INRA Magazine n°17 - juin 2011

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Le dossier du mois fait le point des recherches de l’Inra sur la forêt face au changement climatique. Également à la une de ce nouveau numéro : la sécheresse, problème récurrent sur lequel les chercheurs de l’Inra se mobilisent depuis longtemps. Parmi les autres sujets : un article sur une alliance de recherche entre 33 États pour réduire les gaz à effet de serre ; l’inscription au catalogue officiel français de quatre nouvelles variétés de blé tendre pour réduire les intrants ; la découverte d’une nouvelle toxine maligne d’E. coli baptisée Colibactine ; un reportage au cœur d’un élevage laitier durable.À lire également, une interview de Erik Mathijs et Wolfgang Ritter, respectivement coordinateur et rapporteur de la troisième prospective du groupe Scar, "Production et consommation alimentaire durables dans un monde aux ressources limitées", qui nous présentent leurs réflexions sur la rareté des ressources dans le monde.

Citation preview

INRAN17 - JUIN 2011

Alimentation Agriculture Environnement

magazine

DOSSIER

La fort franaise face au

changement climatique RECHERCHES Varits de bl tendre pour rduire les intrants REPORTAGE Biodiversit des microbes utiles HORIZONS Encore une anne sche

sommaire03 HORIZONSEncore une anne sche duALIne, rflexion pour une alimentation durable De nouveaux Carrefours de linnovation agronomique pour lalimentation Alliance de recherche pour rduire les gaz effet de serre : les Etats signent

Chers lecteurs,ette anne encore, la France manque deau. Le dficit pluviomtrique, qui sest manifest ds le mois de janvier, a des consquences spectaculaires sur les cultures qui se dveloppent au printemps, bl, orge, colza et plantes fourragres. Moins visibles et moins mdiatiss sont les impacts de la scheresse sur la fort. Un arbre souffre en silence et les effets de la scheresse de 2003 commencent peine apparatre, avec des dprissements et des mortalits anormales. Le dossier de ce numro fait le point des recherches de lInra sur la fort face au changement climatique et montre que la scheresse, du fait de sa rptition danne en anne, pourrait devenir lennemi n1 des forts tempres. Do limportance des programmes conduits depuis plusieurs annes lInra pour trouver et implanter des essences plus rsistantes au manque deau. Aprs le boire, le manger Lautre grande thmatique aborde dans ce numro est lalimentation, avec deux initiatives de lInra : dune part, un atelier de rflexion autour de lalimentation mondiale, conduit avec le Cirad, et, dautre part, lextension au domaine alimentaire des Carrefours de linnovation agronomique, lieux dchanges privilgis entre chercheurs et partenaires professionnels. Vritables bouillons de culture , ces Carrefours se sont dj rvls fconds dans le secteur agricole. Et pour clore ce numro, le regard crois de deux membres du groupe de conseil permanent sur la recherche agricole rattach la Commission europenne. Erik Mathijs et Wolfang Ritter soulignent tous deux limportance de la gouvernance des systmes alimentaires et la ncessit dorganiser une recherche publique forte, transnationale et transdisciplinaire pour promouvoir une transition vers la durabilit et la scurit en matire dalimentation.

C

06 RECHERCHES& INNOVATIONSQuatre nouvelles varits de bl tendre pour rduire les intrants Fond de terroir Colibactine, toxine maligne dE. coli Du neuf ds luf

13 DOSSIERLa fort franaise face au changement climatique

25 REPORTAGELa biodiversit des microbes utiles Nouvelle dynamique pour un levage laitier durable La sant des animaux dans les units exprimentales

32 IMPRESSIONS 34 REGARDAnticiper les limites de la plante

La rdactionINSTITUT NATIONAL DE LA RECHERCHE AGRONOMIQUE 147 rue de l'Universit 75338 Paris Cedex 07

www.inra.frDirectrice de la publication : Marion Guillou. Directeur ditorial : Jean-Franois Launay. Directeur de la rdaction : Antoine Besse. Rdactrice en chef : Pascale Mollier. Rdaction : Odile Bernard, Laurent Cario, Brigitte Cauvin, Graud Chabriat, Eric Lecluyse, Magali Sarazin. Photothque : Jean-Marie Bossennec, Julien Lanson, Christophe Matre. Couverture : Photo : William Beaucardet. Maquette : Patricia Perrot. Conception initiale : Citizen Press - www.citizen-press.fr. Impression : Imprimerie CARACTERE. Imprim sur du papier issu de forts gres durablement. Dpt lgal : juin 2011.

Renseignements et abonnement : [email protected] I NRA MAGAZINE N17 JUIN 2011

ISSN : 1958-3923

Inra / Christian Huyghe

Encore une anne scheLa scheresse est un problme rcurrent sur lequel les chercheurs de lInra se mobilisent depuis longtemps. Des travaux au long cours sont mens pour anticiper les changements en profondeur des systmes agricoles qui seront ncessaires si la frquence des pisodes extrmes saccentue.

L

a scheresse en France, nous connaissons dj 1976, 1989, 1996, 2004, 2005, sont dautres annes de scheresse exceptionnelle, o, comme aujourdhui, leau a manqu de faon continue de lhiver lt. En ajoutant les annes de scheresse estivale, on comptabilise treize pisodes de scheresse en trente ans, entre 1976 et 2005, soit deux fois plus que sur la priode 1905-1965 (douze pisodes en soixante ans). Mme si la tendance du rgime des pluies est plus difficile prvoir que celle, la hausse, des tempratures, mieux vaut anticiper. Depuis 2003, lInra a mis en place un systme de veille et de diagnostic pour faire le point sur la situation climatique et ses impacts sur les principales cultures. Pour 2011, cet outil montre que les rendements de crales paille (bl tendre, avoine, orge...) pourraient baisser de 10 30%. De la mme faon, on observe un fort dficit de production des prairies pour la priode printemps - t, ce qui se traduira par un manque de fourrage pour llevage.

Face cette situation, les chercheurs prconisent des leviers daction immdiate : par exemple, semer du ray-grass dItalie et du millet perl combins des trfles incarnat ou dAlexandrie sur les terres libres prcocement par les moissons des crales qui se feront avec deux trois semaines davance. Ou encore utiliser la paille pour nourrir les animaux, aprs un traitement technologique pour amliorer sa valeur nergtique et sa valeur protique. Mais cette marge de manuvre est trs troite et, si la frquence des scheresses venait augmenter durablement, ce seraient les systmes agricoles quil faudrait modifier. Pour llevage, cela peut signifier : diminuer le chargement (exprim en UGB, Unit Gros Bovins, par ha de surface fourragre), faire des stocks de fourrage en exploitant la croissance pendant les priodes humides de lhiver, du printemps et de lautomne, utiliser des varits plus adaptes, plus prcoces. En Midi-Pyrnes, sur lexemple du mas, les chercheurs ont montr que les leviers court terme,

comme la modification des para mtres de lirrigation, taient insuffisants pour limiter significativement la perte conomique si la frquence des annes sches augmente fortement. Et quil tait ncessaire dy ajouter une diversification des rotations, avec lintroduction de cultures telles que le bl dur combin au sorgho. A ct du volet agronomique, lautre stratgie long terme dveloppe par lInra passe par lamlioration gntique, en recherchant par exemple des varits de mas ou de bl plus prcoces ou cycle plus court, dont lessentiel de la croissance se ferait avant lt, mais aussi avec des enracinements plus profonds et des rgulations stomatiques plus fortes. Pascale Mollier

+dinfosOweb :

www.inra.fr/la_science_et_vous/ secheresse_et_agriculture

I NRA MAGAZINE N17 JUIN 2011

HORIZONS3

HORIZONS

Inra / Christophe Matre

duALIne,rflexion pour une alimentation durableLatelier duALIne, conduit par lInra et le Cirad, a runi pendant 18 mois des acteurs publics et privs et des chercheurs autour de la durabilit de la chane de lalimentation. Un colloque de mise en dbat des rsultats de cet atelier sest tenu Paris le 29 mars 2011.

uelles recherches pour une alimentation plus durable ? Comment conserver le bien-tre alimentaire pour les uns, ou latteindre pour dautres ? Tel tait le thme des sept groupes de travail qui ont runi 120 experts dans le cadre de latelier de rflexion collective duALIne, soutenu par lInra et le Cirad. Il sagissait de complter la prospective Agrimonde par un versant thmatique plus orient sur lalimentation, en prenant mieux en compte lenvironnement et les contextes socio-conomiques. A travers cet exercice a soulign Marion Guillou dans sa conclusion, nous poursuivons la mise en cohrence et le partage des milliers de petits lments de rponse que nos instituts gnrent et publient dans la littrature4 I NRA MAGAZINE N17 JUIN 2011

Q

scientifique. La recherche finalise doit remplir ce rle vis--vis de la socit au-del de la production des connaissances de base. Elle dploie pour cela des outils comme lexpertise collective, telle que celle ralise sur les comportements alimentaires . La diversit de provenance des contributeurs a permis de rflchir lorganisation des filires, la valorisation des dchets et des aliments non utiliss, les gaspillages daliments sur lensemble de la chane, le rgime alimentaire des pays industrialiss non transposable la plante, linflchissement des tendances de la consommation, les logistiques de production-transports-conservation, la localisation des productions dans un contexte durbanisation croissante, la place des pays des Suds , lva-

luation critique des impacts Un travail supplmentaire sur les marchs internationaux a t amorc au premier trimestre 2011. La restitution du 29 mars 2011 a mnag un espace chaque chapitre, pour la raction dacteurs de terrain qui avaient pu prendre connaissance, en amont, des ides mergeant des groupes de travail. Un document reprenant les rflexions, dbats et conclusions sera publi fin juin 2011. Brigitte Cauvin

+dinfosOweb :

www.inra.fr/l_institut/prospective/ dualine

De nouveaux Carrefours de linnovation pour

lalimentationlalimentation et lenvironnement, par exemple, celui sur la qualit des fruits et lgumes ou celui sur l innovation en agriculture biologique . Le comit international qui a valu lInra en 2009 a bien peru cette volution et a encourag le renforcement du partenariat dans les secteurs de lalimentation et de lenviron nement, paralllement celui qui est luvre de longue date en agriculture. Le premier CIAG Environ nement est prvu lautomne 2011. Que peut-on attendre des CIAG ? C.H. : Des ides nouvelles, qui mergent la confluence des besoins des acteurs et des connaissances, mthodes et outils apports par la recherche. Linnovation rsulte de la rencontre entre, dune part la connaissance et linvention potentielle quelle porte, et dautre part les acteurs qui pourront la valoriser. Pour faciliter cette rencontre, les Carrefours veulent donner voir et changer, avec des interventions courtes pour laisser le temps de la discussion autour des orientations de la recherche. Pour les CIAG Alimentation , nous avons choisi de les organiser sur les sites o se trouvent des ples de comptitivit, lieux privilgis dinteractions entre la recherche et lentreprise : le ple Vitagora got-nutrition-sant de Dijon et le ple Valorial de Rennes, qui organise des projets de recherche et dveloppement autour de l aliment de demain . Propos recueillis par Pascale Mollier(1) Liste des CIAG Agriculture : Tournesol et agriculture durable, juin 2011 Lgumineuses et agriculture durable, dcembre 2010 Qualit des fruits et lgumes, octobre 2010 Grande culture conome en pesticides, mai 2010 Varits et modes de cultures, novembre 2009 Forts et temptes, juin 2009 Agriculture pri-urbaine, mai 2009 Matrise de la flore adventice, dcembre 2008 Innovation en agriculture biologique, mai 2008 Protection intgre arboriculture-viticulture, novembre 2007

O 3 QUESTIONS

Inra / Christophe Matre

Christian HuygheDIRECTEUR SCIENTIFIQUE ADJOINT DU SECTEUR AGRICULTURE , COORDONNATEUR DES CARREFOURS.

