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1 «L’abord du réel est étroit. Et c’est de le hanter, que la psychanalyse se profile.» Psychanalyse pure, psychanalyse appliquée et psychothérapie Jacques-Alain Miller I Le distinguo psychanalyse/psychothérapie Le fardeau que j’ai lié sur vos épaules – et aussi sur les miennes, croyez-le bien – ne faut-il pas que je le dénoue, de nous ? * J’ai en effet fait peser sur nous au premier trimestre le poids d’un rappel insistant, celui de la différence entre la psychanalyse pure et la psychanalyse appliquée appliquée, ai-je ajouté, à la thérapeutique. 1 1. Un rappel Énoncé d’un diagnostic Ce rappel était motivé par une conjoncture, la nôtre, une conjoncture où cette différence m’est apparue comme n’étant pas faite, et n’étant pas même considérée, repérée, posée. En même temps, c’est un fait que ce rapport de deux termes opposés, classiques dans la psychanalyse et au-delà, mais un peu désuets, ont produit un embarras, même une souffrance, et, comme on a pu l’écrire, un certain sentiment de flottement. Je l’ai pris en compte. Je l’ai pris en compte très sérieusement. Si tranché que je l’aie fait, si posé, et appuyé sur une évidence et sur tous nos classiques, je n’avais conçu ce rappel que comme le premier pas d’un problème à résoudre, comme l’énoncé d’un diagnostic. J’ai donc cherché à l’attraper de la bonne façon. La bonne façon, à mon gré, ce n’est pas par l’institution, par la classification, ce n’est pas au point où le problème se pose, en y impliquant ce qui fait accord ou dynamique des psychanalystes entre eux. Le point sur lequel je dirigeais ma visée, c’est la psychanalyse comme pratique. C’est de là que j’ai attendu et travaillé à chercher une issue qui soit, sinon la bonne, du moins qui ait chance de tenir le coup un petit moment. C’est aujourd’hui ces considérants que j’apporte. Point de capiton Je parlerai sans doute un peu plus tard contre la notion du point de capiton, dans la perspective qui m’est apparue. Cela se justifie en effet de prendre des distances d’avec le repérage si constant que nous pouvons prendre sur ce que nous appelons, par la métaphore que Lacan a choisie, l’illustration du point de capiton, et qui renvoie à un mécanisme signifiant tout à fait précis. Ce que j’ai néanmoins là bougé, essayé de tramer – fort simple, en définitive –, comporte pour moi précisément quelque chose d’un point de capiton, c’est-à-dire m’a donné un point de vue que, bien sûr, si je vois bien ce qui le préparait, je n’avais pas. Je n’avais pas centré comme je vais essayer de vous le communiquer aujourd’hui, de la façon la plus simple, et en laissant ce qui peut être de l’ordre de la construction pour plus tard. Le fait que la différence entre psychanalyse pure et psychanalyse appliquée à la thérapeutique ne soit pas faite, conduit à des confusions, nous a conduit à des confusions pratiques, à la position de faux problèmes, et surtout de fausses solutions qui s’esquisseraient, bref, nous a conduit à un certain nombre d’embrouilles pour placer comme il convient ce que nous faisons dans la pratique. Encore faut-il situer à sa place la confusion qui importe vraiment. Quelle est-elle ? Ce n’est pas tant la confusion de la psychanalyse pure et de la psychanalyse appliquée à la thérapeutique. Cette confusion-là a une portée limitée, pour autant que, dans ces deux cas, si l’on admet qu’ils se distinguent, il s’agit de psychanalyse. La confusion qui importe vraiment est celle qui brouille, au nom de la thérapeutique, ce qui est psychanalyse et ce qui ne l’est pas. L’enjeu essentiel Si nous resserrons l’objectif, pour être précis, il ne faudrait pas que la psychanalyse, dans sa dimension ou son usage, son souci thérapeutique, fût attirée, chahutée, et même mortifiée, par cette espèce de non-psychanalyse que l’on décore du nom de psychothérapie. Ce qu’il faudrait, c’est que la psychanalyse appliquée à la thérapeutique reste

Jacques Alain Miller Psychanalyse Pure Psychanalyse Appliquée Et Psychothérapie

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Psychanalyse Pure Psychanalyse Appliquée Et Psychothérapie

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  • 1Labord du rel est troit. Et cest de le hanter, que la psychanalyse se profile.

    Psychanalyse pure, psychanalyse applique et psychothrapie Jacques-Alain Miller

    I Le distinguo psychanalyse/psychothrapie

    Le fardeau que jai li sur vos paules et aussi sur les miennes, croyez-le bien ne faut-il pas que je le dnoue, de nous ? * Jai en effet fait peser sur nous au premier trimestre le poids dun rappel insistant, celui de la diffrence entre la psychanalyse pure et la psychanalyse applique applique, ai-je ajout, la thrapeutique. 1

    1. Un rappel

    nonc dun diagnostic

    Ce rappel tait motiv par une conjoncture, la ntre, une conjoncture o cette diffrence mest apparue comme ntant pas faite, et ntant pas mme considre, repre, pose. En mme temps, cest un fait que ce rapport de deux termes opposs, classiques dans la psychanalyse et au-del, mais un peu dsuets, ont produit un embarras, mme une souffrance, et, comme on a pu lcrire, un certain sentiment de flottement. Je lai pris en compte. Je lai pris en compte trs srieusement. Si tranch que je laie fait, si pos, et appuy sur une vidence et sur tous nos classiques, je navais conu ce rappel que comme le premier pas dun problme rsoudre, comme lnonc dun diagnostic. Jai donc cherch lattraper de la bonne faon. La bonne faon, mon gr, ce nest pas par linstitution, par la classification, ce nest pas au point o le problme se pose, en y impliquant ce qui fait accord ou dynamique des psychanalystes entre eux. Le point sur lequel je dirigeais ma vise, cest la psychanalyse comme pratique. Cest de l que jai attendu et travaill chercher une issue qui soit,

    sinon la bonne, du moins qui ait chance de tenir le coup un petit moment. Cest aujourdhui ces considrants que japporte.

    Point de capiton

    Je parlerai sans doute un peu plus tard contre la notion du point de capiton, dans la perspective qui mest apparue. Cela se justifie en effet de prendre des distances davec le reprage si constant que nous pouvons prendre sur ce que nous appelons, par la mtaphore que Lacan a choisie, lillustration du point de capiton, et qui renvoie un mcanisme signifiant tout fait prcis. Ce que jai nanmoins l boug, essay de tramer fort simple, en dfinitive , comporte pour moi prcisment quelque chose dun point de capiton, cest--dire ma donn un point de vue que, bien sr, si je vois bien ce qui le prparait, je navais pas. Je navais pas centr comme je vais essayer de vous le communiquer aujourdhui, de la faon la plus simple, et en laissant ce qui peut tre de lordre de la construction pour plus tard. Le fait que la diffrence entre psychanalyse pure et psychanalyse applique la thrapeutique ne soit pas faite, conduit des confusions, nous a conduit des confusions pratiques, la position de faux problmes, et surtout de fausses solutions qui sesquisseraient, bref, nous a conduit un certain nombre dembrouilles pour placer comme il convient ce que nous faisons dans la pratique. Encore faut-il situer sa place la confusion qui importe vraiment. Quelle est-elle ? Ce nest pas tant la confusion de la psychanalyse pure et de la psychanalyse applique la thrapeutique. Cette confusion-l a une porte limite, pour autant que, dans ces deux cas, si lon admet quils se distinguent, il sagit de psychanalyse. La confusion qui importe vraiment est celle qui brouille, au nom de la thrapeutique, ce qui est psychanalyse et ce qui ne lest pas.

    Lenjeu essentiel

    Si nous resserrons lobjectif, pour tre prcis, il ne faudrait pas que la psychanalyse, dans sa dimension ou son usage, son souci thrapeutique, ft attire, chahute, et mme mortifie, par cette espce de non-psychanalyse que lon dcore du nom de psychothrapie. Ce quil faudrait, cest que la psychanalyse applique la thrapeutique reste

  • psychanalytique et quelle soit sourcilleuse sur son identit psychanalytique. Pour fixer les ides, je lcrirai ainsi : `a pure/a applique ( la th.)// othrapie Je marque que la diffrence que jai rappele de psychanalyse pure et de psychanalyse applique tait faite pour retentir sur la diffrence des deux par rapport la psychothrapie. Mon rappel avait en fait pour vise dexiger beaucoup de la psychanalyse applique la thrapeutique, cest--dire dexiger quelle soit psychanalyse, quelle ne cde pas sur tre psychanalyse sous prtexte de thrapeutique, se laisser entraner franchir cette limite, cette diffrence. Cest au point que, dans la mme veine, trs simple, il apparat bien que lenjeu essentiel et dans la conjoncture, lenjeu essentiel de la partie que nous jouons aujourdhui , cest la psychanalyse applique la thrapie, savoir quelle reste psychanalyse, quelle soit laffaire du psychanalyste, quelle soit la psychanalyse comme telle en tant quapplique. Jimagine laccord fait sur ces prmices lmentaires. Cela suppose maintenant de remettre sur le mtier la diffrence situer de la psychanalyse comme telle, pure ou applique, davec la psychothrapie.

    La psychothrapie nexiste pas

    Thme dj fray, thme qui, il y a une dizaine dannes, a fait lobjet dun congrs en forme, qui sest ensuite distribu dans diffrents vnements. Mais sans doute navions-nous pas cette date lil sur la conjoncture que nous avons maintenant. Je le dis aussi bien en ce qui me concerne puisque, au cours de ce congrs, dans la ville de Rennes, jai moi-mme pris la parole sur le thme Psychanalyse et psychothrapie 2. Situer cette diffrence ne devrait pas tre difficile si on prend les choses par ce biais que la psychothrapie nexiste pas, que cest une enseigne commode, qui couvre les pratiques les plus diverses, et qui stendent jusqu la gymnastique. Ce ne sont dailleurs pas celles-ci les plus nuisibles. La gymnastique est mme un exercice hautement recommandable. Il faut dailleurs que jtende un peu ma rflexion sur la question, si je prends au srieux l o nous sommes conduits, quil y a plus dans le corps que dans notre philosophie. Ces formes-l qui peuvent prtendre avoir des effets psychothrapiques en tout cas ne nous font pas problme. Celles qui nous font problme sont celles qui sont voisines de lanalyse, qui accueillent la demande du souffrant qui veut savoir, et qui traitent

    cette demande par la parole et par lcoute, et en plus, comme on dit, comme on disait depuis longtemps, qui sinspirent de la psychanalyse formule sacramentelle et rglementaire dans une certaine aire. Si nous allons jusquau bout, il y a des formes qui se disent conformes la psychanalyse, et allons jusquau bout du bout, qui se disent la psychanalyse.

