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Bureau de dépôt de Liège X - Bimestriel - P104033 Slow press Fermer les Banques éthiques Veiller à son « propre » argent 5 4 1 4 3 0 6 1 8 0 1 3 0 0 0 9 7 0 Quel juste soutien ne se réussit pas, il Small is beautiful mai & juin 2013 | n° 97 | 6,50 Le logement comme Louer, rénover, construire écolo-abordable

Imagine demain le monde

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Slow press

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Fermer les

Banques éthiquesVeiller à son « propre »

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Quel juste soutien ne se réussit pas, il Small is beautiful

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Le logement comme

Louer, rénover, construire écolo-abordable

Page 2: Imagine demain le monde

2[imagine 97] mai & juin 2013

C’est le printemps pour

les banques alternatives,

-

gement ! Avec l’annonce

mis en lumière.

Sale temps, par contre,

et pour les banques qui

troubles. L’affaire

le moins que l’on puisse

Lors de la crise financière de 2007-2008, trois des quatre plus grandes banques du pays (BNP Paribas Fortis, Dexia et KBC) seraient tombées en faillite si l’Etat

n’était pas intervenu à coups de milliards pour les sauver. Du fait qu’elles étaient considérées comme too big to fail, « trop grandes pour (pouvoir) faire faillite »,leur chute aurait engendré un chaos préjudiciable pour tous. Via les caisses de l’Etat, les citoyens ont donc dû payer pour les tirer d’affaire.

Les sept péchés capitaux des banques

Cinq ans plus tard, alors que les Etats vont de plans d’austérité en tentatives de sauvetage de pans entiers de l’économie, les choses ont-elles fondamentalement évolué chez les banquiers ? Jusqu’il y a peu, seulement de façon marginale. Preuve en est la mise en ligne, en octobre dernier, d’un site baptisé « Les sept péchés capitaux des banques » (1), par le député européen Ecolo Philippe Lamberts, fin limier des pratiques bancaires. Le moins qu’on puisse dire est qu’il en donne une image peu réjouissante (voir le tableau ci-contre). Et l’eurodéputé de dépeindre en ces mots les péchés des banques ainsi que les remèdes à leur administrer.

leur fait accumuler les risques. Il faut donc procéder au démantèlement des banques dont le bilan dépasse les 100 milliards d’euros.

: à ces dealeuses et consommatrices de produits toxiques (subprimes, etc.), il faut interdire de mettre sur le marché des produits financiers qui présentent trop de risques.

: elles utilisent l’argent de leurs clients pour spéculer. Il convient donc de contraindre les banques univer-selles à opter pour le statut soit d’une banque de détail, soit d’une banque d’investissement.

: elles socialisent leurs pertes, l’Etat ayant dû intervenir pour les aider. Pour l’éviter, il faut les obliger à couvrir leurs dépôts d’épargne.

: l’accumulation frénétique du capital contribue aux rémunérations hors normes des banquiers. Il faut intro-duire une taxation confiscatoire des hauts revenus.

: elles utilisent une mul-titude de subterfuges pour maquiller leurs comptes ou échapper à l’impôt, notamment via les paradis fiscaux. « Il est urgent de pénaliser ces pratiques, préconisele député. Les sanctions envisageables pourraient inclure le retrait de la licence bancaire, l’interdiction de faire appel à l’épargne des particuliers ou encore la taxation des flux financiers à destination ou en provenance des filiales situées dans les paradis fiscaux. »

: en empruntant à très court terme sur les marchés financiers, les banques financent à moindre coût leurs activités spéculatives, ce qui les fragilise quand le marché se tarit. Pour freiner ce phénomène, une mesure parmi d’autres serait de taxer les sources de financement instables.

Les douze valeurs de New B

De même que nous ne changeons pas faci-lement de mutuelle, nous ne changeons pas facilement de banque. Mais tous ces comportements scandaleux ont fini par créer, chez de nombreux citoyens, une envie forte d’autres perspectives pour leur argent.Dans ce contexte, l’annonce de la création de New B, le 31 mars dernier, constitue une heureuse nouvelle (2). Dans les starting blocks depuis plusieurs années déjà, cette banque coopérative, soutenue d’emblée par une soixantaine d’ONG (une trentaine d’autres seraient sur le point d’y participer) a connu un démarrage en flèche : 10 000 coopérateurs en 48 heures ! Puis un rythme de croisière s’est

installé. Au moment de clôturer la rédac-tion de ce magazine, à la mi-avril, plus de 36 500 personnes avaient souscrit une part symbolique de 20 euros pour exprimer leur volonté de prendre part à la création de cette nouvelle banque. La décision de lancer effectivement les activités sera prise le samedi 6 juillet, lors d’une assemblée générale des coopérateurs où l’on s’attend à voir des milliers de participants. Le capital minimum légal pour lancer le projet est de 6,2 millions d’euros. « Nous avons travaillé pendant une année avec des financiers pour établir un plan d’affaires, explique Bernard Bayot, direc-teur du Réseau Fa, à la tête du projet de la New B. Notre espoir était de rassembler 10 000 coopérateurs en cent jours de campagne de recrutement, grâce à des soirées d’information d’ici fin juin. Mais le succès est tel que nous allons revoir nos chiffres », explique-t-il. Et qui sont ces coopérateurs ? « Des personnes proches des mouvements sociaux qui soutiennent directement le projet, mais aussi un plus large public composé de gens qui veulent retrouver leur ancienne banque coopéra-tive par exemple, comme la CGER ou la Bacob, et qui manifestent leur adhésion à des valeurs positives. »La New B a inscrit dans ses statuts les douze valeurs suivantes :

à travers des dizaines d’associations et des dizaines de milliers de coopérateurs.

en proposant aux clients des produits et services simples à com-prendre.

à travers des investisse-ments dans l’économie réelle, en Belgique essentiellement.

en excluant tout produit ou projet nuisible à l’environnement et à la société.

dans toutes les activi-tés de la banque.

en favorisant des solu-tions originales pour le développement d’une économie sociale et écologique.

des clients-coopéra-teurs, qui occuperont le siège du conduc-teur lors des assemblées générales.

par le partage équilibré des bénéfices entre les épargnants et les coopérateurs.

via l’accès aux services bancaires pour tous.

dans la gestion écono-mique.

cultu-relles et sociales entre les personnes.

New B a pour objectif d’offrir tous les services de base d’une banque ordinaire auxquels le particulier peut prétendre :les opérations sur les comptes courant et d’épargne, les retraits d’argent dans les distributeurs Mister Cash et Bancontact,

Veiller à notre

New B, que l’on prononce New Bee, comme

« nouvelle abeille » ? En termes d’image,

l’abeille est le symbole par excellence de

l’économie coopérative.

Page 3: Imagine demain le monde

Edito

[imagine 97] mai & juin 20133

ainsi que toutes les formes de crédit. « Notre objectif est de proposer une banque qui pèse sur le marché belge. Ce qui implique d’avoir un capital signifi-catif. On parle de plusieurs dizaines de millions au départ. Cet argent viendrait de trois sources : les coopérateurs, qui seront invités à augmenter leurs prises de participation lorsque la banque sera effec-tivement lancée. Pour être coopérateur, le plancher est de 20 euros et le plafond de 3 000 euros environ, ce qui permet de toucher un dividende de 190 euros par an (6 % maximum), sans aucune retenue fiscale à partir du moment où l’institution sera agréée par le Conseil national de la coopération. Les trois Régions du pays, qui ont aidé financièrement à la réalisation des études et au lancement de la campagne de recrutement des coopérateurs, seront également invitées à participer à son capital. Et il y aura enfin des investisseurs privés, capables de mobiliser rapidement des sommes importantes, ce qui permettra de conserver un rapport acceptable entre le volume de crédits octroyés et les capitaux disponibles. »Et le personnel ? « Il y a déjà une dizaine de personnes qui travaillent au lancement. Et nous recevons de très nombreuses lettres de candidature émanant de per-sonnes qui occupent des fonctions à tous les niveaux dans le secteur bancaire »,témoigne-t-il encore.

Triodos : vingt ans d’expérience en Belgique

« Nous n’avons pas été étonnés de l’inté-rêt suscité par l’annonce de la création de New B, réagit Olivier Marquet, directeur depuis dix ans de la filiale belge de la banque Triodos. Nous considérons New B comme un allié qui va contribuer à faire croître l’intérêt de la population pour les banques éthiques. Le nombre de visites sur notre site a ainsi doublé depuis début avril. »La banque Triodos est une société ano-nyme créée aux Pays-Bas en 1980. Elle a ensuite implanté des filiales dans plusieurs pays européens : en Belgique (1993), au Royaume-Uni (1994), en Espagne (2004) et en Allemagne (2009). L’année dernière elle a mis un pied en France. En chiffres, Triodos est aujourd’hui la plus grande banque éthique en Europe, avec 5,3 mil-liards de total de bilan, 437 000 clients et 788 collaborateurs.En Belgique, Triodos compte 57 000 clients et a octroyé des crédits pour 721 millions d’euros, principalement dans les domaines des énergies renouvelables, de l’immobilier durable, de l’économie sociale et de la culture alternative. L’an dernier, les dépôts de la clientèle ont dépassé 1,1 milliard d’euros (+ 14 %). Le bénéfice net de la succursale belge a atteint 9,8 millions en

2012. Et le siège, situé rue Haute à Bruxelles, compte 91 collaborateurs. « Sur le papier, explique Olivier Marquet, entre New B et Triodos, tous les objectifs sont quasi les mêmes. Parlons donc de ce qui nous différencie. New B fait le choix de la coopérative, tandis que nous avons fait celui de la société anonyme, il y a plus de 30 ans, parce que cette structure juridique nous paraissait être celle qui nous permet-trait d’assurer la croissance la plus rapide. Nous connaissons en effet une croissance moyenne de 20 % par an. Ce qui signifie qu’en crédits octroyés aux clients, il faut assurer une croissance annuelle de 30 %,car les crédits s’amortissent. Aller au-delà de 30 % de crédits, c’est entrer dans des zones à risques. »Selon le directeur de Triodos Belgique, c’est l’accompagnement des clients dans le montage de leurs projets qui fait une bonne part du succès de la banque. « Uneimportante partie de notre métier consiste à bien sélectionner les projets dans lesquels l’argent des épargnants va être investi. Nous devons consacrer du temps et des compétences à la structuration des crédits. Nous avons développé une grande expertise dans le financement d’un ensemble de secteurs, comme les maisons médicales, les maisons de repos ou encore les éoliennes par exemple, avec 450 mou-lins à notre actif, dont 200 en Belgique. Et pour ce qui concerne la relation avec nos clients, actionnaires et épargnants, nous organisons chaque année une journée qui est entièrement dédiée à leur écoute. »Triodos offre déjà tous les services ban-caires liés aux comptes à vue aux Pays-Bas, en Espagne et en Allemagne. Elle va

faire de même en 2014 en Belgique. La crise que connaît le secteur bancaire est favorable aux banques éthiques. « Le contexte contribue à notre développement,constate Olivier Marquet. En Espagne, nous ouvrons 5 000 à 6 000 nouveaux comptes par mois. C’est la situation glo-bale du pays qui explique cette croissance, ainsi que l’ouverture de points de vente locaux. Nous allons tester ce dispositif en Belgique en 2014. Si c’est concluant, nous ouvrirons des agences dans différentes villes belges. »

Son « propre » argent

Etymologiquement, faire crédit, c’est croire (credere) en quelqu’un ou en une institution. L’épanouissement des banques éthiques, ce sont des citoyens qui expriment un profond désir de croire à un autre modèle de relation de l’homme avec l’argent.« Selon Spinoza, il existe deux émotions fondamentales : la joie et la peur, explique le philosophe Patrick Viveret (3). Il faut apporter de l’eros pour faire pendant au thanatos, au caractère pathogène du modèle actuel. Au couple démesure-mal de vivre, il faut répondre par le couple positif simplicité-joie de vivre. »Et cela passe aussi par l’attention que chacun porte à ce que la banque fait (de démesuré, de mal ou de triste, de joyeux ou de bien) de notre « propre » argent.

(1) www.pechesbancaires.eu(2) Lire également les interviews dans le supplément Demain le monde.(3) Dans un entretien avec Bénédicte Manier, auteur de Un million de révolutions tranquilles, Les Liens qui libèrent, 2012.

« propre » argentLa météo des banques

Les premiers actionnaires de BNP Paribas sont l’Etat français (17 % du capital) et l’Etat belge (11,

Source : Philippe Lamberts, sur la base des rapports annuels 2011 des banques citées.

Page 4: Imagine demain le monde

4[imagine 97] mai & juin 2013

BioLe jardinier-maraîcher

En couverture

RechercheQuelles sciences pour penser

le nouveau monde ?

Politique

Energie

Ethologie-Science

Reportage

coopérer est une réalité

Chine

BolivieEvo et les machos

Nord-Sudd’échange

de savoir-faire

ColombieDroits de l’homme

accords commerciaux

Chroniques

par

La culture dans tous ses états,

SantéUn accouchement

Demain le monde

Adresse, téléphone, fax et courriel23, rue Pierreuse/ B-4000 LiègeTél : 04 380 13 37 / Fax : 04 225 94 [email protected] - www.imagine-magazine.comTVA : BE 0479.486.737

RédactionLaure de Hesselle ([email protected])Jean-François Pollet, chef de rubrique Nord-Sud([email protected])André Ruwet, rédacteur en chef ([email protected])

Chroniqueurs et collaborateurs réguliersEtienne Bours, Thierry Detienne, Jean Faniel, Christophe Haveaux, Philippe Lamotte, Isabelle Masson-Loodts, Geof-froy Matagne, Valérie Mostert, Amélie Mouton, Claude Semal, Pablo Servigne, Pierre Titeux , Sandrine Warsztacki et Arnaud Zacharie

Ont également collaboré à ce numéroGauthier Chapelle, Eric Ravenne, Johan Verhoeven, Edith Wustefeld

Illustrations Julie Graux, Kanar, Katherine Longly, Manu et Stiki

Corrections - Claude Bouché

Abonnements et gestion fi nancièrePascale Derriks - Tél-fax : 00 32 (0)4 380 13 [email protected]

Partenaires rédactionnelsCNCD-11.11.11 & IEW

CouverturePhoto : Cyrus Pâques / TransitionsGraphisme : Scalp

Régie publicitaireExpansion Partners - rue de Jausse, 109B-5100 Wierde - Namur Sébastien Devresse : 081 71 15 [email protected] sur demande ou consultez notre site www.imagine-magazine.com

Graphisme SCALP - Tél : 04 234 94 89 - [email protected]

Impression

Imprimé à 6000 exemplaires avec des encres végétales sur papier 100 % recyclé et blanchi sans chlore

RouteurAccess - Parc industriel des Hauts-Sarts25, rue d’Abhooz - 4040 Herstal - 04 256 50 03

DistributionAMP - Bruxelles (kiosques et librairies)

Editeur responsableAndré Ruwet23, rue Pierreuse/ B-4000 LiègeLes textes publiés peuvent être reproduits,après autorisation écrite de la rédaction.

AbonnementsBELGIQUE : 35 €

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vous recevrez Imagine sans vous soucier de l’échéance de votre abonnement. C’est aussi

la formule la plus effi cace. Elle évite l’oubli, les démarches administratives inutiles et nous épargne

des frais de rappel coûteux. Bien sûr, vous restez libre d’interrompre votre domiciliation à tout moment, en

le signalant à votre banque. Une carte à compléter se trouve dans ce magazine.

1 an à 35 € pour 6 numérosPaiement par virement bancaire,

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1 an à 30 € pour 6 numérosVous cherchez un cadeau original à offrir à unede vos connaissances ?Offrez-lui un abonnement d’un an à Imagine.Un cadeau sympa pour des parents ou des amis, à l’occasion d’un anniversaire, d’une fête ou d’un événement particulier.Un cadeau marquant, original et durable, puisqu’il serenouvelle six fois par an.

Vous pouvez bien sûr offrir une domiciliation.Si vous le désirez, nous avertirons l’heureux béné-

EUROPE : 55 € (6 numéros)RESTE DU MONDE : 60 € (6 numéros)Paiement par via Fortis 001-3917998-50 (code Iban BE86001391799850 - code Bic GEBABEBB07A)

Anciens numéros: s’informer auprès du service abonnements

Pascale Derriks Tél-fax : 00 32 (0)4 380 13 [email protected]

Le magazine de la métamorphose écologique

Imagine demain le monde paraît six fois par an, en janvier, mars, mai, juillet, septembre et novembre. Créé en 1996 et géré depuis 2002 par l’équipe qui le réalise, Imagine est indépendant de tout groupe de presse ou parti politique. Résolument tourné vers l’émancipation citoyenne, le magazine traite de sujets se rapportant à l’écologie, aux relations Nord-Sud et aux grandes questions de société.

Clôture de la rédaction de ce numéro, le 15 avril. Le prochain numéro sortira début juillet.

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Sommaire

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22

24

2 Edito 6 Zoom 44 Cuisine & Ecodilemmes

46 Coups de cœur culturels 49 Agenda 50 Livres

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100%

Page 5: Imagine demain le monde

Le vignoble Galleren biodynamie

Dans un récent article sur la coopérative Vin de Liège (1), nous signalions l’existence

d’un ensemble d’autres vignobles en Belgique, dont un certain nombre en « agriculture

raisonnée », c’est-à-dire soucieux d’utiliser des doses « raisonnables » de produits chimiques

de synthèse dans leur vignoble. Parmi eux, écrivions-nous, celui de la famille Galler, à Vaux-

sous-Chèvremont (Chaudfontaine), planté en 2009. C’était une erreur.

« Nous pratiquons activement la biodynamie et sommes résolument bio », nous explique Justine Galler. Et comment se sont déroulées ces toutes

premières vendanges ? « 2012 fut une année atypique et difficile (gelées tardives, climat

propice au mildiou, été pluvieux…). Néanmoins les efforts ont payé, nous avons pu vendanger des raisins sains ! Les quantités récoltées sont

bien moindres que celles espérées (à peine 80 litres de blanc et 60 de rouge au lieu des

400 litres attendus), mais les cuvées sont pro-metteuses, nous sommes très satisfaits des résul-tats. 2012 sera indéniablement un millésime de vigneron (2). Nous commençons par le pire et pourtant nous avons pu maintenir un vignoble

sain tout en restant bio, c’est la principale leçon que nous tirons de l’expérience. »

(1) Imagine n° 94, novembre-décembre 2012.(2) Expression employée quand la météo « fait des siennes ».

VoituresAjoutez 2 000 euros à vos frais de carburant !

L’avez-vous remarqué, vous aussi ? Malgré votre vigilance pour réduire votre consommation (lever le pied, veiller à la pression des pneus, ne rien laisser traîner qui puisse alourdir le véhicule…), votre voiture consomme entre un cinquième et un quart de plus que ce qui est annoncé par le constructeur.

L’explication ? Les tests officiels sont manipulés. Et les consommations publiées par les constructeurs sont, en moyenne, 23 % plus basses que les chiffres réels. Voilà ce que révèle un rapport publié le 13 mars dernier par la fédération européenne Transport and Environment (T&E) (1).Mais comment font les constructeurs pour tricher ? Selon ce rapport, ils utilisent des vé-hicules spécialement préparés à cet effet. Ils mettent en œuvre une vingtaine d’astuces, en exploitant des échappatoires et flexibilités pour améliorer l’image « verte » de leurs voitures. Quelques exemples : ils surgonflent les pneus, appliquent des bandes adhé-sives pour boucher les fentes autour des portières, utilisent des lubrifiants spéciaux, diminuent le poids des véhicules, réalisent des tests en altitude (là où la résistance à l’air est moindre), à des températures élevées et sur des pistes à la surface impeccable-ment lisse, etc. Au bout du compte, par rapport à un usage « normal » du véhicule, cela fait une sacrée différence. Environ 2 000 euros de frais supplémentaires en carburant à débourser par l’automobiliste moyen sur la durée de vie de son véhicule. Gloups !Pour Pierre Courbe, chargé de mission Mobilité chez Inter-Environnement Wallonie, « les constructeurs abusent aussi les législateurs, vu que les objectifs fixés par les règlements européens visant à abaisser les émissions de CO2 des voitures et des ca-mionnettes neuves ne sont in fine respectés qu’en laboratoire et pas sur la route. La seule manière de rétablir la confiance et d’atteindre effectivement les réductions de CO2imposées est d’interdire les tours de passe-passe dans les procédures de tests ».Depuis 2006, T&E demande que soit introduit un nouveau cycle de tests, afin de véri-fier que les performances des véhicules sont conformes aux résultats des tests des constructeurs. En vain ! Lobby, quand tu nous tiens…Parmi les réactions possibles à la portée des écoconsommateurs : privilégier encore et encore les véhicules qui consomment réellement le moins. Quand ceux qui consom-ment trop se vendront moins, ils disparaîtront des chaînes de fabrication.

(1) www.transportenvironment.org/realworldemissions

Zoom

[imagine 92] juillet & août 20125

Les premiers raisins, étalés sur de la paille, et manipulés avec le plus grand soin.

[imagine 97] mai & juin 20135

Justine Galler et sa toute première récolte de rouge.

Comment les constructeurs manipulent les tests de consommation de carburant

Page 6: Imagine demain le monde

La balance de la justice vient de retrouver un peu d’équilibre dans l’affaire des « 11 de Wetteren », ces activistes condamnés à des peines de prison disproportion-nées pour avoir remplacé des pommes de terre transgéniques par des patates biologiques dans un champ d’essai en plein air, en mai 2011 (1).

Qui serait au courant des OGM sans cette action ?

Dans un article publié par l’hebdomadaire fl amand Knack (2), Serge Gutwirth et Dirk Voorhoof, deux professeurs d’université spécialisés en droits de l’homme (VUB et UGent), ont en effet démontré l’invalidité du jugement rendu par le tribunal de Dendermonde en février dernier. Ils estiment que les juges, en refusant d’entendre les témoins proposés par la défense et de visionner des enregistrements vidéo qui leur auraient permis d’avoir une autre lecture de l’événement, n’ont pas respecté une stratégie de défense « légale et légitime ». Les deux juristes dénoncent tout particulièrement la criminalisation de l’action politique et de l’activisme environnemental, qui bafoue des droits fondamentaux inscrits dans la Convention européenne des droits de l’homme. « Cet argument est de la plus haute importance, parce que les militants s’appuient tant sur l’état d’urgence que sur les libertés d’expression, d’association et de réunion pacifi que, expliquent les professeurs d’université. Qui serait au courant de l’expérimentation d’OGM en plein champ et des risques qui y sont associés sans cette action ?», questionnent-ils.

Contre l’avis des citoyens

Quant à la condamnation pour « association de malfaiteurs », ils la jugent « alarmante »,et inacceptable en cas de confl its sociaux. Autre source d’étonnement : le fait que le tribunal n’ait pas tenu compte d’un verdict récent du tribunal de Gand (août 2012), qui a reconnu l’illégalité de la décision d’autorisation de culture transgénique en plein champ. L’expérience avait de plus été autorisée contre l’avis des citoyens. « Une consultation publique avait montré qu’ils étaient nombreux à la désapprouver. Mais le pouvoir politique

n’a pas tenu compte des objections, au nom de la liberté scientifi que. C’est d’abord leur irresponsabilité qui con-duit aujourd’hui des militants devant le tribunal », rappelle Marc Fishers, de l’association Nature et Progrès. « Avant de chercher tout et n’importe quoi au nom de la science, on devrait d’abord s’interroger sérieusement sur l’utilité sociale et économique des OGM. » Qu’une institution censée garantir la bonne santé de notre Etat de droit ait rendu un jugement aussi partial laisse donc particulièrement songeur, surtout dans un contexte où OGM et démocra-tie peinent visiblement à faire bon ménage. Négligence, ignorance, parti pris ? Il faut en tout cas espérer que cette publication pèse positivement sur l’attitude des juges au prochain procès. « Ce qui est important, estime

Mieke Van den Broeck, avocate des prévenus, c’est que le débat s’est emparé du monde juridique, alors qu’il y était inexistant auparavant. Or, il est essentiel qu’un maximum de juristes s’expriment sur ce sujet, car l’issue de ce procès sera déterminante pour tous les jugements à venir concernant des activistes. » Rendez-vous le 28 mai prochain au tribunal de Dendermonde, où plusieurs activités seront proposées en marge du procès. Au pro-gramme : des échanges autour de l’indépendance de la recherche, des alternatives agricoles et de la criminalisation des mouvements sociaux. . Amélie Mouton

(1) Lire Imagine n° 96.(2) Knack, 27 mars 2013, p. 92-93. Une traduction française est proposée sur le site d’Inter-Environnement Wallonie : www.iew.be

6[imagine 97] mai & juin 2013

OGM : procès des « 11 de Wetteren »Deux juristes remettent les pendules à l’heure

97 numéros de 50 pages comptant chacune en moyenne 5 000 signes environ. Donc 24 250 000 signes depuis la création d’Imagine.

Savez-vous que cela représente l’équivalent d’une centaine de livres de format moyen ?Impressionnant, non ?

Dans ce monde de la démesure et du mal-vivre, les voix alternatives, à la recherche de la simplicité et de la joie d’exister ont besoin de soutien pour se faire entendre plus haut, plus loin. Pour reprendre en main les vrais enjeux qui nous concernent.

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Reprendre en main les vrais enjeux

Les nouvelles formes

de résistance

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Investissements solidaires

et entreprises écologiques

L’argent vert,

ça existe !

Les leçons de la

famine en Afrique

de l’Est

Politique : art ou

retards du compromis

« à la Belge » ?

Nanomatériaux,

mégadangers

Mieux que le PIB,

la « capabilité »

Energie : vers une

Europe 100 % renouvelable

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Etat des lieux

de la planète

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Politique

Activez… votre langage !

Chronique de Claude Semal

Eva et Jean-Luc

Faire la chasse

au gaspillage alimentaire

Comment décider

autrement ?

Pour

décider quoi ?

Urgence écologique !

Réenchanter

l’imaginaire

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Numéro spécial

Sommet de la

planète

"Rio+20"

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Comment décid

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Sur la piste de

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Elections communales

Enjeux à tous les étages

Les dessous de notre assiette

Le maïs

La dépendance mondiale

envers les matières premières

Ecologie

Les mécanismes

du vivant

Les sentiers,

voie vers une autre mobilité

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La puissance

du bonheur

Se changer soi, changer le monde

Jon Kabat-Zinn Matthieu Ricard C

hristophe André Pierre Rabhi Ili

os Kotsou

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Recherche : quelle

transition pour nos sociétés ?

Politique : la Belgique,

terre de compromis, tremble

Tunisie : la Révolution

toujours en cours

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La lumière bleue,

contre le blues de l’hiver

30 km/h pour redonner

vie à la ville

Amazonie : pétrole ou forêt,

les Indiens ont choisi

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Devenir « locavore »

La fourche et la fourchette,

fers de lance de la relocalisation

Et si on commençait par s’interroger sur l’utilité sociale et économique des OGM ?

L’issue du prochain procès des « 11 de Wetteren », le 28 mai, sera déterminante pour tous les activistes.

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Page 7: Imagine demain le monde

TriskeliaUn accompagnement qui a du sens

Pendant 15 ans, Isabelle Bulthez a travaillé dans une société d’audit. « J’essayais d’y cul-tiver des rapports humains agréables, avec succès. Et puis j’ai à la fois reçu une promo-

tion et un retour de flammes de ma supérieure directe, qui remettait en cause des valeurs fondamentales pour moi. J’ai alors pris conscience que je me ruinais la santé pour faire gagner de l’argent à cette socié-té. » C’est la rupture, et l’envie de redémarrer avec un business différent, plus humain. « Petit à petit, au fil des formations, des réflexions et des rencontres avec des personnes très impliquées dans le développement durable, l’intérêt pour l’aspect environnemental et soutenable est venu colorer mon projet. »Isabelle Bulthez fonde alors Triskelia (du grec triské-lès qui signifie « à trois jambes »), afin de mettre ses compétences et son enthousiasme au service des autres en réalisant des projets viables, vivables et équitables, des projets qui ont du sens et respectent l’environnement au sens large. « Ma proposition est d’accompagner une entreprise, une association dans la découverte de son objectif durable propre. Je ne veux pas venir avec ma recette toute faite, mais bien guider le groupe pour qu’il trouve la sienne. Et ensuite l’aider à passer le cap du changement et à faire avancer les choses ». Ses connaissances dans le domaine de l’audit et de la gestion de collectifs, acquise dans sa vie professionnelle passée, peuvent évidemment s’appliquer et être utiles à d’autres pro-jets, correspondant à des valeurs plus justes. Aujourd’hui, Isabelle Bulthez est à la recherche de collaborations. « Quand on essaie de promouvoir des valeurs plus humaines, on a un peu de mal à entrer dans une logique de vente », sourit-elle. Changer de vie et se créer de nouveaux contacts dans le milieu du développement durable n’est pas toujours évident ! Puisse donc Imagine jouer son rôle de coup de pouce !

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Page 8: Imagine demain le monde

8[imagine 97] mai & juin 2013

Le jardinier-maraîcher

Small is beautiful…and

Québécois, jeune père de deux enfants installé avec sa compagne dans une toute petite ferme, Jean-Martin Fortier est un personnage qui vaut le détour. Dans un livre intitulé Le jardinier-maraîcher - Manuel d’agriculture sur petite surface, il explique, chiffres et détails techniques à l’appui, comment il arrive à générer 130 000 dollars canadiens (97 500 euros

environ) de recettes en cultivant une superfi cie de 0,8 hectare, soit l’équivalent d’un terrain de football. Inattendu dans le secteur !

