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© (1997) Swiss Political Science Review 3(3): 1-102 Integration des acteurs non-etatiques dans les politiques sociales: quel jeu, quelles limites pour les villes suisses Pierre GENTILE Résumé Depuis quelques années les pratiques de l'État en matière d'action so- ciale tendent à se modifier à travers l'intégration toujours plus impor- tante d'acteurs non-étatiques dans la gestion des affaires publiques. Dans le présent article, nous aimerions mettre en avant certaines des conditions nécessaires à l'application au niveau communal de pro- grammes d'action sociale basés sur la coordination par les pouvoirs pu- blics des prestations fournies par des associations privées actives sur le terrain. A travers des études de cas, nous aborderons également les principaux problèmes rencontré par deux villes qui, de manière volon- tariste, ont mis en place de tels programmes. Introduction Transformation de l'action sociale Depuis quelques années nous assistons, 1 dans les politiques sociales, à l'émergence d'une nouvelle subsidiarité, 2 qui implique l'intégration d'acteurs non-étatiques dans la mise en oeuvre et parfois même l'élaboration de pro- grammes d'action. Cette nouvelle subsidiarité repose sur des prémisses quelques peu différents de ceux de la subsidiarité traditionnelle. Si cette dernière était basée sur l'idée que l'État prenait en charge un problème social 1 Nous tenons à remercier Katia Horber-Papazian pour ses conseils et son soutien lors de l'élabora- tion de la présente version. Nous tenons également à remercier Andreas Ladner qui a mis à notre dis- position les résultats de son enquête sur les administrations communales de Suisse, ainsi que Sandro Cattacin pour son aide et son soutient. Une première version de ce papier a été présentée au Congrès des Sciences sociales suisses, Berne 11-14 octobre 1995. 2 Le terme "nouvelle subsidiarité" est emprunté à Bütschi et Cattacin (1993: 373). Pour eux, ”the new practice of subsidiarity implies that it is the state which asks civil society to organise solidarity”.

Integration des acteurs non-etatiques dans les politiques sociales: quel jeu, quelles limites pour les villes suisses

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© (1997) Swiss Political Science Review 3(3): 1-102

Integration des acteurs non-etatiques dans les politiques sociales:

quel jeu, quelles limites pour les villes suisses

Pierre GENTILE

Résumé Depuis quelques années les pratiques de l'État en matière d'action so-ciale tendent à se modifier à travers l'intégration toujours plus impor-tante d'acteurs non-étatiques dans la gestion des affaires publiques. Dans le présent article, nous aimerions mettre en avant certaines des conditions nécessaires à l'application au niveau communal de pro-grammes d'action sociale basés sur la coordination par les pouvoirs pu-blics des prestations fournies par des associations privées actives sur le terrain. A travers des études de cas, nous aborderons également les principaux problèmes rencontré par deux villes qui, de manière volon-tariste, ont mis en place de tels programmes.

Introduction

Transformation de l'action sociale

Depuis quelques années nous assistons,1 dans les politiques sociales, à l'émergence d'une nouvelle subsidiarité,2 qui implique l'intégration d'acteurs non-étatiques dans la mise en oeuvre et parfois même l'élaboration de pro-grammes d'action. Cette nouvelle subsidiarité repose sur des prémisses quelques peu différents de ceux de la subsidiarité traditionnelle. Si cette dernière était basée sur l'idée que l'État prenait en charge un problème social

1 Nous tenons à remercier Katia Horber-Papazian pour ses conseils et son soutien lors de l'élabora-tion de la présente version. Nous tenons également à remercier Andreas Ladner qui a mis à notre dis-position les résultats de son enquête sur les administrations communales de Suisse, ainsi que Sandro Cattacin pour son aide et son soutient. Une première version de ce papier a été présentée au Congrès des Sciences sociales suisses, Berne 11-14 octobre 1995.

2 Le terme "nouvelle subsidiarité" est emprunté à Bütschi et Cattacin (1993: 373). Pour eux, ”the new practice of subsidiarity implies that it is the state which asks civil society to organise solidarity”.

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2 PIERRE GENTILE

que lorsque les associations de la société civile n'arrivaient plus à y faire face, la nouvelle pratique de l'État distingue l'agir de la pensée. Elle repose sur le principe que si l'État peut mieux préparer et coordonner une politique publique, les associations actives sur le terrain sont plus à même de l'im-planter efficacement auprès des publics cibles.3 Dans cette optique l'État ne cherche pas à tirer parti de la force d'une "main invisible" régissant les lois du marché, mais bien au contraire tente de regrouper dans un réseau les or-ganismes privés actifs,4 dans l'intention de transformer la concurrence qui existe entre ces organisations en collaboration.

Les communes sont-elles réellement concernées?

Cette évolution de rôle de l'État, d'abord observée en Allemagne par Willke (1992),5 a été mise en avant dans les politiques fédérales de lutte contre l'al-coolisme et le sida (Bütschi et Cattacin 1994) ainsi que dans les pratiques de l'Office Fédéral de la Santé Publique (OFSP) face à aux problèmes liés à la toxicomanie (Kübler 1993). Bien que présentes dans quelques études consacrées à des politiques sectorielles au niveau subnational (Fatteberg 1995; Gentile 1995; Kübler 1995; Panchaud et Vitali 1995) aucune recher-che n'a, à notre connaissance, été menée sur cette évolution au niveau com-munal. Or, sous la pression des problèmes et celle des coûts les villes suis-ses sont de plus en plus incitées à innover en matière de politique sociale. Pression des problèmes, car les communes déjà confrontées à une augmen-tation des tâches dans d'autres domaines que le social (mesures de protec-tion de l'environnement, croissance du trafic urbain, etc.), se trouvent asso-ciées à la gestion de la nouvelle question sociale telle que mise en avant par

3 Cette conception ne correspond donc pas au désengagement de l'État prôné par les théoriciens

néo-libéraux, pour qui l'État devrai éviter de s'initier dans la gestion des problèmes sociaux et les nom-breux débats traversant la société civile qui les accompagnent. En accord avec cette conception, l'État devrait s'en remettre au secteur privé tant pour ses capacité à penser des solutions variées que pour ses capacités à les mettre en oeuvre. Autrement dit tant la pensée que l'agir devrait relever des compéten-ces de la société civile.

4 ”Un réseau d'acteurs est constitué par des organismes privés et/ou publics qui entretiennent, entre eux, des contacts réguliers dans le cadre d'un problème qu'ils doivent gérer en commun. Il est possible de distinguer les réseaux monofonctionnels s'occupant d'une politique publique spécifique, des réseaux multifonctionnels qui recouvrent plusieurs fonctions. Les acteurs s'engagent dans un réseau pour béné-ficier de prestations que les autres participants peuvent leur fournir, ce qui implique un échange mutuel de ressources. Ces ressources, qui lient les membres du réseaux, sont de nature diverse. Le temps, l'argent, le prestige, l'appui politique, et l'information sont celles usuellement échangées” (Gentile 1995).

5 Dans une optique luhmannienne, Willke considère que le sous-système politique ne peut agir ef-ficacement, dans un contexte moderne marqué par une forte différentiation fonctionnelle, qu'en adop-tant une fonction de superviseur vis-à-vis des autres sous-systèmes dans lesquels il est supposé inter-venir. Dans ce sens, il doit pouvoir jouer sur les potentialités qu'il peut déceler dans ces sous-systèmes.

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Rosanvallon (1995).6 En effet, tous les niveaux du système fédéraliste suisse sont concernés par le développement des phénomènes d'exclusion sociales (chômage de longue durée, cas de marginalisation dû à la toxico-dépendance). Pression des coûts, car les caisses communales ont déjà été mises à rude épreuve tant par les investissement consentis pour la protection des eaux (station d'épuration, séparateurs), que par la construction des abris de la Protection Civile imposée par la Confédération, ou encore par les grands chantiers décidés en période de hautes conjoncture (écoles, centre sportifs). La mise sur pied de programmes sociaux doit donc tenir compte d'un contexte de ressources relativement limitées; ceci d'autant plus que les hausses d'impôts n'apparaissent pas comme une solution politiquement en-visageable aux yeux de la plupart des élus. Il n'est donc pas étonnant que près de la moitié (46.5%) des responsables communaux perçoivent, entre 1984 et 1994, une augmentation de la conflictualité qui entoure la politique sociale dans leur commune (Geser et al. 1996: 159). Signalons encore qu'un troisième type de pression s'ajoute à celles énon-cées, et incite les administrations à s'ouvrir en direction du public. Avec la recrudescence des activités des divers "mouvements sociaux" au tournant des années quatre-vingt en Suisse (Guigni 1991 et 1995), les demandes al-lant dans le sens d'un élargissement de la sphère du politique à la société civile, se font de plus en plus pressantes surtout dans les domaines du social et de la culture. En effet, comme corollaire des demandes d'autonomie indi-viduelle face à l'État, les mouvements sociaux ont été porteur d'une recon-naissance de la capacité d'auto-organisation et d'innovation dont le monde associatif pouvait faire preuve dans les solutions qu'il apporte à de nom-breux problèmes sociétaux (centre culturels, crèches, coopératives immobi-lières, etc.). Suite aux mobilisations des années quatre-vingt, l'État ne peut plus ignorer les activités des associations de la société civile qui visent à créer de nouvelles solidarités contre l'exclusion (Sleep-in, culture à bas prix, accueil de requérants, lutte contre la discrimination des homosexuels, coo-pératives immobilières, mouvement de solidarité, etc.). Comme le montre l'exemple de la lutte fédérale contre la toxicomanie (Kübler 1993), ainsi que celui de la politique d'accueil des requérants (reposant sur l'Office suisse d’aide aux réfugiés) ces associations peuvent représenter un capital de sa-voir faire et de connaissances techniques indispensable à l'action de certai-

6 Pour Rosanvallon (1995: 10): ”La conception traditionnelle des droits sociaux s'avère de son côté inopérante pour traiter le problème majeur de l'exclusion. L'Etat-providence traditionnel fonctionne en effet comme une machine à indemniser. C'est un "Etat-providence compensateur", qui repose sur le principe de la dissociation entre l'économique et le social. Les droits sociaux sont simplement des droits de tirage. Dans un contexte de chômage de masse et de croissance de l'exclusion, cette vision des droits comme compensateurs d'un dysfonctionnement passager (maladie, chômage de courte durée, etc.) devient inadaptée. Conçue pour traiter des situations appréhendées comme des risques conjonctu-rels, elle ne convient plus pour gérer des états hélas plus stables.”