    Un semblant de la psychanalyse

    Il nest pas excessif, au moins titre exploratoire, de formuler le problme en ces termes : que la psychanalyse a produit, a nourri, a encourag son propre semblant, et que ce semblant dsormais lenveloppe, la transit, la vampirise. Je dis vampiriser parce que lon pourrait donner cette histoire un style de conte gothique la Edgar Poe, quelque chose comme Le psychanalyste et son double. Une fois que lon aurait mis en vidence les ressemblances, les confusions intermittentes sur la personne, le caractre interchangeable de loriginal et du double, le rcit se conclurait par la substitution du double loriginal, loriginal finissant expropri, exil, au rebut, limin. Il ne faut pas croire ! lire ce qui se dit et ce qui scrit chez les psychanalystes bien au-del de ce qui fait notre surface, on constate que cela prend loccasion cette tournure que jai appele dexpropriation de la psychanalyse. Si on y songe, il est logique, il apparat mme ncessaire que la psychanalyse ait produit son semblant. Nest-ce pas aussi bien ce qui est advenu la philosophie telle que, proprement parler, promue par Socrate, et qui a produit son double sous les espces des sophistes. Cest ce qui motive la constante polmique platonicienne contre les sophistes comme doubles, comme semblants du philosophe. Cest un pont aux nes maintenant. Dans la faon dont commence se parler la difficult de psychanalyse et psychothrapie, on ne demande qu voir se dvelopper cette imagerie de loriginal et son double, seulement ici plus difficilement situable. Il y a de a, il y a du gothique, il y a du platonicien dans le tourment que vaut au psychanalyste lextension croissante de la psychothrapie sous sa forme voisine de lanalyse, cette forme drive, et quil ne me paraissait pas excessif de qualifier de semblant de la psychanalyse. Lenqute sociologique peut ici trouver sexercer, mais ce nest pas ce qui nous donnera le secret de cette impasse, et avec lui le ressort de la surmonter. Cest dans la psychanalyse elle-mme que gt sans doute le secret de ce semblant, sil est vrai que cest elle qui la produit, ce semblant qui la dvore.

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  • Je mets les guillemets. Ne nous affolons pas. Nous faisons ici une mise en place et jessaye de rassembler l les quelques notes qui pourraient tenter, ou qui tentent effectivement, les uns ou les autres, de dvelopper des morceaux et une symphonie. Il y a de quoi faire.

    2. Une question pose Lacan Le bon bout de la raison

    Du point o nous sommes aujourdhui, on peut sapercevoir que cest sans doute la dfense contre ce semblant qui motiva lappareil de rgles formelles et de validation institutionnelle traditionnelle o la pratique psychanalytique a t insre par ses premiers servants. tant donn ce quest la psychanalyse, le pressentiment ne leur a pas manqu quelle produirait son semblant, leur gr, dans une conjoncture pourtant bien diffrente de la ntre. On peut leur faire le crdit du pressentiment de ce semblant et ceux qui se sont fis cet appareil sont les premiers le dire, lont dit avant nous , mais on aperoit bien aujourdhui limpuissance de cet appareil. Cest bien parce queux faisaient fonds sur cet appareil anti-semblant quils se sont rempards derrire, quils ont t peut-tre les premiers alerts sur la dfaillance de cet appareil au regard de ce semblant. On peut dire aujourdhui que faire la diffrence entre psychanalyse et psychothrapie par la rgle et par la tradition, naboutit de fait qu tablir la psychanalyse dans une position obsidionale, dans la position de forteresse assige. Quand on en est la forteresse assige, tout indique quelle est dj en voie dtre prise de lintrieur. Allons ! Essayons de tenir notre cap dans ce tourment, qui ne demande que quelque temps pour devenir une tourmente, et, selon la formule de Rouletabille, de prendre les choses par le bon bout de la raison. Cest dabord poser quil nest aucune disposition rglementaire, institutionnelle, qui puisse tenir l o lorientation fait dfaut. Ce nest pas vers linstitution quil y a lieu de se tourner pour monter je ne sais quel type de filtre o lon retiendrait livraie pour livrer le grain. Cest dune orientation de structure que nous avons besoin pour tracer notre chemin. Dans ce dtour, qui la demander cette orientation ? Certes notre comprenette, mais cette comprenette a lhabitude, avec, son gr, les meilleurs effets, de se tourner mme si cest peu, mme si cest quivoque, mme si cest contradictoire avec autre chose vers ce que Lacan a laiss. loccasion, ce sont des arguments et non pas des indications. Cest

    l quen termes dorientation nous avons coutume de chercher notre fil, quitte prendre note que la conjoncture a chang, mais en lui faisant le crdit, vrifi, pas aveugle, dune certaine capacit danticipation dont jusqu prsent nous croyions nous tre aperus. Le petit point dappui que je prends, cest celui que me donne le fait que la question lui a t pose en plus, par moi-mme, voyez Tlvision page 17 et suivantes , la question de la diffrence entre psychanalyse et psychothrapie, en entendant par psychothrapie celle qui sappuie sur la parole, qui se fonde sur lcoute et la parole. Cest la marque que dj en ce temps se dessinait le phnomne de semblant qui sest depuis gonfl, et avec lequel nous sommes aux prises.

    Les rponses que Lacan na pas faites

    Combien de fois lavons-nous lu ? Mais il sagit pourtant dentendre et cest a qui change quelque chose sa rponse comme une rponse nos interrogations daujourdhui. Et pour apprcier laccent de cette rponse, ou pour saisir la porte que cette rponse peut prendre aujourdhui, il convient de la situer sur le fond de ce quelle nest pas, je veux dire sur le fond des rponses que Lacan ne fait pas en 1973 la question de savoir ce qui distingue psychanalyse et psychothrapie. Ces rponses quil ne fait pas, mais quil aurait pu faire cest au moins ce que je propose , jen distingue deux, faisant donc de celle quil fait la troisime de la srie. La premire rponse quil ne fait pas aurait utilis cet appareil vectoriel qui sappelle le graphe du dsir. Cest cette rponse qualors il navait pas faite mme si lon en trouve des lments au cours de ses sminaires antrieurs quil mtait arriv moi-mme de dvelopper dans cette ville de Rennes. Elle appuie la diffrence de psychanalyse et de psychothrapie sur la diffrence de niveau dans le graphe de Lacan.

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  • Elle consiste rpartir psychanalyse et psychothrapie sur ces deux tages en posant le rle crucial de ce qui en A ouvre la voie ltage suprieur, et o lon peut considrer quest opratoire le dsir de lanalyste, alors quil ne serait pas l en fonction dans la partie infrieure. Ce schma a quelque chose de probant pour rendre compte de leffectivit de la psychothrapie, si lon veut la situer l. Le seul fait de se mettre en position dcoute, dcoute prolonge dune communication intime et suivie du patient, constitue lauditeur en grand Autre, ou linstalle dans le lieu de lAutre, o cette position en quelque sorte de syndic de lhumanit, de lieu de la parole, de dpositaire du langage, confre sa parole, quand il en lche, une puissance qui est susceptible doprer, qui est efficace, et en particulier pour rectifier des identifications.

    Un trajet au-del

    Je donne le rappel de la notion de ce qui est obtenu, qui est aprs tout assez convaincant, et qui met en valeur cette instance du dsir de lanalyste qui stablit sur le refus de lauditeur-interprte dutiliser le moyen de sa toute-puissance suppose, identificatoire. Cest cette abstention mme qui est le dsir de lanalyste, et qui ouvre un trajet au-del. Il est clair que ce schmatisme permet, et mme incarne, ce que veut dire un trajet au-del, puisque, tel quil est construit, la seule porte dentre pour accder ltage suprieur est au lieu de lAutre. Si l les aiguillages ne vous donnent pas accs ce vecteur, vous tes coincs, vous ne pouvez y accder de nul autre point. Vous avez donc ici un point singulier qui fait porte dentre pour un vecteur. L o se joue laiguillage du trajet subjectif, vous avez un point unique. Il faut voir quel point ce schmatisme est devenu pour nous linstrument mme du reprage de la pratique, un instrument en tout cas trs prvalent, et dont les chos roulent. Son fondement, cest, pour le dire vite, la scission et larticulation de ce qui est parole ce sont les circuits de ltage infrieur et de ce qui est pulsion. La parole aura le premier tage, la pulsion aura le second tage.

    Nous trouvons l, symtrique ce lieu de lAutre, quelque chose qui porte lcriture lacanienne quil a fallu jadis dchiffrer, mais que, pour aujourdhui, et peut-tre pour un petit moment, on pourrait simplifier en lui donnant son nom freudien de a. Ce que Lacan a la fois exprim, et peut-tre voil, avec un sigle qui prsente une certaine complexit, il peut suffire de le distinguer ici comme le a, lui confrer le privilge dtre lieu des pulsions. Je rappelle que Lacan, un dtour de son Sminaire, se reprochait de les avoir un temps confondus, au lieu de les disjoindre, dans son a parle. Il se reprochait davoir confondu, dans son a parle, le a et linconscient, mais dans son tre de parole. Ce schmatisme tire la leon de ce que Lacan a un moment considr comme sa confusion, en distinguant le lieu de la parole et le lieu de la pulsion, et ici lAutre et le a. Je passe lintressante digression que javais prpare mais quil me faut sauter qui me faisait reprendre la fonction corrlative, savoir celle de S (A), dont on peut dire quelle inscrit la scission du a et de lAutre, quelle rpercute la scission du a et de lAutre.

