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Jacques Robert - Du Big-Bang Au Village Planétaire

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada 

Robert, Jacques, 1954-Du Big Bang au Village planétaire

ISBN 2-89544-043-3

1. Cosmogonie. 2. Univers. 3. Homme - Origines. 4. Évolution (Biologie).5. Big bang. 6. Internationalisme. I. Matton, Pierre, 1937- . II. Titre.

QB981.R62 2004 523.1'2 C2004-941542-5

Si après la lecture de ce livre vous avez des commentaires ou des idées à apporter,n’hésitez pas à communiquer avec les auteurs par courriel à l’adresse suivante:

 [email protected]

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Révision linguistique: Dominique Johnson et Raymond DelandIllustrations: Paul Berryman, Cathy Raymond et Emmanuel GagnonDesign de la couverture: Charaf El Ghernati

© Éditions MultiMondes 2004ISBN 2-89544-043-3

Dépôt légal – Bibliothèque nationale du Québec, 2004Dépôt légal – Bibliothèque nationale du Canada, 2004

Éditions MultiMondes930, rue Pouliot Sainte-Foy (Québec) G1V 3N9CANADA Téléphone: (418) 651-3885Téléphone sans frais depuis l’Amérique du Nord: 1 800 840-3029Télécopie: (418) 651-6822Télécopie sans frais depuis l’Amérique du Nord: 1 888 [email protected]: //www.multim.com

DISTRIBUTION EN LIBRAIRIE AU C ANADA Diffusion Dimedia539, boulevard LebeauSaint-Laurent (Québec) H4N 1S2CANADA Téléphone: (514) 336-3941Télécopie: (514) [email protected]

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[email protected]: //www.servidis.ch

Les Éditions MultiMondes reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour leurs activités d’édition. Elles remercient la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour son aide à l’édition et à la promotion.Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – gestion SODEC.Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de 

 publication.IMPRIMÉ AU CANADA /PRINTED IN CANADA 

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Note

L’acquisition de nouvelles connaissances est une des expériences les plussatisfaisantes qui soient offertes aux humains. Le processus inclut toutefois

une dimension un peu frustrante car, plus nous découvrons comment estorganisé le monde qui nous entoure, mieux nous sommes en mesured’appréhender toutes les découvertes qu’il nous reste à faire.

On pourrait comparer cette réalité à la croissance d’une sphère; quand lediamètre de celle-ci est doublé, le volume est multiplié par huit, mais la surface

devient pour sa part quatre fois plus grande*. Autrement dit, plus notre sphèrede connaissances grossit, plus elle nous met en contact avec de nouveaux champsd’exploration. Si cette analogie est valable, il n’y a aucune raison de croire qu’ilen sera différemment dans le futur, et c’est tant mieux, car il serait un peu tristequ’une génération en vienne à tout comprendre et à ne laisser aucun travailinachevé pour ses descendants.

Nous avons écrit ce livre afin de vous inviter à participer, vous aussi, à cettebelle aventure des réalités fascinantes que les diverses sciences, incluant lessciences humaines, nous offrent dans un grand nombre de domaines. Du Big

 Bang au Village planétaire s’adresse à toute personne qui s’intéresse à l’histoire

de nos origines, ce qui comprend celle de l’Univers, celle de la Vie et celle del’Humanité. En cheminant sur ce que nous avons appelé le «Sentier vers lacomplexité», vous rencontrerez des «objets» de plus en plus complexes, lesquels

 vous aideront à mieux comprendre comment cette très longue histoire de nosorigines a fait de nous de merveilleuses pyramides de structures imbriquées lesunes dans les autres (particules, atomes, molécules, cellules, etc.).

Pour y arriver, vous n’aurez besoin d’aucune culture scientifique préalable,puisque nous n’avons pas ménagé nos efforts pour exprimer nos idées de façonà les rendre accessibles à un très large public. Nous n’avons eu recours à aucunconcept mathématique plus compliqué que l’addition ou la multiplication, et sinous avons cédé à la tentation d’utiliser quelques équations, vous constaterezqu’elles n’ont absolument rien de savant et ne servent qu’à mieux vous présenterune notion précise. Bien que certains schémas puissent sembler un peurébarbatifs de prime abord, vous découvrirez rapidement qu’ils ne servent engénéral qu’à mieux illustrer un nombre très limité de concepts développés enlangage clair et simple dans les paragraphes voisins. Nous avons égalementchoisi, le plus souvent possible, d’illustrer notre propos à l’aide d’analogies tiréesde l’expérience quotidienne afin de rendre nos conclusions facilement compré-hensibles, spécialement pour les non-initiés.

* On peut voir ce principe appliqué à un cube dans l’illustration de la page 54.

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Du Big Bang au Village planétaire

La structure logique dont nous nous sommes inspirés n’a rien de linéairepuisque chaque section aborde la question de la complexité sous un angledifférent. Une des conséquences de cette approche a été de rendre chaquechapitre à peu près indépendant des autres. Par exemple, le premier chapitre

 vous amène à reculer dans le temps, de l’an 2000 jusqu’au Big Bang, alors que ledeuxième vous fait parcourir le chemin en sens inverse, ce qui permet de jeter untout autre éclairage sur les mêmes «objets». Chacun peut donc être lu commeune entité en soi, pourvu que vous acceptiez qu’il nous était impossible deredéfinir chaque mot à chaque nouvelle apparition. Ne serait-ce que pour cetteraison, nous vous conseillons plutôt de lire du début à la fin, mais nous laissonstout de même la porte ouverte à d’autres choix, selon ce qui vous semblera leplus agréable et le plus profitable.