Quest-ce que les CIAG ? Christian Huyghe : Les Carrefours de linnovation agronomique, comme leur nom le suggre, sont des lieux de diffusion et de mise en discussion des rsultats de lInra en tant que sources dinnovation. Ils prennent la forme de colloques au cours desquels les chercheurs de lInra font connatre leurs rsultats un large public : ingnieurs du dvelop pement agricole, agriculteurs, enseignants, industriels, associations, pouvoirs publics... Les interventions, ainsi que leur retranscription en documents de synthse, sont accessibles en ligne. Les premiers CIAG ont port sur des thmatiques agricoles (1), mais depuis 2010, lInra a choisi de les tendre au secteur de lali mentation. Le premier CIAG Alimentation a eu lieu Dijon en novembre 2010, sur le thme des lipides : enjeux sensoriels et nutri-

tionnels. Le deuxime sest tenu Rennes en avril 2011 sur les protines laitires. Pourquoi des CIAG Alimentation ? C.H. : On cultive la terre essentiel lement pour produire des aliments. Les techniques agricoles sont choisies en fonction du produit final que lon veut obtenir, et entre les deux, il y a toutes les tapes de transformation. On ne peut pas dissocier les maillons de la chane, il y a un continuum. A lInra, nous travaillons de manire de plus en plus intgre la fois sur lagriculture et sur lalimentation, auxquelles sajoute naturel lement lenvironnement. LInra repose sur le tripode agriculturealimentation-environnement . Dailleurs, il suffit de regarder les intituls des CIAG Agriculture pour voir apparatre les liens avec

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HORIZONSVISITE DES PARTICIPANTS DE LA GRA (Global Alliance Research) lInra de Clermont-Ferrand.

Alliance de recherche pour

rduire les gaz effet de serre : les Etats signent

Inra / Florent Giffard

a Global research alliance (GRA) prend corps, avec la signature de sa charte le 24 juin Rome. Depuis janvier 2011, trois nouveaux pays (lAfrique du Sud, la Thalande et lItalie) ont adhr ce consortium international qui rassemble actuellement 33 pays (1). La GRA a pour but de renforcer la coopration scientifique internationale en vue damliorer la productivit agricole, tout en rduisant les missions de gaz effet de serre (GES) dorigine agricole. Par leur signature, les reprsentants des 33 pays impliqus approuveront les grands axes dfinis en commun lissue de deux confrences plnires. La deuxime confrence plnire a t organise par la France Versailles (voir encadr) en fvrier 2011. Elle a permis des changes constructifs entre les scientifiques et les reprsentants

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des Etats sur la gouvernance et les programmes. Outre la dfinition consensuelle des grandes orientations de recherche, les participants ont identifi des avances qui marqueront la russite de lAlliance face ses objectifs, savoir : des mthodes de mesures et de modlisation des missions de GES et de la squestration de carbone dans le sol, des connaissances permettant de dvelopper des innovations pour limiter lmission des GES, un partenariat renforc entre la recherche publique, les agriculteurs, le secteur priv, les fondations, les ONG... Les scientifiques, organiss en groupe de travail, avaient t pralablement accueillis pour mener leurs rflexions dans trois centres Inra : Versailles pour les groupes thmatiques riz et grandes cultures , ClermontFerrand pour le groupe levage et Orlans pour le groupe transversal

cycles du carbone et de lazote . Ce dernier groupe est anim par JeanFranois Soussana, directeur scientifique Environnement lInra. Les chercheurs de lInra constituent lessentiel de la reprsentation scientifique franaise de lAlliance, aux cts de ceux du Cirad qui sont particulirement impliqus dans le groupe riz . La charte signe en juin officialise aussi le fonctionnement de la GRA, avec un Conseil qui prside lensemble des activits de lAlliance, les groupes de recherche thmatiques et transversaux dj luvre, et un secrtariat administratif, assur actuellement par la Nouvelle-Zlande. La charte prvoit enfin un volet communication pour assurer les multiples changes au sein de lAlliance (entre groupes de recherche et Conseil) ainsi que la diffusion vers lextrieur (partenaires, dcideurs, organisations de producteurs, ONG...). Pascale Mollier(1) Liste des pays : Afrique du Sud, Allemagne, Argentine, Australie, Canada, Chili, Colombie, Danemark, Espagne, Etats-Unis, Finlande, France, Ghana, GrandeBretagne, Inde, Indonsie, Irlande, Italie, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zlande, Norvge, Pakistan, Pays-Bas, Prou, Philippines, Russie, Sude, Suisse, Thalande, Uruguay, Vietnam.

Historique de la GRA Initiative lance le 16 dcembre 2009 Copenhague, lors de la 15e confrence des parties de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Premire confrence plnire : 7-9 avril 2010 Wellington (Nouvelle-Zlande). Runion du groupe de gouvernance Buenos Aires, 27-29 juillet 2011 : premires discussions pour tablir la Charte. Deuxime confrence plnire : 28 fvrier-4 mars 2011 Versailles en France, organise par lInra avec le soutien des ministres en charge de lagriculture, de lcologie et de la recherche. Runion ministrielle et signature de la charte : 24 juin 2011 Rome (Italie).

Ocontact Inra :

[email protected], [email protected] Oweb : www.globalresearchalliance.org

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les intrantsLes efforts de cration varitale de lInra et sa filiale Agri-Obtentions ont conduit inscrire au cours de lanne 2010, quatre nouvelles varits de bl tendre au catalogue officiel franais (1), chiffre exceptionnel en regard du rythme moyen dinscription (moins dune varit par an). Ces varits, qui cumulent rusticit et qualit, ont t obtenues grce un programme financ par lInra et sa filiale depuis huit ans.

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un des objectifs des chercheurs du dpartement Gntique et amlioration des plantes de lInra est de crer de nouvelles varits sur des crnaux dintrt collectif, mais intressant aussi le secteur priv. En octobre dernier, ils ont obtenu linscription au catalogue franais de trois varits Inra (Flamenko, Folklor et Musik), et une varit Agri-Obtentions (2) (Karillon). Ces quatre lignes prsentent chacune une ou plusieurs caractristiques intressantes pour les conduites intrants rduits (voir encadr). L'Inra conduit depuis longtemps des recherches sur la slection du bl tendre pour rpondre lenjeu de rduction des intrants. Le bl, premire culture franaise avec 5 millions dhectares, est en gnral produit dans des systmes agricoles intensifs (3). Ces pratiques ont permis une augmentation spectaculaire de la production, faisant de la France le cinquime producteur mondial et le second exportateur en 2010, avec un rendement moyen de 71.3 q/ha, lun des plus le-

vs au monde. Nanmoins, elles sont de plus en plus questionnes, du fait du cot nergtique des intrants, des pollutions engendres (nitrates, gaz effet de serre) et parfois des rsidus dans les produits alimentaires. Elles sont en particulier remises en cause par les objectifs du plan Ecophyto 2018 (-50% de pesticides, si possible, en 10 ans), et par lexigence europenne datteindre en 2015 le bon tat cologique des eaux . A l'objectif historique de cration de gnotypes multirsistants aux mala dies, sajoute actuellement la problmatique de la valorisation de l'azote et, progressivement, celle de ladaptation au changement climatique. Les quatre nouvelles varits permettent une intressante diversification

de la gamme des varits rustiques proposes aux agriculteurs (notamment en terme de prcocit). Elles donneront plus de possibilits aux agriculteurs pour rduire lutilisation des fongicides et de lazote en maintenant ou en amliorant la marge brute des cultures de bl tendre. Les efforts ne sarrtent pas l. Les qualits de rusticit peuvent encore tre amliores, pour des systmes de culture conomes en intrants et rsilients vis--vis des stress hydrique et climatique. Cest pourquoi les programmes de croisements et de slection, dsormais aids par les marqueurs molculaires, se poursuivront dans le nouveau projet 2011-2014 Bl tendre HPEE (hautes performances conomiques et environnementales). Odile Bernard(1) Le catalogue officiel est gr par le CTPS (Comit technique permanent de la slection), qui examine les demandes d'inscription. Une inscription au catalogue quivaut une autorisation de mise sur le march. (2) Agri-Obtentions est une socit filiale de lInra, charge de grer le portefeuille de varits de lInra. (3) IFT actuel = 2.4 4.9 IFT : indice de frquence de traitement source : Ecophyto R&d, janv. 2010.

Les quatre lignes Inra ont pass avec succs les preuves dinscription au CTPS en 2009 et 2010 : Folklor : classe premire en zone Nord, classe BPS (Bl Panifiable Suprieur), bonus pour sa rsistance la septoriose*. Karillon : classe BPS en zone Nord, bonus pour sa rsistance au pitin-verse. Musik : classe BPS , deux bonus pour sa rsistance au pitin-verse et au virus de la mosaque. Flamenko : classe BP (Bl Panifiable) en zone Sud, bonus pour un faible cart de rendement entre conduites trait et non trait . * Maladie contre laquelle il est difficile de lutter, car le champignon qui en est la cause est devenursistant plusieurs matires actives de fongicides.

+dinfosOcontact :

[email protected]

Inra / Jean-Marie Bossennec

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& INNOVATIONS

Quatre nouvelles varits de bl tendre pour rduire

RECHERCHES

RECHERCHES

& INNOVATIONS

Fond de terroir

Le terroir est un trsor moins naturel qu'on ne l'imagine. Le style d'un vin d'AOC peut mme tenir davantage des pratiques viticoles et nologiques que de l'origine des parcelles de vigne. Une alchimie mconnue qua tudie Yves Cadot, de lunit Vigne et Vin de lInra dAngers.