    Je privilgie bien sr la prsentation tage. Vous trouvez videmment dans Lacan la possibilit de considrer que les deux tages sont en fait simultans et fonctionnent, en quelque sorte superposs lun lautre. Ltage infrieur, o par hypothse nous situons la psychothrapie, est telle que et a nous donnerait

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  • une diffrence la question de la jouissance ne sera pas pose, puisquil faut accder au second tage pour quelle le soit, et cest ce prix que sera prserve la toute-puissance de lAutre. On luderait donc, dans la psychothrapie, ce qui mettrait la toute-puissance de lAutre en dfaut. On prserverait, dans la psychothrapie, la consistance de lAutre, alors que ce qui serait le propre de la position analytique qui ouvre la psychanalyse proprement dite, ce serait dj, en admettant la question de la jouissance, dinconsister lAutre. Cest formidable ! Je trouve a vraiment bien. a se tient. Je lai expos presque comme a, beaucoup plus longuement, jadis. Mais ce nest pas la rponse de Lacan. Sans doute, a lest davant, cest pars dans le cours du Sminaire, mais ce nest pas la rponse quil a donne. Il a donn une rponse qui est apparue comme beaucoup moins intressante, une rponse vraiment pauvrette, quelques phrases pour rire.

    Ce que linconscient rclame

    La seconde rponse, maintenant, que Lacan na pas donne non plus, ce serait de considrer que la psychothrapie sinscrit dans le discours du matre. Pourquoi Lacan na-t-il pas tout simplement rpondu sur ce versant-l, alors que les quatre discours taient encore pour lui, en 1973, une rfrence tout fait actuelle, dont on trouve lusage dans Tlvision mme ? Pourquoi na-t-il pas donn une rponse qui aurait orient vers reprer la psychothrapie partir du discours du matre, rponse qui naurait pas t inadquate ? Le discours du matre est conforme linconscient. Cest ce que linconscient rclame. Cest son discours. En termes de psychothrapie, on dirait : le sujet rclame une identification qui tienne le coup, et il souffre quand cette identification vacille, lui fait dfaut. Lurgence est donc de la lui restituer. Cest cette condition seulement quil peut trouver sa place. Et comme cette psychothrapie, je la suppose semblant, elle parle comme nous : trouver sa place dans le savoir de son temps, dans ce qui distribue les places socialement indiques ou marques. Et en plus, petit a comme produit. En effet, il faut tre productif. Cest bien ce qui motive la croyance contemporaine au symptme. Cest rfr au fonctionnement. Est-ce quon peut fonctionner ou est-ce quon narrive pas fonctionner ? On voit bien que lon naurait pas de mal dvelopper la psychothrapie au niveau du discours du matre. Ne confondons pas. Le petit a qui est l nest pas celui qui sarticule dans le fantasme. Utilisons cette notation de Lacan que le discours du matre est

    prcisment un discours qui met le hol au fantasme, qui le rend impossible.

    S // a Cest ainsi que, dans le discours du matre, entre et petit a, il y a une double barre qui indique limpossible dun rapport, et ici le rapport rendu impossible, qui est mis au rancart, cest le fantasme. On pourrait dire quen effet la psychothrapie privilgie lidentification au prix de mettre le fantasme au rancart. La premire rponse, celle qui sappuie joliment, de faon probante, sur le graphe, cette rponse-l fait en dfinitive de la psychothrapie le premier pas dune analyse. Il mest difficile de me souvenir des conjonctures mentales prcises o jai bafouill l-dessus il y a dix ans, mais ctait plutt dans une tentative irnique. Tout va bien ! Cette rponse avait justement le mrite de faire de la psychothrapie le premier pas dune analyse telle quelle peut se proposer comme un exercice pour les dbutants praticiens. Cette rponse la premire rponse que Lacan na pas faite ferait la psychothrapie voisine et amicale de la psychanalyse. Donc, votre choix, si vous voulez aller dans le sens du bon voisinage, cest par l quil faut prendre. La seconde rponse que Lacan na pas faite, par le discours du matre, loigne au contraire la psychothrapie puisquelle la met au registre de lenvers de la psychanalyse.

    Le trait distinctif du sens

    La troisime rponse, celle qui a t donne, et qui est passe largement inaperue dans ses consquences, dans son accent, brille par sa simplicit. Elle nonce simplement, comme trait distinctif de la psychothrapie, le sens, et cest tout enfin, quelques fioritures pour faire rire du sens. Lacan se contente de dire : La psychothrapie spcule sur le sens, et cest ce qui fait sa diffrence davec la psychanalyse. Il se moque du sens, un petit peu, quelques lignes : le sens sexuel, le bon sens, le sens commun. Il sen moque dautant plus quil signale cest un petit dtail qui a aujourdhui une autre rsonance que lon croirait que le versant du sens est celui de lanalyse. Au moment o il se moque du sens, o il attribue la psychothrapie de spculer sur le sens, il dit aussi : Ce versant du sens, lon croirait que cest celui de la psychanalyse. Il y a prcisment la notation du fait de semblant. Quand on spcule sur le sens, on fait croire que l opre la psychanalyse. Dans ce conditionnel et dans cette notation, dj se glisse le fait de semblant.

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  • Cest par le biais du sens que le lieu de la psychothrapie peut tre confondu avec le lieu dexercice de la psychanalyse. lhorizon l, il y a une confusion, la confusion que je disais du double expropriant. Cest un comble, puisquon aurait les meilleures raisons de croire que lanalyse opre sur le versant du sens, et ce nest rien dautre que le sens comme tel qui a t la porte dentre de Lacan dans la psychanalyse. Sil y a quelquun qui a cru que le versant du sens tait bien celui de la psychanalyse, sil y a quelquun qui a mme introduit a dans la psychanalyse, cest Lacan. Lacan est entr dans la psychanalyse en rintroduisant le sens. Nous avons l une de ces manifestations que jappelais jadis de Lacan contre Lacan. Lorsquil dit : Oh l l ! la btise quil y a penser ceci, commencez par regarder si ce ne serait pas contre un certain Lacan Jacques que Jacques Lacan en aurait. Il peut en avoir contre dautres, a lui arrive, plus souvent qu son tour. Il y a l un lment de culot, en plus indvelopp au niveau de largumentation, qui a contribu effacer les artes, et prcisment le point darrt qui tait ici indiqu si simplement. Pour ce qui est des rfrences de Lacan au sens, jindiquerai celle dun texte ancien sur Lagressivit en psychanalyse, pages 102-103 des crits. Vous verrez que cest partir du sens que Lacan y dfinit le sujet : Seul un sujet peut comprendre un sens, inversement tout phnomne de sens implique un sujet. Deuximement, cest aussi bien partir du sens quil situe le symptme psychanalytique. Et cest enfin le sens qui nomme, selon lui dans son rapport de Rome, page 257 , lopration propre de la parole, celle de confrer aux fonctions de lindividu un sens. Il promeut la fonction de la parole comme essentielle dans la psychanalyse prcisment en tant quelle peut donner du sens.

    Rejet du sens

    Certes, quand il rejette le sens du ct de la psychothrapie, en 1973, il a dj beaucoup fait pour resituer linstance du sens au cours de vingt ans de son enseignement. Certainement, il a resitu le sens comme effet du signifiant, il a dplac la dfinition du sujet vers le signifiant, il a spar le signifiant et le sens, il a invit isoler dans le symptme les signifiants sans aucun sens qui y sont pris. Voyez les crits page 842 o cest entre parenthses que figure le sans aucun sens qui qualifie ces signifiants pris dans le symptme. On peut bien entendu suivre ce mouvement dans la trajectoire de Lacan : aprs avoir promu le sens, le

    resituer, le relativiser, le minorer. Mais en fait, ici, dans le sarcasme contre le sens qui figure dans ce paragraphe de Tlvision, il sagit dautre chose, il y a un autre accent. Jirai signaler le mot qui figure la fin de lcrit de Lacan qui prcde Tlvision, qui sappelle Ltourdit, celui de smantophilie. Cest pour se moquer une anne plus tt de lamour du sens. Il voque le tourbillon de smantophilie qui lui devait quelque chose, et pour cause, puisquil avait, comme on sait, promu le sens comme essentiel dans lopration analytique. Cela vise luniversit des annes soixante-dix. Cest le mme accent que, dans Tlvision, Lacan dplace pour limputer la psychothrapie, pour en faire dans sa rponse le trait distinctif qui distingue la psychothrapie de la psychanalyse. Cest la premire mergence de quelque chose qui, sans doute prpar, est tout de mme une borne. Je peux imputer Lacan, au contraire, une smantophobie, le rejet du sens. Il est pass, ou semble tre pass, de la smantophilie la smantophobie. On a bien peru quil abandonnait cette valeur lvitatoire quil attribuait au sens au bnfice du signifiant et spcialement au bnfice du mathme comme vecteur de lenseignement de la psychanalyse, dune transmission intgrale hors-sens, qui est prcisment ce quil dveloppe dans son crit Ltourdit. Mais ce quon na pas peru, et que nous pouvons maintenant saisir partir de a, de ce rien du tout, cest que Lacan a dit le sens, quil na pas dit dautres choses beaucoup plus intressantes quil pouvait dire, quil a lanc ce petit caillou-l. Moi, je dis que, sur ce caillou, on peut construire, non pas une glise, mais une issue. Ce que nous pouvons maintenant saisir, du point o nous sommes, cest--dire du point o la psychanalyse est dvore par son semblant, cest que le hors-sens est lenjeu dcisif. Ce nest pas seulement un moyen, en dfinitive subalterne, de fixer les ides, type mathme. On fait servir a le hors-sens. Le mathme permet la transmission hors-sens. Ce dont il sagit dans le hors-sens, ce nest pas seulement de vhiculer le savoir qui peut slaborer partir de la psychanalyse. On peut apercevoir, du point de difficult o nous sommes, que cest dabord, pour Lacan, un enjeu pratique. Cest lenjeu mme de la pratique de la psychanalyse, dans sa diffrence avec la psychothrapie. Je vais jusqu dire que cest partir de ce point prcisment que Lacan a mis sa mise sur le nud borromen, quil a t, comme il la dit, captiv par ce nud, et quil y a consacr ce quil est convenu

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  • dappeler entre nous son dernier enseignement. Son dernier enseignement est une laboration de la psychanalyse dans sa diffrence avec la psychothrapie et en tant que la psychanalyse hors-sens.

