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19 ème Congrès Français de Mécanique Marseille, 24-28 août 2009 1 Influence de la liaison acier-béton sur la fissuration des structures en béton armé L. DAVENNE a , A. BOULKERTOUS a , A. IBRAHIMBEGOVIC a , D. BRANCHERIE b a. LMT-Cachan – ENS Cachan/CNRS/Université Paris 6/ PRES UniverSud Paris, 61 avenue du Président Wilson, 94235 Cachan Cedex b. Université de Technologie de Compiègne, Laboratoire Roberval BP 20529, 60205 Compiègne Cedex Résumé : On présente un élément fini « béton armé » intégré modélisant l’ouverture des fissures dans le béton et prenant en compte la non linéarité du comportement de la liaison acier béton. La modélisation du comportement de la liaison acier-béton est indispensable pour prédire correctement l’espacement et l’ouverture des fissures dans les structures en béton armé sous chargements sévères, grandeurs primordiales lorsqu’on veut évaluer la perméabilité au gaz par exemple. Abstract : In this paper we present an integrated reinforced concrete finite element modeling the crack opening in the concrete and thenon linear bond slip behavior. One show that the modelling of the bond slip behavior is essential to correctly predict the crack spacing and opening in reinforced concrete structures under severe conditions, which is of first intersest when one wants to evaluate the permeability to gas for example. Mots clefs : béton armé, fissuration, liaison acier-béton 1 Introduction Lorsque l’on étudie le comportement de structures en béton armé jusqu’à la rupture, la liaison acier-béton joue un rôle important. Elle est un facteur primordial dans la détermination de l’espacement de fissures, et par conséquence dans la détermination de l’ouverture de fissure, grandeur essentielle lorsqu’on s’intéresse aux propriétés de fuite par exemple. Pour des chargements dynamiques, l’énergie dissipée dans les frottements de glissements joue un rôle dans la détermination de l’amortissement, ce qui est important pour les calculs sous chargements sismiques. Dans les simulations numériques, le glissement acier-béton est souvent représenté par des éléments d’interface d’épaisseur nulle, habituellement écrits avec des relations forces déplacements.(voir [1] par exemple). L’inconvénient dans ce genre d’approche est que l’on doit exprimer la raideur de l’interface à l’aide de paramètres de pénalisation dont la signification physique est difficile à justifier. De plus, les résultats sont réputés sensibles à ces paramètres. Dans d’autres travaux, une relation contrainte déformation a été développée pour modéliser le comportement de l’interface [2] et implantée dans un élément fini quadrilatère dégénéré [3]. Toutefois, ces travaux utilisaient des modèles basés sur la mécanique des milieux continus endommageables, permettant de « localiser » les fissures à partir de l’état d’endommagement mais ne permettant pas de calculer directement l’ouverture de fissure. D’autre part, la réalisation de maillages où il faut modéliser le béton, les armatures et les éléments d’interface d’épaisseur nulle avec des nœuds confondus géométriquement mais distincts pour le calcul, est une tâche lourde à réaliser. En partant des travaux précédents, nous avons développé un élément fini « encapsulé », triangle à trois nœuds, comportant des degrés de liberté pour le béton et d’autres pour l’acier de renforcement, permettant de modéliser le comportement du béton, de l’acier et de la liaison acier béton. La modélisation du béton est basée sur la technique des fortes discontinuités [4], permettant d’avoir accès à la grandeur ouverture de fissure lorsque celle-ci apparaît lors de la localisation des déformations. Le comportement de la liaison est traité par un modèle de Drücker-Prager avec prise en compte de l’effet favorable du confinement sur le

Influence de la liaison acier-béton sur la fissuration ...documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/36982/1046.pdf · l’ouverture des fissures dans les structures en béton

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19ème Congrès Français de Mécanique Marseille, 24-28 août 2009

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Influence de la liaison acier-béton sur la fissuration desstructures en béton armé

L. DAVENNEa, A. BOULKERTOUSa, A. IBRAHIMBEGOVICa, D. BRANCHERIEb

a. LMT-Cachan – ENS Cachan/CNRS/Université Paris 6/ PRES UniverSud Paris, 61 avenue du PrésidentWilson, 94235 Cachan Cedex

b. Université de Technologie de Compiègne, Laboratoire Roberval BP 20529, 60205 Compiègne Cedex

Résumé :On présente un élément fini « béton armé » intégré modélisant l’ouverture des fissures dans le béton etprenant en compte la non linéarité du comportement de la liaison acier béton. La modélisation ducomportement de la liaison acier-béton est indispensable pour prédire correctement l’espacement etl’ouverture des fissures dans les structures en béton armé sous chargements sévères, grandeurs primordialeslorsqu’on veut évaluer la perméabilité au gaz par exemple.