Comme sa terre, Jean-Martin fait une pause de plusieurs mois en hiver. En tournée de conférence début mars en Europe, nous l’avons rencontré à Namur, où il était invité par Nature & Progrès. Devant une salle pleine à craquer et composée notamment de nombreux jeunes très intéressés (voilà qui est encourageant !), le jardinier-maraîcher raconte comment son projet a été réfl échi, mûri, testé et s’est fi nalement concrétisé… au grand étonnement de son banquier. Première phase : après des études en développement durable censées l’asseoir face à un ordinateur, il sent pousser en lui l’en-vie de contact avec le terrain. Avec sa compagne Maude-Hélène Desroches, ils font un stage dans une ferme bio de deux hectares au Nouveau-Mexique (Etats-Unis). Jean-Martin a l’occasion de te-nir régulièrement la caisse de son patron au marché de Santa Fé et se rend compte de deux choses importantes : les acheteurs remer-cient régulièrement le producteur pour la qualité de ses produits… et l’argent rentre. Le couple retourne ensuite au Québec et s’installe sur un terrain pour y mener ses premières expériences. Ils vivent à la dure, sous tente, dans une grande simplicité volontaire. Ils récupèrent la clientèle d’un agriculteur qui arrête ses activités (30 familles sont abonnées à un panier hebdomadaire de légumes) et se cherchent, encore et encore. L’hiver suivant, ils font un voyage à Cuba, où ils observent les miracles de l’agriculture urbaine fl orissante après la chute de l’ex-URSS. Ils font aussi un voyage dans la région d’Avignon, où la lumière est comparable à celle du sud de Montréal, et ont l’occasion d’observer… ce qu’ils ne veulent pas faire : de grandes cultures sous serres. Ayant fi nalement cerné les contours de leur projet, ils fi nissent par

trouver quatre hectares de terre (dont trois boisés) avec un bâti-ment servant de lieu d’élevage pour des lapins à Saint-Armand, en Estrie, au sud de Montréal. « Avec un clapier à transformer en mai-son et un projet de maraîchage sur moins d’un hectare, nous avons eu du mal à convaincre les banques de nous prêter de l’argent, plaisante aujourd’hui Jean-Martin. Notre projet de maraîchage bio-intensif productif devait être rentable. »

Quels sont les éléments clés de la stratégie concoctée dans les Jar-dins de la grelinette, le nom de leur fermette ? Tout d’abord, le projet est entièrement organisé autour d’une bâtisse multifonc-tionnelle, située au milieu du terrain. Il n’y a donc aucun déplace-ment inutile. Pas de matériel coûteux non plus (en comptant tout, il arrive à 27 000 euros d’équipement), pas de tracteur par exemple mais un rotoculteur italien « génial » et des tunnels pour protéger les cultures et donc prolonger les saisons (« l’avenir de la bio »,dit-il). En cultivant une partie de l’année sous serres et sous voiles, les maraîchers arrivent, sans chauffer, à produire des légumes tout en subissant des coups de gel jusqu’à -12°. Le terrain a été divisé en dix parcelles et les cultures se font par rotation. Toute l’organisation du travail a été méticuleusement pen-sée pour éviter les dépenses inutiles. Les « planches » de culture (les miniparcelles) sont standardisées et mesurent toutes 30 m de long sur 75 cm de large, un passage de 45 cm est dessiné entre les lignes.« Notre petite taille est notre force », constate Jean-Martin. Pour lutter contre les mauvaises herbes, qui sont le cauchemar des jar-diniers bio, une bâche noire recouvre le sol pendant trois à cinq semaines. La terre n’est jamais retournée mais aérée manuellement au moyen d’une grelinette, une sorte de grande griffe de 75 cm de large, inventée en France. Juste avant de semer ou de repiquer des légumes, un brûleur est passé sur la zone de culture, afi n de tuer les mauvaises herbes avant même qu’elles ne sortent de terre. Au début de la croissance des légumes, il suffi t alors de passer une ou deux fois la binette pour désherber, le feuillage des légumes occu-pant ensuite rapidement tout l’espace. Les légumes sont trois à cinq fois plus serrés que ce qui est préconisé d’habitude, ce qui permet de faire un arrosage cinq fois plus effi cace, plus économe et plus rapide. La non-compaction de la terre permet surtout aux vers de

Je

an

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rtin

Fo

rtie

r

Jean-Martin et son fameux mesclun (mélange de pousses et de feuilles de diff érentes plantes potagères qui se consomment le plus souvent en salade). « Ces légumes goûtent comme quand j’étais petit », disent les clients sur les marchés, quand ils ne font pas partie des gens convaincus par le bio.

Bio

Générer trois salaires et un projet de

vie sensé sur moins d’un hectare en

vendant des légumes bio directement

aux consommateurs, c’est possible.

La preuve par Jean-Martin Fortier,

jardinier-maraîcher au Québec.

Page 9: Imagine demain le monde

terre de faire l’essentiel du travail. Ce sont eux qui permettent d’at-teindre de très hauts rendements au mètre carré. « Notre travail, c’est faire pousser du sol », s’amuse Jean-Martin en présentant les vers de terre comme « les employés du mois ».

Que dire encore de ce sympathique projet allant à contre-courant du modèle agricole dominant ? Que le couple en sera à sa 13e saison de culture en 2013. Que leur pro-jet fonctionne avec un apport de 60 tonnes de compost par an (un mélange de fumier de bovin, d’al-gues marines et de tourbe), plus de la fi ente de volaille, le tout acheté à l’extérieur pour des sommes modiques. Que la cinquantaine de légumes produits sont choisis pour leur caractère goûteux et leur crois-sance rapide. Que trois personnes y travaillent à temps plein (plus un stagiaire). Que le temps de travail est clairement limité à une journée normale, entre 8 h du matin et 17 h,

plus deux marchés fermiers en soirée par semaine. Que 140 clients, appelés « partenaires », achètent en payant à l’avance 21 paniers de 8 à 12 légumes pour quelque 400 euros (et bénéfi cient, pour leur fi délité, de 15 % de légumes additionnels en fi n d’année). Au Canada, ce système porte le nom d’« agriculture soutenue par la communauté ». Deux cents fermiers environ développent un mo-dèle comparable à celui des Jardins de la grelinette, explique Jean-Martin. Une invitation à les imiter chez nous ! A.R.

Pas de tracteur mais un rotoculteur, qui remue la terre sans la retourner, et puis des outils légers comme ce déherbeur thermique.

Un livre écrit d’une manière accessible, en langage de producteur (Ecososciété, 2012, 200 p., 25 euros).

Jean-Martin Fortier et Maude-Hélène Desroches : « Notre modèle d’agriculture bio-intensive, productive et rentable est intéressant sur une petite surface mais pas sur une grande. »

lagrelinette.comAltamira ASBL, 88 p., 7 €.

Livre disponible à partir de début juin dans certains

magasins bio ou à commander sur altamira.

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Tél : 04/342 89 21

Livre

«La démarche de ce livre repose sur l’interview d’une dizaine

d’épicièr(e)s bio », expliquent d’entrée de jeu Claudine Drion et

Gérard Pirotton, les deux auteurs de l’ouvrage. Plusieurs décennies

d’expériences et d’engagement comme consommateurs de produits bio,

viennent enrichir leur démarche.

Le bio connaît aujourd’hui un important développement en Wallonie. Voici,

Production

Evolution du bio en Wallonie en 10 ans

2001 2011

Surface agricole en bio 18 384 ha

soit 6,9 % de la

surface agricole utile

en Wallonie

Fermes bio 441 980

Transformateurs, importateurs,

distributeurs, points de vente

Chiffre non

disponible

434

Consommation

totale en Wallonie : à peine 1,8 % des dépenses des ménages en 2011.

types de commerces :

Lieux d’achat de produits bio Proportions en 2011

Supermarchés 46,9 %

Supermarchés de proximité 11,3 %

Magasins spécialisés 29,1 %

Vente à la ferme 4,6 %

Marchés 3,4 %

Hard discounters 3,9 %

« Le bio est-il meilleur pour la santé ? Doit-on être végétarien pour manger

bio ? Pourquoi le bio est-il moins polluant ? Pourquoi acheter certains

produits à certains moments de l’année ?, etc. » L’ouvrage répond à une

série de questions que l’on se pose à propos du bio et de la santé. Il traite

« OGM, brevetage du vivant, agrocarburants, les femmes

et la souveraineté alimentaire, la faim dans le monde qui n’est pas un

problème de sous-production »

« tous comptes faits le bio

protéines végétales »

Et quel est l’avenir du bio de proximité, aujourd’hui confronté à la

concurrence des supermarchés ? « Ne soyons pas naïfs, mais plutôt

bioptimistes », répondent les auteurs en estimant que les seules pistes

crédibles sont celles qui privilégient des formes de coopération entre

producteurs et consommateurs. Les contraintes et intérêts des uns et

des autres devant être compris et respectés. « N’y a-t-il pas lieu, pour les

pouvoirs publics, de soutenir toute initiative allant dans ce sens ? »

« Etre client régulier d’une épicerie bio, c’est s’inscrire dans un

large mouvement qui veille à la préservation de l’environnement, à

la biodiversité, au bien-être et à la santé. C’est aussi faire évoluer

l’agriculture, au Nord comme au Sud, vers de meilleures conditions de

production, susceptibles de nourrir sainement la population de notre

planète. Ce n’est pas seulement un effort, c’est aussi un plaisir : celui de

la rencontre et de l’échange, celui des yeux et des

papilles, celui de recevoir de l’enthousiasme et d’en

distribuer autour de soi ! » A.R.

(1) Source : Bioforum, 2012.

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Page 10: Imagine demain le monde

En couverture

10[imagine 97] mai & juin 2013

Le logement com

Nous sommes de plus en plus nombreux à être mal

logés. Le logement constitue pourtant le secteur clé de

la société de demain. Comment assurer l’accès à un

habitat salubre, décent et moins gourmand en énergie

– voire même écologique – pour le plus grand nombre ?

« Nous avons deux bombes au-dessus de nos têtes.

L’une est le changement climatique, l’autre l’accroisse-

ment du fossé entre les classes sociales. Et le logement

est au cœur de ces deux problématiques », dit André

De Herde, professeur à l’UCL, responsable de la

recherche « Architecture et climat ». Agir sur l’habitat

peut donc avoir un effet très important, aussi bien au

niveau social qu’environnemental.

Dans tous les domaines, construction, rénovation, accès

au logement, il y a des actions à entreprendre, des

mesures prises et d’autres à soutenir.

La situation actuelle n’est pas des meilleures, c’est une évidence. Notre bâti en forme de passoire énergétique se renouvelle peu (la construction neuve progresse au

rythme de 1,8 % de logements par an en Wallonie)… Il faut donc agir à la fois sur la construction et sur la rénovation.

Séduire

Il est fondamental tout d’abord de convaincre de la nécessité et de l’intérêt d’investir dans sa maison ou son apparte-ment. « Il faut un changement de culture, remarque Antoine Crahay, directeur de cabinet adjoint chez Evelyne Huytebroek, ministre bruxelloise de l’Environnement, de l’Energie et de la Rénovation urbaine. Mais

on y est bien arrivé avec le double vitrage !Aujourd’hui, isoler sa façade arrière devient la norme. »Ainsi, petit à petit, les références changent. « Si auparavant les étudiants m’écoutaient poliment lors du cours de rénovation, ils sont à présent attentifs et posent des ques-tions de qualité, témoigne Jean-Marie Hau-glustaine, architecte, professeur à l’ULg, responsable de l’unité de recherche Energy-Sud (Energy & Sustainable Development). Devenir architecte, c’est aussi se préoccuper d’énergie. » Et si l’important constructeur T.Palm annonçait, en 2005, que sa clientèle « s’en fichait », il vend maintenant des mai-sons basse énergie, passives et même zéro énergie.Le surcoût éventuel d’une construction ou d’une rénovation basse énergie ou passive

Pour une écologie de l’habitatRénovation et construction

Pour ceux qui ont un logement,

encore faut-il qu’il soit de

qualité, peu énergivore et le

plus sain possible. Les politiques

du logement qui incitent à

rénover et construire des

bâtiments (très) bien isolés vont

évidemment dans ce sens.

Les choses progressent.

Page 11: Imagine demain le monde

[imagine 97] mai & juin 201311

mme anti-criseest cependant un frein évident pour de nom-breuses personnes. Mais peut-être nous faut-il à présent réfléchir autrement (voirdes pistes p.14-18) ? « Il y a des priorités à choisir, estime André De Herde. Lorsqu’onveut un second lavabo, une douche à côté du bain et d’autres choses du même type, on ne parle pas de surcoût. Or, lorsque ça concerne l’énergie, on le mentionne tout de suite… »Antoine Crahay renchérit : « Si en moyenne il y a tout de même un léger surcoût, c’est en réalité un surcoût marginal – il est moin-dre que l’augmentation du coût du foncier ou de la construction en général, ou encore de mesures comme des vitres Sécurit, des ascenseurs, etc. –, mais c’est le seul à pos-séder un rendement ! »De plus, quand nous construisons une mai-son, c’est pour 50 ou 60 ans au moins. Et si elle est construite avec trop peu d’isolation, il va être difficile d’intervenir à nouveau : la bâtir suffisamment isolée est donc impor-tant.« C’est maintenant qu’il faut agir, ajoute Jean-Marie Hauglustaine, d’autant plus que notre pouvoir d’achat diminuera peut-être très fortement demain ! En 1960, il fallait travailler 25 minutes pour acheter un litre

de gasoil avec le salaire minimum. Au-jourd’hui, nous n’avons plus besoin que de 8 minutes, cela n’incite pas à être attentifs à notre consommation. Mais si le scénario de la décroissance se confirme, il faudrait nous y préparer. »Une idée pour inciter chacun à investir dans son logement ? Rendre visible, par un moyen ou par un autre, les améliorations réalisées, afin de les valoriser. « Si on met tout son argent dans des capteurs solaires et rien dans l’isolation, c’est très dom-mage !, poursuit l’architecte de l’ULg. Or,ajouter 15 cm d’isolant à sa façade ou son toit, cela ne se voit pas vraiment, et du coup n’intéresse pas grand monde, ce qui n’est pas motivant. » Pourquoi ne pas afficher sur les maisons les certificats PEB, comme c’est prévu pour les bâtiments publics ?« Nous pourrions imaginer un macaron “prêt pour 2030”. Etre fier vis-à-vis de son entourage fait partie des motivations de l’individu. »

Aider

A côté des conseils gratuits, au moyen no-tamment des facilitateurs, spécialistes des différentes questions en lien avec l’énergie

dans les bâtiments, les gouvernements ré-gionaux ont mis en place une batterie de primes ou aides diverses pour tenter d’inci-ter les habitants à rénover ou à construire de façon moins énergivore. Et de façon un peu plus écologique, même si les as-pects autres que celui de la consommation d’énergie restent encore les parents pauvres des mesures.Primes énergie, primes à la rénovation, une multitude de coups de pouce financiers existent. Mais ces aides avaient souvent un travers : n’être à la portée que de ceux qui avaient les moyens d’investir… Pour cer-taines, ce biais a été corrigé. Le versement de 80 % des primes énergie bruxelloises avant les travaux en est un exemple, ainsi que le bel outil wallon qu’est l’Ecopack. Ce-lui-ci offre les moyens d’investir le plus ra-pidement possible, sous la forme d’un prêt à taux zéro, et le bénéficiaire ne rembourse que le prix des travaux moins les primes, déduites immédiatement, par des mensua-lités calculées en fonction de ses revenus. « Bien que le plafond de revenus soit élevé, et concerne près de 95 % des Wallons, le profil des bénéficiaires est assez modeste »,se réjouit d’ailleurs Nicolas Bernard. A Bruxelles, un projet pilote comme ISO-

Des habitants réfléchissent à leur logement futur. Réunies dans un groupe d’épargne collective, ces personnes seront peut-être dans quelques années les heureux occupants d’un Community Land Trust, un système mis en place aujourd’hui pour lutter contre la spéculation foncière et l’impossibilité pour de nombreuses familles d’encore trouver un logement abordable. T

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Un dossier de Laure de Hesselle.

Page 12: Imagine demain le monde

12[imagine 97] mai & juin 2013

prim, par exemple, cible particulièrement les propriétaires à faibles revenus. Mené par la maison de quartier molenbeekoise Bonnevie (1), il propose ainsi de réaliser un audit, d’aider ces propriétaires à demander primes et prêts verts à taux zéro, puis de les accompagner au fil des travaux réalisés par Casablanco, une association d’insertion par le travail. « Nous constatons que les gens sont de plus en plus conscients des questions énergé-tiques, se réjouit Donatienne Hermesse, de Bonnevie. Mais nous voyons aussi malheu-reusement que de plus en plus de personnes ont des soucis de factures ! » Tant et si bien que la Fédération des services sociaux a mis en place un centre d’appui « énergie » à destination des travailleurs sociaux… Du côté des locataires, les choses restent tout de même plus difficiles : comment inciter les propriétaires à investir dans des travaux dont ils ne seront pas directement bénéficiaires, et sans que cela soit prétexte à augmenter immodérément les loyers ?A la Région bruxelloise, une réflexion est en cours quant aux bailleurs : l’idée serait de financer un fonds à leur usage, qui pro-poserait tous les intervenants nécessaires, un peu sur le modèle de Projet X, lié à deux contrats de quartier (2) du centre de Bruxelles : les travaux (subventionnés en bonne partie) de mise en conformité avec les normes du code du logement sont pris en charge par l’association, qui permet à des allocataires du CPAS de se former et de travailler. En échange, le bailleur confie ensuite la gestion de son bien pendant neuf ans au CPAS, et perçoit un loyer moindre.

Obliger

Et si tout cela ne suffit pas à faire bouger les choses, reste l’imposition de normes plus sévères. C’est la voie choisie à Bruxelles, où la Région a imposé la construction passive pour tout bâtiment public dès 2010, et pour tout nouveau bâtiment dès 2015. Du côté wallon, on a augmenté les exi-gences en termes de construction de loge-ments publics, ces derniers devant atteindre la norme basse énergie. « Imposer le pas-sif nous a semblé risqué, explique Bernard Monnier, chef de cabinet du ministre Nollet, nous craignions de ne pas avoir assez de professionnels déjà formés. »A Bruxelles, on a préféré avancer tout de suite. « L’imposition du standard passif pour les bâtiments publics, puis l’orga-nisation du concours “Bâtiments exem-plaires” (3) ont permis de diffuser les pra-tiques nouvelles, d’organiser les filières, constate Antoine Crahay, du cabinet Huy-tebroeck. Les choses dont la mise en œuvre demandait beaucoup de temps sont au-jourd’hui réalisées avec des techniques plus rapides, plus rationnelles. Et les coûts sont pour nous quasi équivalents, qu’on réalise du passif ou du “classique”. Cette étape préliminaire a amorcé la pompe, et l’impo-sition du passif pour tous en 2015 a ainsi été rendue acceptable. »Mais ce choix pose problème pour certains. « L’imposition du standard passif en région bruxelloise n’a pas fait l’objet d’une étude sur ses conséquences – ou en tous cas pas d’étude officielle. Se posent pourtant deux questions, remarque Julie Neuwels, docto-

En couverture

Rénovation du parc social

Là payer leurs factures énergétiques. Certains en viennent à débourser un

montant supérieur à leur loyer pour chauffer leur habitation ! En Wallonie,

400 millions d’euros sont ainsi investis pour améliorer les performances énergétiques

de quelque 12 000 logements sociaux, en commençant par les plus énergivores. A

Bruxelles, ce sont 300 millions qui seront consacrés à ces rénovations.

Dans la capitale, l’imposition du standard passif en construction et du basse énergie

en rénovation dans les bâtiments publics a permis de diminuer la facture énergétique.

« Nous avons mis en place un fonds de réinvestissement de ces gains, explique-t-on

au cabinet du secrétaire d’Etat en charge du logement. Les locataires de logements

Habiter dans un logement passif n’est pas anodin et nécessite de changer certaines

habitudes. Des manuels d’habitabilité ont ainsi été réalisés – par les habitants de

L’Espoir entre autres, qui transmettent ainsi leur expérience. « Il faut aussi

remarque Bernard Deprez,

La tour Bois-le-Prêtre

Comment rénover des logements dans des immeubles devenus des gouffres énergétiques et souvent qualifiés de « clapiers » ? L’idée développée par Anna Lacaton et Jean-Philippe Vassal, réalisée ici par Frédéric Druot, est de construire une « seconde peau » autour du bâtiment, ce qui augmente les surfaces des appartements par le biais de pièces supplémentaires, de jardins d’hiver et de balcons. Les habitants peuvent rester à l’intérieur de leur logement pendant les travaux. « On respecte leur intérieur, on a un vrai contact avec eux, commente Bernard Deprez. Et on ne peut plus prétexter de leur présence pour ne rien faire ! » La tour Bois-le-Prêtre verra ainsi sa surface passer de 8 900 à 12 460 m², sans surcoût pour les habitants, les jardins d’hiver (non chauffés, à occuper aux beaux jours) n’étant pas pris en compte dans le calcul du loyer. La diminution de la consommation d’énergie devrait atteindre 50 %, grâce à l’isolation et à l’apport d’énergie des jardins d’hiver.

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Page 13: Imagine demain le monde

[imagine 97] mai & juin 201313

rante à l’ULB, membre du collectif d’archi-tectes MetamorphOse. Est-ce que les ac-teurs de la construction sont prêts, et est-ce vraiment une bonne idée ? »En Wallonie, on parie plutôt sur un pas-sage aux standards très basse énergie et zéro énergie. « Ces bâtiments consomment peut-être plus qu’un habitat passif, mais produisent leur propre énergie, explique Bernard Monnier. Cette formule nous semble plus intéressante, car elle nécessite une mise en œuvre moins exigeante et un volume de matériaux moindre. »Pour Matthieu Delatte, architecte au bureau Karbon’, le passif peut permettre de conti-nuer à vivre comme aujourd’hui, « maisavec un coût non négligeable… Que des logements financés par les pouvoirs pu-blics soient obligatoirement passifs, c’est très bien, car cela profite évidemment aux futurs occupants. Mais pour des particu-liers qui voudraient se lancer, cela pose question : le prix de la construction étant déjà très élevé, imposer la norme passive ne va-t-il pas encore renchérir celui-ci ? Cette norme ne va-t-elle pas à l’encontre d’une construction plus économique ? »« Et puis, poursuit-il, ne pourrions-nous pas imaginer plutôt des unités de logement simples, reproductibles, et qui seraient en-suite “customisées” par leurs occupants ?Des bâtiments qui autorisent une résilience, le low tech, pour pouvoir par exemple se chauffer au bois si nécessaire. Les vieilles techniques de construction revisitées le per-mettent. » Car la modification de nos bâ-

timents « en dur » demande un très grand effort. Les conduits de ventilation, par exemple, sont en général conçus très pré-cisément pour une situation donnée, ce qui les rend peu résilients. Derrière ces doutes quant à la justesse de l’imposition du standard passif se profile un débat entre la priorité absolue accordée aux économies d’énergie et une prise en consi-dération plus globale de l’habitat et de ses effets sur l’environnement et l’homme. La norme passive ne tient en effet compte que d’un seul critère : la consommation d’éner-gie pendant l’occupation du bâtiment. Les moyens pour y arriver sont donc tous ceux que l’on voudra, sans nécessairement considérer d’autres éléments.« Avec le passif, nous ne réfléchissons plus à notre façon d’habiter, estime Julie Neuwels : 22 degrés constants, partout, est-ce vraiment indispensable ? Les ques-tions fondamentales ne sont-elles pas :comment habiter, quels sont nos choix de vie ? Promulguer une loi est à la fois plus facile et plus porteur. C’est un message fort, ce qui est certes important… mais aussi un peu autoritaire. »Bernard Deprez, professeur à La Cambre et acteur du standard passif, signale que les surcoûts d’un bâtiment passif sont nette-ment moindres pour les grands immeubles que pour une maison quatre façades. « Orla question du logement est d’abord col-lective à Bruxelles. Nous arrêtons de mal faire en cessant de consommer de l’énergie comme nous le faisions jusqu’ici. C’est un

bon début, et pour le reste, allons-y ! Nous ne sommes pas dédouanés pour autant des autres obligations écologiques. »

(1) www.bonnevie40.be(2) projetx.be. Les Contrats de quartier sont des programmes quadriennaux de revitalisation de certains quartiers mis en œuvre sous forme de partenariat entre la Région de Bruxelles-Capitale et certaines villes ou communes. Sont ici concernés les quartiers Masui, Jardin aux fleurs et Rouppe.(3) Lancé en 2007, l’appel à projet « Bâtiments exemplaires » est un concours qui offre aux sélectionnés une prime de 100 euros/m² et un suivi.

Trop de normes ?

«Les normes de sécurité prescrites par les

remarque l’architecte

et doctorante Julie Neuwels. La lutte contre les logements

, complète son confrère Matthieu

Delatte, mais ne permettent pas de proposer autre chose.

Avoir 20 degrés partout et tout le temps sans chauffage,

B²eco

153 logements et une crèche dans un écoquartier d’Engis, 232 habitations et une salle polyvalente dans un écoquartier d’Arlon, B²eco va ainsi créer plusieurs centaines de maisons et appartements basse énergie en Wallonie, grâce à la préfabrication. Association entre un bureau d’architectes, Artau, une entreprise générale, Wust, et un fabriquant de béton et de béton de bois, Prefer, B²eco a créé une série de modules standardisés, industrialisés et juxtaposables, composés de béton d’argex, un béton léger, et, pour la partie isolation, de béton de bois. Ces modules peuvent s’agencer de diverses façons – histoire d’éviter la mono-tonie d’un lotissement et de répondre aux différents besoins –, être finis de multiples manières en fonction de la situation du bâtiment ou du style choisi, puis être agrémentés de coursives, escaliers ou terrasses. Le montage peut se réaliser en quelques jours, ce qui permet évidemment de réaliser des économies !

Page 14: Imagine demain le monde

14[imagine 97] mai & juin 2013

En couverture

Construire au prix justechangements de perspectives. Voici quelques pistes tracées avec nos interlocuteurs.

Habiter autrement

Occuper les pièces différemment selon les saisons. « Nous pouvons

hiver, remarque André De Herde, et attendre le printemps pour utiliser les

atelier, chambre d’amis, salle de jeux, salle polyvalente, est évidemment

une solution aussi (1).

âges. Des promoteurs proposent ainsi aujourd’hui des appartements avec

deux entrées, la seconde donnant sur une chambre avec salle de bains

une salle de jeu et un bureau. « Il faut favoriser différents usages pour

faire accepter des logements plus petits, remarque Matthieu Delatte, les

(1) Voir notre dossier « Habiter groupés », Imagine, n° 89, janvier-février 2012.

Le Biplan, à Haren, bâtiment passif en ossature bois préfabriquée. Conçu par la sprl BXLEco, il comporte de nombreux espaces communs, buanderie, jardin, cellier, terrasse. Les différents

appartements ont ensuite été vendus à des personnes qui y créeront un habitat groupé.

Utiliser le préfabriqué

«M , estime Bernard Deprez. En atelier,

la qualité peut être constante, le temps consacré à sa réalisation

observe l’entrepreneur Claude

Rener.

Utiliser des matériaux de récupération

lutôt que de produire de nouvelles briques, tuiles, dalles, portes ou de

nouveaux planchers, pourquoi ne pas en réutiliser ? C’est écologiquement

intéressant – à condition de ne pas avoir à faire des kilomètres pour les trouver

et les transporter. Il faut faire revenir en ville les entreprises de récupération

de matériaux. Les espaces de stockage étant devenus trop coûteux, tous sont

la ville ou disparaissent.

, estime Claude Rener.

Rotor, une association d’architectes et de designers, s’est ainsi spécialisée

dans la recherche sur la construction avec récupération et recyclage. Deux

chantiers des choses à glaner n’est pas très

intéressant en termes de temps, d’énergie et

sans doute d’argent. Mieux vaut donc passer

par des circuits organisés, qui centralisent

recherches, transport et remise en état. Fort de

ce constat, le collectif a lancé le projet Opalis.

be, qui référence les revendeurs professionnels

de matériaux et offre des conseils de mise en

œuvre.

être réalisées, les matériaux récupérés sont

aussi parfois plus chers que les neufs, car

considérés comme des antiquités.

Choisir une localisation moins chère

Les bons terrains ne sont pas uniquement des terrains en pente orientés

vers le sud.

, commente Jean-Marie Hauglustaine.

Astuces, pistes et bonnes idées

Ma

thia

s v

an

de

bu

lcke

Page 15: Imagine demain le monde

[imagine 97] mai & juin 201315

Faire soi-même, en autoconstruction ou en rénovation

«En Flandre, explique André De Herde, la famille construit traditionnellement

La réduction du coût est

évidemment partielle. On estime que les matériaux représentent 50 % des investis-

sements.

sont en effet conditionnées à la réalisation des travaux par des entrepreneurs

agréés. Les exigences techniques, elles, vont croissant pour atteindre les diverses

normes, il peut donc être nécessaire d’avoir tout de même un minimum de com-

pétences

estime l’entrepreneur Claude Rener.

ter des engins de levage, signale Bernard Deprez.

« Que le

estime Claude Rener.

Tout n’est pas possible, certaines choses demandant une haute compétence, mais

coup de main au professionnel que j’engage (et ainsi épargner le coût de la main-

d’œuvre correspondante), ce dernier est-il prêt à me laisser travailler avec lui ? Il

faut veiller à louer les bons outils, adaptés à la tâche à réaliser, ne pas « tenter le

coup » avec ce qu’on a sous la main.

remarque Bernard

Deprez.

