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Université de la Méditerranée – Aix Marseille II Faculté des Sciences Économiques et de Gestion Centre de REcherche sur le Transport et la LOGistique (CRET-LOG) Intégration du développement durable dans la stratégie d’entreprise: une explication par la théorie des ressources et compétences et l’approche des parties prenantes. Le cas du secteur des produits de grande consommation Thèse présentée et soutenue publiquement pour l’obtention du DOCTORAT EN SCIENCES DE GESTION Le 25 novembre 2010 par Sandrine GHERRA JURY Directeur de Recherche: Monsieur Pierre-Xavier MESCHI Professeur à l’Université Aix-Marseille III Rapporteurs: Madame Ulrike MAYRHOFER Professeur à l’Université Lyon III Monsieur Frédéric LE ROY Professeur à l’Université Montpellier I Suffragants: Monsieur Gilles GUIEU Professeur à l’Université Aix-Marseille II Monsieur Emmanuel METAIS Professeur à l’Edhec Business School Monsieur Gilles PACHE Professeur à l’Université Aix-Marseille II

Intégration du développement durable dans la stratégie d'entreprise

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  • Universit de la Mditerrane Aix Marseille II

    Facult des Sciences conomiques et de Gestion

    Centre de REcherche sur le Transport et la LOGistique (CRET-LOG)

    Intgration du dveloppement durable dans la stratgie

    dentreprise: une explication par la thorie des ressources et

    comptences et lapproche des parties prenantes.

    Le cas du secteur des produits de grande consommation

    Thse prsente et soutenue publiquement pour lobtention du

    DOCTORAT EN SCIENCES DE GESTION

    Le 25 novembre 2010 par

    Sandrine GHERRA

    JURY

    Directeur de Recherche: Monsieur Pierre-Xavier MESCHI Professeur lUniversit Aix-Marseille III

    Rapporteurs: Madame Ulrike MAYRHOFER Professeur lUniversit Lyon III

    Monsieur Frdric LE ROY Professeur lUniversit Montpellier I

    Suffragants: Monsieur Gilles GUIEU Professeur lUniversit Aix-Marseille II

    Monsieur Emmanuel METAIS Professeur lEdhec Business School

    Monsieur Gilles PACHE Professeur lUniversit Aix-Marseille II

  • Remerciements

    Je tiens tout dabord remercier le Professeur Pierre-Xavier MESCHI, mon directeur de

    thse, pour ses conseils clairs et constructifs, ses encouragements, sa grande disponibilit et

    son soutien sans faille tout au long de ce travail.

    Jexprime galement toute ma gratitude aux Professeurs Ulrike MAYRHOFER et Frdric LE

    ROY, pour avoir accept de porter une apprciation sur ce travail en tant que rapporteurs,

    ainsi quaux Professeurs Gilles GUIEU, Gilles PACHE et Emmanuel METAIS, pour avoir

    bien voulu participer au jury de soutenance.

    Je souhaite galement remercier lAgence de lEnvironnement et de la Maitrise de lEnergie,

    qui a particip au financement de cette recherche, le Club Dmter qui ma accueillie tout au

    long ltude empirique qualitative, ainsi que toutes les entreprises qui ont accept de rpondre

    au questionnaire.

    Ces remerciements seraient incomplets sans mentionner les personnes qui, lUniversit

    dAix-Marseille II, mont accord du temps et ont contribu au bon droulement de ce travail.

    Ma reconnaissance sadresse plus particulirement Franck, pour son soutien de tous les

    instants, Ian, pour sa hotline informatique, Frdric, pour son coaching de fin de thse, Flix

    pour son rconfort, et Aime, pour sa bienveillance.

    Enfin, mes remerciements et mes penses vont ma famille, et plus spcialement mes

    parents, pour leur accompagnement et leur patience au cours de ces annes.

  • Luniversit nentend donner aucune approbation ni improbation aux opinions mises dans cette thse:

    ces opinions doivent tre considres comme propres lauteur.

  • Sommaire

    Introduction .......................................................................................................................... 1

    Partie 1 - Intgration du dveloppement durable dans la stratgie dentreprise: Modle conceptuel ................................................................................................................................ 17

    Chapitre 1: Dveloppent durable: implications et challenges pour lentreprise .......... 171.1 Dfinition du concept de dveloppement durable ...................................................... 171.2 Les fondements du dveloppement durable ............................................................... 181.3 Perspectives thique, morale et de responsabilit sociale dans une approche de dveloppement durable .................................................................................................... 211.4 Postures dentreprises face aux principes de dveloppement durable ....................... 28

    Chapitre 2: Caractrisation des diffrents niveaux dintgration du dveloppement durable dans la stratgie .................................................................................................... 36

    2.1 Une stratgie environnementale ractive ................................................................... 372.2 Une stratgie environnementale dfensive ................................................................. 432.3 Une stratgie environnementale cooprative ............................................................. 482.4 Une stratgie environnementale proactive ................................................................. 56

    Chapitre 3: Lemballage: lment rvlateur du niveau dintgration du du dveloppement durable dans la stratgie dentreprise ................................................... 64

    3.1 Des fonctions qui font appel une perspective stratgique ....................................... 653.2 Lemballage au cur des enjeux de dveloppement durable ..................................... 68

    Chapitre 4: Analyse de la relation entre lorientation parties prenantes de lentreprise et la stratgie environnementale engage .................................................... 81

    4.1 Une reprsentation des relations entre lentreprise et ses parties prenantes............... 814.2 Les diffrentes composantes de lapproche des parties prenantes ............................. 834.3 Les parties prenantes de lentreprise dans un contexte de dveloppement durable ... 904.4 Lorientation parties prenantes en fonction du niveau de proactivit de la stratgie environnementale ........................................................................................................... 101

    Chapitre 5: Types de ressources, comptences et capacits dynamiques en fonction de la stratgie environnementale engage ........................................................................... 116

    5.1 Principes de la thorie des ressources et comptences ............................................. 1165.2 Principes de la thorie des ressources et comptences naturelles ............................ 1395.3 Analyse de la relation entre le type de ressources et comptences et le niveau de proactivit de la stratgie environnementale engage .................................................... 1425.4 Effet catalyseur de la possession de comptences relatives lenvironnement naturel sur la relation positive entre lorientation parties prenantes et le niveau de proactivit de la stratgie environnementale engage ........................................................................... 161

    Partie 2 - Intgration du dveloppement durable dans la stratgie dentreprise: mthodologie de la recherche et rsultats de ltude empirique ...................................... 170

    Chapitre 1: Choix du positionnement pistmologique et complmentarit entre les approches qualitative et quantitative adoptes ............................................................. 170

    1.1 Positionnements pistmologique et mthodologique de la recherche .................... 170

  • 1.2 Les produits de grande consommation: un secteur propice la conduite de notre recherche ........................................................................................................................ 181

    Chapitre 2: Choix mthodologiques et mise en uvre du protocole de recherche qualitatif ............................................................................................................................ 188

    2.1 Le choix du terrain dtude ...................................................................................... 1882.2 La combinaison de trois techniques de recueil de donnes ...................................... 1892.3 Le choix des techniques danalyse de donnes ........................................................ 1962.4 Les critres de validit de la phase de recherche qualitative .................................... 203

    Chapitre 3: Analyse et discussion des rsultats de lanalyse qualitative ..................... 2063.1 Rsultats et analyse de ltude documentaire ........................................................... 2063.2 Analyse des rsultats issus des entretiens ................................................................ 2083.3 Analyse des rsultats issus de lobservation ............................................................ 2153.4 Synthse des rsultats de lanalyse qualitative ......................................................... 247

    Chapitre 4: Mthodologie quantitative et mesure des construits ................................ 2504.1 Prsentation de la mthodologie statistique mise en uvre ..................................... 2504.2 Oprationnalisation des variables ............................................................................. 2644.3 Mise en uvre des variables et collecte des donnes ............................................... 2884.4 Evaluation de la qualit des instruments de mesure ................................................. 292

    Chapitre 5: Analyse et discussion des rsultats de lanalyse quantitative .................. 3555.1 Test individuel des hypothses par la mthode des analyses de rgressions linaires ........................................................................................................................................ 3555.2 Test global du modle de recherche: la mthode des quations structurelles .......... 3915.3 Discussion des rsultats ............................................................................................ 415

    Conclusion gnrale de la recherche .............................................................................. 430Bibliographie ..................................................................................................................... 440Index des tableaux et des figures .................................................................................... 461Tables des matires .......................................................................................................... 469

  • 1

    Introduction

    Bien plus quun phnomne de mode, le dveloppement durable constitue dsormais

    un dfi stratgique majeur pour les entreprises. Ce concept, sarticulant autour des trois axes

    de dveloppement que sont les axes conomique, environnemental et social, rencontre

    cependant des difficults quant son oprationnalisation en des pratiques claires et

    pertinentes. En labsence de repres fiables et prcis, les entreprises mettent en uvre une

    multitude de solutions afin de parvenir intgrer les exigences de dveloppement durable

    dans leurs pratiques.

    Le cas du groupe mondial Coca-Cola constitue une bonne illustration de son

    intgration au sein de sa stratgie. Coca-Cola France, filiale franaise du leader mondial des

    boissons sans alcool, nenvisage plus le dveloppement de sa stratgie sans considrer

    limpact de ses activits sur lenvironnement ainsi que leurs consquences sociales.

    Lentreprise met en uvre sur le territoire la stratgie de dveloppement long terme, la

    stratgie de communication et les relations avec les consommateurs. Au niveau oprationnel,

    elle fournit un rseau dembouteilleurs les concentrs ncessaires la fabrication des

    boissons.

