34
Imagination humaine et imagination animale chez Aristote Author(s): Jean-Louis Labarrière Source: Phronesis, Vol. 29, No. 1 (1984), pp. 17-49 Published by: BRILL Stable URL: http://www.jstor.org/stable/4182186 . Accessed: 27/11/2014 11:26 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . BRILL is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Phronesis. http://www.jstor.org This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

Imagination humaine et imagination animale chez AristoteAuthor(s): Jean-Louis LabarrièreSource: Phronesis, Vol. 29, No. 1 (1984), pp. 17-49Published by: BRILLStable URL: http://www.jstor.org/stable/4182186 .

Accessed: 27/11/2014 11:26

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

BRILL is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Phronesis.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 2: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

JEAN-LOUIS LABARRItRE

Une certaine tradition, grossi6rement, celle de la "metaphysique occiden- tale", s'organise autour de la difference entre l'homme et l'animal: la parole humaine temoignerait de la nature raisonnable de l'homme, par la sup6rieur au genre animal tout entier. Cette tradition culmina sans doute avec la these de l'animal-machine chez Descartes, pour qui, on le sait, "la parole est l'unique signe et la seule marque assuree de la pensee cach6e et renfermee dans le corps",1 ce qui "ne temoigne pas seulement que les betes ont moins de raison que les hommes, mais qu'elles n'en ont point du tout".2 Ainsi paradoxalement, au moment meme oi Descartes cherche A se dega- ger de la conception scolastique de l'union de l'ame et du corps, il se reinscrit dans cette tradition metaphysique qui generalement s'autorise d'Aristote pour justifier la difference de nature entre 1'homme et l'animal. Aristote n'a-t-il pas 6crit en effet que "l'homme, au contraire (des ani- maux), vit aussi par la raison, car seul de tous les animaux il poss6de la raison" (Pol. VII, 13, 1332b4-5)? Voila qui explique pour cette tradition que l'homme soit un animal politique par nature (Pol. 1, 2, 1253a7-18): il est dou6 de X6yos alors que les animaux ne sont doues que de qpwv?, de voix. Raison, langage, "politicite", conjugueraient ainsi la diff6rence entre l'homme et l'animal, difference qu'Aristote aurait clairement etablie.

Rien n'est moins sfir et c'est ce que je voudrais ici m'efforcer de montrer A partir d'une analyse de la fonction de l'imagination chez Aristote. II 6tait logique que la tradition interpretative dont je viens de grossir les traits oblitere le sens de la notion d'imagination, et ce des la traduction de vpaxciia par "imagination", obliteration faisant echo A celle due A la

traduction de Xoyos par "raison".3 Tout se passe comme si l'on n'avait vu de la vparramca que sa capacit6 de produire des "images mentales", voire A n'etre que la "folle du logis" des lors qu'on en retient sa definition comme "sensation affaiblie" (Rhet. 1, 11, 1370a28-29) expression jug&e par Ha- melin "plus nette et plus profonde"4 que celles du De Anima. Une telle interpretation rend ainsi possible la traduction de aVTOsLia par imagina-

17

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 3: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

tion, en depit des difficultes qu'une telle traduction entraine, difficultes qui deviennent rapidement m6sinterpr6tations.

Cette m6sinterpr6tation, due comme je voudrais le montrer A celle por- tant sur la diff&rence entre l'homme et l'animal, induit une nouvelle m&- sinterpr6tation sur le statut de "l'imagination' chez les animaux. Je me propose donc de remonter la pente A partir de la (v'TrLo animale, car c'est me semble-t-il A partir de ce point que l'on pourra reinterpreter la diff6rence entre l'homme et l'animal en se gardant de trop vite faire appel A la raison, et de trop vite comprendre la vTraOLO comme imagination. Ce point de vue est d'importance et son impact ne se limite pas A la seule ex6gEse de la psychologie aristotelicienne. Mon hypoth6se sera ainsi la suivante: la qxxv'rotaia nouant des liens etroits avec la pensee pratique - elle peut meme en tenir lieu - n'est pas seulement un concept de la psycho- physiologie d'Aristote, mais c'est aussi, et peut-etre surtout, le pivot autour duquel s'organise la difference entre l'hoiine et l'animal A l'interieur du champ "ethico-politique". I1 semble en effet, comme on le verra, que ce soit elle qui rende compte de la difference entre le Xoyos et la qpwvi, difference dont il est essentiel de bien mesurer l'enjeu si l'on veut entendre ce que, dans la Politique, Aristote nomme "vivant politique" (Pol. 1, 2, l253a 1-18).

I1 semble donc necessaire d'etudier la (voraoimx sans se restreindre A la question de sa nature chez l'humain mais plutot en s'interrogeant sur sa fonction tant chez l'animal que chez l'humain en commenqant par rep6rer les contextes dans lesquels elle intervient. Ainsi, au lieu de se demander: qu'est-elle? l'on se demandera: A quoi sert-elle? quand et oeu intervient- elle? qu'entraine-t-elle? Ma demarche s'apparentera ainsi A celle de Mar- tha Craven Nussbaum5 voire A celle de W. W. Fortenbaugh,6 qui tous deux se rWfbrent A des contextes diff6rents et ne restreignent pas leurs etudes aux seuls humains, comme semblent le faire tant Malcom Schofield7 que Cor- n6lius Castoriadis,8 qui, tous deux, quoique pour des raisons differentes, laissent de cotW la qpv-uIaia animale, ses ressemblances et diff6rences d'avec la Wpovtwraa humaine, alors meme que, tout comme Martha Craven Nussbaum, ils critiquent la conception traditionnelle de la qparVaTia

comme imagination, du qpaVTXOLa comme image mentale. Malcolm Schofield, s'en tenant surtout au De Anima III, 3, soutient que

la qxv-rTaULa, situ6e entre L'aXLOTULS, la sensation-perception, et le vois, la pensee, est la capacite d'avoir des "experiences sensibles non-standard".9 I1 entend par IA que, par exemple dans le cas de la visualisation n6cessit&e pour penser, la visualisation n'est pas une experience sensible normale - laquelle exp6rience normale implique seulement de tenir ses yeux ou ses oreilles ouverts - mais qu'elle est cependant suffisamment proche de cette

18

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 4: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

experience sensible normale pour en etre conque comme une forme "non- standard".10 Or cette conception, de son propre aveu, ne peut aussi valoir pour la qpaxvrnuo animale qu'il qualifie d'ailleurs d"'obscure corner of Aristotelian doctrine"' 1I ce qui conduit ainsi A se demander si, pour les animaux, elle est bien differente de l'aY aLcYs.12 S'appuyant sur De An. III, 3, 428al-15, M. Schofield insiste sur ce fait que la qVaVTaOLa humaine renvoie A "ce qui nous apparait" et par la a une activite interpr6tativel3 rendant ainsi caduque la "traduction" de qcavrcxaix par "imagination" ou "image mentale". Sur ce dernier point, queje serais assez enclin A suivre, il rejoint, en depit d'autres oppositions,14 certaines des conclusions sur les- quelles je reviendrai de Martha Craven Nussbaum qui, elle aussi, insiste non seulement sur le travail interpretatif de la aVTaNUia, mais encore sur celui de l'otafhLt,.'15

Cornelius Castoriadis s'est attache A souligner la n6cessit6 de "phantas- mer" pour penser en s'efforcant d'exhiber les contradictions entre cette conception frisant celle d'une "imagination transcendantale" dans le De An. III, 7-8, et la conception d6velopp6e dans le De An. III, 3 de l'imagi- nation comme "mouvement qui advient A partir de la sensation en acte" (429al-2). Castoriadis soutient que cette definition est celle de "l'imagina- tion seconde", traditionnelle, car retenue par la tradition, alors que celle de la primarit6 du phantasme correspondrait A ce qu'il faudrait appeler "l'i- magination premiere" et qui serait rest&e non explicitee ni thematisee chez Aristote lui-m eme car "elle rompt l'ordonnance logique du trait6, et, chose infiniment plus importante, fait eclater virtuellement l'ontologie aristote- licienne - autant dire, l'ontologie tout court. Aussi bien, elle sera ignor6e par l'interpr&tation et le commentaire, de meme que par l'histoire de la philosophie, qui utiliseront la d6couverte de l'imagination seconde pour recouvrir la d6couverte de l'imagination premi&re".'6 Mais, IA aussi, alors que Castoriadis bataille contre la tradition metaphysique, il semble que cette tradition se reintroduise subrepticement du fait que son etude s'en tienne essentiellement A l'humain. En effet, meme si le De An. III, 9, est qualifie d"'admirable" ou d"'ind6passable"'17 et si la distinction introduite en III, 10, 433b29-30 entre la vpawrtmot Xoytarxi, "rationnelle-calculante", ou 3ovuetvrLx "d6liberative", et la qXaVTacL'a a'LNITLX1, "imagination sen- sible", est tenue, A juste titre, pour "capitale",18 il n'en reste pas moins que Castoriadis laisse cette distinction impr6cis6e et non argument6e, comme il le reproche pourtant A Aristote lui-meme. Or ce d6laissement, qui est peut-etre le geste me me de la tradition incrimin6e, entraine ineluctable- ment Castoriadis A n'6tudier que la cpWxVTraa humaine, la Xoy'Lu-rLxi-POu-

XEvuLxT car c'est elle qui, "pouvant faire un seul phantasme A partir de

19

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 5: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

plusieurs" ( 1, 434a9-10), implique qu'il est "impossible de parler d'action sans "ddlib6ration" concernant I'avenir, et de "ddlib6ration" sans imagi- nation - soit sans position/pr6sentation de plusieurs (au moins deux: 434a8) ensembles d"'.images" compos6es et unifi6es de ce qui n'est pas la".19 L'oubli de la povTwaoia axrLx, ou son renvoi au De An. III, 3, permet ainsi de mettre en place un "Sch6matisme aristot6licien"20 repro- duisant malheureusement A mon sens la difference metaphysique entre l'homme et l'animal, faute d'avoir bien perqu le statut "pratique" de la pvarrama qui si elle peut etre consid6r6e comme "une sorte de pens6e" (s v6yqaiv TrVa, De An. III, 10, 433a 10) - mais qu'est-ce-A dire? - n'est "sorte de pens6e" que de la pensee "pratique" soit de celle qui "raisonne en vue d'une fin" (vovs &? 6 i'vex& tov XoyLCO'IEvoS xvi 6 ITp(xxoLX6s, id. 433al4).

C'est A l'interpr6tation de ce "'s voTLs" specifiee en "pensee pratique" que l'on voudrait ici s'attacher. La mvwrriam est dite "sorte de pens6e pratique" car il faut trouver chez les animaux quelque chose qui soit susceptible de tenir lieu de faculte cognitive, d'intellect, afin d'expliquer leur mouvement. Introduit donc pour prendre en compte les animaux dans l'analyse de la facultM motrice, laquelle n6cessite le couplage d'un pouvoir de discrimination ('r XptrLXoV, De An. III, 9, 432al6),21 "fonction de la pens6e et de la sensation" (id.), et du d6sir (6pEELS), ce "'Ws vO&aaLs" est aussitOt temp&r6, rendant ainsi son interpretation malais6e:

Les animaux ne possedent ni intellection (v&qats), ni raisonnement (XoyLaFos), mais seulement l'imagination (avTaOLa). (De An. III, 10, 433a 12)

Tout tient donc dans ce "'Ws" dont, si le sens 6chappe encore, on peut au moins dire qu'il interdit de penser l'imagination animale comme irration- nelle ou comme siege des illusions par opposition A l'imagination humaine qui est dite "rationnelle" ou "d6lib6rative". En ce sens les traductions traditionnelles semblent fautives, ce qui est bien comprehensible si l'on admet qu'elles s'appuient sur une tradition m6sinterpr6tant le sens de la difference entre l'homme et l'animal. C'est pourquoi le sens de la distinc- tion entre la vpawraoiea XoyLarL i'-RovXavrL et la wavrtaoia atLaOTrtxii a pu totalement echapper A un commentateur aussi autorise que D. W. Hamlyn qui voit dans la premi6re, d6volue aux humains, "celle qui est une sorte de pens6e", et, dans la seconde, devolue aux animaux, "celle qui est respon- sable des illusions perceptuelles" renvoyant au De An. III, 3.2

Comprendre la qvfaVTaua implique donc de comprendre cette distinction et le statut de ce "Ws vo'Oqs", qui souligne en quel haut lieu Aristote tient la (OvTTaKY,tant humaine qu'animale. "Sorte de pens6e pratique" ellejustifie sans doute, ce que I'on s'efforcera de montrer, qu'Aristote puisse fr6-

20

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 6: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

quemment employer A propos des animaux le terme &a&vowx (p. ex., H.A., VIII, 1; IX, 1, 608a15; 5, 61 la16, 612a3; 7, 612b18-21 ... )23 dans un sens d'ailleurs voisin de celui de qppoVIiuLs comme "intelligence pratique" (p. ex., Meta., A, 1, 980b2 1; De A n. 111, 3, 427a19, 427b7) ou se soit meme risque A 6crire vovs (H.A., IX, 3, 610b22). L'on peut encore noter que bien que les animaux soient prives de raisonnement (XoyLopis), il arrive A Aristote de parler de "sorte de raisonnement" (607ep &VaXoyLo0&FVoL, H.A., IX, 48, 63 1a27), ce qui fait peut-etre echo A ce fait que la VpaVTaULa peut etre consideree comme une sorte de pens6e pratique parce que, on l'a vu, c'est une sorte de pens6e qui calcule, raisonne en vue d'une fin (6 Evexa TOU

XoyLt6.LEvos, De An. I1I, 10, 433al4). Autant d'indications sur lesquelles nous aurons A revenir mais qui soulignent assez qu'il faut prendre au serieux la cpavracia animale.