Abstract :In this paper we present an integrated reinforced concrete finite element modeling the crack opening in theconcrete and thenon linear bond slip behavior. One show that the modelling of the bond slip behavior isessential to correctly predict the crack spacing and opening in reinforced concrete structures under severeconditions, which is of first intersest when one wants to evaluate the permeability to gas for example.

Mots clefs : béton armé, fissuration, liaison acier-béton

1 IntroductionLorsque l’on étudie le comportement de structures en béton armé jusqu’à la rupture, la liaison acier-bétonjoue un rôle important. Elle est un facteur primordial dans la détermination de l’espacement de fissures, etpar conséquence dans la détermination de l’ouverture de fissure, grandeur essentielle lorsqu’on s’intéresseaux propriétés de fuite par exemple. Pour des chargements dynamiques, l’énergie dissipée dans lesfrottements de glissements joue un rôle dans la détermination de l’amortissement, ce qui est important pourles calculs sous chargements sismiques.Dans les simulations numériques, le glissement acier-béton est souvent représenté par des élémentsd’interface d’épaisseur nulle, habituellement écrits avec des relations forces déplacements.(voir [1] parexemple). L’inconvénient dans ce genre d’approche est que l’on doit exprimer la raideur de l’interface àl’aide de paramètres de pénalisation dont la signification physique est difficile à justifier. De plus, lesrésultats sont réputés sensibles à ces paramètres. Dans d’autres travaux, une relation contrainte déformation aété développée pour modéliser le comportement de l’interface [2] et implantée dans un élément finiquadrilatère dégénéré [3]. Toutefois, ces travaux utilisaient des modèles basés sur la mécanique des milieuxcontinus endommageables, permettant de « localiser » les fissures à partir de l’état d’endommagement maisne permettant pas de calculer directement l’ouverture de fissure. D’autre part, la réalisation de maillages où ilfaut modéliser le béton, les armatures et les éléments d’interface d’épaisseur nulle avec des nœuds confondusgéométriquement mais distincts pour le calcul, est une tâche lourde à réaliser.En partant des travaux précédents, nous avons développé un élément fini « encapsulé », triangle à troisnœuds, comportant des degrés de liberté pour le béton et d’autres pour l’acier de renforcement, permettant demodéliser le comportement du béton, de l’acier et de la liaison acier béton. La modélisation du béton estbasée sur la technique des fortes discontinuités [4], permettant d’avoir accès à la grandeur ouverture defissure lorsque celle-ci apparaît lors de la localisation des déformations. Le comportement de la liaison esttraité par un modèle de Drücker-Prager avec prise en compte de l’effet favorable du confinement sur le

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frottement entre l’acier et le béton.

2 Modélisation des comportements élémentairesLes modèles utilisés ici sont écrits dans le formalisme de la théorie de la plasticité pour des raison de robustessedes calcul dans la simulation de la réponse des structures.

2.1 BétonLorsque le béton est sollicité en traction, on peut décomposer son comportement en trois domaines(figure 1) :

- une partie élastique,- puis une zone d’apparition de microfissures orientées aléatoirement (fracture process zone), pendant

laquelle il y a écrouissage positif- une dernière zone d’écrouissage négatif jusqu’à rupture, correspondant à la localisation dans une

macro fissure.

FIG. 1 – Réponse du béton. a) Courbe effort déplacement b) ouverture de fissure

Le modèle utilisé est issu des travaux présentés dans [4]. Pour la partie microfissuration, nous utilisons unmodèle d’endommagement à écrouissage linéaire, avec une surface seuil décrite par :

Φ c(σ,q ) = σDeσ −1E(σ f − q ) ≤ 0 (1)

Pour la partie localisation des déformations, nous utilisons la technique des modes incompatibles pourenrichir les fonctions d’interpolation (figure 2) et introduire un saut de déplacement au niveau de la fissure :

u(x, t) = u (x, t) + u HΓs (2)

FIG. 2 – Enrichissement local des fonctions d’interpolation

La fissure peut s’ouvrir en mode I selon la surface seuil :

Φ c(σ,q ) = tΓs.n − (σ f − q ) ≤ 0 (3)

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t est la force de traction entre les lèvres de la fissure. La décohésion peut être aggravée par une solicitation enmode II :

Φ c(σ,q ) = tΓs.m − (σ s −σ sσ f

q ) ≤ 0 (4)

La variable d’écrouissage a une évolution linéaire, la pente est déduite de l’énergie de fissuration du matériau(paramètre physique mesurable).