De plus, si vous rencontrez des passages qui vous semblent un peu tropardus, sachez qu’il est généralement possible de sauter quelques pages d’unchapitre et de reprendre votre lecture un peu plus loin. Vous aurez certainementmanqué quelques notions, mais le plus souvent, la démarche est tellement simpleque vous pourrez quand même continuer à en suivre le fil et ainsi tirer profitdes conclusions.

Enfin, mentionnons que nous avons tenté, aussi souvent que possible, deprésenter ce que la science moderne la plus récente raconte à propos de notrenature profonde et de l’histoire de nos origines. Nous sommes cependantconscients que la «sphère des connaissances» de l’humanité continue de croître

à un rythme accéléré, de telle sorte que plusieurs des détails que nous mention-nons seront vus différemment dans un futur plus ou moins éloigné. Nous n’ensommes pas moins convaincus que la plupart des idées défendues dans ce livreresteront valables pour plusieurs générations.

Jacques Robert et Pierre Matton

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Présentation

L’élan qui mène l’Univers depuis son origine est essentiellement novateur.ALBERT JACQUARD

La légende de la Vie 

QUI SUIS-JE? QUE SUIS-JE?O Ù SUIS-JE? POURQUOI SUIS-JE?

Voilà quelques questions fondamentales que les humains se posent depuisl’Antiquité, et probablement même depuis la Préhistoire. Tour à tour, les

sorciers, les prêtres, les poètes, les philosophes et les scientifiques ont tenté deleur apporter des réponses. Dans le petit livre que vous tenez dans vos mains,ces grandes questions servent essentiellement de prétexte pour présenter, defaçon simple et attrayante, quelques-unes des idées les plus fascinantes proposéespar la science moderne à propos de l’Univers, de la nature humaine et de l’his-toire de nos origines.

La narratrice est une fillette nommée Marie-Jasmine, et elle a recours à cesquestions pour inviter ses lecteurs et ses lectrices à faire de fabuleux voyagesdans le temps, dans l’espace, et au travers des échelles de grandeur, de l’infi-niment petit à l’infiniment grand. Son propos veut illustrer que, depuis la toutepremière fraction de seconde ayant suivi le Big Bang, notre Univers a réuni lesconditions qui ont permis à des «objets» simples de se rassembler en structuresplus complexes, comme les particules en atomes, les atomes en molécules, lesmolécules en protéines, et ainsi de suite pour les cellules, les organismes, les

familles, les clans et les peuples. Ainsi, Marie-Jasmine révèle qu’elle est l’enfantde l’Univers, une «poussière d’étoiles», la riche héritière de toute cette très longuehistoire de la complexité.

À la recherche des processus qui ont provoqué cette émergence de lacomplexité dans notre Univers, Marie-Jasmine emprunte un sentier imaginairequi commence au cœur du Big Bang, se poursuit au voisinage des galaxiesnaissantes, pénètre dans les brûlantes entrailles des étoiles agonisantes, flottedans les froids nuages interstellaires, traverse les violents orages de la Terreprimitive, plonge à la rencontre de la vie au cœur des océans, en émerge pourexplorer les continents, parcourt les dangereuses forêts de l’ère jurassique et

débouche sur la savane africaine à l’époque de Lucy, la célèbre australopithèque.

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Du Big Bang au Village planétaire

Marie-Jasmine raconte ensuite que, depuis l’apparition des humains, cesentier a atteint de nouveaux sommets de complexité avec l’émergence desociétés réunissant un nombre toujours croissant d’individus remplissant desfonctions de plus en plus spécialisées. Enfin, elle démontre que ces mêmesprocessus sont toujours à l’œuvre aujourd’hui, notamment dans la constructionde la «communauté internationale», une réalité qui n’avait à peu près aucunesubstance voilà à peine vingt ans, alors qu’on en parle désormais au téléjournalau moins un jour sur deux.

Marie-Jasmine aura atteint ses objectifs si elle aide ses lectrices et ses lecteursà approfondir leur foi en un Univers qui a engendré tour à tour l’énergie, lamatière, la vie, la conscience, l’intelligence, et même l’amour! Elle conclut enrappelant que, si le passé est garant de l’avenir, la prochaine étape sur le sentier

 vers la complexité ne peut être que l’émergence d’une structure d’un niveausupérieur, soit un Village planétaire qui réunira tous les peuples de la Terre ausein d’une grande famille vivant dans le respect, l’harmonie et la paix. Ce n’estqu’après avoir atteint ce degré de collaboration que l’humanité aura peut-êtreune chance de quitter son berceau pour aller au-devant de sa destinéecosmique…

Nous voici donc arrivés au moment où nous devons nous taire et vousremettre entre les mains de Marie-Jasmine, votre guide tout au long de cetteexpérience, que nous vous souhaitons des plus passionnantes.

Bon voyage!