Pour ce faire, je rapporterai tout d'abord la Tpavraria A ce que l'on peut appeler "la connaissance animale", afin de comprendre ensuite sa fonction dans la motricite et l'action. Surgira alors la diff6rence du X6yos, qu'il faudra donc comparer avec la qwviA, pour pouvoir, en conclusion, se livrer A une mise en question de la notion m8me de "politicit6".

4avTaoia et connaissance animale

Aristote pr6sentant la qcv?acria comme le sommet auquel peuvent pr6- tendre les animaux dans l'ordre de la "pens6e", il semble diff'icile d'en faire un milieu, un centre, entre la sensation et la pensee puisqu'ils sont priv6s de cette derniere. Elle n'est dans cet "entre" que pour les humains et c'est seulement en fonction de ces derniers qu'il est possible de faire de la vpavraota animale un "entre". Peut-etre cette diff6rence de statut

concourt-elle a expliquer que la qxv'raoia animale puisse etre consid6r6e comme "une sorte de pens6e", ce qui par ailleurs la distingue assez de la sensation. Sur ce dernier point, nous pouvons nous referer A ce fameux passage oi: Aristote critique la division de l'Ame en parties (De An., III, 9, 432a22-b7). Meme si, ailleurs, il se demande si l'keo&NLs et la valrcaoia sont identiques ou non (Des RNves, 1, 458b30), voire 6crit qu'elles le sont, identiques, mais qu'elles different par leur "mani6re d'etre" (id., 458a 16-17), il n'en reste pas moins que Tr pavrarIax6v, la partie ou faculte imaginative, "par son essence diff6re de toutes les autres (parties)" (De An., III, 9, 432b l), et par consequent de la facult6 sensitive dont pr6cis6ment il est difficile de savoir s'il faut la comprendre comme "irrationnelle" ou "rationnelle" (id., 432a30-3 1, 'Ws &Xoyov ... o."r 'Ws X6Syov ZXov). De plus, comme Aristote souligne, De An., III, 3, 428a9-1 1, que contrairement A la sensation, a l'oiUfrqLS, la q)av'raia, tout comme le qpoveLv, t'intelligence

21

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 7: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

"empirico-pratique" (id., 427b6-8), n'est pas le fait de tous les animaux mais seulement de quelques uns, il faut admettre que pour ceux-IA aussi pas plus que le pavTra%oLt ne se reduit A I'at*tm, la cpavTaoia ne se reduit A l'&aO';oL0. Elle represente donc une perfection par rapport A cette derniere.

Peut-etre m'objectera-t-on qu'Aristote, Rhe't., I, I1, 1370a28-29, ecrit que la cprxotauix est "une sensation faible, ou affaiblie (ai^'msa TLS &a6v'is)" et qu'il semble donc difficile d'y voir un "plus" par rapport a la sensation. Remarquons donc d'une part que le contexte de la Rhe'torique, et l'oeuvre elle-meme, indique qu'il s'agit ici essentiellement de l'humain, et, d'autre part, qu'il n'est gu&re contestable que la pavwracia repr6sente une perfec- tion pour les animaux. J'ajoute que cet enonc6 est singuliRrement solitaire dans le corpus et qu'il est par IA meme perilleux de s'appuyer sur lui pour comprendre la retention de la sensation par l'imagination, comme le faisait Hamelin (cf. supra).

Sur ce point, je suivrai volontiers M. Schofield24 qui souligne que cette conception de la pvLTaraLa est abandonn6e dans le De Anima, III, 3, au profit d'un critere comportemental qui est de nature linguistique. I1 faut en effet remarquer, nous dit M. Schofield, que la qPavTnaaoi n'est pas la facult6 en vertu de laquelle les (PavToracOrTO se pr6sentent A nous, mais qu'elle est celle en vertu de laquelle nous disons qu'un WcVToaXF[ (De An., III, 3, 428a 1) se presente A nous. Il est possible, me semble-t-il, quoique avec prudence d'6tendre cette conception aux animaux, comme tend A le faire Martha Nussbaum25 en insistant sur le fait que ipvraTico ne signifie pas "image", mais "ce qui apparait". "Phantasmer" ne serait pas seulement percevoir un objet, mais le percevoir comme une chose d'une certaine sorte, ce qui est bien, en operant une transformation, ajouter quelque chose A la simple sensation-perception. C'est pourquoi il faut comprendre la qpXVTa-

oi(x comme une activit6 interpretative et non comme une simple facult6 repr&sentative s'exercant sur la trace qu'a laiss6e la sensation. Rodier lui-meme frayait dejA la voie A une telle interpr6tation 26 puisqu' entendant cette "sensation affaiblie" comme persistance, il la comprenait comme la fonction du sujet rendant possible cette persistance. En ce sens Rodier tendait dejA a transformer la traditionnelle conception du q)&vTOtajFi en image, ou de la vTxtaL'o en imagination, lorsque, s'appuyant sur Alexandre, il entendait l'imagination non pas comme la trace qu'aurait laissee la sensation mais comme "l'acte de la facult6 imaginative" inversant ainsi, suivant Philopon, l'ordre d'implication entre la sensation et l'imagi- nation: loin de devoir comprendre que la sensation implique l'imagina- tion, il faudrait comprendre que c'est l'imagination qui implique la sensa- tion et s'en sert comme d'une moyen.

22

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 8: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

Si cette conception semble la plus pertinente, comme je m'efforcerai de l'etayer par la suite, il n'en reste pas moins qu'il n'est pas sur qu'elle puisse etre indiff&remment appliquee a tous les animaux. Peut-etre n'est-ce LA qu'une tendance qu'Aristote n'arrive pas A assumer pour tous les animaux, mais seulement pour certains, c'est-a-dire pour les plus parfaits d'entre eux, pour ceux-lA qui sont doues au moins des cinq sens. Aristote hesitant en effet i gratifier tous les animaux de la rpawmatai, ceci m'amene A restreindre le champ d'application d'une telle conception et par IA-meme a temperer l'interpr6tation de Martha Nussbaum qui, elle, l'6tend A tous les ani- maux.27 En effet, meme si la correction proposee par Torstrik,28 DeAn., III, 3, 428a 1 1, ambne A lire ji1p[vqxL Lyv i'j iArXrrn, oWXat p 'ov, ce qui dans la traduction de Rodier donne:

Si (I'imagination) 6tait la meme chose que (la sensibilite) en acte, tous les animaux devraient poss6der l'imagination: or il parait qu'il n'en est pas ainsi, et qu'elle existe, par exemple, chez la fourmi et l'abeille, mais non pas chez les vers,

alors que le texte original: 1LVp[L"XL fi FALTTXTT 'q' YXApXXl prive l'abeille et la fourmi de la qpyxVTWL'U, meme si donc cette correction est commode, elle ne regle pas pour autant la question. En effet il reste encore le ver etje ne crois pas que le passage de De An., III, II, 433b31-434a5, qui se demande s'il ne faut pas accorder de facon ind6terminde (&opiumTs) la qPaviTLa aux ani- maux imparfaits qui ne sont dou6s que du toucher, vienne temperer la restriction, meme restreinte par Torstrik, de De An., III, 3, 428a1 1. En III, 11, Aristote se demande en effet ce qui fait se mouvoir ces animaux imparfaits et c'est en raison de cette question qu'il est conduit, de par sa th6orie du mouvement comme on le verra, a "accorder" quoique sur un mode interrogatif, une qIavTact'a et une E'?LOv4L'a ind6termin6es A ces ani- maux, mais cela laisse encore de cotd les animaux privds du mouvement local (De An. II, 2, 413b2-4, 413b31; 3, 41 IbI7, II, 3, 415a7) sur lesquels il est difficile de statuer. En outre, quand bien meme Aristote lie la possession de la [VT4UiX a( celle de l'&Lai'laLs (De An. II, 2, 413b22-23) il n'en reste pas moins qu'il n'6crit nulle part, sauf erreur de ma part, que tous les animaux sont dou6s de q)pxvrxaL', point ici de w'r&v'arc tr C comme dans la descrip- tion du mouvement des animaux (Mvt. 6, 700b15). Bien au contraire, Aristote semble plutot la denier en tant que telle A certains animaux:

Et parmi ceux qui peuvent sentir-percevoir ('Trv acxLGTLxCov) certains ont le mouve- ment local, d'autres ne l'ont pas. Finalement et plus rarement, (certains) ont le raisonnement et la pens6e (Xoyw ov xCa L&&voLav); car A ceux des etres perissables (T&V Oakpv'r.V) A qui appartient le raisonnement, A ceux-lA appartiennent toutes les autres facult6s, mais le raisonnement n'appartient pas a tous ceux qui n'ont que l'une ou I'autre, A certains n'appartient pas meme la qpavraa;o, alors que d'autres ne vivent que par elle. (De An. II, 3, 415a6- 11)

23

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 9: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

Oiu l'on voit que la arvrancia n'est pas attribu6e A tous les animaux, mais seulement A certains; car contrairement A ce que soutient Martha Nuss- baum, les q0apTOr& dont il est ici question ne semblent pas renvoyer au-delA des vivants animaux, aux plantes par exemple, mais aux a'LOfTLax' du debut de ce passage, qui s'inserent dans une progression des plantes aux hommes. Ainsi les qpfap'r& prives de qaV'rvToaC sont bien des animaux, et non des etres p6rissables autres que les animaux. J'ajouterai encore sur ce point que dans De An. III, 3 meme s'il est difficile de se fonder sur le passage conteste (428a 1 1), il n'en reste pas moins que dans la suite du texte, lorsqu'Aristote s'interroge sur la nature de l'imagination et sur son appar- tenance aux betes, il l'attribue A "beaucoup d'entre elles" (iroXXios, 428a22) ou A "certaines" (EV;OLS, 428a24), ce qui n'est pas l'attribuer A toutes.

C'est donc parce que la question de cette attribution n'est d6cid6ment pas &vidente (a&Xov, De An. II, 3, 414b 16) qu'en 428al I je serai amen6 A conserver le texte original, la correction de Torstrik ne me paraissant pas favoriser vraiment une extension de la cpavTaaica A tous les animaux, quand bien meme elle facilite les choses. Je m'efforcerai donc de "faire avec" ces incertitudes en proposant une echelle A l'int6rieur meme du genre animal quant A la question de la PCXvTCXacx, hypoth6se qui devrait permettre, d'une part de conserver ie texte original, et d'autre part de ne pas forcer le sens des passages oiu Aristote s'interroge sur la possession ou non de la qpaVTa- oLa.

Nous pouvons maintenant commencer A pr6ciser en quel sens la qpav- Tacna est une perfection pour les animaux qui en sont dou6s. Deux textes cWkbres, l'un d'ouverture (MWta. A, 1), I'autre de cloture (An. Post. 1I, 19), soulignent ce point. Tous deux pr6sentent une gen6se tr&s progressive de la connaissance A partir de la sensation, degr6 minimum du connaitre mais connaitre n6anmoins. Les deux fois la m6moire (iviR4) joue un role capi- tal, car, impliqu6e par - et impliquant - la persistance de l'impression sensible, elle montre comment la transformation de l'CX'Lh,ua en qp&vTaapa fait passer la barri6re non pas entre les animaux et les humains, mais A l'int6rieur du genre animal lui-meme. Ce crit&e ne suffira donc pas A diffkrencier les humains, diff6rence encore diff6r6e du fait que v 'Rij et

'arraoia sont perfectibles par l'ouie. Seront ainsi "seulement" intelligents (qpp6vLp.o) les animaux dou6s de m6moire, tandis que seront intelligents et capables d'apprendre - voire d'enseigner, comme on le verra bientot - ceux qui entendent les sons:

la facult6 d'apprendre appartient A I'etre qui, en plus de la mrmoire, est pourvu du sens de l'ouie. (Meia. A, 1, 980b25)

24

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 10: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

Or, quand la persistance se r6p0te un grand nombre de fois, elle entraine une multiplicite de souvenirs de la meme chose (An. Post. II, 19, 100al-5) et c'est ici qu'intervient la difference constitutive de l'humain: il va former une notion une de tout cela en tirant effectivement "la leqon de l'exp6- rience", tandis que l'animal s'arrete en chemin. En raison de cet "arret", il ne participe que faiblement i la connaissance empirique (tpstLp;a, MUta., A, 1, 980b26-27). Dans la Politique, Aristote l'6crira ainsi:

Les animaux autres que l'homme sont dans leur vie guid6s surtout par la nature, bien que quelques uns, A un faible degre, soient aussi guides par leurs habitudes. (VII, 1332b3-4)

Les animaux les plus parfaits participent donc d'une certaine "routine", ce qui est A mettre au credit de leur ivi}Lq et de leur vrcadioa, en lesquelles j'incline A voir cette "faculte naturelle" (qvaLxii &va.tts) permettant A certains animaux de presenter un analogue (&vaXoyov) de ce qui chez l'homme est art, sagesse, intelligence (rExv?, GoqP;a, uvvEOis, H.A. VIII, 1, 588a25-3 1).

