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DouL et Analg. 3, 59-62, 1990 Implantation de stimulateurs b visde antalgique et concomitants psychologiques M.C. Defontaine Catteau', S. Blond' et J.L. Christiaens' ' Consultation de Traitement de la Douleur. Service de Neurochirurgie A (Pr J.L. Christiaens), H~pital B, Lille Regu le 20.2.90, accept# le 11.6.90 I=l~sum~ Pour les patients douloureux qui regoivent un sti- mulateur ~ vis#e antalgique, I'implantation demeure une aventure complexe au plan psychologique: n#cessit# d'ad#quation ~ une proposition originale, effervescence fantasmatique li#e ~ I'accueil d'un mat#riel #tranger actif, appropriation ensuite d'un objet exteme et int#gration corporelle et psychique. Le suivi psychologique durant les bilans pr#-op#ratoires et I'accompagnement du patient implant# permettent d'#tudier et de pallier les risques de souffrance psychique et d'#chec cons#cutif. Summary For painful patients receiving an antalgic stimu- lator, implantation is psychologically a complex adventure: need of adequation to an original proposition, fantasmatic excitement about receptionning a foreign and active equipment, then appro- priation of an external object and bodily and psychical integration. Psychological follow-up during pre-operative evaluation and implanted patient support allow studying and palliating of psychi- cal suffering risks and consecutive failures. Key words: Pain, implantation, thalamic stimulator, medullary sti- mulator, psychology. Le recours & I'implantation de materiel & visee antalgique s'envisage essentiellement en cas de douleurs persistantes, par desafferentation sensitive, liees & un dysfonctionnement du syst~me nerveux central ou peripherique, rebelles & de multiples traitements medicamenteux. Mal comprises par les patients et souvent tardivement reconnues comme telles par le corps medical, elles jalonnent un long parcours medical, souvent ponctue d'echecs successifs. Les procedures d'implantation, si elles ne sont pas exceptionnelles, revetent cependant un caractere particulier, dependant tout d'abord de la frequence du geste au regard de techniques plus courantes, de la necessite de mettre au prealable & I'epreuve des therapeutiques moins Iourdes et moins sophistiquees et dont il faut demontrer I'inadequation. Les materiels que nous evoquons dans cette analyse se iimitent aux appareillages de stimulation implantes soit au niveau medullaire, soit au niveau cerebral (stimulation thala- mique dans un contexte de douleurs le plus souvent d'ori- gine centrale). Cette restriction de I'objet d'etude est justifiee par la communaute des caracteristiques de fonctionnement et d'action de ces materiels et par leur desolidarisation com- mune & I'egard d'autres types de techniques ayant, elles aussi pourtant, recours & I'implantation dans le corps doulou- reux; c'est le cas des reservoirs & morphine: le site d'acc~s est relie& un catheter place clans ]'espace sous-arachno~- dien [ombaire ou dans la come frontaJe du ventricule lateral; ces techniques ont egalement une vis~e antalgique evi- dente, mais ne sont requises que dans des circonstances existentielles (douleurs neoplasiques & un stade evolue) qui leur conferent par ailleurs un caractere d'exception, tout au moins si I'on se place du point de vue du malade. Correspondance: Dr M.C. Defontaine Catteau, Consultationde Traitement de la Douleur,Servicede Neurochirurgie A (PrJ.L. Christiaens),HSpital B, F-59037 Lille Cedex. Neanmoins, d'un point de vue psychologique, les reser- voirs ne peuvent 6tre envisages de la m~.me fa~on puisque ce sont des receptacles inertes, sans activite propre et dont la contenance ne peut etre rendue operante que par un geste ,,externe>,, procurateur d'un produit actif. C'est I'injec- tion qui est alors le geste, I'acte efficace; quant au reservoir implante, il demeure, silencieusement et statiquement, un materiel passif. S'ils n'ont pas de perspective antalgique, d'autres ,,appa- reillages,> medicaux peuvent etre introduits dans le corps et repondre & des caracteristiques d'activit& de presence agis- sante au sein de I'enveloppe corporelle: efficacite destruc- trice du sterilet intra-uterin (dont la perception douloureuse signe frequemment I'expression du rejet) ou encore partici- pation salvatrice du stimulateur cardiaque. Ce dernier pre- sente effectivement des modalites tres proches des stimula- teurs medullaires ou thalamiques; insertion d'un materiel dynamique, ayant une energie propre et limitee, pourvoyeur d'un retour possible & des qualites de vie anterieures et cor- recteur de nuisances physiques hautement perceptibles (sensations douloureuses penibles, perturbations du rythme cardiaque). II est bien evident que les pace-makers cardiaques et les stimulateurs & vis~e antalgique ne presentent qu'une parente superficielle: les objectifs que ces appareillages sont census atteindre ont des retentissements bien differents sur la vie des patients qui les regoivent, ne serait-ce que par le fait que pour les porteurs d'une pathologie cardiaque, c'est bien le pronostic vital qui est en jeu (Goble et coll., 1979). Nous souhaitons cependant nous referer de temps & autre aux aspects psychologiques de I'implantation des pace- makers: tout d'abord parce que, m~.me de manir res- treinte, ils ont I'avantage d'avoir dej& fait I'objet de quelques recherches, alors que les publications de cet ordre sont parti- culi~rement inexistantes dans le domaine des stimulations thalamiques; ensuite parce qu'en depit de leur anciennete et 59