    Dans la stratgie de Coca-Cola France, lintgration du dveloppement durable

    apparat comme une vidence la responsabilit sociale et environnementale est au cur du

    dveloppement de notre activit (Rapport de Responsabilit Sociale et Environnementale,

    2006: 1). Au niveau environnemental, les actions prioritaires sont de trois ordres: l'eau

    (rduction de la consommation globale, optimisation des ressources et traitement des eaux

    uses par jardins filtrants naturels entre autres), le transport (rduction du trafic routier et

    dveloppement du transport collaboratif), et l'emballage (fabrication conome en matires

    premires et recyclage): Les enjeux de RSE les plus frquemment cits avec nos clients sont

    ceux lis lenvironnement et au transport, le poids de la prforme, la quantit deau utilise

    et la quantit demballage (Rapport de Responsabilit Sociale et Environnementale, 2006:

    8). Au sein de laxe environnemental, lemballage reprsente un lment central car la mise

    sur le march de nos emballages reprsente une empreinte environnementale . (Rapport de

    Responsabilit Sociale et Environnementale Coca-Cola France, 2006: 16). Lentreprise a, ds

    les annes 1960, cherch rduire le poids de ses emballages et optimiser leur conception,

    afin de rduire leurs impacts environnementaux. Cela se traduit, en 1969, par la ralisation de

  • 2

    la premire analyse de cycle afin darbitrer entre les matires plastiques ou le verre pour

    lembouteillage du produit.

    Depuis, laccroissement de la pression rglementaire dans le domaine de lemballage,

    a conduit lentreprise persvrer dans ses efforts de rduction des impacts

    environnementaux. Elle entreprend donc un travail de rduction la source du poids des

    emballages primaires: rduction de lpaisseur de la canette acier et des prformes pour les

    bouteilles en PET, prvision en amont des filires de recyclage disponibles. Des rsultats

    probants ont t obtenus par lentreprise en la matire: entre 1996 et 2005, le poids moyen

    dune prforme PET 1,5L est pass de 48 grammes 40 grammes, soit une conomie de 5 000

    tonnes demballage par an. Pour les botes, le poids moyen est pass de 32 grammes 22

    grammes, soit une conomie de 3 600 tonnes dacier par an. Les barquettes en carton

    enveloppant les lots de six canettes ont t supprimes: 150 tonnes de carton par an ont pu

    tre conomises.

    Afin dtre en conformit avec les exigences rglementaires, Coca-Cola France tend

    ensuite ses efforts de rduction la source aux emballages de regroupement et de transport.

    Or, ces emballages remplissent essentiellement des fonctions pour les autres acteurs de la

    chane logistique, comme par exemple, les prestataires de services, les entreprises de

    distribution ou les clients finaux. Dans ce contexte, la direction logistique de Coca-Cola

    France se rapproche de ses partenaires commerciaux privilgis afin dchanger, de partager

    et de progresser sur des pratiques logistiques respectueuses de lenvironnement. En prenant en

    compte les besoins de chaque acteur, il a t possible, par exemple, de rduire

    considrablement lutilisation des films plastiques pour lacheminement des produits depuis

    leur lieu de production jusquau lieu de consommation (8% dconomie sur les lots de six

    botes, soit 110 tonnes de film conomises chaque anne).

    En 2005, Coca-Cola France cre un poste de responsable du dveloppement durable

    afin de permettre de centraliser et dorganiser en interne toutes les dimensions relatives ce

    thme, de cooprer avec les partenaires extrieurs privilgis et de dvelopper la

    communication institutionnelle. Dans cette perspective, lemballage reprsente un axe

    important pour le responsable du dveloppement durable, puisque lenjeu rside dans la

    poursuite de dveloppement des marques du groupe tout en russissant rpondre aux

    exigences de dveloppement durable. Or, avec notamment des tendances marketing en faveur

    de la miniaturisation des formats, lentreprise doit trouver un mode de dveloppement

    conomique lui permettant de rpondre favorablement aux attentes des consommateurs tout

  • 3

    en prservant les ressources de lenvironnement naturel. Il sagit de parvenir satisfaire la

    fois des critres environnementaux et marketing qui semblent tre contradictoires.

    Dans la mme priode, Coca-Cola France lance un emballage innovant sur le plan

    marketing. Elle dcide de profiter de son expertise acquise dans le domaine de rduction la

    source pour valuer limpact environnemental de cet emballage par rapport son ancien

    conditionnement. Pour mener cette tude, Coca-Cola sappuie sur son rseau de relations

    troites avec ses principaux partenaires en amont (fournisseurs de matires premires) et en

    aval (prestataires de services logistiques, entreprises de distribution) de la chane logistique

    afin de relever les donnes pertinentes pour la ralisation de lanalyse. Contre toute attente,

    ltude rvle que lemballage innovant sur le plan marketing nest pas favorable la

    prservation de lenvironnement. Lentreprise dcide, alors, de ne plus lancer de nouveau

    packaging sans raliser dtude environnementale pralable afin de russir intgrer laspect

    environnemental au moment de la conception. Une fois encore, critres environnementaux et

    marketing ne semblent pas converger, et fournissent lentreprise de nombreux dfis pour

    trouver, lavenir, un mode de dveloppement demballages durables.

    Lintensit des pressions rglementaires et labsence doprationnalisation du concept

    de dveloppement durable en des pratiques concrtes, notamment dans le domaine de

    lemballage, a amen Coca-Cola France exprimenter des tests pilotes. Elle a aussi

    recherch un mode de coordination avec ses principaux partenaires dtenteurs dexpertise,

    afin de faciliter sa dmarche dintgration du dveloppement durable dans sa stratgie

    dentreprise, et donc de dvelopper des comptences environnementales.

    Problmatique et question de recherche

    Tout comme Coca-Cola France, les entreprises sefforcent dacqurir des

    comptences, afin de dvelopper des stratgies dentreprise, plus ou moins proactives en

    matire de dveloppement durable. Seulement, avec un concept de dveloppement durable

    apparaissant comme trs large, parfois flou, et difficilement oprationnalisable, lvaluation

    du niveau des entreprises dans ce domaine peut vite devenir difficilement apprhendable.

    Pour notre recherche, il nous apparat alors pertinent dutiliser une cl dentre plus

    spcifique, afin dapprhender le niveau dintgration du dveloppement durable dans la

    stratgie dentreprise: les pratiques de gestion des emballages.

    En effet, lemballage occupe une place prpondrante dans la chane de fabrication qui

    relie le produit brut au consommateur final et concerne toutes les industries o le

  • 4

    conditionnement joue un rle dterminant en matire de scurit et dhygine alimentaire,

    dinformation au consommateur, de design et de respect de lenvironnement. Lemballage et

    sa gestion, qui peuvent reprsenter 15 20% du cot dun produit, se rvlent tre un axe

    privilgi dapprciation du niveau de ressources et comptences environnementales dtenues

    par une entreprise. Ainsi, si lon considre le format de lemballage dans une perspective

    environnementale, on constate quil vise gnralement susciter un trs fort impact visuel

    (taille parfois surdimensionne, forme originale) sans pour autant avoir systmatiquement

    recours des composants cologiques. Le dveloppement de comptences environnementales

    au niveau de la gestion des emballages constitue par consquent un lment rvlateur du

    niveau de ressources et comptences en relation avec lenvironnement de lentreprise.

    Symboles de notre socit de consommation, les emballages font pourtant lobjet

    dinterrogations. En effet, une relle contradiction merge entre, dun ct, les pressions qui

    visent rduire lempreinte environnementale des emballages, et de lautre, une modification

    des comportements de consommation qui a pour consquence daccrotre le nombre

    demballages mis sur le march. En effet, au cours des trente dernires annes, la population

    franaise a augment de 21% (soit 58,7 millions dhabitants en 2000), tandis que le nombre de

    mnages a progress de plus de 50% (soit 23,5 millions en 2000) et que le nombre de

    personnes seules a pratiquement doubl (Adelphe et al. 2004). Concernant la taille des

    mnages, elle tait en moyenne de 3,1 personnes dans les annes 1970 pour atteindre 2,3

    personnes en 2005, favorisant ainsi la diminution des formats des emballages (Insee, 2006).

    Les familles nombreuses sont de moins en moins frquentes, et les personnes seules

    reprsentent 26% de la population en 2005, soit prs dun foyer sur trois. De plus,

    aujourdhui, plus de la moiti des femmes travaillent contre seulement une sur trois en 1960:

    elles aspirent se librer des contraintes du quotidien pour disposer de plus de temps pour

    elles. Ainsi, quand le temps de prparation des repas diminue, lachat de produits tout prts et

    de produits premballs augmente au dtriment des produits en vrac. Par ailleurs, les repas

    sont dstructurs (grignotage), la consommation devient de plus en plus individuelle (en

    portions) et nomade. La hausse des achats en grandes et moyennes surfaces (GMS) et en libre

    service de produits premballs est significative de lvolution de la dmographie, de la

    modification des habitudes et des attentes de consommation. Pour preuve, en 2005, 100

    milliards de produits emballs ont t consomms en France, contre 85 milliards en 1997, et

    80 milliards en 1994 (CNE, 2005). Les dchets demballages mnagers et non mnagers

    reprsentent environ en poids, le tiers (et plus de la moiti en volume) des ordures mnagres

    collectes par les communes. En 2003, le gisement franais des emballages mnagers aprs

  • 5

    usage slve cinq millions de tonnes, soit approximativement le quart des ordures

    mnagres provenant des particuliers. Ce tonnage tend se stabiliser en raison de nombreux

    efforts de rduction la source qui permettent de rduire le poids unitaire de chaque

    emballage mis sur le march (Adelphe et al., 2004).

    En prsence dattentes contradictoires qui manent des parties prenantes, notre intrt

    se porte sur la faon dont les entreprises sont en mesure dapprhender ces demandes et dy

    rpondre en adoptant une stratgie plus ou moins proactive de dveloppement durable. Elles

    sorientent vers un principe de responsabilit socitale, afin dattester de leur conformit avec

    les valeurs vhicules par les parties prenantes. Cet engagement de responsabilit socitale

    passe essentiellement par la gestion de la communication externe et de limage de marque. A

    travers notamment la publication des rapports de dveloppement durable, le discours des

    entreprises repose sur le modle des parties prenantes, puisquil relate les efforts faits par

    lentreprise dans ce domaine lgard des diffrents groupes dacteurs affects par ses

    activits.