L’orientation de la fissure est déterminée par les contraintes principales au début de la localisation (contrainteprincipale positive maximale). L’ouverture de fissure (saut de déplacement) est calculée au niveau local del’élément par quelques itérations permettant de trouver l’équilibre entre les forces de traction au niveau de lafissure et les forces dues au contraintes dans le volume de l’élément. Le degré de liberté supplémentaire(ouverture de fissure) est interne à l’élément fini et son effet sur les degrés de liberté globaux du problème (lesddl classiques) est traité par condensation statique. Cette différence fondamentale par rapport aux techniques detype Xfem permet une programmation non intrusive dans n’importe quel code élément fini.

2.2 Liaison acier bétonLa partie cinématique de la liaison est basée sur les travaux présentés dans [3]. En 2D, l’interface est représentéepar un élément fini quadrilatère à quatre nœuds dégénéré : sa dimension transversale (épaisseur selon n, figure 3)est nulle. Afin de pouvoir calculer les dérivées pour permettre le calcul des contraintes, on utilise un paramètre depénalisation directement introduit dans le calcul du jacobien. Ce paramètre représente l’épaisseur de la liaison, ilest fonction de la géométrie locale des barres d’acier de renforcement (notamment si elles sont crénelées ou pas).Dans le calcul des déformations du joint, on impose une valeur nulle à la déformation

εtt (voir t sur figure 3) etpar conséquent à la contrainte correspondante. Ainsi seule la déformation de cisaillement

γ nt (cohésion etfrottement de la liaison) et la déformation

εnn (confinement ou décohésion) jouent un rôle.

FIG. 3 – Elément fini de liaison acier-béton [3]

Nous utilisons un modèle de Drücker-Prager pour modéliser le comportement de l’interface. La surface seuils’écrit :

Φ(σ ) = τ − c +αTr(σ )3

≤ 0 (5)

avec

τ =12σ ':σ '

σ '=σ −Tr(σ )I (6)

La plasticité parfaite, sans écrouissage, permet de simuler le frottement, avec une contrainte dépendant duconfinement.

3 Elément fini de béton arméAfin de permettre un maillage plus aisé des structures, nous avons développé un élément fini de béton armé. Lestrois ingrédients nécessaires sont encapsulés dans un seul élément fini : béton, acier et liaison acier béton. Nousprésentons ici la version bidimensionnelle où le volume de béton est représenté par un triangle linéaire à troisnœuds (figure 4a). Chaque nœud possède quatre degrés de liberté : les deux premiers concernent lesdéplacements du béton (

u et

v ) et les deux suivants sont les glissements de l’acier par rapport au béton (

α et

β ). Le déplacement absolu de l’acier peut être déduit par simple somme des déplacements du béton et des

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glissements.

1 2

3

1 2

3

u1, v1

α1, β1

u2, v2

α2, β2

u3, v 3

béton

interfaceacier

u2

u2 +α2

a) b)

FIG. 4 – Elément fini de béton armé encapsulé. a) Elément avec ses ddl. b) Ingrédients séparés

Le calcul de la matrice de rigidité (respectivement des efforts internes) de l’élément encapsulé se fait parassemblage de matrices élémentaires (respectivement des efforts élémentaires) de chaque « sous-élément ». Onconsidère un élément de béton sur le bord duquel s’appuie un élément barre d’acier (figure 4b).

La contribution du béton concerne les trois nœuds, mais uniquement les deux premiers degrés de liberté (

u et

v ). C’est un élément triangulaire avec comportement du béton présenté dans le paragraphe 2.1. Les intégrationsnumériques se font sur un seul point de Gauss La contribution de l’interface concerne les deux nœuds du bordoù il y a l’acier, et utilise uniquement les deniers degrés de liberté (

α et

β ). Les intégrations numériques de cettepartie se font sur deux point de Gauss, en effet l’artifice numérique dû à l’épaisseur nulle (paragraphe 2.2)conduit à diviser les fonctions d’interpolation linéaires par le paramètre de pénalisation et non pas les dériver.Enfin, la contribution de l’acier concerne les deux mêmes noeuds que l’interface, mais utilise tous les degrés deliberté. Les couplages au niveau de la matrice se font par l’intermédiaire des intégrations sur la partie acier (unseul point de Gauss).