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TABLE DES MATIÈRES

Présentation ....................................................................................................................... ix

PREMIÈRE PARTIE: QUI SUIS-JE?(Je suis une riche héritière)

Chapitre 1. Ah, mes aïeux!........................................................................................ 3

Ma famille se nomme Lafleur-Desjardins............................................................ 3

Mon «clan» inclut aussi de nombreux cousins .................................................. 7

Mon peuple me donne mon identité de Québécoise......................................... 10

Ma culture me relie aux francophones du monde entier ................................. 14

Mon espèce réunit tous les êtres humains......................................................... 18

Mon ordre m’apparente à tous les primates...................................................... 20

Ma classe me rattache à tous les mammifères.................................................. 21

Mon embranchement m’unit à tous les vertébrés et les cordés....................... 22

Mon règne rassemble tous les animaux............................................................. 24

Mon essence est partagée par tous les êtres vivants ......................................... 25

Ma planète m’a faite fille de la Terre.................................................................. 27

Mon Univers m’a engendrée à partir de poussières d’étoiles ........................... 27

Chapitre 2. Le sentier vers la complexité............................................................. 29

Premier segment: le matériel ......................................................................... 30

Au cœur du Big Bang (Voilà à peu près 12 milliards d’années)................ 30

Du chaos au cosmos (Voilà à peu près 10 milliards d’années) ................. 32

Vie et mort des étoiles (Entre –10 et –4,5 milliards d’années) .................. 33

La naissance de la Terre (Voilà 4,5 milliards d’années)............................. 35

Deuxième segment: le vivant .......................................................................... 38Fabriquer du soi-même (Entre –4,5 et –3,5 milliards d’années)............... 38

Le travail en commun (Entre –3,5 et –1 milliard d’années)...................... 57

De l’estomac au cerveau (Entre –1 milliard et –350 millions d’années)....... 71

Relations d’enfance (Entre –350 et –6 millions d’années)......................... 89

Troisième segment: l’intelligent ..................................................................... 97

Outils et sociétés (Entre –6 millions et 6 000 ans av. J.-C.) ....................... 97

Du village à l’empire mondial (Entre 6 000 ans av. J.-C. et 1850) .......... 103

Les temps modernes (De 1850 à l’an 2000).............................................. 113Le Village planétaire (Aujourd’hui et demain)......................................... 117

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Du Big Bang au Village planétaire

DEUXIÈME PARTIE: QUE SUIS-JE?(Je suis une pyramide de structures)

Chapitre 3. Le mécano........................................................................................... 123Première étape: les systèmes............................................................................ 126

Deuxième étape: les organes ............................................................................ 127

Troisième étape: les parties d’organes ............................................................. 128

Quatrième étape: les cellules............................................................................ 130

Cinquième étape: les structures cellulaires..................................................... 131

Sixième étape: les organites ............................................................................. 133

Septième étape: les macromolécules............................................................... 133

Huitième étape: les molécules ......................................................................... 134Neuvième étape: les atomes ............................................................................. 135

Dixième étape: les noyaux................................................................................ 136

Onzième étape: les nucléons ............................................................................ 137

Douzième étape: les quarks.............................................................................. 137

Chapitre 4. La pyramide de la complexité ......................................................... 139

Premier niveau: les fondements de la matière................................................ 139

Deuxième niveau: petit pas pour les nucléons, grand saut pour la complexité .. 141

Troisième niveau: la valse des électrons.......................................................... 143

Quatrième niveau: les règles du partage ......................................................... 147

Cinquième niveau: aux frontières du vivant ................................................... 152

Sixième niveau: quatre grandes familles de molécules.................................. 153

Septième niveau: les cathédrales moléculaires............................................... 161

Huitième niveau: les briques du vivant........................................................... 164

Neuvième niveau: retour à la vie! .................................................................... 170

Dixième niveau: moi......................................................................................... 175

 Intermède: Le grand-déjeuner ............................................................................... 183

Un réveillon «full bio» ....................................................................................... 184

 Le «Noble Sauvage» .......................................................................................... 186

Un petit-déjeuner banal...................................................................................... 187

 Histoire d’ananas ............................................................................................... 189

 La planète dans son assiette............................................................................... 191

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Du Big Bang au Village planétaire

TROISIÈME PARTIE: POURQUOI SUIS-JE?(Je suis le produit des lois… et des infractions)

Chapitre 5. Les principes ...................................................................................... 197Une notion fondamentale: la structure ........................................................... 197

Un Univers structuré comme un langage........................................................ 200

Deux voies vers la complexité........................................................................... 203

L’incontournable besoin des lois ...................................................................... 205

La tout aussi indispensable marge de jeu........................................................ 206

Perfectionner des recettes éprouvées ou innover radicalement? .................. 208

Le progrès nécessite des changements de cap ................................................ 209

Chapitre 6. Voies et impasses............................................................................... 211

A. Être ou ne pas naître ................................................................................. 211

B. Un Univers uniformément gris, ou des points blancs sur fond noir...... 214

C. Entre trop stable et trop fragile ................................................................ 216

D. Être au bon endroit au bon moment........................................................ 217

E. Les débuts de la vie: toujours une énigme............................................... 217

F. Zigzaguer vers la complexité..................................................................... 218

G. Ces extinctions qui transforment les losers en winners........................... 218

H. C’est parfois payant de ne pas se presser ................................................. 219

I. Spécialisation: l’ingéniosité collective! .................................................... 220

J. Rationalisme et démocratie au fil des siècles .......................................... 221

K. D’Austerlitz à Auschwitz: un siècle et demi de tentations totalitaires... 222

QUATRIÈME PARTIE: OÙ SUIS-JE?(Trois pyramides dont je fais partie)

Chapitre 7. L’Univers (Le matériel) ..................................................................... 229

Mon coin de pays .............................................................................................. 229Le système solaire ............................................................................................. 230

La Voie lactée..................................................................................................... 231

Le cosmos .......................................................................................................... 234

Chapitre 8. La biosphère (Le vivant) .................................................................. 239

La biosphère en moi.......................................................................................... 239

D’autres exemples de collaboration................................................................. 241

La prédation ...................................................................................................... 242

