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IMMIGRATION : MESURER LES AVANTAGES ET LES COÛTS DE LA DIVERSITÉ Paul Collier et Pierre-Emmanuel Dauzat. Gallimard | Le Débat 2014/1 - n° 178 pages 85 à 90 ISSN 0246-2346 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-le-debat-2014-1-page-85.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Collier Paul et Dauzat. Pierre-Emmanuel, « Immigration : mesurer les avantages et les coûts de la diversité », Le Débat, 2014/1 n° 178, p. 85-90. DOI : 10.3917/deba.178.0085 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Gallimard. © Gallimard. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 27/03/2014 17h46. © Gallimard Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 27/03/2014 17h46. © Gallimard

Immigration : mesurer les avantages et les coûts de la diversité

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IMMIGRATION : MESURER LES AVANTAGES ET LES COÛTS DE LADIVERSITÉ Paul Collier et Pierre-Emmanuel Dauzat. Gallimard | Le Débat 2014/1 - n° 178pages 85 à 90

ISSN 0246-2346

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-le-debat-2014-1-page-85.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Collier Paul et Dauzat. Pierre-Emmanuel, « Immigration : mesurer les avantages et les coûts de la diversité »,

Le Débat, 2014/1 n° 178, p. 85-90. DOI : 10.3917/deba.178.0085

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Distribution électronique Cairn.info pour Gallimard.

© Gallimard. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Paul Collier est professeur d’économie et de politique publique à l’Université d’Oxford. Il vient de publier Exodus. Immigration and Multiculturalim in the 21st Century (Londres, Allen Lane, 2013).

Le présent article a initialement paru dans Prospect, octobre 2013.

Paul Collier

Immigration: mesurer les avantages

et les coûts de la diversité

La politique britannique de l’immigration nécessite clairement une refonte. Soucieux de ne pas apporter de l’eau au moulin des xéno-phobes et des racistes, les spécialistes des sciences sociales n’ont pas ménagé leurs efforts pour montrer que l’immigration est bonne pour tout le monde. De ce fait, et à leur corps défendant, ils ont laissé les xénophobes fixer les termes du débat sur l’immigration et poser la question: «L’immigration est-elle bonne ou mauvaise?» C’est se tromper de question. Nous devons nous demander non pas si l’immigration est bonne ou mauvaise, mais jusqu’où elle est préférable. Et, si une certaine immigration vaut mieux qu’au-cune, on a de bonnes raisons de penser qu’au-delà d’un certain pourcentage elle peut être excessive.

Le contrôle effectif de l’immigration n’est donc ni un vestige anachronique du nationa-lisme et du racisme, ni purement et simplement l’obsession de xénophobes paranoïdes: il va

devenir de plus en plus nécessaire dans toutes les sociétés où se sont constituées des diasporas. En l’absence de politiques efficaces, l’immigration tend à s’accélérer. La raison en est directe, mais mal comprise, et les chercheurs ne l’ont établie de manière décisive qu’assez récemment. Le facteur de loin le plus déterminant du taux d’im-migration est la taille des diasporas (les immigrés et leurs descendants qui ont choisi de garder des liens solides avec leur pays d’origine). C’est là un élément crucial de l’immigration, notamment depuis les pays pauvres et lointains, parce qu’il est coûteux d’immigrer. La plupart des citoyens des pays pauvres ne peuvent tout simplement en supporter les coûts et les risques. Aussi les migrants sont-ils généralement issus des catégo-ries de revenus intermédiaires plutôt que des couches les plus pauvres. Avoir un parent dans son pays de destination diminue sensiblement les coûts et les risques. Alors que l’immigration alimente la diaspora, et que la diaspora accrue alimente l’immigration, celle-ci s’accélère.

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revenus entretient l’incitation économique à migrer.

Que l’immigration s’accélère a-t-il une impor-tance? Et si une certaine immigration est bonne, pourquoi plus d’immigration ne vaut-il pas mieux? La réponse est en partie affaire d’éco-nomie élémentaire, mais elle tient aussi et sur-tout aux complexités de l’organisation sociale.