Des formations sont organisées régulièrement par diverses associations (le Centre

ne pas se satisfaire trop vite d’une solution qui n’est peut-être pas optimale, parfois

même lorsqu’elle est réalisée par un professionnel.

Y.

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vie

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12

Ajouter un ou deux étages à la ville

Avec des ossatures en bois ou

métalliques, légères. C’est

rapide, facile à isoler et à indus-

trialiser.

compétences, constate toutefois

Claude Rener

Choisir les techniques adaptées

«U remarque Matthieu Delatte,

L’architecte a ainsi construit sa propre maison

avec un mélange de chanvre et de chaux

dans une structure bois, ou des panneaux préfabriqués de bois

pour les

étages supérieurs. Sa maison n'est pas passive, mais le besoin

de chaleur de chauffage annuel est estimé à 24 kWh/(m2a)

fourni par un poêle de masse (bilan carbone neutre) et le besoin

en énergie primaire globale est évalué de 58 kWh/(m2a). Son

environnement intérieur est de plus extrêmement sain, grâce au

choix de matériaux écologiques.

Une forme organique pour cette rehausse en ossature bois d’un dernier étage ( architecte Mathias Van-denbulcke).

Trois étages supplémentaires grâce à une struc-ture métallique légère (Synergy International).

Achats groupés de matériaux, chantiers participatifs

«Développer une vision plus collective, plus participative des

chantiers serait intéressant. Nous ne sommes pas encore

constate Claude Rener,

Rendre les bâtiments plus compacts

Diminuer le plus possible les parois à isoler en les limitant dès le

dessin du bâtiment peut aider à faire des économies. Mais, plus

Diminuer au maximum les

circulations, les couloirs, permet de gagner de l’espace.

Construire sur pieux

Les fondations sont une partie coûteuse dans une construction. Les

éviter en diminue donc le prix, mais il faut évidemment renoncer

alors à avoir une cave enterrée.

Avancer petit à petit

écoconstruction, selon l’architecte de Karbon’, permet de

Page 16: Imagine demain le monde

16[imagine 97] mai & juin 2013

En couverture

Pour agir sur l’accès au loge-ment, la première condition est évidemment… d’avoir des logements. Or, que ce soit en Wallonie ou à Bruxelles, les parcs résidentiels publics sont

trop pauvres. La politique de construction reste donc de mise.

Un parc public à reconstruire

Dans la capitale, la Région lançait en 2004 le plan « 5 000 logements » (publics). Presque la moitié d’entre eux sont aujourd’hui sur le marché, dont un tiers ne sont pas sociaux. Pression est faite sur les communes, qui « doivent atteindre 15 % d’offre publique pour 2020, signale-t-on au cabinet du secrétaire d’Etat en charge du logement, Christos Doulkeridis. La moyenne actuelle est de 10,5 % (chiffre 2009), mais les dis-parités sont gigantesques : 2,5 % à Ixelles contre 22 % à Bruxelles par exemple ! » La mixité sociale va trop souvent dans un seul sens : des « riches » qui s’installent dans les quartiers « pauvres » (lire ci-contre), mais pas l’inverse !Côté wallon, les communes sont priées d’at-teindre les 10 % de logements publics (donc pas nécessairement sociaux), « un chiffre qui sera dans le long terme adapté en fonc-tion du type de milieu », précise Bernard Monnier, chef de cabinet adjoint du minis-tre wallon du Logement, Jean-Marc Nollet. Villes ou villages n’ont pas nécessairement les mêmes besoins. Pour les deux Régions, dans l’espoir de faire effectivement bouger les choses, des sanctions financières vont être prises à l’égard des communes qui n’atteindraient pas les objectifs fixés. Mais l’avancée n’est pas certaine : en France par exemple, des municipalités préfèrent payer des amendes plutôt que d’accueillir des contribuables pauvres…Varier les sources de création de logements publics est donc une priorité. C’est le but des Agences immobilières sociales (AIS) par exemple, qui prennent en gestion des appartements ou maisons appartenant à des particuliers, troquant l’assurance de toujours percevoir le loyer et un bon entre-tien du bien contre une location à un prix très raisonnable. Ces AIS sont un vrai pas en avant, tous nos interlocuteurs s’accor-

dent à le dire, permettant à la fois d’élargir l’offre publique de logements sans avoir à construire, et de lutter contre des loge-ments vides ou en mauvais état. Leur offre croît de façon ininterrompue : il y a plus de 3 000 foyers locataires en AIS à Bruxelles, à peu près autant en Wallonie. Mais ces agen-ces doivent convaincre les propriétaires de louer leurs biens en passant par elles, ce qui limite évidemment l’ampleur du mou-vement.Autre piste, évoquée notamment au cabi-net Doulkeridis, celle des fonds de pen-sion : « La banque Degroof va construire un immeuble et le confier à une AIS, pour le compte de son fonds d’investissements éthiques. D’autres financiers ne pourraient-ils s’inspirer de ce bon exemple ? »Enfin, suivre le modèle de la Flandre, qui impose une « charge sociale » aux promo-teurs immobiliers, est aussi à l’étude : tout projet privé se verrait im-poser un pourcentage de logements sociaux. Chez nos voisins, les promo-teurs d’ensembles à partir de 50 appartements ou 10 maisons doivent réserver 10 % de la superficie au logement social. « Mais cela ne fonctionne pas tou-jours, les constructeurs s’arrêtant à 49 ap-partements, commente Nicolas Bernard, professeur de droit à Saint-Louis, il faut trouver un moyen d’éviter cela. Une plainte a de plus été déposée au niveau européen contre cette obligation. Bruxelles attend donc de voir quel en sera le résultat. »En attendant, la pénurie de logements sociaux a incité les gouvernements régio-naux à passer au bail à durée déterminée. A Bruxelles par exemple, le bail d’un loca-taire n’est pas renouvelé si ses revenus dé-passent de 50 % les plafonds d’admission. L’objectif est évidemment de réserver au maximum les logements à ceux qui en ont le plus besoin, mais il peut avoir un effet négatif, dénoncé par le syndicat des loca-taires, en concentrant les très, très pauvres dans ces logements, et en faisant courir le risque aux personnes délogées de ne pas trouver d’habitation décente dans le privé.Autre clause, un bail ne sera plus renouvelé si deux chambres sont vides (les enfants ayant quitté la maison par exemple) et que le locataire n’a pas demandé son démé-

nagement : une famille avec trois enfants attend en moyenne 10 ans avant de se voir attribuer un appartement. « De plus, avec les règles de salubrité actuelles, d’anciens logements deux chambres se transforment en appartement une chambre », signale Nicolas Bernard. Certains questionnent d’ailleurs ces normes : une chambre princi-pale de 14 m² par exemple est-elle absolu-ment nécessaire ? « Mais abaisser les stan-dards est risqué », fait remarquer le juriste. Nous sommes d’évidence dans une logique de manque, à laquelle seule l’offre de loge-ments à prix abordables pourrait véritable-ment répondre…

Des loyers hors de prix

Or, même dans le logement public, des per-sonnes ne parviennent plus à payer leur loyer – ou le font au détriment d’autres

choses, de leur santé notamment. La population s’appauvrit : les nouveaux entrants

en habitations sociales sont plus pauvres encore que les anciens. « Nous sommes du coup amenés à doubler l’aide à la brique d’une aide à la personne, explique Bernard Monnier, en couvrant une part de la dif-férence entre le loyer que doit percevoir la société de logements pour tenir le coup et le loyer que peut effectivement payer le loca-taire. » Une règle identique est suivie pour les maisons et appartements des AIS.Une « allocation loyer » existe également à Bruxelles dans le parc public de logements (communes, CPAS, contrats de quartier…). Elle couvre la différence entre le loyer et un tiers des revenus, considérant qu’au-delà de ce tiers d’autres dépenses de base sont mises en péril (alimentation, santé, forma-tion…).Mais quid du parc privé, qui reste tout de même largement majoritaire ? L’une des pre-mières mesures qui vient immédiatement à l’esprit lorsqu’on parle d’accès au logement est bien entendu le contrôle et la régulation des loyers. « Incompatible avec l’économie de marché », rétorquent généralement ses opposants. Cette régulation a pourtant été ou est pratiquée dans tous les pays voisins !« Aux Pays-Bas par exemple, chaque loge-

Trouver son toitL’accession à la propriété devient de plus en plus

loyers, eux, ils ne cessent de grimper. Et le parc de

avec 30 000 demandes insatisfaites en Wallonie,

40 000 à Bruxelles. Entre construction et contrôle

des loyers, les pistes sont nombreuses.

Accès au logement

Hausse des loyers + 44 %(depuis 2000)

Page 17: Imagine demain le monde

[imagine 97] mai & juin 201317

ment se voit attribuer un nombre de points en fonction de ses caractéristiques, avec un loyer indicatif en rapport, explique le géo-graphe de l’ULB Matthieu Van Criekingen.Locataires et propriétaires peuvent faire appel à des commissions paritaires en cas de désaccord. » La Belgique est donc une exception culturelle… « Le logement est pourtant un bien fondamental, remarque Nicolas Bernard, tout comme le pain, dont le prix, lui, est régulé. »Les baux sont pour l’instant encore (en attendant le prochain transfert de com-pétences) du domaine du pouvoir fédéral. D’autres pistes ont donc été explorées :« L’idée de ristourner une part du pré-compte immobilier aux propriétaires-bailleurs appliquant des loyers dits “de référence” a été abandonnée, explique Nicolas Bernard, car trop coûteuse (1).Mais une grille de loyers de référence a été réalisée (elle reflète le marché, sans volonté de diminuer les prix) : c’est un outil qui peut être utilisé. » Du côté de la Région wal-lonne, le tout nouveau Centre d’études en habitat durable a précisément pour mission d’établir cette grille. Reste à préciser comment en user : car si certains propriétaires se voyaient ainsi forcés de diminuer leurs prix (grâce, par exemple, au conditionnement d’une alloca-tion loyer au respect de la grille, ou d’une taxation différente), d’autres, qui seraient par chance au-dessous des prix du marché, auraient peut-être alors l’idée d’augmenter les leurs !Une fois la compétence des baux attribuée aux Régions, les choses pourraient cepen-dant être beaucoup plus simples. « Avec ce levier, on peut alors interdire par exemple les loyers qui dépassent de 20 % la grille de référence », propose Nicolas Bernard. Mais les libéraux s’opposent très fortement à toute mesure en ce sens. S’ils s’imposent aux prochaines élections, la régionalisation des baux pourrait bien arriver trop tard…

La brique dans le ventre

C’est connu, nos concitoyens ont souvent une préférence pour la propriété. Mais les prix montent, et puis « les parents riches,

c’est fini », remarque André De Herde.Nous restons toutefois dans les pays euro-péens ayant le plus fort taux de proprié-

taires, bien que Bruxelles soit loin derrière (2).« Nous avons tendance à être propriétaires de plus en plus jeunes, pour-suit l’architecte, avec de

moins en moins de moyens. Du coup, on achète une vieille maison qui n’est pas ré-novée correctement par manque d’argent… Peut-être faudrait-il revoir cette priorité à la propriété ? »Mais perçue comme une sécurité, comme la possibilité d’améliorer son habitat, l’acqui-sition de son chez-soi est le rêve de beau-coup de Belges – et d’étrangers d’ailleurs, pour qui devenir propriétaires est un vrai symbole d’intégration.Le marché est essentiellement privé, c’est donc du côté des prêts que les pouvoirs pu-blics se positionnent, avec les Fonds du lo-gement wallon et bruxellois. Bruxelles tente également de favoriser l’accès à la propriété pour les ménages à revenus moyens, par le biais de la Société de développement pour la Région de Bruxelles-capitale (SDRB). Celle-ci leur propose des logements subvention-nés à hauteur de 30 %. Problème : après 10 ans, les propriétaires peuvent revendre leur bien au prix du marché, sans rien ré-trocéder. « Certains font donc ainsi d’excel-lentes affaires… » Le délai de revente va très probablement être porté à 20 ans, mais Nicolas Bernard n’est pas certain que ce soit la bonne piste. « Cela va bloquer la mobilité des gens. Demander de rétrocéder 30 % du prix de vente, comme pour les CommunityLand Trusts (lire p.18-19), cela aurait plus de sens. »Une réflexion est également en cours avec la SDRB pour peut-être revendre des par-celles ou des bâtiments « casco » (c’est-à-dire gros œuvre fermé et étanche) à des groupes, en conditionnant l’offre à l’exis-tence d’un projet d’habitat groupé. « Il n’y aura pas des dizaines de projets possibles,souligne Antoine Crahay, du cabinet de la ministre bruxelloise de l’Environnement, de l’Energie et de la Rénovation urbaine, etil faut parvenir à trouver un moyen d’évi-ter les effets d’aubaine, la frustration pour ceux qui ne seraient pas choisis, etc. »Le milieu associatif, de plus en plus confronté au manque de logements dispo-nibles, s’est aussi impliqué. Lors de l’achat d’une maison ou d’un appartement, le futur occupant doit par exemple payer au ven-deur un acompte, bien avant qu’un crédit hypothécaire ne soit conclu – une condition

impossible à remplir pour de nom-breuses familles à faibles revenus. Des associations (à l’initiative du

CIRE) ont ainsi mis en place un ensemble de groupes d’épargne. Chaque participant verse mensuellement (pendant deux ans et demi) une somme déterminée dans une ca-gnotte, et celle-ci est utilisée lors d’un achat. Le Fonds du logement, qui accorde ensuite le crédit, inclut le montant de l’avance dans celui-ci, ce qui permet à la famille de rendre l’argent au groupe d’épargne. La cagnotte peut dès lors profiter à un membre sui-vant… Une belle et efficace idée !

(1) Rendre la mesure neutre aurait demandé l’instauration d’un malus fiscal, refusé par une partie du gouvernement.(2) Un fort taux de propriétaires n’est pas nécessairement un signe de bonne santé : nous accompagnent par exemple l’Espagne, l’Italie et l’Irlande…

Bpour la première fois en Grande-Bretagne, voit des

d’une classe d’habitants plus aisés, chassant les plus

Matthieu Van Criekingen, enseignant-chercheur en géo-

plus forte que celle des revenus, dans des quartiers plus

recherchés, pousse alors les ménages moyens à chercher

de revitalisation et de rénovation de l’espace urbain, sont

-

cièrement.

Ces dernières années ont, de plus, vu s’accentuer un autre

entrées aujourd’hui en compétition les unes par rapport aux

qui sera la plus pratique, la plus agréable et la plus riche en

services. Mais cette compétition internationale passe trop

souvent au-dessus de la tête et des intérêts des anciens

habitants. Et, à Bruxelles, ceux-ci sont majoritairement à

logement social…

compétition, s’exclame Matthieu Van Criekingen, pas les

« Il y a clairement un choix fait en faveur des ménages

moyens, estime le chercheur,

Avec un

parc de logements à 90 % privé, dont les loyers peuvent

être régulièrement et librement augmentés sans contrôle

ni limite,

Le marché de l’immobilier

dont la valeur marchande peut se renchérir sans changer

d’un pouce, « grâce » à son environnement. « Il faut faire

demande le géographe.

En attendant, ne pas rénover pour éviter des loyers en

hausse ne semble pas non plus une bonne solution.

est tout de même essentiel. Le contrôle public

du foncier, le développement du logement public (y compris

d’emplois locaux, l’écoute des désirs des habitants, et le

renforcement de leur capacité d’agir sont des pistes d’ave-

nir dans le secteur logement.

Benjamin et Litte

Jeune couple avec deux enfants, Benjamin et Litte ont acquis une petite maison à Schaerbeek. Pour un bon prix, mais avec en contrepartie de nom-breux problèmes. Entre économies sur les transports et calculs de primes disponibles, ils tentent de monter leur projet de rénovation très basse éner-gie à budget serré. « Nous sommes convaincus que les maisons basse énergie ou passives sont les maisons du futur, car les prix de l’énergie vont continuer à monter. » Mais l’opération s’avère complexe, notamment par la difficulté de trouver un entrepreneur qui accepte de ne pas se laisser rebuter par les difficultés de parking et de limiter au maximum les coûts. C’est finalement Metin Meracesmesi, un professionnel pour qui ce chantier (son premier en très basse énergie) sera une carte de visite, qui va se lancer dans l’aventure, avec l’architecte Ewoud Saey. La maison sera rénovée au moyen de maté-riaux écologiques et de récupération. Le concours « Bâtiments exemplaires » remporté aidera à boucler le budget, Benjamin surveillera de près les tra-vaux, et quelques finitions attendront que les caisses se renflouent pour être réalisées… Mais le projet se fera !

Ewoud Saey

Coût d’achat ou de construction + 30 %(2005-2009)

à Bruxelles 40 %Propriétaires occupants

en Wallonie 70 %

Page 18: Imagine demain le monde

18[imagine 97] mai & juin 2013

En couverture

Ce soir-là, dans une petite salle du 22 de la rue Vandenpeere-boom, à Molenbeek, se serrent une trentaine de personnes. Au programme : du rêve ! Ces personnes sont en effet là pour

imaginer leur futur logement… Driss est venu avec une belle maquette en carton, réalisée avec ses enfants : un duplex, avec

un salon pour les invités – « je pourrai réa-liser un mur, qui ne monte pas jusqu’au pla-fond, avec une arcade » –, quatre chambres – « avec une pour ma mère qui vit chez nous six mois par an » –, une salle à man-ger avec une cuisine américaine… Certains n’ont pas eu le temps de réfléchir, ne savent pas, d’autres préfèrent une cuisine fermée ou un appartement de plain pied. Violetta piétine à l’avant, impatiente de montrer le collage réalisé par ses enfants : une grande maison avec un jardin sur le toit, quatre chambres, une cuisine bien lumineuse, un barbecue à côté… Chacun passe à son tour pour décrire ses envies, ses besoins. Tous ici participent de-puis un certain temps à un groupe d’épargne solidaire, le groupe Arc-en-ciel, réunis par leur souhait de devenir propriétaires. Mais plutôt que d’acquérir leur appartement de manière individuelle, ils se sont lancés – avec l’aide de diverses associations (1) –dans un projet collectif : un CommunityLand Trust. Et espèrent voir, dans quelques années, s’élever ici leur chez-eux tout neuf.Connu par les initiés sous l’acronyme de CLT, le Community Land Trust est une façon

différente de concevoir la propriété, née aux Etats-Unis, où elle existe depuis une qua-rantaine d’années déjà. Son principe ? Le sol appartient au CLT, qui l’a acquis grâce à des subsides publics ou par donation. Ce CLT cède le droit à des ménages d’y construire ou d’y rénover leur logement, qu’ils pourront ensuite revendre s’ils le désirent, mais en ne conservant que 25 %de la plus-value éventuellement réalisée (les 75 % restants servant à maintenir un prix accessible pour les suivants). Une partie des lieux sera si possible consacrée à un équipement collectif pour le quartier, et le conseil d’administration gérant le trust sera composé pour un tiers des occupants, pour un tiers des pouvoirs publics et pour un tiers de représentants du quartier, voi-sins ou associations. « Il faut revenir à une forme de sanctuarisation de la terre, com-mente Nicolas Bernard, professeur de droit à Saint-Louis, et que les pouvoirs publics jouent le jeu : la terre ne se vend pas. »« Nous avons commencé par une étude de faisabilité il y a trois ans, raconte Thomas Dawance, de la plate-forme CLT Bruxelles. Aujourd’hui la notion de CLT est définie

Diviser la propriété pour mieux habiter

Quelques habitants de l’Espoir devant leur propriété. Les aspects participatifs de ce projet ont servi de modèle pour les Community Land Trust en Belgique.

Community Land Trust

Si être propriétaire

ne pas changer la propriété ?

En séparant celle du sol

et celle du bâti, les

Community Land Trusts

apportent une réponse

pleine de promesses.

Page 19: Imagine demain le monde

[imagine 97] mai & juin 201319

Clairlieu Eco Défi

Jacques Trémon habite dans le quartier de Clairlieu, non loin de Nancy, en Lorraine. 1 300 pavillons, presque identiques, construits dans les années 70, qui rassemblent près de 5 000 habitants, dans ce qui est l’un des plus gros lotissements d’Europe. 1 300 gouffres à calories… « Notre prise de conscience a eu lieu lors d’une “fête du soleil” organisée par la Ville, raconte Jacques Trémon, président de l’association Clairlieu Eco Défi. Avec quelques voisins, nous nous sommes dit qu’il y avait peut-être moyen d’atteindre les standards basse consommation en isolant nos logements. » Et de profiter de la grande ressemblance des maisons pour reproduire le même schéma lors de chaque rénovation.Ils sont une trentaine alors à se lancer dans l’aventure : questionner des professionnels, réaliser une étude ther-mique, de structure… L’association, qui réunit jusqu’à 80 habitants, organise des séances d’information sur divers sujets liés, et demande finalement un permis de construire. « Il fallait que quelqu’un se lance, ça a été moi », sourit Jacques Trémon. Fin août 2011, le chantier commence. « Nous faisons tout nous-mêmes, car aucune entreprise ne réalise un chantier de A à Z, avec le risque que les uns abîment le travail des autres. » Mais travailler avec des bénévoles prend du temps, et le chantier se cherche quelquefois, même si l’un ou l’autre profession-nel donne un coup de main. « Nous ne pensions pas que ça allait durer deux ans, et dans ce premier cas cela va coûter 85 000 euros plutôt que les 65 000 prévus, mais à présent 90 % de ce qui a été fait sur ma maison est dupli-cable ! » L’association a monté une société coopérative d’intérêt collectif, va engager une coordinatrice et deux ouvriers, et se lancer à l’assaut d’autres pavillons. « Les gens nous disent, “Ça n’avance pas votre truc”, puis ils entrent chez moi et sont convaincus, ils voient bien que ça fonctionne. Nous avons tous appris sur le tas, c’était parfois un peu houleux, mais quelle aventure humaine ! »

clairlieuecodefi.fr

Un projet de façade pour le premier Community Land Trust d’Europe, à Anderlecht.

dans le nouveau code du logement, et nous venons d’acquérir un premier bâtiment à rénover à Anderlecht. » Pour l’instant, le chemin se trace en marchant : des ques-tions notariales restent ouvertes, celle de la sélection des candidats également. « LesCLT seront ouverts aux personnes dont les moyens se situent entre le revenu d’intégra-tion sociale et le revenu maximum permet-tant d’accéder aux crédits hypothécaires du Fonds du logement. »

L’Espoir fait des petits

Au-delà du « simple » achat d’un bien, la volonté du CLT est aussi de créer du lien, d’autoriser des familles aux revenus (très) modestes de concevoir leur loge-ment. En prenant modèle notamment sur un projet pilote en termes de participation, L’Espoir (2), qui a permis à 14 famillesde faire construire leur propre immeuble passif. « Cela a représenté cinq ans de réunions, de contacts avec les autorités, de visites d’autres bâtiments, de suivi de chantier, raconte Joséphine Mukabucyana, l’une des habitantes. Mais avec de la pa-tience… Aujourd’hui cela se passe bien, et nous avons d’autres projets, comme un jar-din collectif. »A L’Espoir, les familles sont des proprié-taires « classiques », même si elles ont été aidées par le Fonds du logement. Elles pourront donc revendre si elles le désirent leur logement au prix du marché. Contrer ce travers est l’un des grands avantages des CLT : la spéculation sur le foncier est bien entendu totalement évitée, puisqu’il ne sera pas vendu, mais celle sur le bâti pour partie aussi, grâce à la limite imposée au vendeur. « Ces logements seront ainsi définitivement réservés à ceux qui ont le plus de mal à en acquérir, reprend Thomas Dawance. Quant

à ceux qui revendront, ils auront un petit pécule qui les autorisera soit à avoir recours au Fonds du logement pour acheter sur le marché “classique”, soit à constituer sans souci une garantie locative. » Par cet accès à la propriété du bâti (et à un bâti de quali-té), l’espoir est que ces familles sortent de la précarité et puissent placer leurs ressources et leurs forces ailleurs ! « Etre propriétaire, c’est aussi assumer des responsabilités,signale Donatienne Hermesse, de la mai-son de quartier Bonnevie, qui suit les habi-tants de L’Espoir. Un syndic, ce n’est pas un propriétaire, il y a toujours des charges communes à payer, etc. Nous avons fait la somme des coûts annuels ensemble, afin de mieux les prévoir et de mettre de l’argent de côté. Mais c’est une vraie solution, notam-ment pour les familles nombreuses, pour lesquelles les logements adaptés à leurs besoins manquent énormément. »Si aujourd’hui deux lieux concrets sont sur la voie du CLT, rue Vandenpeereboom à Molenbeek et rue Verheyden à Anderlecht, bien d’autres sont en gestation et la Wallo-nie s’intéresse également à l’idée. Une très belle aventure commence !

(1) Ciré, Bonnevie, CLTB asbl…(2) lire Imagine n° 80, juillet-août 2010. Voir aussi notre photo de couverture.

communitylandtrust.wordpress.com

Page 20: Imagine demain le monde

20[imagine 97] mai & juin 2013

Recherche

Face à la situation critique dans laquelle notre société est plongée, chaque discipline scientifi que y va de sa petite proposition : les climatologues, les agronomes, les ingé-nieurs, les architectes, les économistes, les sociologues, etc. Des propositions parfois contradictoires et souvent déconnectées de la réalité des gens. Et il devient évident

que l’ensemble de ces propositions « monodisciplinaires » ne consti-tuera jamais une stratégie globale. Au contraire, les œillères de cha-cun empêchent de penser de manière systémique. Le tout est plus que la somme des parties Curieusement, de nombreux scientifi ques en sont conscients, et même inquiets. Mais ils ne peuvent le dire trop haut, « pas plus que des parents ne peuvent se disputer devant leurs enfants » (1). Car ouvrir un tel débat dans la société reviendrait à remettre en cause l’autorité de la science. Devant un tel chantier, le « public » perdrait confi ance en sa science, toujours « objective » et sûre d’elle-même. Le « progrès » scientifi que est à ce prix, mais « la question de savoir pourquoi ce progrès peut aujourd’hui être associé à un “développe-ment insoutenable” ne sera pas posée » (2). Il y a là un sérieux blocage.

Une nouvelle science

Partant de ce constat accablant et paralysant, le ministre wallon du Développement durable Jean-Marc Nollet a commandé un rapport (3) au professeur Tom Dedeurwaerdere (lire l’entretien ci-dessous) pour poser un diagnostic et faire des propositions de réformes. Présenté au premier Congrès interdisciplinaire sur le développement durable, qui a eu lieu à Namur fi n janvier dernier (4), le rapport propose d’ouvrir la pratique scientifi que de trois manières.D’abord, par l’interdisciplinarité, qui consiste à faire travailler les disciplines entre elles et forcer les chercheurs à créer un nouveau langage commun en tenant compte des autres disciplines. Le pro-duit intérieur brut, par exemple, est une simple mesure de l’activité économique (monodisciplinaire). Mais on sait depuis longtemps que cet indice ne mesure pas le bonheur d’une société, ni sa qualité de vie, loin de là. D’autres indices ont été créés, en réunissant plusieurs disciplines des sciences sociales, mais n’ont pas encore été mis en œuvre offi ciellement.

vla

de

b

Professeur à Leuven et à Louvain-la-

Neuve, Tom Dedeurwaerdere présente

Quel accueil a reçu votre rapport Les sciences

du développement durable pour régir la

transition vers la durabilité forte ?

Alors justement, qu’est-ce qui ne tourne pas

l’Homo œconomicus,

« Nous,

on fait des modèles mathématiques, et tout ce qui

est éthique ne rentre pas dans nos modèles. » Ce

Il faudrait en quelque sorte « moraliser » la

science…

Et vous allez très loin dans les propositions…

Chaque discipline est une île… Dans les années 80, un manque d’eau douce menace l’écosystème des Everglades, en Floride. La solution « simple » retenue à l’époque (injec-ter de l’eau douce) ne tient pas compte des paramètres sociologiques et économiques de la région, ce qui provoque un déséquilibre inverse quelques années plus tard, et coûte bien plus cher que prévu.

Tom Dedeurwaerdere« L’enjeu est de créer de la transformation sociale »

La science « classique », organisée en

disciplines, « neutre » et coupée de la

société, n’est pas capable de comprendre

la crise systémique que nous vivons.

Décloisonner les disciplines, ouvrir les

sciences à la société et à l’éthique, telles

sont les propositions du rapport de Tom

Dedeurwaerdere, à l’occasion du premier

développement durable.

Quelles sciencespour penser

Page 21: Imagine demain le monde

[imagine 97] mai & juin 201321

La multidisciplinarité permet de voir un problème selon différents points de vue. L’interdisciplinarité crée un nouveau langage commun à différentes disciplines. La transdisciplinarité ouvre la science à la société, ce qui permet d’innover en dépassant les cadres stricts et bornés des disciplines classiques.

transdisciplinaire, pensez-vous que les

changer ?

attaque frontale contre un système puissant…

Comment le monde politique a-t-il réagi ?

venir ?

Propos recueillis par Pablo Servigne

Faire dialoguer les sciences est sympathique, mais cela ne suffit pas. La tour d’ivoire reste en place.Il faut d’urgence ouvrir la pratique scientifique à la société dans laquelle elle vit. C’est ce qu’on appelle la transdisciplinarité : for-muler des questions de recherche avec les acteurs de la société (monde politique, associatif, militant, etc.), collecter et analyser des données avec ces mêmes acteurs, et enfin appliquer les conclu-sions avec et pour la société. Telle devrait être l’objectif ultime de la science ! Les exemples sont rares, mais ils existent. Les parte-nariats universités-villes autour de l’objectif « ville zéro carbone »réunissent architectes, ingénieurs, sociologues, économistes, qui vont sur le terrain discuter avec les gens à propos de la mobilité, de l’agriculture urbaine, etc.Mais inter- et transdisciplinarité ne suffisent toujours pas. Même coopérative et ouverte à la société, la science serait toujours boiteuse. Il faut y ajouter un troisième élément, et non des moindres, c’est l’éthique. Une éthique du développement durable au sens fort (5) au sein de l’institution scientifique, et aussi une éthique en tant que sujet explicite d’étude. Bref, arrêter de considérer la science comme « neutre ».Ce trio interdisciplinarité-transdisciplinarité-éthique s’applique à toutes les problématiques complexes. C’est-à-dire celles qui contiennent une incertitude forte (non-prédictibilité), qui sont su-jettes à controverses, et où des valeurs éthiques sont en débat : le développement durable, la médecine, la culture, les arts, etc.