    A travers lexemple de la gestion de lemballage, il est donc possible de mieux cerner

    la problmatique de dveloppement durable laquelle lentreprise est confronte. En effet,

    lexemple a montr que pour rpondre aux exigences de dveloppement durable vhicules

    par ses parties prenantes, lentreprise se devait de dtenir des comptences spcifiques. Par

    consquent, nous considrons la gestion des emballages comme une cl dentre pour

    apprhender, dun point de vue plus gnral, les antcdents du niveau dintgration au sein

    de la stratgie dentreprise. La thse dfendue est donc la suivante: les ressources et

    comptences ainsi que le type de relation entretenu avec les diffrentes parties prenantes

    permettent dexpliquent le niveau dintgration du dveloppement durable dans la stratgie

    dentreprise. Cela nous amne formuler notre thse sous la forme de la question de

    recherche suivante: dans quelle mesure, les ressources et comptences ainsi que le type de

    relation entretenu avec les diffrentes parties prenantes, expliquent-ils le niveau

    dintgration du dveloppement durable au sein de la stratgie dentreprise ?

    Afin de rpondre notre question de recherche, nous proposons de la dcomposer en

    plusieurs interrogations:

    1) Quels sont les enjeux de dveloppement durable pour lentreprise ?

    2) Existe-t-il plusieurs niveaux dintgration du dveloppement durable dans la

    stratgie dentreprise ?

    3) Qui sont les parties prenantes vhiculant des exigences de dveloppement durable

    envers lentreprise ?

  • 6

    4) Quelles sont les ressources et comptences en jeu selon le niveau dintgration du

    dveloppement durable dans la stratgie dentreprise?

    5) Existe-t-il un niveau dintgration du dveloppement durable dans la stratgie

    dentreprise qui anticiperait les attentes des parties prenantes en explorant de nouvelles rgles

    du jeu concurrentiel ?

    Pour rpondre notre question de recherche, nous mobilisons un double cadre

    danalyse, fond sur lapproche des parties prenantes et sur la thorie des ressources et

    comptences. Ce cadre nous permet dtudier la nature des connexions entre la gestion des

    relations avec les parties prenantes et la performance environnementale conscutive de la

    matrise de ressources et comptences environnementales. Lapproche des parties prenantes

    permet dtablir une relation entre une forte orientation vers les parties prenantes et le niveau

    dintgration du dveloppement durable dans la stratgie dentreprise. Les organisations ne

    doivent pas limiter leurs dcisions stratgiques la seule satisfaction des actionnaires mais

    largir leurs objectifs afin de rpondre aux attentes et aux intrts dune large varit de

    parties prenantes (Buysse et Verbeke, 2003). La thorie des ressources et comptences met en

    vidence lorigine de lavantage concurrentiel dans la capacit de lentreprise exploiter des

    comptences spcifiques au sein de lunivers concurrentiel. Le dploiement de ressources et

    comptences considres comme stratgiques permet alors dobtenir un avantage comptitif.

    Ce double cadre thorique permet darticuler le niveau de comptences environnementales et

    limportance accorde aux parties prenantes en fonction du niveau de dintgration du

    dveloppement durable dans la stratgie dentreprise.

    Le dveloppement durable: un ancrage historique tourn vers le futur

    Laccroissement des proccupations en faveur du dveloppement durable concide

    avec lexpansion du phnomne de globalisation, synonyme dinterdpendance accrue,

    daugmentation du nombre dacteurs influents, de concurrence renforce, daccroissement du

    niveau de risque et dacclration des changements au sein des organisations (Urban, 2005).

    Le dveloppement durable, actuellement un des termes les plus mdiatiss, est en fait

    un concept ancien, et il sest nourri des dbats de socit et des questions que se pose

    lhomme relativement son milieu. Une approche historique permet de situer son origine

    dans lentreprise paternaliste du XIXme sicle (Stephany, 2003). Plus rcemment, il se

    dveloppe partir de 1974 avec le terme dcodveloppement, puis en 1980 o lexpression

    sustainable development est adopte par lUnion Internationale pour la Conservation de la

  • 7

    Nature. Mais cest en 1987, que le dveloppement durable prend son vritable essor. A cette

    date, Madame Brundtland, alors Ministre Norvgienne, dfinit pour la premire fois

    lexpression. Dans son rapport intitul Our Common Future , elle le prsente comme: un

    mode de dveloppement conomique qui rpond aux besoins du prsent sans compromettre la

    capacit des gnrations futures rpondre aux leurs (Commission Mondiale de lONU sur

    lEnvironnement et le Dveloppement, 1988: 51). Depuis, bien dautres dfinitions se sont

    succdes, mais cest cette premire qui est largement reconnue et accepte par tous.

    Au niveau de la littrature, lHarvard Business Review sintresse en 1997 au

    dveloppement durable avec notamment, larticle de Hart, intitul Beyong Greening:

    Strategies for a Sustainable World dans lequel lauteur explique les raisons pour lesquelles

    le monde dans son ensemble sinscrit dans un dveloppement non durable. Pour prserver les

    ressources naturelles, le dveloppement durable doit donc sappuyer sur trois piliers

    complmentaires et indissociables: lefficacit conomique, le respect de lenvironnement et

    lquit sociale (Elkington, 1997 ; Gladwin et al., 1995 ; Hart, 1995 ; Stikker, 1995 ; Welford,

    1995). Cette convergence entre les sphres conomique, sociale et environnementale autorise

    une double lecture du dveloppement durable: la qute de durabilit peut constituer soit un

    objectif, soit un moyen permettant datteindre le but que se fixe lentreprise (Boiral et

    Croteau, 2001 ; Persais, 2004).

    Dans le premier cas, il sagit dadjoindre la finalit conomique un certain nombre

    de missions complmentaires, comme la participation au progrs social ou la prservation des

    milieux naturels, par exemple. Puisque lentreprise nexiste pas uniquement pour ses

    actionnaires mais aussi pour ou par une multitude dautres parties prenantes (Freeman, 1984),

    il convient donc dlargir le champ dvaluation de la performance afin dintgrer des

    considrations dordre socital (Graves et Waddock, 1994 ; Caroll, 1996 ; Ogden et Watson,

    1999). De ce fait, le courant dontologiste se fonde sur une thique du devoir et ne se

    proccupe pas des consquences de laction, mais mesure la dimension thique contenue dans

    un acte.

    Dans le second cas, lobjectif de performance conomique (rsultat) est subordonn

    un comportement positif et volontariste dans le domaine cologique et social (moyens). Pour

    Friedman et les conomistes de lcole de Chicago, la responsabilit dentreprise ne sexerce

    que par des dcisions permettant damliorer la rentabilit aux actionnaires. Ici, la prise en

    compte dintrts socitaux conditionne la russite conomique et financire de lentreprise.

    Cette approche value donc les actions partir de leurs consquences en considrant lthique

    selon une logique utilitariste, c'est--dire une source de profit et de rentabilit.

  • 8

    Quelle que soit la grille de lecture choisie, la prise en compte du dveloppement

    durable implique la reconnaissance dun certain nombre de responsabilits lgard de la

    socit. Le dbat sur la responsabilit dentreprise prend son essor lors de larticle de Bowen

    (1953) qui prconise une rvision des stratgies en intgrant les dimensions socitales afin de

    rpondre aux diffrentes pressions de la socit. Parmi la littrature abondante sur le sujet,

    deux courants majeurs se distinguent. Le premier, ax sur les courants Business Ethics et

    Corporate Social Responsibility , est moraliste. Il se base sur les fondements des thories

    sociologiques no-institutionnelles de la lgitimit, o lentreprise se situe au sein dun champ

    social et recherche tre en conformit avec les valeurs de la socit. Cette approche se fonde

    sur lthique (distinction entre le bien et le mal au niveau individuel) et la morale (obligation

    de se conformer aux valeurs de la socit). Bien que fondatrice, cette approche normative de

    la responsabilit sociale est insuffisante pour apprhender le processus dintgration du

    dveloppement durable au sein des organisations. Cest pourquoi une seconde approche,

    stratgique, porte par les courants Social Issue Management et Corporate Social

    Responsiveness sest dveloppe. Elle sinspire de lapproche no-classique conomique et

    librale, o la responsabilit de lentreprise sert accrotre le profit des actionnaires. Ces deux

    approches se rejoignent pour dfinir des typologies de postures dentreprises vis--vis du de la

    responsabilit sociale. Compltes par des travaux relatifs au management environnemental,

    elles permettent de dterminer les diffrentes postures possibles dentreprise face aux

    exigences de dveloppement durable.

    Pourtant cette approche prsente le problme majeur quil nexiste pas

    doprationnalisation de la responsabilit dentreprise permettant dtablir un cadre propice au

    recueil de donnes (Clarkson, 1995). Toute entreprise a des relations avec diffrentes parties

    prenantes, et ces relations peuvent tre gres ou non, suivant les cas. Ainsi, les donnes que

    lon peut recueillir sur le terrain correspondent au modle du management des parties

    prenantes (Freeman, 1984) plutt quaux concepts de responsabilit dentreprise, de

    sensibilit aux questions sociales ou la performance sociale de lentreprise (Clarkson, 1995).

    Cest pourquoi lapproche des parties prenantes permet de dpasser les limites lies au

    concept de responsabilit dentreprise. Par lintermdiaire des parties prenantes, toutes les

    exigences de dveloppement durable sont donc vhicules jusqu aux organisations.

    Parties prenantes: dfinition, identification et hirarchisation

    Lapproche des parties prenantes sinscrit dans la ligne dapproches normatives, avec

    les recherches sur la responsabilit sociale (Berles et Means, 1932 ; Dodd, 1932 ; Bowen,

  • 9

    1953 ; Preston et Post, 1975 ; Carroll, 1979 ; Garrod, 1997 ; Mc Gee, 1998). Lapproche des

    parties prenantes porte, dans un premier temps, son attention sur la morale (Philips, 2003) en

    sintressant lquilibre des intrts des parties prenantes (Goodpastor, 1991 ; Frooman,

    1999). Puis, dans un second temps, une approche stratgique axe sur la performance, se

    proccupe de la gestion des intrts des parties prenantes. Cette approche propose un cadre

    intgrateur du management stratgique en dpassant les conceptions restrictives de la thorie

    de lagence focalise sur les rapports entre les managers et les actionnaires, et des stratgies

    concurrentielles de Porter sur les rapports entre lentreprise et les acteurs de lenvironnement

    (Martinet et Reynaud, 2004).

    Les premiers travaux formalisant le concept de parties prenantes apparaissent dans les

    annes 1970 et 1980 (Charan et Freeman, 1979 ; Sturdivant, 1979 ; Freeman et Reed, 1983).

    Le concept de partie prenante na pas le mme sens pour tous les auteurs (Philips et al., 2003).