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ne appellation dorigine contrle (AOC) est une famille, dont les membres, loin dtre identiques, partagent toutefois un certain style. Prenez lAOC Anjou-Villages-Brissac : les producteurs de ces vins rouges les dcrivent comme colors , concentrs , longs en bouche , gras et ronds , marqus par des armes de fruits noirs et de fruits rouges Certaines caractristiques peuvent varier selon le millsime ou avec lvolution des techniques, mais, dans lensemble, elles tmoignent dun lien un terroir particulier. Ce lien entre l'AOC et son terroir doit obligatoirement figurer dans le cahier des charges transmis la Commission

europenne. Il est aussi primordial pour la communication : si les consommateurs parviennent se reprsenter le terroir, l'AOC gagne en prestige. Alors, quand un vin a mal son terroir, il est urgent de ragir. LAOC Anjou-Villages-Brissac, justement, doit faire face une crise didentit. Elle peine sduire : sur les 2 400 hectares inscrits dans lAOC (dans le bassin de lAubance, au sud dAngers et au sud de la Loire), une petite centaine seulement est valorise. Des viticulteurs du secteur prfrent mme produire du vin de lAnjou rouge, a priori moins renomm. Pourquoi cette dsaffection ? Pour y voir plus clair, les vignerons se sont tourns

vers lunit Vigne et Vin de lInra, situe Beaucouz, dans le Maineet-Loire, une quipe pluridisciplinaire de dix personnes. Pendant trois ans (pour prendre en compte leffet du millsime), le biochimiste et nologue Yves Cadot (1) s'est donc pench avec ses collgues sur cette AOC et son lien au terroir, galement appel typicit. Le terroir nest pas le sol Les 41 producteurs des dix communes de la zone ont t interviews. Rsultat : il y a un dcalage entre leur reprsentation du terroir et les facteurs qui influencent effectivement le style du vin. Selon eux, la typicit de lAnjouVillages-Brissac rsulte du sol et du

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Inra / Christophe Matre

sous-sol, puis du cpage et du portegreffe. En revanche, ils sous-estiment ( de rares exceptions prs) limpact des pratiques viticoles et nologiques sur la typicit de leur AOC. A tort : un jury expert (des nafs entrans de l'Inra agissant selon une mthode qui fait rfrence) a permis dtablir quen ralit, ces pratiques sont dterminantes. LAnjou-Villages-Brissac, cest avant tout un raisin plus sucr, une rcolte tardive, des rendements faibles ainsi quune cuvaison et un levage longs. Les parcelles et les cpages employs (Cabernet franc et Cabernet Sauvignon) comptent moins dans le style du vin obtenu, n'en dplaise aux vignerons. L'quipe de l'UMT Vinitera est parvenue expliquer ce surprenant constat d'un point de vue biochimique. Certains composs phnoliques, les proanthocyanidines (les tanins du raisin et du vin), migrent sensiblement dans les grains de raisin en fonction de leur maturit. La diffusion de ces tanins dans le vin dpend donc de la date des vendanges : tardive, elle vient largement modifier les caractristiques sensorielles du produit final. Les teneurs en sucre des baies (dont dpend le degr dalcool du vin) et en anthocyanes libres (pigments rouges), qui structurent le breuvage, comptent galement beaucoup dans la typicit de l'AOC. La typicit est une construction sociale Historiquement, on partait du postulat que le terroir, c'tait le sol, rappelle Yves Cadot. Depuis une vingtaine d'annes, des travaux ont toutefois amen ne pas occulter le travail des vignerons, en mettant le doigt sur telle ou telle pratique. Mais c'est la premire fois qu'on tudie le systme terroir dans son ensemble, en dveloppant une mthodologie spcifique qui tient compte du sol, des cpages et des pratiques viticoles et nologiques . Des travaux prcdents (2) avaient dj tabli des liens entre la nature du sol et le comportement de la vigne, en particulier vis--vis de la contrainte hydrique, de la vigueur, de la prcocit du cycle et de la composition physicochimique des baies. Mais la typicit est une construction sociale qui dpasse le cadre du vignoble. Dans le systme des AOC, cette construction rsulte d'un consensus entre les acteurs de la production. Parfois, pour atteindre rapidement certaines carac-

Inra / Jean-Luc Gaignard

tristiques recherches, ils peuvent tre tents de concentrer leurs efforts sur des pratiques viticoles et nologiques comme l'assemblage, surtout lorsque l'AOC est htrogne d'un point de vue gologique et que les conditions climatiques sont trs variables (ce qui est le cas pour l'AnjouVillages-Brissac). Cette vision dynamique de lAOC est lgitime : l'volution des pratiques est prise en compte dans la notion dAOC. Mais quand ces pratiques en viennent masquer les facteurs environnementaux (sol, sous-sol, climat), quand trop d'artifices cachent la vraie nature de l'AOC, cela peut poser problme. Le sol peut tre masqu si cela sexplique par des pratiques adaptes au sol. Mais si 90 % de la typicit d'un vin s'explique par des pratiques mises en uvre indpendamment du milieu, il devient plus facile de le produire ailleurs, prvient Yves Cadot. Il y a un juste quilibre trouver. Notre tude a ceci de novateur quelle permet de faire la part des choses, et de proposer, si c'est ncessaire, des "voies de progrs" . A terme, des outils pourraient tre mis en place pour valuer la qualit de la vendange et adapter les processus dlaboration, tout en respectant la typicit du vin. En outre, plus les pratiques viticoles et nologiques sont dterminantes, plus les vignerons doivent travailler en quipe. Nous nous sommes aperus que les producteurs de l'AOC AnjouVillages-Brissac ne sont pas d'accord

sur ce que doit tre le vin idal. Or, il est indispensable que se dgage une approche collective de la production, en la conciliant avec la logique individuelle de ces entrepreneurs . Chaque anne, au fil de ses recherches, l'quipe de l'Inra a tabli un compte rendu lattention des producteurs. Maintenant que ltude est termine et publie, Yves Cadot va en diffuser les rsultats sur le site de linterprofession. Il leur appartient dsormais de dgager un consensus sur le profil sensoriel d'un vin porteur de cette AOC et sur les dimensions du terroir mettre en avant. Peut-tre pourraient-ils, comme cela se fait dj dans certaines AOC, se runir une fois par an en apportant chacun une bouteille, afin d'changer sur ce qu'ils attendent de leur AOC ? . Une manire spirituelle de rpondre de spiritueuses interrogations. Eric Lecluyse(1) Yves Cadot a soutenu une thse en dcembre 2010 sur le lien au terroir, de la reprsentation conceptuelle la reprsentation perceptuelle. (2) Bodin, F. and Morlat, R. 2006. Characterization of viticultural terroirs using a simple field model based on soil depth I and II. Plant and Soil 281 (1-2): 37-69.

+dinfosOrfrence :

Cadot, Y. (2011). Vins de terroir et styles de vins : relations entre le style de vin recherch, la nature des sols et les pratiques des viticulteurs. Gologues 168 : 30-32.Ocontact :

[email protected]

VIGNOBLE de lAubance.

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RECHERCHES

& INNOVATIONS

Colibactine,toxine maligne dE. coli

ESCHERICHIA COLI est une bactrie commensale, qui normalement vit pacifiquement dans le tube digestif. E. coli (en vert) dans lintestin dune souris. Certaines souches peuvent cependant tre pathognes, voire ltales.

Des chercheurs de lInra ont identifi une nouvelle toxine produite par la bactrie Escherichia coli quils ont baptise Colibactine . Elle pourrait tre implique dans lapparition du cancer du clon.

a til un lien entre une gastro -entrite que vous avez eu lorsque vous tiez enfant, dont vous navez mme plus souvenir, et un cancer du clon apparu la cinquantaine ? Possible, ce pourrait tre les dommages, plusieurs dizaines dannes dintervalle, causs par le passage dune E. coli capable de scrter la toxine Colibactine. On nimaginait pas quE. coli, bactrie qui colonise en masse notre tube digestif ds la naissance, qui est aussi la bactrie la plus tudie et la plus connue, puisse synthtiser une toxine laction aussi radicale. Elle endommage les gnes des cellules10 I NRA MAGAZINE N17 JUIN 2011

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attaques explique Jean-Philippe Nougayrde du laboratoire Pathognie cellulaire et molculaire des infections E. coli de Toulouse (1) et impliqu dans cette dcouverte. Il est probable que les bactries ont invent ce processus il y a fort longtemps, mais les scientifiques ne lavaient pas remarqu jusqualors . Ce que le biologiste et ses coquipiers ont appris de la Colibactine ces cinq dernires annes font delle une toxine part, dans lunivers la biodiversit foisonnante des E. coli, mme sils ignorent encore presque tout de son mode daction et des facteurs qui la dclenchent.

Tout dabord, il y a leffet grosse cellule qui avait mis les chercheurs sur la piste de la toxine, il y a plus dune dizaine dannes dj. Au contact de la Colibactine, les cellules en culture dveloppent une mgalocytose : elles deviennent gantes car elles bloquent leur cycle de division cellulaire (2). Or, larrt du cycle cellulaire est une rponse de protection aprs des dommages causs lADN de la cellule. Les chercheurs ont par la suite tabli que ces grosses cellules avaient en effet subi des cassures simultanes des deux brins complmentaires de lhlice dADN.

Inra / Jean-Philippe Nougayrde

De linstabilit des gnes linstabilit du gnome Ces lsions sont les plus dltres et mutagnes que lADN puisse subir : la rparation devient quasi impossible pour la cellule. La recombinaison inapproprie avec dautres parties du gnome est alors facilite, dtaille Gabriel Cuevas-Ramos qui a rejoint le laboratoire en 2008 pour conduire une nouvelle srie dexpriences. Car les premiers rsultats avaient t obtenus in vitro et des doses infectieuses leves (100 bactries par cellule). Jai montr par la suite quune simple infection de cellules en culture faible dose (1 20 bactries par cellule) comme cest le cas in vivo, provoque un taux anormalement lev derreurs de rparation et dclenche une instabilit chromosomique persistante, ce qui a donn lieu une publication en 2010 (3) . Problme, les cellules qui acquirent une instabilit gnomique nen finissent pas de muter jusqu acqurir une autonomie biologique sans lien avec leur tissu dorigine, caractristique des cellules cancreuses. Autre source dtonnement pour les chercheurs, la nature chimique de la Colibactine. Elle nest pas une simple protine du type des autres toxines scrtes par E. coli. Bien que les chercheurs naient pas russi ce jour isoler la molcule, trop instable, ils ont observ que les E. coli qui la scrtent possdent dans leur gnome un lot pks (4), qui code pour des polyketide-peptide synthases. Ces enzymes, parmi les plus longues protines connues, sont capables de raliser plusieurs ractions dassemblage en chane pour produire un mtabolite final, un polyketide-peptide. Plusieurs molcules de ce type sont devenues des mdicaments importants, comme la pnicilline (utilise comme antibiotique) ou la cyclosporine (immunosuppresseur), ce qui a dcid les chercheurs utiliser le mme suffixe lorsquils ont invent le nom Colibactine. De plus, l'lot pks fait partie des lments mobiles de l'ADN dE. coli, ce qui explique peuttre sa distribution au sein du mme groupe phylogntique B2 (5). Les chercheurs lont retrouv dans 53 % des souches pathognes (qui peuvent rsider temporairement dans le tube digestif avec des consquences potentiellement graves pour la sant) extraintestinales (6) mais aussi dans 34 % de souches commensales (hberges toute notre vie dans lintestin sans crer de maladie). Cette large distri -