Comment avancer ?

Ces propositions rejoignent le constat que fait Isabelle Stengers dans son nouveau livre Une autre science est possible ! (voirp. 50). La philosophe développe la notion « d’intelligence publique des sciences » pour dissoudre l’opposition science-opinion. C’est un tremblement de terre : « C’est ici l’ethos même des scientifiques qui est en question, et notamment leur méfiance envers tout risque de “mélange” entre ce qu’ils jugent “faits” et “valeurs”. »Pour avancer, il faut jeter des ponts entre les organismes de recherche, mais aussi créer de nouvelles filières. En Flandre, l’Instituut Samenleving en Technologie, une institution scientifique indépendante et autonome liée au Parlement flamand, a récemment

publié un rapport semblable à celui de Tom Dedeurwaerdere. Le lien entre les deux rapports vient d’être fait par le milieu acadé-mique. Les choses bougent, espérons que le monde politique suiveDepuis quatre ou cinq ans la crédibilité de ce genre de démarche commence à être reconnue. Des initiatives semblables émergent partout dans le monde mais elles ne constituent pas encore un mouvement coordonné. Le travail consiste désormais à les recen-ser, à les mettre en réseaux et à les multiplier. C’est maintenant ou jamais. Pablo Servigne

(1) Isabelle Stengers. Une autre science est possible ! Les Empêcheurs de penser en rond, La Découverte, 2013.(2) Op. cit., p 12.(3) Tom Dedeurwaerdere, 2013. Les sciences du développement durable pour régir la transition vers la durabilité forte. UCL-FNRS. Disponible sur nollet.wallonie.be(4) www.congrestransitiondurable.org(5) En référence à la durabilité au sens fort vs au sens faible.

le nouveau monde ?Discipline Multidisciplinarité Interdisciplinarité Transdisciplinarité

Pensée disciplinaire

Page 22: Imagine demain le monde

22[imagine 97] mai & juin 2013

Politique

En Belgique, la fonction du roi est à cet égard emblé-matique. Son rôle allie tâches de représentation, à propos desquelles le Palais communique volontiers, et entretiens à propos desquels le secret du « colloque singulier » est de rigueur. En cela, il agit dans le champ ouvert par la Constitution sans que cela pose vraiment

problème.Mais parfois une communication abondante peut servir à détourner l’attention des médias et du grand public afin d’éviter que n’arri-vent au premier plan d’autres informations, censées rester plus confidentielles ou à propos desquelles on ne souhaite tout simple-ment pas avoir à s’expliquer longuement.Cette manière d’attirer l’attention afin de la détourner peut être appelée la « pratique du coucou ». C’est comme si l’acteur, commu-niquant sur un thème, agitait la main en criant « coucou ! » pour focaliser les regards. Ce faisant, son autre main s’active discrète-ment derrière son dos, à l’abri des yeux indiscrets.

Du 16 jusqu’à Rome…

Au terme de longues négociations, le gouvernement fédéral a déci-dé en novembre 2012, lors de la confection du budget 2013, de blo-quer les salaires tout en préservant leur indexation automatique. Socialistes et syndicats avaient depuis longtemps fait du maintien de l’indexation une priorité absolue. Dans leur communication, le gouvernement, et en particulier les partis socialistes qui y parti-cipent, ont insisté sur cette préservation. La presse a cependant rapidement révélé que, dans le même temps, et en le claironnant nettement moins, le gouvernement avait décidé de revoir la compo-sition du panier dit de la ménagère sur la base duquel est calculée l’évolution des prix, et ce dans le but de retarder les futures indexa-tions des salaires et des allocations sociales.Quand il a présenté son intention de fournir aux ménages wallons 500 kWh d’électricité par an à titre gratuit, le ministre régional en charge du Développement durable, Jean-Marc Nollet (Ecolo), s’est immédiatement vu accuser de vouloir masquer le fait que, dans le même temps, la facture de l’ensemble de ces ménages allait s’alour-dir par le biais d’autres mesures, notamment fiscales. Dans ce cas, ses partenaires de la majorité se sont empressés de communiquer sur le second aspect, prêtant l’intention au ministre de mettre en avant la gratuité pour masquer la hausse de la facture.Dans un autre registre, d’aucuns ont considéré que les propos très conservateurs du pape Benoît XVI sur la lutte contre le sida ou contre l’avortement, ou ses sorties jugées provocatrices, ont pu, pendant longtemps, concentrer l’attention des médias et du public et retarder l’éclatement des scandales de pédophilie dus à des ecclé-siastiques. Dans ce cas, le coucou devient assez manifeste, mais rétrospectivement. Après tout, le Vatican ne faisait que rappeler sa ligne bien connue, mais c’est lorsque les scandales ont éclaté qu’on

a pu comprendre pourquoi la communication était aussi abondante.Le meilleur exemple de coucou est évidemment celui qui n’est pas démasqué, et qu’il est donc par définition difficile de déceler ou de démontrer.

… en passant par le bureau ovale

Plus largement, le coucou est une pratique répandue dans le dis-cours politique pour éluder ses responsabilités, justifier une dé-cision ou imposer un point de vue. En décembre 1998, empêtré dans l’affaire Lewinsky à propos de laquelle la Chambre est en train d’enclencher une procédure d’impeachment à son encontre, le président Clinton lance des frappes aériennes sur l’Irak. Plus d’un analyste y a vu un exemple typique de ce qu’on peut qualifier de coucou (1). A la réflexion, on peut cependant se demander quel était vraiment l’élément le plus honteux à cacher en mettant l’autre en lumière : un adultère consenti ou des bombardements ?A certains égards, le discours sur les pénuries de main-d’œuvre a lui aussi pour fonction de dissimuler en disant. Certes, les en-treprises qui ne trouvent pas les travailleurs qualifiés dont elles ont besoin sont embarrassées et peuvent éventuellement perdre des marchés ou des clients pour cette raison. Les théories écono-miques dominantes prescrivent cependant que, dans ce cas, ces employeurs devraient augmenter les salaires pour qu’offre et de-mande s’équilibrent. Les sociologues du travail noteront que, jadis, ce sont les entreprises elles-mêmes qui formaient leurs travailleurs, et qu’aujourd’hui elles attendent de l’enseignement qu’il leur four-nisse des « ressources humaines » parfaitement adaptées à leurs besoins hyperspécialisés. Le chercheur de coucou relèvera pour sa part que le discours martelé sur ce thème permet au patronat et aux pouvoirs publics d’éviter d’avoir à répondre de leurs respon-sabilités à propos d’un problème bien plus vaste : la persistance d’un chômage de masse. En Wallonie, le Forem considère que les pénuries concernent quelque 8 000 cas par an tout au plus. Les chômeurs, eux, avoisinent les 200 000 personnes.En matière d’OGM, les résultats, rendus publics en septembre 2012, des expériences menées par l’équipe du professeur Séralini ont fait grand bruit. Indiquant qu’une variété de maïs transgé-nique commercialisée par Monsanto présente des risques de cancer pour des souris, ils ont immédiatement suscité de très vives et très nombreuses réactions d’autres scientifiques. La méthodologie em-ployée, le type de souris utilisée, etc., ont été fortement critiqués, jetant le discrédit sur cette étude. En se focalisant sur la méthode, cette polémique a considérablement empêché la relance du débat sur la nocivité des OGM eux-mêmes. Surtout, elle a relégué à l’ar-rière-plan le fait qu’aucune agence officielle ne semble avoir décidé de mener elle-même une étude sur une durée similaire (deux ans), seul procédé susceptible de confirmer ou d’invalider sérieusement les travaux des chercheurs français.

La diffusion de l’information se caractérise par un

contraste permanent. Les acteurs politiques, économiques

ou sociaux communiquent à foison sur certains dossiers.

Tandis qu’ils agissent discrètement, voire dans le plus

grand secret, dans d’autres domaines.

[Les jeux et les enjeux]

par Jean Faniel, CRISP

Page 23: Imagine demain le monde

[imagine 97] mai & juin 201323

De manière semblable, dans un autre domaine lié à la préservation de l’environnement, les climatosceptiques sont soupçonnés par les écologistes de focaliser l’attention du grand public sur des facteurs autres que les agissements humains afin de protéger des intérêts particuliers, tels ceux des industries polluantes.

Le sens critique comme antidote

La « théorie du coucou » (telle qu’on pourrait la qualifier de manière humoristico-pompeuse) doit se distinguer de la théorie du complot en ce sens qu’elle concerne des faits réels, avérés, mais à propos desquels la communication est pour le moins discrète, tandis que, de manière concomitante, la communication est abondante sur une autre thématique. Il ne faut pas non plus voir ce type de phéno-mène partout. Il peut arriver qu’il se produise de manière fortuite, et pas nécessairement voulue et savamment planifiée par un acteur.Beaucoup de coucous peuvent se produire en raison du manque d’information dont disposent les journalistes dans un monde où les rédactions se réduisent et où leurs conditions de travail se dété-riorent. Ou sans doute aussi, parfois, à cause d’un manque de recul ou d’esprit critique de leur part. C’est le rôle du journalisme d’in-vestigation de mettre en lumière certains coucous. Ou, plus sim-plement, d’un journalisme s’exerçant avec un temps de recul, de manière, par exemple, à pouvoir analyser l’ensemble des dossiers traités par un cabinet ministériel ou à pouvoir scruter les différents postes d’un budget avant de terminer son reportage.A contrario, on peut présumer que certains acteurs politiques, écono-

miques ou sociaux tablent sur les contraintes qui affectent les journalistes et sur la rapidité avec laquelle une information chasse l’autre dans les médias pour avancer discrètement leurs pions, tout en agitant la main au besoin à propos d’un autre sujet.Outre les journalistes, les citoyens ont dès lors également leur rôle à jouer en exerçant leur sens critique et en décodant l’information qui leur est présentée, même si elle provient d’une source autori-sée. Pour paraphraser le proverbe (2), quand le sage fait coucou, l’imbécile regarde la main qui s’agite…

(1) Le film Wag the Dog (Des hommes d’influence), sorti en 1997, imaginait déjà un président des Etats-Unis mettant en scène une guerre afin de détourner l’attention des accusations d’abus sexuel portées à son encontre à deux semaines de sa réélection.(2) « Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt. »

coucous » !

Jean Faniel sera directeur du CRISP

Nous apprenons avec plaisir que Jean Faniel, 36 ans, politologue de talent

et chroniqueur bien connu depuis des années des lecteurs d’Imagine, a

été choisi pour succéder à Vincent de Coorebyter au poste de directeur

général du CRISP. Jean Faniel prendra ses nouvelles fonctions à partir

de la mi-septembre, Vincent de Coorebyter devenant alors professeur à l’ULB

tout en gardant une présence au CRISP, puisqu’il deviendra président du Centre

de recherche et d’information socio-politiques. A.R.

Page 24: Imagine demain le monde

24[imagine 97] mai & juin 2013

Energie

Cadre éolien

Aux mâts,citoyens !Après plus de deux ans de consultations, le gouvernement wallon a adopté, le 21

février dernier, le nouveau Cadre de référence éolien. Celui-ci visera un objectif

ambitieux : atteindre une production de 4 500 GWh/an d’ici 2020. Les communes et

les citoyens sont vivement encouragés à s’impliquer dans les projets éoliens.

Voici donc le nouveau cadre de référence pour l’implantation d’éoliennes en Wallonie. Il s’appuie sur plus de deux années de consultations avec les acteurs du secteur, les associations environnemen-tales et les nombreuses instances décisionnelles. L’exercice visait à mieux encadrer le développement

éolien en Wallonie et à mettre à jour le premier Cadre, adopté en 2002, sur la base de l’expérience acquise et de l’évolution des tech-nologies.Première bonne nouvelle : l’objectif ambitieux d’atteindre 4 500 GWh/an d’ici 2020 est confirmé, ce qui couvrira un peu plus de 15 % de la consommation finale d’électricité en Wallonie. Cette croissance sera possible grâce à des critères plus souples (installa-

tion parfois autorisée en forêt ou favorisée le long des autoroutes ; exclusion parfois levée en zone militaire), mais devra aussi rencon-trer des exigences plus strictes, notamment une implantation plus éloignée des habitations (1). Il s’agit à présent d’adopter un décret pour rendre ces critères contraignants. Le secteur éolien, actuelle-ment confronté à de nombreux recours au Conseil d’Etat, pourra alors se développer sur des bases juridiques plus claires.Le gouvernement wallon a également adopté une cartographie indicative des zones favorables pour le développement éolien (voirci-contre). Ces 50 zones supracommunales intègrent le potentiel de vent ainsi que les principales contraintes environnementales et urbanistiques. Chaque zone se voit ainsi attribuer un « objectif de productible éolien », en tenant compte des mats déjà installés. Cette

Tous les pays euro-péens ont mis en place différents mécanismes de soutien pour cofi-nancer le déve-

loppement des modes de pro-duction d’électricité verte. Ce soutien prend notamment en compte les investissements nécessaires et les bénéfices en-vironnementaux (diminution de nos émissions de CO2). En

Belgique, les trois Régions ont instauré le mécanisme du marché des certificats verts, dont la valeur est régulièrement adaptée en fonction de l’évolution des technologies et des filières (1).

Le prix des installations divisé par trois

En Wallonie, le gouvernement a décidé en 2007 de développer la production d’électricité solaire et a appliqué un coefficient multi-plicateur pour l’octroi de certificats verts aux petites installations (d’une puissance inférieure à 10 kWc). Initialement, ce coefficient devait permettre de compenser le coût relativement élevé des ins-

tallations en offrant une rentabilité intéressante pour l’investisseur. La formule a rencontré un très large succès. Cependant, ce méca-nisme n’a pas assez tenu compte de la chute du prix des maté-riaux : si une installation moyenne coûtait 18 000 euros en 2009, elle ne coûte plus que 6 000 euros aujourd’hui. Le soutien a été régulièrement revu à la baisse, mais trop lentement, ce qui a créé des effets d’aubaine et des rushes de commandes de nouvelles ins-tallations avant chaque échéance de réduction des aides (2).L’impact sur le marché des certificats verts a été considérable : dé-but 2013, le photovoltaïque représentait la moitié des certificats verts générés pour environ 10 % d’électricité verte produite. Ce stock est actuellement bloqué, car l’offre dépasse très largement la demande (définie par un système de quotas). Cette « bulle » repré-sente les 2,5 milliards d’euros répartis sur 15 ans, évoqués par la presse. Le gouvernement wallon, bien au fait du problème depuis au moins deux ans, n’a pas réussi à adapter le mécanisme pour mieux piloter cette croissance et son impact sur la facture d’électri-cité, à l’exemple du gouvernement bruxellois (3).Les partis politiques, déjà en campagne électorale, s’affrontent désormais sur la répartition de cette facture. Qui devra la payer ?L’ensemble des consommateurs d’électricité ? Les propriétaires de panneaux solaires, via par exemple une nouvelle taxe comme celle récemment instaurée en Flandre pour des raisons similaires ? Le débat est complexe et doit également tenir compte des bénéfices

Quel juste soutien au photovoltaïque ?

Le débat politique s’est cristallisé ces derniers mois sur

le coût du soutien aux petites installations photovoltaïques en

Wallonie. Ce débat, légitime sur le fond, doit cependant

intégrer tous les enjeux de la transition énergétique.

Analyse de la situation.

Le futur soutien au photovoltaïque, baptisé Qualiwatt, tiendra notamment compte de la qualité des installations et de la protection des consommateurs.

D.R

.

Page 25: Imagine demain le monde

[imagine 97] mai & juin 201325

De Solwatt à « Qualiwatt »

L’ancien système d’aide au photovoltaïque, qui portait le nom de

nouveau système, baptisé Qualiwatt, devrait entrer en vigueur

l’été prochain. Dans l’intervalle, un régime transitoire a été mis en

place.

Qualiwatt, en cours de rédaction, sera tout différent. Il visera à assurer le

retour sur investissement sur une période de 7, 8 ou 9 ans, selon que les

Comme l’indique son nom, Qualiwatt mettra bien évidemment l’accent sur la

qualité des installations. Parmi les critères qui seront pris en considération :

consommateur.

générés : les rentrées fi nancières de la TVA lors de l’achat des équi-pements, les charges patronales payées chaque année par les entre-prises de la fi lière et les 3 000 emplois créés à ce jour en Wallonie. De plus, le parc solaire permet d’éviter des émissions de CO2 – qui seraient sinon générées par des centrales électriques, au gaz ou au charbon – et donc de payer des amendes dans le cadre des objec-tifs de Kyoto. D’où la piste évoquée qui consiste à faire porter la facture solaire sur les industries fortement émettrices de CO2. Dans l’immédiat, le gouvernement wallon s’est accordé sur un nouveau mécanisme, baptisé Qualiwatt – mais dont les modalités de mise en œuvre doivent encore se négocier avec les nombreux acteurs du secteur de l’énergie (4). Le processus s’annonce… électrique.

Coûts ou investissements ?

Le débat autour du solaire est emblématique de la transition éner-gétique en cours. Il est important de rappeler que le soutien aux pro-ductions renouvelables représente non pas un coût perdu (comme le sont nos importations de combustibles fossiles, qui partent en fumée), mais bien un investissement dans de nouvelles capacités de production, qui assureront à moyen terme un service énergé-tique durable et à moindre coût. En France, la première étude sur le coût de l’éolien, publiée en mars par E-Cube Strategy (5), conclut que celui-ci fera baisser le prix global de l’électricité de manière structurelle à partir de 2025. L’éolien, le photovoltaïque et l’hydro-électrique, qui ne nécessitent pas d’achat de combustibles, permettront à moyen terme de pro-duire une électricité moins chère, à partir de sources locales qui seront toujours disponibles (vent, soleil, eau). La puissance alle-mande a bien compris l’intérêt socio-économique d’une telle tran-sition (lire Imagine n° 96). Pour compléter le débat, il s’agit enfi n d’intégrer tous les coûts indi-rects générés par les productions classiques d’électricité (charbon, gaz, nucléaire). L’association européenne HEAL, qui représente des professionnels de la santé, des mutuelles de santé publique, des patients, des citoyens et des experts de l’environnement, vient ainsi de publier un rapport qui démontre que « la pollution de l’air due à l’utilisation du charbon est responsable de décès prématurés et de maladies ». Les dépenses de santé publique liées à cette pollu-tion induisent, pour la population européenne, un fardeau fi nancier

de 42,8 milliards d’euros par an. En Belgique, les coûts de santé liés au recours au charbon s’élèveraient à 134 millions d’euros par an. Dans le débat actuel sur le coût de la transition, les « externali-tés négatives » des énergies fossiles et fi ssiles ne sont que trop peu prises en considération. Voilà qui devrait rééquilibrer un tant soit peu la balance. Christophe Haveaux

(1) Pour mieux connaître le principe des certifi cats verts : www.cwape.be.(2) La puissance installée en Wallonie a doublé en 2012 pour atteindre près de 100 000 installations représentant 526 MWc (près de 20 % du parc belge). Statistiques complètes sur l’Observatoire des énergies renouvelables : www.apere.org. (3) Le marché bruxellois est très diff érent, avec des quotas de certifi cats verts beaucoup plus bas. L’impact des certifi cats verts sur la facture y est donc moindre. Cependant, le gouvernement bruxellois a instauré un principe de révision annuelle de la valeur des certifi cats verts, qui intègre à chaque fois diff érents paramètres – dont la diminution du coût des matériaux – afi n de garantir un soutien proportionné et un temps de retour sur investissement sur sept ans.(4) Pour suivre la mise en place de Qualiwatt : www.ef4.be et www.renouvelle.org.(5) Etude disponible sur free.asso.fr.

50 lots pour accueillir les éoliennes

cartographie va à présent être soumise à enquête dans toutes les communes.Deuxième bonne nouvelle : les projets éoliens participatifs sont largement encouragés. Les développeurs privés se voient en effet obligés d’ouvrir leurs projets à hauteur de 24,99 % maximum pour les citoyens et de 24,99 % maximum pour les communes, si la demande leur en est faite. Autrement dit : les citoyens et les com-munes auront désormais la possibilité de s’impliquer dans chaque nouveau projet éolien en Wallonie. Cette disposition légale est rare en Europe. C’est donc une réelle opportunité pour les collectivités locales de prendre en main leur avenir énergétique.Or le mouvement participatif s’avère déjà très actif en Wallonie : sur les 43 parcs éoliens actuellement en activité, 10 comportent

une participation locale. Si l’on considère les puissances installées, autorisées, en construction et en recours, la tendance participative représente 8 % des projets actuels. Le nouveau Cadre va largement favoriser ce mouvement. Rappelons qu’en Allemagne la population (coopératives, particuliers, fermiers…) détient 51 % des nouvelles capacités de production d’énergie renouvelable (2). Un exemple inspirant ! Christophe Haveaux En collaboration avec Renouvelle (www.renouvelle.org)

(1) Analyse détaillée sur www.eolien.be.(2) Lire Imagine, mars-avril 2013 : « Transition énergétique : quelles leçons tirer de l’expérience allemande ? »

Page 26: Imagine demain le monde

26[imagine 97] mai & juin 2013

Ethologie-Science

Le buzz des cardinauxL’église catholique a une méthode bien particulière pour élire son pape.

Curieusement, ce mode d’élection ressemble à celui qu’utilisent les abeilles

lorsqu’elles choisissent un nouvel emplacement pour leur nid. Une méthode bien

La fumée blanche indique que les cardinaux ont élu leur nouveau pape ! Après un processus bien précis et rodé depuis 740 ans, isolés du reste du monde, 115 car-dinaux parviennent à se mettre d’accord en quelques jours, parfois en quelques heures. Face aux enjeux co-lossaux, comment font-ils pour décider si rapidement,

et pour ne pas s’étriper ?D’abord, concédons que la méthode a fait ses preuves : sept siècles, c’est très long. Dans le même genre, vous ne trouverez pas plus grands experts en durabilité que les insectes sociaux. Depuis des millions d’années, ils prennent collectivement et quotidiennement des décisions vitales pour leur groupe. C’est simple, si leurs modes de décision n’étaient pas efficaces, ils ne seraient pas là. C’est sur ce constat que s’appuie le biomimétisme, une discipline qui s’ins-pire du vivant pour concevoir des systèmes humains durables. Le vivant a 3,8 milliards d’années d’expérience derrière lui ; mettez un biologiste dans chaque équipe de recherche et développement, et vous aurez accès à toute cette sagesse !Les abeilles, par exemple, doivent faire des choix difficiles. Lorsqu’une colonie essaime, la reine la plus âgée part avec une cohorte d’ouvrières chercher un emplacement où installer un nou-veau nid. Un moment d’extrême fragilité pour la colonie, qui a intérêt à choisir le plus rapidement possible. L’essaim s’accroche à une branche et des centaines d’ouvrières partent à la recherche d’un bon emplacement. Puis, chacune revient vers l’essaim avec sa petite proposition… et tente de convaincre les autres ! Un tronc creux ici, une faille dans la roche là, une belle ruche vide ailleurs… les débats promettent d’être longs. Il n’en est rien, l’essaim peut se mettre d’accord en quelques jours, voire quelques heures, et c’est toujours l’option la plus adéquate pour la colonie qui est choisie !

Les cinq règles d’or

C’est précisément ce problème qui a hanté pendant plus de 40 ansle chercheur Tom Seeley, l’un des plus grands spécialistes du com-portement des abeilles. Dans un magnifique livre intitulé La démo-cratie des abeilles (1), le chercheur fait la synthèse d’une vie de découvertes passionnantes et d’expériences originales (voir enca-dré « Méthodo »). Ses recherches sur les abeilles ont permis de mettre en évidence cinq règles d’or qui rendent une élection à la fois rapide (efficace) et démocratique.1) Composer le groupe de décision avec des intérêts convergents et un respect mutuel : on évite les débats contradictoires et les luttes d’égos, car la survie de l’individu dépend de la survie du groupe. 2) Minimiser l’influence du leader sur la pensée du groupe : c’est le meilleur moyen d’être ouvert à des idées novatrices. 3) Chercherà diversifier au maximum les solutions possibles, car c’est de cette diversité que naît la résilience. 4) Créer les meilleures conditions pour l’émergence d’une compétition équitable entre toutes les op-tions : une communication franche et ouverte dans le groupe (in-terdépendance) en évitant les influences diverses (indépendance). 5. Utiliser un quorum (voir encadré « Concept »), c’est-à-dire un seuil à partir duquel les options perdantes se rallient à l’option émergente (2).L’originalité de Seeley est d’avoir appliqué – et donc expérimenté –ces règles à ses semblables, en particulier lorsqu’il a été nommé à la tête du département de Neurobiologie et Comportement à l’Univer-sité de Cornell (Etats-Unis), où les décisions ne sont pas toujours faciles à prendre (gestion du personnel, budgets de recherche, etc.). Pour lui, ces principes de sagesse des abeilles peuvent très bien (et devraient) s’appliquer aux groupes humains !

Du bûcher au rucher...

L’église catholique n’a pas attendu Seeley pour se donner des règles assez semblables. Il faut remonter au traumatisme de l’élection de Grégoire X en 1271 : après deux ans et demi de discussions, les électeurs n’étaient toujours pas d’accord. Pour accélérer la procé-dure, le podestat (premier magistrat) décida alors de les emmurer dans le palais et de les mettre au pain sec et à l’eau (3) ! Grégoire Xmit donc en place au 2e concile de Lyon, en 1274, un nouveau mode original d’élection, désormais régi par des règles strictes.Le scrutin doit se dérouler à huis clos (conclave) et tout contact avec l’extérieur est strictement interdit sous peine d’excommunication. On évite ainsi les influences diverses (règles 1 et 4). Les 115 élec-teurs prêtent serment et ont un intérêt convergent : trouver un pape rapidement pour la crédibilité d’une institution qui les nourrit et leur donne du pouvoir (règle 1). Il n’y a pas de leader, les cardinaux sont sur un pied d’égalité (règle 2). Toutes les personnes présentes peuvent être élues (4) (règle 3). Tout pacte, alliance ou accord est interdit. De plus, le vote est secret (rare dans les petits groupes !),ce qui permet à l’électeur de voter en toute indépendance (règle 4).Il faut une majorité des deux tiers (quorum), mais si les résultats (connus de tous) d’un premier scrutin ne sont pas concluants, les bulletins sont brûlés dans le poêle de la Chapelle Sixtine pour pré-server le secret du vote (c’est la fameuse fumée noire). Alors, les débats continuent et on procède à un second scrutin, ce qui peut porter le nombre de scrutins quotidiens à quatre, et durer plusieurs jours. En fait, chaque scrutin est comme un sondage du groupe qui permet à chacun de calibrer son prochain vote, de conforter des op-tions intéressantes ou de renoncer à son option. Une fois le quorum dépassé, les autres lâchent prise de manière amicale et se rallient à l’option gagnante pour ne pas freiner le groupe, car l’unanimité est souvent inaccessible (règle 5).

> HistoriqueL’étude de l’intelligence des abeilles

L’incroyable intelligence collective des abeilles fascine

depuis l’Antiquité. Mais c’est au cours du 20e siècle que

la compréhension du sujet a fait des bonds gigantesques.

On doit à Karl von Frisch (1886-1982, prix Nobel 1978)

la découverte de la géniale « danse des abeilles », qui leur permet

de communiquer, de retour à la ruche, l’emplacement exact

d’une source de nourriture. Un des élèves de von Frisch, Martin

Lindauer (1918-2008), s’est particulièrement distingué en perçant

les mystères de la communication et de l’essaimage chez les

abeilles… et en donnant envie à l’un de ses jeunes étudiants, Tom

Seeley, de découvrir par quels moyens elles arrivaient à prendre

des décisions collectivement. L’école de von Frisch et Lindauer

a essaimé (c’est le cas de le dire) partout dans le monde, et en

particulier dans le champ des neurosciences. Aujourd’hui, certains

laboratoires d’éthologie étudient l’intelligence des abeilles en allant

voir directement ce qui se passe dans leur cerveau !

Par Pablo Servigne et Gauthier Chapelle

Page 27: Imagine demain le monde

[imagine 97] mai & juin 201327

> Le conceptLe quorum

C’est le nombre minimal de membres

d’un corps délibératif nécessaire à la

validité d’une décision. Cela, c’est pour

les humains. Mais le quorum a aussi

été décrit chez d’autres êtres vivants. On le retrouve

bien sûr chez les abeilles, mais aussi chez les

fourmis ou certaines bactéries. Ces dernières sont

dites « sensibles au quorum » via des mécanismes

de régulation de l’expression de certains gènes :

à partir de seuils de substances chimiques que

les bactéries sont capables de détecter, elles se

mettent à activer les mêmes gènes simultanément.

Par exemple, certaines bactéries peuvent croître

discrètement dans l’organisme d’un hôte, sans effets

pathogènes, et à partir d’une certaine concentration

(quorum), elles deviennent virulentes, prenant ainsi

l’hôte par surprise. C’est le début d’une maladie…

© D

avid

(M

K)

> MethodoComment étudier le déménagement d’une ruche ?