Implantation de stimulateurs à visée antalgique et concomitants psychologiques

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DouL et Analg. 3, 59-62, 1990

Implantation de stimulateurs b visde antalgique et concomitants psychologiques

M.C. Defontaine Catteau', S. Blond' et J.L. Christiaens' ' Consultation de Traitement de la Douleur. Service de Neurochirurgie A (Pr J.L. Christiaens), H~pital B, Lille

Regu le 20.2.90, accept# le 11.6.90

I=l~sum~ Pour les patients douloureux qui regoivent un sti- mulateur ~ vis#e antalgique, I'implantation demeure une aventure complexe au plan psychologique: n#cessit# d'ad#quation ~ une proposition originale, effervescence fantasmatique li#e ~ I'accueil d'un mat#riel #tranger actif, appropriation ensuite d'un objet exteme et int#gration corporelle et psychique.

Le suivi psychologique durant les bilans pr#-op#ratoires et I'accompagnement du patient implant# permettent d'#tudier et de pallier les risques de souffrance psychique et d'#chec cons#cutif.

Summary For painful patients receiving an antalgic stimu- lator, implantation is psychologically a complex adventure: need of adequation to an original proposition, fantasmatic excitement about receptionning a foreign and active equipment, then appro- priation of an external object and bodily and psychical integration.

Psychological follow-up during pre-operative evaluation and implanted patient support allow studying and palliating of psychi- cal suffering risks and consecutive failures.

Key words: Pain, implantation, thalamic stimulator, medullary sti- mulator, psychology.

Le recours & I'implantation de materiel & visee antalgique s'envisage essentiellement en cas de douleurs persistantes, par desafferentation sensitive, liees & un dysfonctionnement du syst~me nerveux central ou peripherique, rebelles & de multiples traitements medicamenteux. Mal comprises par les patients et souvent tardivement reconnues comme telles par le corps medical, elles jalonnent un long parcours medical, souvent ponctue d'echecs successifs.

Les procedures d'implantation, si elles ne sont pas exceptionnelles, revetent cependant un caractere particulier, dependant tout d'abord de la frequence du geste au regard de techniques plus courantes, de la necessite de mettre au prealable & I'epreuve des therapeutiques moins Iourdes et moins sophistiquees et dont il faut demontrer I'inadequation.

Les materiels que nous evoquons dans cette analyse se iimitent aux appareillages de stimulation implantes soit au niveau medullaire, soit au niveau cerebral (stimulation thala- mique dans un contexte de douleurs le plus souvent d'ori- gine centrale). Cette restriction de I'objet d'etude est justifiee par la communaute des caracteristiques de fonctionnement et d'action de ces materiels et par leur desolidarisation com- mune & I'egard d'autres types de techniques ayant, elles aussi pourtant, recours & I'implantation dans le corps doulou- reux; c'est le cas des reservoirs & morphine: le site d'acc~s est relie& un catheter place clans ]'espace sous-arachno~- dien [ombaire ou dans la come frontaJe du ventricule lateral; ces techniques ont egalement une vis~e antalgique evi- dente, mais ne sont requises que dans des circonstances existentielles (douleurs neoplasiques & un stade evolue) qui leur conferent par ailleurs un caractere d'exception, tout au moins si I'on se place du point de vue du malade.

Correspondance: Dr M.C. Defontaine Catteau, Consultation de Traitement de la Douleur, Service de Neurochirurgie A (Pr J.L. Christiaens), HSpital B, F-59037 Lille Cedex.