    La vision large des parties prenantes de Freeman (1984) ancre la gestion des parties prenantes

    un niveau stratgique, mais pose des problmes puisque tout le monde pourrait prtendre

    un intrt dans une organisation (Sternberg, 2001 ; Orts et Strudler, 2002 ; Jensen, 2002) ;

    quant lacception plus troite distinguant les parties prenantes volontaires et involontaires

    (Clarkson, 1995), elle se rfre plus une notion denjeu et de pari que dintrt (Hill, Jones,

    1992).

    Depuis la publication de Freeman (1984) intitule Strategic Management: A

    Stakeholder Approach , de nombreux articles (Brenner et Cochran, 1991 ; Clarkson, 1991 ;

    Goodpaster, 1991 ; Wood, 1991 ; Hill et Jones, 1992) sont venus enrichir ce champ de

    recherche. Cette littrature de plus en plus abondante, o apparaissent les concepts de parties

    prenantes, de modle des parties prenantes, de management et de thorie des parties

    prenantes, dconcerte le lecteur.

    Un des principaux enjeux rside donc dans lidentification des parties prenantes

    importantes et de leurs attentes, ainsi que dans la mise en uvre de moyens adquats pour les

    satisfaire (Beck, 1992 ; Welford et Gouldson, 1993 ; Shrivastava, 1995 ; Henriques et

    Sadorsky, 1996 ; 1999 Berry et Rondinelli, 1998). Si lide dune hirarchisation est reconnue

    comme ncessaire par lensemble des auteurs, il nen est pas de mme des modalits pratiques

    lies cette hirarchisation.

    Une typologie des parties prenantes propose de les rpartir en deux groupes distincts:

    les parties prenantes primaires impliques directement dans le processus conomique et ayant

    un contrat explicite avec lentreprise, et les parties prenantes secondaires ayant des relations

    volontaires ou non avec lentreprise, dans le cadre dun contrat implicite ou moral (Carroll,

  • 10

    1996 ; Clarkson, 1995 ; Savage et al., 1991 ; Buysse et Verbeke, 2003). Une autre typologie

    base sur les attributs des parties prenantes permet de hirarchiser limportance des parties

    prenantes pour lentreprise et donc den justifier la pertinence: le pouvoir, la lgitimit

    (Andriof et Waddock, 2002 ; Donaldson et Preston, 1995 ; Gond et Mercier, 2005), et

    lurgence, perus par les dirigeants (Mitchell et al., 1997 ; Agle et al., 1999 ; Egri et Herman,

    2000 ; Sharma, 2000). Dans une logique stratgique, la justification de lexistence des parties

    prenantes par lexistence des relations de pouvoir, conduit une interdpendance de

    lorganisation avec les diffrents groupes qui constituent son environnement et avec lesquels

    elle interagit (Andrioff et Waddock, 2002).

    Stratgie de dveloppement durable et thorie des ressources et comptences

    La thorie des ressources et comptences prend racine dans la loi des dbouchs de

    Say (1803) et dans la thorie de la rente de Ricardo (1817). Dans le prolongement,

    Schumpeter (1950) a suggr une stratgie qui sappuie sur des ressources uniques ou rares,

    comme tant lorigine de la performance des entreprises. Cela a apport un clairage

    nouveau un dbat conomique ancien qui opposait limpact sectoriel (Bain, 1951 ; Scherer,

    1973) celui des ressources et comptences sur la performance. Ce dbat thorique a anim la

    question de limportance relative des capacits internes des entreprises (Galbraith et

    Kazanjian, 1986 ; Peters et Waterman, 1982 ; Prahalad et Hamel, 1990) par rapport aux

    facteurs environnementaux (Hannan et Freeman, 1977 ; Pfeffer et Salancik, 1978 ; Porter,

    1980, 1990) dans la construction dun avantage concurrentiel solide.

    La thorie des ressources et comptences met laccent sur lidentification des

    ressources stratgiques ainsi que sur leur bonne utilisation pour construire un avantage

    concurrentiel solide (Barney, 1986 ; Amit et Schoemaker, 1993). Dans la ligne de Penrose

    (1959), Chandler (1962) et Caves (1980), Wernerfelt (1984: 72) apporte une contribution

    importante en dfinissant le concept de ressources comme les actifs tangibles et intangibles

    qui sont attachs de manire semi permanente une entreprise . Par la suite, dautres

    auteurs se sont intresss aux caractristiques devant tre possdes par les ressources pour

    pouvoir tre considres comme stratgiques (Dierickx et Cool, 1989 ; Barney, 1991).

    Les spcialistes se sont intresss aux comptences centrales (Prahalad et Hamel,

    1990), et la capacit de lentreprise dvelopper des capacits dynamiques en rponse des

    changements organisationnels (Teece et Pisano, 1994). La thorie des ressources suggre que

    la stratgie dentreprise ne dbouchera sur un avantage concurrentiel solide que si elle est

  • 11

    soutenue par les comptences de lentreprise (Barney, 1991 ; Meschi, 1997 ; Rugman et

    Verbeke, 2003).

    Historiquement, la thorie du management a utilis les dimensions politique,

    conomique, sociale et technologique de lenvironnement en omettant sa dimension naturelle

    (Shrivastava et Hart, 1992 ; Shrivastava, 1994). Les travaux de Hunt et Auster (1990), Roome

    (1992), Schot et Fischer (1993), ainsi que ceux dAzone et Bertel (1994) y remdient, en

    proposant des typologies qui classent les entreprises en fonction de leurs stratgies

    environnementales. Ces typologies reprsentent une oprationnalisation des questions

    environnementales dveloppes prcdemment par Carroll (1979) ainsi que par Wartick et

    Cochran (1985). Dans son article de 1995, Hart dveloppe une typologie des ressources

    naturelles de lentreprise, o lavantage concurrentiel rside dans la nature de ses relations

    avec lenvironnement naturel. Dans le prolongement de Hart (1995), Fowler et Hope (2007)

    sinterrogent sur le processus de dveloppement des comptences environnementales pour

    savoir si les ressources ncessaires lintgration de ces stratgies dans les entreprises doivent

    tre acquises de faon squentielle ou en parallle.

    Ces recherches mettent laccent sur la perspective managriale de la thorie des

    ressources, o le facteur environnemental et la ncessit de sy adapter en tirant parti des

    opportunits gnres par ce contexte, jouent un rle dterminant. Paralllement cette

    approche, un mouvement intgratif, considrant la protection de lenvironnement comme une

    responsabilit collective sest dvelopp (Purser et al., 1995) Malgr lintrt certain de

    lapproche intgrative, lapproche managriale semble tre davantage adapte une

    oprationnalisation du concept de dveloppement durable au sein des organisations.

    Pour compenser les limites de la thorie des ressources, certains auteurs ont prfr le

    rle complmentaire des approches internes et externes des ressources (Wernerfelt, 1984 ;

    Hansen et Wernerfelt, 1989 ; Barney, 1991 ; Meadows et al., 1992 ; Brown et al., 1994).

    Lentreprise sengage tre responsable afin de rpondre aux pressions des parties prenantes,

    qui possdent certaines des ressources dont elle a besoin pour construire un avantage

    concurrentiel solide.

    Stratgie de dveloppement durable et approche des parties prenantes

    Le dveloppement durable, en faisant appel des questions sociales, se prte

    particulirement bien lutilisation de lapproche des parties prenantes car elle possde elle-

    mme des valeurs intrinsques de responsabilit. Cette approche est considre comme une

  • 12

    rfrence en matire de responsabilit socitale des entreprises bien que sa complexit et son

    caractre multidimensionnel offrent matire dbattre.

    Au sein mme de cette approche, un des dbats majeurs rside dans la connaissance

    des raisons pour lesquelles les organisations cherchent satisfaire les intrts de leurs parties

    prenantes: est-ce pour des raisons conomiques ou altruistes ? Deux approches coexistent:

    lune, normative, o les parties prenantes ont des intrts lgitimes que lentreprise doit, par

    obligation morale, prendre en compte, et lautre, instrumentale, o lon sintresse la mesure

    de lefficacit du management des parties prenantes sur la performance organisationnelle de

    lentreprise (Donaldson et Preston, 1995 ; Berman et al., 1999). Lapproche instrumentale

    stipule quun management pertinent des parties prenantes peut permettre lentreprise de

    rsoudre le dilemme entre une comptitivit et des actions perues comme offensives par les

    parties prenantes (Freeman, 1984 ; Freeman et Gilbert, 1987 ; Harrison et St John, 1996) en

    intgrant les proccupations socitales (Donaldson et Preston, 1995 ; Jones, 1995 ; Wood et

    Jones, 1995).

    Les activits de lentreprise produisent des externalits sur lenvironnement naturel qui

    engendrent des ractions dhostilit de la part des acteurs avec qui elle est en relation. Les

    pressions environnementales qui sexercent sur lentreprise, sexpriment donc par

    lintermdiaire de groupes dacteurs, issus de lenvironnement oprationnel, qui influencent

    directement ou indirectement, par leurs actions, les objectifs et oprations quotidiennes de

    lentreprise (Dill, 1958). De nombreux travaux sattachent donc identifier les groupes

    dacteurs qui exercent des pressions en fonction de la lgitimit de leurs attentes (Clarkson,

    1995 ; Frooman, 1999 ; Mintzberg, 1986 ; Persais, 1998 ; Rowley, 1997). Henriques et

    Sadorsky (1999) proposent de regrouper les acteurs sur la base de leur fonction et de leur

    pouvoir vis--vis de lentreprise, savoir: les parties prenantes de rgulation (Barrett, 1992 ;

    Kelley, 1991 ; Kirby, 1988 ; Allen, 1984 ; Porter et Van Der Linden 1985 ; Schrader, 1991),

    les parties prenantes organisationnelles (Greeno et Robinson, 1992), les parties prenantes

    issues de la communaut (Clairet al., 1995 ; Turcotte, 1995) et les mdias (Mittroff et al.,

    1989 ; Sharbrough et Moody, 1995 ; Shrivastava et Siomkos, 1989).