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4 PIERRE GENTILE

nes administration étatiques.7 L'utilité des organisations de la sphère privées pour l'État ne se limite bien évidemment pas à cette fonction d'expert. Comme le précisent Panchaud et Vitali (1995) avec le "processus d'indivi-dualisation sociale et de pluralité culturelle" les pouvoirs publics, s'il veu-lent rester à l'écoute des demandes exprimées par la société civile, doivent tenir compte de l'existence de demandes différentiées face à un problème social donné au sein de cette dernière. L'État moderne a, en conséquence, besoin de relais auprès de la société civile pour connaître les besoins des divers publics cibles des programmes qu'il met en route et en oeuvre. Tirant les conclusions de diverses études de terrain menées pour le compte du mi-nistère de l'Équipement en France, Brachet (1995: 92) va même jusqu'à af-firmer que ”si le partenariat est la démarche indispensable au respect des principes du service publique, c'est parce que l'organisme public n'est pas en mesure de satisfaire complètement à lui seul ce besoin de connaissance des usagers”. On assiste donc peu à peu à une reconnaissance étatique de l'acti-vité des groupes d'auto-assistance qui permettent tant de raffermir le lien social de part leur proximité du citoyen, que de faire connaître les problè-mes ainsi que les solutions acceptables auprès de l'État. Comme le précise Laville (1994: 78): ”le renouveau de l'action publique passe par l'établisse-ment d'une véritable synergie avec les initiatives de la société civile”. Il est important de relever que s'il est positif que l'État se mette de plus en plus souvent à l'écoute des groupes d'auto-assistance agissant au sein la société civile, il ne doit pas pour autant oublier de tenir compte de la sensibilité du reste de la population. A ce propos, Kübler (1995) fait très justement remar-quer que des conflits du type NIMBY opposant les habitants d'un quartier aux autorités locales, lors de la mise en oeuvre sur le terrain de mesure de préventions destinée aux toxicomanes, peuvent être résorbés grâce à des procédures de médiations. Tout au long de cet article, nous aimerions discuter des conditions néces-saires pour qu'une administration communale puisse implanter et gérer des programmes d'action sociale basé sur l'intégration des acteurs non-étatiques. Car même lorsque un exécutif local possède la compétence d'intervenir dans un champ donné,8 sa seule volonté ne constitue pas l'unique variable expli-

3).

7 Ce rôle de conseiller que peuvent jouer les associations de la sphère publique n'est pas propre à la Suisse. Dans un article consacré à la globalisation des demandes des nouveaux mouvements sociaux, Passy souligne le rôle d'expert-conseil des organisations non-gouvernementales (NGO) pour l'Organisation des Nations Unies: ”..the competences of external NGOs are relevant. Most of the time, they complete the action of UN experts and can be an interesting remedy to the weak resources of the UN administration” (Passy 1995: 1

8 Cette compétence pour intervenir peut revêtir différentes formes. Les deux exemples dont nous discuterons dans les pages suivantes illustrent bien deux types de compétence communale largement répandues. Dans le cas des cours de base pour adultes dans le canton de Vaud, il n'existe aucune base légale qui attribue à l'un ou à l'autre des niveaux du système fédéral le devoir d'agir. Dans ce cas de

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cative du succès ou de l'échec d'une telle entreprise. Nous évoquerons éga-lement les difficultés que les autorités communales peuvent rencontrer dans cette entreprise à partir du moment où elles se sont décidées en faveur d'un programme volontariste. Nous nous intéresserons donc à la phase de mise en oeuvre et non à celle de conceptualisation de politiques sociales "nou-velle teneur" retenues. Pour ce faire, nous allons nous appuyer sur les recherches sectorielles existantes, ainsi que sur deux études de cas menées à l'Institut d’Hautes Etudes en Administration Publique (IDHEAP). La première concerne le dé-veloppement des Spitex (soins à domicile) en ville de Zurich,9 alors que la deuxième se réfère à la mise en place d'un programme pour la formation de base des adultes en ville de Lausanne. Le choix de ces deux études ne doit rien au hasard. La mise en place, au niveau communal, de politiques basées sur les principes de la nouvelle subsidiarité est un phénomène encore relati-vement rare. Concernant les deux études de cas retenues, il s'agit d'expé-riences pilotes initiées dans des grandes villes suite à une réflexion menée par les autorités administratives ou politiques de la commune. Toutes deux impliquent la participation active de plusieurs associations privées. Enfin, ces deux expériences étaient en cours lorsque nous avons rencontré certains des acteurs fortement impliqués.10 Avant d'en arriver à la description détaillée de ces études, il nous faut faire un détour par la littérature consacrée aux diverses formes de collaboration public-privé – formant le cadre général de la "nouvelle subsidiarité" –, de manière à cerner au mieux la spécificité des politiques observées. Car l'ouver-ture vers le secteur privé de l'administration publique, répondant à des contraintes multiples, donne naissance à diverses formules de collaboration; formules allant de la délégation à la mise en place de programmes incitatifs.

figure, une commune est, en accord avec le principe traditionnel de la subsidiarité, libre d'intervenir ou non pour tenter de régler le problème de l'illétrisme. Dans le deuxième exemple que nous discutterons, le cas des Spitex dans le canton de Zurich, les communes ont l'obligation légale de prendre en charge une partie importante des coûts. A partir de là, elles peuvent décider dans une large mesure de la ma-nière dont elles financent et supervisent les soins ambulatoires. Elle possèdent, de plus, une large marge de manoeuvre dans la définition des Spitex (élargissement du public cible, introduction de pres-tations complémentaires, etc.).

9 Cette et à été menée sous la direction du professeur Peter Knoepfel dans le cadre du Programme national de recherche 27 (Gentile 1995), tandis que la deuxième, d'envergure plus modeste, a été réali-sée spécifiquement pour l'objet de cet article.

10 Nous aimerions remercier ici toutes les personnes qui ont accepté de donner de leur temps pour répondre à nos questions. Ces deux études de cas ayant été menés entre 1994 et 1995, il est probable que lors de la parution du présent article, certains développements présentés ici comme étapes ultérieu-res aient déjà eu lieu. Du fait que nous nous intéressons à la phase de mise en oeuvre initiale de ces programmes et non à l'évaluation de leur efficacité ces développements ne devraient pas remettre en cause les conclusions de cet article.

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6 PIERRE GENTILE

Les différentes ouvertures du secteur public vers les associations privées

Si dans le domaine social on assiste depuis quelques années à l'émergence d'un nouveau mode d'action de l'État basé sur la "nouvelle subsidiarité" pré-cédemment évoquée, le recours au secteur privé pour concrétiser une me-sure décidée par les autorités n'est nouveau ni au niveau fédéral, cantonal ou communal. Ce recours repose bien souvent sur une délégation de compé-tence, et plus rarement sur un partenariat public-privé. A la différence des réseaux de collaboration mis en place par les administration dans une pers-pective de "nouvelle subsidiarité", ces collaborations ne concernent tradi-tionnellement qu'un nombre très limité d'acteurs (un ou deux organismes privés traitant directement avec un service de l'administration). De plus, ces organismes sont le plus souvent des entreprises à but lucratifs et non social.

Les formes traditionnelles de collaboration public-privé

imple déléga-

ritable partenariat entre public et privé, les autorités

Ces collaborations prennent le plus souvent la forme d'une stion de compétences. Dans ce cas de figure, l'administration cherche une entreprise ou une association privée, à qui elle peut déléguer l'exécution d'une tâche bien précise. Cette délégation prend usuellement la forme d'un contrat qui fixe les prestations que l'organisme privé doit fournir ainsi que les montants qu'il peut en retirer (payement direct de l'État, taxes aux usa-gers, etc.). L'État garde donc le contrôle des buts et des coûts de sa politi-ques, les moyens étant laissé, dans une certaine mesure, à celui qui a reçu la délégation. En d'autres termes, l'État garde l'entière responsabilité de la me-sure concernée. Dans le cas d'un véne peuvent plus imposer leurs vues. Le budget consacré à la mesure que les pouvoirs publics espèrent mettre en place avec l'appui du secteur privé fait, lui-même, l'objet d'une négociation; les communes ne gardant que le contrôle de la part qui leur incombe (et qui est le plus souvent soumise au vote du législatif). Dans le cadre d'un partenariat, les autorités doivent donc composer avec le ou les partenaires qui, comme le souligne Manfrini (1994), doivent être considérés comme de véritables associés partageant un but commun avec les pouvoirs publics. Si pour cet auteur, le but commun réunissant des associés permet de caractériser le partenariat, Mackintosh pense qu'il faut réserver le terme de partenariat aux relations durables qui amènent un bénéfice social qui ne pourrait être atteint sans la collaboration du secteur public avec le secteur privé (cité dans Malpass 1994: 304). Pour notre part, nous rejoignons la définition plus englobante donnée par Manfri-ni, tout en gardant à l'esprit que si l'État entre dans une logique de partena-

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riat, et non de délégation, c'est vraisemblablement pour réaliser des objectifs qu'il ne pourrait envisager d'atteindre seul qu'au prix d'un investissement bien supérieur à celui qu'il fournit dans le cadre du partenariat. Il est à relever que la partenariat, au même titre que les politiques basées

La nouvelle subsidiarité

s de cette forme d'action de l'État aient déjà été

incipes

sur le principe de la "nouvelle subsidiarité", implique une gestion plus ou-verte de la part des municipalités, envers leurs partenaires à tout le moins.11

Bien que les grandes ligneénoncées dans les premières pages de cet article, il nous semble nécessaire de préciser quelques unes de ses caractéristiques. Nous l'avons dit, le re-cours au secteur privé ne découle pas d'une logique néo-libérale prônant les vertus régulatrices du marché pour résoudre des problèmes sociaux desquels l'État devrait se distancer s'il ne veut pas devenir juge et partie dans les conflit sociaux. A l'opposé d'une telle vision, la nouvelle subsidiarité cher-che à coordonner les activités des organisations privées retenues pour met-tre en oeuvre une politique publique sur le terrain; ceci en favorisant la col-laboration au détriment de la concurrence entre acteurs concernés.12 Pour ce faire, la réalisation d'une politique en accord avec les prde la "nouvelle subsidiarité" implique l'existence ou, le cas échéant, la cons-titution, d'un réseau réunissant les divers services administratifs concernés, les organisations privées, des experts (universitaires, bureaux de consul-tants). Pour constituer ce réseau, les pouvoirs publics, conscients de leur manque de ressources, de connaissances et de savoir faire, cherchent dans la société civile des organisations capables de mettre en oeuvre les politiques qu'ils ont définies.13 Précisons que si de telles organisations n'existent pas, les pouvoir publics peuvent initier une ou plusieurs associations, à travers un programme incitatif. Un tel programme met à disposition d'individus

11 Sur ce point, nous rejoignons donc les reflexions de Malpass sur les conditions de l'ouverture des

administrations locales au secteur privé en Angleterre lorsqu'il écrit: ”..new local governance creates a new decision making environment, requiring councils and their staffs to be more engaged with other providers and to have a more open, outward looking approach” (Malpass 1994: 302).