bution est surprenante pour un gne exprimant une toxine poursuit JeanPhilippe Nougayrde. Les Europens ont plus de chance de porter la Colibactine Si les chercheurs nont pu tablir de relation directe entre la prsence de llot pks et le niveau de virulence des souches, ils ont toutefois t surpris par la prvalence du groupe B2 dans les flores des populations humaines des pays industrialiss ou au climat tempr, comme les Etats-Unis, le Japon ou la France. Plus surprenant, cette prvalence est en nette augmentation, elle a presque doubl les vingt dernires annes dans ces pays. Paralllement, on observe dans ces mmes pays une augmentation des cancers du clon. La France, o cette maladie reprsente la deuxime cause de dcs par cancer, a lanc dernirement une campagne de dpistage pour les personnes de plus de 50 ans. Pour autant, ce nest pas en radiquant une souche portant llot pks ou en la remplaant par une autre moins dangereuse quon liminera compltement le risque de cancer du clon, avertit Eric Oswald galement auteur de ces travaux, car cest une maladie multifactorielle o entrent aussi en jeu la sensibilit de lhte, ses prdispositions gntiques, son rgime alimentaire, son mode de vie, ses expositions aux toxines ou des rayonnements de lenvironnement, etc. . Cette maladie a aussi la particularit de ne se manifester que des dizaines dannes aprs lapparition de la premire cellule cancreuse dans lorganisme. La question cruciale pour les chercheurs est maintenant de dterminer

limportance de la Colibactine dans le processus multifactoriel de cette maladie. Pour cela, les chercheurs mettent en place un dispositif exprimental de deux ans sur des souris qui ont t exposes la Colibactine afin den mesurer les consquences long terme. Lquipe reoit des financements de lInra et de lANR mais aussi de lARC et de la Ligue contre le cancer. Magali Sarazin(1) Inra et centre Inserm de physiopathologie de Toulouse-Purpan. (2) Les chercheurs ont donn le nom de cyclomodulines la famille de toxines qui perturbent le droulement normal du cycle cellulaire des cellules htes : elles sont soit inhibitrices (en ralentissant le renouvellement des cellules htes, elles facilitent la colonisation bactrienne) soit stimulatrices (la division cellulaire stimule altre la diffrenciation et le dveloppement cellulaire). (3) http://url.inra.fr/l4UOX1 (4) Llot PKS de Colibactine comprend 23 gnes. (5) Lespce est compose de 5 groupes phylogntiques majeurs : A, B1, E, D et B2. (6) Elles ont la capacit de coloniser dautres organes hors du systme gastro-intestinal et sont responsables dinfection urinaire, de mningite, de septicmie, etc.

+dinfosOrfrences :

Gabriel Cuevas-Ramos, Claude R. Petit, Ingrid Marcq, Michle Boury, Eric Oswald and Jean-Philippe Nougayrde. Escherichia coli induces DNA damage in vivo and triggers genomic instability in mammalian cells. PNAS, 22 juin 2010. Jean-Philippe Nougayrde, Stefan Homburg, Frdric Taieb, Michle Boury, Elzbieta Brzuszkiewicz, Gerhard Gottschalk, Carmen Buchrieser, Jrg Hacker, Ulrich Dobrindt and Eric Oswald. Escherichia coli induces DNA Double-Strand Breaks in Eukaryotic Cells. Science, 11 aot 2006.Ocontacts :

Gabriel Cuevas-Ramos, [email protected] Jean-Philippe Nougayrde, [email protected] Eric Oswald, [email protected]

LANNEAU est la forme la plus spectaculaire des anomalies chromosomiques qui apparaissent sous leffet de la Colibactine.

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Inra / Jean-Philippe Nougayrde

RECHERCHES

& INNOVATIONS

Du neuf ds lufLes chercheurs de lInra de Tours (1) ont montr que lon peut familiariser des embryons de poulets des odeurs et utiliser cette exprience pour rduire les ractions de rejet en prsence daliments nouveaux.

L

es oiseaux naiment pas la nouveaut. Notamment en matire dalimentation. A tel point que dans les levages, les poulets qui on prsente une nouvelle nourriture peuvent refuser de manger et parfois en venir picorer leurs congnres ou leur litire Afin de contourner cette nophobie (ou peur de la nouveaut), les chercheurs ont eu lide de diffuser des odeurs dans lincubateur o se trouvent les ufs. Ils ont choisi un mlange dhuiles essentielles de vanille et dorange, auxquelles les poulets sont sensibles. Ils ont observ quaprs closion, les poussins acceptaient mieux les aliments contenant ces odeurs. Ces rsultats montrent que ds le stade embryonnaire, dans luf, lolfaction des oiseaux est bien dveloppe et que familiariser les

embryons avec une odeur les aide, une fois clos, accepter un aliment nouveau. Il importe cependant de bien doser lintensit de ces odeurs, car un excs peut dclencher des aversions. Rduire la peur par lodeur et par le contrle du stress maternel Ces tudes soulignent le rle de lexprience prinatale : lexprience dans luf et les premiers jours de vie sont essentiels, explique Aline Bertin, qui a men ces travaux lInra de Tours. Lorsque les leveurs signalent des problmes de nophobie alimentaire sur leurs animaux gs de plusieurs semaines, ce problme est en fait prsent ds les premiers jours de vie . Ces rsultats laissent entrevoir plusieurs solutions pour rsoudre les problmes lis la nophobie. Chez les mammifres (homme, mouton, lapin, chien, chat, rongeurs), les ftus baignent dans le liquide amniotique dont les proprits olfactives et gustatives dpendent de lalimentation de la mre. Aprs la naissance, cette exprience prnatale conduit une prfrence envers ces mmes odeurs et gots. De la mme faon, chez loiseau, on peut envisager dtablir une

continuit olfactive en donnant la mre un aliment possdant une odeur marque, qui, en passant dans luf, est mmorise par lembryon. Lodeur sera ensuite introduite dans lalimentation pendant tout llevage. Mais il faut aussi sintresser une autre dimension : celle de llevage des reproducteurs et du stress maternel. La nophobie est une rponse motionnelle chez les oiseaux, or, on sait que si la mre est stresse, elle transmettra dans les ufs des hormones qui peuvent rendre les poussins plus motifs indique la chercheuse. On peut envisager, en complment dune familiarisation des odeurs, de mieux grer les populations parentales et dapporter une alimentation varie ds lclosion afin dhabituer les animaux changer daliment rgulirement. Laurent Cario(1) Unit mixte de recherche de physiologie de la reproduction et des comportements.

La nophobie alimentaireLa peur des aliments nouveaux existe chez tous les mammifres, mais elle sexprime le plus fortement chez les oiseaux. Des recherches ont montr que les oiseaux sauvages peuvent, en prsence daliments nouveaux, refuser de les manger pendant plusieurs jours. On parle de food conservatism cest--dire dhabitudes alimentaires trs conservatrices.

+dinfosOrfrence :

Bertin, A et al. 2010. In Ovo Olfactory Experience Influences Post-hatch Feeding Behaviour in Young Chickens. Ethology, 116, 1027-1037.Ocontact :

[email protected]

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Inra / Aline Bertin

La fort franaise face au La fort franaise face au

changement

climatique

I Karen Beaucardet William Bareffot

l est maintenant tabli que les forts connatront une nette volution du climat dici cent, voire cinquante ans. Vont-elles sadapter, se modifier radicalement ou dprir ? Pour rpondre ces questions, les chercheurs de lInra travaillent dcrypter le fonctionnement de ces cosystmes complexes ainsi que le dialogue intime quils entretiennent avec le climat. Car si les forts vont subir les assauts du changement climatique, elles sont aussi capables de lattnuer. Les recherches de lInra ont galement lobjectif finalis de donner des solutions la filire fort-bois pour une gestion durable de la ressource. Pour un sylviculteur, cent ans, cest aussi lge moyen dexploitation dun arbre. Il faut donc agir ds maintenant.

Inra / Michel Meuret

1 Changement climatique : quoi peut-on sattendre ?Le changement climatique modifie le fonctionnement de larbre et de lcosystme forestier en gnral. Certains effets peuvent tre bnfiques, la plupart sont nfastes en labsence dadaptation. Les extrmes climatiques pourraient aussi jouer un rle dcisif. Malgr des incertitudes, les nombreuses recherches de lInra permettent dentrevoir les impacts venir, les peuplements les plus vulnrables ainsi que des pistes dadaptation.

2

011 a t dclare anne internationale des forts par lassemble gnrale de lONU. Si les forts sont ainsi mises lhonneur, cest en raison des nombreux services quelles rendent la socit. Stockage du CO2, production deau de qualit, action sur le microclimat, protection des sols contre lrosion ou tout simplement accueil du public, leur apport est loin de se cantonner la production de bois. Lusage du bois lui-mme va se diversifier avec de nouvelles utilisations nergtiques de la biomasse ligneuse (chaufferies bois, biocarburant). Au niveau national, limportance de cette multifonctionnalit a t rappele en 2007 par les conclu-

sions du Grenelle de lenvironnement et des Assises de la fort. La fort est galement un rservoir de biodiversit, car elle reste un cosystme protg o lhomme intervient peu en comparaison avec les zones cultives. La diversit de la fort franaise mtropolitaine est dailleurs unique en Europe. La France tant situe au carrefour de quatre zones bioclimatiques, on y compte autant dcosystmes forestiers diffrents : la fort de plaine atlantique, dont la fort de pin maritime en Aquitaine, la fort de plaine semi-continentale, la fort de montagne et la fort mditerranenne. A lInra, plusieurs centres (Nancy, Bordeaux, Orlans et Avignon) semploient lucider les impacts du chan-

gement climatique sur chacun de ces cosystmes, en tenant compte de leurs spcificits (sol, essences, climat local, pratiques sylvicoles). Changements multiples, effets contrasts Lintensit des changements venir fait encore dbat, en raison dincertitudes inhrentes aux prvisions des missions de gaz effet de serre (GES). En revanche, la nature de ces volutions est maintenant bien connue : augmentation de la concentration en CO2 dans latmosphre, hausse des tempratures, modifications du rgime pluviomtrique. A ces tendances moyennes sajoutent des pisodes extrmes (scheresses, canicules, tem-

II

I NRA MAGAZINE N17 JUIN 2011

ptes) potentiellement plus frquents et la progression des stress biotiques (ravageurs, maladies). Quelles sont les consquences de ces volutions sur la production de la fort et donc sur sa capacit stocker du carbone ? En ralit, les effets des diffrentes composantes du changement climatique sont contrasts. Deux facteurs agissent dans le sens dune amlioration de la productivit : dune part, laugmentation de la concentration en CO2 de latmosphre (+ 40% depuis le milieu du XXe sicle) qui stimule lactivit photosynthtique des arbres. Dautre part, une hausse mesure des tempratures allonge la saison de vgtation des arbres, en avanant les stades de dveloppement au printemps et en retardant larrt physiologique lautomne. Par contre, la hausse des tempratures augmente les besoins en eau des vgtaux, demande qui pourrait tre plus difficile satisfaire lavenir en raison de laugmentation de lvapotranspiration et de la diminution des prcipitations. Les modles climatiques prvoient en effet des prcipitations parfois plus importantes en hiver, mais globalement plus rares en t au moment o la vgtation en a le plus besoin. Quel sera le bilan au final ? Cette question pose un vritable dfi la recherche. En effet, lanalyse dendromtrique (1), qui a longtemps servi prvoir la productivit des forts, ne sapplique plus sur les bases classiques qui supposent un environ nement constant. Il faut donc aller plus loin et approfondir les connaissances sur le fonctionnement primaire de la fort : les flux et les stocks de carbone, deau, de minraux. Mesurer ces cycles coupls sur le long terme, depuis le sol jusqu latmosphre, constitue