Je ferai remarquer avant de poursuivre qu'experience faible (MJta. A, 1, 980b26-27) et habitude faible (Pol. VII, 1332b3-4) peuvent concourrir A expliquer l'imagination fallacieuse (De An. III, 3, 428a12) des animaux: plus on s'eloigne de la nature, plus la marge d'erreur grandit. Or l'animal, en tant qu'il est priv6 de la faculte d6lib6rative, n'a pas cette facultM de corriger ses "phantasmes". En ce sens l'animal le plus parfait est sans doute paradoxalement le vivant le plus A plaindre car, superieur A d'autres ani- maux, il participe d'autre chose que de la simple nature sans etre pour autant capable de d6libfrer, capacit6 constitutive de la sup6riorit6 hu- maine sur l'animal tout en etant cependant une imperfection de l'humain par rapport A la nature.

Concluons sur ce point en soulignant que la liaison du q&v'eTaoaot et de la viirL montre assez que la CpaVTac'a, chez les animaux qui en sont doues, ne

saurait etre confondue avec la simple QafjahULs, laquelle n'implique ni retention, ni perception du temps. Quant A savoir ce qui fait diff6rer cette perception chez l'animal et chez l'humain, c'est une autre question. Que la qav'rama ne s'identifie pas A la sensation, n'implique pas qu'elle n'y soit pas liMe. Bien au contraire, on le sait, elle en depend etroitement (De An. 111, 3), tout comme la memoire (De Mem. 1, 449b28-31). Le Wpa&v'arw., "affection ('rr&Oos) du sens commun" (id., 449b Il), n'en est donc pas, je crois avoir commence de le montrer, un affaiblissement, mais bien une perfection, une "plus-value", qui peut en faire "une sorte de pensee" ce qui peut aussi expliquer la diff6rence de "manitres d'8tre". Qu'il n'y ait que

25

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 11: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

"sorte" peut aussi s'expliquer du fait que "la memoire ne s'applique que par accident aux notions intellectuelles" (id. 449bl3-14, j'y reviendrai). "Sorte" car, provenant du "principe de la sensibilite par lequel nous per- cevons le temps" (id., 45 la 16-17), la m6moire relve de la sensibilite, ce qui est de toute n6cessit6 si certains animaux doivent en etre dot&s.

'Pavwrracva et motricile

Soit la question de la faculte motrice qui n'est ni la puissance nutritive, ni la puissance sensitive, ni la faculte intellectuelle (theorique), ni meme l'app6tit (DeAn., III, 9), mais qui rel6ve de deux principes:

le desir et l'intellect - A condition que l'on consid6re l'imagination comme une sorte d'intellection (. .)j'entends l'intellect qui raisonne en vue d'une fin, c'est A dire le pratique (vovs Bi 6 ?VEX& TOV Xoytt6oavos xni 6O IpQXTtX6S). (id., 10, 433a9- 14)

On sait que ces deux principes seront ramen6s a un seul: le desirable (6 opexT6v), c'est A dire ce vers quoi nous tendons, ce que nous nous repr6- sentons et ce qui nous met en mouvement afin d'assouvir notre d6sir.9 Or, c'est A la phantasia qu'il revient de (re)presenter au vivant mobile ce qu'elle "imagine" etre un bien pour lui, bien qui pourra d&s lors n'etre qu'appa- rent (qwxLVo6pVOV), car, pratique, il ne relve en rien de la aoqx, ou de l'intellect th&orique dont sont afortiori priv6s les animaux. A propos de ce bien, I'on acquiesce ou non, entrainant ainsi un mouvement de recherche ou de fuite. Le m6canisme du mouvement est donc sensiblement le meme chez 1'humain et chez l'animal: le fera diff6rer la qpxivTavLo qui accompagne le desir, XoyLGT?x'-3OuXveVTLXi, elle permettra de parler en un sens strict et rigoureux d'action (Trp&ELs) et de raisonnement (aVX-XoyLaJ?65), aLaOTLXA, elle n'induira qu'un mouvement et, au mieux, un semblant de raisonne- ment.

Afin de mieux saisir cette diff&rence, observons tout d'abord que, comme tend dejA A I'indiquer le titre du traite "Du mouvement des ani- maux", la description de ce mouvement vaut pour tous les animaux ('rovtrx T& ~C4a, Mvt. 6, 700b15), ce qui donc s'etend aussi au syllogisme pratique puisqu'il sert A rendre compte de la n6cessit6 qui anime ce mouvement. En accord gen6ral sur ce point avec Martha Nussbaum qui developpe bien plus amplement cette question, je soulignerai aussi qu'il faut eviter de forcer le parallelisme entre syllogisme scientifique ou th6or6tique et syllo- gisme pratique car en plus des difficultes d'une telle interpr6tation, une telle position pr6sente l'inconvenient de restreindre la port6e du syllogisme pratique au seul humain. Notons d'ailleurs que si le passage d6veloppant cette question s'ouvre certes par une mention de "l'etre pensant" (voZv, id.,

26

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 12: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

7, 701a6), il se conclut cependant par un "r&a tixa" (id., 701a23). It ne faut donc pas se laisser abuser par la presentation sous forme de

monologue interieur. C'est IA un trait pedagogique et non un point de doctrine, destine A faire comprendre le m6canisme qui aboutit au mouve- ment et A I'action et non pas A reduire la portee de 1'explication A I'humain. II n'est pas pour autant question de nier que, comme l'affirme Aristote (p. ex., De An., III, 11, 434alO-12); De Mem., 2, 453a6-14), le syllogisme, scientifique s'entend, constitue une piece maitresse de la difference entre l'animal et l'humain, mais il s'agit d'attirer l'attention sur ce fait qu'en ce qui concerne l'action et le mouvement la difference n'est pas due au mecanisme n&cessaire repr6sentW par le syllogisme pratique. Ce qui ici caracterise l'humain, c'est cette capacit6 secondaire de verbaliser, de faire un discours, mais non pas le m6canisme meme tant du mouvement que de ce qui y aboutit et qui s'effectue sous l'empire de la n6cessit6 (Mvt., 7, 701b et s.; 8, 701b33; 702a21; 9, 702b24; 10, 703a28-b2). Notons que c'est mouvement lA qu'Aristote definit comme ?XO('ILOS, terme habituellement traduit par "volontaire" ce qui ne va pas sans difficult6.30

Poussons alors 1'hypoth6se: la diff6rence entre l'humain et l'animal 6volu6 passerait A l'interieur meme de ce qu'il devient difficile d'appeler encore "syllogisme pratique". L'humain aurait cette possibilite qui fait defaut A l'animal de pouvoir s'arreter et developper le raisonnement qui le pousse A agir, en posant la seconde proposition, celle qui pr6cis6ment inclut un jugement universel cons6cutif A cette possibilite de "former une seule image (&pavTaoxsa) A partir de plusieurs" (De An., III, 11, 434a9-10), possibilit6 constitutive de "cette sorte d'imagination qui procede du syllo- gisme", la PoAwXXrm (id., 434al 1). L'humain peut d&s lors "freiner" ce m6canisme:

l'intellect (vov3s) nous pousse A r6sister en fonction de I'avenir, I'app6tit (eimovlit) nous entraine dans la seule vue de 1'immrdiat. (id., 10, 433a7-8)

C'est bien de vitesse dont il s'agit ici, car, pour le mouvement local et/ou l'action pratique, il n'est pas n6cessaire de d6velopper tout le raisonne- ment, ce qui, au sens strict, revient A ne pas le faire. Puisqu'il n'est pas n&cessaire ce raisonnement, on peut d&s lors consid6rer que les humains en ce cas imitent les animaux, tout autant que ces derniers imitent l'humain. Tout se passe en effet comme si les animaux en se mouvant, en "agissant", raisonnaient alors que leur vowrxaaaf a tixakr ne leur permet pas de poser le syllogisme par lequel ils se meuvent pourtant, syllogisme que la plupart du temps les humains ne posent pas non plus, ce qui, sous l'action du desir, les pousse A agir rapidement, sans r6flexion m6diatisante:

27

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 13: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

Les actions que nous faisons sans raisonner (jiL XOYLUEVOL 1Tp6TTo%LEv), nous les faisons rapidement (raxXv). En effet lorsqu'on agit pour atteindre la fin que propose la sensation, l'imagination ou la raison, on fait imm6diatement (Evfvs) ce que l'on desire. A l'interrogation ou A la reflexion se substitue I'acte du d6sir. "II faut que je boive" dit I'appetition; "voici une boisson" dit la sensation, I'imagination ou la raison; et l'on boit aussitot. (Mvt., 7, 701a28-33)

VoilA la faqon dont se meuvent les animaux: jamais ils ne posent de moyen-terme, lequel inclut un principe (id., 701 a2 1) et la possibifit6 d'ef- fectuer ces petits monologues int6rieurs:

"II faut queje fasse quelque chose qui soit bon pour moi; or une maison est quelque chose de bon"; et on fait aussit6t une maison.

"J'ai besoin de me couvrir: or un manteau sert A couvrir; j'ai donc besoin d'un manteau. Ce dont j'ai besoin il faut que je le fasse; j'ai besoin d'un manteau; il faut donc faire un manteau". (id., 701aI7-22)

Ce que veut ici souligner Aristote, c'est que ce raisonnement n'est quasi- mentjamais effectu6 d&s lors que l'on agit sous I'action du ddsir-besoin. En ce sens, les animaux sont toujours "rapides". Que cette description vaille aussi pour les animaux (avec 1'essentielle difference pr6cis6e supra) c'est ce que l'on peut inferer, je 1'ai dejA fait remarquer, du fait qu'Aristote conclut ce passage par "Tca tCgo", mais aussi parce qu'il &crit, A chaque fois, "sen- sation ou imagination ou raison (x';6r vLs, qpavTaaia, vois)", ce qui certes pourrait ne renvoyer qu'aux etres humains mais qui, en ce contexte, paralt bien plutbt renvoyer aux animaux en g6n6ral y compris A ceux qui ne sont pas dou6s de yovwram'a comme en t6moigne la mention de I'atarhaLs.

Ainsi donc, que le raisonnement soit ou non d6velopp& - ne 1'6tant g6ndralement pas, cela permet de penser le mouvement de tous les ani- maux sur le meme mode - il s'agit bien d'un m6canisme. II s'6nonce ainsi:

Au moment meme, pour ainsi dire, oil 1'etre pense qu'il lui faut marcher, il marche, si rien ne vient l'en empacher. En effet, les parties organiques sont pr6par6es comme il faut par les affections (-'n&ON), celles-ci par le d6sir (6pEtLS), et le d6sir par l'imagi- nation (avraoa;). Quant A cette derniEre, elle est produite soit par la pens6e (voiAoLs), soit par la sensation (a'IwOr ats). Tout se passe simultan6ment et rapidement (&RuO, TOXV). (id, 8, 702a 15-20)

Si donc rien ne vient contrer l'une de ces operations, tout se passe "auto- matiquement" comme 1'crit explicitement Aristote (id., 7, 701 b 1-23), rendant par IA le mouvement "volontaire" (kxovtOLos) tout aussi n&cessaire que les deductions op6r6es par les syllogismes.

La fonction de la avwracia est ici fondamentale: (re)presentant le ddsi- rable, elle prepare le d6sir. Cette fonction est telle qu'il semble k6gitime de se demander ce qu'il en est pour les animaux qui en sont prives car l'on ne

28

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 14: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

peut, en ce passage, faire comme si vpawracia et a'LaNhs etaient identiques, puisque cela reviendrait A dire que l'Oea'la Ls qui prepare le d6sir est produite par l'a'rahams. La r6ponse A cette question me semble tenir en ce qu'Aristote a auparavant pr6cis6 que "le desir, cause dernire du mouve- ment, se forme sous l'influence de la sensation, ou de l'imagination et de la r6flexion" (id., 7, 701a35-36),31 laissant ainsi entendre que le d6sir puisse 8tre "directement" prepare par l'WCOYOLS, les animaux dou6s seulement d'aYxtu0Os agissant alorsprestissimo con moto et non plus presto, car aucune mediation n'intervient.

La diff6rence entre les instances productrices de la qxavrauta -v s/ at;00hGLS32 - eclaire celle entre l'humain et l'animal 6volu6: si le prenrier peut posseder une (pavraTat produite par ces deux instances, c'est cepen- dant celle engendree par la voii'as qui le d6finit, tandis que l'animal est borne A une (varraoat engendr6e par la seule a'CoG&qLS. Cette diffTrence r6pond ainsi tout autant A celle du De A nima entre la cofv'rxua atlarL i et la owxvrcda XOyLwTLX,-j3OVUXEVTLX , qu'A celle entre la memoire et la r6mi- niscence ou rem6moration: il y va de la capacit6 de faire des syllogismes au sens fort, strict, et ce, grice A la facult6 d6lib6rative (De An., III, 11, 434alO-12; De Mem., 2, 453a6-14). Enfin, elle explique divers 6nonc6s du Mvt. (700al5-24, 701a4-6, 701a25-bl) oti Aristote, traitant A la fois des humains et des animaux, entrem6le, par un jeu de "et (xao)" et de "ou (j)", des notions se rapportant soit aux deux, soit aux uns, soit aux autres.