12 Dans une étude comparative portant sur les relations entre les pouvoirs publics et les associations actives dans le champ de VIH/sida en Italie et en Suisse, Panchaud et Vitali (1995) soulignent le degré moindre de conflits entre associations dans le cas helvétique qui a vu l'Etat intervenir selon les princi-pes de la "nouvele subsidiarité", par rapport au cas italien dans lequel l'Etat a adopté une approche médicalisée qui tient à l'écart des processus de concertation et de décision plusieurs associations pour-tant actives sur le terrain.

13 Ce n'est donc pas uniquement le manque de ressources financières qui conduit les pouvoirs pu-blics à une telle démarche. Il existe notamment des solutions au stress fiscal des pouvoirs locaux qui vont à l'encontre des principes qui sous-tendent la nouvelle subsidiarité. Perlmutter et Cnaan (1995) donne l'exemple de la pratique du "fund-raising" pratiqué par des villes américaine qui cherche des fonds dans le privé pour que l'État puisse agir directement (ces auteurs présentent l'exemple de la poli-tique des sports de la ville de Philadelphie).

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prêts à s'engager dans cette mise en oeuvre, un subside de départ couvrant leurs frais durant une période initiale préalablement déterminée (Bütschi et Cattacin 1994). En d'autres termes, les pouvoirs publics garantissent à des "entrepreneurs sociaux" la mise de départ si ceux-ci s'engagent à agir en accord avec les vues des autorités, et à trouver des sources de financement extérieures après la période initiale, de manière à réduire les subsides pu-blics. L'administration, soucieuse de garder la maîtrise de la politique concernée, reste donc, comme nous le verrons à travers nos deux études de cas, l'acteur moteur capable d'initier des changements substantiels au sein du réseau. La "nouvelle subsidiarité" implique donc l'existence d'un État vision-

es réseaux, les autorités doivent logiquement disposer d'informations sur les potentialités

Avant d'aborder la description des deux expériences retenues pour illustrer les possibilit sée sur les principes de la "nouvelle subsidiarité" au niveau communal, quelques re-

naire, stable et conséquent. Un État capable de créer ou de transformer la pratique, et parfois même le statut, des organisations privées de manière à ce que ces dernières soient à même de mettre en oeuvre la politique qu'il a largement contribué à définir. Concrètement, pour agir sur la pratique des associations dont il veut s'assurer le concours, cet Etat doit pouvoir disposer de ressources non-négligeables; car la collaboration des organismes privés est essentiellement motivée par l'obtention de fonds publics. Précisons encore que pour pouvoir "piloter" l'activité d

des divers acteurs qui le composent. Elles doivent notamment être en me-sure d'évaluer la qualité du travail fourni par les diverses associations. Ceci implique, dans le cas où plusieurs organismes fournissent un même type de prestations, l'existence de critère d'évaluation permettant la comparaison entre divers acteurs. Il n'est donc pas étonnant que l'administration cherche à évaluer régulièrement l'activité des réseaux d'acteurs qui permettent la mise en oeuvre de politiques publiques. De telles évaluations passent bien souvent par la mise au point de "standards de qualités" permettant de se faire une idée du rapport qualité/prix des prestations fournies par différents acteurs du réseaux. Elles impliquent également une certaine transparence tant des acteurs privés que de l'administration.

La nouvelle subsidiarité au niveau communal

és de mettre en oeuvre des politiques sociales ba

marques préliminaires s'imposent. Premièrement, nos études se situent dans des villes importantes soumises à de nombreux problèmes sociaux qui né-cessites la mise en place de structures de prise en charge permanentes de la part des autorités. La pression des problèmes ne permet donc plus une réso-

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INTEGRATION DES ACTEURS NON-ETATIQUES 9

lution au coup par coup de cas individuels (contrairement à ce qui peut être de mise dans une commune de petite taille). La deuxième remarque concerne le but que nous recherchons en expo-sant rapidement des expérience de "nouvelle subsidiarité" à un niveau local. Comme précisé, nous sommes intéressés par les conditions de mise en oeu-

ia-

Avant que les citoyens du canton de Zurich ne décident, en septembre 1987 large mesure les coûts des soins à domicile en

les Spitex fussent rentrés dans son domaine de r de développer les Spitex selon

s au point un "Leitbild" (plan di-

vre des politiques sociales basées sur de tels principes au niveau des com-munes, tout en exposant les difficultés inhérentes à l'opération. A travers cet article, nous ne cherchons donc ni à juger le bien fonder, ni à évaluer les résultats des politiques sectorielles abordées. De ce fait, nous ne sommes pas intéresser à comparer la qualité finale des services offerts dans les villes retenues avec ce qui se fait dans d'autres municipalités suisses. Nous sommes cependant conscients qu'une telle évaluation serait indis-pensable à qui voudrait démontrer que les politiques basées sur les principes de "la nouvelle subsidiarité" sont effectivement économiquement et soclement intéressantes tant pour les pouvoirs publics que pour les associations impliquées.

Le développement des Spitex en ville de Zurich

lors d'une votation cantonale, de transférer dans unedes Spitex du canton aux communes,14 l'organisation ville de Zurich était l'affaire d'une multitude d'organisations privées, four-nissant l'une ou l'autre des prestations que recouvrent les Spitex. Depuis le début du siècle, ces organisations déterminaient tant l'étendue de ses presta-tions que les ayant droit.

Le développement des Spitex 1988-1994 Quelques mois après quecompétence, la ville de Zurich a eu à coeuses propres voeux. Pour ce faire, elle a mirecteur) dans lequel elle a défini ce qu'elle attendait, pour les années à venir, du développement des Spitex: • Une meilleure coordination des activités des diverses organisations pré-sentes sur le terrain;

14 Les Spitex recouvrent trois catégories de prestations qui permettent le maintien à domicile d'un

individu lorsque ses forces, celles de sa famille ou de son voisinage ne le permettent plus: les Gemein-dekrankenpflege (soins ambulatoires, suivi et contrôle des patients, etc.); les Hauspflege (soins légers à domicile, conseils pour l'aide à domicile, etc.); les Haushilfe, traditionnellement pris en charge par Pro Senectute (activités pour les personnes âgées ou handicapées, aide à domicile pour les corvées ménagères, aide dans l'application des soins corporels, etc.).

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10 PIERRE GENTILE

• Le regroupement par quartier des diverses prestations Spitex dans un même bâtiment (Spitex-Zentrum);

intérieur de ces centres);

iers de la ville;

escents de pro- Spi-

qui sera le leur. Concrètement, la ville de Zurich a choisi

,16 en parallèle à cette

• Un numéro d'accès unique pour chaque centre (qui oblige les organisa-tions à collaborer effectivement à l'• Inciter les médecins à collaborer avec les centres de leur quartier (voire à y pratiquer des interventions ambulatoires); • Arriver à définir des critères de qualité permettant d'égaliser l'offre en matière de soins à domicile entre les 21 quart• Concevoir une ouverture prolongée des centres (ouverture de nuit); • Permettre aux personnes handicapées, ainsi qu'aux convalfiter des prestations offertes par les organisations prestataires de soinstex. En ouvrant les Spitex aux convalescents, les autorités espéraient pou-voir opérer un transfert de ressources du secteur hospitalier vers les Spitex, en économisant au passage quelques deniers (le coût d'une journée d'hospi-talisation pour un convalescent étant nettement plus élevé qu'une journée de Spitex). Outre les objectifs à atteindre, les autorités communales délimitent, dans ce document, le rôlede s'appuyer sur les organisations déjà existantes pour mettre en oeuvre les changements souhaités. Pour inciter les divers organismes privés fournissant des prestations Spitex à mettre en oeuvre les changements désirés, les pou-voirs publics ont clairement liés l'obtention des subventions à la réalisation des buts énoncés dans le Leitbild. Pour mettre sur pied les centres de quartier, les autorités communales ont cherché à conseiller et orienter les organisations privées lors de l'élaboration de ces Spitex-Zentrum, sans pour autant s'immis-cer dans leur organisation. Pour ce faire, elles ont orienté l'action d'un de leur service (la Zentralstelle Spitex15) vers un rôle de conseillé pour les organisa-tions privées. Ce service a notamment poussé, avec succès dans plusieurs quartiers, les Gemeindekrankenpflege et les Hauspflege a fusionner. Une fois les centres de quartier montés, les pouvoirs publics n'interviennent que très marginalement dans leur gestion, permettant ainsi aux diverses organisations privées de maintenir une large part de leur autonomie. Le rôle de la ville ne s'arrête pourtant pas à cette fonction de conseiller. Le département en charge des problème de santé mène

15 Service de l'administration municipale, inclus dans le Gesundheits-und Wirtschaftsamt, qui a pris

de l'ampleur après l'adoption du Leitbild (passant d'un poste pour une personne à un service de huit per

des hôpitaux aux Spi

sonnes). Il est chargé de conseiller les organisations privées lorsqu'elles démarrent un centre com-mun, et de vérifier que ces organisations respectent leurs engagements envers l'État.

16 Il s'agit du "Gesundheits- und Wirtschaftsamt" dirigé depuis 1986 par Wolfgang Nigg. Le secré-tariat du Département s'occupe de la planification des politiques sanitaires (allant

tex). Les mandats confiés à des bureaux privés (tels BRAINS), qui, nous le verrons, ont joué un rôle primordial dans le développement effectifs des Spitex, dépendent également de ce secrétariat.