Des chenilles qui ne perdent pas le nordLe changement climatique favorise aussi la propagation de certains bioagresseurs des espces forestires. Lexpansion de la processionnaire du pin vers le nord et en altitude est emblmatique de ce phnomne. A tel point que lOnerc* considre cette progression comme un bioindicateur du changement climatique. Les chenilles de cet insecte se rgalent des aiguilles de diffrents pins comme de celles des cdres et peuvent considrablement freiner le dveloppement de CORTGE de chenilles processionnaires dans un pin. ces essences. De plus, hrisses de poils urticants, elles posent galement un problme sanitaire pour lhomme et les animaux en provoquant des allergies. Les chenilles de la processionnaire du pin meurent en dessous de -16C. Dautre part, pour se nourrir, elles ont besoin la fois dune temprature dans le nid suprieure 9 C pendant la journe et dune temprature ambiante suprieure 0c pendant la nuit. Le rchauffement climatique augmente donc le nombre de jours au cours desquels elles peuvent se nourrir et progresser entre octobre et mars. Laugmentation des tempratures a rendu lensemble de la rgion parisienne propice leur dveloppement ds 2004. La question est donc de savoir quelle vitesse lespce va avancer dans cet espace devenu accueillant. Lunit de zoologie forestire du centre Inra dOrlans a modlis le front dexpansion de la processionnaire du pin en fonction des possibilits dvolution du climat. Le scnario le plus optimiste indique une colonisation atteignant Paris ds 2025. Leur apparition en zone urbaine est dautant plus inquitante que les populations ne sont pas habitues sen mfier. La prvision des futures zones risques constitue donc un enjeu majeur pour cibler les mesures de prvention.* Observatoire national sur les effets du rchauffement climatique

justement lun des objectifs de lobservatoire de recherche et dexprimentation en environnement F-ORE-T mis en place en 2002 par lInra et ses partenaires (2). La dynamique des communauts dorganismes associs (champignons, bactries, microfaune du sol, pathognes...) y est

Fred Fokkelman

galement analyse. Cet observatoire comprend un rseau dense de placettes dobservation et une quinzaine de sites-ateliers quips de nombreux instruments de mesure. In fine, il permettra de comprendre linfluence du climat sur la production forestire et de dvelopper des modles dvolution des cosystmes forestiers qui en tiennent compte, tout en intgrant galement leffet des pratiques sylvicoles et des changements dusage des terres. Histoire deau Profitant de cet outil puissant, les chercheurs de lInra ont dvelopp un modle de fonctionnement primaire des forts centr sur les cycles coupls de leau et du carbone (3). A partir des premiers scnarios climatiques et des nombreux relevs raliss par linventaire forestier national (IFN), celuici a permis de calculer le potentiel climatique de production lhorizon 2100. Il prvoyait alors une baisse de productivit sur la moiti sud de la France et la faade ouest de la FranceI NRA MAGAZINE N17 JUIN 2011 III

Inra / Christelle Robinet

DOSSIER

en raison du cycle saisonnier des prci pitations. En revanche, pour la partie centre et nord-est, leffet apparaissait neutre voire mme positif. Depuis, cette prvision a t affine au niveau rgional, grce aux progrs de la communaut des climatologues et aux scnarios climatiques les plus rcents du GIEC (4). Les rsultats sont encore moins optimistes et prdisent des impacts ngatifs pour les forts de feuillus et de conifres quel que soit le site en France (5). Nanmoins, les arbres feuilles caduques rsisteraient mieux car ils prservent mieux les rserves deau du sol, notamment en hiver. En effet, la perte de leurs feuilles a deux consquences : dune part, il ny a plus dvapotranspiration, donc moins deau pompe dans la terre, dautre part, leau de pluie nest pas arrte et nourrit les rserves du sol. Les contraintes principales sont en effet les scheresses du sol et de lair. Au final, une sylviculture conome en eau et ajuste en fonction des rservoirs aquifres des sols serait la voie dadaptation privilgier. Le visage de la fort en 2100 Les chercheurs ont aussi tent destimer les aires de rpartition potentielles des espces en 2100 (6). A partir de la situation actuelle, ils ont tabli des modles de probabilit de prsence des essences forestires en fonction de certains paramtres climatiques (rayonnement, prcipitation, temprature, vapotranspiration, jours de gels). En injectant dans ces modles les prvisions climatiques pour le sicle prochain, ils ont obtenu une visualisation de la future rpartition des essences. Deux cas sont emblmatiques. Le chne vert, essence mditerranenne, connatrait une grande expansion et pourrait mme remonter jusqu la Loire. A loppos, le htre, qui est actuellement prsent sur presque tout le territoire, pourrait fortement rgresser en raison de sa sensibilit au manque deau. Plus gnralement, les chercheurs ont class les espces par grands groupes biogographiques et ont constat la progression des groupes mditerranens et du sud-ouest, accompagne dune rgression des groupes montagnards. L aussi, si les tendances sont cohrentes entre toutes les modlisations dimpacts values, les modles climatiques introduisent des incertitudes sur les limites gographiques. En outre, dautres paramtres restent tudier pour obtenir une vision plus prcise

du visage de la fort en 2100. Quelle sera la capacit des espces se dplacer et coloniser de nouvelles niches face des changements si rapides, quand on sait que les chnes ont mis prs de 2 000 ans traverser la France lre post-glaciaire ? Va-t-on assister des vagues de dprissement pour les espces qui ne peuvent plus survivre dans leur niche actuelle ou bien une mortalit plus diffuse touchera-telle les arbres les moins bien adapts ? Scheresse et canicule Cette anne encore la France manque deau, mais le cas des forts reste peu mdiatis. Or, les forts sont encore sous le choc des scheresses de 2003 et 2006, comme lattestent certains symptmes rversibles (perte de croissance, dgradation de ltat de sant, vulnrabilit accrue aux bio-agresseurs...) mais aussi des taux de mortalit anormaux. Il devient donc urgent de comprendre la vulnrabilit des forts au manque deau. Le programme ANR (7) Dryade coordonn entre 2007 et 2010 par Nathalie Brda (8) a permis dapporter de nombreuses rponses dbouchant sur un guide de gestion des forts en crise (9). Un rsultat majeur a dmontr que cest la rcurrence des scheresses, plus que leur intensit, qui semble avoir provoqu le plus de dgts. Les chercheurs ont aussi constat que pour un peuplement, ladquation du sol lenracinement et sa capacit stocker leau sont primordiaux, tout comme les effets dune sylviculture peu dynamique (forte densit, claircie tardive et faible). Au niveau de larbre luimme, les facteurs dcisifs sont

lespce, le lieu dorigine, mais aussi une forte croissance au jeune ge ou juste avant lala. Ainsi, les arbres les plus performants en termes de croissance seraient les plus fragiles en cas de scheresse. Ce qui obligerait revoir les critres de slections sylvicoles bass aujourdhui sur des objectifs de productivit, avec de nouveaux compromis entre la performance de croissance et la rsistance aux contraintes. Quid de la canicule ? Si les tempratures extrmes de lt 2003 ont aggrav les effets de la scheresse, elles ont surtout t le rvlateur de ltat de stress hydrique des forts aux yeux du grand public explique Nathalie Brda. Le dficit en eau des sols en 2003 a commenc ds les mois de mai-juin, entranant une rgulation de lvapotranspiration par fermeture des stomates. Quand la canicule est intervenue au mois daot, les stomates de certaines espces taient quasi-ferms. Rsultat : sans possibilit de refroidissement pour affronter de telles tempratures, les tissus foliaires ont brl et pris des couleurs anormales . Contrairement leur habitude, les forts ne souffraient plus en silence(1) Hauteur, diamtre, volume et ge des arbres. (2) Cirad, CNRS, ONF, Andra, GIP Ecofor. (3) Projet Carbofor, coordonn par Denis Loustau, directeur de lunit Ephyse du centre Inra de Bordeaux. (4) Groupe dexperts intergouvernental sur lvolution du climat. (5) Projet ANR Climator (2007-2010) coordonn par Nadine Brisson, directrice de recherche au sein de lunit Agroclim, centre Inra dAvignon. (6) Projet Climator et projet ANR Quantification des effets des changements globaux sur la diversit vgtale . (7) Agence nationale de la recherche. (8) Directrice de recherche au sein de lunit Ecologie et cophysiologie forestire du centre Inra de Nancy. (9) Guide de gestion des forts en crise sanitaire, 2011, Xavier Gauquelin, coord., ONF / IDF.

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Fritz Geller-Grimm

Clarita

2 Comprendre pour faire faceAfin doffrir des solutions pour adapter les forts au changement climatique, les scientifiques de lInra doivent comprendre le fonctionnement de ces cosystmes complexes. Depuis le rle de la diversit gntique jusquaux mouvements du vent lors dune tempte, leurs recherches se font sur tous les fronts et de nombreuses chelles. En voici quelques exemples.

N

ous avons tous fait de la dendrochronologie en comptant les cernes dun arbre coup pour connatre son ge. Les chercheurs se livrent au mme exercice en prlevant des petites carottes de bois dans le tronc, mais ils en retirent quelques informations supplmentaires... En mesurant trs prcisment la largeur des cernes, ils peuvent valuer la productivit des forts anne aprs anne. Grce, entre autres, aux chercheurs de Nancy, cette approche a fourni un des rsultats les plus importants en recherche forestire de ces dernires annes : les forts poussent

de plus en plus rapidement depuis environ un sicle et notamment en Europe depuis quelques dcennies. Dans quelle mesure le phnomne est-il d aux effets du changement climatique, laugmentation des dpts atmosphriques dazote ou aux pratiques sylvicoles ? Pour lucider la question, les chercheurs analysent de plus en plus finement la composition chimique des cernes de bois. Les progrs dans ce domaine permettent non seulement de dterminer limpact de lvolution des conditions environnementales mais ils autorisent aussi une plonge au cur du fonctionnement de larbre.