L’économie élémentaire autorise deux pré-dictions claires quant aux effets de l’immigra-tion sur les populations qui les accueillent. Trop simplistes, elles ne sont pas pour autant entière-ment trompeuses. Le bien-être économique dérive en partie des revenus privés et en partie des services publics. Pour ce qui est des revenus, on s’attendrait à ce que l’immigration fasse baisser les salaires et augmenter les rendements du capital. De ce fait, les travailleurs indigènes seraient plus mal lotis, et les propriétaires de richesse mieux pourvus. Dans le cas des services assurés par l’État, le stock existant de capital public – écoles, hôpitaux, routes – serait partagé entre davantage d’usagers, en sorte que la pres-tation par tête se dégraderait.

Les plus pauvres tirent davantage leur revenu du travail, et moins du capital, tandis que leur bien-être général doit plus aux services publics. Dès lors, l’économie élémentaire prédira que l’immigration bénéficie aux indigènes riches, tout en détériorant la situation des plus pauvres. Au risque de la parodie, cette analyse déjà simplifiée à outrance revient à dire que les classes moyennes bénéficient des femmes de ménage et des nou-nous, tandis que les classes laborieuses souffrent de la concurrence avec des travailleurs prêts à accepter une moindre rémunération et avec des familles d’immigrés qui recourent aux services sociaux.

À des taux d’immigration modestes, ces pré-

L’immigration s’accélérant, elle est sus-ceptible de dépasser le point où les bénéfices d’un surcroît d’immigration dépassent ses coûts. Comme d’autres sociétés à hauts revenus, la Grande-Bretagne n’a connu que six décennies d’immigration, en sorte que les diasporas, d’abord négligeables, ont augmenté régulièrement. Pen-dant une bonne partie de cette période, elles ont été assez petites pour que les taux d’entrée restent modestes. Cette phase est terminée.

Le processus de l’immigration qui nourrit les diasporas, et des diasporas qui nourrissent l’im-migration, peut soit suivre une spirale explosive jusqu’à la dépopulation du pays d’origine, comme cela s’est produit dans la République de Chypre du Nord, soit finir par trouver un taux d’équilibre, comme cela peut se produire avec l’immigration polonaise. Tout dépend de la rapi-dité avec laquelle les immigrés sont absorbés dans leur société d’accueil et de l’évolution de l’écart des revenus entre le pays d’origine et le pays d’accueil. Si les immigrés s’intègrent rapi-dement et perdent tous leurs liens avec leur pays d’origine, la migration ne s’accélérera pas sensi-blement. Par exemple, il y a près d’un siècle de cela, mon grand-père immigra, quittant un village allemand alors appauvri. Or, ayant depuis perdu tout lien avec l’Allemagne, je ne saurais être d’aucune aide aujourd’hui à un immigré d’Ernsbach. En tout état de cause, des suites d’un retournement de fortune, les revenus d’Erns-bach ont largement dépassé ceux de Bradford, qui était la ville la plus riche d’Europe quand mon grand-père y arriva. Les flux d’immigration sont le plus susceptibles de s’accélérer sans limite quand les écarts de culture et de revenus sont larges. Un fort écart culturel ralentit le rythme auquel les immigrés perdent leurs liens avec leurs sociétés d’origine, en sorte que les diasporas continuent de croître; un fort écart de

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partie du pays et de très fortes augmentations à Londres, dans le Sud-Est et dans quelques autres poches de forte immigration. Paradoxale-ment, alors que l’écart Nord-Sud en matière de prix du logement ne cesse de se creuser, il est devenu plus difficile de quitter d’autres régions du pays pour s’installer dans le Sud-Est. Dans les zones de croissance, l’immigration a aidé les entreprises à recruter, tout en réduisant la capa-cité des travailleurs indigènes à déménager pour prendre ces nouveaux emplois.