    3. Une psychanalyse sans point de capiton

    La psychanalyse hors-sens

    On peut tenir ce dernier enseignement pour non conclusif, et il nous reste ltat dune exploration. a ne tient pas. Cest fait de bric et de broc, de morceaux. Cest contradictoire. Cest clair que, pour lusage, un point de capiton fait dfaut , justement, ce dernier enseignement de Lacan. Mais regardons a de biais, un petit peu autrement. Ce qui est explor prcisment, dans la dimension du hors-sens, avec le support dun nud, nest pas susceptible de trouver un point de capiton. Les ronds dits de ficelle qui composent ce nud se tiraillent, se coincent diversement, se limitent les uns les autres, mais ils laissent toujours des degrs de libert les uns par rapport aux autres. Ils se prsentent sous des formes changeantes, ils sont certes susceptibles dtre distingus, identifis les uns par rapport aux autres, par la couleur, par lorientation, mais le nud quils forment ne se prte pas ce croisement de vecteurs do procde lillumination du point de capiton. Cest prcisment dune psychanalyse sans point de capiton dont cet enseignement tmoigne, y compris dans sa forme. Le point de capiton est un phnomne de sens, et cest prcisment a quil convient de renoncer, l o cest le hors-sens qui dominerait laffaire. Je ferai remarquer que la notion mme de point est interroge par Lacan partir de son nud. Cette notion mme dun point est mise en cause ds le Sminaire Encore, chapitre x, le chapitre des ronds de ficelle, l o Lacan annonce son intrt pour le nud borromen, page 119. Vous verrez que trs prcisment, et ds le dbut, Lacan met en question que la notion de point soit tenable. Elle est tenable, en effet, quand on a des lignes et des surfaces, mais quand on a des cordes qui sont enchanes, cest la notion mme de point qui vous manque. Le point de capiton, cest un terme final, un point de rebroussement, partir de quoi une trajectoire dune exprience sordonne, se re-signifie et se re-subjective. Cest justement ce que met en question la psychanalyse hors-sens. Elle met en question le concept mme de finitude.

    Nous le voyons bien lorsque nous suivons cet enseignement dernier, puisquil se prsente sous une forme clate, inacheve et inaboutie. On peut limputer lanecdote de la personne, mais cest un point de vue suprieur suprieur pour lusage que nous pouvons en faire. Cest prcisment parce que cet enseignement sinstalle dans une dimension qui ne comporte pas lachvement, une dimension laquelle appartient essentiellement linfini, mme si elle se supporte la base de trois lments enchans.

    La srie sans fin

    Autrement dit, dans ce que Lacan labore, justement par le rejet du sens, dans le sarcasme, du ct de la psychothrapie, cest une psychanalyse o la place du point de capiton sinscrit en effet la srie sans fin. Cest partir de l que sordonnent, que prennent leur sens, les dits de Lacan, pars, discrets, rapides, qui mettent en question, qui mettent en suspens, qui minorent, qui dvalorisent, voire qui dmentent franchement la notion dune fin de lanalyse. On la relev, bien sr, et on la relev comme des -cts. On la relev dans ses confrences publies dans le numro 6/7 de Scilicet de la fin 75. On a relev avec surprise ce propos selon lequel une analyse na pas tre pousse trop loin : Quand lanalysant pense quil est heureux de vivre, cest assez. On peut dire : cest pour les Amricains quil a dit a, puisque la poursuite du bonheur, cest le fondement de lensemble quils forment comme nation. Mais on lit aussi dans le sminaire du 8 avril 1975 : Chacun sait que lanalyse a de bons effets, qui ne durent quun temps. Il nempche que cest un rpit, et que cest mieux que de ne rien faire. On peut minorer ces propos, que Lacan na pas multiplis, quil faut aller chercher dans les coins, et que lon se refile ensuite comme tmoignage de la latitude que Lacan pouvait avoir par rapport ses laborations. On peut minorer a, y voir des modulations, des ironies. Moi, je les accentue. Je dis que ce sont des propos fondamentaux, et qui sont

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  • cohrents avec lensemble, lensemble clat de ce qui est alors explor. Je peux y ajouter ce petit crit de Lacan auquel jai dj fait allusion, o il dit : Finalement la passe, quand on la passe, cest une histoire quon raconte. Ce qui est souligner que cest construit, la passe, que cest un artifice, que a a affaire avec lart, si lon veut, et que a dmontre un savoir-faire. La passe comme point de capiton, la passe-clair, dont Lacan a pu parler, qui est encore sous le rgime du sens, la passe-histoire, la passe-rcit, est videmment relative dans le rgime de la psychanalyse hors-sens. Cest terme que jutilise ici, mais qui est fondamental dans ce registre une lucubration. Il y a des bonnes lucubrations, mais la promotion mme du terme lucubration dans le dernier enseignement de Lacan traduit ce rapport entre le hors-sens et puis les artifices du sens. a nannule pas la passe aprs vous avoir soulag dun fardeau, si je vous mets celui-l sur le dos ! , mais a considre lexprience analytique sous un autre angle. Il faut se faire a, cest que les vrits sont des solides, comme dit Lacan. Il y a diffrentes faces et, selon le point o lon est, selon langle de sa perspective, on aperoit autre chose. Les vrits sont des solides Cest nous dtre aussi solides que les vrits.

    Linstance centrale du sinthome

    La consquence inattendue, maintenant, de prendre les choses par ce biais, cest que dun ct la psychanalyse hors-sens creuse la diffrence avec la psychothrapie le dernier enseignement de Lacan, tel que nous pouvons le percevoir et lutiliser dans notre orientation daujourdhui, creuse le foss avec la psychothrapie , et en mme temps elle efface, ou au moins tend effacer, la diffrence entre la psychanalyse pure et la psychanalyse applique la thrapeutique. Cest dj ce que comporte ce que jai dit de la passe. La passe ne fait pas exception. Au contraire, la psychanalyse hors-sens que Lacan dveloppe dans son dernier enseignement, cette tentative de regarder la psychanalyse par un biais qui rejette le sens on ne peut aller l-dedans que jusqu un certain point, et Lacan est visiblement all trs loin dans ce sens-l ; nous saisissons l sa pratique au mieux , cela accentue llment thrapeutique de la psychanalyse. Cest bien ce que signale cette phrase sur le bonheur de vivre. Ce dernier enseignement est conduit faire du symptme sa rfrence clinique majeure, sinon unique. Dans la perspective psychanalyse hors-sens, la diffrence de psychanalyse pure et psychanalyse

    applique la thrapeutique est une diffrence inessentielle. Maintenant que je vous montre par quelles voies on peut dlier le fardeau des paules, peut-tre que les bras vont vous en tomber. Si nous voulons, dans notre conjoncture, recycler ce dernier enseignement de Lacan, alors il faut tre prt une transmutation de toutes les valeurs psychanalytiques que Lacan lui-mme nous a transmises et que nous avons serines. Cest pourquoi ce dernier enseignement est un exercice limite aux confins de la psychanalyse, qui est en quelque sorte lenvers, ou lenfer, de lenseignement de Lacan. La valeur que nous attachons nous reprsenter lanalyse comme une trajectoire ayant des tapes et une fin montre bien que, pour nous, cest une valeur que lexprience analytique soit rgie par une logique dau-del. Cest dailleurs dans la psychanalyse : au-del du principe du plaisir, au-del de lAutre vers S(A), au-del de la demande et de lidentification vers le dsir. Laccs la jouissance suppose une transgression, un passage au-del, protg. Laccs la jouissance est protg et barr par le principe du plaisir, et en retour, pour lanalysant, il lui faut aller au-del du symptme vers le fantasme, o gt ce qui le meut dans son dsir. On voit bien l comment se correspondent et sont homologues la transgression de la jouissance et la traverse du fantasme. Cest la mme conceptualisation qui soutient la notion quil faut franchir une barrire pour avoir accs la jouissance et que, dans lanalyse, il faut aller au-del du symptme pour toucher et traverser le fantasme. Ce sont des termes qui se correspondent, et avec la notion dun jusquau bout. Il y a l en effet une transmutation, cette transmutation qui sappuie sur le rejet du sens. Ce nest pas pour faire malin que Lacan apportait le sinthome, mais pour installer comme centrale dans la clinique une instance o lon ne fait plus la diffrence entre le symptme et le fantasme.

    Le nud borromen, un rapport

    Quand vous ne faites pas la diffrence, comment faites-vous pour aller au-del de lun vers lautre ? La route de lau-del vous est coupe. Le nud borromen est une machine couper lau-del. Comment pouvez-vous oprer une transgression de barrire vers la jouissance partir du moment o Lacan labore une jouissance qui est partout, o il renonce faire la distinction du plaisir et de la jouissance, et o il formule L o a parle, a jouit ? Il revient sur cette diffrence si fconde qui