Il faut d’abord beaucoup de patience, de très longues heures d’observation, des caméras pour

En été 2007, Tom Seeley et deux de ses collègues sont allés sur une petite île déserte

pour étudier les comportements individuels des abeilles lors d’un déménagement de nid. Pour

l’essaim testé, il n’y avait pas d’autre choix que d’aller s’installer à l’autre bout de l’île, dans l’une

des deux boîtes que leur avaient préparées les chercheurs : l’une petite et étroite, l’autre grande

et confortable. A peine arrivées dans les boîtes pour juger de leurs qualités, les éclaireuses

étaient immobilisées par un expérimentateur qui leur collait une pastille de couleur. Ainsi, de

découvrir que, de retour au nid, chaque éclaireuse ne dansait que très peu pour informer les

autres de sa découverte, et qu’il n’y avait qu’une toute petite différence d’intensité selon la

collectif, mais lorsqu’on cumulait les danses de 10 ou 20 éclaireuses, on voyait se dessiner

peu à peu une préférence pour le meilleur site. C’est l’effet boule de neige : plus la différence

se faisait sentir, plus les abeilles allaient voir ce site et revenaient danser pour lui. C’est donc le

nombre qui fait la sagesse de la décision, et non l’intelligence d’une seule ouvrière !

Source : Seeley T. D. et Visscher P. K, « Sensory coding of nest-site value on honeybee swarms », 2008, Journal of Experimental Biology, n° 211, p. 3691-3697.

L’étude de l’intelligence des abeilles a permis de mettre en évidence cinq règles d’or qui rendent les choix collectifs à la fois efficaces et démocratiques.

Une telle élection est-elle démocratique ? Du point de vue du 1,2 milliard de catholiques dans le monde, on peut en douter. Aussi sages soient-ils, 115 hommesâgés de plus de 55 ans peuvent difficilement les re-présenter tous. Mais est-ce là l’objectif de l’Eglise ?Par contre, du point de vue des 115 électeurs, c’est différent. Reconnaissons que pouvoir élire quelqu’un sur des bases aussi solides, et le faire sans l’influence de groupes de pression, est une chose remarquable de nos jours. On pourrait même dire que si la mé-thode a traversé les siècles, c’est précisément parce qu’elle est à la fois efficace et démocratique pour les électeurs. Parole d’abeille.

(1) Tom D. Seeley, Honeybee Democracy, 2010, Princeton University Press, 273 p. A ce jour, le livre n’est pas traduit en français.(2) Chez les abeilles, ce mécanisme de « renoncement » existe, mais il est subtil et complexe. Nous ne pouvons le décrire ici par manque de place, mais renvoyons au livre de Seeley.(3) On dit même qu’il aurait fait enlever le toit du bâtiment…(4) En théorie, n’importe quel prêtre dans le monde peut être élu, mais dans les faits, les cardinaux s’élisent entre eux.

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28[imagine 97] mai & juin 2013

Reportage

Marinaleda,

le village où coopérerest une réalité

«I l y a beaucoup de travail à Marinaleda, comparé aux autres villages du coin », lance Eduardo Valderrama, conseiller communal de ce village d’Andalousie, à la pointe sud de l’Espagne. Certes, la coopérative tourne au ralenti, touchée par la crise comme toutes les

entreprises espagnoles. Certes, nous voyons la demande de travail exploser avec le retour de nos jeunes qui ont perdu leur emploi, mais le village parvient à limiter la casse. »Humar, la coopérative municipale et premier employeur du village, s’attache aujourd’hui à répartir le travail disponible entre tous afin d’assurer un revenu à chaque famille. Ainsi, si la crise touche tout le monde à Marinaleda, personne n’est pauvre (1). De plus, la poli-tique originale de logement mise en place par la municipalité est parvenue à enrayer la spéculation foncière et à protéger les candi-dats propriétaires des expulsions, véritables fléaux en Espagne où 500 familles sont délogées chaque jour, faute de parvenir à honorer leur emprunt hypothécaire.

Caricature de village latifundiaire

L’histoire de Marinaleda commence en 1979, avec les premières élections démocratiques de l’après-franquisme. Le Collectif unitaire des travailleurs, créé par le Syndicat andalou des travailleurs, rem-porte la majorité absolue, avec neuf conseillers sur onze. La place d’Espagne est rebaptisée en place du Peuple, et Sánchez Gordillo

devient le maire charismatique du village. Trente-trois ans plus tard, il l’est toujours.Lorsque Sánchez Gordillo prend la mairie, Marinaleda est une caricature de village latifundiaire qui rassemble une population de paysans sans terre, travaillant à la journée sur les propriétés des notables du coin, notamment le duc de l’Infantado, grand proprié-taire terrien. Sous la houlette de sa nouvelle majorité, le village va s’attacher à sortir de la servitude. D’abord, il faut trouver de l’eau pour arroser les terres. Le village occupe donc le barrage de Cordobilla pour réclamer sa part d’or bleu. Ce combat, couronné par un premier succès, se révélera fondateur. « C’est avec cette action qu’est née Marinaleda, reprend Eduardo Valderrama qui était déjà conseiller municipal à l’époque. On a vu qu’en se mobilisant on pouvait obtenir de l’eau. Pourquoi ne pas essayer d’obtenir la terre ? »Le village entame alors une seconde série d’actions pour réclamer une partie des terres de l’Humoso, la propriété du duc. « La pre-mière année, on a occupé les terres pendant 7 jours, la seconde année 15, puis 30. En 1990, on a occupé physiquement les lieux pendant presque 100 jours. » L’année suivante, l’Etat espagnol rachetait les terres au duc et cédait 1 200 hectares à Marinaleda. Une première en Andalousie.

Une utopie de paix

Les terres collectivisées appartiennent désormais à tous. Dans les champs, oliviers, piments, haricots et artichauts sortent désormais

Espagne

Marinaleda est une utopie née des cendres du franquisme. Ce village de 25 km² et de

quelque 3 000 âmes, dans la province de Séville, en Andalousie, a inventé une démocratie

participative qui accorde une place à chacun. Aujourd’hui, le village défend le modèle d’une

économie résiliente qui montre une résistance exemplaire à la crise frappant l’Espagne depuis

l’éclatement de la bulle immobilière en 2008.

Une utopie pour la paix, le slogan de la ville.

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[imagine 97] mai & juin 201329

des terres municipales. Reste à traiter cette production pour en capter toute la plus-value. La mairie fait construire un moulin à huile et une usine de conserves. Ces outils sont, bien entendu, la propriété du village qui les gère comme il l’entend. Et le modèle fonctionne. De 2000 jusqu’à la crise de 2008, Marinaleda frôle le plein emploi, une performance en Andalousie, grâce à une répar-tition fine du travail organisée par la coopérative, qui envoie les journaliers travailler 6 heures et demie par jour dans les champs ou 8 heures dans les ateliers, 6 jours par semaine, pour un salaire de 1 128 euros par mois (le salaire minimum est de 641 euros en Espagne), que l’on soit journalier ou employé administratif. Nicolas Ramos, tient le bar du syndicat qui sert aussi de Maison du peuple. Les champs, la coopérative, il connaît. Il avait neuf ans lorsque le village a lancé sa première grève et a grandi avec l’utopie

de Marinaleda. « Le travail, en soi, c’est la même chose, où que tu travailles. La différence avec la coopérative, c’est que j’ai lutté pour elle depuis que je suis gamin, alors je lui donne tout, parce que je sais que mon travail servira à créer d’autres emplois pour le village. »La municipalité n’a pas seulement mis en place une économiecollective, elle a également organisé une démocratie politique et sociale participative où toutes les décisions, de la confection du budget aux combats pour les droits, se décident en assemblée, dans l’arrière-salle du café du syndicat. C’est dans cette salle qui peut accueillir des centaines de personnes que le village a décidé de créer sa garderie modèle, qui coûte aux parents 12 euros par mois. Il a également organisé un accès presque gratuit à la culture et au sport et fixé le prix de la cantine scolaire à 15 euros par mois. Ces choix novateurs, qui facilitent l’accès à la culture et à l’école, sont hautement symboliques pour ce village dont une grande partie de la population fut longtemps illettrée.

Personne ne sait quelle maison lui reviendra

L’assemblée désigne également les bénéficiaires des prochaines maisons en autoconstruction, la perle du modèle social développé dans le village pour rendre effectif le droit au logement. Ce système réunit les candidats propriétaires et deux autres parties : la Région d’Andalousie, qui subventionne les matériaux, et la commune, qui prête le terrain et gère l’avancement des travaux. Les futurs propriétaires, eux, fournissent la main-d’œuvre nécessaire pour la construction des maisons. « Les autoconstructeurs se rassemblent pour travailler sur plusieurs chantiers en même temps, explique Eduardo Valderrama, responsable des travaux à la commune. Deséquipes se forment pour faire avancer le chantier, et tant que les maisons ne sont pas terminées, aucun des futurs propriétaires ne sait quelle sera la maison qui lui reviendra. Cela garantit un travail bien fait sur tous les chantiers. » Les habitations terminées, les autoconstructeurs paient un « loyer » de 15 euros par mois, qui sert à rembourser les matériaux. Si un jour, un propriétaire décide de vendre son bien, la commune en fixera d’autorité le prix pour empêcher toute spéculation immo-bilière. Le prix de revente d’une maison autoconstuite est celui de la main-d’œuvre mobilisée pour sa construction, rémunérée au barème du village, soit 47 euros la journée. En pratique, personne ne vend. Actuellement, pour 3 000 habitants, Marinaleda compte 350 maisons sociales, dont 200 autoconstruites. La crise a cependant ralenti le rythme des constructions, faute d’argent pour payer les matériaux. Des 200 maisons promises par l’avant-dernière admi-nistration, seules 25 vont pouvoir être construites. N’empêche, le village est resté l’un des rares endroits où des maisons sortent encore de terre en Espagne.

Ni police, ni crise

Et enfin, utopie oblige, aucun des élus ne touche de rémunération pour ses fonctions, vivre de son travail reste la norme. Il n’y a pas non plus de policier. Ce n’est pas nécessaire : selon Nicolas Ramos, « les luttes se sont construites dans le respect, les disputes sont rares ».Mais il n’y a pas de miracle. Depuis 2008, le travail manque à Mari-naleda. Alors que la légende du plein emploi a longtemps attiré des candidats venus de toute la région, il a fallu établir une nouvelle règle. Pour être repris sur la liste des journaliers embauchés par la coopérative, il faut être domicilié dans le village. « Ce n’est pas un repli sur soi, justifie Nicolas Ramos, mais un réflexe de défense de droits durement acquis. Les autres villages devraient livrer leurs propres luttes, poursuit-il, nous ne pouvons le faire à leur place. D’autant que ce que nous avons créé ici est parfaitement expor-table. S’il y avait davantage de Marinaleda, un autre monde serait vraiment possible. »Les appels à un autre monde s’affichent d’ailleurs dans les nom-breux graffitis qui ornent les maisons du village. Des graffitis rare-ment écrits de la main des villageois, mais plutôt par les nombreux citoyens de passage, venus visiter ce village de l’utopie qui reste une destination importante du voyageur militant.

Edith Wustefeld et Johan Verhoeven

(1) Le taux de chômage en Andalousie était de 31 % au début de l’année, contre 22 % en moyenne en Espagne. Un jeune Espagnol sur deux de moins de 25 ans est sans emploi. Le chômage est par contre totalement inexistant à Marinaleda.

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Les maisons autoconstruites de Marinadela suivent le même modèle : 90 mètres carrés, répartis sur deux étages, comprenant deux chambres.

Chaine d’emballage à la coopérative communale, le premier employeur du village.

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Sánchez Gordillo, maire charismatique de

Marinaleda depuis 33 ans.

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Economie

Chine

L’immobilier « copié-collé

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Des chalets du plus pur style autrichien, une église néogothique surplombant le lac, d’étroites ruelles pavées… Bienvenue à Hallstatt, Chine. Oui, en Chine. Car vous n’êtes pas dans le charmant village alpin, classé au patrimoine de l’humanité, mais dans sa réplique, construite à Huizhou, dans le Sud industriel de la Chine. S’il n’y avait pas la chaleur humide, la pollution et la végétation subtropicale, on s’y croirait presque.

Hallstatt n’est pas une curiosité isolée. Des imitations de villages britanniques (Thames Town, Shanghai), de Venise (Florentia Village, Wuqing) et même une tour Eiffel (dressée devant une avenue hausmannienne démesurément grande pour le village de Tiandy City) ont poussé comme des champignons ces dernières années dans ce pays pressé, où des villes se bâtissent en quelques mois.Même si elle n’amuse que modérément les villes européennes ainsi copiées, l’affaire pourrait n’être qu’anecdotique. L’apogée absurde d’un art très chinois de la contrefaçon. Une appro-

priation symbolique du Vieux Continent par la plus grande puissance mondiale émergente. Un revirement ironique de l’Histoire pour un pays que des « traités inégaux » forcèrent autrefois à des concessions territoriales aux Occidentaux.Mais ces imitations construites à la va-vite révèlent en creux un problème bien plus signifi catif, celui de l’énorme bulle immobilière. Derrière les décors de cinéma, les maisons sont vides. Si les jeunes mariés de la classe moyenne aiment à se faire photographier devant des paysages à l’européenne, peu d’entre eux peuvent se permettre d’acheter un chalet dont le prix dépasse celui de l’original en Autriche. La plupart seraient déjà très heureux de trouver un logement décent.

Frénésie de construction

Paradoxe d’un pays à la fois puissant et fragile. Où les ménages paient une fortune pour se loger alors que des dizaines de millions d’habitations sont vides – héritage de la spéculation, de la corruption et de politiques macro-économiques hasardeuses. Soixante-quatre millions de logements seraient vacants : le chiffre est fréquemment cité dans les médias, même s’il n’existe pas de décompte offi ciel.La surcapacité ne se limite pas aux appartements et aux maisons. Plus de 40 aéroports ont été construits au cours de la dernière décennie, en prévision d’une explosion du trafi c aérien, mais beaucoup sont presque inutilisés. Même topo pour des lignes de trains à grande vitesse et des autoroutes fl ambant neuves. Le phénomène prend des proportions aberrantes à Ordos, la plus grande ville fantôme du monde. Des routes, des infrastructures et plus d’un million de logements ont été développés dans cette ville de Mongolie, appelée à devenir peut-être un eldorado pétrolier, mais qui ne compte toujours que 30 000 âmes.

L’immobilier chinois est-il sur une pente glissante ?

Beaucoup d’économistes le pensent.

Une dégringolade serait lourde de conséquences,

car elle pèserait forcément sur l’économie du pays.

Voyage dans quelques bulles immobilières fantômes,

emblématiques de la Chine qui copie.

Un reportage d’Eric Ravenne (texte) et Katherine Longly (photos)

Huizhou : le village autrichien de Hallstatt-am-See A Huizhou, à 70 kilomètres de Shenzhen, dans le sud de la Chine, le groupe chinois Minmetals Land (fi liale immobilière de Minmetals, géant chinois des mines et des métaux) a construit une réplique quasi parfaite de Hallstatt-am-See, village autri-chien classé par l’Unesco au Patrimoine mondial de l’humanité. La copie chinoise a été inaugurée en juin 2012.

» : une bulle ?

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32[imagine 97] mai & juin 2013

Economie

Pourquoi une telle frénésie de construction ? Les raisons sont multiples et complexes. La première tient sans doute à cette carac-téristique que les Chinois ont en commun avec les Belges : ils ont une brique dans le ventre ! Et pour cause : la bourse locale est moribonde. Après avoir chuté entre 2005 et 2007, elle a encore perdu plus de 60 % de sa valeur depuis 2008. En partie parce que les Chinois, loin du cliché occidental d’un peuple qui vivrait ses « Trente Glorieuses », n’ont pas confiance dans leur propre éco-nomie. Dans ce pays où l’épargne abonde, mais où les contrôles de capitaux limitent les investissements à l’étranger, l’immobilier apparaît comme un bon placement. Au même titre que le marché de l’art, lui aussi en pleine inflation spéculative. Les indicateurs ne trompent pas : le secteur de l’immobilier et de la construction

représente aujourd’hui 15 % de l’économie, soit plus que les déjà spectaculaires 12 % de l’Espagne avant la crise. Les transactions spéculatives explosent, de même que le coût du mètre carré.Aujourd’hui, il est devenu très difficile pour le Chinois moyen de trouver un logement abordable. Il est courant que les loyers absorbent deux tiers des revenus, voire davantage. Pour faire face à la pénurie, le gouvernement a lancé un vaste programme de construction visant à bâtir 36 millions d’unités d’ici 2015. Paradoxe suprême dans un pays qui compte autant d’appartements vides. Plutôt que d’encourager leur mise à disposition, les autorités de Pékin préfèrent continuer de soutenir la croissance effrénée de l’économie. Elles cherchent aussi à tout prix à éviter un éclatement de la bulle. Car une dégringolade ferait chuter les placements d’une

Wuqing : l’architecture vénitienne pour un complexe commercial

Florentia Village est un complexe commercial situé à Wuqing, entre Beijing et Tianjin. Tout le complexe est calqué sur l’architecture vénitienne. L’initiateur du projet est un Italien, promoteur immobilier et vendeur de produits dans le secteur de la mode. Plusieurs autres Florentia Villages devraient être construits dans les années à venir.

Hangzhou : une avenue hausmannienne et la Tour Eiffel Le groupe Guangsha, premier promoteur privé de Chine, a construit en 2007, dans la banlieue de Hangzhou (ville située à 200 kilomètres de Shanghai), le quartier de Tiandy City. Il s’agit d’une avenue de style hausmannien au bout de laquelle se dresse une réplique de la Tour Eiffel à l’échelle un tiers.

Page 33: Imagine demain le monde

[imagine 97] mai & juin 201333

classe moyenne qu’il s’agit de ménager politiquement. Malgré la censure et la répression, le mécontentement gronde. Le pouvoir est plus fragile qu’il n’y paraît.

Le gouvernement s’efforce donc de dégonfler la bulle en dou-ceur, notamment via une nouvelle taxe sur l’immobilier et une interdiction des acquisitions spéculatives… Avec un certain suc-cès, puisque les prix de l’immobilier semblent diminuer de façon contrôlée depuis l’an dernier. Mais tous les économistes ne sont pas convaincus. L’un d’entre eux, le fameux Nouriel Roubini, qui s’est fait un nom en anticipant

la crise des subprimes aux Etats-Unis, craint que le surinvestis-sement massif contraigne la Chine à un douloureux atterrissage forcé. Certes, la réputation de celui que l’on surnomme « Dr Doom » (« Dr Catastrophe ») est quelque peu ternie depuis qu’il a prophé-tisé à tort une sortie grecque de l’euro. Mais la crainte subsiste.La Chine a beau être une économie dirigée, elle n’échappe pas aux lois du marché. Une chute des prix pourrait laisser des millions de propriétaires avec des emprunts impossibles à payer sur les bras et faire plonger des pans entiers de l’activité. Et provoquer des chan-gements politiques ? Un scénario de politique-fiction qui n’est pas pris à la légère à Pékin.

Shanghai : « One City, Nine Towns »Le projet « One City, Nine Towns » répond au problème d’urbanisation galopante des alentours de Shanghai. Il consiste en un développement planifié de la ville non autour du centre, mais à partir de noyaux créés à la périphérie, sur d’an-ciennes terres agricoles. Neuf « New towns » ont ainsi vu le jour. Chacune illustre une « thématique ». Et la plupart de ces thématiques sont occidentales.Sur notre photo, Anting New Town : ce quartier accueille « Automobile City », destinée à devenir le plus grand site de production de voitures en Asie. Anting New Town a été développée pour loger les managers étrangers et les employés du secteur automobile.

Songjiang New Town Thames Town L’architecture de Thames Town est calquée sur celle des villages anglais typiques. L’objectif était ici de fournir des logements au personnel de la nouvelle université de Songjiang

Images extraites de la série « Abroad is too far », de Katherine Longly (www.katherine-longly.net)

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34[imagine 97] mai & juin 2013

Nord-Sud

En Bolivie, l’émancipation de la femme doit

affronter un profond machisme ambiant. Et

les politiques favorables à l’autonomisation

des Indiens, porteuses de véritables

avancées sociales, ont aussi leurs revers.

Fondamentalement patriarcales, les sociétés

traditionnelles ne reconnaissent pas

de droits aux femmes. Et la violence

conjugale envers l’autre moitié du ciel se

perpétue de manière inacceptable.

Rencontre avec Fernanda Wanderley, docteure

en sociologie, auteure spécialisée dans les

questions de genre et de politiques sociales.

résident atypique d’origine indigène, Evo Morales a soulevé de vifs espoirs en accédant à la présidence de la Bolivie en 2006. Et effectivement le pays s’est transformé, grâce à la reconnaissance des droits des indigènes ainsi qu’à des politiques sociales actives. Sur la scène internationale, la Bolivie s’est distinguée

en faisant reconnaître l’accès à l’eau potable comme un droit essen-tiel. Mais s’agissant de la condition de la femme, la Bolivie n’a pas beaucoup bougé, même si la nouvelle constitution adoptée en 2009 comprend 30 articles qui évoquent la question du genre.

La Bolivie est-elle plongée dans l’austérité à l’Européenne ?L’économie bolivienne se porte plutôt bien, comme toute l’Amérique latine. Nous sommes exportateurs de matières premières, surtout de gaz, de zinc et d’étain, dont les prix sont aujourd’hui soutenus. Ces matières premières alimentent 60 % des budgets publics, de sorte qu’il y a beaucoup d’argent en circulation. Le gouvernement mène une politique active de redistribution des ressources de l’Etat et on a vu beaucoup d’allocations instaurées ou augmentées. Les pensions, créées dans les années 90, ont vu leur montant triplé sous Evo Morales, l’actuel président. Il a également créé des allo-cations familiales et une allocation pour les anciens combattants.

Pas de quoi se plaindre ?Ces allocations sont très liées aux exportations de la Bolivie et donc au contexte international. Que se passera-t-il si le prix des matières premières baisse ? Les allocations baisseront également, c’est une constante dans l’histoire de notre pays, les cours des matières premières montent, le gouvernement est populaire, ils baissent, le gouvernement doit affronter la colère de la rue. On ne voit pas vrai-ment la solution, car le gouvernement n’essaie pas de construire une économie indépendante de l’extérieur. C’est un peu comme au Venezuela, pays riche de son pétrole, où des programmes sociaux font reculer la pauvreté, mais que la désindustrialisation rend de plus en plus dépendant de ses exportations pétrolières.

Budget en baisse, violence constante

Une économie qui tourne, des politiques de redistribution, un président, Evo Morales, issus des mouvements indigènes : la Bolivie change. Les réformes touchent-elles la condition de la femme ?L’arrivée d’Evo Morales, en 2006, s’est concrétisée par l’introduc-

tion dans la constitution de 30 articles qui évoquent la question du genre. Notre texte fondamental impose désormais la parité au conseil des ministres, la non-discrimination, l’égalité salariale. Des lois reconnaissent les droits sexuels et reproductifs des femmes, la valeur du travail ménager. Les deux chambres du Parlement sont présidées par des femmes, 30 % des députés sont des femmes. Mais il y a également un revers à la médaille. L’égalité salariale n’est pas du tout respectée, et plus une femme monte dans la hiérarchie, plus l’écart salarial sera important. Les violences conjugales restent une réalité, sans qu’il y ait de réelle volonté politique de régler ces questions. Au contraire, les budgets publics destinés aux politiques de genre sont en baisse constante.

Il y avait donc des politiques de genre avant l’arrivée de la gauche au gouvernement ?C’est paradoxal, mais la condition de la femme a connu ses pre-mières et principales avancées en 1993, il y a 20 ans, sous un gouvernement néolibéral. C’est lui qui a introduit la parité sur les listes électorales, créé un ministère dédié aux questions de genre. Aujourd’hui, il ne reste de ce ministère qu’une sorte de cellule d’action, sans vrai pouvoir, et dirigée par un homme. Par ailleurs, s’il y a aujourd’hui autant de femmes que d’hommes ministres au gouvernement, les pouvoirs restent entre les mains des hommes qui détiennent les gros portefeuilles, les femmes ayant des attribu-tions secondaires.

Plaisanteries douteuses

La parité au gouvernement ne serait qu’une façade ?C’est plus délicat que cela. Evo Morales est un personnage cha-rismatique très écouté à gauche, ce qui fait qu’il peut tout se permettre, même de lancer des grossièretés que ses prédécesseurs n’auraient pas osé prononcer. A un groupe de planteurs de coca qui voulaient tracer une route pour désenclaver leur région, mais qui se heurtaient au refus d’une communauté pour la traversée de leur territoire, il a lancé : « Comblez les femmes de cette communauté de plaisir sexuel, et vous obtiendrez le droit de passer. » Aucun de ses prédécesseurs ne se serait permis une plaisanterie aussi douteuse. Les sorties de ce genre sont malheureusement devenues courantes. Au dernier carnaval, des membres du gouvernement ont entonné des chansons paillardes tout à fait inappropriées. Au Nou-vel An dernier, on a connu une affaire qui rappelle celle du Sofitel de New York, lors d’une fête du mouvement socialiste organisée

Vaste pays de 1 098 581 km 2

(36 fois la Belgique), la Bolivie compte 10 millions habitants.

Bolivie

Evo et les machos

Evo Morales, président de la Bolivie depuis 2006.

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Page 35: Imagine demain le monde

[imagine 97] mai & juin 2013 35

La Bolivie en quelques dates

1825 Colonie espagnole, le pays prend son indépendance grâce à l’inter-

vention de Simon Bolivar, dont il prend le nom.

1884 Une guerre perdue contre le Chili prive la Bolivie de son unique

accès à la mer. Totalement enclavé, le pays deviendra le plus pauvre

du continent américain.

1964 Un coup d’Etat du général Barrientos ouvre une période de dictature

de 22 ans.

1985 Le retour de la démocratie soumet le pays aux politiques du Fonds

monétaire international, qui préconise de diminuer les dépenses

publiques et de privatiser les entreprises publiques.

2000 Les mouvements sociaux, essentiellement animés par les commu-

nautés indiennes qui composent 55 % de la population, réclament

des réformes, notamment la nationalisation du secteur pétrolier. Le

soulèvement de Cochabamba, troisième ville en importance, contre

la privatisation de l’eau symbolise la fronde populaire qui agite le

pays.

2005 Evo Morales, candidat amérindien, est élu à la présidence avec près

de 54 % des voix. Son parti remporte les élections législatives.

2006 A peine élu, Morales nationalise par décret le secteur pétrolier et

renégocie tous les contrats qui lient l’Etat bolivien à des entreprises

étrangères. Dans la foulée, il lance les travaux d’une réforme consti-

tutionnelle.

2008 Les réformes économiques et constitutionnelles soulèvent la colère

de l’Ouest du pays. Face au risque de sécession, Morales remet son

mandat en jeu par un référendum qu’il remporte aux deux tiers des

voix.

2009 La nouvelle constitution est adoptée par référendum populaire.

Celle-ci donne une large autonomie aux communautés indigènes.

dans un hôtel de Sucre, la capitale administrative. En fin de soirée, un député a contraint une serveuse à coucher avec lui. Tout a été capté par les caméras de service et le film se retrouve maintenant sur YouTube. L’affaire a provoqué un scandale en Espagne mais a laissé la Bolivie indifférente. Le parlementaire est toujours en place, tandis que la serveuse a été licenciée au motif qu’elle avait bu de l’alcool durant son service. Ce n’est pas un cas isolé, il y a beaucoup de violence faite aux femmes. Un mal qui touche toutes les classes sociales. C’est un phénomène commun à toute l’Amérique latine, même si désormais la loi condamne ces violences.

Les féministes auraient pourtant pu s’attendre à un soutien de la gauche…Féministes et mouvements de gauche sont effectivement liés, du moins au départ. Les premières femmes militantes et politisées ont émergé en Amérique latine en réaction aux dictatures, aux côtés des mouvements de gauche. Mais le féminisme est né de la prise de conscience par ces femmes du machisme qui régnait à gauche. Ce n’est pas tellement différent de ce qui s’est passé en Europe. En Bolivie, les féministes ont soutenu Evo Morales dans sa marche vers le pouvoir. Mais maintenant elles se heurtent à un personnage qui ne leur rend pas ce soutien, bien au contraire. Le féminisme doit également composer avec les politiques indigénistes, qui donnent de plus en plus de pouvoir aux communautés indigènes, alors que celles-ci sont fondamentalement patriarcales et ne reconnaissent pas de droits aux femmes.

Des communautés hiérarchisées

Les droits des indigènes sont-ils mieux reconnus ?On assiste à des changements profonds dans l’autonomisation des peuples indigènes. Leurs territoires sont reconnus depuis les années 90, ainsi que leur droit à la propriété collective. Les commu-nautés ont également le droit d’exercer la gouvernance, de rendre la justice, de lancer leurs propres projets économiques, d’organiser leur système scolaire et de santé en y incluant des éléments de médecine traditionnelle. C’est un chantier en cours, pas encore terminé. La reconnaissance des pratiques et coutumes ancestrales implique une reconnaissance des sociétés patriarcales, très hiérar-chisées entre les sexes, où les hommes monopolisent le pouvoir et l’accès à la propriété. La reconnaissance des droits collectifs fait l’impasse sur les droits individuels des femmes, qui restent défini-tivement au bas de la hiérarchie de leur communauté.