Neanmoins, d'un point de vue psychologique, les reser- voirs ne peuvent 6tre envisages de la m~.me fa~on puisque ce sont des receptacles inertes, sans activite propre et dont la contenance ne peut etre rendue operante que par un geste ,,externe>,, procurateur d'un produit actif. C'est I'injec- tion qui est alors le geste, I'acte efficace; quant au reservoir implante, il demeure, silencieusement et statiquement, un materiel passif.

S'ils n'ont pas de perspective antalgique, d'autres ,,appa- reillages,> medicaux peuvent etre introduits dans le corps et repondre & des caracteristiques d'activit& de presence agis- sante au sein de I'enveloppe corporelle: efficacite destruc- trice du sterilet intra-uterin (dont la perception douloureuse signe frequemment I'expression du rejet) ou encore partici- pation salvatrice du stimulateur cardiaque. Ce dernier pre- sente effectivement des modalites tres proches des stimula- teurs medullaires ou thalamiques; insertion d'un materiel dynamique, ayant une energie propre et limitee, pourvoyeur d'un retour possible & des qualites de vie anterieures et cor- recteur de nuisances physiques hautement perceptibles (sensations douloureuses penibles, perturbations du rythme cardiaque).

II est bien evident que les pace-makers cardiaques et les stimulateurs & vis~e antalgique ne presentent qu'une parente superficielle: les objectifs que ces appareillages sont census atteindre ont des retentissements bien differents sur la vie des patients qui les regoivent, ne serait-ce que par le fait que pour les porteurs d'une pathologie cardiaque, c'est bien le pronostic vital qui est en jeu (Goble et coll., 1979). Nous souhaitons cependant nous referer de temps & autre aux aspects psychologiques de I'implantation des pace- makers: tout d'abord parce que, m~.me de manir res- treinte, ils ont I'avantage d'avoir dej& fait I'objet de quelques recherches, alors que les publications de cet ordre sont parti- culi~rement inexistantes dans le domaine des stimulations thalamiques; ensuite parce qu'en depit de leur anciennete et

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de leur rarefaction, dues & la banalisation de cette therapeuti- que, ils pourront servir de contrepoint aux reflexions issues de notre pratique clinique.

La proposition d'un stimulateur est d'abord virtuelle

des aspects negatifs et repulsifs de telles implantations et des modalites selon lesquelles est apprehende le materiel & implanter: d'une part, I'angoisse de I'intervention elle-m@me, d'autre part, la tentative d'evitement de I'echec possible (autant retarder I'implantation pour preserver I'espoir de sa reussite).

Nous avons pour notre part rencontre recemment 19 patients douloureux chroniques auxquels a ete propose un test de stimulation et que nous avons pu suivre de fagon reguli@re: 8 patients pour une stimulation cordonale poste- rieure dans un contexte de douleurs des membres inferieurs par desafferentation sensitive, 11 patients pour stimulation thalamique en raison de douleurs hemicorporelles d'origine centrale, sequellaires d'un accident vasculaire cerebral.

Uexamen psychologique initial est essentiellement clini- que, axe sur le vecu douloureux et corporel des patients, pri- vilegiant I'expression personnelle & ce sujet & I'aide d'epreu- ves graphiques (dessin du corps propre et de la douleur). Certains aspects de I'examen sont particuli@rement appro- fondis car ils pourront eventuellement servir de facteurs pre- dictifs quant aux possibilites d'un patient & recevoir une implantation: la capacite & distinguer impotence fonction- nelle et douleur, & comprendre le fonctionnement d'un even- tuel appareillage, & supporter la perspective de son implan- tation (reactions emotionnelles, contr61e de I'anxiete), I'absence de conflits conjugaux ou familiaux pour lesquels la decision d'implantation pourrait constituer un objet de focali- sation des dissensions, I'equilibre thymique, I'absence de benefices secondaires qui seraient susceptibles de contre- carrer les apports positifs de la stimulation...

