement succder des espaces ditoriaux plus ouverts, associant journalistes du mdia, pigistes, agences spcialises, mais aussi experts non-journalistes. De telles rdactions en rseau imposent de repenser la comptence journalistique, celle-ci arti-culant intimement les connaissances dans le domaine de l'conomie et la capacit faire vivre, dynamiser un rseau de contri-buteurs rguliers et occasionnels, la com-position raisonne. u

    Jean-Marie Charon, le 7 mai 2013

    Jean-marie charon est sociologue des mdias. Il prside l'association Les Entretiens de l'information et est membre du conseil d'administration de l'Idies. Il a notamment publi La presse en ligne (avec Patrick Le Floch, La Dcouverte, 2011), La presse magazine (La Dcouverte, 2008), Les journalistes et leur public : le grand malentendu (Vuibert, 2007), Le journalisme (Milan, 2007), La presse quotidienne (La Dcouverte, 2005).

  • 20

    La fabrique de l'information conomique

    RAPPORT N1

    MAI 2013

    ANNEXES

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    50 000

    100 000

    150 000

    200 000

    250 000

    300 000

    Capi

    tal

    Chall

    enge

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    Econ

    omist

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    diffusion de la presse conomique

    Sour

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    iffus

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  • 21RAPPORT N1MAI 2013ra

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    mdiasnombre de journalistes

    nom du service description

    20 minutes 4 economie Gnralistes avec affinits individuelles.

    afp 85 economie nombreux ples spcialiss, dont transports, nergie, agriculture, mdias, etc.

    alternatives economiques 15 magazine spcialis en conomie

    la croix 6 Ple conomie du service international macro et micro .

    ebra 3 economie et social Gnralistes, avec dominantes individuelles.

    les echos >70Large ventails de services spcialiss :

    conomie gnrale, finances, industrie, international, marchs, patrimoine, etc.

    le figaro 45 dont 9 web economie quatre services : macro, micro, mdias-tl-coms, patrimoine-marchs.

    france culture 4 economie et social Large spectre, y compris transports et ducation.

    france info 7 economie Spcialits individuelles.

    france inter6 +1 ditorialiste + 1 chroniqueur economie et social

    Spcialits individuelles, mais tous les journalistes peuvent tre amens traiter

    tous les sujets.

    libration 12 eco-terre addition de spcialits individuelles.

    le monde 32 economie quatre ples : industrie, macro-finance, techno mdia, gnraliste.

    ouest france

    8 + 12 antennes co-soc locales

    eco-soc Gnralistes avec spcialisations individuelles.

    le parisien 8 Votre conomie Spectre large : conomie, social, transport, logement, fiscalit, etc.

    rfi 14 economie Gnralistes.le tlgramme 4 eco-soc distinction chef, diteur, reporters.

    tf1 27 economie et social Large spectre de domaines couverts, dominantes

    individuelle, forte polyvalence : macro, consomma-tion, transports, agriculture, social, environne-

    ment, sciences et technologies, etc.

    tableau des services conomiques

  • 22

    La fabrique de l'information conomique

    RAPPORT N1

    MAI 2013

    Le statut de l'conomie dans les mdiaspar philippe Frmeaux, dlgu gnral de l'idies

    Le traitement des questions conomiques et sociales par les mdias est loin dtre uniforme. Il varie selon la nature des mdias, et selon le public auquel ceux-ci sadressent. On ne peut donc porter de jugement global sans avoir bross au pralable un panorama de loffre dinformation conomique et sociale actuelle.

    1. Presse quotidienne conomique et financire de qualit destine aux professionnels

    Depuis la disparition de ldition quotidienne papier de La Tribune, Les Echos sont dsormais seuls sur ce crneau. Ce type de presse propose une information pertinente pour les chefs dentreprise, cadres suprieurs des milieux bancaires et financiers, mais aussi pour tous les dcideurs politiques et syndicaux. Linformation y est longtemps reste factuelle, techniquement prcise. Certes, le ton et les proccupations de ce type de presse sont celles des dominants, mais une des conditions de perp-tuation de leur pouvoir est prcisment dtre mieux in-form que les autres Le lectorat de ce type de presse demeure lev, en comparaison de celui de la presse crite gnraliste, grce notamment sa qualit.