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  • figure sur le graphe. L o a parle, a jouit rtablit son a parle quil avait reni et le lie la jouissance. O est la transgression alors ? Bien sr, cela va de pair avec la dvalorisation de la parole. Ce nest pas un quart de tour, mais vraiment du 180. Lacan, qui a encens la parole, la qualifie dans son dernier enseignement de bavardage, de blabla, et mme de parasite de ltre humain. Le sens nentre que dans des formules o cest limbcillit qui le caractrise. a, cest pan sur la parole. Et puis, cest pan sur le langage. Lacan qui lavait plac au niveau de la structure, de la structure essentielle, et mme qui, dans ltourdit quel tourdit ! , en 1972, mettait cette structure au niveau du rel. La structure cest le rel, disait-il encore. Mais quand il a amen lalangue, aussitt, du langage, comme de la grammaire, comme de la structure, il na plus fait que des lucubrations. Il a dclass, bien entendu, son concept du langage, et aussi bien celui de la structure, pas du tout port au niveau du rel. Cest corrlatif du remplacement systmatique, comme vise de lexprience, du terme de sujet par le terme de parltre. Lacan, qui tait le promoteur de lintgration de la psychanalyse dans la science et, dfaut, de son rapport essentiel, au temps de son dernier enseignement ne recule pas qualifier la science de futilit. Cest aussi le temps o Lacan procde de grands exorcismes dans la psychanalyse. Il exorcise la connaissance, il exorcise le monde. Foin de ce concept ! Il exorcise le tout. Et il exorcise aussi cest l quil emploie le mot dexorcisme proprement parler ltre, page 43 de Encore, prcisment pour ses affinits avec le sens. Et tout a au bnfice du rel, antinomique au sens, antinomique la loi, antinomique la structure, impossible ngativer. Le rel est le nom positif du hors-sens, bien que donner des noms fasse ici effectivement problme. Cette perspective de la psychanalyse hors-sens, est-ce une lucubration moi que de la constituer ainsi ? Cela se prsente essentiellement chez Lacan par des flashes, comme il le dit lui-mme, par des tentatives. Il na pas laiss une mise au point. Dj, regardez lavantage que nous avons pu avoir dy prlever quelques considrations qui ont chang notre regard sur la clinique, comme on a pu sen apercevoir dans une fameuse runion dArcachon 3. Je pense quil vaut la peine dlucubrer sur ces bouts de Lacan. Mme si cest dans linachvement, cest dot dune consistance, dont il y a prendre. Cest corrlatif de ce qui a fait mon problme, que jai

    annonc au dbut danne, de comprendre, de saisir mieux le non-rapport sexuel. Cest certain que le nud borromen trois vient chez Lacan la place du rapport sexuel deux, quil ny a pas. Ce nud nous fait en mme temps saisir ce dont il sagit mme dans le terme de rapport. Le nud borromen, quest-ce que cest ? Matriellement, cest trois ronds de ficelle. Du point de vue de la matire, de ce quon peut toucher, cest un rond, un autre, un autre. Ce qui fait le nud, ici, nest dans aucun. Cest prcisment le nud qui nous donne la cl de ce que cest quun rapport. Cest le nud lui-mme, le nouage, en tant que distinct de ses lments, qui est un rapport.

    II Le conjungo psychanalyse pure et applique

    1. La perspective du sinthome

    Exercice La Bruyre

    Appliquons-nous maintenant dfinir aussi purement que possible la psychanalyse pure et la psychanalyse applique lune par lautre et vice-versa. Cest ce que jai dj appel lexercice La Bruyre, auteur que jaime pratiquer depuis le temps du lyce : Corneille peint les hommes tels quils devraient tre, Racine les peint tels quils sont. Il serait tentant, sur cette voie, de profrer que la psychanalyse pure est la psychanalyse telle quelle devrait tre, et la psychanalyse applique la psychanalyse telle quelle est. Cela indique une direction, une orientation, peut-tre mme une tentation, laquelle on pourrait cder. Mais est-ce vraiment bien avis ? Ce serait aller, quant la psychanalyse, dans le sens den rabattre, cest--dire de rabattre lidal sur ce qui est le fait. Je ncarte pas cette direction dans ce quelle a de salubre pour sy retrouver. On pourrait le dire ainsi pour animer un peu, pour faire briller ce que cette direction pourrait avoir de rabat-joie : toujours prfrer le rel limaginaire. Ce serait pourquoi pas ? ce quoi nous inciterait le symbolique. Mais il faudrait encore sassurer de ce que le symbolique lui-mme nest pas davantage imaginaire que rel. Le cornlien, il sen sort cest son trait , et avec tous les honneurs de la guerre, mme sil termine en loques. Le racinien, le sujet racinien si on peut employer cette expression , lui ne sen sort pas, il y reste. Le cornlien, il a son dbat, son fameux dbat qui ltreint, mais qui est structur, qui est une alternative. Tandis que le racinien, lui, est plutt aux prises avec un dilemme. Il ne peut mme pas se

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  • rgler sur le pire, car le pire est des deux cts. Il est dans limpasse. Il ne reste en gnral au racinien qu se barrer, alors que le cornlien trouve sen sortir, et plutt du ct de lidentification. Lorsquil sagit de la psychanalyse, faut-il mettre laccent tragique ? Relevons que Lacan y met plutt laccent comique. Plus exactement, du ct o lon sen sort, il dit que cest de lordre de lesprit, du Witz, qui nest pas le comique mais qui emporte avec lui le rire. Du ct o lon ne sen sort pas, et o lon attend laccent tragique, il voit le comique. Comme il a pu le dire, dans un nonc trs simple remettre la bonne place que jessaye de lui mnager : La vie nest pas tragique, elle est comique. Il lui parat par consquent tout fait inappropri que Freud soit all chercher une tragdie pour en extraire le complexe ddipe. Jintroduis cela ma faon, mais ce dont il sagit est trs prcis. Cela veut dire que lorsquon sen tire, ou si lon sen tire, ou dans la mesure o lon sen tire, cest en jouant sur le signifiant, par des jeux de signifiants sur quoi repose leffet de Witz. Mais il y a tout de mme, du ct o lon ne sen tire pas personne , au moins un signifiant avec lequel on ne peut pas faire joujou, du moins on ne peut pas jouer avec ce quil nomme, si ce quil nomme nous donnons le nom de jouissance. Il y a l, comme Lacan la not demble, quelque chose qui ne se ngative pas, qui ne se prte pas ce que lon puisse ici jouer de lannulation. Si lon dsigne ce signifiant par (13, on voit tout de suite en quoi cest comique de ne pas pouvoir ici sen tirer.

    Dfinir la pure et lapplique

    Revenons dfinir la pure et lapplique. Dfinir, cest un jeu. Dfinir, si on cherche le salut dans cette voie, cest cerner, cerner le propre.

    Pour quon soit tranquille, il faut bien sr quil y ait une surface, et tout un bataclan qui nous donnerait la scurit que ce que lun est, lautre ne lest pas. Ce qui est justement en question, cest de savoir si lon peut, dans la psychanalyse, penser par lignes et surfaces, cest--dire aussi bien par dfinitions. La dfinition est dj charge de prsupposs, les mettre au jour suppose torsions et contorsions, comme on a pu les suivre, loccasion douloureusement, mme comiquement, chez Lacan la pointe de son effort. Cest la question, que lon

    puisse dfinir bien tranquillement. Il faut avoir la foi du charbonnier. Mais allons-y, parce que sinon on reste quia. La psychanalyse pure essayons a est la psychanalyse en tant quelle conduit la passe du sujet. Cest la psychanalyse en tant quelle se conclut par la passe. L, le sujet sen sort, et il sen sort dailleurs il essaye avec les honneurs de la guerre. En tout cas, on a pu linviter demander les honneurs, cest--dire quelque chose consacr par un titre. Si ce nest pas de lordre de lhonneur, alors les mots nont plus de sens commun. Cest bien possible dailleurs. Cela permet ce sujet dappartenir une classe distingue, qui, mme si on a pu la rendre impermanente, nen reste pas moins le distinguer au-del du temps o il est convenu que le titre glisse. La psychanalyse applique, cest la psychanalyse qui concerne le symptme, la psychanalyse en tant quapplique au symptme. Et l, est-ce quon sen sort ? Est-ce quil y a ce niveau-l si cen est un une sortie ? Il y a quelque chose qui sappelle la gurison, et qui pourrait en effet tre le nom de la sortie sur ce versant. Comme vous savez, cest un terme qui, dans la psychanalyse, est trs problmatique, trs relatif. Mais la sortie qui sappelle passe nest pas moins problmatique. Cest au point dailleurs que lon incite vivement ceux qui sont sortis de ce ct-l expliquer comment ils pensent avoir fait pour russir a. Et on constate que, dans le cadre dune analyse, chacun sy est pris, ou sest trouv pris, comme il a pu, sa faon. La sortie passe nest pas moins problmatique que la sortie gurison, mme si la sortie passe est susceptible dune dfinition radicale dans la psychanalyse. Cest Lacan qui a donn cette dfinition radicale il en a mme donn plusieurs , alors que la gurison ne bnficie pas dune dfinition radicale. Est-ce glorieux davoir une dfinition radicale ? Est-ce commode ? Est-ce solide ? On pourrait dire que bnficier dune dfinition radicale pour la passe est plutt sa faiblesse. Si on en rabat, la passe est la notion je demande quon tolre les termes que jemploie dune gurison qui serait radicale, qui serait dfinitive. Si on le dit ainsi, on voit bien que cest une notion nave, que lon ne demanderait qu sophistiquer. Mais je ne crois pas quon ne puisse pas titre de ttonnements au moins situer la passe comme une radicalisation de la gurison. La scission des deux psychanalyses, la pure et lapplique, repose sur la diffrence du symptme et du fantasme. Elle repose sur la notion dun au-del

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  • du symptme, sur la notion quau-del du symptme il y a le fantasme. Ce qui est gurison du symptme, amlioration, allgement, mieux, laisse encore place pour une opration sur le terme ultrieur. Vu la faon dont on dfinit le fantasme, on nappelle pas cette opration gurison. On lappelle couramment a sest mis courir parce quon a ponctu un terme employ une fois par Lacan, pas beaucoup plus traverse lorsquil sagit du fantasme. Mais cela comporte aussi la notion de rduction qui vaut pour lun comme pour lautre. Tant que cette opposition tient et jai tout fait pour quelle tienne ; dans la seconde srie des cours que jai faits sous le titre gnral de Lorientation lacanienne, je me suis embarqu, et vous avec moi, dans cette diffrence du symptme et du fantasme, en mnageant la notion quon navait peut-tre pas tout fini avec le fantasme et quun petit retour sur le symptme tait aussi dessiner 4 , tant que cette opposition tient du symptme comme ce qui ne va pas, qui fait mal, et du fantasme o lon est bien, ou au moins dont on peut tirer jouissance, on est fond distinguer la psychanalyse pure et la psychanalyse thrapeutique. Sous quelle forme, cette distinction ? Sous la forme que la psychanalyse thrapeutique serait une forme restreinte de la psychanalyse pure. Mais ce nest pas le fin mot de la question, bien quon se serait volontiers arrts l pour lillustrer. Il y a dj beaucoup dannes jai arrt le curseur l-dessus, sur lopposition du symptme et du fantasme, et donc sur la distinction des sorties S. Cest que cela avait des vertus de structuration dont on a tout de mme vu les rsultats et quel point ctait susceptible dtre illustr cela a t illustr de la meilleure faon. On ne peut pas dire nanmoins que cest le fin mot de la question. Dailleurs, le dernier Lacan conseille de ne jamais sarrter au fin mot de la question, de ne jamais sarrter au dernier mot. Cest de la paranoa, dit-il, si on sy arrte. Et le nud est justement fait pour nous dbarrasser de la paranoa l-dessus.