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construction des centres, des expériences pilotes dans certains quartiers en vue de développements futurs des Spitex.17 Après avoir initier le regroupement des organisations privées dans les centres de quartier,18 la ville a mis en place une deuxième phase du dévelop-pement des Spitex. En 1993, le secrétariat du Gesundheits- und Wirtschaft-samt a mandaté le bureau BRAINS pour évaluer le développement des Spi-tex, et proposer des voies menant à la réalisation des objectifs non encore atteints (parmi lesquels l'uniformisation des prestations entre les quartiers, qui implique de disposer de critères pour définir une qualité standard des prestations et être en mesure de comparer ce qui se fait dans les différents centres, ainsi que l'ouverture nocturne.). Après avoir organisé une vaste consultation auprès des organisations de quartier ce bureau privé a remis un rapport à la ville, à la fin de l'été 1993. De ce rapport sont nés quatre grou-pes de travail participatifs qui se penchent sur les recommandations du bu-reau BRAINS.19 Ces groupes devraient arriver relativement rapidement à des résultats, de manière à ce que les changements dans l'organisation de Spitex soit effectifs dès 1996. Il est possible d'identifier deux raisons principales pour lesquelles la ville a choisi de faire appel à un consultant extérieur pour mettre en route la deuxième phase du développement des Spitex. D'une part le travail d'éva-luation des résultats obtenu, pour éviter des critiques de partialité, impli-quait qu'il soit effectué par un acteur extérieur au réseau des Spitex. D'autre part, l'élaboration des standards de qualité, n'est pas une entreprise aisée. Elle entraîne une réflexion au niveau de la ville (et donc un dépassement de l'horizon du quartier, qui est bien souvent celui des petites organisations prestataires des soins permettant le maintien à domicile). Cette étape mar-que donc le passage d'une concurrence délimitée territorialement dans les quartiers à une concurrence au niveau de la ville pour le partage global du gâteau. Un tel passage ne pouvait se faire sans l'accord des organisations concernées. Le rôle de médiateur de BRAINS entre les desideratas de la ville et les organisations de base consultées a été, sans aucun doute, primor-dial dans cette acceptation.

Aux sources du changement

17 Expériences comme celle du maintien à domicile de personnes handicapées grâce à une collabo-ration entre un centre Spitex et Pro-Infirmis ("Servicewohnungen Brahmshof").

18 Cette phase n'était pas encore pleinement achevée lorsque la ville a décider de mandater le bu-reau BRAINS. Lorsque ce dernier rendait son rapport, quelques mois plus tard , seuls 17 des 21 quar-tiers de la ville possédaient un centre opérationnel regroupant les trois prestations Spitex sous un même toit et avec un même numéro d'appel.

19 Groupes de travail dans lesquels on retrouve l'ensemble des acteurs actifs en matière de soins à do-micile, ce qui marque la volonté de la ville d'ouvrir la reflexion sur le développement des Spitex à la base (les organisation sur le terrain, sans l'aval desquelles aucune nouvelle innovation ne serait possible).

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Un acteur communal a joué un rôle moteur dans la rédaction, puis l'applica-

ues

d'organisations privées,

tion du Leitbild. Il s'agit de l'un des membres de l'exécutif de la ville de Zu-rich, directeur du département en charge des problèmes sanitaire. Il convient de signaler que ce magistrat a dirigé pendant deux ans une organi-sation privée de Gemeindekrankenpflege dans le 2ème arrondissement de la ville, ce qui permet de comprendre son implication personnelle dans le dé-veloppement des Spitex. L'impulsion du développement des Spitex ne peut évidemment pas être attribuée au seul rôle d'entrepreneur public joué par le directeur du Gesund-heits- und Wirtschaftsamt. Deux autres facteurs contribuent également à ex-pliquer pourquoi la ville de Zurich a été la seule commune du canton à élabo-rer un Leitbild qui définit de nouvelles tâches pour les Spitex, lorsque ces derniers sont devenus du ressort communal. D'une part, le Parti Socialiste avait, en 1986 déjà, déposé une initiative populaire allant dans le sens des op-tions inscrites dans le Leitbild. Cette pression sur l'exécutif, les sociaux-démocrates l'ont également exercée au parlement communal. D'autre part, la pression des problèmes était effectivement plus importante à Zurich que dans le reste du canton. Nous reviendrons sur ce point dans le chapitre suivant. Le développement des Spitex, bien qu'initié par les autorités politiq(élus aux parlements, comme élus à l'exécutif), n'a pas été la seule affaire de ces derniers. Les associations, ont été largement consultées dès la phase de réflexion qui a accompagné la rédaction du Leitbild. La plupart des organi-sations ont rapidement compris qu'elle avaient le choix entre jouer le jeu de la collaboration en essayant de retirer des bénéfices substantiels du déve-loppement des Spitex (accroissement du public cible, reconnaissance de revendications concernant la formation pour le personnel des organismes prestataires de soins, etc.), ou rester en dehors du réseau qui se mettait en place, au risque de se faire rapidement marginaliser. L'implication de nombreux services communaux et encore plus nombreuses, dans le développement des Spitex ont conduit les acteurs à mettre en place de nouveaux modes de coopération (groupes de tra-vail, mise en place d'un service de l'administration chargé non seulement de contrôler le travail des organisations, mais également, et surtout, de les conseiller). En résumé, le développement des Spitex a vu le jour grâce à un acteur institutionnel moteur agissant dans un environnement qui le pousse à in-tervenir. Pour s'assurer de la réussite de son entreprise cet acteur moteur implique dès la phase de réflexion (Leitbild) les associations privées concernées

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La formation pour adulte à Lausanne

Longtemps considéré comme marginal, le problème de l'illétrisme et de l'exclusion sociale consécutive à une non-connaissance des rudiments écrits de la langue française touche, dans les faits, une partie relativement impor-tante de la population résidente en Suisse. Il est important de préciser que ce problème ne concerne de loin pas uniquement des immigrés de la première génération, mais également des personnes ayant effectué leur scolarité en Suisse. A Lausanne, comme dans la plupart des villes suisses, il a été pris en charge ces dernières années par une poignée d'associations privées, dont l'existence reposent largement sur le travail bénévole d'enseignants et d'édu-cateurs. Le but de ces associations n'est cependant pas forcément identique. Si certaines cherchent à insérer des immigrés au sein de la société helvéti-que, d'autres veulent aider des personnes ne possédant pas des connaissan-ces scolaires suffisantes pour retrouver un emploi. Toutes ces associations pouvaient venir en aide à leur public cible non seulement grâce au travail de dizaines de bénévoles, mais également grâce à divers subsides des pouvoirs locaux. C'est précisément pour répondre aux demandes financières croissantes des associations privées agissant sur le terrain que la Direction de la Sécuri-té Sociale et de l'Environnement (DSSE) a pris l'initiative de créer la "Communauté d'intérêt en faveur de la Formation Élémentaire des Adultes" (CIFEA). Cette Communauté regroupe l'ensemble des associations privées actives dans le domaine ayant déposés des demandes de subsides auprès du Département en 1994.20 Elle devient par là "l'unique interlocuteur de la Commune dans ce domaine d'action" (Fattebert 1995: 8).

Mise en place de l'expérience pilote CIFEA L'intervention de la commune en matière de formation élémentaire pour adultes ne découle en rien d'une obligation légale. Elle repose uniquement sur une volonté d'agir qui se manifeste tant à la direction de la DSSE, qu'à l'exécutif de la ville. Les responsables administratifs de la DSSE, que nous avons rencontrés, sont convaincus de la nécessité pour les pouvoirs publics d'agir contre l'exclusion sociale à travers des programmes de formation de base pour adultes. Ce sont eux qui ont décidé, en 1994, de mettre sur pied un projet reposant sur les associations privées dans lequel la commune joue essentiellement un rôle de coordination et de co-pilotage. Le projet est donc né à l'intérieur des services administratifs de la ville de Lausanne, sans in-tervention d'acteurs extérieurs. La commune de Lausanne a été la seule col-

20 Il s'agit des associations suivantes: Appartenances, CEFIF-Association du Relais; Français en

Jeu; Lire et écrire; Retravailler-CORREF.

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lectivité publique impliquée tant dans la conception que dans la mise en place du projet. Dans un premier temps, une phase préparatoire de deux ans (1995-96) a été planifiée pour permettre aux associations en collaboration avec la DSSE de mieux définir les buts poursuivis par la CIFEA, ainsi que les moyens né-cessaires à leur réalisation. Cette première étape pilote, dont le budget a été approuvé par le législatif de la ville, a démarré en mars 1995 avec le sou-tient actif de toutes les associations concernées. A travers la création de la CIFEA, et la mise en place d'un projet pilote sur deux ans, les pouvoirs publics lausannois poursuivaient plusieurs buts: • Diminuer le travail administratif des associations en leur évitant de de-voir séparément préparer chaque année un dossier pour recevoir des subventions communales. Le temps ainsi économisé pouvant être utilement réinvesti dans le travail de terrain; • Assurer un financement dans le temps aux associations privées. Comme nous le verrons, la CIFEA bénéfice d'un premier financement à titre d'expé-rience pour la période 1995-96. Par la suite, si le projet est concluant, le fi-nancement devrait être assurer pour une période de 4 à 5 ans; • Coordonner les activités des diverses associations en jouant la complé-mentarité et non la concurrence. Il s'agit donc de redéfinir la mission de chaque institution privée, en tenant compte de cette complémentarité. En procédant de la sorte, il est probable que des lacunes dans le champ d'inter-vention couvert par les cinq associations apparaissent (comme par exemple, un public cible potentiel laissé de côté). Dans ce cas, le projet pilote devrait permettre de présenter des solutions aptes à combler ces lacunes; • Homogénéiser dans la mesure du possible les critères d'admission pour

e d'une interven-

e, couvrant une période de deux ans (1995-1996)

l'ensemble des associations, de manière à permettre à une personne de pas-ser d'un organisme à l'autre en fonction de ses besoins; • Arriver à diffuser verticalement et horizontalement l'idétion des pouvoirs publics en matière de formation élémentaire des adultes. Horizontalement, il s'agit de convaincre, par les résultats de l'expérience pilote de deux ans, des communes avoisinantes de la nécessité pour elle à se joindre au projet en l'étendant à leur juridiction. Verticalement, le projet pourrait servir de modèle, et contribuer à lancer une discussion sur la forma-tion de base pour adulte.21 Dans une première phaset devisée à 1'590'875.-Frs (Préavis N69 du 25 novembre 1994), les cinq associations ayant demandé une aide financière aux services de la com-mune, sont amenées de finaliser les modalités de leur collaboration au sein

21 Les responsables du DSSE espèrent pouvoir attirer l'attention des médias sur l'expérience en

cours de manière à la diffuser auprès d'autres responsables politiques ou administratifs.