    Les Echos sont ainsi parvenu un temps prendre quelques parts de march aux quotidiens gnralistes. Paradoxale-ment, lorientation plus politique, voire politicienne adop-te par le quotidien conomique depuis son rachat par le groupe Bernard Arnault, a plutt nui sa crdibilit. Il nen demeure pas moins quencore aujourdhui, Les Echos vont assurer dune manire gnrale une meilleure couverture des ngociations sociales que Le Monde ou Libration et que les analyses des stratgies des entreprises proposes demeurent dune grande indpendance en tout cas pour les entreprises non lies son actionnaire ce qui concourt la crdibilit du titre. Les Echos sont longtemps rests bnficiaires en dpit dune diffusion limite, les cots de

    production du journal, assez levs compte tenu de la taille de sa rdaction, tant compenss par dimportantes recettes de publicit, notamment financire.

    De son ct, La Tribune, en dpit de difficults rcurrentes, a pu longtemps limiter ses pertes grce cette manne, qui a reprsent jusqu plus des deux tiers de son chiffre daffaires. Le recul de ces ressources, suite la crise financire, explique la disparition de ldition papier quotidienne de La Tribune et a mis Les Echos dans le rouge, conduisant la direction rduire les effectifs de la rdaction.

    2. Presse magazine conomie/management (ex: Lexpansion)

    Ne de la professionnalisation de la fonction de cadre tertiaire dans les annes 1960, en parallle avec le dveloppement des coles de commerce et de laffirmation du groupe social des managers, cette presse a essentiellement un lectorat de cadres suprieurs du priv et de nombreux abonnements institutionnels, dans les grandes entreprises et les banques. Sa diffusion chez les marchands de journaux est faible. Elle propose une information centre sur les stratgies dentreprise, le marketing et le management sans pour autant se dsint-resser des thmatiques macroconomiques et gopolitiques. Elle a beaucoup souffert du recul des investissements publi-citaires et des conomies pratiques dans les entreprises sur le plan documentation.

    Enjeux Les Echos est devenu un supplment mensuel du quotidien ponyme et LExpansion est dsormais une annexe de lhebdomadaire LExpress avec lequel le magazine partage sa rdaction. Quant au Nouvel co-nomiste, il parat depuis de nombreuses annes dans une forme moins coteuse.

    3. Presse magazine financire (ex: Le Revenu, investir)

    Cette presse sefforce de sduire la fameuse veuve de Carpentras qui ne sait comment placer ses conomies. La qualit de linformation propose est ici en relation inverse de

  • 23RAPPORT N1MAI 2013ra

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    la dpendance des titres lgard de la publicit. Cette presse a beaucoup souffert ces dernires annes, du fait de la concurrence des services dinformation proposs par les sites Internet des courtiers en ligne ou par les banques commerciales, du recul de la publicit financire suite la crise, et de la dsaffection du lectorat qui achte cette presse quand les marchs sont haussiers et sen dsintresse quand ils sont moins bien orients. On observe ainsi une assez forte corrlation entre lvolution de sa diffusion et celle du nombre de mnages possdant des actions.

    4. Presse magazine conomique grand public (ex: capital)

    Ces titres ont un positionnement diffrent des maga-zines conomiques destins aux cadres suprieurs, caractriss par leur connivence affiche avec le monde de lentreprise . Au contraire, un magazine comme Capital, qui est le seul priodique conomique se vendre de manire importante en kiosque, a su tirer parti de la massification du nombre de cadres interm-diaires dans le secteur priv (et dans le public), cadres qui ne sid