    Un champ de dsorientation

    Ce nest pas le fin mot, ce nest pas le mot de la fin, puisquil y a une autre perspective, un autre angle, sous lequel svanouit la diffrence du symptme et du fantasme. Cest langle de ce que Lacan a amen sous le nom de sinthome, en utilisant une graphie ancienne du mot cest dj ainsi que jen avais expliqu quelque chose lpoque pour inclure dans la mme parenthse symptme plus fantasme. 6

    fantasme+symptme=sinthome

    Cest une approximation de cette quation, mais javais situ l que lopposition clinique du symptme et du fantasme, si fonde quelle soit, nempche pas que lon puisse prendre une autre perspective. Sous cet angle, la diffrence des deux psychanalyses est inessentielle. Sauf erreur de ma part, la diffrence des deux psychanalyses est absente de ce quenseigne le dernier Lacan. Si quelquun mamenait la rfrence qui me manquerait l-dessus, soyez tranquilles, je saurais men sortir. Je dirais prcisment : cest inessentiel. Ce nest pas une question de fait, cest une question de saisir lorientation de ce que Lacan a amen in fine comme dsorientation. Il a touch la boussole dorientation que lui-mme avait construite au cours des annes pour ouvrir in fine un champ de dsorientation. Cest trs compliqu de le suivre l parce quil faut dsapprendre. Comme il sest encore pass du temps depuis, on a maonn la construction de Lacan dans sa partie, si je puis dire, architecturale. Cette dsorientation, il faut en mettre un coup pour se mettre son niveau, se mettre dans son mouvement, et pour ne pas se laisser arrter par lindignation qui peut saisir, que le dernier Lacan cest le dernier des derniers. Cest quelquun qui dit il dit entre les lignes, il laisse entendre, il dit un peu ct, pas trop fort : la passe nexiste pas. Pouvez-vous entendre a ? Plus prcisment peut-tre cela donnera un peu de soulagement : que la passe nex-siste pas. Il faudra voir la valeur propre que lon donne cet artifice dcriture, savoir le petit tiret sparant ex de la sistence. Il laisse entendre, aussi clairement que lon peut, que la passe nexiste pas, ou que si elle existe, cest plutt ltat de fantasme. L, attention dans la signification imaginaire de ce mot ! qui nest pas tout fait celle du mot que jai crit l. Il faut encore en venir bouger la signification du mot imaginaire. Vous voyez la chane de dsorientation dans laquelle il faut savancer. De toute faon, avant de se rcrier que trs peu pour nous, que le dernier Lacan est inessentiel, avant de se rcrier sur lattentat quil commet sur la passe, il faut bien voir que, dans la perspective du dernier Lacan, du dernier jugement, dans la perspective du Jugement dernier, je cite Lacan : La science elle-mme nest quun fantasme. Cest de nature faire avaler plus facilement que la passe pourrait ntre quun fantasme, si elle est accompagne par la science elle-mme.

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  • La science nest quun fantasme

    Cest exorbitant. Cest exorbitant davoir eu couter, lire et redire : La science nest quun fantasme. Dans la bouche de Lacan ! Cest exorbitant du sens commun. Et cest exorbitant de ce dont il a soutenu son enseignement, comme Freud lavait fait sa faon, en ayant recours dautres sciences, une dialectique plus sophistique de la psychanalyse et de la science. Ce nest pas de lui quon attendrait la proposition la science elle-mme nest quun fantasme. Do peut se profrer cette normit qui dnoue le lien de psychanalyse et science ? La passe du mme coup sen va la drive. Il faut reprendre cela tranquillement, essayer de le mettre sa place, le prendre dans une chane, mme si le nud nest pas la chane, sil est construit autrement. Mais pour que nous puissions nous avancer, nous, il nous faut enchaner. Si, au lieu de se rcrier, on choisit de stablir sur les noncs de Lacan que jai rappels, quil na pas prodigus, pas multiplis, mais o il faut mettre laccent, la ponctuation, pour saisir de quoi il sagit dans son effort, cela fait finalement lever des lments, un aperu, une perspective, dont on peut trouver le point de dpart dans le plus assur, le plus classique, le plus enseignant, et le plus enseign, de sa doctrine. La psychanalyse pure, cest la notion dune psychanalyse comme dune pratique qui prend son dpart du transfert, et que Lacan a prsente comme un algorithme, un algorithme de savoir, et qui, tre pousse ses dernires consquences, rencontre un principe darrt. Cest la finitude de lexprience pose par Lacan, la diffrence de Freud, et comme tant dduite, conclue, partir dun algorithme de savoir, donc fonctionnant automatiquement. Cet arrt est une illumination, ou un clair, un aperu insight , une vrit. Chacun de ceux qui pensent avoir prouv, avoir t dans cette exprience, ont leur faon de le reconnatre cela peut tre dans un rve, ou le contrecoup dun rve, dune interprtation de lanalyste, dune rencontre, dune pense. Cet arrt, cest quil se produit toujours ce que jappellerai un vnement de savoir. Le dernier Lacan met en question cest un rien la validit de cet vnement de savoir, condition de prciser : au regard du rel. Il faut, l encore, prendre ce rel comme de sa catgorie lacanienne, de sa catgorie in fine. Ce qui demande de dsapprendre un petit peu ce quon a cru du rel, justement pour avoir t enseign par Lacan. Quest-ce que vaut cet vnement de savoir au regard du rel entendre comme il faut ?

    Dj ne disons que cela, qui nous donne le chanon suivant , cet vnement de savoir ne vaudrait au regard du rel que sil y avait du savoir dans le rel. Sil y a du savoir dans le rel, bien entendu quun vnement de savoir vaut au regard du rel. Cest le fondement de la pratique scientifique. Si la science nest quun fantasme, lvnement de savoir quest la passe, ne lest pas moins. Si la science nest quun fantasme, cest--dire quelle na pas de validit au regard du rel, alors je mexcuse la passe suit le mme chemin.

    et lide dun rveil impensable

    Cest pourquoi Lacan peut dire, du mme souffle, dans la mme phrase de son Sminaire Le moment de conclure 7, que la science nest que fantasme et que lide dun rveil est proprement parler impensable. Rveil est un mot initiatique pour qualifier lillumination de passe. Cest poser aussi que la pense nest pas propre au rel. Ce qui est dclasser la pense. Cest ce qui est le plus saisissant, au moins dans cet aperu. Dans tout son dernier enseignement, Lacan classe la pense dans le registre de limaginaire. Ce qui est norme. Alors que trs peu de temps avant de sy engager vous en avez la rfrence crite dans Tlvision , il explique tout fait au contraire que la pense cest du symbolique qui drange limaginaire du corps. Mais le dernier enseignement de Lacan commence quand la pense est dclasse du symbolique limaginaire. Cest l quil faut dire que la psychanalyse pure, avec son objectif de passe, se supporte dune confiance faite au savoir on peut dire dune confiance faite au savoir dans le rel , mais seulement titre de supposition. Cest dj ce quamne Lacan lorsquil introduit la passe dans son texte inaugural sur le psychanalyste de lcole. Il voque bien le savoir, mais il ne lvoque pas plus que comme savoir suppos, et qui donne ce savoir son statut dinconscient. Cette supposition est relative au discours analytique, elle est induite par lacte analytique, et cest un fait de transfert, un fait damour. Cette supposition de savoir, ce nest pas rel. Lacan le signale en toutes lettres, le sujet suppos savoir nest pas rel. Ce nest donc pas quivalent du savoir dans le rel. Lacan y a toujours insist. Le ressort pour la psychanalyse, cest la supposition transfrentielle de savoir. Cela nassure nullement quil y ait effectivement du savoir dans le rel. Do le statut

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  • donn linconscient dtre foncirement une hypothse, voire une extrapolation. Cest l-dessus que Lacan construit son Moment de conclure, o je prlve cette phrase : Lhypothse que linconscient soit une extrapolation nest pas absurde.

    2. Un rel mis en fonction

    Construction de savoir

    On peut, partir de l, donner laccent qui convient tout de ce qui dans lanalyse est construction de savoir. Premirement, par rapport linterprtation, o les bouts quon a cest mme ainsi que Freud le prsente , les clairs de vrit quon a, on les monte en savoir, on fait une construction. a, du ct de lanalyste. Freud, lui, pensant que cette construction est communiquer au patient quand il convient. En quoi il se distingue de Lacan, dans lacte. Du ct de lanalysant, le mme terme de construction simpose. On parle de construction du fantasme fondamental. Ce qui indique que le fantasme fondamental est une construction. Ce nest pas du savoir dans le rel. Si le fantasme fondamental est une construction comme Lacan la toujours dit ds quil a amen le terme de fantasme fondamental , quest-ce quil y aurait dtonnant ce que la passe comme traverse du fantasme fondamental soit galement une construction ? Cest une construction de savoir partir deffets de vrit, une construction ordonne par un effet choisi comme majeur ou qui simpose comme le nec plus ultra. Son caractre de construction est tout fait patent lorsquon passe de la passe moment de lanalyse la passe exposition dans la procdure. Bien entendu que cest une construction, une construction dont on choisit et dont on monte les lments. La foi quon a quand on a foi dans lanalyse , cest que, dans les constructions, du rel est mis en jeu, du rel est touch partir de la supposition de savoir, quelque chose du rel se manifeste partir du savoir. Cest ce que Lacan indique lpoque o il lance la passe dune faon trs discrte : la signification de savoir, le savoir suppos, tient la place du rfrent encore latent. Jadis, javais appris lire cette phrase en indiquant que ce rfrent cest lobjet petit a comme rel, venant prcisment tre cern par la srie signifiante qui se poursuit dans lanalyse. Si lon prend a avec la foi du charbonnier, cela permet de croire que lon passe, comme insensiblement, du sujet suppos savoir, qui nest

    pas rel, un terme qui appartient au registre du rel. On simagine que, un moment, il se fait que le savoir suppos est mtaphoris par le rel, que le rfrent, le rel encore latent, vient un moment, monte sur la scne, et dit Quest-ce quil dit ? Il se mettrait dire : Moi, le rel, je parle ! Pourquoi pas ?

    relSavoir

    Si on croit que cette mtaphore est l, que cest ce que Lacan dit, ou quil sen contente, il faut se mettre genoux. Cest le miracle. On parle de miracle quand la relation de causalit chappe. Pour bouger un petit peu le regard sur cette affaire, le rel dit petit a ce nest pas tout le rel, pour autant quon puisse dire tout le rel on ne peut pas , cest le rel qui est pris dans le fantasme. Petit a est un rel mis en forme, mis en fonction. Cest un rel rsultat dune construction, de la construction du fantasme fondamental, cest--dire la rduction des reprsentations fantasmatiques et des histoires quon se raconte, pour en dtacher comme la formule. Sil y a rel, cest un rel qui rsulte dune construction.