Les grands cycles............................................................................................... 244Un lien de plus en plus ténu............................................................................. 247

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Du Big Bang au Village planétaire

Chapitre 9. L’humanité (L’intelligent)................................................................. 251

Les avantages des sociétés postindustrielles ................................................... 251

L’envers de la médaille ...................................................................................... 254CINQUIÈME PARTIE: QUAND SUIS-JE?(C’est le début d’un temps nouveau)

 Intermède: Le calendrier cosmique ...................................................................... 259

 L’année................................................................................................................ 261

 Le dernier mois................................................................................................... 262

 Le dernier jour .................................................................................................... 263

 La dernière heure................................................................................................ 264

 La dernière minute ............................................................................................. 265

 Les deux dernières secondes............................................................................... 266

Chapitre 10. L’à venir ............................................................................................. 269

Notre «mythe» d’origine................................................................................... 269

Le sens de l’histoire ........................................................................................... 271

Prédation ou collaboration?............................................................................. 273

Guerre et paix .................................................................................................... 275

La loi du plus faible........................................................................................... 277Village planétaire ou Pillage planétaire? ......................................................... 281

L’humanité réseautée ........................................................................................ 284

Notre porte vers les étoiles ............................................................................... 287

Épilogue ................................................................................................................... 291

Remerciements .............................................................................................................. 293

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PREMIÈRE PARTIE

QUI SUIS-JE?

(Je suis une riche héritière)

Quand quelqu’un vous demande qui vous êtes, la première chose qui vous vient à l’esprit, c’est de lui donner votre nom. Bien sûr, il y a des situations qui amènerontune réponse différente, comme «Je suis votre nouveau voisin», «Je suis la sœur 

 de Sophie» ou encore « Je suis un témoin de Jéhovah». Toutes ces réponses sont également bonnes, selon les circonstances, mais celle qui est universellement acceptée, c’est de donner son nom, comme si celui-ci était le véhicule par excellence

 de notre identité, de ce que nous avons de plus essentiel.Pourtant, dans nos sociétés postindustrielles, les noms sont devenus tout à fait

«insignifiants» en ce sens qu’ils ne portent en eux absolument plus rien de signi- ficatif. Les hommes prénommés Pierre ou Rock ne sont pas plus durs et résistants que les autres, tout comme les femmes portant le prénom Belle ne sont pasnécessairement plus agréables à regarder que leurs sœurs nommées différemment.Monsieur Chrétien peut très bien être athée, tout comme mademoiselle Boucher 

 peut avoir la viande en horreur, sans oublier les enfants de la famille Lenoir qui ont la peau blanche, les yeux bleus et les cheveux blonds.

 Et, pourtant, nous nous accrochons à nos noms, car même s’ils ne signifient plus grand-chose, ils continuent de jouer un très grand rôle dans notre sentiment d’identité. C’est probablement parce qu’ils nous donnent une impression de continuité, le sentiment d’appartenir à une famille, à une lignée, à une tradition.Tout comme les aristocrates des siècles passés, qui accordaient beaucoup de valeur 

 à leur nom et à leur arbre généalogique, nous sommes conscients que notre identiténous vient en grande partie des générations qui ont précédé la nôtre et qui nous

 ont légué tant de précieux héritages. En fait, nous savons instinctivement quel’histoire d’un être humain commence bien avant sa naissance…

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C H A P I T R E

AH, MES AÏEUX !

Nous savons où nous allons, nous savons d’où nous venons.*

BOB MARLEY

Quant à moi, je me nomme Marie-Jasmine Lafleur-Desjardins. Je trouve quec’est un très joli nom, mais il ne faut pas trop vous y fier car je n’ai rien d’un

 végétal et j’aurais aussi bien pu m’appeler Lapierre-Deschamps. Les membresde ma famille m’appellent plutôt «Bébé», un surnom qui ne brille certes pas parson originalité, mais qui a tout de même le mérite de dire quelque chose de vraià mon sujet.

MA FAMILLE SE NOMME LAFLEUR-DESJARDINSJ’ai vu le jour à Granby le 30 septembre 2000, un peu avant 18 h. Cependant,c’est dans une fermette près de Sherbrooke que ma vie a vraiment débuté, audouzième coup de minuit, le 1er janvier 2000, pendant que mes parents échan-geaient leurs vœux de bonne année par un baiser passionné. En effet, c’est à cemoment précis, neuf mois avant ma naissance, qu’un ovule de maman a étéfécondé par un des millions de spermatozoïdes que mon père avait déposés dansson corps au cours de la nuit précédente. Cette rencontre entre deux cellulesminuscules a permis la fusion de deux héritages, l’apparition d’un être vivantunique, moi, qui suis différente de tous ceux et celles qui m’ont précédée. En

même temps, ce partage de gènes a fait de moi une riche héritière et j’aimerais vous parler des nombreuses choses fascinantes qui m’ont été léguées sous formede patrimoine génétique, comportemental, émotif et intellectuel par mes deuxparents, mes quatre grands-parents, mes huit arrière-grands-parents et ainsi desuite, jusqu’aux premiers humains… et bien au-delà.

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* Traduction libre d’un extrait de la chanson Exodus : «We knowwhere we’re going, we know where we’re from.»

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Du Big Bang au Village planétaire

Pour reconstituer mon arbre généalogique, je commence à ma naissance,avec mes deux ancêtres les plus immédiats: mon papa et ma maman, qui sonttous les deux dans la jeune vingtaine. Lui, c’est un Québécois «pure laine» dontcertains ancêtres remontent aux premiers établissements français en Amérique;

 je peux donc dire que la plupart des gènes contenus dans les 23 chromosomesqu’il m’a légués ont passé plusieurs siècles sur notre continent. Par contre, les23 chromosomes qui m’ont été légués par ma mère représentent un héritage plusdiversifié, car sa propre mère, ma grand-maman Lafleur, est née au Cambodge.