Un autre effet est que les immigrés qui arrivent pauvres disputent les logements sociaux aux indigènes pauvres. Si les effets sur les salaires des travailleurs indigènes à faibles revenus sont infimes, la concurrence autour des logements sociaux a été bien plus substantielle: les immi-grés pauvres ont tendance à se concentrer dans un petit nombre de quartiers pauvres. Une accé-lération continue de l’immigration pourrait sérieu-sement réduire l’accès des indigènes pauvres aux logements sociaux.

Beaucoup d’immigrés s’efforcent de réussir à travers l’éducation. Sur une échelle suffisante, cela peut devenir un problème. Dans la partie de la population indigène qui réussit le moins, la réussite des immigrés risque non pas d’inspirer, mais de démoraliser. Les faibles aspirations des enfants de la classe ouvrière ont toujours été un problème en Grande-Bretagne. Après des décen-nies d’espoirs frustrés, le quart-monde (under-class) indigène a sombré dans le fatalisme, renonçant à essayer pour éviter la déception. Se voir dépasser par les immigrés est de nature à accréditer ce sentiment d’échec inévitable. Même les enfants d’immigrés qui ne parlent pas anglais à la maison réussissent mieux, désormais, que les enfants de la moitié inférieure de la classe ouvrière indigène. Si réels que soient les pro-blèmes auxquels se heurtent les enfants d’immi-

dictions se révèlent largement fausses en raison d’effets compensatoires. À des taux plus élevés, cependant, elles seraient très probablement cor-rectes. Une étude récente crédible a observé que si, au bas de l’échelle, l’immigration a bel et bien réduit les salaires en Grande-Bretagne, elle les a fait augmenter dans la majeure partie des cas. La recherche a également fait apparaître que les augmentations l’emportaient sur la réduction: la plupart des travailleurs indigènes ont profité de l’immigration. Les chercheurs spéculent que la fluidité introduite par les travailleurs immi-grés a amélioré l’efficacité du marché du travail – les immigrés se concentrant dans l’économie des services en pleine expansion du sud-est de l’Angleterre. Ce qui a permis aux entrepreneurs d’améliorer la productivité et donc de verser des salaires plus élevés. En conséquence, l’effet le plus probable de l’immigration passée sur les salaires est que la plupart des travailleurs indi-gènes y ont finalement gagné quand les plus pauvres y ont perdu. Mais ces deux effets sont infimes, hors de proportion avec le tapage qu’on a fait autour d’eux.

En Grande-Bretagne, le logement est de loin l’actif le plus important, en sorte que l’effet de l’immigration est ici potentiellement significatif. Les migrants accroissent la pression sur le parc de logements. Suivant une estimation récente, l’immigration a renchéri le prix des habitations d’environ 10 %. Les plus âgés et les plus riches possédant une part disproportionnée du parc de logements, l’augmentation des prix s’est soldée par un fort transfert régressif aux dépens des caté-gories de revenus inférieures. Et comme l’immi-gration a été géographiquement très concentrée, elle aura affecté les régions très différemment. Cette hausse de 10 % des prix du logement à l’échelle nationale du fait de l’immigration masque un effet négligeable dans une bonne

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grés font baisser le ratio de personnes à charge par rapport aux travailleurs: étant jeunes, ils font partie de la force de travail et compensent l’augmentation de la population indigène à la retraite. Or les travailleurs immigrés ont aussi des enfants et des parents. En 1997, au Royaume-Uni, les immigrés des pays à faibles revenus étaient si désireux de faire venir leurs familles que 12 % seulement des migrants arrivaient pour travailler.