Ce sont des patients qui presentent des douleurs chroni- ques, d'une duree generalement superieure & 18 mois (jusqu'& 4 arts). Leur parcours therapeutique est aussi long et leur a fait essuyer, sinon I'dchec, tout au moins I'extinction progressive des possibilites therapeutiques antalgiques, basees notamment sur les thymoanaleptiques et les anti- epileptiques. Un tel contexte promeut toute nouvelle proposi- tion, en I'occurrence I'implantation d'un stimulateur, au rang de geste de ,<la derni@re chance,,, de ,,dernier espoir,,; c'est une perspective double. En effet, le surinvestissement du projet est de mise, attis@ par I'exasperation douloureuse, ali- mente par la croyance que son peu de frequence et son coot en cautionnent I'efficacite, etaye enfin par la seduction de la technicite. Mais, par ailleurs, I'ambivalence connote cet attrait puissant: la majorite des douloureux souhaitent I'implanta- tion et la sedation de leurs douleurs tout en deployant des comportements ambivalents, & type d'angoisse, de fuite ou de refus @. I'egard des techniques d'implantation. Telle cette patiente, coutumi@re du siege en r~gle du telephone du ser- vice pour s'enquerir des possibilites de son implantation et qui, le jour venu, repousse deliberement ce geste de plu- sieurs mois sous pretexte de ne pas ecourter ses vacances estivales de deux jours... On peut d'ailleurs se demander si I'infarctus myocardique mortel d'un malade, dans la nuit pre- cedant son hospitalisation pour une stimulation thalamique apparemment bien preparee, n'etait pas en relation avec cette ambivalence et ne pouvait constituer une tentative de fuite irremediable. Ces faits prennent d'autant plus de signifi- cation que la litterature consacree aux implantations de sti- mulateurs cardiaques insiste sur I'importance de cette ambi- valence (Adorni et coll., 1983), rapportant m@me des id@es et des desirs de mort lies & des implantations acceptees de fagon ambivalente, jusqu'& une effective tentative de suicide (Greene et coll., 1969). Cette ambivalence pose la question

Uimplantation: la relation ~, un -objet,, externe

Le stimulateur est effectivement un objet prealablement externe, etranger au corps propre et qui semble avoir dans I'apprehension primordiale qu'en traduisent les patients une configuration essentiellement prothetique; l'adaptation & une proth@se est liee & des processus d'integration lents, qui visent au remplacement d'une partie corporelle defectueuse ou manquante par un materiel de suppleance. La maniere dont des patients se sont adaptes & d'autres proth@ses a d'ailleurs pu @tre un predicteur significatif de I'integration d'un pacemaker (Greene et coll., 1969).

I'integration d'un stimulateur, qu'il soit cardiaque ou & visee antalgique, presente de surcro~ des modalites qui la font differer d'une simple acceptation prothetique: en effet, dans le cas des stimulateurs antalgiques, ce sont des objets actifs, possedant une autonomie propre, un rythme propre, traduisant leur energie et leur activite par des manifestations paresthesiques perceptibles, reglables, qui peuvent corres- pondre pour le patient & une vitalite independante et & tout le moins etrang@re.

I'aspect energetique que conf@re I'adjonction de la pile contribue egalement au renforcement d'une perception quasi fantastique du fonctionnement de I'appareil: I'impres- sion d'une dangerosite contr61ee de mani@re tout & fait magi- que est due & la terminologie employee pour designer l'appareillage (<,pile,,, <,ills,,, ,<electrode,,, etc...) tout autant qu'& la proximite redoutee entre ce materiel & connotation @lectrique et des zones corporelles reputees @tre sensibles, fragiles et d'approche tr@s delicate (cerveau, moelle epi- ni@re). La magie de la science cotoie la realite du corps pro- preen une experience dont n'est pas exclue I'etrangete: <<On m'installe un stimulateur pour le dos.>>

Implantation et fantasmes

Le suivi prolonge des patients & qui est proposee I'implantation d'un stimulateur permet de mesurer I'impor- tance et la vivacite des fantasmes que fait nacre une telle pro- cedure therapeutique. Est-ce un defaut ou un exc~s imagi- naire qui engendre ces craintes et ces peurs qui, sans dialo- gue et accompagnement, resteraient & tout coup du registre du non-dit?

Elles concernent prioritairement les aspects techniques de I'appareil et rev~lent une incapacite majeure, dans la plu- part des cas, de ma~riser les informations transmises par le corps medical. Une patiente s'inquiete de savoir ce que pourrait devenir I'aigrette de ills qu'elle pense porter sur la tete apr~s intervention; telle autre envisage, et son angoisse est pathetique et derisoire, que son cerveau accueiUera un appareil de taille identique au materiel de neurostimulation transcutanee. La peur de pencher du cSte de I'implantation du stimulateur & cause de son poids, I'inquietude au sujet de la duree de vie de la batterie (comme pour les pace-makers, Greene et coll., 1969), au sujet de la Iongueur des ills et de leur extensibilite, de leur externalisation ou de leur internalisa- tion, toutes ces questions, bien souvent difficilement emises,

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montrent que les aspects techniques de ce type d'interven- tion nourrissent des craintes tres particulieres; elles peuvent en effet para~re anodines ou saugrenues, alors qu'elles devoilent I'extreme difficulte des patients & assimiler intellec- tuellement le processus therapeutique ainsi qu'& exposer imaginairement leur propre corps et ses avatars & la techni- que chirurgicale (cf. Dlin et coll., 1968).