Comme ils sont mes géniteurs immédiats, je dois tout à mes parents, y compris tout cedont ils avaient eux-mêmes hérité de leurs

propres ancêtres. Que ce soit du point de vuebiologique ou psychologique, ils sont lefacteur le plus déterminant de ce que je suis,et ils vont continuer à jouer un rôle centraldans mon développement jusqu’à ce que

 j’atteigne l’âge adulte.

C’est également par l’entremise de mes parents que j’ai accès à leurgénération et à la communauté dont ils font partie. C’est donc à travers eux que

 je peux profiter de cette société postindustrielle qui a réussi à me donner de sibonnes chances de survie en réduisant la mortalité infantile presque à zéro,

notamment grâce aux vaccins, aux antibiotiques, aux vitamines ajoutées au laitet aux fruits importés que l’on peut se procurer à longueur d’année.

Mes parents font partie de la première génération vraiment internationalisteà vivre sur notre planète. Tous deux ont grandi en ayant en tête l’image de cettepetite boule bleue filmée à partir des navettes spatiales et qui, vue de là-haut,semble presque aussi fragile que moi. Ils sont conscients qu’ils partagent denombreux éléments essentiels de leur culture et de leurs valeurs avec de parfaitsinconnus vivant à Sydney, Rio de Janeiro, Johannesburg et Tokyo, même si ceux-ci parlent d’autres langues et prient un autre dieu, même lorsqu’ils mangent deschoses différentes et portent des vêtements exotiques. Cette génération n’a pasencore eu le temps de marquer l’humanité par ses contributions, mais je croisqu’elle passera à l’histoire comme celle des bâtisseurs de la communautéinternationale, cette nouvelle réalité sociopolitique appelée à remplacer les payset les empires qui ont causé tant de souffrances dans le passé.

Papa Maman

Jasmine

Mon arbre généalogique

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Chapitre 1 – AH, MES AÏEUX!

C’est aussi à mes parents que je devrai mon attitude générale face à la vie.S’ils savent m’entourer d’amour au cours de mon enfance, il y a de fortes chancesque je devienne une adulte équilibrée et épanouie. Si, au contraire, ils me fontgrandir dans un environnement malsain, il est probable que j’en traînerailongtemps des séquelles qui m’empêcheront d’être heureuse et de rendre mesproches heureux à leur tour. Ma famille est donc un élément important dont ilfaut tenir compte pour comprendre qui je suis et qui je suis appelée à devenir.

Mais qu’est-ce donc que «ma famille»? Si je n’inclus que mes parentsimmédiats, elle se limite à mon papa, ma maman et mon grand frère. Toutefois,la coutume veut que ma famille soit plus grande, car mes parents avaient chacunune famille, et ces deux familles font aussi partie de ma parenté. Si je compteces oncles, tantes et cousins germains, ma famille proche contient une quinzainede personnes. C’est un chiffre assez moyen pour les standards de notre époque,mais, il n’y a pas si longtemps, alors que la plupart des couples avaient plus dedeux enfants, cette seule famille proche aurait compté plusieurs douzainesd’individus.

De plus, chacun de mes parents a aussi été engendré par deux personnes, cequi fait qu’en 1975 j’avais quatre grands-parents âgés d’à peu près 25 ans. Troisd’entre eux étaient des baby-boomers, soit grand-papa et grand-mamanDesjardins, qui vivaient à Montréal, et grand-papa Lafleur, qui était à

Sherbrooke. Quant à la mère de ma mère, elle croupissait alors dans un camp deréfugiés à Hong-Kong, attendant avec anxiété le précieux visa qui allait luipermettre d’émigrer au Québec.

Mes grands-parents sont tous les quatre dans la cinquantaine et en bonnesanté, ce qui augure bien pour ma propre qualité de vie, car il y a ainsi moinsde chances qu’ils m’aient transmis des gènes défectueux comme ceux quiprédisposent au cancer du sein ou à des maladies mentales comme la schi-zophrénie. Tout comme mes parents, mes grands-parents m’ont transmis unemultitude de trésors biologiques et culturels dont ils avaient eux-mêmes héritéde leurs ancêtres, en plus d’une grande quantité d’innovations qui sont apparues

au cours de leur vie.

Tante Oncle

Cousin Cousine

Papa

Jasmine

Maman Oncle

Cousin

Ma famille inclut en plus les frères et les sœurs de mes parents ainsi que leurs descendants.

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Du Big Bang au Village planétaire

C’est leur génération qui a le plus contribué à la mondialisation. Ces hommeset ces femmes ont construit des infrastructures physiques comme le réseauinternational de fibres optiques et les satellites de télécommunications, maisaussi des structures politiques et économiques internationales comme l’Unioneuropéenne, l’Organisation mondiale du commerce et le Tribunal pénal inter-national. Malgré leurs nombreux défauts évidents, ces structures sont deséléments essentiels du processus qui est en voie d’unifier l’ensemble de nospeuples au sein d’une nouvelle superstructure mondiale que certains ont déjà

commencé à appeler le «Village planétaire».C’est aussi cette génération des baby-boomers qui a été la première à tenir

pour acquis ces valeurs de liberté, de démocratie et d’égalité pour lesquelles leursparents et leurs grands-parents s’étaient battus au cours des deux grandes guerresde 14-18 et de 39-45. L’idéalisme de ces anciens hippies a grandement contribuéà mettre fin à la guerre froide et à multiplier les missions de paix des Casquesbleus. Il a également été à l’origine de la création de plusieurs organisationshumanitaires, comme Médecins sans frontières, qui incarnent aujourd’hui lasolidarité planétaire et qui commencent à concrétiser ce vieux rêve de réunirtoute l’humanité au sein d’une seule grande famille.