En ces &nonc6s, Aristote r6affirme la fonction de la qpov xaLO( comme "discernement" (xpLTLxa en 700a20, cela vaut aussi pour l'xahOrLs), mais introduit la notion de -npoaipwLs, traditionnellement traduite en frangais par "choix, libre-choix, choix r6fl6chi" alors qu'il y est question de "pr& ference", d"'6lection", (aXLp?r6v, axpewis, atpro: prendre), r6gie par un cal- cul, une n6cessit6, ce qui ne renvoie en rien A un quelconque libre-arbitre ou libert6 d'indifference comme y incline facheusement le terme de "choix"'. La ff poaxpeSis, consecutive A la POvXeUVLS, A la ddlib6ration, ne saurait etre employee A propos des animaux, sauf A imaginer un sens particuliRrement lache de "decision", et encore. R6sultat de l'articulation de la PovXevats, qui re1Mve de l'intellect pratique, sur la PoXv1uLs, "souhait", "volonte", qui relMve du desir, la IUpoa;,peCuLs d6signe ici l'operation ef- fectuee par l'humain sur ce que sa yav'ra'a lui pr6sente comme desirable. Cette sp6cificit6 de l'humain lui permet de "ddpasser" le stade du seul desir, autorisant ainsi Aristote A &crire:

I'animal se meut et se dtplace sous I'action du d6sir ou du choix reflechi, apres avoir subi une alt6ration du fait de la perception ou de l'imagination (id., 701a4-6),

29

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 15: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

car, pour qu'il y ait -npoaipewLs, il faut, "pr6parant" le desir, une pavTamia qui ne soit pas sous la seule k6gislation de l'aYoiaIS afin que d6lib6ration et raisonnement/calcul il puisse y avoir puisque

grace aux images (v'rtafLvapaLv) ou grace aux concepts (VO1[aaLV) qui sont dans I'ame, on calcule et d6fibtre (Xoyie'rL Xci IOVXEUETUL), comme si l'on voyait I'avenir en fonction du pr6sent. (De An., III, 7, 43 1b6-8)

L'introduction de la wTpoaLpeaGs, "avec son cortege", permet ainsi, en la rapportant A la difference entre la qcotvT'rCFaicx ILaLOhTLx1 et la pv'Tiaict

XoyLaTxW-POVXevTLx , de mieux comprendre que la qpaVTUoxa puisse etre produite soit par l'c'La4h1aLs, soit par la vo'OLs: la premiere, toute "esth& tique", ne permet que de se representer quelque chose, tandis que la seconde, "logistique", va jusqu'A (re)presenter quelque chose de quelque chose (TL xalTa TLVOS, id., 6, 430b26) et a donc partie liee avec l'enonciation (qP&ULS), alors que la sensation n'en est que semblable (`LoLov, id, 7, 431 a8) et n'implique qu'une sorte, un semblant d'affirmation ou de negation, entrainant la recherche ou la fuite. La difference serait alors moins de "4r6flexion" que de "rfflexivitC", passant entre une reflexion au sens phy- sique et une r6flexion au sens psychologique.

Le Aoyos de la difference

Dans le De Anima, c'est en concluant I'analyse du mouvement (III, 10) qu'Aristote, rappelant la connexion de l'opeiEs et de la CPVTXG(ia, introduit pour la premiere fois la distinction entre la qpxv-TrL'Ot OELaO11TLx' et la q)ov- TanLOt XoyLOTLx, en pr6cisant, sans alors en dire plus, que l'kaOryLaxN est le fait "des autres animaux", c'est A dire des animaux autres que l'humain (De An., III, 10, 433b28-30). II semble prWfrable de rendre "XoyLUTLXW" par "calculante, calculative", plutot que par "rationnelle", renvoyant ainsi A ce que dans l'thique a Nicomaque (VI, 2), Aristote nommait "bo Xo-yLoTLx6Ov", la sous-partie de la partie "rationnelle" de l'ame, A comprendre elle aussi comme "logique, raisonnante". To XoyaLTLxOv33 statue sur le domaine pratique en "calculant" et sa vertu est la qpp6vTaLs, alors que l'autre sous- partie de la partie logique de l'ame se nomme "TbO E'rrLo"vLx6v", scienti- fique, et statue sur le domaine theorique, la coqspa 6tant sa vertu. Com- prendre ainsi la (pOVTWa XOYLU?LX1 6vite d'etre contraint A penser L'kxkr4h- TLX1l comme "irrationnelle", ce qui est trop vite r6gler les questions soule- vees par Aristote A propos de la "rationafitC" ou de "l'irrationafitC" de l9'OLGojLs et de la vpaVTaiLx (id., III, 9, 432a30-b2). L'enjeu de ces textes est en effet moins le rationnel ou l'irrationnel, au sens courant de ces termes,

30

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 16: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

que, par le truchement du Xoyos, un certain rapport au calcul, au raison- nement, au logique.34

Un bref dtour par la Rhe'torique permettra de preciser ce point. On y lit: les d6sirs (hTt0v[xtCv) sont les uns irraisonn6s (aXo-yoL), les autres raisonn6s (p.vr&

X6yov). J'entends par irraisonn6s ceux qui ne naissent pas d'une conception de 1'esprit (,~ EX TO) vrnoXca~LpvELv); tels tous ceux que l'on appelle naturels (qpo?L),

comme ceux qui nous viennent par le corps (... .) Sont raisonn6s, les desirs que l'on eprouve par suite d'une persuasion (?x -ro s'nra0vot) (Rhei., 1, 1 1, 1370a18-25),

ou il y va de la mediation dans l'ordre du d6sir: l'i''vor-%L+s et la 'TTLS font la diffrence. Seront mediatis6s les d6sirs qui peuvent etre dits "raisonnes" du fait qu'ils naissent d'une "conception de l'esprit" (vi'iToATIWs) et/ou d'une persuasion (iTiuTLs). Les uns renvoient donc A une representation me- diatisee, alors que les autres renvoient A une representation immediate, voire A une absence de representation. Tel est le sens de l'opposition Xoyos, LTY X6yov/aXoyos: est dit Rvra' X6oyov ce qui provient d'un certain mou- vement de l'esprit, mouvement d6fini par le savoir-faire une unite A partir d'une multiplicite due A la r6p6tition. La diff6rence entre les deux pxvora- oatu se voit par IA precis6e, car ce que n'ont pas en partage les animaux, c'est, si l'on me permet ce jeu de mots, "la r6flexivit6 de la r6flexion", la mediation qui provient d'une conception de l'esprit, mediation ouvrant l'espace de l'opinion et de la persuasion, ce que ne sauraient faire ni les representations imm6diates de la WVixv'rsXut a0F0rTLxil, ni, afortiori, la seule 'aLOutrs. C'est pourquoi les sensations des animaux ne peuvent etre confondues avec des emotions, ces dernieres tenant moins, selon Aristote, a ce que l'on ressent qu'A l'opinion qui accompagne-produit ce que l'on ressent. De IA resulte que I'ethico-politique soit le domaine reserve de l'humain, car, des lors qu'il y a opinion, il y a moyen d'agir sur elle par voie de persuasion.35

'TToA6X~Ls et iTtLcJTLs expliquent ainsi que la q)OvTcaMct xXOyLaTLx soit dite aussi 3ouXrv_vLxi, deliberative (De An., 111, 11, 434a7). Elle implique, en effet, de mettre en perspective, de calculer, de faire un raisonnement (Xoytcujos, id., 434a8), ce qui ne peut etre le cas que d'un etre qui soit XoYLxoS (id., 434a7),36 logique, raisonnant, calculateur, donc doue de X6yos, capable de mettre en oeuvre des "phantasmes" form6s A partir de plusieurs des v'TroXMrts, des Xoyot, des noEmes A partir desquels on calcule et delibere. Au reste, Aristote n'Wcrit-il pas d'ailleurs que "calculer et delib& rer (sont) une seule et meme chose" (E.N., VI, 2, 1139a7)? Des lors n'etre dou6 que de qpavwram' aiftGnrm ne signifie pas etre d6nu6 de rationalit6 - la description des moeurs des animaux en fera foi - mais signifie etre ddnu6 d'virT6Xq1Ls, avec toutes les consequences entrain6es par ce d6nue-

31

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 17: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

ment. C'est pourquoi Aristote insiste sur la n6cessaire non-confusion entre la aVTarca et l'i"rr6oWr4;Ls (De An. III, 9, 427bl4-27), meme si celle-ci ne peut exister sans celle-lA. Nous retrouvons ici un point de psychologie g6n6tique: l'arret des animaux se situant avant l'vo6X7NJLs, ils ne peuvent "prendre par-dessous-ce-qui-se-succMde" et partant former une opinion.

II n'y a donc nul hasard si, par deux fois dans le De Anima, Aristote fait appel A l'opinion, A la 80ta, pour diff6rencier l'humain de I'animal ainsi que leurs qpavxaoaL'c respectives. La difference semble alors moins renvoyer A la raison qu'A la persuasion, comme s'il n'etait de conception, d'opinion que consecutives A la persuasion. C'est pourquoije me risquerai A parler de "crit&re rhetorique", car si les animaux ont en partage une certaine ratio, priv6s qu'ils sont de 80'a, il n'en va pas de meme de l'oratio. "Rh6torique" d6signera donc ici moins l'art en tant que tel que l'espace intersubjectif et dialogal de l'opinion et de la d6lib6ration, espace humain s'il en est, fermt aux animaux, alors meme que, quoique denues d'vriWiAPLs, ils ne sont pas d6pourvus de rationalit6.

Pour commencer A expliquer ce point, je citerai tout d'abord les deux passages en question du De Anima:

I'opinon (86ta) entraine la conviction (,rriaTrs) (car il est impossible d'avoir une opinion sans y ajouter foi), or aucune bete n'est capable de conviction, tandis que beaucoup d'entre elles poss6dent l'imagination (qpavracia). De plus l'opinion suppose toujours la conviction, la conviction suppose la persuasion (T6 TErdaeaL), la

persuasion la raison (X6yos); or parmi les betes certaines possedent l'imagination mais non pas la raison. (III, 3, 428a20-24)

La raison pour laquelle les animaux semblent ne pas posseder l'opinion (86ta), c'est qu'ils n'ont pas cette sorte d'imagination qui procede du syllogisme, tandis que celle-ci suppose la premiere. (III, 11, 434a10-12)

Or, cette sorte de pav-raxua, c'est celle qu'en ce lieu Aristote nomme Iov'XETLx1. Elle est le fait des etres dou6s de Xoyos, des etres XoyLxo'/Xo-

yLanLxoL. En ce sens il n'est pas indifferent que la partie de l'ame nommee ro Xoyvu'rtx6v soit aussi d6nomm6e botaGTLxov (E.N., VI, 5, 1140b25), renfor-

qant ainsi le lien entre 80oja, (avX) XoyLUJ's et ov'XEvaIs.

C'est pourquoi, si la ov'rxic atnadraTxi peut etre complke avec la 1 jamais elle ne peut l'8tre avec la reminiscence ou rememoration, car pour qu'av&pRv'qoLs il y ait, il faut qu'il y ait To6 IovXEvriXO6V, cette faculte dlhbe- rative qui est tout A la fois opinante, calculante, et raisonnante. Deux textes illustrent bien ce point; je les enchaine:

Un seul animal est capable de reflexion (0BovuXvrwx6v), c'est l'homme. Plusieurs participent A la mCmoire et A la facult6 d'apprendre (gvr ts xai WLaxxv); cependant aucun ne peut se rem6morer comme l'homme. (H.A., I, 1, 488b24-26)

32

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 18: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

Aucun des animaux connus, pour ainsi dire, ne possEde la reminiscence, A 1'ex- ception de l'homme. La cause de ce priviltge est que la reminiscence est une sorte de syllogisme (olov vuXXoyLoy0s) (...) c'est comme une esp&ce de recherche (otov t4rMots). Mais cela n'arrive naturellement qu'aux seuls etres qui poss6dent la facult6 de d6lib6rer (Tr RouXrux6v), car la d6lib6ration ('r6 PoA6ACuwL) est une esp&ce de raisonnement (cyvXXoyLa0os Ts). (De Mem., 2, 453a8-15)37

Le syllogisme, comme raisonnement, calcul, deliberation, donnant lieu A opinion et persuasion, vient donc creuser la difference entre l'humain et l'animal. Le X6yos fondant cette difference renvoie en ces textes A la capacit6 de mettre enjeu la multiplicite de ses experiences, ce qui implique de savoir en cueillir le sens - travail de l'accueillir et du recueillir (Xaji-

v&Lv/XEyALv). I1 y va, me semble-t-il, d'une certaine "subsomption" dans ce travail de "prise-par-dessous", et, par la distance qu'il instaure relati- vement A l'imm6diatement senti, ce travail ouvre "l'espace public" du symbole et du dialogue - j'y reviens - car les prises de position se font en fonction de ce qui semble, (ap)parait tel ou tel (8oxeiv/qaixveCv). De IA r6sulte que cet espace est d'abord celui de la 0xot, de la persuasion: le Xo'yos implique l'espace public et communautaire (xoLvwvLa, ayopa), de la mise en jeu des opinions et "6phantasmes".