Le choix de degrés de liberté relatifs au niveau de l’interface (glissement plutôt que déplacement de l’acier) a étéfait pour pouvoir utiliser un algorithme de résolution partitionnée. On résout séquentiellement les équations en(

u et

v ) puis les équations en (

α et

β ). On traite ainsi séparément les difficultés liées aux fortes non linéarités :le béton d’un côté et la liaison d’un autre. L’acier, qui fait le couplage des équations, n’atteint sa non linéarité quevers le stade ultime de chargement.

4 Exemples d’application

4.1 TiranOn présente ici une comparaison des résultats de calcul aux essais menés par Mivelaz [5]. Il s’agit de tirantsen béton armé de 5 m de long et de section 1m x 0,42m (figure 5). La zone utile de mesure a une longueur de3m. Différents bétons et taux de renforcement ont été étudiés dans [5]. On présente ici les simulations pourles configurations R1, R3 et E3 couvrant deux types de renforcement et deux types de béton (figure 5 ettableau 1).

FIG. 5 – Géométrie des tirants testés dans [5]

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IBAP EDF

Résistance en traction (MPa) 3,15 3,88

Energie de fissuration (J/m2) 202 193

Module d’élasticité (GPa) 33,4 45,7

TAB. 1 – Propriétés des bétons [5]

Sur la figure 6, on constate que l’on retrouve qualitativement et quantitativement l’effet des apparition defissures sur la réponse globale des tirants. Au niveau local, l’espacement et l’ouverture de fissure sontégalement assez bien représentés par la simulation. L’ouverture est plus brusque numériquement que dans lesessais, et on constate un léger effet de refermeture lorsqu’une fissure voisine s’ouvre. Numériquement, on aégalement accès à la répartition des contraintes de cisaillement le long des armatures (transfert de forcesentre l’acier et le béton). On voit sur la figure 7 que ces contraintes de cisaillement ne s’activent qu’aumoment de l’apparition de fissures dans le béton. En effet c’est à ce moment que la liaison s’active pourtransmettre la perte de force du béton vers l’acier.

FIG. 6 – Comparaison des résultats pour E3 (gauche) et R3 (droite). Haut : expérimental, bas : calcul

FIG. 7 – Contraintes de cisaillement le long des armatures

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Lorsqu’une fissure apparaît dans le béton, la contrainte de cisaillement dans l’élément d’interface estnégative d’un côté (glissement du béton vers la gauche) et positive de l’autre (glissement du béton vers ladroite). On voit ici l’intérêt d’avoir un interpolation linéaire des contrainte dans l’interface avec intégrationsur deux points de Gauss.

4.2 Flexion quatre pointsLe second exemple présenté ici est une poutre en flexion quatre points. On constate sur la figure 8 que lasimulation prédit un état de fissuration avec des espacements et ouvertures de fissures réaliste. On constateune nouvelle fois l’interaction intime entre la fissuration du béton et le glissement entre l’acier et le béton :au droit et proche de chaque fissure, le glissement est important.

FIG. 8 – Ouverture de fissure et glissement acier-béton pour un essai de flexion 4 points

5 ConclusionOn a présenté dans ce papier un élément fini de béton armé encapsulé permettant de mener des simulationssur des structures en prenant en compte la fissuration du béton (avec ouverture de fissure) et le glissementnon linéaire entre l’acier et le béton. Les résultats des calculs montrent un interaction intime entre lafissuration et le glissement, le second n’existant pas sans la première et le faciès de la première dépendantfortement du second. La comparaison à des valeurs mesurées expérimentalement montre l’intérêt de lamodélisation proposée.

Références[1] B.N. Maker, T.A. Laursen, A finite element formulation for rod/continuum interactions: the one-dimensional slideline, Int. J. Numer. Methods Engrg, 37, 1–18, 1994.[2] N. Dominguez, F. Ragueneau, A. Ibrahimbegovic, Thermodynamic-based interface model for cohesivebrittle materials: application to bond slip in RC structures, Comput. Methods Appl. Mech. Engrg, 2005[3] N. Dominguez, D. Brancherie, L. Davenne, A. Ibrahimbegovic, Prediction of crack pattern distribution inReinforced Concrete by coupling a strong discontinuity model of concrete cracking and a bond-slip ofreinforcement model, Engineering Computations, 41, 558–582, 2005.[4] D. Brancherie, A. Ibrahimbegovic, Novel anisotropic continuum-discrete damage model capable ofrepresenting localized failure. Part I : theoretical formulation and numerical implementation. Int. Jal ofEngineering Computations, 2008[5] P. Mivelaz, Etanchéité des structures en béton armé. Fuites au travers d’un élément fissure Thèse del’EPFL n° 1539, 1996