Quand les arbres font la fine bouche De nombreuses recherches reposent actuellement sur ltrange proprit quont les plantes de choisir le type de carbone quelles assimilent. Comme tous les lments, celui-ci existe sous plusieurs formes plus ou moins rpandues : les isotopes. Latmosphre renferme par exemple environ 99 % de carbone 12 (12C) et 1% de carbone 13 (13C). Or, pendant la photosynthse le 12C, plus lger, est plus facilement assimil. Il existe donc une diffrence de composition entre le carbone prsent dans latmosphre et celui de la biomasse qui prsente unI NRA MAGAZINE N17 JUIN 2011 V

moindre taux de carbone lourd 13C. Le phnomne devient encore plus intressant quand on sait que cette discrimination varie en fonction de lenvironnement. Ainsi, en priode de stress hydrique, les arbres ne se permettent plus de choisir et on retrouve un plus fort taux de carbone lourd dans le bois. En dosant prcisment ces isotopes dans la cellulose du bois, les chercheurs obtiennent donc un vritable enregistreur en continu du fonctionnement pass de larbre en lien avec son environnement. Ils dcoupent mme les cernes en tranches trs fines pour accder linformation semaine aprs semaine pendant une saison de vgtation. Dautres lments comme loxygne ou lazote sont tudis de prs. La signature isotopique de loxygne dans la plante et dans le sol permet, entre autres, de savoir quelle source deau elle utilise, pluies rcentes, eau des couches profondes du sol ou bien remonte des nappes phratiques. In fine, grce ces tudes, les chercheurs esprent comprendre le comportement physiologique des essences sous contraintes hydriques ou nutritionnelles. Il sagit de rpondre des questions essentielles. Comment ragit chaque essence face au manque deau par exemple ? Met-elle le carbone en rserve pour mieux rsister aux ravageurs et repartir de plus belle la saison suivante ou bien lutilise-t-elle pour construire des racines qui vont aller

SITE DU BRAY. Tour de mesures dans une fort de pins maritimes, vers Bordeaux, pour l'tude des mcanismes physiques rgissant les transferts entre le couvert vgtal et l'atmosphre.

puiser plus profond ? Quelles stratgies dacquisition de leau et de lazote sont les mieux adaptes aux contraintes futures ? De quoi clairer les choix faire pour lavenir. La diversit comme moyen dadaptation et de rsistance Les arbres forestiers renferment une diversit gntique hors norme. Certaines donnes permettent mme daffirmer quelle serait environ trois fois suprieure celle des tres humains. Pour des espces amenes vivre aussi longtemps, ce trsor constitue la meilleure assurance pour

Fort en zone de turbulenceDepuis les temptes de 1999 et 2009, les chercheurs sintressent la force destructrice du vent pour proposer des solutions damnagement qui permettent de limiter les dgts. Ces derniers prsentent un fort effet de seuil. Quil sagisse de la fort des Landes ou de Lorraine, les vents ne provoquent que peu de dgts en dessous de 110 km/h mais ils sont catastrophiques au-dessus de 140 km/h. Sans rvolutionner le paysage, on peut imaginer que relever ce seuil de quelques km/h aurait dj un impact conomique norme. Dores et dj, des tudes sur des peuplements homognes ont mis en lumire limportance de paramtres comme la hauteur des arbres, leur densit ou la rpartition du feuillage. A prsent, les chercheurs sattaquent un problme encore plus complexe : modliser les turbulences qui se crent quand le vent sengouffre dans une parcelle forestire. Bien plus que la vitesse moyenne du vent, ce sont ces rafales brutales qui provoquent les pires dommages, commente Yves Brunet, spcialiste de la mcanique environnementale au sein de lunit Ephyse. Longtemps elles ont t considres comme alatoires mais maintenant, des modles complexes nous permettent de les simuler trs finement, lchelle du mtre . Il sagit notamment destimer comment les rafales se forment dans le peuplement et comment les arbres y ragissent. En parallle, les chercheurs examinent aussi lcoulement du vent en sortie de lisire. Ces rsultats valuent limpact des clairires, des claircies ou des pare-feux. Cest leur intgration grande chelle qui permettra de prendre en compte la fragmentation du paysage et de passer de recommandations purement sylvicoles des notions damnagements.

sadapter aux changements environnementaux. Les scientifiques cherchent comprendre comment et dans quelle mesure la diversit gntique permettra une adaptation des volutions aussi rapides. L aussi, le but est de fournir des rponses aux sylviculteurs en leur indiquant ventuellement quelles espces et quelles provenances introduire, mais aussi quelles pratiques permettent la fois de prserver et dutiliser au mieux cette diversit. La tche semble dj ardue mais elle ne sarrte pas l. Larbre ne vit pas isol mais en troite interaction avec dautres organismes vivants comme les insectes ravageurs ou les champignons symbiotiques. Afin de dterminer lvolution possible dun cosystme forestier, il faudra dterminer pour chaque espce quels gnes sont susceptibles de procurer un avantage adaptatif et estimer leur diversit dans les populations actuelles. Devant ce travail de titan, 25 laboratoires provenant de 15 pays europens se sont mobiliss entre 2006 et 2010, dans le cadre dun rseau dexcellence baptis Evoltree. Coordonn par lInra de Bordeaux, celui-ci a permis de jeter les bases dune nouvelle science la frontire de la gntique, la gnomique, de lcologie et de lvolution : la gnomique des populations. Pour ce faire, sept sites dtudes intensives, dont trois en France mtropolitaine (1) ont t mis en place afin dtudier la dynamique de la diversit en fonction des processus locaux et des flux de gnes longue distance. Les bases de donnes manant de ces divers sites seront mises

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Inra / Christophe Matre

en rseaux lintrieur dun laboratoire sans mur . Enfin, les ADN darbres provenant de toute lEurope sont conservs Vienne dans un centre de ressources gntiques unique au monde. Si la diversit gntique lintrieur dune espce est trs importante pour ladaptation, le rle fonctionnel de la diversit des espces dans lcosystme lest tout autant. Les chercheurs de lInra lont illustr en tudiant les effets de lintroduction dlots de feuillus au milieu dun peuplement pur de pin maritime. La prsence de feuillus permet de faire chuter le niveau dinfestation des pins par leurs pires ennemis : la pyrale du tronc et la processionnaire du pin. Plusieurs phnomnes essentiels entrent en jeu. Tout dabord, les insectes utilisent souvent un systme olfactif pour reconnatre leur arbre prfr. Ce signal peut tre brouill ou masqu par les essences introduites, ce qui rduit le nombre darbres-htes potentiellement dtects. Ensuite, les feuillus sont de vrais havres de paix pour les prdateurs de la pyrale et de la processionnaire. En leur offrant des proies alternatives, dautres ressources alimentaires, des abris ou des sites de pontes, ces arbres les rendent encore plus redoutables pour les ravageurs. Ces rsultats plaident pour la pro-

LARVE DE PYRALE DU TRONC. Lintroduction dlots de feuillus limite linfestation des forts de pins maritimes par ce ravageur.

motion de la biodiversit des forts mlanges. Encore faut-il en valuer la productivit, ce qui appelle dautres recherches. Il faut par exemple explo-

rer les relations de comptition entre les diffrents types darbres pour laccs leau, aux minraux ou la lumire. De nombreux travaux sy attachent actuellement. Ils pourraient prendre une autre dimension grce au Lidar, une technologie de pointe rcemment acquise par lInra de Nancy (2). La 3D arrive en fort Le Lidar est un outil danalyse de lespace en trois dimensions, compos dun systme de tldtection qui met un faisceau laser et enregistre la direction et la distance du point ayant rflchi la lumire. Balayant automatiquement lespace dans un rayon de 120 m autour de lui, lappareil dlivre un nuage de points en trois dimensions correspondant aux premiers obstacles rencontrs par le faisceau. Les applications aroportes de ce type doutil sont dj connues pour les mesures grande chelle des hauteurs de canopes et du relief. Le Lidar terrestre, lui, est fixe, mme si son embarquement dans un vhicule terrestre est envisageable.

IMAGE DE FORT reconstitue daprs les mesures enregistres par le Lidar.

DR

Office National des Forts / Jean-Paul Grandjean

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DOSSIER

PEUPLIERS HYBRIDES ORLANS. Les scientifiques amliorent leur productivit, leur rsistance aux pathognes et lefficience dutilisation de leau. Ils adaptent aussi leur priode de croissance diffrentes situations climatiques.

Son but est de dcrire prcisment ( un grain de 3 mm) une placette forestire. Auparavant, pour obtenir une information comparable, les chercheurs procdaient point par point avec un appareil semblable celui des gomtres et abattaient ensuite larbre pour finir leurs mesures. Le Lidar permet davoir des donnes beaucoup plus prcises en quelques minutes, y compris sur lenchevtrement complexe des branches et feuilles du houppier. Nanmoins, un lourd traitement informatique est ensuite ncessaire pour transformer le nuage de points en branches, troncs ou feuilles mais aussi pour combler de manire plausible les espaces masqus par la vgtation au premier plan. Lautomatisation du traitement est donc un enjeu du dveloppement de la technique, et ouvre de nombreux champs de recherche comme la reconnaissance automatique de lessence partir de la texture de lcorce. Cette mthode performante trouve une application vidente pour lvaluation de la biomasse et linventaire forestier. Les chercheurs de lInra sintressent en particulier aux contraintes mcaniques lies la forme de larbre et qui influent sur la qualit du bois. De plus, le Lidar tant non destructif, il permet de suivre lvolution de la placette dans le temps. Comment le couvert se referme-t-il ? Quels arbresVIII I NRA MAGAZINE N17 JUIN 2011

prennent le pas sur les autres ? Des questions essentielles pour comprendre et modliser le fonctionnement des forts mlanges. Amlioration gntique et arbres plastiques Amliorer, dans un contexte de changement climatique, des espces qui vivent pendant 80 voire 120 ans, nest pas chose aise. Gilles Pilate, directeur de lunit de recherche AGPF (3) prcise Nous devons fournir des varits qui rpondent la diversification des usages tout en permettant une gestion durable des forts. Au-del de ces aspects, il sagit aussi de se tenir prt affronter les changements venir . Pour les chercheurs, ces nouvelles exigences impliquent de trouver des stratgies damlioration innovantes. Cest le but du programme europen NovelTree, coordonn par Catherine Bastien de lunit AGPF, qui se focalisera sur le pin sylvestre, le pin maritime, lpica et le peuplier. Les caractres cibls sont maintenant bien connus : efficacit de lutilisation de leau, qualit du bois, rsistances multiples aux pathognes et une phnologie qui permet une longue priode de vgtation, vite le gel des bourgeons et les priodes de scheresse. Le dfi rside dornavant dans la connaissance des gnes impliqus dans chaque caractre et dans la

recherche dune forte plasticit phnotypique. C'est--dire la capacit dun gnotype donn adopter diffrents comportements en fonction de son environnement, une aptitude importante pour la capacit dadaptation. Afin de lvaluer, les espces amliores seront places dans des environnements contrasts. Des tudes de gntique dassociation seront menes en combinant deux approches. Dun ct, des relations statistiques seront tablies entre les variations du phnotype et la variation des gnotypes des populations naturelles. De lautre, les chercheurs exploreront quelles parties du gnome sont impliques dans chaque caractre et dvelopperont des marqueurs molculaires permettant de pister ces rgions dans les programmes de slection. Une approche particulirement utile pour les espces forestires dont certains caractres phnotypiques ne sont visibles quau bout de plusieurs dizaines dannes.