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de cette Communauté. En d'autres termes, cette phase pilote doit permettre de formuler un projet définitif qui tienne compte des complémentarités exis-tantes et des lacunes à combler dans le domaine de la formation de base pour adultes. Dans l'idéal cette collaboration devrait aboutir à la mise sur pied d'un véritable programme de cours entre les diverses associations. Pour en arriver là, toute une série de questions concrètes doit encore être discu-tée, telle la mise en place d'un fichier d'inscriptions unique. Durant ces deux ans, une attention particulière devrait également être portée à la formation et l'encadrement des bénévoles au sein de chaque association. Cette phase mon-tre l'importance du rôle de coordinateur que doit revêtir l'acteur moteur s'il veut pouvoir transformer la concurrence (ou l'ignorance mutuelle) qui prévaut entre les associations actives sur le terrain en collaboration. Comme dans le cas du développement des Spitex, l'administration

é-a

concernée a délégué une personne de contact pour conseiller les institutions privées, et les encadrer durant la phase pilote devant conduire ces associa-tions à mettre en place des modalités pratiques de collaboration. En l'occur-rence, il s'agit de l'adjointe au secrétariat général de la DSSE. Cette per-sonne forme avec un représentant de chacune des cinq associations privées impliqués le bureau de la CIFEA. Il est instructif de relever que les premiè-res réunions de ce bureau ont été consacrée à parler des conflits larvés, et des jalousies potentielles entre les membres de la Communauté. Ces conflits provenaient pour une bonne part d'une méconnaissance mutuelle entre cer-taines des associations (ces dernières n'étaient pas forcément au courant des activités déployées par les autres associations; de ce fait, elles ne compre-naient pas forcément le bien-fondé de la composition de la CIFEA telle que voulue par la DSSE). Au dire de la représentante de la DSSE, ce fut un pas-sage obligé pour arriver à dépasser les querelles de paroisses et amener tous les participants à accepter le projet CIFEA comme le leur. Le fait que cette représentante possède une formation d'éducatrice ainsi qu'une longue expé-rience de terrain lui a sans nul doute non seulement facilité la communica-tion entre la DSSE et les associations privées, mais lui a également permis de jouer un rôle de médiatrice à l'intérieur même du bureau de la CIFEA. Bien qu'une réflexion sur les critères d'évaluation adéquats ait déjà dm rré au moment où nous menions nos entretiens, la phase pilote ne donne-ra vraisemblablement pas lieu à une véritable évaluation rétrospective, mais plutôt à un rapport axé sur la mise en place définitive de la CIFEA à partir du travail de coordination et de conceptualisation effectué par les associa-tions durant les deux années pilotes. Une véritable évaluation des prestations deviendra utile au pilotage de la politique par l'administration lorsque cette seconde phase aura déjà conduit à des résultats tangibles. A ce moment, la

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direction de la DSSE sera en mesure d'intervenir sur la qualité des prestations offertes par les diverses institutions privées membre de la CIFEA. Contrairement au développement des Spitex, les autorités communales ne ressentent donc pas le besoin de recourir à des évaluations extérieures pour valoriser leur action et permettre le passage à une phase ultérieure du dévelop-pement initialement prévu. Ceci s'explique, selon nous, aisément pour deux raisons. Premièrement, le projet lausannois, d'envergure plus modeste, n'im-plique qu'une poignée d'associations toutes motivées par le projet. Le recours à un acteur extérieur à l'administration pour servir de médiateur entre le secteur public et le privé ne se justifie donc pas.22 Deuxièmement, la DSSE ne tient pas à ce que les parlementaires, qui devront accepter les crédits futurs, se pronon-cent sur les résultats de la phase pilote, mais bien sur le projet définitif de Communauté qui leur sera proposé pour la période 1997-2000. Il convient de rappeler que lors du vote du crédit pour la phase pilote, la CIFEA ne disposait que du soutien d'une étroite majorité des élus. Si une évaluation extérieure n'est, pour l'instant, pas prévue, la CIFEA ne travaille pas à l'abri des regards. Dès les premiers mois de vie de la Communauté, la DSSE a eu la volonté de jouer la carte de la transparence. Pour cela, l'administration communale a mis en place un groupe de suivi appelé "groupe de pilotage" présidé par le membre de l'exécutif lausannois en charge de la DSSE. Ce groupe devrait se réunir 3 à 4 fois par ans pour suivre et commenter l'évolution du projet. Il est composé de représentants des partenaires de la CIFEA ainsi que des services communaux et cantonaux concernés par la formation et la réinsertion professionnelle. Un délégué de la chambre consultative des immigrés de Lausanne, le chef du ser-vice social de Renens, ainsi qu'un représentants de la COREL (association re-groupant les communes de l'agglomérations lausannoise) complètent le groupe.

Aux sources du changement La CIFEA est née d'une volonté administrative de regrouper les institutions privées qui demandaient l'aide financière des pouvoirs publics à l'intérieur d'une seule structure de manière à éviter de devoir présenter pour chaque association un préavis concernant le crédit demandé au législatif communal (les sommes demandées dépassant toujours celles que le Département peut accorder sur son budget sans passer par Conseil Communal). Si cet aspect de rationalisation a sans nul doute joué un rôle important, il ne peut expli-

22 La seule "réticence" face au projet est venue de l'Office d'orientation scolaire et professionnelle

(intégré au Département des écoles). Cette office, habitué à orienté les adolescents en difficulté, n'a pas fait preuve d'un enthousiasme débordant pour le projet CIFEA (venant d'un autre Département et im-pliquant un élargissement substentiel deu cercle de bénéficiaires des conseil de l'Office).

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quer à lui seul la mise sur pied du projet. Deux autres facteurs sont, à notre avis, à prendre en considération. En premier lieu, la formation pour adultes avait déjà fait l'objet d'un vaste projet dans lequel était impliqué la DSSE ainsi que le Département des Écoles. Ce projet visait à la création d'une véritable école pour adultes (délivrant des certificats reconnus au plan cantonal). Le refus tant de la Confédération que du canton de participer financièrement à une l'école, a finalement condamné toute l'entreprise; les autorités communales refusant de s'y engager seules. Le mérite de cette expérience malheureuse, aura fina-lement été de sensibiliser les autorités communales à la problématique de la formation pour adultes comme l'un des remèdes à la montée du chômage de longue durée. Dans le préavis concernant l'octroi des subventions nécessai-res à la phase pilote de la CIFEA, la Municipalité rappelle que suite à l'échec de l'école pour adulte elle ”a décidé, pour le moment du moins, de circonscrire son action aux habitants les moins favorisés, c'est-à-dire à ceux que leur très bas niveau de connaissances menace sérieusement et durement d'exclusion” (Préavis N69 du 25 novembre 1994). En deuxième lieu, il convient de relever le rôle moteur du secrétaire gé-

ans les communes suisses: quelques conditions et limites

Dans un premier temps, nous allons présenter deux facteurs qui permettent de comprendre pourquoi des politiques sociales basées sur les principes de

néral de la DSSE. D'une part, il est profondément convaincu que l'action sociale des pouvoirs publiques, là où elle ne prend pas directement en charge les prestations, doit dépasser la politique de l'arrosoir. Ce dépasse-ment impliquant que les autorités déterminent des domaines prioritaires d'action dans lesquels elles s'engagent à aider réellement les associations actives sur le terrain. Dans ces quelques domaines, l'administration se ver-rait attribuer un rôle de coordinateur voire d'incitateur face aux organisa-tions du troisième secteur. D'autre part, cet ancien éducateur spécialisé, s'est révélé particulièrement sensible aux questions concernant la lutte contre l'exclusion sociale à travers la formation et l'encadrement des adultes. Nul doute que, selon lui, ce domaine d'action fasse partie de ceux qui devraient être considérés comme prioritaires à l'avenir. En fin de compte, il a été le véritable initiateur du projet en 1994, qui peut également être vu comme une expérience pilote à l'intérieur de l'administration de la DSSE dans la manière de coordonner une politique sectorielle. Dans le chapitre suivant, nous reviendrons sur le rôle des individus qui, au sein de l'administration ou de l'exécutif, endossent le rôle de manager en politiques publiques.

"Nouvelle subsidiarité" d

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la "nouvelle subsidiarité" ont pu se développer à Lausanne et à Zurich. Ils ne sont cependant pa unal. Il nous semble néanmoins indispensable de nous y attarder, car ils paraissent être des pré-

solution leur paraissait dépendre, pour partie du moins, de préciser que si le public

cible des Spitex s'est élargit (en plus des rentiers, des personnes handicapées

t marginalisées qui en

, le

s spécifique à un contexte comm

conditions nécessaires à la mise en oeuvre de telles politiques. En abor-dant, dans un deuxième temps, les divers problèmes liés à l'échelle com-munale, nous entrerons au coeur du propos de cet article, à savoir la marge de manoeuvre ainsi que les limites de la nouvelle subsidiarité au niveau communal.