C'est pourquoi le vocable "critere rhetorique" pour incertain qu'il soit, ne me parait pas d6nu6 de fondement. On aura en effet remarque que le premier passage cite du De Anima (428a20-24) renvoie explicitement au lexique de la Rhetorique et A sa conception de l'v'rro7XiLs. Dans ces quel- ques lignes, il est en effet loisible d'entendre "discours" plut6t que "raison" en X6yos. Si l'on admet que 'U'riLs, conviction/foi, renvoie ici A l'{V,'rW6+L3, "croyance/adhesion", mais aussi "conception de l'esprit", en ce sens qu'il est difficile de concevoir quelque chose sans y ajouter foi, sans en etre - avoir W - persuade, - ce qui souligne le lien entre V&rOXq+lLs et Xoyos -, alors nous retrouvons ce qui a e dit des "desirs raisonn6s" consecutifs A ces mediations que sont la "conception de l'esprit" et la "persuasion", lesquelles en arrivent A etre quasiment synonymes comme en temoigne le jeu semantique entre rraos et Tb rreo'rOaL ou To mO?vXL. Rien n'interdit alors de penser qu'il n'est pas de conception sans persuasion, et que c'est lA precisement ce qui suppose, d6finit le Xo-yos.

Tout comme les d6sirs irraisonn6s, la qravram;a otlayrL x se trouve ainsi d6finie n6gativement. C'est une "sorte" de pens6e pratique qui, faute de pouvoir proceder A l'accueil rassemblant, n'acc6de jamais au Xoyos, meme "sensitivement". Les animaux, aussi parfaits soient-ils, restent donc inf& rieurs aux esclaves, qui, bien que "compl6tement d6pourvus de la facultM de d6lib&er" (Poi., 1, 13, 1260a12), perqoivent (1d0&veEacL) n6anmoins le

33

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 19: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

Xoyos, tandis que "les autres animaux ne perqoivent pas la raison (ovi Xoyov a6xv6'irva), mais ob6issent A des impressions (TOt"RaOLV i'npEvr)" (id.,

5, 1254b22-24).

La signification de la Tpwvi

11 s'agit maintenant de determiner positivement la qpOvTtOUL'x 0LaTLX.

Ni XOYLcvTLXT ni IovXEVTxil, nous la savons "impresse" sans que pour autant elle se confonde avec la sensation, cette derni&re 6tant d6volue A tous les animaux, tandis que la qPOvWTo('x, plus encore que la pApjlu, n'est le fait que de certains d'entre eux. I1 sera donc question de ces derniers et, parmi eux, de ceux qui sont aussi dou6s de voix (cpwvi) et d'ouie (&xoil), c'est A dire, si l'on en croit la Metaphysique (A, I), de ceux qui sont non seulement intelligents, mais qui de plus possedent la facult6 d'apprendre, voire d'enseigner (cf. .L&aOT1Ls in P.A., II, 17, 660b1; H.A., IV, 9, 536a21, et IX, 1, 608a17-21).

Le fait que l'abeille soit donn&e comme exemple d'animal depourvu d'ouie (Meta., A, 1, 980b23)38 et d'imagination (De An., III, 3, 428a II), incite A lier vparrarwa et c'xoil de telle sorte que ces dernieres representent, lA-aussi, une "plus-value" par rapport A la seule m6moire, instaurant ainsi une hi6rarchie entre les animaux seulement sensitifs, les animaux dou6s de memoire, donc intelligents, et les animaux dou6s d'imagination, d'ouie et de voix, donc intelligents, capables d'apprendre, voire d'enseigner. J'en- tends ainsi developper cette hypothese: de meme que la paVTUVia XoyLo-

xt-ovXEvTLx se comprend par rapport au Xoyos, de meme la WaVTaXiL

xLOO'9yrL v est A comprendre par rapport a la lawvi. Si tel est le cas, alors la diff6rence entre l'humain et l'animal, telle qu'elle se donne A connaitre A travers celle de leurs qpaVTJLOLL, serait bien A rapporter A des criteres logico-linguistico-rhetoriques, crit&res qui seront de grande consequence sur la nature de la communaute form6e par les differents types de vivants communautaires.

J'argumenterai ce point en soulignant tout d'abord les differences de structure entre le XOyos humain et la qpwvi animale. Ces differences me semblent reposer sur celle qui A mon sens existe entre le oa44oXov, r6serv6 au Xoyos human, et le au%idov qui pris au sens strict est r6serv6 A la qwvN animale. Ces deux termes, comme je le soutiendrai, ne doivent donc pas etre tenus pour synonymes car si synonymie il y a, elle est plus restreinte et se situe entre le at4v4oXov et lIovoRua. Ces diffrrences ne tendent, on le verra, A s'estomper que quand Aristote a en vue la fonction de communication en g6n6ral mais elles se pr6cisent A nouveau d&s lors qu'on prend en consid&-

34

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 20: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

ration les objets de cette fonction. Ce sera lA mon dernier point. Ces deux termes continueront ainsi de preciser ce quej'ai nomme "critere rh6torique" car, d'une part, le Uvi$P3oXov me semble faire echo A l' UrroX'4, et d'autre part parce que les termes par lesquels Aristote, en Pol., I, 2, 1253a7-18, distingue les contenus signifies par le Xoyos et par la qcwvi' renvoient explicitement A ce qui est objet de debat.

Je mentionnerai tout d'abord cette capacite d'apprendre due A l'ouie, et par consequent, on le verra, A la voix. Ce point est d'importance car les consequences de l'ouie sont telles qu'elle peut venir contester A la vue sa supr6matie parmie les sens. Dans le De Sensibus (1, 437a 1-17) Aristote 6crit en effet que, pour le vivants doues de r6flexion (ppO'vIS), l'ouie contribue accidentellement A l'intelligence (vois) car, fournissant des differences de sons et de voix, elle contribue pour une tr6s grande part, quoiqu'acciden- tellement, A la pensee (cppovqats) du fait que

le langage est la cause de l'instruction (X6yos a'xTtos E'TL T1S RJaOeWs axovoT6s W,v),

non en lui-meme mais indirectement (xcx'ar cruL4EPx6s): il se compose de mots ('t Ovo[L6rTv yap airyxELTaL) et chacun des mots est un signe (o6v4oxov). (id., 437a 12-15)

Si en cet endroit, Aristote a en vue l'humain comme le lexique en temoigne (vovs, X6oyos, ovo,ua, aivi4oXov - ce dernier devant plutot etre traduit par "'symbole" afin de preserver 1'essentielle difference entre le ov,u4oXov et le rnmidov, "signe"), il n'est pas sdr cependant que cela ne se puisse entendre que des humains. En effet, outre que la qppo6vqs entendue comme intelli- gence ne suffise pas A caract6riser l'humain, Aristote, relativement aux animaux, ecrit quelque chose de trEs semblable dans leurs "histoires":

Quelques animaux participent A une capacit6 aussi bien d'apprendre que d'ensei- gner (OiaOE.s xa; 6L&axaMots), que les le9ons leur viennent de leurs semblables ou bien des hommes: ce sont tous ceux qui ont en partage la facult6 d'entendre, c'est A dire ceux qui non seulement perqoivent les diff6rences entre les sons, mais qui distinguent aussi les divers sens des signes (Tav arluErv CV S OO&7TaL T&as B&xPop&s: les diff6rences des signes). (H.A., IX, 1, 608al7-21)

Cette capacite de distinguer les differences rapproche ces animaux de l'humain qui cependant "perqoit mieux que tous les diff6rences" (G.A., V, 2, 78 lb 18-19). La finesse de l'ouie implique ainsi une meilleure commu- nication orale:

La comprehension des paroles prononc&s ( [L6t4OLS -YiVETMT aV XEyop.Lvwv) permet de reproduire ce qu'on a entendu (G.A., V, 2, 781a26-27),

ce qui, comme l'indique le contexte de ce passage portant sur la finesse de l'ouie et de l'odorat, et malgre 1'expression "'rCiv Xryop?v )v", semble valoir aussi pour les animaux: comprehension et reproduction sont proportion-

35

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 21: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

nelles A la finesse de l'ouie, mais aussi A l'agilite de la langue et c'est pourquoi les oiseaux occupent une place privil6gi6e parmi les animaux dou6s d'&xo' et de cpv et tout particulierement les plus petits d'entre eux c'est-A-dire ceux qui chantent le mieux; car, ayant la langue plus dli6e que les autres, ils s'en servent "pour se comprendre entre eux" (P.A., II, 17, 660a35-36: ep vqav &o XijXots) au point, precise Aristote en renvoyant A I'H.A., "qu'il semble y avoir certaines esp6ces oui ils s'instruisent (Ii&OraLtv ELvotL) mutuellement" (id., 660b 1). En effet, dans 1'H.A., IV, 9, Aristote allait jusqu'A attribuer A certains oiseaux un SL&AEXTOS (id., 536a21, 536b1 1-12) distinct de la qcp et faqonnable par l'Mducation car, dit-il, "l'on a meme vu un rossignol apprendre ('Tpo088&axouoa) A chanter A un petit oiseau" (id., 536b17-19).

M&0aOLS, &&XEwros, ip,uiveva semblent ainsi donner plus de poids aux propos d'ouverture de la Metaphysique, mais l'on ne peut pour autant assimiler la pwvij A un Xo6yos quand bien meme il est arrive A Aristote d'employer au moins deux fois ce terme (P.A., III, I, 662a21 et 26) A propos de la fonction de la bouche chez certains animaux, que l'on ne peut ici aussi reduire aux seuls humains en raison meme et du contexte et de la nature de l'argument comme je tenterai de le montrer par la suite. 11 faut donc s'interroger sur la qcpvi en tant que facult6 donnee A certains animaux et, pour ce faire, se rendre attentif au vocabulaire d'Aristote qui en tous ces passages ne me semble pas incertain, comme on le dit parfois, mais au contraire pr6cis quoique nuance, ce que l'on appelle "flottement" me semblant plutot dfi A des nuances introduites en fonction de ce qu'Aristote a alors en vue.

Ainsi l'on aura sans doute remarque une difference de vocabulaire entre De Sens., 1, 437a 12-15 et H.A., IX, 608a 17-21: alors que dans le De Sens. il s'agit de Xoyos, vovs, ovo[w et av'44oXov, dans 1'H.A. il est question d'une diff6rence entre le son (4oipos) et le signe (a,uetov). La voix dont sont dotes certains animaux semblent donc devoir etre bien distingu6e du 6'cpos pour etre rapport6e au ua%iov, mais, et c'est LA ce que je voudrais montrer, jamais elle ne peut etre rapport6e au oa44oXov car ce dernier est un 'ovo[ta lequel implique articulation, convention, composition. Mon hypothese sera ainsi la suivante: si la difference des pawrctat'aL est A comprendre relativement A celle du Xoyos et de la qpwvi, c'est en raison de la diff6rence entre le awqRdov, le signe, et le uvil33oXov, le symbole - difference qu'il s'agit maintenant d'expliciter.

Le trait6 de la Ggneration des Animaux (V, 7, 786b23-25) renvoie expli- citement au De Anima pour la fin et la definition de la voix chez les animaux. On peut y lire en effet:

36

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 22: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

tout son (%46rwos) 6mis par un animal n'est pas la voix (pwvri) (... .) mais il faut que l'etre qui produit le choc soit anime et mette en oeuvre quelque representation (qavTaricx). Car la voix (qpwvi) est assur6ment un son charg6 de signification (alav,rxos 46qos). (De An., II, 8, 420b29-33)

La voix se distingue donc du son car ele a pour fin de signifier, ce qui necessite quelque qpaxvrctaio. Apres avoir rappel que toutes les fonctions autres que le toucher existent en vue du bien-vivre (or6 ?V'), Aristote rdser- vera les dernieres lignes du De Anima a cette "signification":

L'ouie a pour fonction la perception de certains signes (orrs aLcamv1TO.L) et la langue (yX&xTrTrcv) la communication par signes avec autrui (brrfs xRlavn). (III. 13, 435b24-25)

II s'agit donc bien ici A la fois de fin et de definition, et cela pour les animaux doues de voix et non pour les seuls humains comme l'indiquait dejA le renvoi opere par G.A., V, 7, 786b23-25 et comme tend I l'indiquer aussi I'argument par les deux fins de l'air et de la langue39 present tant dans le De An., (II, 8, 420b16-29) que dans le De Resp. (11, 476a16-26) et sous une forme voisine, pour la bouche, dans P.A. (III, 1, 662a16 et s), argument dans lequel il n'est pas de raison de r6duire les fonctions TO' ?V aux seuls humains mais oti il faut plutot les entendre comme valant pour certains animaux, ceux qui pr6cis6ment sont "parfaits" car dou6s de pwwvi.

Voici I'argument:

La nature utilise l'air inspire (rC &varrvEoivw) A deux fins, comme elle emploie la langue pour le gout et le langage (rj y&Xri &ii rv yEVOlV xxi 'v &8XExTov): le goat est une fonction necessaire (ddvolue pour cette raison A un plus grand nombre d'animaux), tandis que la faculte d'expression vise A la perfection de l'individu (ipliuveka 9VEXv ToV eV); c'est ainsi que la nature emploie le soume pour entretenir la chaleur interne n6cessaire A la vie (la cause en sera donn6e ailleurs) et pour produire la voix qui procure la perfection du vivant (xoi 1Tp6O Trv qpwviv, bi".,s t'rrpX& r 7w'). (De An., 1I, 8, 420b17-22)

Malgr6 les termes ipivLveia et &X'ex'ros, cet argument, introduit pour diffdrencier la q&pv' du Vo6pos me semble aussi valoir pour les animaux, d'ailleurs le De Resp. pr6cisera qu'il vaut pour certains (ivOS) animaux tout en employant aussi le terme ip rqveCa, terme dejA employe dans le P.A. pour les oiseaux, on I'a vu; voici la phrase en question:

pour certains animaux (kvios) elle se sert de la langue et pour le gotit et pour le langage (Ir yX6TT-rr 'npbS 'TE TOVS xUROiS xau npTs 'OSTrV ipv'eqav). (De Resp. 11, 476a18-19)

Pour tous ces textes, il me semble en aller de meme que pour l'usage de Xoyos en P.A., III, 1, 662a21 et 26: c'est parce qu'Aristote a en vue la

37

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 23: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

fonction de communication exercee par la cpwvi A la difference du simple

4,6cos qu'il peut user de termes aussi forts, mais cela ne signifie pas pour autant que tant la structure de ce "langage" que ses objets soient identiques A ceux du Xoyos.