Papa depapa

Mamande papa

Papa

Jasmine

Papa demaman

Mamande maman

Maman

Onclede papa

Papa demaman

Oncle demaman

Tante demaman

Mamande

maman

Petite

cousine

Petit

cousin

Petit

cousin

Cousinede papa

Cousin Cousine Jasmine

Papa Maman

Petit

cousin

Petite

cousine

Cousinde

maman

Cousinde

maman

Cousine

OncleTanteCousinde papa

Cousinde papa

Papade papa

Mamande papa

Oncle

Ma «famille» grandit beaucoup plus vite que le nombre de mes ancêtres.Sur ce dessin, il manque plus de la moitié des cousins de mes parents.

Mes grands-parents

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Chapitre 1 – AH, MES AÏEUX !

Parlant de famille, chacun de mes quatre grands-parents avait également lasienne, de sorte que mon père et ma mère comptaient chacun quelques oncles,tantes et cousins, avant même de se marier. Comme ces cousins et cousines onteu leurs propres enfants et petits-enfants, ma parenté élargie renferme quelquesdizaines de personnes.

MON « CLAN » INCLUT AUSSI DE NOMBREUX COUSINS

Comme vous vous en doutez, le processus ne s’arrête pas en si bon chemin, carchacun de mes quatre grands-parents a aussi eu deux géniteurs, de telle sorte que j’avais huit arrière-grands-parents vivants en 1950, six d’entre eux au Québec et lesdeux autres dans un village proche de la frontière entre le Cambodge et le Viêt Nam.

À mes yeux, leur génération a d’abord été celle qui a versé son sang, sa sueur

et ses larmes pour combattre les impérialistes nazis et japonais, mettant fin dumême coup, presque sans le réaliser, à plusieurs siècles de mainmise colonialistedes hommes blancs sur le reste de l’humanité. Je pense ici particulièrement auxparents de ma grand-mère cambodgienne, qui ont combattu dans la résistanceen Indochine, luttant presque autant contre les colonisateurs français que contreles envahisseurs japonais. Je rends aussi hommage au père de grand-mamanDesjardins, qui a passé une bonne partie de la guerre aux commandes d’unSpitfire de la Royal Air Force, risquant sa vie jour après jour pour apporter sacontribution à l’élimination du monstrueux régime nazi qui avait pris le contrôlede l’Europe. Mes cinq autres arrière-grands-parents ont également contribué à

l’effort de guerre, chacun et chacune à sa façon, dans des usines d’armements,

Papa dela mamande papa

Maman dela mamande papa

Papa depapa

Mamande papa

Papa

Papa dupapa depapa

Mamandu papade papa

Papa dela mamande maman

Maman dela mamande maman

Papa dupapa demaman

Mamandu papade maman

Jasmine

Papa demaman

Mamande maman

Maman

Mes arrière-grands-parents

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Du Big Bang au Village planétaire

dans des bureaux gouvernementaux ousimplement sur leur terre, en fournissant lesaliments qui ont permis aux démocraties depoursuivre la lutte.

Les hommes et les femmes de cette géné-ration ont aussi joué un rôle primordial dansl’histoire de l’humanité en reconnaissant auxpeuples opprimés le droit de décider eux-mêmes de leur avenir et en accordant desdroits sociaux aux plus démunis de leurspays. Nous leur devons la décolonisation,mais aussi des programmes comme les

régimes de retraite, l’assurance emploi, l’assis-tance sociale, etc.

C’est aussi cette génération qui a donné legrand coup de barre technologique qui amené aux automobiles peu coûteuses, aux avions long-courriers, aux médiasélectroniques, aux ordinateurs et à tous ces appareils électriques et électroniquesqui ont tellement changé la vie domestique. C’est au cours de leur vie que lascience et la technologie ont le plus bouleversé l’existence quotidienne demilliards d’êtres humains.

Mes huit arrière-grands-parents avaient aussi des frères et des sœurs et àcette époque, les enfants venaient plus souvent à la douzaine qu’à l’unité. Chacunde mes quatre grands-parents baby-boomers comptait donc au moins une

 vingtaine d’oncles et de tantes, en plus d’une ribambelle de cousins. Mes parentsont gardé un certain contact avec plusieurs de ces cousins et cousines, un lien quis’incarne une ou deux fois par année dans une grande fête à l’occasion du jourde l’An ou de la Saint-Jean-Baptiste. Ces rencontres peuvent facilement réunirplus d’une centaine de personnes, ce qui illustre que je n’ai pas besoin deremonter très loin dans le passé pour voir ma famille s’agrandir à une vitesseimpressionnante.

Si je vais encore un peu plus loin dans le temps, je constate que j’avais seizeaïeux qui étaient de jeunes adultes en 1925. Ils venaient presque tous de grossesfamilles, de telle sorte qu’ils avaient au total une centaine de frères et de sœurs.La plupart de ces individus se trouvent aujourd’hui au sommet d’une pyramidesemblable à celle de mes propres aïeux, avec enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. Je vous épargne les calculs, si vous me croyez sur parole qu’il y aactuellement plusieurs centaines d’êtres humains avec qui j’ai un lien de parentéau quatrième degré ou plus proche.