(1) Situs sur le Mont Ventoux, les Landes et les peupleraies naturelles des bords de Loire. (2) Laboratoire dtudes des ressources fort-bois de lInra, en partenariat avec lIFN et lONF, dans le cadre du programme ANR Emerge ddi lestimation de la biomasse. (3) Amlioration, gntique et physiologie forestires, Inra dOrlans.

Inra / Catherine Bastien

Inra / Ren Canta

3 Vers une gestion durable

de la fort

Les recherches de lInra donnent un clairage pour concevoir des forts la fois productives et adaptes au changement climatique. Mais aussi pour dvelopper des filires valorisant la biomasse et donc le carbone renouvelable, comme par exemple la production de biocarburant de deuxime gnration partir de bois.

L

a fort peut apporter deux grands types de services dans la problmatique de lattnuation du changement climatique. Dabord, en stockant du carbone dans le bois, par le processus de la photosynthse et dans le sol sous forme de matire organique. Ensuite, en fournissant des bioproduits en substitution dautres matriaux, ainsi que de lnergie (chaleur, biocarburant (1)) avec un bilan net dmissions de GES plus favorable

que lnergie fossile : le biothanol issu de la biomasse par exemple permettrait de rduire les missions de GES (CO2 surtout) de 60 80 % par rapport aux missions partir de carburants dorigine fossile. Les objectifs de la Commission europenne en la matire sont ambitieux, avec la rgle des trois vingt : 20% de diminution du rejet de GES en 2020, avec 20% de la consommation nergtique de lUE sous forme dnergies renouvelables (et 10% de biocarburants

dans la consommation totale des vhicules). Une fort durable doit aussi tre pense pour sadapter aux conditions climatiques qui prvaudront dans le futur, avec une rsilience accrue la scheresse, voire aux temptes. Ce questionnement trouve une illustration dans le cas du massif forestier des Landes de Gascogne quil sagit de reconstruire de faon durable aprs les dgts des deux temptes de 1999 et 2009.I NRA MAGAZINE N17 JUIN 2011IX

La fort landaise la croise des chemins

O

ccupant prs dun million dha en France, la fort landaise a perdu la moiti de son stock de bois la suite de deux temptes survenues dix ans dintervalle, alors que des pisodes aussi extrmes ne se produisent en moyenne que tous les cent ans. Ces dgts fragilisent fortement la filire fort-bois rgionale (34 000 emplois directs hors sylviculteurs) confronte moyen terme des problmes dapprovisionnement. Une urgence donc : reboiser, aprs avoir nettoy les arbres tombs terre, qui ont favoris une explosion alarmante dinsectes ravageurs comme les scolytes. Avec ses montagnes de bois stocks en attente dvacuation, visibles depuis lautoroute BordeauxEspagne, le massif landais est devenu le plus gros chantier de nettoyagereboisement dEurope. Pour JeanMichel Carnus (2) le sentiment que lcosystme est fragile est partag entre les acteurs : propritaires, forestiers, industriels, usagers, chercheurs. Le contexte est diffrent de celui des annes 40, o la moiti de la fort avait aussi disparu lors des grands incendies, et o le massif avait t reconstitu pour la production lpoque de rsine et de bois. Cette fois, il sagit de penser une fort plus rsiliente aux risques climatiques, tout en assurant les besoins en bois de la filire et en tenant compte de la trs forte demande en biomasse-

nergie. La recherche se mobilise avec tous les acteurs pour explorer des pistes davenir . Choisir les bonnes essences La premire question qui se pose est le choix des espces replanter. La rsistance la scheresse sera une qualit dterminante dans le contexte de changement climatique. Des programmes se mettent en place lInra de Bordeaux (3) pour slectionner ce caractre chez le pin maritime, qui reste ce jour lessence de prdilection pour la production de bois dans les Landes. Les regards se portent nanmoins simultanment sur dautres espces de pins, voire sur dautres conifres. Dans les rseaux exprimentaux, les chercheurs rpertorient les essences rsistantes la scheresse dj prsentes en Aquitaine. Paralllement, des plantations sont en cours sur plusieurs sites (Dordogne, Landes, Adour-Pyrnes) pour tester ladaptation dessences mditerranennes (cdre du Liban, croisement entre pins des Landes et pins du Maroc ou de Corse...). Enfin, des mlanges interspcifiques innovants sont ltude. Au domaine exprimental de lHermitage, lInra de Pierroton, vers Bordeaux, les chercheurs de lInra testent des associations de pins et dautres espces (eucalyptus, robiniers, ajoncs ...). Des

recherches sur plusieurs annes ont galement dmontr que linstallation de feuillus en lots et en lisires tait bnfique pour la sant des pins, car la faune abrite par les feuillus protge les pins contre leurs ravageurs (voir ci-avant en partie 2). Quelques chiffresStock de bois dans le massif landais : Avant les temptes 150 millions de m3 Aprs la tempte Martin de 1999 120 millions de m3 Aprs la tempte Klaus de 2009 75 millions de m3

PLAQUETTES DE BOIS utilises pour le chauffage.

Diversifier la production En plus de tester les essences, les recherches de lInra sintressent aux systmes de culture. La fort landaise est une fort des fins industrielles consacre la production de bois, mais quelle production dvelopper ? Jusquici, la production de bois duvre voisinait avec la production de papier, qui utilise les dchets du bois. Le premier secteur (parquets, lambris) tend perdre du terrain et les papetiers sorientent vers lutilisation de biomasse pour produire de la chaleur et de llectricit dans des centrales de cognration. De nouveaux systmes sylvicoles doivent donc tre tudis pour anticiper ces volutions, en particulier, ceux qui favorisent la production de biomasse, avec des plantations plus denses, sans claircies, rcoltes au bout de 1520 ans. Ces itinraires prsentent moins de risques face aux temptes que les itinraires classiques utiliss pour la production de bois duvre dans lesquels les arbres restent sur pied plus longtemps (35-40 ans), avec des claircies qui peuvent fragiliser les peuplements. Du point de vue cologique, les chercheurs de lInra vont tudier les consquences de chacun de ces itinraires ainsi que ditinraires intermdiaires, tablis en concertation avec des partenaires professionnels (4). Afin de surveiller et prserver la fragile fertilit des sols landais, ils mesureront la teneur en lments minraux du sol et des arbres. Ils tudieront galement les cycles du carbone et de leau dans ces diffrents systmes culturaux. In fine, le choix du type dexploitation

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Inra / Pascal Thiebeau

Une tude prospective sur le territoire des Landes de GascogneUne prospective mene conjointement par le Conseil rgional dAquitaine et lInra examine les futurs possibles des Landes de Gascogne et rendra ses conclusions en octobre 2011. En runissant toute la gamme des acteurs (propritaires, coopratives, collectivits territoriales, industriels, habitants), explique Olivier Mora*, cette prospective considre le massif des Landes de Gascogne non pas seulement du point de vue de la filire-bois, mais comme un territoire avec toutes ses composantes (enjeux dmographiques, rsidentiels, touristiques, nergtiques, climatiques). Llaboration de scnarios pour 2050 montre quil faut faire des choix clairs qui engagent sur le long terme. Lintroduction dlots ou de lisires de feuillus par exemple, tudie depuis longtemps mais jamais mise en uvre dans les Landes, est symbolique des tensions, mais aussi des complmentarits possibles, entre intensification et biodiversit. Sa mise en place suppose une forte coordination entre les acteurs .* Dlgation lexpertise scientifique collective, la prospective et aux tudes, Inra Paris.

revient aux propritaires privs, qui possdent environ 90% de la fort landaise, et qui ont estimer des retours sur investissement sur 50 ans. Des conomistes de lInra, Stphane Couture et Marielle Brunette (5) se sont intresss cette prise de dcision difficile et ont ralis des simulations o plusieurs propritaires ont t placs dans diffrentes situations de choix. Les composantes individuelles daversion au risque semblent dterminantes, indique Stphane Couture. Trs peu de propritaires sont assurs contre les risques tels que les

temptes. Une aide de lEtat contingente une prise dassurance serait sans doute plus efficace en ce sens quune aide forfaitaire aprs sinistre . Actuellement, environ 1 000 ha (une soixantaine de proprits) ont t plants des fins de culture nergtique, principalement pour la production de plaquettes destination des chaudires collectives et de lindustrie (6). Un quilibre se dessine en Aquitaine entre les cultures pour le bois duvre, qui favorisent le stockage de carbone, et les cultures nerg-

tiques qui permettront la substitution de carbone renouvelable au carbone fossile. Les outils fournis par la recherche pour quantifier les stocks de carbone et la capacit de squestration des forts sont utiliss pour les politiques rgionales. Ainsi, la rgion Aquitaine met en place un fonds volontaire pour le carbone , grce auquel des collectivits ou des oprateurs peuvent compenser leurs missions de carbone en achetant des crdits carbone, les fonds recueillis pouvant servir financer la reconstitution forestire.

Essence pas ordinaire

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a biomasse forestire reprsente la moiti des nergies renouvelables en France, loin devant lhydraulique, les dchets, la gothermie, lolien et le solaire. Si les essences du sud (pin, eucalyptus) sont adaptes la production de chaleur, lespce de prdilection pour la production de biocarburant (biothanol) est plutt une essence du nord : le peuplier, qui pousse sur des terrains souvent peu valorisables pour lagriculture et se caractrise par une croissance rapide.

Le peuplier, essence de choix LInra coordonne un projet denvergure consacr au peuplier vocation nergtique, Energy Poplar (7). Pour Francis Martin, de lInra de Nancy, qui coordonne le projet en 2012, nous aurons rempli notre contrat avec lUE, qui tait de fournir la filire cinq nouveaux cultivars de peupliers prsentant la plupart des caractristiques requises pour une production optimale de biothanol, savoir : une production rapide de biomasse arienne, un systme racinaire abondant et efficace et un ratio cellulose/lignine favorable la production de biothanol. Nous sommes en phase finale de lvaluation

CLAIRCIE SYSTMATIQUE dans une futaie de mlzes.

dune trentaine de cultivars lites dont nous mesurons actuellement les taux de transformation de la lignocellulose en glucose, puis en biothanol

ainsi que leur capacit de croissance et denracinement. Nous avons galement vrifi que ces cultivars caractristiques de croissance amliores navaientI NRA MAGAZINE N17 JUIN 2011XI