II faut en effet remarquer que de la meme faqon que la signification (cf. les termes a',udov, OXaL'VELV, (7?L(OVTLXOS f6qpos, q)v'rTaaa, EpVeVa ... ) fait diff6rer la cpwvi du %po6pos, de la meme faqon l'articulation fait diff6rer le Xoyos de la jqwvi et entraine que le signe se fasse symbole et que par lA le "langage" se fasse "discours" d'o'u ce que j'ai pr6c6demment nomme "crit&re rhetorique" et que l'on pourrait aussi nommer "critere logico-lin- guistique".

Ce n'est en effet que parce que certains oiseaux produisent des sons articulks (&pOpos) que par extension l'on peut parler A leur propos de &t&XE'rOs, au sens pr6cis de langage articul, car A proprement parler ce n'est IA qu'une "esp&ce de langage" (W"aOrEp La"NExTOV, H.A., IV, 9, 536bl 1-12) du fait que "ce dernier est propre A l'homme" (id., 536b2), puisque c'est une chose distincte et de la voix et du son (id., 5335a27-28):

Le langage est l'articulation de la voix par la langue (&6cXExTos 8'1 rrs qxpv7s E0TL Tl

YX),Tr1 StapOpwaLs) (id., 535a30-3 1)

des lors

tout etre qui possEde un langage (8LaXExTov) poss&de aussi la voix (xn'ivv), mais les etres qui ont une voix n'ont pas tous un langage. (id., 536b2-3)

Autrement dit c'est la qualit6 de l'ouie et de la langue, mais aussi des dents, des l1vres, de la bouche qui fait que seul l'homme utilise le X6yos, car la matiere (vXiN, G.A., V, 7, 786b21) du Xoyos c'est la cpwvi. La seconde fonction de la langue donne ici son maximum et ce n'est donc pas un hasard si, lorsqu'il s'attache A la fonction des lMvres chez l'humain (P.A., II, 16, 659b27-660a13), Aristote faisant r6f6rence A cette double fonction de la langue parle alors de X6yos (659b33, 660a1, 660a3) en le rdf6rant a "I'as- semblage des lettres" (o R?v yap Xoyos O 8&t T-s cvpw v X T' V ypOR&Trv

OVYXELTatL, 660a3). L'humain est donc ce vivant "plus-que-parfait" qui "emet des phonemes", pour reprendre la traduction de P. Louis (P.A., III, 1, 661b13-15), phonemes qu'il "combinera" (uUvyxELTCL, mais aussi auv'TEX- XElV et Tpo3aiXeM v en P.A., II, 17, 660a23-24). Le Xdyos entendu comme &&XXEXTos, c'est donc I'articulation de la voix par la langue aid6e des lvres et des dents, laquelle articulation est celle des "lettres" (yp il1max), voyelles et consonnes (q)wvi cvTix, &qT,vu, H.A., IV, 9, 535a32-33).

Les diff6rences de structure et de sens entre le Xoyos et la qpwvi sont ici

38

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 24: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

intimement liUes. Tandis que les sons de la voix animale, g6n6ralement peu ou pas articul6s, sont immediatement significatifs, nous savons d'aprWs la Poetique 20, qu'il n'en va pas de meme pour l'humain, sauf A se comporter comme un animal et l'on peut d'ailleurs plutot craindre qu'A refuser de discourir il ne soit que semblable A un v6g6tal selon le mot de la MWtaphy- sique (F, 4, 1006a 15). La signification chez l'humain ne commence en effet qu'avec le mot, l'ovoca, d6fini comme "q)wvi uFvvOerr u >VTIX" (Poet., 20, 1457a 10). Pour faire sens l'humain doit composer en les articulant des sons non significatifs qu'ils soient indivisibles, telles les lettres, ou divisibles telles les syllabes. A la difference du son indivisible animal, le son indivi- sible humain non significatif est une "lettre" (aTOLXEdOV, un 61kment) car il n'existe qu'en vue d'entrer dans la formation d'un son compos6.

A s'en tenir A la terminologie du De Int., un tel 6vopa doit etre nomm6 oav[LoXov et non seulement aq[teov, terme qui peut aussi convenir aux animaux (cf. H.A., IX, 1, 608a21 mais aussi Pol., I, 2, 1253al 1, sans oublier l'usage r6p&t6 du verbe cM[tvetv A propos de la cpxvA animale). Un indice de ce fait etait dejA apparent lorsque j'ai mis en parallUle H.A., IX, 1, 608a 17-21 et De Sens., 1, 437a12-15: alors que 1'H.A. s'appliquant aux animaux employait le terme GaijEtOV, De Sens., ici r6serv aux humains, employait les termes aivpoXov et `vopa. Dans le De Int., Aristote, A l'arti- culation ou composition qui dejA fait differer la voix animale de la voix humaine, ajoute la convention et la "symbolisation". Alors qu'il nomme "signes" les sons de la voix animale, il nomme "symboles" ceux de la voix humaine car ils necessitent articulation, composition et convention. La mediation qui anime la langage humain le rend "interpr6tatif", et non plus seulement "indicatif"' comme tend A le dire la definition de l'ovo,ua:

Le nom (-vopuo) est un son vocal poss&dant une signification conventionnelle (qfpvi uqRaVrLx1 xcTor avvexilv), (. . .) et dont aucune partie ne pr6sente de signification quand elle est prise sEpar6ment. (. . .) Signification conventionnelle, en ce que rien n'est par nature un nom, mais seulement quand il devient symbole (yEvr1TX ovi4Lo- Xov) car meme lorsque des sons inarticul6s (&yp&p*uaroL 41oqPOL), comme ceux des betes, signifient quelque chose (8X\oiiL TL), aucun d'entre eux ne constituent ce- pendant un nom. (De Int., 2, 16al9-29)40

Oil l'on voit qu'Aristote etablit une "synonymie" entre 'ovopxo et a44oXov afin d'opposer la signification conventionnelle humaine A la signification naturelle animale. "Symbole" semble donc ici renvoyer A "son vocal si- gnificatif par convention" et par IA s'etendre non seulement A l'ovo,ua, au nom, mais encore au verbe (pi1u), et A la phrase (X6yos).41 La signification par convention du symbole renverrait alors peut-etre, mutatis mutandis, A ce qui vaut pour le verbe: "etre le signe (awqRtov) de choses dites d'autre

39

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 25: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

chose" (id., 3, 16b7) comme si le parler symbolique renvoyait A cette mediation, mise A distance qui fait defaut aux animaux dont la voix ne prend jamais position sur leurs etats d'ame mais les "revelent", les indi- quent. Le cvi44oXov serait alors un lriEiov de second degr6, ou, si l'on me permet ce clin d'oeil A Martinet, de seconde articulation. Un indice, faible je l'avoue, nous en est donne par ce fait que si la qpwvil est un O?LRxVTLXoS

op6qos (De An., II, 8, 420b32-33), le av"ooXov, lui, qu'il soit ovo,ux, pjjla, ou Xoyos, est une qcpvi orJFaLVTLX1 parce que avvOvrij et XaTaT auvVOxrv.

En resume, mon interpretation fondee sur les usages et contextes des termes wqRdov et rvn3i3oXov, repose sur ces differents points: 1. Aristote emploie le terme nitiaov, le verbe a RiaLvrtv etc A propos de la qpvj animale mais A ma connaissance jamais le terme ai443oXov. 2. Le terme at'443oXov, liU A I'ovolux est r6serv6 A I'humain. I1 implique articulation, composition et convention. 3. On peut tenir le terme aiui%ov pour le genre de l'espece wmeRov pro- prement dit (son vocal significatif animal) et de t'espece ov,aioXov (son vocal significatif humain). 4. La synonymie entre ces deux termes doit alors etre reduite et n'interve- nir que dans des contextes ofu Aristote a en vue soit le seul humain - il emploie alors ui44ooXov ou aij1eiov, mais plutot uv44oXov on l'a vu - soit la fonction de communication et/ou expression en g6n6ral et il emploie alors le terme an11uWov en tant que genre.

Fort voisine de la distinction que nous ferions aujourd'hui entre le signal et le signe, et prefigurant en quelque sorte la th6orie de la double articu- lation chere A Martinet, cette difference entre le aiietov et le ovuf4oXov, paradoxalement, justifie 1'existence d'une ?pRlvcvoa animale liee A la vxv- T'auif oatrOTLX: jouant des sens de ce mot, nous pourrions dire qu'au signe animal correspondrait une Fp',uRveia faible, simple "facult6 de traduction" induisant des comportements et exprimant des sensations, alors qu'au symbole humain correspondrait une EpnIvELa forte, 'facult6 d'interpr6ta- tion" mettant en jeu des opinions 6nonciatives affirmant ou niant quelque chose de quelque chose.

Conclusions politiques

La difference entre la (pwvi et la Xo-yos explicite donc celle des 4pavtaWJL. Si le meme trait fait defaut aux animaux, savoir la capacit6 de faire retour, de mettre A distance, partant de raisonner, il n'en reste pas moins que les caracteristiques de la voix et de l'ouie permettent d'6tablir une hi6rarchie entre la twvAIq et la cpavTaiot, toutes deux renforcant cependant la

40

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 26: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

connaissance qui commence d'etre acquise grace A l''oOiaLts. Mais elles font plus encore: elles permettent aux animaux qui en sont dot6es de presenter de "nombreuses imitations" de la vie humaine ('rroXX&a pL>faxa, H.A., 1IX, 7, 612b1 8). C'est pourquoi j'incline a voir en elles, et surtout en la cvprroaa relayee par la wvi et/ou &xo', cette faculte naturelle qui permet A certains animaux de presenter des rapports d'analogie avec ce qui chez l'humain est "art, sagesse, intelligence" (H.A., VIII, 1, 588a28-3 1), les rendant ainsi "plus politiques" ('rroXLTLX"repOV, id., 589a2) que les animaux doues seulement d'cataOa.

Bien que, dans un texte plus que c6l6bre (Pol., 1, 2, 1253a7-18), Aristote semble lier la "politicit6" humaine au X6yos, tandis qu'il rapporte la "po- liticit&" ou "sociabilit6" animale A la qvp, il faut cependant remarquer que la m6moire suffit A rendre "politiques" certains animaux. C'est en effet au moins le cas de l'abeille, toujours classee parmi les animaux "politi- ques" et "intelligents", bien qu'elle soit, on l'a vu, priv6e de povToraun, d'&xo' et de qpwv1. Qu'en ce passage de la Politique, elle soit le seul animal nomme, n'autorise pour autant pas A la doter de qwXv afin de la rendre "politique", puisque la memoire y suffit. Avant d'en venir A la Politique, je ferai remarquer que l'abeille, ainsi que d'autres animaux parmi lesquels se trouve I'humain, n'est pas seulement un animal "vivant en troupe" (&ye- Xata, H.A., I, 1, 487b33-488al4), c'est A dire avec d'autres mais sous la loi du chacun pour soi (id.), mais que c'est un animal "politique" ('roXvrLx6s, id.), or se definissent tels "ceux qui agissent tous vers un but commun"' (id., 488a8), qu'ils soient soumis A un chef, telles les abeilles ou les grues, ou qu'ils n'aient pas de chef, telles les fourmis et une infinite d'autres (id.). Aristote fait donc ici une difference entre la simple cohabitation et la "politicitd". Tout se passe comme si ce qu'il disait dans l'tthique a' Nico- maque, IX, 10, 1 1 70b 10- 14, A propos de la vie en soci&t6 des humains, savoir que "il n'en est pas pour eux comme pour les bestiaux oil elle consiste seulement A paitre dans un meme lieu", valait aussi pour ces animaux "politiques" et non pas seulement "gr6gaires". La "politicit6" implique au moins une organisation sociale comme en t6moigne la description de l'organisation du travail chez les abeilles (H.A., IX, 40), "au moins"' car le politique humain n'est pas reductible i 1'6conomique.

Ainsi d6finie, la "politicit6" ne peut venir creuser la difference entre l'humain et l'animal doue au moins de m6moire. Dire que l'humain est un "animal politique" ne peut d6s lors le faire difftrer de l'animal que, pour employer les termes memes d'Aristote, "selon le plus et le moins" (H.A., VIII, 1, 588a25), meme si cela vient contredire une certaine tradition qui s'autorise pr6cis6ment de la Politique pour justifier une diffTrence de

41

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 27: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

nature entre I'animal et l'homme, ce dernier etant politique parce que seul dou6 de Xo'yos, oil l'on se plalt alors A entendre "la Raison". Contre cette tradition "m6taphysique", dont le point culminant fut paradoxalement la these de l'animal-machine chez Descartes, j'argumenterai pour finir.