Normalement, les trois quarts d’entre eux vivraient au Québec, et j’en auraisplus d’une centaine au Cambodge ou au Viêt Nam. Malheureusement, ce dernierchiffre est moindre en raison des millions de Cambodgiens morts sous le régime

Mon arrière-grand-père,pendant la guerre 1939-1945

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Chapitre 1 – AH, MES AÏEUX!

de terreur des Khmers rouges ainsi que des autres cousins qui ont péri au coursde la guerre d’Indochine et pendant l’intervention américaine au Viêt Nam. Àcause de cela, la branche asiatique de ma famille représente un groupe beaucoupmoins important que la branche québécoise.

De cette génération qui a vécu vers 1925, je retiendrai surtout l’inébranlablefoi en l’avenir qui l’animait, foi partagée par la plupart des Occidentaux de cetteépoque, et qui leur a permis de traverser le XXe siècle, avec ses deux guerresmondiales, la dépression économique des années 30 et l’épidémie de grippeespagnole. Le plus impressionnant, c’est que cette génération a réussi malgrétout à éduquer avec succès ses enfants, qui ont si bien su atteindre la viemeilleure dont elle avait rêvé pour eux.

En Occident, c’est cette génération qui a véritablement amorcé l’exode des

campagnes vers les villes, profitant de la mécanisation de l’agriculture pourlibérer des masses de plus en plus importantes de travailleurs afin d’édifier unesociété industrialisée et urbaine. Grâce à des inventions comme l’électricité, letéléphone et le transport en commun, cette génération a véritablement changéla face de la Terre; elle est aussi celle qui a étendu les bienfaits de la révolutionindustrielle à un nombre toujours croissant d’individus provenant de toutes lesclasses sociales.

Je ne peux malheureusement pas dire lamême chose pour mes aïeux cambodgiens de

cette époque, qui subissaient alors les réper-cussions de la modernité plus qu’ils n’enprofitaient. Leur pays faisait partie de l’Indo-chine française et, comme toute colonie,celui-ci était administré d’abord et avant touten faveur de la métropole et de ses compa-gnies. Dans leur village reculé, mes aïeuxcontinuaient à vivre dans des conditionsdignes du Moyen Âge, tandis que l’avenir deleur nation était détourné au profit de capitalistes étrangers.

En 1900, j’avais 32 ancêtres qui étaient de jeunes adultes. La moitié d’entreeux étaient des Canadiens français «pure laine», mais on y trouve aussi desCambodgiens et des Vietnamiens, en plus de descendants des loyalistesaméricains, d’une Amérindienne et de quelques autres.

Si j’ajoute à ma parenté tous les descendants actuels de ces 32 ancêtres, ainsique la lignée de leurs frères et sœurs, mon clan réunit quelques milliersd’individus qui me sont apparentés à un titre ou un autre. J’ai donc beaucoupde petits-petits-petits-cousins dans la région de Montréal et ailleurs au Québec,mais j’en ai aussi à Boston et à New York, sans oublier ceux de Miramichi, auNouveau-Brunswick, de Phnom Penh, au Cambodge, et de Cherbourg, enFrance.

Le grand-père cambodgiende grand-maman Lafleur

   J  a  c  q  u  e  s   P  r  e  s  c  o   t   t

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Du Big Bang au Village planétaire

C’est cette génération du début du XXe siècle qui a le plus contribué àl’implantation de la société industrielle et à l’apparition de l’incroyable richessematérielle qui en a découlé. Les hommes et les femmes de cette génération ontégalement combattu les excès du capitalisme sauvage, comme le travail desenfants et la misère extrême des ouvriers, lançant la dynamique syndicale quiallait forcer les barons de l’industrie à partager la nouvelle prospérité avec lesclasses moins aisées. C’est au cours de leur passage sur cette Terre que l’ins-truction est devenue accessible à la majorité des enfants des pays développés, etnon plus réservée aux seuls rejetons mâles des élites. Pour le reste de la planète,c’était l’âge d’or de l’impérialisme, incarné par la reine Victoria et toute la cultureraffinée qui l’entourait, un raffinement qui se payait trop souvent par d’innom-brables souffrances imposées aux peuples soumis.

MON PEUPLE ME DONNE MON IDENTITÉ DE QUÉBÉ COISE

Comme vous avez pu le constater, chaque foisque je remonte d’une génération, soit à peuprès 25 ans, je double le nombre de mesancêtres. Donc, si je remonte de 50 ans, jedois multiplier par 4, de telle sorte que, en1850, j’avais 128 (32 × 2 × 2) ancêtres. Seule-ment une moitié était composée de Cana-diens français, les autres formant une riche

mosaïque de races et de cultures diverses. Decette génération, je retiens surtout le choixirréversible que les Canadiens, les Françaiset plusieurs autres peuples occidentaux ontfait en faveur des régimes démocratiques. Cechoix s’est concrétisé chez nous par lesstructures politiques modernes du Québec etdu Canada.

C’est également au cours de cette périodequ’ont vécu les deux pionniers dont les découvertes servent de fondement à mafaçon de concevoir mon arbre généalogique. Le premier est le père de l’évolution,Charles Darwin, scientifique britannique anglican qui a vu ses convictionsreligieuses ébranlées par ses découvertes; le second est le découvreur despremières notions en génétique, Gregor Mendel, moine catholique autrichienqui est probablement mort sans se douter à quel point ses découvertes allaientchanger notre façon de voir la vie. L’image que j’ai de «qui je suis» repose doncultimement sur les idées que ces deux grands savants ont léguées à l’humanité.