Inra / Luc Pques

DOSSIER

pas deffets ngatifs sur la diversit microbienne du sol des plantations . Ces cultivars ont t reprs parmi des milliers de gnotypes prcdemment obtenus par cration varitale au sein du GIS Peuplier (8). Pour effectuer cette slection, les chercheurs ont identifi plusieurs marqueurs gntiques associs la croissance des systmes ariens et racinaires. Ils ont galement optimis de nouveaux outils haut dbit, tels que la spectromtrie infrarouge, afin de mesurer les teneurs en lignocellulose partir de poudre de bois. Les rendements de transformation de la cellulose du bois en thanol sont trs variables entre les cultivars tests, confirmant tout lintrt dune slection gntique individuelle. Limiter la concurrence avec les cultures alimentaires Un des enjeux majeurs de la production de biocarburant est dviter la comptition avec les cultures alimentaires. Il est donc crucial de produire un maximum de biomasse sur des territoires rduits ou impropres lagriculture. Dans cet objectif, les chercheurs de l'Inra d'Orlans et de Nancy testent deux mthodes de production : les Taillis Courte Rotation et les Futaies Courte Rvolution (respectivement TCR et FCR). La premire correspond des arbres capables de faire des rejets aprs une coupe, tels que le peuplier, le robinier et le saule. Touffus, ces arbres fournissent une biomasse abondante rapidement et peuvent tre rcolts aprs deux sept ans, alors quil faut attendre une vingtaine dannes pour les futaies. Dans ce systme de TCR, les chercheurs s'attachent optimiser l'efficience de l'utilisation de l'eau et des nutriments pour rduire la fertilisation et lirrigation. Ils exprimentent pour cela leffet de la densit de plantation, du choix des espces et de la diversit gntique lintrieur dune espce, dans un rseau de sites ateliers cologiquement contrasts (Bourgogne, Centre, Bretagne (9)). Pour optimiser la phase de production dthanol, lInra est associ au dveloppement dun pilote PomacleBazincourt, prs de Reims, capable de traiter quotidiennement une trois tonnes de biomasse pour produire environ 500 litres de biothanol. Au pilote succdera un prototype (chelle x 50) avant le passage lchelle de lusine (chelle x 2 500) (10). Les recherches de lInra explorent les

EXPLOITATION DUN TAILLIS trs courte rotation de saules de deux ans.

nouvelles filires dexploitation du bois, de larbre au produit final, en intgrant les aspects physiologiques, gntiques et cologiques pour chaque systme de culture. Le volet conomique nest pas oubli. Le projet Energy Poplar a inclu une valuation du cot montaire de la production dthanol partir de cultures de peupliers. Les rsultats montrent que cette production est rentable car moins chre que le ptrole au cours actuel. Francis Martin relve cependant deux facteurs qui lui semblent limitants pour une production grande chelle selon les objectifs de la Commission europenne : lespace et les capacits dinvestissement. Trouver suffisamment despace ncessiterait une politique damnagement du territoire au niveau europen, certains pays (Bnlux, Royaume-Uni) tant limits sur ce point. Quant lattraction des investisseurs, elle dpendra du cot de largent , cest--dire des taux dintrt des banques centrales. Le laboratoire dconomie forestire de lInra de Nancy, qui a tabli le premier modle du secteur fort-bois franais, donne dautres lments de rflexion. Dabord, le cot conomique d'une augmentation massive et rapide de la production de biomasse nergie

d'origine forestire apparat lev. Ensuite, en termes de bilan GES, et sur la priode 2010-2020, il est plus efficace de stocker du bois in situ que de produire du bois nergie, mais ce rsultat devrait sinverser sur des pas de temps plus longs, du fait que le stockage de bois est limit terme, alors que les missions de GES vites travers la valorisation nergtique de la biomasse sont cumulables danne en anne.

Dossier rdig par Graud Chabriat et Pascale Mollier Responsable scientifique : Jean-Marc Guehl chef du dpartement Ecologie des forts, prairies et milieux aquatiques (Inra, Nancy)

(1) Aprs avoir limin la lignine, on produit de lthanol partir de la cellulose du bois, sous laction de champignons et de levures. (2) Inra de Bordeaux. Coordinateur de Xyloforest, projet slectionn en 2011 dans le cadre des Investissements davenir , qui permettra lacquisition dquipements pour favoriser linnovation depuis ladaptation des forts cultives au changement climatique, jusqu lingnierie du bois et la production de biomasse. (3) Xylomic, un des plateaux techniques de Xyloforest. (4) Plateforme Ecosylve de Xyloforest sur 40 ha au domaine de lHermitage. (5) Respectivement unit de recherche biomtrie et intelligence artificielle de lInra de Toulouse et laboratoire dconomie forestire de lInra de Nancy. (6) Dans le cadre du projet Climaq, avec le soutien de la Cooprative agricole et forestire sud-atlantique. (7) Energy poplar, projet europen (2008-2012), partenaires : Sude, Allemagne, Belgique, Royaume-Uni, Italie. Objectif : obtenir des peupliers optimiss pour la production de biothanol. (8) Le GIS Peuplier associe les comptences de l'Inra, du FCBA et du Cemagref pour conduire en France les travaux de R&D en matire de gntique, slection et protection phytosanitaire du peuplier. (9) Projets ANR Sylvabiom (2009-2012) et Intens&Fix (2011-2014). (10) Projet Futurol, 11 actionnaires financiers et de recherche-dveloppement, 50 quivalents temps plein, plus de 60 actions de recherche dont 30 thses, onze units Inra impliques.

+dinfosOweb :www.inra.fr/la_science_et_vous/le_point_sur/ les_forets

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Inra / Bndicte Rollin

une collection

O GRIGNON

La biodiversit des microbes

utiles

Le CIRM (1), Centre international de ressources microbiennes de lInra, mise sur la haute qualit de ses collections et des recherches quil mne. Cr en 2004, le Centre sappuie sur des collections dj constitues par les chercheurs : les bactries dintrt alimentaire Rennes, les bactries phytopathognes Angers, les bactries pathognes Tours, les champignons filamenteux Marseille ainsi que les levures Grignon, o Inra magazine a fait une incursion.

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ans le btiment du Centre des biotechnologies agroindustrielles, le visiteur est arrt par un sas vitr, barr du logo du Bureau Veritas, lorganisme qui a dlivr au CIRM en 2008 les certifications de qualit ncessaires son statut de centre de ressources biologiques (2). L, en accs restreint une poigne de personnes, les locaux du CIRM-Levures noccupent que quelques mtres carrs. Assez pour conserver une collection cryocongele de 1 500 souches en culture, soit des millions et des millions de levures, ainsi quune copie lyophilise. La levure est utilise depuis des millnaires pour ses capacits de fermenta-

tion (3) mme si ce nest quau XIXe sicle quelle a t dcrite comme champignon (4) unicellulaire. La collection de Grignon regroupe surtout des levures dintrt biotechnologique, utilises par lindustrie agroalimentaire (en nologie, boulangerie, brasserie, cidrerie, fromagerie, etc.), pour la production de mtabolites, de biocarburants ou encore pour lingnierie des sciences du vivant. Nous conservons la fois ces levures qui ont t slectionnes et les levures que lon trouve en milieu naturel, pour tablir des comparaisons. Le CIRM sintresse toutes les biodiversits explique Serge Casaregola, directeur du CIRMLevures, et coordinateur du CIRM

lchelle nationale, lequel fait partie du programme Biobanques (5) des Investissements davenir. Biobanques runit en tout sept Centres de ressources biologiques microbiens et 64 biobanques (ddies aux tissus humains) pour constituer un rseau national intgr. Ce programme prfigure la partie franaise dune future infrastructure europenne, dj inscrite sur la feuille de route de lEurope de la recherche. Le CIRM se positionne dj au plan international grce EMbaRC, projet de standardisation des mthodes et bases de donnes entre sept pays, que coordonne Sylvie Lortal du CIRM-Bactries dintrt alimentaire (Inra de Rennes).I NRA MAGAZINE N17 JUIN 2011 25

REPORTAGE

REPORTAGE

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La cryoconservation, pour le suivi courant de la collectionA moins 180C dans lune des quatre cuves dazote liquide, les levures se conservent indfiniment. Debaryomyces hansenii, une levure habituellement prsente dans le fromage, a ainsi t mise en culture aprs tre reste plusieurs sicles prisonnire dun glacier de lArctique. Au CIRM, six tubes sont prpars pour la cryoconservation dune souche. Chacun est dot dune pastille de couleur : en rouge le tube qui nest jamais ouvert ; en bleu les deux tubes de la collection de ressource (quand lun deux est ouvert, il faut refaire une culture) ; en jaune les deux tubes de la collection de travail dans laquelle une centaine de prlvements sont faits chaque anne pour rpondre aux commandes (les souches sont envoyes dans un milieu de culture en bote de Ptri). Enfin, un tube sans pastille sert vrifier la viabilit de la souche un mois plus tard. Si un problme de contamination survient, lquipe a recours la collection lyophilise.

La lyophilisation, une scurit supplmentaire Les levures prennent une belle coloration blanche dcrit Christelle Louis-Mondsir, adjointe la gestionnaire de la collection, fire de sa lyophilisation. Pour chaque souche conserver, les cultures sont prpares dans un liquide protecteur, rparties dans douze ampoules de verre et refroidies jusqu atteindre ltat solide. Les ampoules sont alors places dans le lyophilisateur qui fait le vide tout en asschant la colonie, lui permettant d'tre conserve de trs nombreuses annes. Le processus prend deux heures. Les ampoules scelles sont ensuite conserves temprature constante de 4C. Cinq restent sur place, six rejoignent le stock de scurit dans les locaux dAgroParisTech Paris et la dernire ampoule sert de test.

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La preuve par la gnomiqueLe CIRM garantit la fiabilit de ses donnes molculaires, taxonomiques, physiologiques et phnotypiques. Lidentification et la description dune souche peuvent prendre plusieurs semaines avant la mise en collection. Cela passe par la caractrisation molculaire (squenage de rgions cls de lADN) et par la caractrisation phnotypique (tests de fermentation, tests de croissance diffrentes tempratures, entre 30 et 40 C, sporulation, etc.) L'lectrophorse est ici utilise pour vrifier quune extraction d'ADN a fonctionn. Grce la gnomique, indique Serge Casaregola, notre travail de taxonomie repose sur des bases fiables. Cependant, nos savoirs restent incomplets : presque toutes les levures du fromage ont t identifies mais nous ne savons pas quelles sont leurs contributions prcises au got et la texture lors de l'affinage, ni comment elles interagissent entre elles et avec les autres flores, bactriennes et fongiques, dans l'cosystme fromage .

Les collections comme supports de recherchesUn quipement comme ce micromanipulateur permet Nomie Jacques, responsable qualit du CIRMLevures et gestionnaire de la collection, disoler les spores de deux levures dintrt et de crer une nouvelle souche hybride pour rpondre un contrat de recherche industriel. Elle vrifie ensuite la stabilit du gnome long terme. Les levures sont aussi de bons modles pour la recherche fondamentale. Le CIRM-Levures a notamment particip, en collaboration avec l'quipe de Sylvie Dequin (Inra Montpellier), la mise en vidence des mcanismes dvolution par transfert horizontal de gnes entre espces, frquents chez les bactries mais rares chez les levures. Les scientifiques ont montr que la souche de Saccharomyces cerevisiae (bote de Ptri de droite) la plus utilise pour la vinification avait emprunt 34 gnes des espces trs loignes pour sadapter un environnement trs acide, trs alcoolis, trs sucr.

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fMagali Sarazin, Reportage photos : Christophe Matre(1) Gr par lInra, le CIRM est un groupement dintrt scientifique, cest--dire un contrat de coopration scientifique entre plusieurs parte