Pression du problème et opportunité d'agir Qu'il s'agisse des Spitex à Zurich, ou de la formation de base pour adultes à Lausanne, les autorités communales étaient confrontées à la pression d'un problème, dont la réde leur action. Dans le cas zurichois, il convient

ainsi que des personnes en convalescence y ont accès), numérairement les bénéficiaires des prestations Spitex restent essentiellement des personnes âgées. Or la ville de Zurich se distingue des autres communes du canton par une population particulièrement âgée; 19.3% des habitants ont plus de 64 ans, contre 11.8% dans le reste des communes du canton et 14.4% en moyenne pour l'ensemble de la Suisse (Nigg 1994). Dans ce cas, la pression du problème est nettement tangible et quantifia-ble. Dans le cas lausannois, la pression est plus diffuse, mais non moins ré-elle. D'une part, cette pression repose sur la forte hausse du nombre de chômeurs arrivant en fin de droit depuis le début des années nonante, et l'augmentation du nombre de personnes socialemendécoule. Face à cette situation, Lausanne, comme la quasi totalité des villes suisses, a pris conscience qu'il est de son ressort d'agir, non à travers l'assis-tance, mais par des programmes de réinsertion, contre l'exclusion sociale induite par la fermeture du marché du travail à certaines catégorie de per-sonnes. D'autre part, les responsables communaux se sont rendu compte que l'analphabétisme et l'illétrisme qui leur semblaient affecter de manière très marginale la population lausannoise, concernaient en fait une partie non négligeable de cette dernière y compris au sein des classe d'âge actives. Nos deux exemples montrent également que la pression du problème a elle seule ne suffit pas forcément à expliquer l'intervention des pouvoirs publiques dans un domaine qui jusque là était du ressort des associations privées actives sur le terrain. En effet, dans ces deux cas, les pouvoirs pu-blics ont eu une opportunité d'agir qui s'est présentée à eux. A Zurichtransfert de la charge financière du canton aux communes, et la latitude pour ces dernières de mettre en place un système le financement à leur

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convenance, a représenté cette opportunité. Dans le cas Lausannois, les de-mandes d'aides financières des associations actives sur les terrain ont cons-titué l'occasion, pour la DSSE de palier partiellement à l'échec du projet d'école pour adultes soutenu par la municipalité.

Existence d'un acteur moteur institutionnel

Etudiant la planification urbaine de Tokyo, O'Leary et Takashi (1995) sou-lignent qu'un acteur voulant changer les relations existantes dans un réseau constitué doit non seulement percevoir le besoin d'agir ainsi, mais égale-

e opération (financière, re- notre part que, dans le do-

dividus disposent dépendent de leur

ment avoir les ressources nécessaires à une tellconnaissance, légales, etc.).23 Nous pensons pourmaine du social, seule l'intervention des pouvoirs publics permet de déve-lopper une vue à moyen terme à partir de laquelle il est possible de coor-donner les activités des associations en dépassant les rivalités existantes.24 De plus, une association active dans un champ social délimité n'est pas for-cément au courant des activités et des pratiques des autres organismes qui couvrent tout ou partie de ce champ. Nous pensons également que lorsqu'il s'agit de comprendre l'implanta-tion de nouvelles politiques au niveau communal ou régional, il convient de dépasser momentanément le niveau de l'acteur collectif pour se pencher sur les individus qui agissent concrètement dans un réseau; tout en étant cons-cient que les ressources dont ces inposition institutionnelle (ce qui nous ramène évidemment au niveau de l'ac-teur). Comme nous l'avons souligné, les deux expériences décrites reposent, du moins dans leur phase initiale, sur l'engagement personnel d'un membre de l'administration ou de l'exécutif dans le projet. Cette personne en choisis-sant d'endosser le rôle prépondérant de véritable manager en politiques pu-bliques, cherche à faire du Département (ou service) de l'administration communale dont il est en charge un acteur moteur du réseau. Précisons en-core que le fort engagement d'un acteur étatique au sein d'un réseau, pour développer une politique publique selon ses vues, n'est pas à propre la mise sur pied de politiques basées sur les principes de la nouvelle subsidiarité. Décrivant la mise en place des campagnes de "fund raising" dans le do-maine des sports à Philadelphie, Perlmutter et Cnaan (1995) insistent sur le

23 ”For a change in the existing pattern of relations to occur, an actor (such as the state) must both

perceived a need for and have the power to enact change” (O'Leary et Takashi 1995: 321). 24 Rivalité induite par la concurrence pour s'implanter auprès du public cible, pour toucher des sub-

ventions des pouvoirs publics et finalement pour que son action soit reconnue par les milieux scientifi-ques et politiques. Comme nous l'avons signalé, les premières réunions du bureau de la CIFEA ont été consacrées à la mise en lumière de ces conflits pour éviter que des rencoeurs non exprimées ne vien-nent bloquer la mise en oeuvre concrète de la collaboration entre les associations.

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rôle de leader charismatique du responsable administratif en charge du Dé-partement des Sports et loisirs. Pour intervenir sur un champ social laissé jusque là aux bons soins d'or-ganismes privés, ce manager en politiques publiques doit être en mesure de légitimer l'action des pouvoirs publiques; tant vis à vis du législatif commu-nal que des associations privées déjà actives.25 Cette légitimité peut cepen-dant prendre des formes bien différentes comme le montrent nos deux

fait

le, nous touchons au coeur des pro-blèmes spécifiques à une collectivité locale si celle-ci désire développer une

exemples. Si dans le cas zurichois, cette légitimé a reposé sur le soutient populaire dont jouissaient les réformes (une année après que le transfert des charges financières du canton à la commune ait été massivement approuvé par le corps électoral en septembre 1987, les autorités communales ont soumis le Leitbild à l'approbation des citoyens), la légitimité de l'action de la DSSE repose d'une part sur la volonté exprimée par l'exécutif d'agir en faveur de la formation pour adulte lors des débats qui ont accompagné la mise en place du projet d'école pour adulte (il s'agit de la légitimation face au monde politique); et d'autre part sur le fait que son action a constitué une réponse à des demandes venues des associations et non à une volonté diri-giste venue de l'administration (légitimation face au monde associatif). En plus de la légitimité d'intervenir, l'acteur moteur doit également en avoir les moyens. En effet, comme nous l'avons déjà écrit en introduction de ce papier, la collaboration des associations privées repose pour une bonne part sur la perspective qui leur est offerte d'obtenir des fonds publics pour mener à bien la mission que les pouvoirs publics leur confie. L'argent necependant pas tout, nos deux exemples montrent clairement que, pour im-planter avec succès des programmes sociaux basés sur les principes de la nouvelle subsidiarité, il est nécessaire de faire participer activement les as-sociations privées aux phases de réflexion portant sur les mesures à prendre. La mise sur pied de tels programmes demande donc un investissement en temps de la part de l'acteur moteur.

Échelle communale et capacité de résolution du problème

En abordant la question de l'adéquation entre l'aire de résolution d'un pro-blème social et la superficie communa

25 Il est clair que toute intervention des pouvoirs publiques, surtout si elle se situe dans un domaine

conflictuel doit être légitimée. Dans le cas de figure qui nous intéresse ici, le manager en politique publique doit pourvoir à fortement légitimer son programme pour deux raisons supplémentaires. D'une part il est en devoir de démontrer la nécessité de son intervention tant vis à vis du monde politique que du monde associatif; et ceci simultanément. Deuxièmement, il peut s'attendre à ce que certaines des critiques faites au programme remettent en cause le rôle qu'il a personnellement joué dans sa phase initiale. Pour limiter ce type d'attaques, il a tout intérêt à démontrer que son action est celle légitime des pouvoirs publiques indépendemment de sa personne.

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politique sociale incitative. La question de l'échelle communale revêt en fait

veau local, elle "complique singulièrement la prise en compte des pro-eresche et Joye 1993: 41). Force est effectivement de

plusieurs dimensions qu'il est possible de regrouper autour de quatre axes: Aire du problème et étendue de la juridiction communale; Aire d'activité des associations privées et pouvoir de négociation de la commune; Enche-vêtrement des compétences et coordination verticale; Capacité administra-tive communale.

Aire du problème Si la petite taille des communes helvétique offre l'avantage d'une gestion participative des citoyens qui continuent de s'identifier largement au ni-

26

blèmes sociaux" (Lconstater que la plupart des problèmes sociaux contemporains (la dépen-dance physique ou psychique, le chômage, la crise immobilière, l'illé-trisme, etc.) ne sont pas d'échelle communale, mais bien régionale. Un jeune consommateur d'héroïne peut, par exemple, habiter une commune périurbaine, fréquenter une école sise dans une commune voisine et devoir descendre presque quotidiennement au centre-ville pour s'approvisionner en héroïne. Pour prendre en compte la dimension régionale du problème, une campagne coordonnée de lutte contre les risques liés à l'usage de dro-gue dures chez des jeunes en formation (Infection HIV, difficulté d'entrée dans le marché du travail, etc.) idéalement devrait impliquer une concerta-tion entre les services concernés de l'ensemble des communes formant l'agglomération. Si la concertation est indispensable, elle ne suffit cependant pas à la mise en place de politiques sociales coordonnées. Exposant les mesures à prendre au niveau communal, dans le domaine de la toxicomanie, le secrétaire général de la DSSE à Lausanne remarque que "l'extension géographique du problème appellerait la définition d'une politique commune à toutes les communes de l'agglomération ainsi que l'établissement d'un dispositif de financement met-tant à contribution, de manière équitable, les différentes collectivités concer-nées" (Meystre 1994). Ce faisant il touche au coeur du problème, à savoir le financement des programmes. Lorsque ces communes sont consultées, c'est bien souvent sur l'écueil financier que viennent s'échouer les projets inter-communaux qui ne rapportent pas d'avantages palpables en terme de rentrées fiscales ou de prestige, et dont les bénéfices sociaux se répartissent sur l'en-semble des communes sans qu'il soit possible de déterminer dans quelle me-

26 Mouritzen (1989) remarque très justement que la "reform theory" prédit une meilleure prise en

compte des intérêts des citoyens ainsi qu'une plus grande efficacité dans les grandes communes. Ces avantages devant conduire à une plus grande satisfaction des citoyens dans ces communes. Or les études qu'il a mennées au Danemark montrent, au contraire, que dans les villes de plus de 20 à 30'000 habitants, la dissatisfaction des citoyens augmente.

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sure l'une ou l'autre de ces communes en profite. La difficulté de faire partici-per financièrement plusieurs communes à un programme social d'envergure régionale peut s'expliquer du fait que les communes suburbaines ont souvent l'impression de n'être consultées qu'au moment de la préparation du budget lorsque les principaux axes d'un programme ont déjà été arrêtés par les servi-ces administratifs de la ville (souvent appelés à prendre plus rapidement en charge un problème et possédant des capacités administratives leur permet-tant de mener une véritable réflexion). Au même titre que les associations privées concernées, elles devraient être associées aux réflexions développées par l'acteur moteur dès les phases de programmation d'un projet, et non lors-que ce dernier est déjà entièrement ficelé. Il existe cependant des écueils qui limitent (voire rendent impossible) une telle démarche intégrative. D'une part, un accord entre communes portant sur un projet dans le do-maine social passe obligatoirement par les autorités politiques des commu-nes concernées. En d'autres termes, le manager en politiques publiques qui veut développer un programme d'action basé sur des principes de la "nou-velle subsidiarité" devrait être en mesure de convaincre du bien fondé de sa

démarche non seulement le législatif de sa propre commune, mais égale-ment les responsables des communes voisines. Cette tâche se révèle particu-lièrement ardue car, même si l'on écarte l'écueil financier, les autorités loca-les rechignent souvent à s'engager dans des programmes dont elle n'ont pas l'entière maîtrise, de peur de perdre un peu de leur autonomie.