Le travail d'introjection dans I'image du corps d'un mate- riel actif n'a fait I'objet que de peu de recherches (Greene et coll.; Payk et coll., 1978) et, & notre connaissance, d'un seul travail d'imagerie mentale, uniquement en post-operatoire (Blacher et coll., 1970). Les suivis de patients douloureux que nous avons pu effectuer montrent que, des la proposition de I'implantation, se met en place un travail de representations dont les bases sont le plus souvent fantasmatiques: transfor- mations corporelles, images d'electrification ou de mecani- sation corporelles, de robotisation, peur d'etre une ,,femme bionique>,... Uabsence de prise en compte de ces elabora- tions, qui sont des tentatives de mise en representation, aboutit en raison de leur potentiel anxiogene, & des attitudes de deni de I'appareillage en post-operatoire: ,,Je ne veux plus qu'on en parle, je ne veux pas y penser, si jamais mes enfants m'en parlent, je ne pourrais pas supporter qu'on dise que je suis implant#e, il faut que vous m'aidiez & trouver un mot qu'on puisse tous dire & la maison, que ce soit comme si de rien n'etait...,, Une etude du Massachusetts General Hospital a montre que le deni, defini comme ,,repudiation d'une signification pathologique pour soulager I'anxiete et minimiser les emotions,, etait habituel chez les patients por- teurs de pacemakers (Browne et coll., 1967).

II faut souligner I'importance de cette part fantasmatique dans le vecu pre-operatoire des patients (Baudin, 1989), d'autant que les patients n'osent souvent I'exprimer et qu'elle n'est evoquee avec reticence, qu'& condition qu'on la solli- cite. En revanche, il y a dans le meme temps une demande explicite, reiteree et insistante d'explications, toujours les memes, comme si ces informations ne pouvaient etre assimi- lees. Cette necessite de repetition de la composition du materiel, de son fonctionnement du deroulement de ?implantation correspond sans doute & la necessite pour le patient d'avoir une chance de confronter, dans le scenario qui lui est propose, un element qui pourra conforter ou refuter les elements fantasmatiques. En fait, le contenu de I'informa- tion est sans aucun doute intellectuellement compris des sa premiere relation; s'il y a renouvellement de la demande d'explication, c'est bien que cette derniere est, non pas obs- cure, mais qu'elle ne repond pas & la confrontation recher- chee par le patient.

Implantation et integration corporelle

Le stimulateur est un objet externe, etranger qu'il revient au patient d'assimiler & une image du corps propre (un mate- riel est actif en moi) et & I'image qu'il a de son propre corps (un objet complete mon corps). La resolution d'une union symbiotique entre le Moi et un objet externe exige un travail individuel et du temps (au moins un an chez les porteurs de pacemakers selon Adorni et coll., 1983).

Chez les patients douloureux chroniques, cette assimila- tion passe par une operation tout & fait curieuse puisque ce qui est demande & i'appareillage, ce n'est pas d'etre un ,,plus,> dans le fonctionnement personnel, mais bien de venir mettre & extinction ce phenomene bruyant et intrusif que constitue la douleur. Le materiel est donc cens~ engendrer, au travers du soulagement apporte, un desinvestissement pro-

gressif de I'organe douloureux, une tentative de retour & un etat anterieur d'harmonie corporelle, qui puisse en meme temps integrer un nouveau ,,bruit,, & qui il est demande, paradoxaiement, d'etre neutre. Car les paresthesies occa- sionnees par la stimulation antalgique existent en tant que perception supplementaire; I'un des patients signalait son desarroi, quand on lui demandait le pourcentage de soula- gement de ses douleurs hemicorporelles, & acceder & une distinction nette entre ces fourmillements nouveaux et ceux, douloureux qu'il connaissait depuis plusieurs annees: comme si, dans ce passage subtil entre des sensations simi- laires mais porteuses de significations antagonistes, il y avait necessite d'un apprentissage. Apprentissage de I'abandon et de la cessation de la douleur, apprentissage de I'integra- tion de sensations nouvelles. Ce temps semble etre celui de I'acceptation, puis de I'appropriation du materiel. C'est un moment delicat de la periode post-operatoire or3 les patients demandent & etre rassures sur ce qu'ils per(~oivent d'eux- memes, temps crucial qui pourrait parfois evoluer vers un constat d'echec et un rejet massif du stimulateur.