Avons-nous besoin d’immigrés pour combler les pénuries de compétences? De temps à autre, l’immigration sélective permet aisément de com bler des niches laissées vacantes par la population indigène. Dans les années 1970, par exemple, la Grande-Bretagne était à court d’in-firmières et en a recruté dans le Commonwealth. Aucune société ne saurait prévoir tous ses besoins de compétences, mais la soupape de sécurité peut, à la longue, affaiblir l’incitation à s’atta-quer à la racine du problème de la pénurie de qualifications: la formation. Les entreprises peuvent y gagner parce qu’elles trouvent main-tenant des travailleurs formés sans supporter les coûts de la formation. Mais les jeunes travail-leurs nés dans ce pays y perdent parce que les employeurs ne se soucient plus d’investir dans leur formation. Il ne se passe guère une semaine sans qu’un directeur général ou un autre n’adresse à la presse une lettre véhémente pour dénoncer les restrictions à l’immigration. Ces courriers me font penser au vieux dicton: «Ce qui est bon pour General Motors est bon pour l’Amérique.»

Si les effets économiques élémentaires de la migration sont modestes, les effets sociaux com-plexes de la diversité engendrés par les diasporas sont potentiellement considérables. La diversité enrichit les économies en introduisant de nou-

grés – langue et discrimination –, une politique suffisamment active peut en venir à bout. Mais le risque est alors de masquer le problème plus nébuleux et apparemment irréductible des faibles aspirations de certaines sections de la popula-tion indigène.

Même au sommet de l’échelle de la réussite, le succès des immigrés peut créer des problèmes. Beaucoup de «mamans tigres» est-asiatiques, nous le savons, poussent leurs enfants à se surpasser, en sorte que les immigrés est-asia-tiques auront souvent tendance à rafler les places les plus convoitées dans le système éducatif. De ce fait, les enfants de la population indigène seront moins nombreux à décrocher les «prix miroitants».

D’autres effets supposés de l’immigration méritent considération. Par exemple, avons-nous besoin d’immigrés parce qu’ils sont exception-nellement novateurs? On fait souvent observer qu’aux États-Unis les immigrés et leurs enfants sont à l’origine d’un nombre disproportionné d’inventions brevetées. Bref, suivant cet argu-ment, les immigrés ont tendance à être excep-tionnels. Toutefois, l’expérience américaine tient sans doute bien plus à la nature exceptionnelle de l’Amérique, qui aimante les entrepreneurs novateurs, qu’à la nature exceptionnelle des immigrés pris dans leur ensemble. À long terme, la société absorbe les immigrés, qui cessent alors d’être exceptionnels.

Qu’en est-il de l’idée que nous avons besoin d’immigrés parce que la société vieillit? Même un afflux continu de jeunes immigrés n’offre qu’une aubaine fiscale unique, alors que l’espé-rance de vie accrue est un processus permanent. Et une aubaine unique ne saurait couvrir les besoins de financement croissants des retraites. De surcroît, cette thèse présuppose que les immi-

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Ce qui est gênant, dans les contrôles de l’im-migration en Grande-Bretagne, ce n’est pas qu’ils existent, mais qu’ils soient ineptes. Que nous en soyons réduits à mettre des affiches sur les camions illustre les effets cumulés de cette ineptie. Nous avons un objectif arbitraire en matière d’immigration: net d’émigration, mais brut d’immigrés temporaires. Nous manquons d’une politique d’ensemble quant à la composi-tion de l’immigration, et en fait nous ne sommes pas mêmes capables de la suivre correctement. Nous n’avons pas non plus d’indicateur de la diversité, sans parler d’un objectif en la matière.