27 Les données valaisannes sont largement lacunaires.

Épuration des eaux 23 - 5 9 4 85 126 Distribution des eaux 13 - 4 4 - 35 56 Déchet, ordures ménagères 1 2 1 1 - 4 9 A.F. / Promotion éco. 6 - - - - 2 8 Bâtiments scolaires 9 - 11 5 - 8 33 Hôpitaux / homes 21 - 3 - 2 - 26 Sport 4 1 - 3 - 1 9 Sépultures - - 8 - - - 8 P.C. - 1 - - - 3 4 Divers - 4 1 2 - 10 17

Total 77 8 33 24 6 148 296 Sources: Benninghoff (1995).

Tableau 1: Domaine des collaborations intercommunales en Romandie enregistrées auprès des autorités cantonales entre le début des année soixante et le début des années nonante

Domaine FR GE JU NE VS27 VD Total

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INTEGRATION DES ACTEURS NON-ETATIQUES 23

trice, les csur quelqu les premiers résultats avant de décider à

de s'engager. L'ex le a C A us il e les s nt être déployés p te de e p ip p us co -

rojet. En et, la é p la se co une de Lausanne C A d ait voir tendr son tion g-dre but s responsables de la DSSE entretien-

avec cert s de urs mol ues e que es ho es es commu vois s. A aver e gr pe de ontrô ui

développement de la CIFEA, la DSSE dif se les résultats de l'expé-rès du cantons et d s com une oisin . Ell peut, en outre, bé-

ier des commentaires de représentants de ces instances de manière a le projet à l'éventualité d'une extension future.

pratique, une démarche visaial demande donc un effort de longue haleine. Il n'est

oncernent essentiellement la réalisation d'infrastructures lourdes pour les-

D'autre part, lorsqu'une commune décide de recourir à une politique innova-ommunes voisines sont tentées de la laisser mener l'expérience es années et d'attendre

leur tour qui doive

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de lnter

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glomération. Pour a se lenent des contacts ain le ho og t lqu mmpolitiques dans l nes ine tr s l ou c le qsuit le furience aup e m s v es e néficadapté En nt à inclure de nouvelles instances politi-ques dans un projet socdonc pas autrement étonnant que les collaborations intercommunales cquelles il n'existe pas d'alternative financièrement viables, mais relativement rarement des programmes d'action dont les impacts sont difficilement chif-frable (avec, il est vrai des exceptions notables dans le domaine du tou-risme, et dans celui du sport). Sur la base des diverses collaborations enre-gistrés auprès des services cantonaux s'occupant des communes, nous pou-vons d'ailleurs remarquer que seul un faible pourcentage des collaborations sous forme d'ententes ou d'associations de droit public,28 en Suisse romande, concernent le domaine du social.

Aire d'activité des associations privées et pouvoir de négociation de la commune Dans l'idéal, une commune voulant s'appuyer sur le troisième secteur pour mettre en place une politique de son choix devrait pouvoir négocier avec des organisations dont l'aire d'activité correspond à celle de la commune. Malheureusement, de même que la plupart des problèmes sociaux débordent les frontières du local, l'activité des associations privées actives dans ce domaine n'est pas forcement délimitée par les frontières de la commune. Si certaines associations couvrent effectivement le périmètre communal d'autre sont organisées sur une base régionale (agglomération, district), ou canto-

28 Il existe d'autres formes de collaboration telles les sociétés anonymes., ou les fondations, mais

ces dernières ne sont pas enregistrées auprès du canton. Nous supposons cependant que la tendance à la collaboration en matière d'investissement lourd et non en faveur de programmes d'action dans le domaine du social se vérifie également pour ces formes.

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24 PIERRE GENTILE

nale. Signalons qu'il existe également toute une série d'organisations natio-nales dont les sections locales disposent d'une autonomie plus ou moins élevée (telles Pro-Senectute, Pro-Infirmis, RADIX, etc.). Les deux expé-riences que nous avons présentées dans le chapitre précédent montrent ce-pendant que des sections locales peuvent participer à des programmes mis

er e leurs pratiques administratives. Les considérations que nous

des

passe une commune désireuse de piloter une politique publique à travers les

en place au niveau d'une commune, même si elles doivent pour cela changcertaines dallons développer dans les paragraphes suivants s'appliquent bien évidem-ment également à ce type d'organisations d'envergure nationale. Pour les organisations privées "supra-communales", la participation à un programme communal qui, d'une part tend à transformer la concurrence en-tre les associations actives sur le terrain en collaboration, et d'autre part peut impliquer des changements dans les prestations offertes (avec, par exemple, l'introduction de critères de qualité, une professionnalisation des perma-nents, ou une nouvelle définition du public cible) implique l'acceptation d'élaborer une pratique de terrain spécifique à une localité. Cette acceptation ne va pas de soi, car elle peut remettre en cause la cohérence interne à l'or-ganisation. En effet, cette acceptation peut impliquer que la qualification requise, le cahier des charges, ainsi que la rémunération des personnes (bé-névoles ou non) travaillant dans un organisme privé varient selon leur champ d'action géographique. Dans ce cas de figure, la recherche du consensus dans les assemblées générales risquent de devenir un véritable tour de force.29 Si le développement de pratiques territorialement différentiées pose problèmes relatifs à la cohésion interne d'une organisation, il ne possède pas que des aspects négatifs. En effet, il est possible pour une association de tirer parti de sa la participation à un programme communal dans lequel sont engagés d'autres acteurs privés et publics pour améliorer ses prestations dans les autres communes où elle est active. A titre d'exemple signalons que "Français en Jeu", l'une des associations impliquées dans la CIFEA, a pris conscience du besoin d'élargir son champ d'activité en direction des chô-meurs non déclarés qui n'ont pas droit aux mesures préventives. En 1995, soit quelques mois après le démarrage de la Communauté à Lausanne, cette association a mis sur pied des cours de Français combinés avec une démar-che de recherche d'emplois à Vevey pour cette population marginalisée. En conséquence, pour qu'une association dont le champ d'activité dé-

29 De la cohésion entre les personnes impliquées dans des négociations avec les autorités d'une

commune et les membres de l'association dépend le bon fonctionnement de cette dernière. Or, ce lien entre les représentants d'une association et leur base peut se détendre et parfois se casser d'autant plus facilement si la base de l'association n'est pas homogène.

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INTEGRATION DES ACTEURS NON-ETATIQUES 25

outils de la "nouvelle subsidiarité", accepte de jouer le jeu, il faut que ce dernier en vaille la chandelle. Autrement dit que la politique voulue par la

s de quartier dans ncore l'ouver-es n'a de sens

commune de taille plus modeste. De plus, du fait que la ville de Zurich po

commune touche un public cible assez important pour que les organisations privées impliquées aient la garantie de recevoir des ressources suffisantes (sous formes de subventions directe, ou de participation des bénéficiaires) de sorte que l'investissement organisationnel qui leur est demandé ne leur paraisse pas démesuré. Dans le cas contraire, le manager en politiques pu-bliques désireux de mettre en place une politique volontariste dans le do-maine social en appliquant les principes de la nouvelle subsidiarité aura le plus grand mal à convaincre une association privée d'entrer dans son jeu. Cette difficulté peut devenir insurmontable si cette association est la seule active sur le terrain, comme cela peut être le cas dans des communes de taille réduite, et de ce fait ne craint pas que les pouvoirs publics diminuent drastiquement ses subsides au profit d'autres organismes.

Enchevêtrement des compétences et coordination verticale Qu'un problème social soit d'échelle locale ou régionale, sa résolution ne dépend jamais uniquement de la volonté affichée par les autorités locales. L'enchevêtrement des compétences dans le domaine du social et de la santé est tel qu'une coordination verticale avec les instances cantonales voire par-fois fédérales est nécessaire. Les deux expériences décrites dans la troisième section vont nous servir à illustrer l'implication de cet enchevêtrement des compétences entre canton et commune et les limites qu'il peut impliquer pour la mise sur pied par une commune d'une politique volontariste dans le domaine social. Dans le cas des soins à domicile, la coordination avec les hôpitaux et les établissements médico-sociaux est indispensable pour que les patients soient dirigés sur la structure adéquate, et puissent ainsi transiter relative-ment facilement d'une structure à l'autre en fonction de l'évolution de leur état de santé. Pour des raisons financières, une politique visant à étendre les prestations des Spitex (avec le développement de centrelesquels des interventions ambulatoires sont pratiquées, ou eture nocturne) tout en agrandissant le cercles des bénéficiairque si elle s'accompagne d'une volonté de réduire la durée des séjours hospitaliers grâce aux structures Spitex nouvellement crées. La ville de Zurich qui gère deux hôpitaux peut coordonner les différentes institutions sanitaires à l'intérieur de ses propres services, ce que ne peut faire une

ssède un parc hospitalier, les investissements consentis au niveau des Spitex devraient amener une certaines réductions de la facture hospitalière pour la ville.30 Pour bénéficier de ce type de retombées financières une autre

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ville.30 Pour bénéficier de ce type de retombées financières une autre com-mune zurichoise aurait dû négocier avec les autorités cantonales pour que ces dernières rétribuent une partie des gains entraîné par la baisse du nom-bre de nuitées dans les hôpitaux cantonaux avoisinants. Dans le cas de la formation pour adulte, la commune, de part le principe

ans les autres col-

traditionnel de la subsidiarité, peut agir si elle en ressent le besoin sans de-voir bénéficier d'une délégation de compétence. Cette liberté d'action est cependant fortement limitée par divers facteurs institutionnels. Nous nous contenterons d'en citer deux. Premièrement, l'ensemble de champ éducatif étant de la compétence cantonale, une commune ne peut pas délivrer de ti-tres de formation officiels sans que ces derniers soient reconnus par le can-ton. Deuxièmement, les offices de placement, qui sont actuellement organi-sés sur une base régionale, ne tiennent pas compte des personnes sans for-mation de base dans les programmes de réinsertion mis en place. Pour que le travail de la CIFEA permette effectivement a ce type de personne d'avoir accès aux programmes de formation complémentaire existants, il faudrait que les centres régionaux, après avoir aiguillé les personnes illettrées vers la CIFEA, consacrent une partie de leurs ressources à leur placement. Dans le cas lausannois, l'inclusion des chefs du service cantonal de l'emploi et du service de la formation professionnelle dans le groupe de pilotage de la Communauté devrait permettre, à terme, une telle prise en compte. Ces deux exemples montrent les difficultés qui peuvent surgir du fait de l'enchevêtrement des compétences pour une commune qui veut mener une politique volontariste qui diffère de la pratique usuelle dlectivités locales. Ils montrent également qu'une grande commune urbaine disposant d'infrastructures sociales importantes qu'elle gère en propre peut plus facilement coordonner, indépendamment du canton, une politique so-ciale que ne le peut une petite commune.