Aristote fait en effet preuve de plus de prudence, et c'est ce que je voudrais continuer d'6tayer en tirant les fils de la diff&rence entre le Xoyos et la cpqvi, difference A penser conjointement A celle des qowvTraaaL comme j'ai tentW de le montrer en soulignant que la diff&rence, A l'amont, entre 1'cx'L'G0aLs et la qpexvwraua, surtout quand celle-ci est liee A la voix et A l'ouie, rend, A 1'aval, plus complexe la diff&rence entre I'animal "parfait" et l'humain. Cette diff&rence semble devoir moins s'entendre comme une difference de nature due A la ratio, que comme une diff6rence de degr& fond6e sur des crit&res rh6toriques et logico-linguistiques, crit&res modi- fiant le rapport au mouvement et A l'action, A la communaut6, en tant que ce rapport est tributaire de l' pprive. x que l'on a en partage. J'en viens donc maintenant aux "objets" signifies tant par le X6yos que par la qxwvi, et, pour ce faire, je commencerai par citer, longuement, la Politique:

D'apr6s ces considerations (Ex Torrwv), il est evident (xpovp6v) que la cite est une realite naturelle, et que l'homme est un animal politique par nature (qpGCL 1XLTLXbV

<Cpov), et celui qui est sans cite est, par nature et non par hasard, un etre ou degrade ou superieur A l'homme: il est comme celui A qui Homere reproche de n'avoir "ni clan, ni loi, ni foyer", un homme tel par nature est en meme temps avide de guerre, il est comme un pion isolM au jeu de dames. Ainsi il est evident (8L6TL . . . 8iXOV)

que l'homme est un animal politique A un plus haut degre (a&XXov) que toute abeille ou tout animal gr6gaire (ayeXaiov). En effet, comme nous le disons, la nature ne fait rien en vain; or seul d'entre les animaux l'homme a le discours (X&yos); sans doute la voix est-elle le signe de la douleur et du plaisir (q: WvA TOV XVqMpOi xai ios EOTL o'jieov), aussi appartient-elle aux autres animaux: leur nature, en effet, va jusqu'A ([iiXpL) avoir la sensation-perception ('EX'LELV &Oiaawv) de la douleur et du plaisir et A se les signifier les uns aux autres (jLivaiv &xXX11XoLs) mais le discours (Xbyos) est en vue de la manifestation (E'rL TX 8rqXOUV 'OTL) de l'utile et du nuisible, et par suite du juste et de l'injuste (rb avptqipov xai TO PXaOEp6V, 'orTE XXi T6 &XwlOV Xui

TO &&txov): tel est, en effet, le propre C(&ov) des hommes par rapport aux autres animaux, seul il a la sensation-perception (TO [6vov . . . a'aOLV Ex'v) du bien et du mal, du juste et de l'injuste, et des autres (valeurs); or la communaut6 (xotv.v.a) de celles-ci fait la famille et la cit6. (Pol., I, 2, 1253al-18)

Sans entrer ici dans le detail de l'argumentation de ce texte, il faut cepen- dant remarquer, afin de bien saisir les differences, le statut particulier de l'argument par la finalit6 tant du Xoyos que de la q)wvi. En effet pour 6tablir la "politicite" par nature du vivant humain, Aristote n'invoque pas d'emblee la distinction Xoyos/.wQvi: 'IX TOVTLwV qeLvEpov, d'apres ce qui precede" ouvre ce passage qui d6bute en 1253a1, passage qui d6duira en 1253a2-3 que "la cite est une r6alite naturelle et que l'homme est un animal

42

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 28: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

politique (OXLTWXOV tov)". Or, ce qui pr6c6de, c'est la gendse naturelle de la cite A partir des premieres unions n6cessaires, c'est donc cette genese qui rend evident 1'existence par nature de la cite et la definition de l'homme comme "ICov %OXLTLXOV". Le couple "Xoyos/qwv" quant A lui, n'inter- vient que plus tard, A partir de 1253a7: il n'est pas presente comme une deduction A partir de ce qui pr6cMde, mais comme une justification sup- plementaire. A partir de 1253a7, Aristote &crit en effet: "8LOTL . . . S\Xov, le pourquoi est evident", or ce qui est evident maintenant ce n'est plus que l'homme soit un animal politique, mais c'est pr6cis6ment qu'il le soit '4t&XXov, A un plus haut degrV", du fait qu'il soit dou6 de Xo6yos et non pas seulement de qPwvi.-

En ce sens il n'est peut-etre pas insignifiant qu'A la qpwvi soient associ6s les termes aiLtdov et aUwitvEv, tandis que le 'Xyos est dit ?rri Trj 8qX0oiV.

Certes ces termes peuvent etre tenus pour synonymes, et l'acte du verbe q&X6ow semble meme pouvoir etre tenu pour inferieur A I'acte de nommer,

de symboliser (cf. SXovom, De Int., 2, 16a28), n6anmoins si l'on m'accorde que "signifier" n'est pas encore "symboliser", alors cette difference d'ex- pression, inversant ici la hi6rarchie du De Int., indice d'une difficult6 A tenir en ces contextes ces expressions pour synonymes et t6moignant sans doute d'une volonte de diff6rencier la signification humaine de la signifi- cation animale en se referant tant A leur procEs qu'A leurs objets, alors, dis-je, cette difference d'expression n'est peut-etre pas indiff&rente, en ce qu'elle traduirait la difference des objets de ces deux verbes. Elle montre- rait que pour le Xoyos, contrairement A la qpwv1, il y va d'une certaine mediation, laquelle implique non pas que l'humain soit un animal poli- tique, mais qu'il le soit "Ii&XXov, plus que, A un plus haut degr6 que l'abeille ou tout autre animal gregaire", car son Xo-yos dit "l'utile et le nuisible et par suite le juste et l'injuste", tandis que celle de l'animal ne "traduit" que "la douleur et le plaisir". La difference des Vparc?alt est donc plus quejamais pr6sente, elle entraine une difference de "politicitV".

Que "'4&XXov" puisse aussi se traduire par "plutot que"42 - tendant ainsi A induire plutot une difference de nature que de degr& - ne va pas A 1'encontre de mon argument. Une telle interpretation pourrait en effet presenter l'avantage de mieux cerner la diff&rence entre la "politicit6 hu- maine" et la "politicit6 animale", car elle soulignerait que ce ne serait que "par extension" que les animaux autres que l'homme pourraient etre qualifi6s de "politiques", puisque, comme l'6crit Aristote lui-meme, il ne peut y avoir de so'Ms d'esclaves ou d'autres etres vivants en g6n6ral, c'est A dire d'animaux ou d'etres inf6rieurs, car tous ceux-lA ne participent ni au bonheur, ni A la rrpoa(p,EaLs (Pol., II, 9, 1280a33-35). Dire que les animaux

43

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 29: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

ne sont "politiques" que "par extension" rdduit ainsi leur "politicitV" A quelque chose comme une sociabilit6 domestique, ou economique. Sans doute, dans l'H.A., est-ce IA le sens du terme "TOXLrlx6s", en lequel, sauf A faire une metaphore hardie, nous ne pouvons entendre "IOTXLS". Mais alors ",N&XXov, plutot que", en reservant "iOTvLTO's" au vivant humain, rend difficilement compte de l'usage de ce terme, sinon de cette notion, dans l'H.A.., sauf A user de la cat6gorie "usage par extension". LA-contre, en tvitant d'avoir recours A cette cat6gorie trop peu rigoureuse, la traduction usuelle de "[t&XXov" par "plus que, A un plus haut degr6 que" me semble pr6f6rable. Mettant en avant une difference 6thico-rh6torique due au Xo- yos, elle est tout A fait compatible avec les 6nonc6s de Pol., III, 9, et pr6sente de plus l'avantage de mieux faire echo A M'H.A.: redoublant la difference entre gr6garisme et "politicit6", la traduction usuelle de "t&XXov" intro- duit une difference A l'int6rieur-meme de la "politicite". La "politicitV" du vivant animal serait ainsi avant tout "kconomique", tandis que celle du vivant humain impliquerait cette "plus-value 6thique" qu'A la difference de la cpwvi, dit le X6yos fondateur de la ?f6XLS.

Le Xoyos marque donc bien la difference de "politicitC". Je voudrais faire remarquer pour conclure que cette diff6rence ethique est port6e par la rh6torique. Le Xo6yos manifeste en effet ce sur quoi porte le discours de l'orateur politique: l'utile et le nuisible, sujets d'opinion et de d6lib6ration, utile et nuisible dont le juste et l'injuste semblent etre une consequence comme le souligne ce "par suite" (W"GTe), en lequel on peut sans doute voir un correlat de la subordination du juste au politique: le juste se definit par rapport aux lois qui sont elles-memes soumises aux constitutions (Pol., IV, 1, 1289a1 1-20). Ce que le Xoyos manifeste, il le manifeste donc dans les harangues (Ta' &v)Iul-yopLxa), les discours du genre ddlib6ratif (avjiPovXEuvL- xov) qui se font devant le peuple rduni en son assembl6e dans "l'espace public" (6fios, &yopac), discours portant sur tout ce qui int&resse les ci- toyens et la cite: revenus, guerre et paix, protection du territoire, importa- tion et exportation, legislation (Rhet., I, 4). Soit sur ce qui est utile ou nuisible pour l'avenir de la cite; sur cela, l'orateur conseille ou deconseille dans l'ordre du possible ou de l'impossible puisque "l'on ne d6lib6re que sur les choses qui dependent de nous et sont faisables" (9EpiL TrVv ?p' >itV XtL

npacrxCv, E.N., III, 5, 1112a30-31). Le juste et l'injuste "juridiques" se manifestent quant A eux par le genre judiciaire (8&xovtxOv), soit le plaidoyer qui accuse ou defend A propos de la r6alit6 ou de la non-r6alit6 d'&v6ne- ments passes. Ainsi, ce que le Xoyos manifeste est "couvert" par deux des trois genres oratoires 6tudi&s par la Rhetorique, le troisieme ttant le genre 6pidictique qui porte sur le beau et le laid.

44

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 30: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

Plus que la rationalite, c'est bien l'ethico-rhetorique qui fait diff6rer l'humain de l'animal, ce qu'encore une fois la Rhetorique vient souligner en posant que la harangue est "moralement plus belle et plus politique" (Rhkt., I, 1, 1354b23-24) que le plaidoyer, car, bien que ce dernier ait pour lui l'usage de preuves plus "scientifiques",43 il vise surtout A capter l'audi- teur en parlant hors de la cause. I1 y a meme plus: l'orateur politique, qui au mieux n'a A sa disposition pour preuves que des "exemples", tires soit de faits anterieurs, soit de libres inventions, telles la parabole (srpapxioxi) ou les fables didactiques (X6yoL) (Rhet., II, 20, 1393a28-3 1), cet orateur, parce qu'il doit se montrer "honnete homme" (FimcLni: equitable), doit plutot se soucier "de se montrer vertueux que de presenter une argumentation rigoureuse" (id., III, 17, 1418a40b1). En politique, l'Nthique prend donc le pas sur le logique, et s'ouvre A l'esthetique du style (X_'LS) et de la mise en scene (V6?OxpLaLs), comme si le bien-dire du dire-le-bien se devait d'etre aussi un beau-dire. Ainsi cette imagination que l'on dit "rationnelle", la 4pavrTama XoyyLrx-oovuXvTLx1, qui est A la source de la difference ethico- rhetorique, se fait "paradoxalement" esth6tique car il ne faut imaginer fables et paraboles - preuves plus frequentes que les faits historiques - que "si l'on a la facult6 de voir les analogies (rvvaL TO OROlOV op&v)" (id., 11, 20, 1394a4-5), or bien apercevoir les analogies, les ressemblances, c'est IA "bien m6taphoriser" (?V >?ETWpELV TO TO OROiOV OEW,pElV EaTLv, Poet., 22, 1459a7-8). L'apparaitre serait d&s lors tant au depart qu'A l'arrivee, expli- quant par IA la ressemblance entre la fonction du conseiller et celle des phantasmes qui sont dans l'ame: calculer et deliberer comme si l'on voyait l'avenir A partir du present, et ce afin de voter.