    La passe et le rel

    Cest pourquoi, lamenant ainsi, comme rel rsultant dune construction, cest un terme dont le statut de rel est en question. Quand on lit Lacan trop vite bien quil fasse tout pour quon ralentisse la lecture , cela fait un choc de sapercevoir que, dans le chapitre vin du Sminaire Encore, il dclasse lobjet petit a du registre du rel. Il mest arriv de commenter ce chapitre, qui est vraiment un chapitre qui annonce le nud borromen. Il lannonce sous les espces dun triangle dont les sommets portent les lettres majuscules, du symbolique, de limaginaire et du rel, que Lacan va appareiller sur son nud borromen.

    Cest vraiment l que lon voit se prparer ce franchissement que le dernier Lacan va orchestrer. Le triangle est orient par des vecteurs, et cest sur le vecteur qui va du symbolique au rel que sinscrit petit a, et prcisment au titre du semblant. Jy ai mis laccent jadis, je dois dire sans succs, parce que tout le monde tenait absolument ce que

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  • petit a ce soit rel. Tout le monde tenait la mtaphore miraculeuse du savoir en rel. Alors que Lacan indique que ce petit a est plutt du ct de ltre que du rel. Il le qualifie mme de semblant dtre, et il note que ce petit a lui-mme, ce rfrent encore latent qui peut prendre la place du savoir suppos, ne peut pas se soutenir dans labord du rel. Ce qui bouge avec a, cest la notion, le sens que lon peut donner au terme de rel. Il est vident que cest se faire un rel hors construction dont il sagit. Cela fait de petit a un effet de sens relevant du symbolique, visant le rel, mais natteignant qu ltre. Si lon fait bien attention ce qui conduit Lacan construire la notion de la passe, quest-ce quon peut rpondre la question de savoir ce que lopration du savoir suppos change au rel ? Quest-ce que Lacan explique que la passe change au rel ? Il dit soyons prcis que la passe change quelque chose ce qui est le rapport du sujet au rel, quelle change quelque chose son fantasme comme fentre sur le rel. Admettons que la traverse du fantasme permette une sortie hors du fantasme, dans sa dfinition initiale, mme si elle est momentane, mme si cest un aperu. Mais il nest pas sr pour autant que a change forcment la pulsion. Cest bien le sens de ce que Lacan dans son Sminaire XI, lorsquil est dj sur la voie dlaborer lanalyse avec fin pose encore la question : Quest-ce que tout a change finalement la pulsion ? Il faut entendre : en effet, il y a un rsultat au niveau du savoir, mais dites-moi encore ce que cela change au rel.

    La nomination est une supposition

    Comme le note Lacan dans son Moment de conclure je glose l, mais tout cela tient dans trois phrases qui sont illuminantes , Freud a eu recours au concept de pulsion parce que lhypothse de linconscient, le savoir suppos, manque se soutenir dans labord du rel. Avec la pulsion, Freud a voulu en effet nommer quelque chose du rel. Mais, pour le dernier Lacan justement, cest trs problmatique la nomination, daller se mler, avec du signifiant, de lordre du rel. Pourquoi Lacan, un moment, sest-il mis gloser sur la nomination dans son dernier enseignement, et dont largumentation napparat pas toujours dploye ? Pourquoi le problme de la nomination ? Parce que la nomination est une supposition. Cest la supposition de laccord du symbolique et du rel. Cest la supposition que le symbolique saccorde avec le rel, et donc que le rel est en accord avec le symbolique.

    La nomination, cest la pastorale du symbolique et du rel. La nomination est quivalente la thse du savoir dans le rel, ou au moins cest le premier pas, celui qui cote, dans la direction du savoir dans le rel. Le nom propre, cest un point de capiton, non pas entre signifiant et signifi, mais entre symbolique et rel, partir de quoi on sy retrouve avec les choses, cest--dire avec le monde comme reprsentation imaginaire. Si lon ne suppose pas cet accord miraculeux du symbolique et du rel, alors il faut un acte. Cet acte ne peut relever que du point de capiton majeur qui est le Nom-du-Pre. Cest pourquoi Lacan en fait le pre du nom, le pre nommant, celui qui assume lacte de nomination, et par l mme qui lie le symbolique et le rel. Cet angle du dernier Lacan prend revers la psychanalyse. Il branle son fondement, son axiome, sa supposition. Il met en question le lien du symbolique et du rel, cest--dire quil invite penser partir de leur disjonction, partir dun rapport dextriorit entre les deux, et disons partir de leur non-rapport. Cest bien par l quil est entr dans la question, puisquil a commenc par mettre limaginaire en position de tiers, de mdiation, entre les deux de la disjonction fondamentale symbolique et rel.

    3. Un rel hors-sens

    Jonction et disjonction dans le nud

    Quand on se met prendre la psychanalyse revers de son axiome, de sa supposition, de ce dont elle se sustente, cest--dire partir du moment o on disjoint le symbolique et le rel, on dit : Ce nest pas du tout parce que vous avez trouv des choses dans votre analyse, des vrits, du savoir, en veux-tu en voil, pardessus par-dessous jai dit le contraire et le reste, et un moment je me suis arrt parce que ctait tellement formidable que je ne pouvais pas faire mieux , que, du ct du rel, ce soit chang forcment. Il y a l un cart, cela peut tre chang dans le semblant dtre, mais ce nest pas forc que a aille plus loin. Dailleurs, il y a dans le rel bien plus de choses que ce que lon peut en changer par les expriences de savoir sinon a se saurait. On progresse dans lexprimentation l-dessus. Maintenant on nen est plus produire des clones mais une nouvelle espce de singes, jamais vue. Je crois quon peut tranquillement prophtiser que, comme il y a un nouveau singe, un nouvel homme nous attend certainement quelque part dans le vingt-et-unime sicle. Et quel sera le comit dthique qui

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  • sera bien capable l dempcher que lon rsiste lapptit de perfectionner une espce qui souffre de tant de maux quelle a d avoir recours la psychanalyse ? Si vous pensez partir de lextriorit du symbolique et du rel, et si vous vous rendez compte quil y a des interfrences, mais que vous voulez tout de mme les tenir spars sans tre fou, en sachant que lorsquon trafique quelque chose du ct du symbolique, on peut avoir des effets dans le rel , si vous les tenez spars conceptuellement, le nud se trouve ncessit. Le nud borromen, vous ne pouvez pas y couper. Cest sous la forme du nud, sous les espces du nud, more nudo, que les deux, symbolique et rel, peuvent rester disjoints tout en tant insparables. Le nud borromen permet que les deux lments restent disjoints ils peuvent dire connat pas , sauf quen mme temps ils sont insparables, cest--dire quils sont joints de faon ne pas pouvoir se sparer. La forme borromenne du nud surmonte lantinomie de la jonction et de la disjonction. Cela exige lintroduction dun troisime, lui aussi disjoint des deux autres. On voit bien ici quel est le propre du nud par rapport la chane. Bien sr, le nud et la chane sont deux formes darticulation, mais dans le nud les lments restent disjoints. Ils sont l chacun pour soi dans un non-rapport radical les uns avec les autres, et ils sont nanmoins pris dans un rapport.

    Un rel exclu du sens

    Il faut en venir au rel dont il sagit, non pas le rel que vous trouvez dans le schma R de Lacan, dans sa Question prliminaire. Cest pourtant le schma qui est cens nous donner quelque chose du rel. Lacan la baptis de la lettre initiale du mot, schma R. On a l un rel qui est encadr par le symbolique et limaginaire. Ce sont des champs. Il y est question de recouvrement, par exemple. Lacan peut dire : La relation imaginaire spculaire aa donne sa base au triangle imaginaire, que la relation symbolique mre-enfant vient recouvrir. Cela fait partie du b. a.-ba de la construction de Lacan. On part de limaginaire et on montre quil y a des termes qui se symbolisent, ou qui permettent le recouvrement par des termes symboliques. Il y a aussi des intrusions dun champ dans un autre. Le terme dintrusion revient plusieurs fois dans la clinique mme du cas Schreber, et le terme dintrusion exprime que les champs du rel, du symbolique et de limaginaire communiquent. Dune faon gnrale, que nous parlions de symbolisation, ce dplacement, cette circulation,

    implique le transfert dun lment appartenant un champ dans un autre champ. a nous sert a normalement le rel, le symbolique et limaginaire. Il y a toute une population l. Indfiniment, les lments rels se dplacent dans le symbolique, et il y a des lments imaginaires aussi, et quand ce nest pas inscrit dans le symbolique, a reparat dans le rel. Cest un tohu-bohu. Ce nest pas de ce rel-l dont il sagit. Que devient le rel dans le nud ? Il est figur, non pas comme un champ, mais comme un pauvre rond de ficelle comme tel, disjoint du symbolique et de limaginaire. Cest le rel comme hors symbolique et hors imaginaire. a au moins cest simple. Cest ce que rsume lexpression hors-sens, puisque, pour quil y ait sens, il faut que collaborent symbolique et imaginaire, et cest prcisment ce qui est exclu quant au rel. Que peut-on en saisir de ce rel ? Y en a-t-il un concept ? On peut se le demander. Lacan au moins dit que oui, quil y a un concept de ce rel-l. Il dit que cest le sien, et sil met autant laccent sur le fait que cest le sien, cest quen effet ce nest pas si facile transmettre. Il faut dabord sapercevoir que cest justement parce quon dfinit le rel comme exclu du sens que lon peut mettre du sens sur le rel. Je ne dis pas dans le rel, je dis sur. Le dans suppose un champ, et il ny a pas de dedans du rond de ficelle. On peut, sur le rel, mettre du savoir, mais dans la perspective du rel comme exclu du sens, y mettre du savoir ce nest jamais quune mtaphore. crivons-le sens sur le rel :