Capacité administrative communale Nous venons de le dire, une commune ayant, grâce aux services existants au sein de son administration et aux infrastructures dont elle dispose, la capaci-té de mettre sur pied un programme social de manière autonome (sans de-voir en appeler au canton), pourra plus aisément se lancer dans des expé-riences pilotes. L'avantage d'une grande commune sur une commune de taille modeste, en terme de ressources administratives, ne s'arrête cependant pas à la possibilité de réduire les difficultés liées à la coordination verti-cale. En effet, une partie importante des 3015 communes suisse ont moins

30 Lorsque nous avons rencontré, durant l'année 1994, la plupart des acteurs impliqués dans le dé-

veloppement des Spitex, ils n'étaient pas en mesure de délimiter l'impact exact de ce développement sur les journées d'hospitalisation. La diminution de ces dernières était néanmoins effective.

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INTEGRATION DES ACTEURS NON-ETATIQUES 27

de 1'000 habitants31 et ne disposent pas d'un service social indépendant avec à sa tête un administrateur recruté pour ses compétences dans le domaine social (souvent avec une expérience de terrain).32 Signalons que selon une

vestissement en temps au niveau de sa programmation (conception, travail de conviction puis de

naires, etc.). Quant à déléguer tout ou

enquête menée par Ladner et ses collègues auprès de l'ensemble des com-munes suisses en 1994, les communes de 100 à 500 habitants emploient en moyenne 1.8 fonctionnaires, celles de 500 à 2'000 habitants comptent quant à elles 2.8 fonctionnaire communaux (voir par exemple: Ladner 1996). Dans ces communes, les employés communaux doivent s'occuper des affai-res courantes de plusieurs départements; ils n'ont souvent pas le temps de mettre en place un projet demandant un important in

coordination avec l'ensemble des partepartie de ce travail à un consultant extérieur, soit pour palier aux manque de compétences spécialisées de l'administration communale soit pour permettre une médiation efficace entre les autorités communales et les associations privées, cette solution demande un investissement financier conséquent. De plus si une majorité des communes ayant moins de 2'000 habitants ont l'ha-bitude de travailler de temps en temps avec des bureaux privés d'experts (55%), les domaines concernés ne sont que relativement rarement liés au social. En conséquence, il n'est pas autrement étonnant que du fait du man-que de ressources administratives dans les communes de petite taille, les projets pilotes émanent des villes.

Conclusion

Nos deux études de cas démontrent qu'il est possible pour une ville de déve-lopper une politique sociale basée sur les principes de la nouvelle subsidia-rité de manière à instrumentaliser l'action des organismes privés actifs sur le terrain, en fonction des vues développées par les pouvoirs publics. Dans les pages précédentes, nous avons cependant mis en exergue les conditions qui semblent nécessaires à une telle opération. Parmi celles-ci retenons: • l'existence d'une pression incitant les pouvoirs publics à s'occuper d'un problème qui peut effectivement être aborder à l'échelle communale; • un acteur institutionnel endossant le rôle de manager en politique publi-que et qui possède une légitimité pour agir;

31 En 1995, seules 110 villes avaient plus de 10'000 habitants. 32 Rappelons que nos deux études de cas montrent que l'expérience personnelle de ceux qui revê-

tent le rôle de manager en politique publique permet de mieux comprendre leur engagement personnel. Elles montrent également qu'il est plus aisé, pour des pouvoirs publics, de négocier et de coordonner des acteurs de la société civile si, à l'intérieur de l'administration, certaines personnes parlent le même "langage" que les représentants des associations privées et sont accepté comme interlocuteurs, voire comme médiateurs, par ces dernières.

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28 PIERRE GENTILE

• une capacité administrative suffisante pour que cet acteur moteur puisse consacrer du temps à la préparation du projet (développer les concepts ainsi que convaincre et coordonner les autres partenaires); • des ressources financières permettant de financer les organismes privés impliqués dans la mise en oeuvre des mesures contenues dans ce projet. Nous avons également souligné le fait que ces organismes devraient être impliqués dès la phase de conceptualisation dans le projet; • la garantie pour ces derniers que le projet touchera un nombre assez im-portant de personnes pour qu ment organisationnel qu'elles consentent (professionnalisation cré aux réunion, etc.) en vaille

aille conséquente sont, à notre sens, réellement à même de me-

oncept

st vraisemblablement pas

d'associations privées

er sur les rivali-

u

e l'investisse, temps consa

la peine (en terme de fonds publics et d'efficacité des mesures envisagées). A la lecture de ces conditions, il apparaît clairement que si la subsidia-rité traditionnelle reposait sur une solidarité de fait entre les habitants d'une commune, ou d'une région, sans l'intervention des pouvoirs publics, la nouvelle subsidiarité implique, au contraire, un investissement impor-tant de ressources de la part de ces derniers. Conséquemment, seules des villes de tner à son terme une telle opération. En effet, si, comme nous l'avons dé-crit, la ville de Zurich peut se permettre de développer son propre cde soins ambulatoires, qu'elle coordonne avec ses deux hôpitaux, la com-mune vaudoise de Chavannes-près-Rennens n'een mesure de mettre en route une politique en matière de soins à domicile qui déroge aux pratiques des communes voisines. Ceci pour plusieurs rai-sons. Premièrement, si à Zurich plusieurs dizaines sur lesquelles la commune peut s'appuyer sont actives sur le terrain, il en va sûrement tout autrement à Chavannes. Or un nombre élevé de partenai-res privés aux intérêts parfois contradictoires renforce le poids de l'admi-nistration communale; lui permettant, si besoin est, de joutés entre organisations pour imposer ses vues et d'apparaître comme l'ac-teur central seul capable de coordonner le développement des soins à do-micile. Deuxièmement, le pouvoir de négociation de la commune face à des associations de la sphère publique dépend également des débouchésq 'elle est susceptible de leur offrir. En d'autres termes, dans le cas des soins à domicile, plus une communes accueille de résidents susceptibles d'y avoir recours, plus elle pourra inciter les organisations dispensatrices de soins à modifier leurs pratiques de manière à atteindre les buts fixer par les autorités communales. Il est, en effet, à prévoir qu'une commune de trois cent habitants ne parvienne pas à exiger d'organismes, tel Pro-Senectute, qu'ils changent leurs standards de prestations, ou les modes de financements, pour une poignée de clients éventuels.

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INTEGRATION DES ACTEURS NON-ETATIQUES 29

Dans une période de crise budgétaire qui oblige les collectivités locales à limiter leurs dépenses, il est à prévoir que dans les villes, des managers en politique publique désireux de mener à bien une politique sociale qui leur tient à coeur vont, de plus en plus souvent, recourir aux "recettes" de la nouvelle subsidiarité.33 A terme, il n'est pas impossible de voir se creuser un peu plus l'écart dans la qualité des prestations sociales entre les villes capa-bles d'instrumentaliser les associations privées (et donc de coordonner leurs actions, d'introduire des critères de qualité) et les petites communes qui de-vront se contenter de subventionner des associations sans pouvoir agir sur leurs prestations.

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33 Si l'investissement en temps et en personnel est relativement lourd pour les autorités communa-

les, l'investissement financier pour la mise en oeuvre des mesures sur le terrain sera toujours moindre en ayant recours à des associations (qui travaillent souvent avec des bénévoles), qu'en créant des servi-ces internes à l'administration chargé de fournir les même prestations. Or, le municipal d'une ville se prononce généralement sur le budget de mise en oeuvre et non sur la question du temps de travail consacré par des employés communaux à la préparation et au suivi d'un programme social.

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30 PIERRE GENTILE

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INTEGRATION DES ACTEURS NON-ETATIQUES 31

Integration nicht-staatlicher Akteure in die Sozialpolitik: Ein-satz und Grenzen für die Schweizer Städte.

erändert sich die Praxis des Staates im Rahmen

lichen Angelegen-

oordination

wir ebenfalls die wichtigsten Probleme erörtern, die sich für zwei Städ-

Integration of Non-State Participants Into Social Policies: What

For several years governme s i the area of social welfare ave been undergoing a transformation through the ever greater inte-ration of non-state participants in the management of public affairs. In

welfare programs ased on the co-ordination by the public sector of services provided by

Seit einigen Jahren vder Sozialpolitik aufgrund einer zunehmenden Integration von nicht-staatlichen Akteuren bei der Handhabung von öffentheiten. In diesem Artikel möchten wir einige der für die Anwendung von sozialpolitischen Programmen auf kommunaler Ebene nötigen Be-dingungen erläutern. Die Programme stützen sich auf die Kdurch die öffentliche Hand der Leistungen von privaten Vereiningun-gen, die in diesem Sektor aktiv sind. Anhand von Fallstudien werden

te stellen, die solche Programme verwirklichen.

Course of Action, What Limits for Swiss Towns

nt practice nhgthe present article, we should like to explore some of the conditions necessary for applying at the community level socialbprivate associations active in the area. By means of case studies, we shall examine the main problems encountered by towns which, on a volunteer basis, have set up such programs.

Pierre GENTILE, Diplômé en science politique, Département de scien-ce politique, Université de Genève, 102 Boulevard Carl-Vogt, 1211 Genève 4; E-mail: [email protected]. Paper submitted 31 January 1997; accepted for publication 17 June 1997.