Que proposez-vous ?Il faut écouter la parole des femmes indigènes et entendre ce qu’elles veulent. Il est frappant qu’elles demandent surtout que cessent les violences conjugales et qu’on leur donne le droit de contrôle sur leur propre corps. Certaines traditions veulent que les femmes aient leur premier rapport sexuel dès qu’elles ont leurs règles. Dans cer-taines communautés, les femmes doivent élaborer des stratégies pour masquer les signes de la puberté, elles cachent leurs seins, leurs règles. Sinon, elles seront retirées de l’école pour être assi-milées aussitôt à leur rôle de femmes indigènes. Je pense qu’il faut continuer à soutenir les droits collectifs des communautés et, en même temps, encourager la dimension individuelle du droit des femmes pour qu’elles trouvent une place dans leur communauté.

Vous avez l’impression d’être entendue ?Pas du tout. Lorsqu’on parle du droit individuel des femmes indi-gènes, le gouvernement estime que ces propos n’ont rien à voir avec les communautés, qu’ils sont l’effet d’une influence étrangère cherchant à contrer la préservation des coutumes et de la culture indiennes. Propos recueillis par Jean-François Pollet

«Le sommet de l’Etat bolivien a réveillé une parole sexiste qui

n’existait pas auparavant, se désole Lidia Rodríguez Prieto,

de l’association Le Monde selon les femmes, qui a invité

Fernanda Wanderley en Belgique.

Fernanda Wanderley, docteure en sociologie de l’Université de Columbia, à New York, et enseignante en sciences du développement à l’Université de San Andrés, à La Paz, en Bolivie : « Evo Morales est un personnage charismatique, très écouté à gauche, ce qui fait qu’il peut tout se permettre, même de lancer des grossièretés envers les femmes ».

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36[imagine 97] mai & juin 2013

Nord-Sud

Thamani

Quatre ingénieurs créent une ASBL dédiée

aux échanges de savoir-faire

Quatre ingénieurs ont tissé un réseau d’échange de savoir-faire.

Leur idée : utiliser leur agenda professionnel et social pour répondre aux questions

très concrètes posées par des paysans africains. C’est petit, mais ça marche !

D’abord, elles étaient deux. Deux copines agro-nomes qui se sont connues à la faculté de Gembloux. Puis sont venus s’ajouter leurs compagnons, également ingénieurs. A quatre, c’est déjà le début d’un réseau, d’autant que chacun vient avec son agenda. « Nous avons

accès à énormément d’informations, lance Ludivine Lassois, chercheuse à Gembloux Agro-Bio Tech. Nous avons des collègues, d’anciens collègues, des amis, on peut se téléphoner. Un problème identifié trouve presque toujours une réponse. En Afrique, ces moyens n’existent pas, c’est pour cela que nous voulons développer un réseau de compétences qui vienne en aide à des familles qui veulent se débrouiller et cherchent à améliorer les résultats de leurs activités. »Les questions, elles fusent de partout. Pourquoi les élevages de poulets enregistrent-ils des pics de mortalité à la saison sèche dans le sud du Burkina Faso ? Quelques coups de téléphone et la réponse s’impose : les élevages sont décimés par la maladie de Newcastle, il faut les vacciner, ce qui implique l’installation d’un frigo et d’un panneau solaire, pour conserver les vaccins. Le projet tournera ensuite sur ses ressources propres. Les 50 francs CFA (30 centimes d’euro) que coûte la dose de vaccin étant largement couverts par la valeur que prendront les poulets adultes (environ 5 euros).

Des questions, Ludivine, Isabelle, Alain et Jonathan en ont reçu beaucoup durant leur vie d’agronomes en milieu tropical. Et chaque fois qu’ils parvenaient à trouver une bonne réponse, c’est une activité qui était lancée, une famille, parfois un village entier qui gagnait correctement sa vie. Les quatre ont donc décidé de créer une ASBL dédiée aux échanges de savoir-faire : Thamani, qui signifie « valeur » ou « valoriser » en swahili. « On remarque que quelques conseils judicieux peuvent suffire pour améliorer une vie, poursuit Ludivine. Toujours dans le sud du Burkina, un horticulteur culti-vait des fleurs dans l’idée de les vendre en ville. Mais ses activités avaient du mal à décoller. Ses fleurs arrivaient flétries. L’homme ne savait pas toujours où aller pour les vendre. » Thamani lui a donc fait quelques suggestions : couper les fleurs avec un couteau tranchant pour obtenir une coupe nette, installer sur sa mobylette

un bac ombragé avec un fond d’eau pour transporter ses fleurs. Et enfin faire imprimer des cartes de visite pour se présenter à l’entrée des hôtels. « Cela a coûté 50 euros, et c’est une vraie action de lutte contre la pauvreté. Ce n’est pas grand-chose pourtant, juste quelques conseils. »

Le réseau d’échange de Thamani ne mobilise pas que des savoirs d’experts du Nord. L’idée est de favoriser les échanges Sud-Sud. « Les compétences existent, poursuit la jeune femme, mais parfois les paysans vivent à 50 kilomètres l’un de l’autre et n’ont pas de quoi mettre de l’essence dans leur mobylette pour se rencontrer. Il faut donc provoquer les choses, susciter les échanges sur place. »L’horticulteur burkinabè connaissait des saisons creuses à cause, pensait-il, de la baisse saisonnière de la température. Le groupe a alors contacté un horticulteur de Côte d’Ivoire, le pays voisin, qui a expérimenté avec succès des cultures de variétés de fleurs pouvant pousser en saison froide, et il a donné des adresses pour trouver des graines. « L’idée est bien de valoriser des expériences acquises au Sud. »L’échange de bons conseils implique souvent quelques investisse-ments, un frigo pour la vaccination des poulets, l’achat d’un bon couteau pour l’horticulture, la pose d’une chape en béton afin de construire des box pour l’élevage de porcs : c’est aussi pour cela que les quatre ingénieurs ont voulu formaliser leurs actions dans une ASBL qui complète les interventions en accordant des microcrédits aux familles. « Notre apport, c’est beaucoup de conseils et peu d’argent, résume Ludivine Lassois. Nous visons l’aide aux familles qui ont déjà un projet et demandent un coup de main. On travaille localement et sur une petite échelle. En pratique, là où l’un des membres de l’association a déjà une expérience professionnelle : au Burkina Faso et au Rwanda. »Les quatre membres du groupe consacrent quatre heures par semaine au projet. Un peu plus quand un projet doit être finalisé. « Nous avons créé notre propre site Internet, et publions un bulletin de liaison, ThamaNews, ça nous prend un temps fou. L’aide d’un informaticien serait d’ailleurs la bienvenue : encore une compé-tence que l’on recherche. » Jean-François Pollet

Alain et Isabelle, deux piliers du projet, avec Dabire, un horticulteur burkinabè qui a vu ses activités décoller grâce aux conseils de Thamani.

Ludivine Lassois, une «ancienne du Burkina», participe maintenant au projet depuis Gembloux.

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Ch a m p a g n e . E n janvier 2009, la Belgique signe avec le Luxembourg et la Colombie un accord bilatéral d’inves-

tissement. Cet accord, qui concerne surtout les entreprises privées, protège ces dernières des expropriations et des dis-criminations dans chacun des pays signataires. « C’est ce que l’on appelle “améliorer le climat des affaires”, commente Michel Cermak, chargé de recherche et de plaidoyer pour la cam-pagne « Travail décent » au CNCD-11.11.11. En pratique, cela profi te essentiellement aux entreprises du Nord qui vont investir dans des pays en développement, car on voit mal quelles entreprises colom-biennes souhaiteraient investir en Belgique. »Le hic est que ces accords pro-tègent tellement bien les entre-prises que celles-ci peuvent dé-sormais intervenir directement dans les affaires intérieures des pays signataires. Par exemple, un Etat qui décide d’interdire l’usage d’un produit toxique risque d’être traîné devant une cour d’arbitrage par une entre-prise étrangère qui se sentirait fl ouée par la décision. C’est déjà arrivé. Le fabricant de cigarettes Philip Morris a accusé l’Etat uruguayen d’expropria-

tion indirecte quand celui-ci a rendu obligatoires les alertes sanitaires sur les paquets de cigarettes. « Philip Morris a obtenu gain de cause, poursuit Michel Cermak. Ces situations sont très fréquentes, et gérées par des cabinets d’avocats spé-cialisés. Ainsi, l’Argentine a été condamnée à payer un total de 900 millions de dollars, notam-ment pour avoir fi xé un prix maximum à l’eau de distribu-tion, alors que le secteur avait été privatisé. Ces procédures sont parfaitement antidémocra-tiques, car elles permettent aux fi rmes de s’opposer directement à l’intérêt général des popula-tions. »

De plus, l’accord de janvier 2009 a été passé avec un pays au bord de la guerre civile, totalisant 60 % des meurtres politiques dans le monde et qui affi che le triste record d’un syndicaliste assassiné tous les trois jours, en moyenne. Le rap-prochement belgo-colombien a donc choqué les syndicats belges qui ne se sont pas pri-vés de le faire savoir, avant que l’accord ne soit ratifi é par les trois parlements régionaux ainsi que les deux chambres parlementaires fédérales belges. C’est le Parlement fl amand, pro-

bablement alerté par l’aile fl a-mande de la CSC, qui a rejeté en premier l’accord en septembre 2009. Refus relayé quelques jours plus tard par le Parlement wallon et défi nitivement enté-riné en septembre 2011 par un rejet du gouvernement fédéral. Fin de l’histoire ? Pas tout à fait. Car le Parlement européen a signé un texte similaire en décembre dernier. Et cette fois, il sera beaucoup plus délicat de s’y opposer.

Le « oui » de l’Union européenne

Le Parlement européen a, en effet, signé un accord de com-merce avec la Colombie et le Pérou qui prévoit d’abaisser les droits de douane, d’ouvrir les services et les marchés publics et de protéger la propriété intellectuelle, autrement dit les brevets. Certes, l’accord n’inclut plus de possibilité de recours en cour d’arbitrage pour des entre-prises privées. Certes, ce nouvel accord contient des clauses sur le développement durable, les matières sociales et environ-nementales. Par exemple, il affi rme explicitement le droit de chacun des pays à prendre des mesures visant l’intérêt général et autorise la société civile de ces mêmes pays à faire un rapport si elle estime que

l’exécution de l’accord bafoue ses droits. « Mais, reprendMichel Cermak, un syndicaliste britannique relevait que si un pays interdit le maïs OGM, il risque des sanctions, alors que s’il abaisse le salaire minimum, les syndicats peuvent tout au plus faire un rapport. » Aussi la confédération européenne des syndicats a-t-elle appelé au rejet de l’accord. Peine per-due, celui-ci a été voté le 11 décembre dernier. Les 27 parlements nationaux des Etats membres doivent maintenant ratifi er l’accord. Il est peu probable que ceux-ci s’y opposent, car la procédure est très avancée. La pression sur chaque parlement est donc très forte et on voit mal la Flandre ou la Wallonie refuser seule un accord presque accepté par les 26 autres pays. « D’autant qu’au Parlement européen seuls le groupe des Verts, ainsi qu’une partie des sociaux-démocrates, ont voté contre l’accord, fait observer Michel Cermak. Trans-posé à notre paysage politique, cela représente Groen, Ecolo et le SPa qui s’y opposent et le PS qui s’abstient. Mathématique-ment, le oui devrait l’emporter avec une courte majorité. » Dé-cidément, le jeu démocratique est aussi une course de fond. Jean-François Pollet

Colombie

L’accord commercial avec la Colombie pourrait faire exploser la production

d’agrocarburants et entraîner l’implanta-tion de nouvelles palmeraies, au risque

d’exercer une forte pression sur les terres et les paysans.

Il arrive que les politiques, interpellés par la société civile, reviennent sur leurs décisions.

Comme quoi la démocratie fonctionne. C’est ce qui est arrivé il y a quatre ans, lorsque les

trois Régions belges ont rejeté un accord d’investissement avec la Colombie, tombeau du

syndicalisme. Quatre ans plus tard, un accord similaire pourrait cependant réunir les pays

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Chronique Géostratego

Un coup de projo

sur l’échiquier mondial

par Arnaud Zacharie*

Les révélations de l’In-ternational Consor-tium of Investigative Journalists (ICIJ) ont permis de remettre au premier plan les

problèmes posés par la prolifé-ration des paradis fiscaux. A une époque où les citoyens doivent se serrer la ceinture suite aux plans d’austérité, ce scandale fiscal planétaire fait tout particu-lièrement mauvais genre. Suffira-t-il à mettre un terme aux pra-tiques d’évasion fiscale à grande échelle ? Ce ne sera le cas que lorsqu’une réponse politique sera apportée à la bonne échelle.

Les trous noirs de la mondialisation

Il n’existe pas de définition claire des paradis fiscaux, en raison du fait que différentes institutions et différents auteurs ont adopté des définitions spécifiques. Il est toutefois reconnu qu’un para-dis fiscal répond à trois caracté-ristiques : une faible fiscalité, le secret bancaire et la possibilité d’y installer une résidence fictive pour des raisons fiscales. Commencé à la fin du 19e siècle,le phénomène s’est amplifié à partir des années 1970, dans le contexte de la mondialisation

contemporaine. Bien qu’il soit par définition malaisé d’estimer avec précision les flux financiers qui transitent par ces « trous noirs »de la mondialisation, on estime que la moitié des flux financiers internationaux passe par les pa-radis fiscaux et que le tiers des flux d’investissements des firmes transnationales leur sont desti-nés (1).Il en résulte que les montants qui échappent à l’impôt sont stratos-phériques : entre 21 et 31 milliersde milliards de dollars selon Tax Justice Network (2) ! En 2008, quelque 1 250 milliards de dollars ont fui de manière illicite les pays en développement, soit l’équiva-lent de dix fois le total de l’aide publique au développement (3) !L’évasion favorisée par les para-dis fiscaux représente donc à la fois un problème pour les recettes fiscales des pays riches et pour le financement du développement des pays pauvres. Les paradis fiscaux permettent en outre aux fonds spéculatifs de prendre des risques démesurés dans l’opacité la plus totale. Qu’attend-t-on dès lors pour les démanteler ?

Les nécessaires réponses politiques

La solution pour mettre un terme aux paradis fiscaux est techni-quement très simple : il suffirait d’instaurer à l’échelle multila-térale un mécanisme d’échange automatique d’informations fis-cales. Avec un tel mécanisme, dès qu’un individu ou une société placerait des fonds dans un pays tiers, l’information serait auto-matiquement communiquée à l’administration fiscale de son pays de résidence, rendant dès lors l’évasion fiscale impossible. Le problème est qu’une telle déci-sion politique mondiale implique l’accord de pays profitant direc-tement de ce système. Du coup, des mesures moins ambitieuses ont été prises par le passé, avec des résultats quasi nuls. Ce fut notamment le cas du G20, qui pu-blia en 2009 une liste incomplète de paradis fiscaux en demandant aux pays incriminés de négocier 12 accords bilatéraux d’échanges

d’informations fiscales à la de-mande, pour sortir de la liste. Résultat : aujourd’hui, la liste est presque vide et les paradis fiscaux n’existent plus aux yeux du G20. Plus déterminée a été l’action des Etats-Unis envers la Suisse : l’ad-ministration Obama a exigé des instances helvétiques qu’elles lui communiquent la liste des frau-deurs américains, suite au scan-dale relatif à la banque UBS. Mais tous les pays n’ont pas le même pouvoir de persuasion que les Etats-Unis et l’impact est dès lors resté limité.Etant donné que la majeure par-tie de l’évasion fiscale est le fruit des stratégies d’optimisation fis-cale des firmes transnationales, qui exploitent les nombreux trous noirs du système pour déclarer des profits dans les paradis fis-caux plutôt que dans les pays où ils les génèrent véritablement, une solution efficace serait d’im-poser aux firmes de publier, pays par pays, leurs activités, chiffres d’affaires, profits et impôts, afin de faire la lumière sur ces pra-tiques et de les traiter en consé-quence.Le Parlement européen vient d’adopter une mesure de ce type mais limitée aux banques, dans le cadre du projet de directive sur la réglementation bancaire euro-péenne. Ce premier pas devrait être confirmé et élargi à l’en-semble des sociétés. En définitive, pour venir à bout des paradis fiscaux, il faudra dé-passer les pratiques qui consistent à désigner des boucs émissaires, qui ne sont pourtant que la partie émergée de l’iceberg. Les révé-lations de l’Offshore Leaks neconcernent elles-mêmes qu’une petite partie du phénomène. Les paradis fiscaux sont au cœur de la mondialisation et nécessitent dès lors des réponses politiques à l’échelle mondiale.

(1) C. Chavagneux et R. Palan, Les paradis fiscaux, La Découverte, 2007.(2) www.taxjustice.net/cms/upload/pdf/The_Price_of_Offshore_Revisited_Presser_120722.pdf (3) D. Kar and K. Curcio, Illicit Financial Flows from Developing Countries : 2000-2009, Global Financial Integrity, janvier 2011.

*Secrétaire général du CNCD-11.11.11(@ArnaudZacharie)

Un politique à l’échelle mondiale

Mais elle nécessite des actions politiques

à l’échelle mondiale.

Page 39: Imagine demain le monde

Chronique Le pays petit

par Claude Semal*

Winner. C’est compliqué, la dé-mocratie. Exemple par la culture. Dans chaque secteur, des com-missions d’« experts » éclairent la ministre dans l’attribution des subsides. A priori, l’idée est excellente. Et démocratique. Pas-sons à la pratique. Qui trouve-t-on dans ces conseils ? Les petits malins qui aiment s’asseoir près du tiroir-caisse. Les Cœurs Purs qui pensent que quelqu’un doit faire le job (et que ce sera pire sans eux). Les troisièmes cou-teaux, qui s’offrent la jouissance du bureau ovale. Les institutions qui gèrent leurs parts de mar-ché. L’œil de Moscou (PS, MR, CdH, ECOLO). L’administration qui compte les alinéas et tape les rapports. Le délégué du ministre qui offre le café et la vaseline. Je n’ai oublié personne ? Le tout cimenté par la franche camarade-rie des vestiaires et le secret des délibérations.Bien sûr, dans ce petit monde incestueux, où tout le monde est souvent juge et partie, le conflit d’intérêts est patent. Mais d’un autre côté, qui pourrait juger ces matières, si ce n’est, précisé-ment, ceux qui les pratiquent ?Dilemme. Le règlement d’ordre intérieur y pourvoit précisément. Lorsqu’on discute de votre dos-sier, vous devez sortir de la pièce. And the winner is… Désolé, Pré-sident, votre projet n’est pas sub-ventionné. Tant mieux, cher ami, cela nous laissera « du rab » pour subventionner les absents. Très crédible, non ?

Looser. Jusqu’ici, on est dans le vaudeville. Les habituels petits jeux de pouvoir et d’influence. Il y en a qui aiment ça. Mais le contexte budgétaire drama-tise tout. Et voilà les « conseilsd’avis » transformés en peloton d’exécution. Tragédie. « Chers amis, faut-il vous couper le pied, la main ou la tête ? » Le Conseil de l’art dramatique (CAD), qui coiffe l’ensemble du secteur théâtral, vient ainsi de rendre un « avis » chiffré sur les compa-gnies. En gros, le CAD consacre de nouveaux metteurs en scène (Fabrice Murgia, Anne-Cécile Vandalem) au détriment de la

génération précédente (Wanson, Theunissen, et surtout Dussenne et Degotte) (1). Une splendide automutilation. Très habilement, la ministre a ensuite transformé ces « avis » en « décisions ». Je comprends mieux mon bonheur de ne jamais avoir sollicité de subsides récurrents. Au moins, on ne peut pas me les couper (allégorie).L’année prochaine, le CAD se penchera sur les « contrats pro-grammes » des institutions. Or, il y a actuellement dans le CAD des représentants du Théâtre national, du Théâtre de la Place, du Théâtre Le Public, du Théâtre de Namur, du Théâtre des Tan-neurs et du Théâtre Océan Nord. Autant dire qu’il y aura plus de monde sur le palier qu’autour de la table. Pourquoi, dès lors, ne pas remplacer certains membres par les excellents Charlie Degotte et Frédéric Dussenne ? Privés d’outil de travail par le CAD, ils devraient avoir tout le temps d’assister aux réunions.

Music. Mieux vaut parfois re-mettre tout à plat. Avec une qua-rantaine d’autres musiciens, je viens de participer à la création du FACIR (Fédération des auteurs compositeurs interprètes réunis). Sous-titre : « Pour ne plus jouer pour des clous ». Le week-end du 23 juin, à l’occasion de la Fête de la musique, nous organiserons à Bruxelles les « Etats généraux de la chanson et des musiques ac-tuelles » (2). En huit points, voici ma participation au débat.

1. L’industrie musicale poursuit son processus de concentration. Trois grosses firmes de disques contrôlent aujourd’hui 80 % de la production mondiale et « for-matent » la consommation cultu-relle de masse. Quelle place, dans ce contexte, pour les productions indépendantes, les musiques « non commerciales » et les mar-chés nationaux ?2. La Belgique francophone vit depuis longtemps à l’ombre de Paris. Notre marché est ainsi doublement colonisé par les industries française et anglo-saxonne, et nous importons plus de 95 % de nos chansons et de nos musiques. Comment, dans ces conditions, développer un secteur musical autochtone et faire vivre nos professions ?3. La majorité des médias au-diovisuels sont inféodés à cette situation. Des pans entiers de notre patrimoine et des musiques actuelles sont complètement éva-cués de l’antenne. Comment, au contraire, rendre compte de la di-versité et de la richesse de notre vie musicale ?4. Le marché « traditionnel » du disque s’effondre, alors que, sur le net, la musique circule gratui-tement. Entre liberté d’expres-sion et financement des métiers de la musique, comment vivre cette révolution technologique ?5. Les politiques d’austérité de l’Union européenne péna-lisent doublement la culture et la musique : directement, par la contraction des budgets culturels (baisse des subsides), et indirec-

tement, par la baisse générale du pouvoir d’achat (moins d’argent pour les « loisirs »).6. Le statut d’« intermittent du spectacle », conquis de haute lutte par nos aînés, est au-jourd’hui systématiquement re-mis en cause. Comment défendre un statut social adapté à l’exer-cice de nos professions ?7. Cette crise économique se double chez nous d’une profonde crise institutionnelle. L’existence même de la Belgique est remise en cause par l’autonomisation croissante de la Flandre. Or, si Bruxelles et la Wallonie devaient demain se réinventer un ave-nir commun, les artistes auront un rôle central à jouer dans la construction d’un imaginaire col-lectif. On ne bâtit pas une nation sur un vide culturel.8. Pour combattre une servitude, encore faut-il en prendre collec-tivement conscience. C’est pour-quoi nous appelons aussi à une révolution dans les cœurs et les esprits. Seuls, nous ne sommes rien. Ensemble, nous pouvons tout. C’est le sens de ces Etats généraux.

(1) Moins 45 % pour Dussenne, moins 80 % pour Degotte. Avec impertinence et élégance, Degotte a refusé les 20 % qu’on lui « laissait ».(2) Le dimanche 23 juin, de 16 à 20 heures, à La Tricoterie, 158, rue Théodore Verhaegen à Saint-Gilles (près de la place de Bethléem). Plus d’infos sur www.facir.be. On peut également me contacter directement par mail à [email protected].

*Auteur-compositeur, comédien et écrivainwww.claudesemal.com

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La culturedans tous ses états

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Santé

Un accouchement ne se réussit pas, il se vit

« Il y a quelque chose de très animal dansl’accouchement »

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«Pour ma première grossesse, j’ai été suivie par une sage-femme. Ma gynécologue intervenait pour

le suivi médical quand il était nécessaire. Le jour J, la sage-femme est venue me chercher à la maison. Il y avait énormément de cir-culation, c’était un trajet mouvementé ! Ar-rivée à l’hôpital, je me suis plongée dans la baignoire avec Floriant, mon compagnon, et j’y ai passé presque tout mon temps, se souvient Marinette, aujourd’hui maman de deux adorables bambins. Pour le deuxième accouchement, j’ai fait une préparation par l’hypnose. Le premier accouchement était très physique. Je devais changer de position sans cesse, m’appuyant sur Floriant pour trouver de la force. Cette fois, c’était com-plètement différent. Pour la première partie de l’accouchement, je suis restée couchée sur le côté. J’étais comme dans une bulle, totalement concentrée et relâchée pour ac-cueillir et laisser s’en aller les contractions. Je me rappelle aussi avoir chanté. Puis est arrivé le moment magique où ce paquet tout gluant, si gros, quand je pense qu’il était en moi, et si minuscule à la fois, s’est échoué sur mon ventre. Ce petit animal collé à moi par un lien si viscéral qu’il est impossible de le décrire. Passé ces premières émotions, j’ai avalé quatre couques et me suis sentie d’attaque pour cette nouvelle journée ! »Dans l’eau ou sous hypnose, la jeune ma-man, à chaque fois, a accouché sans péri-durale. « L’idée n’était pas de vouloir ac-coucher dans la douleur ou de prouver que

je suis forte. Mais d’arriver à un accouche-ment sans souffrance, en trouvant en moi-même les ressources pour le faire, et non en cherchant une aide médicale, précise Mari-nette. Avant d’ajouter : Nos sociétés se sont déconnectées de la nature. Il y a quelque chose de très animal dans l’accouchement. Pour vivre un tel événement, je voulais me reconnecter avec mon corps, avec mes rythmes biologiques. Retrouver ce lien qui nous unit avec la Pacha Mama, avec la Terre mère. »

Un écosystème hormonal fragile

Dans Le fermier et l’accoucheur, Michel Odent, obstétricien connu notamment pour avoir introduit les piscines d’accouchement en France, met en parallèle l’industrialisa-tion de l’agriculture avec l’hypermédicali-sation de la naissance. L’équilibre hormo-nal d’un accouchement, affi rme-t-il, est aussi précaire que celui d’un milieu écolo-gique. Au moins l’homme doit intervenir, au mieux les choses ont des chances de se dérouler. « On vit une époque fabuleuse où, grâce à la médecine, on peut sauver un bébé ou sa maman en 10 minutes chrono. Mais les outils doivent rester au service de la femme. La surmédicalisation peut engen-drer une série de complications qui risquent d’avoir des conséquences sur la santé de la maman, du bébé, voire de leur relation à venir », observe Titou Boseret, sage-femme indépendante à Bruxelles.La chimie de l’accouchement met en œuvre les mêmes hormones que dans les relations sexuelles ou l’allaitement. A commencer

par l’ocytocine. Mieux connue sous le nom d’hormone de l’amour, elle a pour effet général de créer un sentiment de bien-être propice à l’attachement. Dans l’accouche-ment, elle induit les contractions utérines. Le taux d’ocytocine augmente au cours du travail, favorisant la production d’un puis-sant antidouleur naturel : l’endorphine. Des hormones de la famille de l’adrénaline interviennent lors des ultimes contractions, procurant à la mère un regain d’énergie. Et si le bébé naît avec des pupilles dilatées qui lui donnent de grands yeux fascinants, c’est l’effet de la noradrénaline qu’il a sécrétée pour s’adapter à la privation d’oxygène des derniers instants. « Jusqu’à une époque ré-cente, une femme ne pouvait avoir de bébé sans sécréter ce cocktail complexe d’hor-mones de l’amour. Or aujourd’hui, pour la première fois de l’histoire de l’humanité, la plupart des femmes des pays industrialisés deviennent mères sans s’imprégner de telles hormones », écrit le docteur Odent.« Une mise au monde respectueuse des processus naturels commence par une nais-sance où le bébé décide lui-même du jour de sa venue, commente Joëlle Winkel, kinési-thérapeute spécialisée dans l’accouchement et dans la biomécanique du bassin depuis plus de 20 ans. Quand un accouchement doit être déclenché de façon programmée, bien trop souvent pour des raisons de confort ou de convenance, on donne à la maman une dose d’ocytocine de synthèse qui rompt cette alchimie hormonale sub-tile. Dès qu’il y a déclenchement, on aug-mente les risques de surmédicalisation. L’ocytocine de synthèse n’a pas les mêmes

Sans rejeter les progrès

accomplis par la

médecine, un nombre

croissant de parents ainsi

que de professionnels

de la santé remettent

en cause le caractère

interventionniste de

l’obstétrique. Ils plaident

pour un accompagnement

plus respectueux de

l’humain et des processus

Deux fois plus de césariennes en vingt ans

Selon une étude menée par les Mutualités libres en 2010, près d’un accouchement sur cinq a eu

lieu par césarienne, soit deux fois plus qu’il y a vingt ans ! Cette recherche montre aussi qu’une

césarienne coûte environ 38 % plus cher qu’un accouchement par voie basse. Avec 5 500 euros

facturés en moyenne pour l’intervention et l’hospitalisation, cela représente un coût considérable

pour la sécurité sociale, mais une bonne opération pour les hôpitaux, que l’on sait de plus en plus soumis aux

contraintes de rentabilité. Aujourd’hui, pour réaliser des économies d’échelle, les petites maternités doivent

fusionner en grands pôles, gagnant en expertise ce qu’elles perdent souvent en dimension humaine.

Aux Pays-Bas, un accouchement sur trois se déroule à domicile. Chez nous, cette pratique suscite une

Belgique, ces petits établissements, entièrement tenus par des sages-femmes, sont situés à proximité

géographique directe d’un hôpital, ce qui permet d’organiser le transfert rapidement si une complication devait

intervenir.

Pour Titou Boseret, qui pratique aussi bien des accouchements à domicile qu’à l’hôpital, le danger n’est pas

toujours là où on pourrait le craindre. « On parle souvent de sécurité, mais on oublie la sécurité affective.

Quand une femme est suivie par une sage-femme indépendante, celle-ci vient lui tenir la main le jour de son

accouchement, elle connaît son histoire. La douleur, c’est 70 % de stress et de peur sur lesquels on peut agir.