    Les parties prenantes sont aussi perues comme tant en possession de ressources

    stratgiques pour la survie de lentreprise. Toutes ne sont donc pas aussi importantes les unes

    que les autres pour dvelopper des stratgies environnementales, et cette importance est

    susceptible dvoluer dans le temps (Henriques et Sadorsky, 1996 ; Mitchell et al. 1997 ;

    Buysse et Verbeke, 2003). Leur identification varie donc en fonction du niveau dintgration

    du dveloppement durable dans la stratgie dentreprise. A limage de Simon (1993), il sagit

  • 13

    de savoir comment mettre en uvre des actions collectives permettant de satisfaire les

    objectifs individuels et collectifs. Lentreprise fait partie intgrante de son environnement et la

    coopration constitue lessence mme de lorganisation dont le but devient partag par tous.

    Les recherches issues des thories no-institutionnelles (Powell et Di Maggio 1983 ;

    Meyer et Rowan, 1983 ; Suchman, 1995) expliquent le processus de diffusion de certaines

    pratiques managriales comme des tentatives de gestion de la lgitimit organisationnelle. De

    ce fait, lentreprise, en sadaptant aux exigences de dveloppement durable vhicules par les

    parties prenantes, est en mesure de faire reconnatre la lgitimit de ses actions, par

    lensemble de la socit (Boiral et Jolly, 1992). Une impression de transparence avec les

    parties prenantes gnre un accroissement de limage de marque, de la rputation et de la

    lgitimit de lentreprise. Pourtant, cela nimplique pas ncessairement que cette gestion soit

    effective et mise en uvre par des pratiques concrtes. Dans la mesure o il existe toujours un

    cart entre le discours des entreprises et leurs pratiques relles, la gestion intentionnelle de la

    communication externe et de limage de marque reprsente un enjeu critique pour les

    entreprises (Aggeri et Acquier, 2005).

    Pour des raisons de lgitimit et non defficacit, les organisations qui appartiennent

    un mme champ organisationnel, sont conduites se conformer certaines rgles, structures

    et pratiques communes, requises par lenvironnement institutionnel. Meyer et Rowan (1983)

    qualifient ce processus de conformation symbolique, dont le but est dattester de ladoption

    dun ensemble de croyances et valeurs par lentreprise. En recherchant la lgitimit, les

    organisations reconnaissent les intrts des parties prenantes, et dveloppent des stratgies en

    faveur du dveloppement durable (Martinet et Reynaud, 2001).

    Performance socitale et performance conomique

    Auparavant, la variable environnementale tait considre comme une contrainte par

    la majeure partie des entreprises industrielles (Hart, 1995 ; Porter et Van de Linde, 1995 ;

    Oliver, 1997 ; Persais, 2002 ; Russo et Fouts, 1997). Lmergence du concept de

    dveloppement durable et sa mise en uvre favorisent lide dune convergence entre les

    dimensions conomique, sociale et environnementale (Gladwin et al., 1995). Alors que

    lentreprise tait en position de grer des contraintes environnementales, elle est aujourdhui

    en mesure de le considrer comme de relles opportunits de dveloppement stratgique.

    Pourtant, la question de limpact de la performance socitale sur la performance

    conomique fait lobjet de dbats au sein de la communaut scientifique (Griffin et Mahon,

    1997). Klassen et McLaughlin (1996) considrent lentreprise comme une bote boire et

  • 14

    mettent en vidence une relation entre performance environnementale et performance

    conomique. Il en est de mme pour Waddock et Graves (1997), Russo et Fouts (1997) qui

    considrent que les performances conomique et environnementale sont lies. Au contraire,

    Wiliams et Siegel (2000) concluent une absence de relation entre performance conomique

    et russite socitale. Quant Gond (2000), il prfre ne pas se prononcer en raison de

    lambigut du concept de performance socitale.

    Selon lapproche no-classique, le premier objectif du management est de maximiser

    les rentes des actionnaires (Friedman, 1962, 1970). Le management doit restreindre ses

    initiatives environnementales des projets qui confrent la conformit lentreprise tout en

    gnrant de la valeur aux actionnaires (Walley et Whitehead, 1994 ; Hillman et Keim, 2001).

    Rcemment, les spcialistes ont avanc lide selon laquelle il est possible de parvenir

    un scnario dans lequel lentreprise peut maximiser sa valeur tout en progressant dans

    lintgration de pratiques de dveloppement durable (Florida, 1996 ; Judge et Douglas, 1998 ;

    Klassen et McLaughin, 1996 ; Porter et Van der Linde, 1995). Ce courant est illustr par

    plusieurs tudes o il apparat quune stratgie environnementale proactive peut amener

    dvelopper de nombreuses comptences organisationnelles qui augmentent la comptitivit de

    lentreprise (Aragon-Correa et Sharman 2003 ; Berry et Rondinelli, 1998 ; Sharma et

    Vredenburg, 1998). Inversement, une faible performance socitale peut affecter les relations

    avec les parties prenantes de lentreprise et donc avec elle-mme. Les actionnaires souffriront

    de pertes pcuniaires sur leur investissement si lentreprise est responsable de dommages

    causs lenvironnement naturel ou si ses faibles scores font la une des actualits (Hamilton,

    1995). Une entreprise avec une faible performance environnementale peut donc apparatre

    comme risque aux yeux des actionnaires et des investisseurs. Ils rclameront une prime de

    risque leve ou refuseront doctroyer de nouveaux prts. Par ailleurs, lentreprise avec une

    faible performance socitale risque davoir des difficults pour conserver son personnel

    qualifi qui peut tre attir par des entreprises plus performantes.

    Par consquent, sil nest pas clairement tabli que la performance socitale

    saccompagne de la performance conomique, les entreprises ont pourtant besoin dintgrer

    les questions de dveloppement durable dans leur stratgie afin de rester comptitives sur

    leurs marchs (Christman, 2000 ; McGee, 1998).

  • 15

    Objectifs de la recherche

    Le concept de dveloppement durable tant global et thorique, un des objectifs de

    notre recherche est de comprendre et dexplorer la place du dveloppement durable dans la

    stratgie dentreprise.

    Le deuxime objectif de recherche rside dans lidentification des parties prenantes

    qui jouent un rle cl dans le niveau de proactivit de la stratgie de dveloppement durable

    engage par lentreprise.

    Enfin, le troisime objectif de recherche est didentifier la nature des ressources et

    comptences dtenues par lentreprise qui dterminent le niveau dintgration du

    dveloppement durable au sein de sa stratgie.

    Mthodologie de la recherche et prsentation du terrain dtude

    Pour rpondre notre question de recherche, nous nous inscrivons dans une logique

    hypothtico-dductive. Cela signifie que le point de dpart pour rpondre notre question de

    recherche se situe au niveau de la thorie. La revue de la littrature nous permet dtablir un

    modle de recherche que lon confronte par la suite au terrain dtude.

    Le design de la recherche sarticule autour dune mthodologie en deux phases. La

    premire est une phase dexploration, afin de comprendre comment le dveloppement durable

    sintgre dans la stratgie dentreprise. Cette phase permet didentifier les points critiques de

    la recherche, de comprendre lensemble du problme. Cette phase exploratoire sappuie sur

    un chantillon de petite taille afin de recueillir des donnes qualitatives. Notre choix, quant au

    terrain dtude, sest port sur lanalyse dune dmarche initie par lentreprise de distribution

    Carrefour, qui a engag en 2001, une rflexion avec ses principaux partenaires, industriels et

    prestataires de services logistiques, autour de la problmatique environnementale de la

    logistique en France. En 2003, ces partenaires dcident de fonder ensemble lAssociation du

    Club Demeter Environnement et Logistique, un groupe dacteurs privs et publics de la

    chane logistique globale, dont lobjectif est de promouvoir et de mettre en uvre des actions

    concrtes, mesurables et respectueuses des trois sphres conomique, sociale et

    environnementale du dveloppement durable. Lensemble de ces acteurs reprsente 40% de la

    grande distribution en France, soit prs de 400 000 salaris et 75 milliards deuros de chiffre

    daffaires.

    Les partenaires ont dfini cinq domaines cls sur lesquels ils souhaitent concentrer

    leurs efforts: la saturation des moyens logistiques, loptimisation de la chane logistique, les

    emballages, la logistique urbaine, les indicateurs de rfrence en logistique et environnement.

  • 16

    A travers ltude de cas longitudinale ralise entre 2003 et 2007, nous avons particulirement

    suivi lvolution du groupe de travail sur les emballages. Nous avons mobilis le recueil de

    donnes secondaires (tude documentaire des rapports de dveloppement durable) et de

    donnes primaires (lobservation dun groupe restreint, et les entretiens semi-directifs) afin

    dapprhender un des principaux axes de collaboration entre ces diffrentes parties prenantes,

    savoir la politique des emballages. Il sagit donc dune tude en profondeur, ralise sur un

    point prcis afin de connatre quelles sont les ressources et comptences en jeu dans la

    pratique de gestion des emballages dans un contexte de dveloppement durable. En fonction

    de la proactivit de ces pratiques, les parties prenantes qui collaborent avec lentreprise

    varient.

    Sur la base de lanalyse de la littrature et de la premire phase empirique de la

    recherche, un questionnaire denqute est construit. Celui-ci est, au pralable, pr-test auprs

    de Responsables Environnement de trois entreprises industrielles oprant dans le secteur des

    produits de grande consommation, et de trois enseignants chercheurs franais, experts en

    stratgie et dveloppement durable. A la suite de cette phase de pr-test qui a permis de

    modifier, supprimer, ou reformuler certaines questions, le questionnaire a t administr la

    cible. La cible de recherche est constitue des entreprises industrielles du secteur des produits

    de grande consommation. Le choix de cette cible tient au fait que les produits de grande

    consommation sont particulirement reprsentatifs de la problmatique de consommation de

    produits plus respectueux de lenvironnement. De plus, ce secteur reprsente lui seul, le

    premier consommateur demballages. Pour ces raisons, le questionnaire est ainsi administr

    aux personnes en charge des questions relatives au dveloppement durable, au sein

    dentreprises industrielles oprant dans le secteur des produits de grande consommation.