    SensRel

    Cela veut dire que mme le savoir est de lordre de ces termes que multiplie le dernier enseignement de Lacan quand il dit, non pas des constructions, mais des lucubrations, des futilits, voire des fantasmes. Situer ainsi tout ce qui est sens npargne pas le savoir ni la science. Par rapport au concept du rel comme exclu du sens, tout ce qui fait sens prend la valeur de futilit et dlucubration. Cest une catgorie, videmment, a se multiplie. Ds lors que lon prend la perspective selon laquelle laccord est rompu du rel et du savoir, on peut dire que tout savoir est rduit au statut de linconscient, cest--dire au statut dhypothse, dextrapolation, voire de fiction. Cest une position radicale. Rien de ce qui fait sens nentrera dans le concept du rel. Cest non seulement perdez toute esprance, mais perdez tout sens. Cest abracadabrant, mais cest une position de mthode, au sens o lon parle du doute mthodique de Descartes. Cest le doute mthodique qui permet

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  • Descartes de produire lexception de ltre dont lexistence ne peut pas tre voque en doute.

    Symptme et croyance

    De mme, lorsquon soblige cette salubre discipline de poser le rel comme exclu du sens, cela permet ventuellement de poser lexception du symptme freudien, comme le fait loccasion Lacan. Le symptme freudien, ce serait le seul rel ne pas exclure le sens. Une phrase comme a, pour quelle porte, pour quelle soit mme pensable, il faut avoir pris la perspective radicale de lexclusion du sens. Cest dans le mme fil que Lacan peut, un autre moment, renvoyer le symptme analytique un fait de croyance. Comme il dit, on y croit. On croit que a peut parler et que a peut tre dchiffr. On lui croit du sens. Ce on y croit met laccent sur la relativit transfrentielle du symptme. Le symptme, on y croit, qui a tant surpris dans sa formulation, cest la consquence du sujet suppos savoir. Cela change simplement laccent. La pure supposition signifiante est traduite en termes de croyance. Quand on dit suppos, personne ne suppose. Lacan avait insist l-dessus. Le sujet est suppos, mais personne ne suppose, il est suppos au signifiant. Quand on dit on y croit, cela met plus en valeur quil faut que quelquun y croie. On peut formuler sur ce fond que la croyance transfrentielle vise le savoir dans le rel comme un sens qui peut parler, comme un sujet. Quest-ce que la croyance transfrentielle ? Donnons-lui son nom. Cest lamour. Cest l que trouve sa place juste ce que Lacan peut dire on se demande pourquoi si on ne le prend que spar , page 48, dans Encore : Lamour vise le sujet. Lamour vise le sujet suppos un signe. Le on y croit convoque et exprime lamour. Cest bien pourquoi on peut ici introduire, comme le fait Lacan dans son dernier enseignement, une femme au rang de symptme, par excellence. Les affinits de la femme et du symptme, ce nest pas seulement que le symptme cest ce qui ne va pas, comme un vain peuple le pense aussitt. Cest ce qui est susceptible de parler. Cest a qui est au fondement de la femme-symptme. Ce que vous choisissez comme femme-symptme, cest une femme qui vous parle. Javais nagure dvelopp lautre versant, quune femme attend quon lui parle. Cest bien pourquoi Lacan parle dans le mme mouvement du y croire au symptme et juste en mme temps y croire une femme. Cest que cest un symptme parlant et qui appelle tre cout, voire entendu. Pour avoir

    une femme comme symptme ce qui est la seule faon de laimer , il faut lcouter, il faut la dchiffrer. Quand les messieurs ne sont pas disponibles, quand ils nont pas le temps, ou alors quand il sont devant leur ordinateur, qui est un autre symptme dchiffrer, un autre symptme qui parle, ou quils dchiffrent les symptmes de leurs clients, eh bien, les femmes vont en analyse. Cest une dfinition de lamour qui nest pas narcissique, et quon a cherche. Cest trs simple, lamour narcissique est celui qui vise une image, alors que lamour lacanien est celui qui vise le sujet. Le sujet suppos, cest lamour en tant quil introduit du sens et du savoir dans le rel. Cest la seule voie par laquelle le savoir et le sens sintroduisent dans le rel.

    Le rel sans loi

    Cest l que lon peut placer les noncs pars de Lacan, qui peut dire la fois, sur ce fondement-l, que les femmes sont terriblement relles, et puis en mme temps mettre en valeur quelles sont terriblement senses, et mme le support du sens, et en mme temps, loccasion terriblement insenses. Ces termes sont tous sordonner autour de ceci que cest lamour qui vise le sujet. On naperoit tout cela que si on a le bon concept du rel comme hors-sens, mais aussi bien comme rel sans loi. a, a parat trop, quand Lacan dit a : Le rel est sans loi. L on abandonnait les fondements mme de la rationalit. Encore, hors-sens, si on fait la confusion de cet hors-sens avec le signifiant, on sen aperoit peine. Mais sans loi ! La loi est en effet de lordre de la construction, de la futilit de la construction. Notre concept mthodique du rel nous oblige dcaler le statut de la loi. Dailleurs, ce qui prouve bien que ce nest pas du rel, cest que les lois quon trouve dans le rel, elles changent. 8 La meilleure preuve que la science nest quun fantasme, que cest vraiment la position la plus tranquille, cest justement quil y a une histoire de la science, et que a se remanie. On croirait une analyse, pour tout dire. Cest faire la distinction du rel proprement dit et du sens que lon trouve quelque chose comme lalangue. Comment Lacan a-t-il invent lalangue, distinguer du langage ? Cest justement quil a mont dun cran son concept du langage et de sa structure au niveau de la futilit du sens. Il a dit : Finalement, ce langage avec sa structure, cest une construction, une lucubration de savoir qui stablit au-dessus de ce quest le rel proprement dit.

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  • La mthode dont il sagit, cest de, en tout, chercher le rel. Chercher le rel, chercher passer sous le sens, chercher se passer des constructions, mme lgantes, mme probantes, mme surtout si elles sont lgantes. Cest ce que Lacan assume et dmontre dans son dernier enseignement. Cest un certain foin de llgance !. Il y a un livre que je dpiaute en ce moment qui sappelle en anglais The lgant Universe, LUnivers lgant. Cet ouvrage est consacr exposer quelque chose qui nous fait videmment un effet de rsonance, la thorie des cordes et super-cordes, cest--dire une thorie des plus rcentes qui prtend unifier le champ de la physique. Ce qui est tout de mme formidable, cest quen effet il renonce aux particules, il renonce aux points comme une correspondance sur ce point avec quelquun , mais il met la place, comme lment basique, des cordes. On peut dire : vraiment, quel pressentiment de Lacan. Sauf que ce ne sont pas exactement les cordes de Lacan, mais des cordes vibrantes. Et surtout, que ce soit fait pour donner un univers lgant nest pas fait pour donner confiance.

    *. Lorientation lacanienne III, 3, Le lieu et le lien (2000-2001), 10 & 17 janvier 2001. Texte et notes tablis par Catherine Bonningue. Publi avec laimable autorisation de J.-A. Miller.

    1. Cf. Les Journes de lcole de la Cause freudienne, La Lettre mensuelle n193, dcembre 2000, pp. 1-5 ; Le clivage psychanalyse psychothrapie, paratre dans Mental. 2. Cf. Psychanalyse et psychothrapie, La Cause freudienne n22, Paris, 1992, pp. 7-12. 3. Cf. La Conversation dArcachon, Paris, Le Paon, Agalma, 1997. 4. Cf. Du symptme au fantasme, et retour (1982-1983), Lorientation lacanienne H, 2. Tout le dbut du cours, soit de novembre 1982 mars 1983, est consacr diffrencier symptme et fantasme, laccent tant mis sur le fantasme. La dernire partie du cours amorce un mouvement de retour du fantasme sur le symptme, accentuant l limportance du symptme sur le fantasme. 5. Cf. Sur le dclenchement de la sortie danalyse (conjonctures freudiennes), La sortie danalyse I et II (1992), La Lettre mensuelle n118 (pp. 26-30) & n119 (pp. 31-381, 1993. 6. Si l'on en trouve une ou deux occurrences dans Du symptme au fantasme... - le 24 novembre 82, le terme de sinthome est cit par rapport Joyce et le 1er juin 83: Parmi les questions que je regrette de ne pas avoir traites cette anne, c'est [...1 d'en avoir dmontr une construction qui puisse diffrencier la mtaphore et la mtonymie dans le symptme. Je suis rest volontairement en de du sinthome tel que Lacan a commenc l'crire partir d'une certaine date, parce que cela modifie profondment la problmatique que j'ai dveloppe cette anne, et que, pour l'amener valablement, il faut un certain nombre de considrations sur quoi [tourdit fait le point. Il faut d'abord avoir russi animer ce sujet dans le rel pour l'aborder. (JAM) -, c'est plus tard en ralit que J.-A. Mil ler fai t vri tablement cet a p p o r t . O n s e r e p o r t e r a notamment Une nouvelle modalit du symptme (13 mai 1998), Les feuillets du Courtil n16,1999, pp.11-29: ou encore prcdemment, Le sinthome, u n mi x t e d e s y mp t me e t fantasme (11 mars 1987), La Cause freudienne n 39,1998, pp.7-17. 7. Cf. Lacan J. Le Sminaire Livre XXV, Le moment de conclure Une pratique de bavardage (1977), Ornicar ? n 19, Paris, Lyse, 1979, pp. 5-9. 8. J.-A. Miller dveloppera la question du rel sans loi dans le cours suivant, paratre dans le prochain numro de La Cause freudienne.

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