A l’hôpital, une sage-femme doit s’occuper de quatre, cinq, parfois six mamans en même temps ! On surveille

le cœur du bébé depuis un bureau, avec un monitoring relié à un écran d’ordinateur. Les mêmes protocoles

sont appliqués à toutes les femmes, que l’on soit face à une jeune maman accouchant pour la première fois

ou une quadragénaire qui a vécu cinq fécondations in vitro ou encore une mère de six enfants. »

On peut voir le verre à moitié vide, on peut aussi le voir à moitié plein. Ces dernières années, les hôpitaux

ont multiplié les initiatives pour faire davantage de place au choix des parents. De plus en plus de

maternités permettent aux femmes de venir accompagnées de leur sage-femme indépendante ou de leur

kinésithérapeute. Sur les plateaux techniques, les salles d’accouchement classiques côtoient désormais

les salles dites « physiologiques ». Pas de table haute ou d’étriers à l’horizon, mais une baignoire, des

pas toujours.

d’esprit d’une chambre à l’autre. La philosophie, le personnel, les protocoles restent les mêmes », observe

directement adossée à son site paraît à cet égard un compromis idéal.

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42[imagine 97] mai & juin 2013

Santé

caractéristiques que son équivalent natu-rel. Du fait qu’elle ne passe pas par le cer-veau, elle ne peut pas être dosée de façon aussi fi ne et présente donc l’inconvénient majeur de provoquer des contractions plus douloureuses. Et il faut alors bien sou-vent recourir à la péridurale. L’anesthésie limite la mobilité des femmes en travail, alors que l’idéal est d’expérimenter diffé-rentes positions antalgiques et facilitantes, comme souvent le “quatre pattes”. Lorsque la mobilité du bassin de la maman est en-travée, il y a davantage de risques que le bébé se coince. » Selon le Collège national des gynécologues et obstétriciens français, en cas de déclenchement à l’ocytocine de synthèse, le taux de césariennes grimpe de 50 % pour un premier accouchement. Outre les éventuelles complications post-partum, l’opération peut compliquer le démarrage de l’allaitement : le processus hormonal déclenchant la montée du lait est perturbé, à cause des analgésiques le bébé se montre moins éveillé dans les précieuses minutes suivant la naissance, la cicatrice empêche la maman d’adopter une position confor-table… « Trop souvent, des accouchements sont déclenchés sans véritable justifi cation médicale, simplement parce que le protocole veut qu’il en soit ainsi après deux ou trois jours de retard. Beaucoup d’accouchements sont aussi programmés pour des raisons

de convenance, pour arranger l’agenda du gynécologue ou des parents », regrette encore la kinésithérapeute. Qui en veut pour preuve l’augmentation soudaine des accouchements déclenchés à la veille des vacances de Noël !

Le retour des sages-femmes

La médicalisation de l’accouchement est un phénomène plus ancien que l’on ne serait porté à le croire. Francesca Arena, historienne à l’Université de Provence, fait remonter ses prémices à la moderni-té, époque qui va de la fi n du Moyen Age au début de la Révolution française. « Le corps de la femme accouchant était perçu jusque-là comme non intéressant d’un point de vue médical, notamment pour res-pecter les règles de la pudeur. Par la suite, il commence à être étudié, disséqué, ana-lysé. On y cherche à résoudre les mystères de l’enfantement à travers d’autres points de vue que ceux qui règnent à ce moment-là. Religion et science commencent alors un combat sur le corps de la femme », écrit la chercheuse (1). Si les premières maternités voient le jour durant le siècle des Lumières, ce n’est qu’à partir de la deuxième moitié du 20e siècle que l’hôpital devient véritable-ment un passage obligé pour la parturiente, quand les règles d’hygiène s’y généralisent.

« Le troisième moment de cette médicalisa-tion se produit du fait de la hantise de la mortalité en couches et construit dans les sensibilités, et sur une longue période, un véritable effroi de l’accouchement », pour-suit l’auteur. Cette histoire de l’obstétrique peut aussi se lire sous l’angle d’une certaine rivalité entre sages-femmes et médecins accou-cheurs, analyse l’historien français Jacques Gélis (2) : « On peut parler d’un quasi mo-nopole des accoucheuses vers 1650. Il est incontestable que trois siècles plus tard, la sage-femme est devenue l’auxiliaire de l’ac-coucheur. C’est elle qui voit son rôle réduit à un travail d’assistance dans les hôpitaux et les cliniques. »Un temps éclipsé, ce métier tend toutefois à faire son retour à l’avant de la scène. « Aujourd’hui, de plus en plus de parents se tournent à nouveau vers une sage-femme. Pour la plupart, ce sont des per-sonnes engagées dans une réfl exion exis-tentielle, dans une démarche citoyenne. On rencontre aussi beaucoup de mamans trau-matisées par un premier accouchement mal vécu. Elles ont croisé une sage-femme lors de leur séjour à l’hôpital ou lors du suivi postnatal, se sont senties davantage dor-lotées et décident de se tourner vers ce type d’accompagnement pour leur grossesse sui-vante », observe Michèle Warnimont, sage-

Préparer l’accouchement : petit tour d’horizon

Il existe plus d’une façon de se préparer au jour J. A côté des

classiques, comme le yoga prénatal, la kinésithérapie ou

l’haptonomie, se développent des méthodes plus étonnantes

comme l’acupuncture, l’hypnose ou encore le watsu, sorte de

« Il faut s’écouter, sentir ce dont nous avons besoin et ce qui nous

convient. Pour un couple, la naissance devrait être l’occasion

de faire toutes sortes d’expériences différentes, sans qu’il y ait

d’exclusivité pour l’une d’entre elles », conseille Joëlle Winkel,

spécialisée pour sa part en chaînes musculaires GDS.

Petit tour d’horizon non exhaustif :

méthode des chaînes musculaires GDS est une approche

globale psychomorphologique, basée sur la prévention par une prise

pourront expérimenter la liberté des mouvements à l’aide d’outils

comme les ballons, favorisant une mise au monde en rythme et

dans le plaisir.

haptonomie permet au père et à la mère d’établir un contact avec

le foetus en touchant le ventre selon une méthode particulière. Une

façon de préparer déjà la relation avec le bébé à venir.

chant prénatal permet d’entrer en résonance avec le fœtus

en émettant des sons graves dont les ondes se propagent dans

le liquide amniotique. Ces sons peuvent aussi apaiser la maman

pendant le travail.

yoga prénatal met l’accent sur des postures simples pour

respiration favorisent la concentration et la détente.

sophrologie permet de vaincre l’angoisse de l’inconnu en

prévisualisant les étapes de l’accouchement.

informatives consacrées à ces différentes approches sur son site

www.alternatives.be/preparations_naissance.htm.

(1) Littéralement « pression des doigts » : technique de thérapie manuelle d’origine japonaise, inspirée du massage chinois, utilisée dans le but de traiter diff érents troubles fonctionnels, voire organiques spécifi ques, et en tant que médecine préventive.

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Posture de yoga prénatal : l’objectif est d’aff ermir et assouplir le corps de la femme enceinte.

Page 43: Imagine demain le monde

[imagine 97] mai & juin 201343

femme à l’hôpital Erasme. « Avec les nou-velles technologies, la procréation assistée, les échographies poussées, les parents sont confrontés à une batterie de spécialistes. Entre le gynécologue, le neuropédiatre ou le généticien, ils peuvent se sentir déchi-rés. La sage-femme est là pour traduire les termes techniques dans un langage qu’ils comprennent. C’est un peu le médecin géné-raliste de la naissance. »Là où les spécialistes considèrent la gros-sesse comme une situation à risque, les sages-femmes envisagent la naissance comme une suite de processus physiolo-giques qu’il est inutile de perturber si aucun problème médical ne l’impose. « Les méde-cins sont formés à guérir les pathologies, les sages-femmes à accompagner les processus physiologiques. La grossesse n’est pas une maladie. Quand tout se passe bien, il n’y a pas de raisons d’intervenir », résume Michèle Warnimont. Plus largement, souligne-t-elle, là où le gynécologue accompagne l’accouchement, la sage-femme accompagne la naissance. « L’accouchement, c’est un terme technique pour désigner l’action de mettre un enfant au monde. Alors que la naissance, c’est quelque chose de beaucoup plus global. C’est aussi bien parler de la taille des sous-vêtements d’allaitement que des modèles de poussettes. » Mais le soutien à la parenta-

lité s’exerce bien au-delà de ces quelques aspects pratiques. « On est parfois confron-té à des mamans vivant des diffi cultés psy-chologiques et affectives terribles. Et cela, dans tous les milieux sociaux. Il peut s’agir aussi bien d’une jeune femme qui a été abandonnée par une mère toxicomane, que d’une dame élevée par une armée de baby-sitters parce que ses diplomates de parents n’avaient pas une minute à lui accorder. Il est prouvé que, pendant la grossesse, les femmes sont plus réceptives aux modèles environnants. Si la sage-femme a une atti-tude de maman avec la future maman, il y a plus de chance que celle-ci reproduise ce modèle avec son enfant. A cet égard, les sages-femmes ont un rôle de prévention à jouer. Plutôt que de courir les pédopsy-chiatres et les logopèdes, certains problèmes pourraient être évités à la source », soutient encore Michèle Warnimont. Sandrine Warsztacki

(1) « La médicalisation de l’accouchement, approche historique du genre », Francesca Arena, revue Bruxelles laïque, troisième trimestre 2012.(2) « La sage-femme ou le médecin. Une nouvelle conception de la vie », Marie-France Morel et Jacques Gélis, Annales. Economies, sociétés, civilisations,vol. 46, n° 3, p. 636-640, 1991.

Au-delà de l’accouchement, c’est plus

largement le rapport à la médecine moderne

qui est questionné. « Les gens veulent de

l’humain. Ils en ont marre d’être des patients,

d’attendre, de subir. Ils s’informent sur Internet, veulent

comprendre, participer. Les médecins doivent s’adapter

à cette nouvelle demande »

présidente d’Alter-natives, une association de parents

désireux, selon leurs propres termes, de « promouvoir

le respect et l’écoute des parents et du bébé lors de la

naissance ».

à l’occasion d’un colloque festif. Parmi les différentes

tables rondes organisées, un titre retenait l’attention :

l’accouchement dans une société de la performance.

Sommes-nous capables d’accepter l’irréductible

de l’accouchement et la focalisation sur les risques

périnatals ne déshumanisent-elles pas cet événement en

le réduisant à un fait le plus objectivable et maîtrisable

possible ? « Nos grand-mères ne vivaient pas avec

acceptaient les aléas de l’existence. Aujourd’hui, on veut

tout maîtriser. On ne peut accepter l’idée que les bébés

ne sourient pas en permanence dans la réalité comme

sur les photos des magazines », commente Caroline

entraîner de façon inconsidérée dans la spirale de la

surmédicalisation. Inversement, la quête d’une naissance

respectée ne doit pas à son tour se transformer en

compétition .

Un accouchement ne se réussit pas. Il se vit. « Quand j’ai

accouché, je ne m’étais pas fait une idée préconçue de

la façon dont les choses devaient se passer. Certaines

femmes se mettent la pression. Pendant neuf mois,

elles se préparent pour un accouchement qui soit le

moins médicalisé possible et sont terriblement déçues

accouchement comme à une frustration alors que cela

devrait un des plus beaux jours de leur vie. L’important

c’est avant tout que l’enfant et la maman soient en bonne

santé », estime Marinette. Pour la sage-femme Titou

Boseret, ce ne sont pas tant les actes posés qui posent

parfois problème, que la manière dont ils le sont : « Il y

a des césariennes d’urgence qui laissent de merveilleux

souvenirs, tout simplement parce que l’équipe a su

présenter les choses avec humanité. »

« Le rôle des personnes accompagnantes, des sages-

à la femme et au couple. De faire naître leur plaisir de

de les conforter dans leurs capacités à offrir une bonne

sécurité dans leur corps pour donner la vie le jour de

l’accouchement », conclut Joëlle Winkel.

Accouchement dans l’eau.

Située à 500 mètres de la clinique Sainte-Elisabeth, à Namur, la maison de naissance L’Arche de Noé permet aux femmes d’accoucher dans une ambiance chaleureuse, propice à la libération des hormones qui favorisent le bon déroulement de l’accouchement.

Dans les hôpitaux qui portent le label « Amis des bébés », les nourrissons sont placés nus contre la peau de leur maman, directement après la naissance, pour favoriser le démarrage de l’allaitement.

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Alter-natives Promouvoir l’écoute des parents

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44[imagine 97] mai & juin 2013

Vivre bien

le foie et réguler le système gastro-intestinal (à la sortie de l’hiver, les ours se régalent de cette plante dépurative idéale après une longue période d’hiberna-tion). Pour la récolte, choisissez un endroit pas trop proche des axes routiers, prenez de préférence les jeunes feuilles (leur parfum aillé vous évitera de les confondre avec les feuilles du muguet qui, elles, apparaissent plus tôt dans la saison printanière), rincez-les brièvement sans les faire tremper, hachez-les grossièrement puis placez-les dans votre blender avec un fond d’huile d’olive. Mixez, réduisez en « pesto » et conservez dans de petits bocaux en verre. Ra-joutez une pincée de sel et veillez à ce qu’une pellicule d’huile d’olive couvre le pesto. Ces petits pots se conservent toute l’année en dehors du frigo (l’ail est un conservateur naturel).Le radis noir est recommandé dans toutes les insuffisances du foie, pour sti-muler la vésicule biliaire et pour éliminer les calculs. On peut le manger râpé, en potage, en jus ou le prendre en comprimés. Le pissenlit est un excellent draineur du foie, de la vésicule biliaire et des reins. Le romarin, le curcuma, la petite centaurée, le trèfle d’or, la verge d’or et la menthe poivrée sont également des plantes médicinales qui, en infusion, décoction, teintures-mères, capsules et comprimés, peuvent faire partie de votre pharmacopée naturelle. Pas étonnant que Dame Nature nous offre tous ces cadeaux au printemps, lorsque notre foie souffre le plus !

Allez-y en douceur…

Note supplémentaire : lorsque vous entamez une cure, choisissez une semaine calme, sans trop d’obligations, où vous pourrez vous reposer, vous rapprocher de la nature et vous déconnecter au maximum des pollutions électromagné-tiques. Arrêtez le café, les sucreries, les graisses saturées (viande, beurre et margarine, laitages) et les céréales contenant du gluten pour vous concentrer sur des aliments « réparateurs » d’origine végétale, bio et de saison. Entamez toujours une cure en douceur. Exemple : les jours 1, 2 et 3, remplacez un repas uniquement par un velouté ou un potage de légumes, ou par un jus de légumes. Les jours 4 et 5, remplacez 2 repas sur 3 par un repas « vert » et les jours 6 et 7, ne consommez que des velouté, soupes ou jus de légumes. Inver-sez ensuite le processus en réintégrant progressivement les repas complets à base de céréales, légumineuses, poisson, viande blanche… Buvez aussi beau-coup d’eau et de tisane (de romarin par exemple). Ecoutez votre corps et allez-y en douceur…

Valérie Mostert, créatrice culinaire – www.cuisinedescinqsens.be

Cure détox de printemps

Cuisine des cinq sens

ProcédéCommencez par réaliser le pesto, en mixant la purée de noix de cajou, l’huile d’olive, le sel et le curcuma. Epluchez les gousses d’ail, le radis noir et les oignons. Coupez le tout, ainsi que le fenouil, et cuisez à la vapeur douce pendant 15’. Placez dans votre blender avec la botte de feuilles vertes (si vous utilisez l’ail des ours, 10 jeunes feuilles suffisent) et le bouillon végétal chaud. Mixez et servez avec une cuillère de pesto de noix de cajou et quelques feuilles vertes entières.

Le + nutritionnel : Le printemps est la saison idéale pour détoxiner le foie (le débarrasser de ses toxines) et retrouver de l’énergie. Après une cure dépurative de 7 à 10 jours, la fatigue et la morosité feront place à un entrain et une vitalité inégalés.Pour ce faire, privilégier les légumes crus ou cuits à la vapeur et les jus de légumes avec ou sans fibres. Les feuilles vertes et leur apport en chlorophylle viendront apporter une cure riche en vitamines et minéraux. N’oublions pas que toutes les feuilles vertes sont d’ex-cellents apports en protéines complètes, car la chloro-phylle contient les 8 acides aminés essentiels. N’ayez donc aucune crainte à arrêter, durant 8 à 10 jours, les viandes, poissons, œufs ou produits laitiers. En plus des acides aminés, la chlorophylle agit comme un net-toyant naturel, un purificateur de votre organisme, et vous procurera une bonne dose de magnésium, cal-cium, fer et oligo-éléments. Pensez donc à rajouter des feuilles vertes de printemps en fin de cuisson dans vos soupes, veloutés, purées ou jus de légumes. Elles oxygènent tous vos tissus, vous reminéralisent (aident à rétablir votre équilibre acido-basique), luttent contre les radicaux libres, abaissent le taux de cholestérol, combattent la constipation et pro-tègent le foie et le pancréas. Bref, un atout santé non négligeable !Les feuilles d’ail des ours sont réputées pour nettoyer

Temps de préparation : 10-15’

Temps de cuisson : 15’

facile

Ingrédients (pour 1,5 litre de velouté)

1/2 tête d’ail (5 gousses)

1 petit radis noir

2 oignons

1 fenouil

1 botte de cerfeuil (ou de pourpier, jeunes

épinards, ail des ours…)

1,5 litre de bouillon végétal

1 càs de purée de noix de cajou

1 pincée de curcuma et de sel marin

Velouté détox à l’ail et au radis noir,

et pesto de noix de cajou au curcuma.

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[imagine 97] mai & juin 201345

Est-il encoretemps ?

Depuis qu’elle a commencé, cette chronique tente de livrer des pistes objectives pour rendre notre mode de vie plus durable. Aujourd’hui, je suis découragée. Ce n’est pas le syndrome de la page blanche. Mais les réflexions critiques que je vous livre tous les deux mois, à vous, lecteurs

concernés déjà par toutes ces thématiques, sont-elles vraiment utiles ?En visite à Monaco en ce début du mois d’avril, le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon déclarait : « Il sera bientôt trop tard. (…) Nous devons agir maintenant si nous voulons qu’en 2050, la planète soit vivable pour ses neuf mil-liards d’habitants. » Et certains journaux de titrer : « Il sera bientôt trop tard pour sauver la planète. » Cette expression me fait bondir à chaque fois. La planète, elle, s’en sortira d’une manière ou d’une autre. C’est l’être humain qui se met en dan-ger. Mais les choses sont rarement exprimées de cette façon. Et s’il était déjà trop tard ? En juin dernier, déjà, à la veille du sommet de Rio + 20, une vaste étude (1) publiée dans Natureconcluait que la biosphère terrestre est à la veille d’une « bas-cule abrupte et irréversible » en raison de l’ampleur des pres-sions exercées par l’homme sur la planète. Et pourtant, rien ne bouge. La grande majorité des citoyens sont devenus avant tout des consommateurs. Le rêve le plus partagé au monde est sans doute celui de pouvoir (continuer à) consommer sans limite. « Après nous, le déluge. »Les déchets ? On va bien inventer quelque chose qui nous en débarrassera ! Témoin du succès de cette façon de penser, la médiatisation du projet de Boyan Slat, un jeune Néerlandais de 19 ans : une plate-forme capable de nettoyer les milliards de déchets qui encombrent les océans. Les éloges à l’égard de cette invention « magique » ne se comptent plus sur le web. Seul un article du Monde (2) tempère l’enthousiasme général face à cette innovation technologique miraculeuse, en livrant le point de vue de François Galgani, océanographe à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) :« Ramasser les déchets sur les plages est moins spectaculaire mais plus facile à réaliser et tout aussi utile. »C’est évidemment moins glamour, et cela implique que tout le monde se mette, sinon à ramasser, du moins à ne plus balancer ses détritus aux quatre vents. A l’heure où je vous écris, je suis face à la mer. Lors de ma promenade d’hier, je n’ai pas eu assez du sac plastique que j’avais emporté pour ramasser tous les déchets aperçus sur la plage et les sentiers du littoral. Alors vous me pardonnerez, j’espère, ce moment de découragement.

Isabelle Masson-Loodts

(1) Etude dirigée par Anthony Barnosky, chercheur au département de biologie intégrative de l’Université de Californie à Berkeley (Etats-Unis), et cosignée par une vingtaine de chercheurs issus d’une quinzaine d’institutions scientifiques internationales.(2) Voir le blog d’Audrey Garric, journaliste au Monde, en date du 3  avril 2013  : ecologie.blog.lemonde.fr/2013/04/03/peut-on-nettoyer-les-oceans-des-dechets-plastiques/

Page 46: Imagine demain le monde

Le métier de la neigeMichel Lambert

Michel Lambert a une prédilection pour le genre de la nou-velle. Il a été à l’initiative du Prix franco-belge Renaissance de la nouvelle et il est lui-même auteur de huit recueils dont celui-ci est le dernier paru. Mais l’exercice du récit bref, qui existe comme entité propre, va chez lui de pair avec la construction d’un univers qui relie les différents textes entre eux par-delà leurs différences. Les personnages évo-luent souvent à l’extérieur, sur des terrasses de café, dans de grandes villes qu’ils arpentent inlassablement. Leurs sens sont en éveil, ils captent des instantanés gracieux ou grinçants qui s’ajoutent les uns aux autres, convoquant des souvenirs intimes. Une bonne part d’eux-mêmes leur a été arrachée un jour, dans une rupture déclinée en de multiples variantes. Une force irrépressible les ballotte entre passé et présent, à la recherche du point de fracture, de cette part d’eux-mêmes inaccomplie, atrophiée. Le monde qui les bouscule prend des tournures inquiétantes, oppressantes, ils voient des empires vaciller sous le coup de la crise fi nan-cière, ils sentent monter les colères de la foule. Ils lâchent des cris, saisissent une main, implorent un regard dans un glissement de désastre. Derrière ces destins épars, il y a des notes très justes sur notre monde en déroute, mais aussi sur le désir encore confus d’autres perspectives.

Th.D.Pierre Guillaume de Roux, 2013, 190 p.

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Expos

CharleroiJens Olof Lasthein

Le Musée de la photographie poursuit son travail de témoignage sur la ville de Charleroi. Et de quelle splendide façon ! C’est en effet le photographe suédois Jens Olof Lasthein, dont les très beaux panoramiques sur l’Europe de l’Est ont déjà été exposés au Musée, qui explore ici la ville et va à la rencontre des Carolos. En résultent une quaran-

taine d’images fortes, mélancoliques et lumineuses. Par ailleurs, on pourra également y voir le travail photographique que Frédéric Pauwels a consacré aux femmes prostituées chez nous, en collaboration avec l’association qui se bat pour leurs droits, Espace P… (Du 18 mai au 22 septembre. Infos : www.museephoto.be, 071 43 58 10.)

The AllochtoonCharif Benhelima

Il est encore temps d’aller voir les pho-tographies de l’artiste Charif Benhe-lima, nourries de sa quête identitaire d’enfant né d’un père marocain et d’une mère belge, tous deux disparus alors que Charif Benhelima était encore enfant. Il interroge les notions que sont l’étranger, la culture, l’identité, dans un travail extrêmement touchant, intime et

universel. (Jusqu’au 26 mai au BPS 22 de Charleroi. Infos : bps22.hainaut.be, 071 27 29 71.)

Supersonic YouthChiroux

De jeunes artistes pratiquant la photo de façon très libre et décomplexée proposent cette exposition dynamique, où se croisent diverses approches et techniques. Une fenêtre ouverte sur une génération à découvrir. (Jusqu’au 8 juin, à Liège. Infos : www.chiroux.be, 04 223 19 60.)

Arts de la rue

Namur en mai

Les rues de la capitale wallonne vont s’animer comme chaque année au rythme des jongleurs, musiciens, clowns, comédiens, acrobates et autres saltim-banques en tous genres pour le festi-val Namur en mai, qui rassemble en cinq jours une programmation souvent excellente. (Du 8 au 12 mai, en divers lieux. Infos : www.namurenmai.be)

Romans

Le petit joueur d’échecsYoko Ogawa

Un roman dédié tout entier au damier et à ses pions et où l’on voit un jeune homme se confondre avec le jeu jusqu’à

Les vulnérablesChang-rae Lee

June, enfant sur les routes de la guerre en Corée, perd tous les membres de sa famille. Les uns après les autres, ils meurent devant ses yeux… Recueillie par un G.I. démobi-lisé et solitaire, Hector, elle trouve refuge dans un orphe-

linat. Fillette dure et bagarreuse, elle se prend de passion pour Sylvie, la belle et languide épouse du pasteur. Trente ans plus tard, June est une antiquaire new-yorkaise qui a réussi profes-sionnellement. Mais devenue veuve, malade, elle a aussi perdu la trace de son fi ls, disparu en Europe. Elle décide alors de partir à sa recherche, en réquisitionnant Hector, qui lui s’est réfugié dans l’alcool et une vie atone. Chang-rae Lee, Coréen immigré aux Etats-Unis, nous offre là un roman splendide sur la guerre et ses effets dévastateurs. En suivant le parcours de Sylvie, Hector et June, il retrace la terrible histoire des confl its en Asie, en passant par l’intime, et la rend universelle. Comment survivre après le temps des actes héroïques ? Comment continuer après l’horreur ? Au fi l des destins dramatiques et passionnants de ses anti-héros, son écriture fl uide nous emporte dans une épopée captivante. Un roman plein de souffl e.

L.d.H.L’Olivier, 2013, 540 p. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marc Amfreville.

RO

MA

NS

De jour comme de nuitJean-Luc Outers

Avez-vous déjà remarqué à quel point l’on devient vite étranger à la culture d’une époque que l’on a soi-même vécue ? Il suffi t de feuilleter un album de souvenirs ou de visionner un reportage pour mesurer la force du temps qui passe et la puissance des courants d’idées en perpétuel mouvement qui mo- tivent nos décisions et nos actes. Jean-Luc Outers nous replonge dans l’ambiance des années 70, dans la foulée du mouvement de Mai 68, dans le sillage d’un groupe de jeunes universitaires en quête d’authenticité. En leur compagnie, nous revivons les émois révolutionnaires, la mise en question des savoirs, les élans communau- taires, l’amour qui se libère et les alternatives qui fl eurissent. Et l’on mesure l’élan de celles et ceux qui revisitent les us et coutumes, qui bousculent les institutions et qui passent sans crainte les frontières. A leurs côtés, nous voyons tomber les dernières dictatures européennes en Espagne, au Portugal et en Grèce. Et nous assistons à la naissance d’une école orientée vers les pédagogies nouvelles, construite de toutes pièces avec la volonté de donner du sens à la vie, dans un esprit de cogestion ou d’autogestion enthousiaste. Jean-Luc Outers, dont on sent la tendresse pour cette période haute en couleur, s’est abondamment documenté et son talent d’écrivain fait de ce tableau d’époque une bouffée d’air frais en nos temps frileux.

Th.D.Actes Sud, 2013, 344 p.

Thomas «switn» Sweertvaergher

Galerie Stieglitz 19 – Anvers

Jens Olof Lasthein - Rue du Grand Central,

Charleroi, juillet 2012

Page 47: Imagine demain le monde

Coup de CoeurM

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s’effacer derrière lui. Les échecs comme une passion, un art de vivre, une façon de défier la vie, de rechercher la perfec-tion. Th.D. (Actes Sud, 2013, 332 p.)

Suite à un accident grave de voyageurEric Fottorino

Trois suicides successifs sur une voie fer-rée arrêtent le cours des choses dans la banlieue parisienne. L’auteur interroge ces faits, leur impact sur les passants, sur le trafic, le désarroi et la fascination qui les suscitent et qu’ils entraînent. Th.D. (Gallimard, 2013, 63 p.)

Cinéma

2001, l’Odyssée de l’espaceStanley Kubrick

Attention, expérience unique ! Le chef-d’œuvre de Stanley Kubrick va avoir les honneurs de la grande salle Henry Le Bœuf du Palais des Beaux-arts : la projection sera accompagnée par le Brussels Philharmonic, qui interprétera toutes les musiques du film. Décollage garanti ! (Le 10 juin. Infos : www.bozar.be, 02 507 82 00.)

Musique

Le jardin des nouveaux joursAntoine Armedan

Une guitare sèche, une voix, douze chansons françaises intimistes à décou-vrir sur cet album autoproduit, plein de simplicité et de douceur, où Antoine Armedan aborde – entre autres choses – les changements climatiques ou les travers de la société capitaliste. (Infos : www.antoinearmedan.com.)

Salon

Brussels creative forum

Réunir des acteurs culturels de toutes sortes en un même lieu, pour parta-ger leurs expériences, leurs bonnes pratiques, et faire la publicité de leurs réalisations et de leur nouvelle saison, tel est l’objectif de ce salon. Organisé notamment par Visitbrussels, Promethea et la Fondation pour les arts, il entend faire le pont entre l’aspect artis-tique et l’aspect écono-mique de la culture à Bruxelles. Pour le public, il sera l’occasion de trou-ver réunie l’offre cultu-relle, pour la saison prochaine, de pas moins de 200 lieux différents ! (Du 20

au 23 juin, à Tour et Taxis. Infos : www.brusselscreativeforum.be)

Théâtre

Le roi de la danseOlivier Coyette et Etienne Mi-noungou

Le comédien burkinabé Etienne Minoungou monte sur les planches bruxelloises pour nous parler de son combat d’artiste et d’homme de culture face aux chantiers gigantesques auxquels est confronté son continent, en évoquant Mohammed Ali alias Cassius Clay, cet autre combattant. (Au

Théâtre de poche, du 21 mai au 8 juin. Infos : www.poche.be, 02 649 17 27.)