    Lchantillon final de 188 individus est ici de plus grande taille que dans ltude qualitative,

    puisquil sagit de recueillir des donnes quantitatives. La premire phase de ltude

    quantitative consiste mesurer la validit et la fiabilit des construits. Pour cela, des analyses

    en composantes principales, suivies danalyses factorielles confirmatoires sont

    successivement engages. A lissue de ces procdures, les hypothses sont retravailles, de

    faon prendre en compte ces premiers rsultats relatifs lvaluation de la qualit de mesure

    des construits. Une fois la validit et la fiabilit des outils de mesures raliss, les hypothses

    sont dans un premier temps, testes une une au moyen danalyses de rgressions linaires,

    puis dans un second temps, lensemble des hypothses du modle de recherche sont testes

    simultanment au moyen de mthodes dquations structurelles. A lissue du test des

    hypothses, les rsultats sont discuts, puis une synthse gnrale vient clore cette recherche.

  • 17

    Partie 1 - Intgration du dveloppement durable dans la stratgie

    dentreprise: Modle conceptuel

    La premire partie de la thse a pour objectif de construire le modle conceptuel de la

    recherche. Pour ce faire, cette partie se dcompose en plusieurs chapitres. Le premier,

    introductif, dfinit le concept de dveloppement durable et met en perspective ses enjeux et

    ses principes pour lentreprise. Le deuxime chapitre construit une typologie du niveau

    dintgration du dveloppement durable dans la stratgie. Le chapitre 3 inscrit le domaine de

    lemballage dans une double perspective de stratgie et de dveloppement durable. Le

    chapitre 4 identifie les parties prenantes pertinentes en fonction du niveau dintgration du

    dveloppement durable au sein de la stratgie dentreprise. Le chapitre 5 met en vidence les

    ressources et comptences en jeu en fonction du niveau dintgration du dveloppement

    durable dans la stratgie dentreprise. Lensemble de ces cinq chapitres permet de construire

    le modle de recherche.

    Chapitre 1: Dveloppent durable: implications et challenges pour

    lentreprise

    Ce premier chapitre sur le dveloppement durable est de nature introductive. Dans un

    premier temps, le concept de dveloppement durable est dfini. Puis, sont prsents les

    fondements sur lesquels il est construit. Ensuite, les implications pour lentreprise des

    principes dthique, de morale et de responsabilit sociale qui lui sont associs sont analyses.

    Enfin, les diffrentes postures pouvant tre prises par lentreprise face ses principes sont

    dcrites.

    1.1 Dfinition du concept de dveloppement durable

    Le dveloppement durable est parfois qualifi de concept camlon, qui sadapte et

    change dapparence en fonction du contexte dans lequel il est dvelopp (Gutsats, 1983). Il a

    fait lobjet de multiples dfinitions. La premire, retenue depuis par tous, est celle du rapport

    Our Common Future de Gro Harlem Brundtland, alors ministre norvgienne de

    lenvironnement: un mode de dveloppement conomique qui satisfait les besoins du

    prsent sans compromettre la capacit des gnrations futures rpondre aux leurs

    (Commission Mondiale de lONU sur lEnvironnement et le Dveloppement, 1988:51). Elle

    marque la naissance du concept de dveloppement durable.

  • 18

    Pourtant, cette dfinition est soumise de nombreuses critiques. La principale rside

    dans le fait quelle noffre que peu de pistes doprationnalisation du concept (Epstein et Roy,

    2001 ; Reynaud, 2004). En effet, elle nexplique pas la manire pour intgrer ce concept aux

    actions de lentreprise. Seules des lignes idologiques mergent, et non une traduction

    oprationnelle. Ces manquements expliquent pourquoi dautres auteurs ont tent dapporter

    une dfinition prenant en compte ces lments. On peut citer Schmidheiny (1992:6): Le

    dveloppement durable, qui traduit la volont dune meilleure matrise des rapports entre

    lhomme et son milieu, se veut comme une forme de progrs rpondant aux besoins du prsent

    sans compromettre laptitude des gnrations futures rpondre aux leurs . Cette dfinition

    napporte pas de prcision, bien au contraire, puisquelle fait disparatre la notion de

    dveloppement conomique au profit de forme de progrs , encore plus gnral. On est

    trs loin dune oprationnalisation du concept pour faciliter sa mise en uvre au sein des

    entreprises: on demeure dans des dfinitions macroconomiques. A loppos, on peut citer la

    dfinition beaucoup plus prcise de Stphany (2003: 33): le dveloppement durable consiste

    pour lentreprise assurer un dveloppement, par une approche globale de la performance,

    maintenu dans le temps et rsistant aux alas, respectueux dun systme de valeurs explicit,

    impliquant diffrents acteurs internes et externes, dans une logique de progrs continu. .

    Bien que cette dfinition apporte de relles prcisions afin doprationnaliser le concept de

    dveloppement durable, elle prsente le dfaut dtre uniquement axe sur la performance, et

    non sur les dterminants de cette dernire. Quoi quil en soit, ces efforts de traduction

    oprationnelle restent vains car cest la dfinition lusive du dveloppement durable

    envisage par la commission Brundtland (1987) qui fait lunanimit aujourdhui. Cela

    sexplique par le fait que son caractre polysmique et elliptique contribue son appropriation

    par tous les acteurs de la socit. Le caractre globalisant, conciliateur et pour le moins

    imprcis de cette dmarche dintgration explique pour une large part sa grande popularit

    (Boiral et al., 2008: 1). Dans la mesure o les problmes environnementaux des entreprises

    sont larges et complexes, une dfinition prcise et adapte toutes les entreprises nest pas

    envisageable. Cest pourquoi, la dfinition de Brundtland (1987) rencontre un tel succs

    mme si elle manque de prcisions.

    1.2 Les fondements du dveloppement durable

    1.2.1 Les piliers du dveloppement durable

    Afin de satisfaire les besoins de la gnration actuelle sans priver les gnrations

    futures de rpondre aux leurs, le dveloppement durable se situe lintersection de trois

  • 19

    principes fondamentaux et complmentaires: lefficacit conomique, le respect de

    lenvironnement et lquit sociale.

    Le principe conomique: la prosprit conomique de lentreprise rside dans la

    cration de valeur travers les produits et services quelle dveloppe (Bowen et Ambrosini,

    2000). Les firmes accroissent la cration de valeur en tant plus efficaces et plus efficientes

    (Conner, 1991 ; Porter, 1985). Le principe environnemental: la protection de lenvironnement

    est essentielle. Les entreprises doivent rduire leur empreinte cologique en dveloppant des

    pratiques de prvention. Cela conduit une utilisation raisonne des ressources qui ne menace

    pas lavenir des gnrations futures (Bansal, 2005). Le principe social stipule que chacun doit

    tre trait de faon quitable. Lquit sociale doit tre accorde toutes les parties prenantes

    de lentreprise et non plus pour les seuls actionnaires (Bansal, 2005).

    Le dveloppement durable imagine donc la possibilit dun dveloppement o la

    croissance conomique, la protection de lenvironnement et la prise en compte des exigences

    sociales sont compatibles. Ces trois principes sont gnralement accepts par les entreprises

    (Rondinelli et Berry, 2000). Elles doivent intgrer ces trois principes au sein de leurs produits,

    politiques et pratiques (Bansal, 2005). Cette intgration se caractrise par un processus

    dvolutions et dinnovations technologiques, organisationnelles, et comportementales qui

    sinscrivent dans le temps.

    Par l-mme, il soppose au concept de croissance zro, dvelopp dans les annes

    1970, mis en avant au club de Rome et dans son rapport: The limits to growth . Cette

    rflexion, qui considre la croissance conomique comme attentatoire aux perspectives

    environnementales, est reste sans cho. Il en est de mme de la notion dcodveloppement

    propose par Sachs et officiellement adopte dans la dclaration de la confrence mondiale de

    lenvironnement de Stockholm en 1972. Cette notion tentait dtablir une connexion entre

    environnement et dveloppement. Elle illustre lveil de la prise de conscience des questions

    environnementales par toute la socit qui se concrtise par lmergence du concept de

    dveloppement durable. Ladoption du dveloppement durable par un nombre croissant

    dorganisations rside dans lexistence de moyens de diffusion grande chelle de ses

    principes.

  • 20

    1.2.2 Mode de diffusion des fondements de dveloppement durable

    Le rapport Brundtland a inspir le dveloppement de structures et doutils afin de

    faciliter la diffusion des principes de dveloppement durable.

    1.2.2.1 Les structures

    Concernant les structures, le rapport Brundtland a servi ddifice au premier Sommet

    de la Terre Rio de Janeiro en 1992, qui a notamment adopt un plan mondial Action 21

    afin de prparer le monde aux orientations stratgiques et ducatives du XXIme sicle. Dans

    cette ligne, les confrences internationales de Kyoto en 1997, Davos en 2001, Johannesburg

    en 2002, Montral en 2005, Nairobi en 2006 et Paris en 2007, se sont toutes inscrites dans les

    principes dfinis de ce rapport. Il a par ailleurs inspir la cration du World Business

    Council for Sustainable Development (WBCSD) en 1995, dont le but est de diffuser les

    principes du dveloppement durable et de mettre en commun les savoir-faire des entreprises.

    Lanne 2000 est marque par la publication dun guide des principes directeurs de lOCDE,

    et dans chaque pays membre, la cration dun PCN (point de contact national), dont lobjectif

    est daider la concrtisation et au respect de ces principes. Plus spcifiquement sur le plan

    franais, est cr en 2001, lInstitut du Dveloppement Durable et des Relations

    Internationales (IDDRI), afin de mener une rflexion sur les grands problmes

    environnementaux. Cette cration est suivie en 2003 par celle du Conseil National du

    Dveloppement Durable (CNDD), constitu de reprsentants dentreprises, de collectivits

    territoriales, de syndicats et dassociations. Un grand nombre dentreprises ont adhr au

    pacte mondial de lONU qui inclut des recommandations pour assurer le dveloppement

    durable. Les efforts portent sur la nature des produits mais aussi sur les processus de

    production intgrant la gestion des ressources et llimination des dchets.

    1.2.2.2 Les outils

    Le second axe de diffusion des principes de dveloppement durable au sein des

    entreprises passe par le dveloppement doutils dvaluation spcifiques. Afin de vrifier la

    convergence des sphres conomique, environnementale et sociale, les modalits de son

    valuation doivent tre clairement dfinies. Il sagit dadopter une dmarche normalise qui

    passe par la mise au point de standards volontaires, le dveloppement dune comptabilit

    sociale de rfrence (GRI) et le dveloppement dagences de notations spcialises (Frone et

    al., 2001). Le concept de triple bilan, plus connu sous Triple bottom line , est un outil cr

    par la Commission europenne en 2000, pour valuer la performance des entreprises dans les

  • 21

    sphres environnementale, conomique et sociale. Il trouve son application dans lintgration

    du dveloppement durable au sein des entreprises (Elkington, 1997). Cette approche value

    les entreprises en fonction de leurs performances conomiques, environnementales et sociales.

    Face la multiplication dinitiatives individuelles ou sectorielles au sujet de la publication de

    rapports socitaux, il est devenu indispensable de dvelopper un standard international

    permettant de comparer les entreprises. Cest la mission que sest fixe la Global Reporting

    Initiative (GRI) cre en 1997, par le PNUE et lONG CERES (Coalition for Environmentally

    Responsible Economies). Cette organisation internationale a pour objectif llaboration du

    guide GRI Sustainability Reporting Guidelines prenant en compte les dimensions

    conomique, sociale et environnementale. Elle a vocation devenir la norme de rfrence

    dans le domaine en sappuyant sur onze principes qui permettent de btir le rapport

    (transparence, inclusion, auditabilit), de choisir les informations qui doivent apparatre

    (compltude, pertinence, dfinition of du contexte de dveloppement durable) et dassurer

    laccessibilit aux personnes intresses (clart et opportunit). On peut aussi citer lEuropean

    Fondation of Quality Management (EFQM). Elle propose un modle dexcellence, bas sur

    neuf catgories danalyse qui certifie que les leviers de dveloppement durable sont conus et

    dvelopps en fonction des attentes des parties prenantes. La normalisation reprsente un

    march qui offre des perspectives de dveloppement pour les entreprises concernes. Les

    entreprises daudit comptable et financier se dveloppent sur les marchs de la certification

    comptable. Quels que soient les modes de diffusion des fondements du dveloppement

    durable, ils prennent en considration ses perspectives dthique, de morale et de

    responsabilit.

    1.3 Perspectives thique, morale et de responsabilit sociale dans une approche de

    dveloppement durable

    La prise en compte du long terme, la conciliation des intrts des gnrations actuelles

    et futures, les dimensions conomique, environnementale et sociale sont toujours les points

    forts lorsque lon voque le dveloppement durable sur le plan macro-conomique, politique,

    comme sur le plan plus spcifique de lentreprise. Dans la logique de dveloppement durable,

    la finalit conomique de lentreprise nest pas remise en cause. Par contre, la qute de

    durabilit suppose que lentreprise reconnaisse ses responsabilits dans les domaines

    concerns par ses dcisions (Ferone et al., 2001 ; Lauriol, 2004 ; Mayrhofer et al., 2005).

    Cependant, tout comme le dveloppement durable, cette notion souffre dun foisonnement

  • 22

    smantique. Il existe une confusion relative la dfinition du bon niveau dengagement de

    lentreprise dans la responsabilisation. Une grande diversit de travaux est parue, gnrant

    une indtermination sur le concept de responsabilit et une convergence plus ou moins

    importante entre lintrt de lentreprise et lintrt gnral. Cependant, au sein de cette

    littrature abondante, on retrouve deux principales approches (Gond, 2001 ; Persais, 2004).

    La premire, intgrative, fonde sur la morale ( Corporate Social Responsibility ) et

    sur lthique ( Business Ethics ), considre que lentreprise doit assumer ses obligations vis-

    -vis de la socit. Cette vision normative, construite sur un principe dontologique, estime

    que la nature est un sujet dattention et non un objet dutilisation. Le dveloppement durable

    constitue un objectif part entire, que lentreprise doit satisfaire. Cette approche morale est

    construite sur le principe de responsabilit et inspire de la philosophie de Jonas (1990). Elle

    considre que lentreprise a lobligation de se conformer aux principes moraux qui rgissent

    la socit.

    La seconde, stratgique, base sur la rponse sociale ( Corporate Social

    Responsiveness ) et sur une vision instrumentale ( Social Issue Management ), permet

    lentreprise de ragir aux demandes sociales issues de son environnement. Dans cette

    approche pragmatique, la prservation de la nature constitue une condition de survie pour

    lhomme. Axe sur un principe utilitariste, elle apprhende la politique de dveloppement

    durable comme un moyen permettant de raliser des objectifs. La rponse de lentreprise,

    confronte des demandes des parties prenantes, sera dterminante de son succs sur le long

    terme. Ainsi, des dbats thoriques ont lieu entre les dfenseurs lapproche thique/morale et

    ceux de lapproche stratgique/utilitariste. Le concept de dveloppement durable autorise ces

    diffrentes lectures pour crer une convergence entre ses sphres conomique, sociale et

    environnementale.

    1.3.1 Lapproche morale de la responsabilit dentreprise

    Le concept de dveloppement durable est rcent ( Our common future , 1987), mais

    les proccupations auxquelles il fait rfrence sont plus anciennes. En effet, il est issu dun

    processus de rflexion qui sest nourri des dbats de socit et des questions que se pose

    lhomme vis--vis de son milieu. Dans une perspective historique, le dveloppement durable

    plongerait ses racines jusque dans la moiti du XIXme sicle, avec lentreprise paternaliste,

    qui assume des tches de rgulation que ltat ne veut pas prendre en charge. Cest ainsi que

    le courant moraliste thique Business Ethics puise ses racines dans les prceptes religieux

  • 23

    et moralisateurs du paternalisme dentreprise (Ballet et Debry, 2001). Lefficacit de cette

    entreprise repose sur une association de lconomique, du social, mais aussi sur laffirmation

    dune respectabilit du patron vis--vis de ses salaris (Stephany, 2003). Cette approche

    considre que lconomie est une science fonde sur deux points (Sen, 1999): lthique et la

    morale.

    1.3.1.1 La perspective thique

    Le concept de dveloppement durable a donn lieu une multitude de travaux ouvrant

    des perspectives dans le domaine de lthique (Purser et al., 1995 ; Gladwin et al., 1995). Il

    convient de dfinir ce que recouvre le concept dthique. Lthique sest dveloppe autour de

    deux approches: la dontologie et la tlologie. La dontologie, est notamment issue des

    travaux de Kant et de Platon, qui dfinissent lthique comme une activit accessible tous,

    qui ne lse personne, qui est avantageuse pour quelques individus et qui accorde une libert

    de choix et dactions. Cette approche implique la conformit des rgles dont le contenu et la

    source peuvent diffrer. Elle se fonde sur une thique du devoir en mesurant la dimension

    thique contenue dans un acte. Quant la tlologie, elle sinspire notamment des travaux

    dAristote et de Sartre, et implique que chaque acte soit valu en fonction des consquences,

    au niveau de lacteur (gosme thique) ou au niveau dautrui (utilitarisme). Le concept

    dthique est complexe, puisque les deux lectures sont possibles. Cependant, il est

    gnralement admis que lthique traduit un comportement individuel qui doit tre conforme

    aux rgles de la philosophie morale (De Ferran, 2003). Pour Sirieix et Tagbata (2003:1123)

    lthique dsigne dune part, la disposition individuelle agir selon les vertus, dautre part,

    la rflexion sur les comportements qui en dcoulent ou sur la perception et les jugements de

    valeur dont ils font lobjet dans une situation prcise . On retrouve ces principes dans la

    philosophie de Jonas (1990). Il propose une thique qui simpose tous, vis--vis des progrs

    techniques, dont les consquences peuvent tre dvastatrices pour lavenir, si elles ne sont pas

    matrises par le principe de responsabilit. Ici, le devoir thique se manifeste par une

    contestation croissante des modes de dveloppement actuels (Lauriol, 2004).

    1.3.1.2 La perspective morale

    Selon la dfinition du dictionnaire Le Robert, la morale est une science du bien et du

    mal ; une thorie de laction humaine soumise au devoir et ayant pour but le bien . Dans

    cette perspective, lentreprise a une responsabilit morale lgard de la socit et des

  • 24

    gnrations futures: la vie des individus entrane des interdpendances et des obligations

    rciproques lies aux relations quils entretiennent (Capron et Quairel-Lanoizele, 2004).

    Complmentarit thique morale

    Bien que lthique et la morale soient deux concepts proches, ils se diffrencient:

    lthique relve du bien tandis que la morale relve de lobligation. Contrairement au

    questionnement thique, la morale envisage uniquement la loi et la conformit de la dcision

    cette dernire pour valuer une action. Lthique prend en considration le contexte de la

    situation dans laquelle a lieu laction tandis que la morale se concentre sur la conformit de la

    dcision avec la loi (Sirieix et Tagbata, 2003). Ces deux principes se rejoignent vers un ple

    unificateur quest la responsabilit sociale, voire socitale. Cette approche intgrative de la

    responsabilit socitale considre donc la protection de lenvironnement comme une

    responsabilit collective. Il ne faut donc plus raisonner en termes de droits, mais en termes

    dobligations vis--vis de lenvironnement naturel (Purser et al., 1995).

    1.3.1.3 Apports de lapproche morale: Dfinition et enjeux du concept de responsabilit

    sociale

    Contrairement au concept dthique, gnralement tudi au niveau de lindividu, la

    responsabilit sociale est analyse au niveau de lentreprise. Les premiers travaux sur la RSE

    se sont concentrs sur la dfinition du concept pour identifier les responsabilits de

    lentreprise (Berles et Means, 1932 ; Bowen, 1953 ; Mcguire, 1963 ; Preston et Post, 1975 ;

    Carroll, 1999). Ainsi, dans son article, Bowen (1953) prconise une rvision des stratgies en

    intgrant les dimensions sociales afin de rpondre aux diffrentes pressions de la socit.

    Steiner (1972) considre la responsabilit sociale de lentreprise comme un contrat social

    entre le milieu entrepreneurial et la socit. Ce contrat est constitu de relations, dobligations

    et de devoirs en rapport avec limpact de lentreprise sur la socit Bowen (1953). Cette

    dfinition, bien quintressante, prsente le dfaut de pouvoir tre remise en question par les

    volutions socitales. Cest pourquoi Carroll (1999) lui prfre une dfinition articule autour

    de quatre dimensions: conomique (commercialisation de biens et de services dans une

    optique capitaliste), lgale (respect des lois qui encadrent le fonctionnement et

    lenvironnement de lentreprise), thique (comportements et normes que les entreprises

    doivent suivre pour satisfaire la socit), et discrtionnaire (philanthropique, c'est--dire des

    actions volontaires des entreprises qui ne sont pas explicitement souhaites par la socit).

  • 25

    Ces travaux, orients vers la dfinition du concept de responsabilit sociale ont trouv

    cho dans de fortes ractions de lopinion publique au cours des annes 1970 et 1980. Une

    srie daccidents technologiques frappent les esprits: Seveso 1976 (accident dune usine de

    produits chimiques au nord de lItalie), Three-Miles-Island 1979 (accident dun racteur

    nuclaire aux tats-Unis), Bhopal 1984 (accident dans une filiale du groupe Union Carbide en

    Inde), Tchernobyl 1986 (accident dans un site nuclaire en Ukraine), Sandoz 1987 (incendie

    dans une usine pharmaceutique proximit du Rhin). Ces vnements, trs mdiatiss,

    affectent le grand public car il sagit de problmes globaux. Associs aux crises ptrolires de

    1973 et 1979, ils remettent en question la lgitimit des industries. Cest dans cette priode o

    les sinistres saccumulent que les chercheurs ont donc dfini le concept de responsabilit

    dentreprise dans une vision normative.

    Dans cette approche, lentreprise intgre sa responsabilit au sein de sa stratgie et de

    sa politique afin de dvelopper une convergence entre limpratif de cration de valeur et la

    prise en considration de la responsabilit sociale et environnementale de lentreprise. Elle

    adjoint donc la finalit conomique un certain nombre de missions complmentaires,

    comme la participation au progrs social ou la prservation des milieux naturels, par exemple.

    Puisque lentreprise nexiste pas uniquement pour ses actionnaires mais aussi pour ou par une

    multitude de parties prenantes (Freeman, 1984), il convient donc dlargir le champ

    dvaluation de la performance afin dintgrer des considrations dordre socital (Graves et

    Waddock, 1994 ; Caroll, 1996 ; Ogden et Watson, 1999).

    Ce courant considre quil nexiste pas de frontire fixe entre lentreprise et la socit.

    Les deux lments sont en interrelation et se structurent mutuellement par lintermdiaire de

    leurs interactions constantes. De par ses activits, lentreprise met un certain nombre

    dexternalits ngatives sur lenvironnement nature. Une externalit ngative constitue une

    nuisance la socit qui peut tre conomique (dlocalisation qui engendre des pertes

    demplois), cologique (pollution), violations des droits, justice. Elle gnre des ractions

    dhostilit de la part des acteurs avec lesquels lentreprise est en relation. Lentreprise

    entretient donc avec la socit, des relations qui ne sont pas seulement marchandes. Il en

    ressort une forme de contrat social, permettant un contrle social par la socit et la possibilit

    de sanctionner une entreprise ne respectant pas les rgles. Cela renvoie un environnement

    qui impose par lintermdiaire de parties prenantes, des exigences sociales et culturelles, qui

    force les entreprises jouer un rle dtermin et maintenir les apparences vis--vis de

    lextrieur.

  • 26

    Enfin, lentreprise est amene anticiper la conformit aux contraintes

    institutionnelles, par ladoption de valeurs sociales. En faisant reconnatre la lgitimit de ses

    actions par lensemble de la socit, elle peut bnficier dun avantage de lgitimit (Boiral et

    Jolly, 1992). La lgitimit est limpression partage que les actions de lorganisation sont

    dsirables, convenables ou appropries par rapport au systme socialement construit de

    normes, de valeurs ou de croyances sociales (Suchman, 1995:572). La lgitimit possde

    une connotation symbolique (Oliver, 1991 ; Capron et Quairel-Lanoizele, 2004) puisquau

    sein dun environnement institutionnalis, les organisations lgitimes sont soutenues sans

    pour autant tre prcisment values quant leurs actions. Par consquent, une entreprise

    peut trs bien apparatre en accord avec les critres convenus sans pour autant confirmer ce

    bon comportement au niveau de ses actions. Meyer et Rowan (1977) insistent sur ce point

    surtout lorsque les rsultats des actions de lentreprise sont difficilement mesurables.

    Cette approche de la responsabilit socitale, axe sur la morale, a gnr un important

    mouvement autour de lthique des affaires, avec un discours ax sur le bien et lutile, qui a

    donn naissance de nombreuses chartes thiques et une instrumentalisation de lthique

    des fins conomiques. Malgr lintrt certain de lapproche intgrative, elle prsente comme

    principale lacune dtre trop radicale pour une oprationnalisation du concept de

    dveloppement durable au sein des organisations.

    1.3.2 Lapproche stratgique de la responsabilit dentreprise

    Aprs stre attachs dfinir le concept de responsabilit dans une vision normative,

    les travaux se sont intresss au dveloppement de la responsabilit sociale, au-del de

    considrations morales (Ackerman et Bauer, 1976 ; Wartick et Cochran, 1985). En effet, les

    courants Corporate Social Responsiveness et Social Issue Management valuent les

    actions partir de leurs consquences, en considrant la responsabilit selon une logique

    utilitariste, c'est--dire une source de profit et de rentabilit. Ils mettent disposition des

    gestionnaires des outils pour accrotre la performance de lentreprise, intgrant les attentes

    exprimes par les parties prenantes. Ils sont en phase avec les thories librales et les

    conomistes de lcole de Chicago, qui placent la responsabilit de lentreprise dans un

    modle bas sur les relations avec ses actionnaires. En effet, le modle libral classique de la

    responsabilit dentreprise est ax sur la satisfaction des propritaires de lentreprise

    (Goodpaster, 1991 ; Jensen, 2002). Lobjectif de performance conomique (rsultat) est

    subordonn un comportement positif et volontariste dans le domaine socital (moyens). Par

  • 27

    consquent, la prise en compte dintrts socitaux conditionne la russite conomique et

    financire de lentreprise.

    Ici, lintgration dobjectifs socitaux au sein des dcisions dentreprise, ne se fait que

    sil est prouv quune bonne performance socitale entrane une bonne performance

    financire. Cela explique que le lien entre ces deux dimensions ait fait lobjet de multiples

    dbats au sein de la communaut scientifique (Griffin et Mahon, 1997). Le BSR (2002) et le

    GRI (2002) citent un nombre important dtudes qui confirment lexistence dune relation

    positive entre performance sociale et performance financire. Pourtant, les chercheurs ne sont

    pas parvenus un consensus sur ce point: avec cinquante et une tudes ralises entre 1970 et

    1997, vingt ont tabli une corrlation ngative, vingt-deux, une corrlation positive et neuf ne

    sont pas parvenues une conclusion. Pour certains, seule la gestion des questions sociales

    concernant les parties prenantes primaires, est significative dune augmentation de la valeur

    pour lactionnaire (Hillman et Keim, 2001). Dautres considrent que seules de fortes

    pressions rglementaires peuvent rendre cette corrlation positive (Persais, 2004). En effet, les

    mcanismes utiliss pour diffuser les principes de dveloppement durable pnalisent les

    comportements irresponsables par la lgislation ou des instruments conomiques. Ainsi,

    thoriquement, lapplication du principe pollueur payeur permet dinternaliser les cots

    environnementaux gnrs par la pollution. Par consquent, la performance environnementale

    influence la performance financire de lentreprise. Or, ce courant de recherche repose sur le

    postulat de lefficacit des marchs et considre que ce nest quen cas dinefficacit de sa

    part que ltat se doit dintervenir par la mise en place dincitations directes ou indirectes.

    Enfin, certains concluent labsence de lien entre performance conomique et russite

    socitale (Wiliams et Siegel, 2000). Bien que les incohrences mthodologiques expliquent

    labsence de consensus, le concept de performance socitale est remis en question quant sa

    dfinition trop ambigu et sa mesure (Clarkson, 1995 ; Gond, 2000). Dans la mesure o il est

    impossible de mesurer la relation entre performance socitale et performance financire, toute

    justification rationnelle devient obsolte (Capron et Quairel-Lanoizele, 2004). Par

    consquent, pour ne pas remettre en question la priorit de lobjectif de rentabilit, les

    discours de responsabilit sociale de lentreprise font appel une perspective de profit long

    terme: le postulat de relation directe entre performance socitale et financire peut donc tre

    maintenu. Ainsi, pour certains auteurs, la performance conomique long terme est associe

    la performance socitale (Gladwin et al., 1995 ; Waddock et Graves, 1997 ; Persais, 2002).

    Dans cet esprit, est admisse lexistence dun dcalage temporel entre les efforts entrepris en

    faveur de lenvironnement par lentreprise et lapprciation des rsultats. Cela complexifie le

  • 28

    management car le champ des acteurs est largi et la projection des dcisions est prolonge.

    Or, lexigence de profit immdiat incite lentreprise prfrer des solutions qui pourtant

    rendront hypothtique, long terme, sa capacit future de dveloppement.

    Lapproche stratgique de la responsabilit socitale correspond un point de vue

    positiviste o lenvironnement naturel est reprsent comme une des composantes objectives

    de lenvironnement organisationnel. Cette vision pragmatique considre lenvironnement

    comme une source de menaces, dopportunits ou de pressions qui ne peuvent laisser

    indiffrentes les entreprises. Lenvironnement naturel apparat comme une opportunit pour

    lentreprise puisquelle ouvre la voie de nouveaux marchs porteurs comme les co-produits

    ou les technologies propres (Hunt et Auster, 1990 ; Viardot, 1993 ; Hart, 1995). Le succs de

    lentreprise dpend de sa capacit dvelopper des activits conomiques prenant en compte

    les dimensions du dveloppement durable. Par consquent, cette perspective stratgique

    reconnat limportance du facteur environnemental et la ncessit de sy adapter en tirant parti

    des opportunits gnres par ce contexte.

    La problmatique de dveloppement durable sinscrit dans le courant normatif car il

    sagit de dfendre un certain nombre de principes moraux. Toutefois, lentreprise volue dans

    un march comptitif et ne peut renoncer son obligation de rsultats conomiques. Pour

    mener bien sa mission, elle a donc recours des instruments conomiques prvus pour

    favoriser la diffusion du dveloppement durable (Persais, 2004). Par consquent, les

    approches morales et stratgiques ne sopposent pas forcment et peuvent mme se re