Un bon contrôle partirait d’analyses empi-riques solides pour en dériver à la fois un plafond et une évaluation de la structure d’immigration appropriée. Le souci fondamental étant la montée régulière de la diversité, l’objectif d’un plafond d’immigration devrait être de la restreindre en fixant l’afflux brut d’immigrés permanents en fonction du rythme d’absorption des diasporas dans l’ensemble de la population. Hélas, la poli-tique actuelle – qui fixe un plafond net, plutôt que brut – néglige de distinguer les immigrés suivant qu’ils sont temporaires ou permanents et ne tient pas compte du rythme auquel les immigrants s’intègrent – chose que nous n’avons pas réussi à mesurer. Quand bien même il serait appliqué, le plafond actuel est si mal spécifié qu’il reste sans effet sur la montée de la diversité

velles perspectives pour résoudre les problèmes, et la variété qu’elle engendre accroît les plaisirs de la vie. Mais la diversité implique aussi des risques. Dans un infâme discours à la Conserva-tive Association réunie à Birmingham en 1968, le politicien britannique Enoch Powell agita l’épou-vantail de la diversité en annonçant des «rivières de sang». Pures sottises. En Grande-Bretagne, comme dans les sociétés à hauts revenus, les gens de cultures diverses ont appris à coexister pacifiquement. La diversité s’accommode parfai-tement d’une société de respect mutuel.

En revanche, la diversité a tendance à saper la considération mutuelle – ce qui entretient la coopération et la générosité nécessaires à une société d’égaux. Les biens publics que les sociétés égalitaires modernes offrent à leurs citoyens dépendent d’une myriade de jeux coopératifs complexes entretenus par les conventions sociales. Si fortement que progresse la diversité en Grande-Bretagne, la coopération et la géné-rosité ne s’effondreraient pas, mais ce serait faire preuve de suffisance que de refuser l’évidence: passé un certain point, la montée de la diversité les menace. Les soucis légitimes ne portent pas sur ses effets passés, mais sur ceux qu’auraient de nouvelles progressions.

Un arbitrage s’impose donc entre les coûts et les avantages d’un surcroît de diversité. Les avantages de la variété sont probablement sujets à des rendements décroissants, comme toute autre forme de variété. À l’opposé, les coûts d’une diversité modérée sont probablement négli-geables; au-delà d’un certain niveau, cepen-dant, une diversité accrue compromettra les jeux coopératifs et minera l’empressement à redistri-buer les revenus. La hausse des coûts de la diver-sité est donc susceptible de s’accélérer. Le moment venu, les coûts marginaux de la diver-sité sont susceptibles d’excéder les gains margi-

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moyen d’éducation». D’autres critères, comme les compétences et l’employabilité, perdent toute pertinence. Une manière raisonnable de limiter l’entrée des parents pourrait être de fixer un quota annuel et d’attribuer les places par une loterie. Les loteries existent de longue date en Amérique ainsi qu’en Nouvelle-Zélande.

La société britannique doit apprendre à dis-cuter les détails du contrôle des flux migratoires sans se laisser entraîner dans des paroxysmes de gêne et de colère. Du fait de leur histoire, les sociétés d’immigration que sont l’Australie, le Canada et les États-Unis ont longtemps été capables de le faire. Aussi ces pays ont-ils tous des politiques plus cohérentes et sophistiquées que celles de la Grande-Bretagne. Tant que le Royaume-Uni n’en fera pas autant, sa politique restera le jouet des tabloïds.

Paul Collier.Traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat.

tout en étant incompatible avec l’essor d’une industrie exportatrice centrale du XXIe siècle: l’enseignement supérieur.

Les recherches de Frédéric Docquier et de ses collègues, l’équipe en pointe dans l’étude de l’immigration, suggèrent que la composition de l’immigration pourrait importer bien plus que son ampleur. Les immigrés qualifiés et employables sont bénéfiques, mais pas les per-sonnes à charge de la diaspora. Un système de points peut filtrer les migrants éduqués, mais pas déterminer s’ils sont employables. Seuls peuvent s’en assurer les employeurs. L’Alle-magne et la Nouvelle-Zélande ont un système de double haie: un seuil de points en matière d’éducation et une offre d’emplois. Si les membres de la diaspora peuvent faire venir des personnes à charge sans restriction, les limites fixées par le plafond s’en trouveront débordées. Docquier observe que les diasporas sont le facteur le plus important de l’immigration: elles «augmentent les flux migratoires et abaissent leur niveau

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