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Jam’in JetteKel Assouf, Azuleo, La Fanfare du Belgistan, Abdou Day… Du ragga à la musique tzigane, de Madagascar à l’Espagne en pas-sant par la Côte d’Ivoire, des Touaregs aux Belges, le parc de la Jeunesse de Jette va vibrer des sonorités du monde à l’oc-casion de la cinquième édition de Jam’in Jette. Ce festival, qui existe d’abord grâce aux béné-

voles engagés, est aussi l’occasion de profiter de spectacles de cirque et d’art de la rue, de découvrir l’exposition photo du collectif Boîte noire, de laisser les enfants s’amuser dans un espace avec des animations qui leur sont dédiées, puis de réfléchir durable-ment dans le village SolidaiR, qui rassemble une vingtaine d’asso-ciations. Ses organisateurs, les membres de l’asbl Kwa !, sont éga-lement engagés dans une gestion responsable de l’environnement, des toilettes sèches à l’usage de matériaux recyclés.Autrement dit, que du bon et du plaisir pour ce festival urbain familial, interculturel, accessible aux personnes à mobilité réduite, transgénérationnel, durable, et gratuit !

Le 11 mai au parc de la Jeunesse, avenue du Comté de Jette. Un parking vélo, des navettes depuis le centre de Bruxelles et un système de covoiturage sont à la disposition des festivaliers. Infos : www.jam-in-jette.beFEST

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17 Hippies chantent en françaisIls sont aujourd’hui 13, ils furent 17, parfois plus, souvent moins. Tous de Berlin, ils ont décidé de jouer partout sans devoir brancher leurs ins-truments. Un groupe entièrement acoustique, donc, au sein duquel gui-tare, banjo, ukulele, violon, contrebasse, violoncelle et mandoline côtoient accordéon, trompette, saxophone, clarinette et trombone. Les instruments sont comme autant de couleurs sur une palette. Les 17 Hippies jouent un répertoire ouvert sur le monde : chansons en allemand et en français, musique des Balkans, airs tziganes, danses d’Europe, relents de rock. Ça déménage avec une grande musicalité ; à tel point que le groupe sortira vite d’Allemagne pour aller jouer loin en Europe mais aussi aux Etats-Unis.Leurs disques voient le jour chez Buda en France. C’est qu’on les aime à Paris, et certaines de leurs chansons, le magnifique Marlène surtout, passent à la radio. Voici un disque qui reprend leurs titres français. Ambiance magnifique où se succèdent des textes aux parfums de chanson réaliste, des adaptations de traditionnels cajuns ou slaves, des chansons où plusieurs langues flirtent en harmonie, des poèmes d’amour et de mystère à faire rêver des chanteurs français en mal d’inspi-ration. Hors du commun, délicat, suave, sensuel et extrêmement musical.Buda Musique Etienne Bours

Kunsten-festivaldesartsLe joli mois de mai est comme chaque année l’occasion de fouiller dans le programme foisonnant du Kunsten, avec ses découvertes et ses auteurs confirmés, ses aventures, ses temps de réflexion et ses moments de beauté. Pas de thème central à ce festival, si ce n’est de faire écho aux bruissements du monde par l’intermédiaire d’artistes engagés, de dialoguer, d’entretenir liberté de parole et créativité. Nous pouvons pointer malgré tout quelques sujets « Imagine »… Notre rapport aux animaux, le questionnement de l’opposition nature/culture sera par exemple au cœur de deux performances, celle de la Berlinoise Antonia Baehr (Abecedarium bestiarium) et celle du Zoological Institute for Recently Extinct Species de Jozef Wouters, qui construit enfin l’aile nord, jamais réalisée, du Musée des sciences naturelles. La censure est également à l’origine de deux spectacles : l’un de Lisbonne, avec Tiago Rodrigues, qui s’est plongé dans les archives de la commission de censure mise en place aux temps de la dictature salazariste (Três dedos abaixo do joelho), l’autre de Suède, avec Markus Öhm, qui a monté, composant un film de 49 heures, toutes les scènes coupées par la censure entre 1934 et 2002. L’inégalité sociale, les rapports de pouvoir seront eux disséqués par la Brésilienne Christiane Jatahy, qui transpose dans une villa bourgeoise de Rio la pièce d’August Strindberg, Mademoiselle Julie. Des « classiques » du festival, comme Toshiki Okada, Bruno Beltrão ou Heiner Goebbels, seront présents, ainsi que de jeunes espoirs confirmés, comme les Mexicains de Lagartijas tiradas al sol ou la Belge Anne-Cécile Vandalem. Autant de raisons d’y aller !

L.d.H.Du 3 au 25 mai, en divers lieux de Bruxelles. Infos : www.kunstenfestivaldesarts.be, 070 22 21 99.

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NOPablo Larraín

5 octobre 1988, Chil i . Pinochet, poussé par la pres-sion internationale, a orga-nisé un référendum sur son maintien à la tête du pays. Ce n’est pour lui qu’une simple formalité… Pourtant, il perdra, 56 % des votants optant pour le « no ».Le cinéaste Pablo Larraín poursuit son exploration du Chili sous Pinochet (après Tony Manero et Santiago 73, Post Mortem), caméra des années 80 au poing, dans un fi lm drôle, dramatique et passion-nant. Cette fois, c’est à un jeune publicitaire qu’il s’intéresse. René Saavedra est le fi ls d’un opposant à Pinochet, ancien exilé. Son curri-culum de dissident s’arrête là : il vit plutôt pas mal dans ce Chili néo-libéral et consommateur. Mais quand un responsable de la campagne du non à Pinochet veut le recruter, il accepte, par défi . Jouant des codes publicitaires de l’époque, il va peu à peu convaincre les adversaires du dictateur de réaliser des spots joyeux, positifs, en-traînants, aussi pop que des publicités Coca-Cola, alors qu’eux vou-draient profi ter de ces 15 minutes quotidiennes d’antenne pour enfi n dénoncer les crimes de la dictature. Ces spots éclatants expliquent-ils la victoire du non ? Sans doute pas totalement, bien entendu. Mais « cette publicité optimiste, qui n’atta-quait pas Pinochet mais visait à neutraliser la peur, a joué un rôle important », estime le réalisateur. Et le succès du non laissera un petit arrière-goût amer : celui d’un état d’esprit de votants-consommateurs, et de la victoire, fi nalement, du capitalisme dominant.

L.d.H.1 h 57, dans les salles dès le 1er mai.

Le grand retournementGérard Mordillat

Voilà un fi lm particulier, rare, et qui ne trouve pas de distributeur chez nous. L’équipe des Grignoux, à Liège (l’un des meilleurs réseaux de cinéma en Europe, estiment de nombreux cinéphiles), a donc décidé de passer outre et de relever le pari de la distribution tout seul. Dans un décor d’usine en ruine, Le grand retourne-ment raconte la crise fi nancière en alexandrins. La

barbe, penserez-vous. Au contraire, pour qui aime s’amuser de la situation et jouir de la langue, c’est une réussite.Ce fi lm est basé sur la pièce de l’économiste Frédéric Lordon, intitulée D’un retournement l’autre. Comédie sérieuse sur la crise fi nancière en quatre actes et en alexandrins (éditions du Seuil). Lordon, économiste français, est membre du collectif Les Economistes atterrés. En fi n connaisseur de la crise économico-politico-fi nancière dans laquelle nous sommes plongés, il dénonce ici les mécanismes pervers mis en place par le monde de la fi nance. Les banquiers inventent des trucs pourris pour se gaver encore et encore (subprimes, etc). Comme ils risquent la faillite, ils font appel à l’Etat (qu’ils détestent) pour venir les sauver… puis dénoncent l’incurie de l’Etat plongé par eux dans la dèche. On pense à Molière, revenu faire un petit tour sur terre. C’est à la fois tragique et comique. Tragique, parce que grâce au jeu distancié des comédiens (Jacques Weber, François Morel, Edouard Baer…), on se rend compte à quel point nous pouvons nous faire berner par la fi nance. Et comique, parce que les situations sont drôles, et la langue utilisée jouissive en diable.

A.R.

Imagine est partenaire de la soirée de lancement, en présente du réa-lisateur, Gérard Mordillat, le mercredi 15 mai à 20 h, au cinéma Le Parc, à Liège. Ensuite, projections régulières.Le mercredi 22 mai à 14 h et le samedi 25 mai à 16 h, projection du fi lm suivie d’une présentation de la New B (lire notre édito).

Hannah ArendtMargarethe von Trotta

Au début des années 60, Hannah Arendt est une femme célé-brée. Juive allemande réfugiée aux Etats-Unis, elle habite alors dans un bel appartement new-yorkais, est professeur en sciences politiques à l’université, et ses ouvrages, dont le marquant Lesorigines du totalitarisme, comme sa pensée, sont révérés. Lorsque les services secrets israéliens trouvent et enlèvent le responsable nazi Adolph Eichmann pour le juger à Jérusalem, elle propose au New Yorker de suivre le procès. Mais les articles qu’elle va publier provoqueront une immense polémique.C’est cet épisode clé dans la vie d’Arendt que la réalisatrice Margarethe von Trotta a choisi de mettre en scène (avec la for-midable Barbara Sukowa pour le rôle titre). Elle nous fait revivre le choc qu’a représenté sa rencontre avec la « banalité du mal »d’Eichmann. Venue regarder un monstre dans les yeux, c’est un bureaucrate obsédé par l’ordre, devenu incapable de penser, qu’elle voit au procès. Mais ses propos, ainsi que son question-nement sur le comportement de certains membres des conseils juifs, souvent déformés, vont faire scandale. Et Hannah Arendt de se retrouver accusée de trahir le peuple juif et d’excuser Eich-mann, même ses plus proches amis se détournant d’elle. Hannah Arendt, le fi lm, nous pousse à nous reposer ces ques-tions essentielles, encore totalement d’actualité. Un bain d’intel-ligence brillante et passionnante qui fait le plus grand bien !

L.d.H.1 h 53, déjà sur les écrans.

Fill the void -Le cœur à ses raisonsRama Burshtein

La jeune Shira et sa mère déambulent dans un supermar-ché. Elles trouvent ce qu’elles cherchent dans le rayon produits laitiers : le jeune homme que sa famille propose à Shira d’épouser y fait ses courses, c’est l’occasion de l’observer. Dans le milieu très fermé des juifs hassidiques israéliens, les mariages sont arrangés, mais les promis doivent don-ner leur accord. Shira offre le sien : le garçon lui semble avenant, elle rêve de se marier. Mais un drame va tout remettre en cause. Esther, la sœur aînée de Shira, meurt en mettant son petit garçon au monde. Pour conserver le bébé auprès d’elle, leur mère propose alors une étrange solution : un mariage entre le veuf et Shira…Rama Burshtein vit elle-même au sein de la communauté ultra-orthodoxe. Mais pas question pour elle d’en faire un sujet politique ou polémique. Son désir est simplement de nous raconter une histoire. Elle parvient ainsi à la fois à nous faire pénétrer dans ce monde qui nous est totale-ment étranger et à nous toucher avec un récit universel sur la culpabilité, le devoir, les sentiments. Le tout grâce à un fi lm très beau – la communauté hassidique, avec ses costumes et sa musique, étant éminemment esthétique – et formidablement interprété – la jeune Hadas Yaron a reçu la coupe Volpi de la meilleure actrice lors du dernier Festival de Venise.

L.d.H.1 h 30, sur les écrans le 1er mai.

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>> Conférences

L’énergie durable dans notre

quotidien, une conférence de Michel

Huart (ULB), le 16 mai à 20 h, à la

Maison de la laïcité Irène Joliot-Curie,

rue Lambert Fortune, 33, à Wavre.

Infos : 010 22 89 30

Tout savoir sur le chauffe-eau

solaire thermique, pour toute

personne qui envisage de passer au

chauffe-eau solaire. Le 14 mai de 19

à 21 h. Aux Ateliers, rue Voot, 91, à

Bruxelles.

Infos : 02 762 48 93

www.voot.be

La biodiversité au jardin. Quels

sont les facteurs qui expliquent

l’érosion de la biodiversité ? L’homme

peut-il y remédier ? Que puis-je faire

concrètement en tant que citoyen ? Trois

conférences, les 5, 7 et 12 juin, de 19

à 22 h. Au CRIE de Liège, rue Fusch, 3,

à Liège.

Infos : 04 250 75 00

Le travail sur les émotions, une

pratique du yoga pour assumer

pleinement sa vie émotionnelle en

accord avec les enseignements de la

tradition shivaïte. Avec Daniel Odier. Le

14 juin à 20 h, Aux Sources, rue Kelle,

48, à Bruxelles.

Infos : www.tetra-asbl.be

>> Evénements

Emotion’ ailes. Concours photos sur

le thème des oiseaux, ouvert à tous.

Inscription du 1er mai au 7 septembre.

Exposition des clichés en octobre dans

divers endroits du vieux Namur.

Infos et inscriptions :

www.exposaves.be

Quel avenir pour le salariat ? Deux

Bernard Friot, sociologue et économiste

atypique, professeur émérite à Paris

X et auteur de L’enjeu du salaire, La

puissance du salariat et L’enjeu des

retraites. Les 6 et 7 mai de 9 h 30 à

16 h 30, à L’Article 23, place Dupont, 1,

à Liège.

Infos : [email protected]

Entre secret et transparence :

guerre, paix et démocratie. Colloque

de l’information et à la transparence des

institutions. Les 23 et 24 mai, à l’UMons,

auditoire Van Gogh, à Mons.

Infos : 065 39 54 90

www.mundaneum.org

Zen O’

Terra : salon

d’éveil aux

alternatives

de vies.

Développement personnel et spirituel,

thérapies douces, conférences, concerts,

arts de la rue. Plus d’une centaine

d’exposants et d’artistes dans une

ambiance chaleureuse et décontractée.

Du 7 au 9 juin, à la Ferme de Martinrou

à Fleurus.

Infos et tickets : www.zenoterra.be

Faucher le temps d’un week-

end. Une faux ne consomme pas de

carburant, n’émet ni gaz polluants ni

odeurs désagréables. C’est un outil très

écologique qui favorise la régénération

de la végétation et épargne les petits

animaux. Les 9 et 10 mai et les 8 et

9 juin, à la Gaumette, Martué, 42, à

Florenville.

Infos : 02 332 10 58

www.lagaumette.be

Devine, combien d’hirondelles sont

nos voisines ? Un week-end festif et

pédagogique autour des hirondelles et

martinets de chez nous, avant le grand

recensement de ces oiseaux par les

particuliers. Les 22 et 23 juin, partout à

Bruxelles et en Wallonie.

Infos et programme détaillé :

www.natagora.be/hirondelles

La fête du jeu. Journée familiale.

Jouer, c’est se rencontrer, tisser des

liens, s’ouvrir à des registres inattendus,

sortir de la monotonie. Le 23 juin de 11

à 18 h à la Ferme de Froidmont, chemin

du Meunier, 38, à Rixensart.

Infos : 02 653 61 23

www.ccrixensart.be

Bonheur et adversité, la joie à

l’épreuve de la vie, tel est le thème de

la prochaine journée « Emergences ».

Avec Christophe André (psychiatre,

psychothérapeute et écologiste),

Matthieu Ricard (moine bouddhiste et

traducteur du Dalaï Lama, qui sortira

bientôt un livre sur l’altruisme), Anne-

Dauphine Julliand (maman de quatre

enfants, dont une décédée à l’âge de

trois ans et une autre atteinte d’une

maladie génétique, et auteure de Deux

petits pas sur le sable mouillé, un livre

sur la beauté de la vie qui raconte

leur histoire), Magda Hollander-Lafon

(déportée à Auschwitz à 16 ans, auteure

de Quatre petits bouts de pain. Des

ténèbres à la joie, une méditation

sur la vie), Patrice Gourrier (prêtre et

psychologue enseignant la méditation

de pleine conscience), Michel Lacroix

(philosophe français qui travaille sur les

émotions sociales positives).

Le 27 septembre, de 9 à 17 h, au

Théâtre Saint-Michel, à Bruxelles.

Infos : www.emergences-asbl.org/

bonheur-adversite

Pour commander les places :

www.ticketnet.be

>> Formations

Poterie, céramique, sculpture :

détente et rencontre avec des

passionnés du travail de la terre, à

l’Atelier de la Fontaine. Les lundis,

mercredis et vendredis de 11 à 18 h,

place Licour, 2, à Herstal.

Infos : Marie-Alice Deuse-Stockart,

04 388 10 46, www.m-alice.be,

[email protected]

Projets internationaux du SCI

durant l’été. Travailler avec des

orphelins dans une ferme de la steppe

mongole, participer à une campagne de

sensibilisation aux mutilations génitales

au Kenya, restaurer le site archéologique

Chan Chan au Pérou…

Pour découvrir les projets

et commander la brochure

gratuitement : www.scibelgium.be

Maison en paille, chantier

participatif. En raison du gel, le

chantier de la nouvelle maison en

ballots de paille, situé à Liège, a dû être

postposé. Une soixantaine de personnes

s’étaient inscrites. Pour celles et ceux

qui souhaitent découvrir cette technique

dite du GREB et s’y essayer, une série

de dates sont prévues en mai et juin.

Aucune compétence préalable n’est

requise.

Dates, contacts et formulaire

d’inscription sur www.

liegeentransition.be/agenda ou

Sandrine Meunier, 0474 46 55 44

écologiques, journée d’étude de

l’Université des femmes, dédiée aux

femmes actives dans le développement

durable en Belgique. Le 16 mai, rue du

Méridien, 10, à Bruxelles.

Programme complet sur www.

universitedefemmes.be

Infos et renseignements :

02 229 38 72

Visite d’un jardin-forêt nourricier

en permaculture. Le jardin est situé

dans un paysage forestier planté

d’espèces comestibles. Un exemple de

solutions locales, adaptables à chaque

lieu. Le 20 juin de 14 à 17 h, à la Ferme

du Boissonnet, rue Saint-Roch, 33, à

Chaumont-Gistoux.

Infos : www.tetra-asbl.be

Voyage en écologie profonde, Gaïa

au cœur. Comment aller à la rencontre

de notre impuissance face à l’énormité

de la crise écologique et sociale, pour

la transformer en engagement créatif ?

Découvrez le « travail qui relie ». Atelier

résidentiel sous tente ou en gîte à la

ferme. Coanimé par Helena ter Ellen,

Corinne Mommen et Gauthier Chapelle.

Du 10 au 17 août, en bordure de la forêt

d’Anlier.

Infos : 02 546 84 64

www.terreveille.be

>> Balades

Visite des saveurs avec le Musée

de Visé. Les ruches de Jean-Paul

Demonceau, le 29 mai à 14 h, rue

Gobcé, 5, à Blegny.

Infos : www.museedevise.be

Les virtuoses de l’Argentine. Balade

matinale le long de la rivière Argentine,

dans le Brabant wallon, à la recherche

des oiseaux, pour écouter leur chant et

observer leur comportement. Rendez-

vous le 8 juin à 8 h à l’entrée du

domaine Solvay à La Hulpe, chaussée de

Bruxelles.

Infos : 0485 40 99 39

Agenda

Page 50: Imagine demain le monde

Un million de révolutions tranquillesBénédicte Manier

« There is no alternative », disait la phrase la plus célèbre de Margaret Thatcher. « There are thousands of alternatives », répond Susan George, auteure engagée depuis des décennies dans la promotion de l’engagement citoyen. Les deux visions fi gurent en exergue de ce livre qui nous emmène à la découverte d’initiatives susceptibles de changer le monde. L’auteure, Bénédicte Manier, journaliste, a voyagé deux ans durant afi n de rassembler les témoignages de celles et ceux qui ont décidé d’agir pour résoudre leurs problèmes, à leur échelle, avec leurs moyens. Sans attendre les politiques, « ils agissent seuls ou en groupes informels, sans bruit, et reprennent en main leur économie, leur agriculture, leur consommation, leur travail ou leur habitat ». L’autogouvernance citoyenne est le fi l directeur de ce livre : « Aujourd’hui, des millions d’hommes et de femmes se détachent du système économ-ique jugé trop brutal pour l’humain et l’environnement et exigent un nouveau modèle de société. Et localement, ils se mobilisent pour le construire. »Ces récits de vie, toujours enthousiasmants et souvent inspirants, sont présentés par thèmes : les histoires qui tournent autour de l’eau, du modèle coopératif, des nouveaux modes de vie (consommation relocalisée, reprise en main de la distribution, échange sans argent, postcon-sumérisme), de l’agriculture, de l’usage citoyen de l’argent (banques socialement responsables, monnaies locales…), des énergies (modèles énergétiques décentralisés, inventions du Sud…), du logement (refus de la marginalisa-tion pour les personnes âgées, écologements de qualité pour les plus démunis…), de la santé. « Ces mouvements concernent probable-ment plusieurs millions de personnes à travers le monde, estime l’auteure. Ces entreprises ne relèvent plus de communautés marginales, de petits groupes de militants plus ou moins retran-chés du monde, mais d’individus et de groupes vivant au cœur même de nos sociétés, dans les classes moyennes et populaires. »Numéro après numéro, on vous en fait le récit depuis des années dans Imagine, et c’est là le cœur même de notre projet rédactionnel : à l’échelle locale, un monde nouveau est en train d’émerger, qui fait encore partie de l’ancien mais s’en diff érencie chaque jour un peu plus. La métamorphose écologique est en cours. A.R.

Les Liens qui libèrent, 2012, 326 p.

Halte à la toute-puissance des banques ! Pour un système monétaire durableBernard Lietaer, en collaboration avec Christian Arnsperger, Sally Goerner et Stefan Brunnhuber

Cet ouvrage est remarquable par son originalité et sa pertinence. On sait que le système fi nan-cier est non seulement instable, mais génère de l’inégalité et détruit la planète. Ce livre démontre qu’un aménagement du système n’y changerait rien, car c’est sa structure même qui fabrique naturellement de l’instabilité : entre 1970 et 2010, pas moins de 475 crises sys-témiques monétaires ont été recensées dans le monde ! Partant d’un constat radical, expliqué de manière éclairante, les auteurs tracent des chemins totalement nouveaux (mais très con-crets), basés sur une passionnante approche biomimétique (s’inspirer du fonctionnement du vivant pour concevoir des systèmes). Il s’agit désormais de promouvoir une biodiversité des monnaies, seule garante de résilience et de pérennité. L’outil est encore peu connu, mais extrêmement effi cace, ce sont les « mon-naies complémentaires », de petits leviers qui servent autant à favoriser la coopération qu’à préserver l’environnement, penser à long terme ou réduire les inégalités. La profondeur de ce livre-OVNI nécessite une certaine péri-ode de « digestion » de la part du public, des économistes et du monde politique. Mais c’est de toute évidence un pilier pour la construction de la Transition. A digérer, donc. P.S.

Odile Jacob, 2013, 295 p.

Une autre science est possible ! Manifeste pour un ralentissement des sciencesIsabelle Stengers

Comme il y a la malbouff e, il y a la « mal-science ». L’obsession du « management » et le retranchement des scientifi ques der-

rière leur étiquette d’autorité sont en train de pourrir le monde académique. Pour les chercheurs et les doctorants, l’heure est à la compétition extrême, à la publication vite faite, mal faite, à la recherche constante de « partenariats » avec l’industrie (la toxicité du court terme), au conformisme et surtout à la fl exibilité, pour ne pas dire la précarité des contrats. Mais les chercheurs n’ont pas le temps de réfl échir à leur pratique. Heureuse-ment, il y a des philosophes sagaces qui osent laver le linge sale en public ! Ce que propose Isabelle Stengers, en plus d’ouvrir la recherche à la collaboration avec un « public potentielle-ment intelligent et curieux » (lire notre article sur la transdisciplinarité, en p. 20- 21), c’est aussi de contourner cette étouff ante évalu-ation et de retrouver un temps long pour la recherche (slow science) : non pas pour laisser les chercheurs faire ce qu’ils veulent, mais au contraire pour les impliquer dans le temps démocratique. Ce plaidoyer est suivi d’un texte truculent, Le poulpe du doctorat, du grand philosophe William James, où il fustige les méthodes du monde académique de l’époque. S’il savait ce que ce monde est deve-nu plus d’un siècle plus tard, il se retournerait dans sa tombe ! A lire et à utiliser comme un outil pour secouer ce vieil engin rouillé et inadapté qu’on appelle la science. P.S.

Les Empêcheurs de penser en rond / La Découverte, 2013, 215 p.

Dix voies d’avenir pour neuf milliards d’humainsThierry Hance, préface d’Olivier De Schutter

Parmi les nombreux livres sur le désastre écologique et ses issues possibles, il en est un qui se distingue par sa lucidité et son accessibilité. Les qualités pédagogiques du célèbre conseiller scientifi que de l’émission de la RTBF Le jardin extraordinaire (et profes-seur d’écologie à l’UCL) se mettent ici au service d’un plaidoyer plutôt… politique. En eff et, les problèmes écologiques ne sont que des conséquences de notre manière de concevoir la société. On échappe donc avec

soulagement à l’énumération de petits gestes quotidiens. Les « voies d’avenir » (et non « so-lutions », ouf !) sont presque toutes d’ordre collectif : contrôler la fi nance, distribuer les bénéfi ces, faire émerger l’agroécologie, limiter la croissance démographique, an-nuler la dette du tiers-monde, favoriser les biens communs, améliorer les logements, gérer collectivement l’énergie, etc. Le livre n’apportera rien de très neuf à l’écologiste averti (sauf peut-être la mise à jour des chiff res), mais il reste une très bonne porte d’entrée pour les nouveaux venus ou ceux qui suivent la « catastrophe » de loin… Clair-voyant tout au long du livre, l’auteur, dans sa conclusion, nous donne quand même 30 ans pour amorcer le virage. Erreur d’impression ou sursaut d’optimisme ?

P.S.

Racine, 2012, 182 p.

Le travail – Une question politiqueNicolas Latteur

Un travailleur sur huit est au chômage en Europe. La question du travail est redevenue centrale aujourd’hui. Formateur au CEPAG (Centre d’éducation populaire André Genot), Nicolas Latteur nourrit sa réfl exion de nom-breuses rencontres avec des travailleurs,

ainsi que d’approches critiques du travail issues de l’économie, de la sociologie et de la philosophie politique. Il « prône la nécessité de faire de l’organisation du travail, au même titre que le salaire et l’emploi, une dimension à part entière pour l’action syndicale », explique

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Page 51: Imagine demain le monde

le sociologue Mateo Alaluf dans la préface.« Le travail dominé par le capitalisme néolibéral envahit les espaces sociaux, les reconfi gure selon sa seule logique de rentabilité et mobilise les temps sociaux afi n d’accélérer le cycle de rotation du capital. C’est pourquoi le droit au contrôle / réduction collective du temps de travail et le droit à la ville (la production démocratique des espaces) apparaissent comme des perspectives indispensables. Elles sont utopiques, au sens fort du terme, car elles permettent de construire un positionnement qui ne soit pas seulement défen-sif mais qui dessine également des perspectives de dépassement des situations actuelles. »A.R.

Editions Aden, 2013, 138 p.

36 trucs et astuces au jardin bioJacques Dupret

Les limaces adorent le pamplemousse : leur peau constitue un piège effi cace dans votre jardin. Que faire des tubes en carton des rouleaux de papier hygiénique ? Remplis de terre, ils forment des « contenants » pour faire des semis à l’intérieur, des graines de haricots par exemple, qui pourront ensuite être mis en place sans abîmer les racines. Les lièvres et lapins de garenne sont des visiteurs de votre jardin ? Pour les éloigner, déposez des cheveux (récupérés chez le coiff eur) au pied de vos

arbustes, vos visiteurs s’en iront car ils ne sup-portent pas l’odeur de l’homme (à renouveler souvent). Trois parties structurent cet ouvrage, qui comporte en fait des dizaines de trucs et as-tuces : les conseils pour les cultures (solutions pratiques à de petits problèmes fréquents), la récup’ au jardin (jantes de vélo, bouteilles en plastique, fer à béton…) et les bonnes idées (pour se faciliter la vie). A.R.

Nature et Progrès Belgique, 2013, 125 p.

Le grand dico de la cuisine bioSylvie Hampikian et Frédérique Chartrand

Le fi l conducteur de ce livre part du constat qu’en l’espace d’une trentaine d’années, la cui-sine a énormément évolué. Certains produits, comme les abats ou les charcuteries grasses, sont devenus plus rares sur nos tables. Tandis que d’autres, inconnus auparavant chez nous, ont discrètement fait leur apparition. C’est le cas par exemple des purées d’oléagineux, des farines et des huiles diversifi ées, des algues, des laits et des crèmes de végétaux (d’amande, de soya, de noisette, de riz, d’avoine…). Pour bien les utiliser, encore faut-il les connaître et savoir les cuisiner. En dix fi ches thématiques, ces nouveaux produits sont tous passés en revue : l’off re du marché, le profi l nutritionnel, les impacts sur la santé. Ensuite, de A (açai, acérola, agar-agar, alfalfa, alkékenge, aloe vera, amarante, aonori…) à Y (yuzu), les 150 nouveaux ingrédients de la cuisine bio sont examinés à la loupe : leurs origines, leurs goûts, leurs usages et leurs eff ets sur la santé bien sûr. Enfi n, dans la troisième et dernière partie, une bonne centaine de pages de recettes « simples et gourmandes » sont proposées, qui utilisent tous ces produits et ingrédients. Une invitation très didactique et illustrée pour les personnes qui désireraient se tourner vers une cuisine plus saine et plus créative, très proche de l’esprit de notre rubrique « Cuisine des cinq sens ». A.R.

Terre vivante, 2012, 253 p.

Flashes

[imagine 97] mai & juin 201351

Les partenaires

d’

CNCD-Opération 11.11.11

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