La confusion douleur/stimulation constitue en fait une premiere etape incertaine vers I'appropriation de I'appareil- lage. Le materiel et ses effets peuvent etre teUement integres qu'une patiente a mis plusieurs jours & realiser la fracture de son electrode de stimulation apres une chute: les sensations douloureuses ne sont reapparues qu'apres ce delai, dans un processus qui vient eclairer a contrario les mecanismes de I'assimilation.

Le materiel peut etre considere comme approprie par le patient douloureux & partir du moment or3 celui-ci en recon- na~, puis en accepte l'efficacite. Uobjet externe est devenu sien et constitue un lieu du corps propre, susceptible de vibrer & I'unisson du corps, comme tout composant corpo- rel: ,,Si on me bouscule, si on me contrarie, il s'emballe. II me coupe & la taille, je suis obligee de I'arreter>,. Uappareil est une partie de la patiente, capable comme elle de reagir de maniere emotionnelle aux evenements exterieurs: il fonc- tionne en fait en miroir du sujet qui en est porteur.

L-'objet internalise est partie integrante du corps du dou- Ioureux chronique quand ce dernier le considere, non seule- ment comme lieu de sol, mais aussi comme lieu relationnel, comme media entre sol et le monde exterieur. Cet aspect de I'integration du stimulateur est particulierement remarquable dans les situations conflictuelles; avec le medecin, avec la famille (,,quand ils m'enervent, je prends mon aimant et j'arrete le stimulateur, pour les faire r&ler,,).

Les caracteristiques ,,magiques,, du materiel implante font egalement I'objet d'un travail d'appropriation et de tra- vestissement ludiques, telle cette patiente tres amusee de decouvrir les possibilites de magnetisation des televiseurs avec son aimant et qui se delectait de I'ebahissement des depanneurs radio, sans doute inquiets de ses <,capacites,,. Le chantage, les pressions sur I'entourage & I'aide du mate- riel peuvent aussi se retourner contre sol, impliques alors & des situations de depression ou encore des attitudes d'auto- punition.

Conclusions

Le suivi de patients dont les douleurs chroniques justifient la mise en place de stimulateurs ou medullaires ou thalami- ques permet de comprendre comment une information prealable, pourtant correctement menee, risquerait d'etre vouee & l'echec, en raison essentiellement d'attitudes ambi- valentes des malades.

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Uexamen psychologique initial, avant toute proposition concr6te, permet d'apprecier les risques inherents & la fragi- lite du patient; cet examen est regulierement d'une bonne valeur predictive quant aux possibilites du patient de coope- rer et d'integrer une telle demarche therapeutique. Si besoin est, une decision commune peut ~tre prise de differer I'inter- vention: ce delai est necessaire & une preparation psycholo- �9 gique ou & une restauration thymique eventuelle qui optimali- seront le confort et la participation du patient.

Comme darts toute implantation d'un materiel etranger, il y a necessite d'un accompagnement du patient, en pre- et post-operatoire, d'une prise en charge qui puisse 6tre glo- bale (J. Roy. Coll. Phys., 1975). Ce sont des temps qui corres- pondent & un travail d'elaboration de la part des douloureux: constructions imaginaires, mise en representation, travail d'appropriation...

Le respect de ces procedures n'engage pas le succes systematique du resultat de I'implantation, la cohabitation patient/materiel etant susceptible d'une grande variabilite. La cooperation du patient est neanmoins indispensable, & tel point que dans I'implantation de materiel de ce type, I'absence de participation du malade a pu etre reconnue comme synonyme d'echec (Witt, 1976).

Uecoute des craintes fantasmatiques, des fantaisies ima- ginaires, du discours des patients sur la mani~re dont ils s'approprient, plus ou moins bien, le stimulateur, est rev(.~la - trice de la transposition qui s'opere du sujet douloureux qui parle & I'objet implante et & la douleur donti l parle. Uimplan- tation, le stimulateur et les douleurs residuelles sont evoques comme <<representants,>, substitues peut-~tre & ce que le patient douloureux a & dire de lui-meme: c'est en cela egale- ment que I'expression de ce qui resterait, sans accompagne-

ment specifique, sans doute de I'ordre du non-dit, donne acces au travail que le douloureux effectue & I'egard de son corps souffrant et de sa douleur.

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