Tant dans le De A nima que dans la Politique, la rhetorique vient creuser la difference en faisant de l'humain un etre 6thico-politique parce que rh6teur, discoureur-calculateur. Soulignant qu'en toute rigueur l'6cono- mique (= vivre) ne saurait d6finir le politique (= bien-vivre), le petit mot "I,&XXov" precise la diff6rence des vpar(aiL: si parce qu'ils ont les facult6s n6cessaires pour cela, certains animaux peuvent etre qualifi6s de "politi- ques", jamais pourtant ils ne seront dits "ethico-politiques". L'6thique n6cessite une Vparraoia XoyLC?Lxi-PoVXeVTL d qui ne saurait se satisfaire d'un discours seulement apophantique, mais qui, rh6torique, s'anime, afin de mieux persuader, du souci d'6mouvoir, tant par le style que par la "dramaturgie de la parole".44

45

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 31: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

NOTES

* Je remercie les Prof. J. Barnes et J. Brunschwig dont les conseils et critiques, A la suite de la lecture d'une premiere version de cette etude, m'ont 6t6 d'un grand secours. 1 Cf. Lettre a Morus, 5 f6v. 1649, in Descartes, Oeuvres philosophiques, tome III, Ed. F. Alquie, Paris, 1973, p. 886. 2 Cf. Discours de la Mtthode, V, kd. E. Gilson, Paris, 1967, p. 58. 3 Il faut remarquer qu'Hegel entendait ainsi X6yos en Pol. I, 2, 1253a. Cf. ses Le(ons sur l'Historie de la Philosophie, tome 3, pp. 590-591, trad. P. Garniron, Paris, 1972. 4 0. Hamelin, La thtorie de l'intellect d'apres Aristote et ses commentateurs, Paris, 1981, p.7. 5 Martha Craven Nussbaum, Aristotle's De Motu Animalium, Princeton, 1978. Je dois beaucoup A cet ouvrage fondamental dont je suis en gkn6ral les conclusions, tout parti- culi6rement celles de 1'essai IV sur "le syllogisme pratique" (pp. 165-220) et de l'essai V sur "le role de la phantasia dans l'explication aristotelicienne de l'action" (pp. 221-269), quand bien meme je suis parfois amen6, comme on le verra, A les restreindre A certains animaux. En plus de son grand int6ret pour l'ex6gtse aristot6licienne, ce travail ouvre de nombreuses perspectives pour la philosophie contemporaine, ce qui le rend encore plus essentiel. 6 William W. Fortenbaugh, Aristotle: Animals, Emotion and Moral Virtue, Arethusa, 4, 1971, 137-165; Aristotle's Rhetoric on Emotions, Archivffur Geschichte der Philosophie 52, 1970, 40-70, repris dans Articles on Aristotle, 4, Psychology and Aesthetics, edited by Jonathan Barnes, Malcolm Schofield, Richard Sorabji, London, 1979; Aristotle on Emotion, London, 1975. 7 Malcolm Schofield, Aristotle on the Imagination, in Aristotle on Mind and the Senses, ed. G. E. R. Lloyd and G. E. L. Owen, Cambridge, 1978, repris dans Articles on Aristotle, 4. Je le cite dans cette dernidre edition. 8 Corn6lius Castoriadis, La decouverte de l'imagination, Libre 3, Paris, 1978, pp. 151-189. Cet article est extrait d'un ouvrage A paraitre, L'element imaginaire, dans lequel I'auteur cherche A montrer comment l'imaginaire radical a de tout temps &6 occulte par la Raison. 11 s'agit d&s lors pour lui de montrer comment la d6couverte de l'imagination par Aristote a 6t6 recouverte tant par lui-meme que par la tradition. 9 Op. cit., p. 106 et 109, n. 20. 10 Id. 11 Id. 12 Op. cit., p. I15, n. 35, p. 118, n. 41, p. 126. 13 Op. cit., p. 113. 14 Op. cit., pp. 109-1o0.

15 Martha Nussbaum, op. cit., pp. 257-261 et pp. 268-269. 16 C. Castoriadis, op. cit., p. 153. 17 Op. cit., p. 154 et 160. 18 Op. cit., p. 171. 19 Op. cit., p. 172. 20 Id. 21 La fonction "critique" ne doit pas etre confondue avec une "facult6 de juger", terme dont on se sert trop souvent pour traduirer6 XpLTLx6v. Ce point est bien mis en lumi&re par Martha Nussbaum, op. cit., pp. 232-233 et 333-334. Rodier traduisait dejA par "facultF de discernement". Cf. son Traite de l'&me, Paris, 1900, tome I, pp. 198-199.

46

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 32: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

22 D. W. Hamlyn, Aristotle's De A nima, Oxford, 1968, p. 153. 23 On m'objectera peut-etre qu'il est hasardeux de se fonder sur H.A., IX dont I'au- thenticit6 est contestee car il humaniserait trop les animaux. Je n'entends pas ici entrer dans ce debat, mais je dois avouer qu'il ne me semble pas contenir quoi que ce soit qui puisse vraiment etre etranger A Aristote. Sur ce point je suivrai volontiers W. W. For- tenbaugh qui dans son Aristotle: Animals..., pp. 152-155, souligne que les 6nonces delicats se retrouvent aussi dans les P.A., dont l'authenticite n'est pas contest6e. Qu'il me soit donc permis par avance de repondre A une eventuelle objection qui pourrait m'etre faite quant A la faculte d'enseigner (,u&0ais) chez les animaux, qui se trouve mentionnee dans H.A., IX, 1, 608al7-21, en faisant remarquer qu'Aristote fait appel A cette faculte non seulement en cet endroit, mais encore dans H.A., IV, 536a21 et dans P.A., II, 660bl, ce qui devrait suffire A attester I'authenticite de cette faculte. 24 Op. cit., pp. 122-123. 25 Op. cit., p. 244 et s. 26 Op. cit., t. II, pp. 428-429. 27 Op. cit., pp. 236-237. Sur l'extension de la "ravTaaxa A tous les animaux, voir aussi David J. Furley, Self Movers, in Aristotle on Mind and the Senses, pp. 176-177; J. B. Skemp, Orexis in De Anima III, 10, ib., pp. 184-185; Rodier, op. cit., pp. 419-420 et 552. 28 Cette correction est suivie par Martha Nussbaum et Rodier, tandis qu'Hamlyn et Barbotin (Paris, 1966) conservent le texte original. Quant A la correction proposee par Forster: xai excAixt pour fi ox0XrxL, comme l'a fait remarquer Hamlyn, elle ne me semble pas vraiment regler la question de maniere satisfaisante (op. cit., p. 54, n. 1), et c'est pourquoi il me semble encore preferable de conserver le MS. 29 Une certaine tradition s'obstine A presenter cette conception comme "intellectualiste" - tout comme d'ailleurs celle du voivs et de l'a';oUrLs in An. Post., 11, 19 - alors meme qu'elle vaut aussi pour cet animal qu'elle dit "irrationnel, prive de l'intellect" . . . N'ou- blions pas que, meme si l'objet desirable est "repr6sent6", Aristote precise que "l'intellect ne meut pas sans le desir" (De An., III, 10, 433a23) et qu'il "trouve le principe de son propre mouvement dans le desirable" (id., 433a 19-21). Par ailleurs, ce mouvement est tres "mecanique" et releve de fonctions communes A l'Ame et au corps. lci aussi je me permettrai de renvoyer aux travaux de Furley, Nussbaum, ou Skemp qui tous insistent sur ce point. 30 Cf. 1'excellent article de J.-P. Vernant, tbauches de la volonte, in Mythe et Tragedie en Grece Ancienne, Paris, 1972. 31 Le grec disant xai et non pas , je ne vois pas de raison de traduire par "ou" comme le fait P. Louis; il commet l'erreur inverse en 701a4 (cf. infra). Ces deux negligences pervertissent le jeu subtil des xai et des il en tous ces passages du Mvt. 32 Remarquons qu'une qXvTraJa produite par la v6ylLs ne semble pas au premier abord particulierement compatible avec la definition canonique de la qciav'raxic comme "mou- vement produit par la sensation en acte" (De An., III, 3, 429al-2), mais r6sonne ana- chroniquement de faqon plotinienne. La compatibilite s'etablit des lors que l'on pense qu'Aristote a ici en vue la distinction entre la wav'crot aiahrTxT et la v'rauix XoyLo- TLXA-IRovXruTLX~: la pavraaia produite par la VkTqs n'est pas independante de l'a''uftrLs mais renvoie A cette capacite humaine de depasser la simple ac'Nots et de produire un seul "phantasme" de plusieurs, partant d'avoir des opinions, et de raisonner/calculer/ deliberer A leur propos. 33 Que dans le De An., Ill, Aristote conclut le ch. I 1 en mentionnant la partie ou faculte de l'ame nommee To k1TRoOVtX6v, "scientifique" (434al6), confirme le rapprochement

47

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 33: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

avec l'E.N. pour la division de la partie "logique" de l'ame en Tr XkoyLGTLXoV/To &TTLO-

T'qILoVLxoV.

34 C'est pourquoi les traductions anglaises employant plut6t le couple logical/alogical que rational/irrational me semblent prWfErables A l'usage fransais. Elles ont de plus l'avantage de mieux conserver le grec. Remarquons que meme issue du latin, il est un couple permettant d'eviter le couple "rationnel/irrationnel", c'est le couple "raison- nant/non raisonnant", qui a pour lui de mieux serrer le pensee aristot6licienne, en tant qu'il inclut plus directement, en franqais courant, les notions de raisonnement, de calcul, de d6libdration. 35 Ce point a 6t6 bien mis en lumiere par Fortenbaugh, op cit. 36 Certains manuscrits donnent "XoyLarLxoLs" pour "XoyLXOLS" en 434a7, et d'autres donnent seulement "&XXovs" pour "&X6yov9" en 434a6. Ces variantes autour de I'avoir- le-X6yos et de son non-avoir concourent A indiquer qu'il semble Wtre ici moins question de la raison comme rationalite que du raisonnement comme calcul developpe, comme discours. 37 Si l'on peut comprendre pourquoi le traducteur de l'H.A. a rendu lovXeVrLx6v par "r6flexion", j'avoue ne pas comprendre pourquoi celui du De Mem. a rendu r6 3ovXtv- TLXV et 'r fU0Ev0JaL respectivement par "faculte de vouloir" et "volition", locutions g6n6ralement employ6es pour traduire 0o6kiis. 38 Dans l'H.A., Aristote, plus dubitatif, ecrit: "il n'est pas du tout evident qu'elles (- les abeilles) entendent" (IX, 40, 627a 17-18). 39 11 faudrait analyser patiemment ce mouvement aristot6licien montrant la nature se donner deux fins dans le meme organe et le confronter avec ce principe bien connu selon lequel "la nature ne fait rien en vain", principe que la Politique sp6cifie ainsi:

la nature ne fait rien avec parcimonie comme ces artisans qui forgent les couteaux de Delphes, mais elle fait chaque objet pour un seul usage; chaque instrument, en effet, ne peut remplir parfaitement sa fonction que s'il sert, non A plusieurs usages, mais A un seul (I, 2, 1252b1-5)

alors que l'on peut lire ailleurs que la nature realise toujours le meilleur parmi les possibles (p. ex., Du Ciel, II, 5, 288a2-3; Marche des A nimaux, 2, 704b 15-18), ce qui n'est pas tout A fait la meme chose. Cette analyse ne pourrait etre sans incidences sur cet autre principe selon lequel la nature ne d6libtre pas (p. ex. Phys., II, 8). 40 Je laisse ici de c6t6 la question du temps. Ce temps, contrairement au nom, le verbe I'ajoute A sa propre signification. D6velopper ce point m6nerait sans doute A preciser le critere logico-linguistique difftrenciant la perception du temps chez l'animal et chez l'humain: le temps est essentiel au Xoyos et non pas A la qpvir, mame si les animaux dou6s de Rvii,1 en ont une certaine perception, due A ce "principe de la sensibilit6 par lequel nous connaissons le temps" (De Mem., 1, 449b22-a22). Cf. Nussbaum, op. cit., p. 193 et pp. 263-264. 41 Sur tous ces points, on se r6ferera au precieux commentaire de J. L. Acknrll qui accompagne sa traduction du De Interpretatione, Oxford, 1963. 42 Cf. R. G. Mulgan, Aristotle's Doctrine that Man is a Political Animal, Hermes, 102, 1974, 438-445, et son Aristotle's Political Theory, Oxford, 1977, pp. 23-28. Sur cette question, il resterait encore A savoir si &ycXatos a le meme sens in Pol., I, 2, 1253a8, et in H.A., I, 1, 487b33-488al4. Dans la Politique, Aristote identifie-t-il "politicit6" animale et gr6garisme, afin de r6server la "politicite" A I'humain et le gr6garisme aux animaux? Ce ne serait gu6re compatible avec l'H.A. qui prend soin de distinguer, A l'intnieur des animaux &yeXata, ceux qui sont seulement &yeXa-a de ceux qui sont 'rONXLTLXi. Pour

48

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 34: Imagination humaine et imagination animale chez Aristote

rendre ces deux textes compatibles, deux possibilit6s me semblent ouvertes: si &yeXaXtWS dans la Politique d6signe tous les animaux, alors ce terme designe le grand ensemble des animaux &yeXaia, qui comprend les 'rroXLtx&, ceux qui vivent en troupe et ont un but commun, mais aussi les asopa8x&x ou "seulement y EXcxo'", ceux qui vivent en troupe mais sous la loi du chacun pour soi (H.A., I, 1, 488a2-3); par contre, si dans la Politique &yeXaaos ne d6signe que le sous-ensemble des eifopa8xX&, alors on peut penser que l'abeille repr6sente le sous-ensemble des ITOXLTLX&. Quoiqu'il en soit, dans un cas comme dans l'autre, rien n'autorise A restreindre le sens de 1TOXLTLXOS au seul etre humain, et ce d'autant plus que l'homme appartient tant A la cat6gorie des OovasLx& qu'A celle des &-yEsXaa (H.A., I, 1, 488a7). Ce dernier point rend encore plus probl6matique une 6ventuelle opposition entre l'homme "vraiment" politique et l'animal "'seulement" gr6- gaire. 43 Il y a en effet deux sortes de "preuves logiques", de preuves ne relevant que du discours: les enthym6mes, qui sont A la rh6torique ce que le syllogisme, la deduction, est A la dialectique - ce sont IA les preuves dont se sert le plaidoyer, car il porte sur le passe -, et les paradigmes, les exemples, qui sont A celle-ci ce que l'induction est A celle-ia, - preuves dont se sert la harangue, car elle porte sur l'avenir. 44 Cf. R. Barthes, L'ancienne Rhetorique. Aide-memoire, Communications 16, Paris, 1970, p. 197.

49

This content downloaded from 192.231.202.205 on Thu, 27 Nov 2014 11:26:28 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions