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Introduction au Knowledge Management Copyright Jean-Yves Prax/POLIA Consulting page 1 Introduction au Knowledge Management par Jean-Yves PRAX POLIA Consulting e-mail : [email protected] site : www.polia-consulting.com Dans le contexte d’une communauté d’individus se pose la question de définir la connaissance collective : - est-elle une simple juxtaposition des connaissances individuelles ou son intersection ? - existe-t’il une connaissance indépendante des acteurs qui l’ont créée ? - qu’est-ce qui motive des acteurs à partager leurs savoirs ? - quelles interactions entre les savoirs tacites et les savoirs explicites, au niveau de deux individus, d’un groupe, d’une entreprise ? - quels dispositifs (outils, méthodes) peuvent faciliter ces interactions ? S’il est relativement aisé de manager la connaissance collective dans un contexte de proximité d’acteurs qui se connaissent, se côtoient physiquement, nous montrerons qu’autrement difficile est de manager cette connaissance à la dimension d’une firme, multi-sites, multi-activités et multi-cultures. C’est à cette dimension que nous voulons aborder le concept du Knowledge Management : Le KM est une approche qui tente de manager des items aussi divers que pensées, idées, intuitions, pratiques, expériences, savoir-faire (connaissances tacites) et les documents, normes, règles, brevets, procédures (connaissances explicites) ; le KM est un processus systémique, qui inclue tous les acteurs de l’organisation ; le KM suppose que la connaissance soit capturée dans son contexte d’action, partagée par les Hommes, et finalement appliquée à un processus de l’entreprise. La vie de la connaissance Stricto sensu, la création de connaissance nouvelle est uniquement le fait d’individus. Une organisation ne peut pas créer elle-même de la connaissance, sans individus. L’organisation appuie ce processus et lui procure un contexte spécifique. Les technologies peuvent également jouer une rôle important de catalyseur et de facilitateur. L’organisation et les outils, dès lors, sont vus comme des amplificateurs d’un réseau de connaissance qui irrigue l’entreprise à travers ses frontières. Détaillons ce processus de création de connaissance en nous appuyant d’abord sur la notion des modèles de représentation mentales. 1. Les représentations mentales Chez l’adulte et en situation de routine, pour optimiser son énergie cognitive, l’homme fabrique des patterns cognitifs, c’est à dire des modèles de représentation, qu’il applique sur la réalité ; ainsi faisant, il se met en situation de veille, ne détectant que le signal d’alerte indiquant une rupture, un dysfonctionnement, un incident, et impliquant une réaction immédiate.

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Introduction au Knowledge Management par Jean-Yves PRAX POLIA Consulting e-mail : [email protected] site : www.polia-consulting.com

Dans le contexte d’une communauté d’individus se pose la question de définir la connaissance collective :

- est-elle une simple juxtaposition des connaissances individuelles ou son intersection ? - existe-t’il une connaissance indépendante des acteurs qui l’ont créée ? - qu’est-ce qui motive des acteurs à partager leurs savoirs ? - quelles interactions entre les savoirs tacites et les savoirs explicites, au niveau de deux

individus, d’un groupe, d’une entreprise ? - quels dispositifs (outils, méthodes) peuvent faciliter ces interactions ? S’il est relativement aisé de manager la connaissance collective dans un contexte de proximité

d’acteurs qui se connaissent, se côtoient physiquement, nous montrerons qu’autrement difficile est de manager cette connaissance à la dimension d’une firme, multi-sites, multi-activités et multi-cultures.

C’est à cette dimension que nous voulons aborder le concept du Knowledge Management : • Le KM est une approche qui tente de manager des items aussi divers que pensées, idées,

intuitions, pratiques, expériences, savoir-faire (connaissances tacites) et les documents, normes, règles, brevets, procédures (connaissances explicites) ;

• le KM est un processus systémique, qui inclue tous les acteurs de l’organisation ; • le KM suppose que la connaissance soit capturée dans son contexte d’action, partagée par les

Hommes, et finalement appliquée à un processus de l’entreprise.

La vie de la connaissance Stricto sensu, la création de connaissance nouvelle est uniquement le fait d’individus. Une

organisation ne peut pas créer elle-même de la connaissance, sans individus. L’organisation appuie ce processus et lui procure un contexte spécifique. Les technologies peuvent également jouer une rôle important de catalyseur et de facilitateur.

L’organisation et les outils, dès lors, sont vus comme des amplificateurs d’un réseau de connaissance qui irrigue l’entreprise à travers ses frontières.

Détaillons ce processus de création de connaissance en nous appuyant d’abord sur la notion des modèles de représentation mentales.

1. Les représentations mentales Chez l’adulte et en situation de routine, pour optimiser son énergie cognitive, l’homme

fabrique des patterns cognitifs, c’est à dire des modèles de représentation, qu’il applique sur la réalité ; ainsi faisant, il se met en situation de veille, ne détectant que le signal d’alerte indiquant une rupture, un dysfonctionnement, un incident, et impliquant une réaction immédiate.

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Cette gestion optimale de l’énergie conduit le plus souvent l’individu à ignorer purement et simplement le potentiel de nouveauté contenu dans les situations qu’il vit quotidiennement.

Cette notion de représentation mentale est la même pour l’entreprise.

2. Pilotage stratégique et veille La différence entre l’action programmée et l’action basée sur une stratégie cognitive peut

s’appliquer fidèlement au fonctionnement de l’entreprise : le programme est constitué d’une séquence préétablie d’actions ou de tâches s’enchaînant les unes aux autres selon un ordre défini, et se déclenchant sur un signal donné. Le programme obéit à une pré-rationnalité, il suppose que les critères d’enchaînement qui le définissent soient connus et « vrais », et que l’environnement soit stable.

Le programme optimise la productivité collective en situation de routine.

La stratégie, elle, se construit au cours de l’action, en modifiant, selon les événements ou la réception des informations, la conduite de l’action envisagée. La stratégie est prédéterminée dans ses finalités, non dans ses opérations.

La stratégie de l’entreprise va donc devoir s’appuyer sur une véritable capacité cognitive, en développant ses fonctions de « veille » tant externe qu’interne.

L’intelligence stratégique désigne cette aptitude à affronter l’aléa, à dialoguer avec le nouveau, à prendre à son compte l’instable, l’informel et le complexe pour les transformer en avantages de réactivité, d’anticipation et d’invention.

L’intelligence stratégique est l’art de mobiliser la connaissance et de l’action pour résoudre des situations inédites.

Dans l’organisation, milieu d’interactions sociales intenses et complexes, soumis à des aléas, à

des évolutions brusques et imprévisibles, l’action et la décision ne peuvent plus se fonder uniquement sur des livres de procédures, sur l’exercice de la planification, mais sur une réactivité, une anticipation répartie sur l’ensemble des acteurs, tout en maintenant une vision commune, un sens partagé.

3. Un sens partagé Une fois admis que la subjectivité gouverne l’ensemble des représentations individuelles, on

conçoit que le processus de construction collective d’une représentation passe nécessairement par une étape de mise en commun des perceptions, de confrontation, de négociation et de délibération de ces différentes subjectivités. En ce sens, l’organisation n’est pas tant un système de « traitement de l’information » mais bien de « création de connaissance ».

4. Le langage et l’action Pour confronter nos connaissances, nous sommes amenés à nous appuyer sur le langage, dans

le domaine des savoirs explicites, et sur l’action dans le domaine des savoir-faire tacites. Le langage n’est pas un vecteur de communication parfait ; d’abord le langage est multi-plan :

trop d’abstraction et de globalisation dans le langage stérilise le contenu, trop de particularisme et de spécificité entraîne du bruit et nuit à la compréhension ; d’autre part, si le mot, comme symbole collectif, appartient à la communauté linguistique, le sens qu’il recouvre est intimement lié à l’expérience de l’individu. Dans une conversation, deux interlocuteurs ne peuvent arriver à

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partager des mêmes points de vue que s’ils établissent un processus de coopération : écoute active, participation, questionnement, adaptation sémantique, feed-back, reformulation.

L’action quant à elle, constitue le moteur de l’apprentissage organisationnel ; c’est à travers

l’action que les différents acteurs vont fabriquer un sens partagé aux différentes situations qu’ils vivent, se créer une sémantique commune, parfois sub-langagière. L’action favorise la création et l’ancrage de connaissances « collectivisées » et principalement tacites.

L’action est aussi propice à l’établissement de la confiance entre les acteurs, l’un des préalables au partage des savoirs.

5. La capitalisation Sans un effort de capitalisation, la connaissance collective n’existe pas : elle reste virtuelle et

se réduit à une somme d’expériences isolées, enfouies dans des cerveaux humains. La connaissance étant fortement « subjective », on comprend que la difficulté principale de la

capitalisation de connaissance collective réside dans le choix des critères descripteurs qui devront être pertinents pour tout le monde, en tous lieux et en tous temps, sans pour autant trop appauvrir ou généraliser le contenu. On raccroche le sens à l’acteur, à la situation ou à l’événement qui la généré.

Pour cette raison, l’auteur et son cabinet a mis au point des méthodologies de capitalisation « au fil de l’eau » et raccrochées au contexte d’action : soit à travers le mapping de la connaissance mobilisée dans les processus (Méthode BAM1), soit à travers la traçabilité des évènements singuliers (Help Desk).

6. L’individu, le groupe, l’entreprise La constitution d’une connaissance collective au niveau du groupe va se faire par une série

d’interactions qui vont pouvoir s’appuyer sur les contacts physiques entre les individus : identification mutuelle, rôles, postures, processus de confiance, délibération orale, jeu des questions et des réponses, action et projet commun, langage partagé, responsabilité partagée, etc… Dans ce domaine, des dispositifs de socialisation qomme les couloirs, la cafétéria, les open-spaces, le tutorat, les réunions … seront déterminants ; mais ils supposent une unité géographique et une unité temporelle.

Autre chose est la connaissance organisationnelle, au niveau de la firme, c’est à dire au niveau d’acteurs géographiquement dispersés et qui ne se connaissent pas. Une distinction majeure doit être faite entre le niveau du groupe (team level) et celui de la firme (corporate level).

Le niveau de la firme s’impose un système d’échange qui va donc forcément au delà du périmètre où les acteurs se connaissent et se rencontrent. Il ne s’agit pas pour autant de retourner dans un système pyramidal où les relais informationnels top-down sont dominants, sans rétroaction ; ni dans un système cloisonné fait d’une juxtaposition de cellules hyperspécialisées.

Nous devons inventer de nouveaux dispositifs qui abandonnent les anciens formalismes pour s’appuyer sur de nouveaux facteurs structurants.

7. Le modèle « Corporate Knowledge® » Le modèle que nous avons créé, baptisé « Corporate Knowledge® », tente de rendre compte de

toute la dynamique du Knowledge Management à l’échelle de la firme ; à cet effet il propose

1 La méthode BAM : Business Activity Map, est décrite plus en detail dans le livre “Le guide du Knowledge Management”, par Jean-Yves Prax, DUNOD 2000

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quatre nouveaux moyens ou outils pour faciliter les transferts entre les différents états de connaissance : • Les méthodologies assistant et structurant la formalisation de la connaissance tacite, savoirs et

savoir-faire détenus par l’expert ; • les NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication) pour faciliter les

flux d’information et de documents irriguant les différents périmètres de la firme (groupe de travail, département, branche, firme…);

• les nouveaux dispositifs pédagogiques, pour permettre l’apprentissage organisationnel sur des modes en rupture avec le dispositif classique de la classe avec son maître et ses élèves ;

• les nouveaux métiers d’intermédiation d’information, mettant en regard l’offre et la demande informationnelles.

explicitetacite

Département branche firme

méthodologies deformalisation

Nouveaux métiers

Nx dispositifspédagogiques

NTIC

+ tacite

+ formel

Groupe

Corporate Knowledge®

Figure 1 : Le modèle « Corporate Knowledge® propose quatre outils pour faciliter les

transformations des états de connaissance à l’échelle de la firme

7.1 Les méthodologies de formalisation des savoirs Toute personne ayant un jour interviewé un expert pour tenter d’extraire sa connaissance sait à

quel point l’exercice est périlleux. Comment lui faire dire tout ce qu’il sait sur tout, lorsqu’on ne sait souvent même pas lui poser les bonnes questions…

Dans le but de faciliter cet exercice, de nombreuses méthodologies assez structurantes ont été

mises au point ; certaines sont dédiées à la capitalisation des retours d’expérience (REX du CEA), certaines à la conception de mémoires d’entreprises (KADS), certaines à la gestion des connaissances (MSKM), certaines sont basées sur la rédaction structurée des documents d’entreprise (Information Mapping®).

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7.2 Les NTIC A partir de ses travaux et de ses expériences, l’auteur propose un modèle de NTIC pour l’ingénierie de la connaissance collective2 en trois niveaux : • niveau de la production collaborative de connaissances

Le premier niveau fournit au groupe de travail un outil pour faciliter la communication et l’échange d’idées, d’informations, de documents, dans l’action. L’outil est d’un accès facile, informelet très proche de l’oral. Le Groupware apportera un soutien efficace à l’élaboration collective, à la communication, la coordination et la coopération des équipes géographiquement dispersées et sur un mode asynchrone.

• niveau de la capitalisation Le deuxième niveau supporte l’effort de capitalisation ; les Intranets et les technologies de la GED (Gestion Electronique Documentaire) vont permettre de rendre l’information pertinente accessible avec rapidité à l’ensemble de l’organisation.

• niveau de la diffusion le troisième niveau cherche à répondre à « apporter des réponses à des personnes sans qu’elles en aient fait la demande ! » Pour passer dans une logique « push », l’organisation doit faire un effort d’éditorialisation

(porter à connaissance, pédagogie, diffusion) de l’information. C’est le domaine de prédilection des nouveaux médias électroniques : Web Internet ou Intranet, CD-ROM et du e-learning

7.3 Les nouveaux dispositifs pédagogiques : la compétence pour créer de la valeur La rupture tient à la place qu’occupe la compétence individuelle dans le système global de la

performance : des études ont montré que le facteur compétence individuelle n’intervenait qu’en sixième position sur la performance collective ; les spécifications des produits, le support organisationnel, process, la motivation… étant des préalables à l’efficacité collective.

Cette constatation pourrait être résumée par la phrase :

Si vous opposez une personne compétente à un système déficient, le système gagnera à tous les coups.

Elle tend à montrer que le dispositif classique de formation professionnelle peut être très dispendieux s’il ne s’inscrit pas dans une démarche stratégique globale, incluant une refonte des organisations (modes de fonctionnement de l’équipe, management), du système d’évaluation (objectifs, réalisation, évaluation de la performance), des processus (modélisation des tâches et des compétences), des spécifications produits.

On pourrait proposer le terme plus générique d’ingénierie des compétences ou professionalisation, qui inclut la formation mais qui y ajoute l’organisation des situations de travail pour que soit possible la construction des compétences.

7.4 Les nouveaux métiers Dans un système de management de connaissance à l’échelle de la firme, l’intermédiation de

l’information, c’est à dire la mise en relation de l’offre et de la demande des différents périmètres d’acteurs va jouer un rôle déterminant ; cela suppose de créer de nouveaux métiers : Knowledge Manager, Webmaster …

2 PRAX Jean-Yves, « Manager la connaissance dans l’entreprise » INSEP Editions, 1997

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Conclusion : manager la connaissance pour créer de la valeur

La valeur comptable d’une entreprise n’est plus du tout significative de la valeur de cette entreprise.

La valeur comptable valorise le passé et ne prend en compte que les actifs tangibles. La valeur immatérielle elle, valorise l’avenir et prend en compte l’ensemble des facteurs intangibles qui créent de la richesse : compétences humaines, process, marque, relation client, méthodes et outil de production, qualité, innovation, etc. Le problème est qu’on ne sait pas la mesurer !

On peut proposer l’hypothèse que de Capital Immatériel (CI) de la firme représente sa capacité à combiner ses savoirs, savoir-faire dans un process, dans des lignes de produits, sur des marchés, pour créer de la valeur.

Dans cet esprit, la démarche de Knowledge Management ne doit et ne peut être, en définitive, qu’une démarche d’ordre stratégique. On ne fait pas du Knowledge Management parce que c’est à la mode. Le Knowledge Management n’est pas une fin en soi. Ce qui compte, c’est d’identifier et de manager les facteurs immatériels qui interviennent dans le processus de création de valeur ou qui permettent de générer une activité supplémentaire ou différenciatrice.