Si je veux inclure dans ma parenté tous les descendants actuels de ces128 aïeux qui étaient adultes en 1850, en comptant une moyenne de seulement

2,5 enfants par génération, j’arrive à plus de 15000 personnes vivant aujourd’hui

248

163264

128256512

10242048

20001975195019251900187518501825180017751750

AnnéeNombre

d’ancêtres

17251700167516501625160015751550152515001475

40968192

16 38432 76865 536

131 072262 144524 288

1 048 5762 097 1524 194 304

AnnéeNombre

d’ancêtres

Chaque fois que je reculed’une génération, je multiplie

le nombre de mes ancêtres par deux.

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Chapitre 1 – AH, MES AÏEUX!

sur cette planète et avec qui je partage un lien de parenté qui remonte àsept générations ou moins.

Pour reculer jusqu’en 1800, je multiplie encore le nombre de mes ancêtrespar 4, de telle sorte qu’en principe j’aurais eu 512 arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-grands-parents. Toutefois, il y a certaines branches de mafamille qui sont originaires de régions comme la Gaspésie, où le bassin depopulation était assez limité, ce qui fausse les calculs. En fait, il y a une douzainede mes ancêtres de cette génération qui apparaissent plus d’une fois dans monarbre généalogique parce que certains de leurs descendants se sont mariés entrecousins. Je réduis donc le nombre de 512 à 500 afin de compenser ceux et cellesqui ont contribué à mon bagage génétique par l’entremise de deux ou troisbranches différentes.

Si je veux ajouter tous les descendants deces 500 aïeux à ma parenté actuelle, il y auraitactuellement sur la Terre entre 200000 et250000 êtres humains avec qui je partage unlien de parenté qui remonte à moins de dixgénérations. Je dois par contre réduirequelque peu ce nombre théorique étant donnéque des branches complètes sont éliminéeschaque fois qu’il y a mariage entre cousins,même si ceux-ci sont très lointains. Je dois

donc abaisser le nombre de mes cousins à«presque 200000», chiffre qui est tout demême probablement au-dessous de la réalité.

Les générations qui ont vécu dans cette première moitié du XIXe siècle secaractérisent par leur libéralisme. Héritières des révolutions américaine etfrançaise, elles ont lancé l’Europe de l’Ouest, les Amériques et le Japonirrémédiablement sur la voie de la modernité. L’humanisme était le mot d’ordre ;il s’incarnait en politique par les idées démocratiques, en économie par lecapitalisme et la remise en question de l’esclavage, et en philosophie par la voiedu rationalisme et du scientifisme. En quelques générations à peine, la scienceest passée de l’âge des pionniers, qu’étaient encore Benjamin Franklin et AntoineLavoisier, à l’âge des géants institutionnels, comme Louis Pasteur et lord Kelvin.C’était aussi la naissance de la technologie, issue du mariage entre la science etl’économie.

En 1750, je devrais avoir eu 2048 ancêtres, soit un peu plus de 1600 pourtenir compte du fait que la population de la Nouvelle-France était à cette époqueassez limitée et qu’il y avait donc beaucoup de mariages entre lointains cousins.La majorité vivait en Nouvelle-France, mais on en compte également beaucoupétablis ailleurs en Amérique du Nord, en Europe de l’Ouest et en Extrême-Orient.

Mon aïeul Anthyme Landry, qui a mariésa cousine, Marguerite Gibeau.

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Du Big Bang au Village planétaire

À cette génération, je ne dois rien demoins que mon identité en tant que membred’une culture et d’un peuple. Ce sont leshommes et les femmes de cette époque quiont su s’accrocher à leur langue, à leur foi età leurs coutumes pour me transmettre uneidentité nationale qui survit toujours, dumoins au Québec et en Acadie. Même si jepartage l’internationalisme de mes parents, jesuis convaincue que la mondialisation ne doitpas se faire au détriment de la riche diversitéculturelle qu’on voit aujourd’hui sur notreglobe. À ce titre, je vois un caractère exem-

plaire à la farouche résistance du petit peuplecanadien-français, accroché à son coind’Amérique face à un continent anglo-saxon,tout comme les irréductibles Gaulois du

 village d’Astérix ont défendu leur petit coin d’Armorique – aujourd’hui laBretagne – face à l’Empire romain.

Pour inclure dans ma famille tous les cousins issus de mes ancêtres de cettegénération, j’arrive à un chiffre théorique de l’ordre de quatre ou cinq millions.Bien sûr, il y a la consanguinité et d’autres facteurs qui jouent à la baisse mais,même en tenant compte de ceux-ci, il me reste tout de même au moins deux outrois millions d’individus que je peux appeler «cousins» et dont le lien de parentéavec moi remonte à peine à la conquête britannique de 1760.

Cela fait de moi une parente d’un pourcentage important des Québécois desouche, incluant les anglophones, et même d’une bonne partie des membres decommunautés arrivées plus récemment, comme les Italiens ou les Portugais, carplusieurs des enfants et des petits-enfants d’immigrants ont marié des Québécoisou des Québécoises de souche, de telle sorte que leurs enfants sont aussi mescousins. Ma parenté comprend aussi la plupart des Cambodgiens, un pour-centage important des Canadiens et des Américains du Nord-Est, et des dizaines

de milliers de Français, d’Européens d’autres nationalités et d’Asiatiques vivantailleurs qu’au Cambodge.

En 1700, j’avais à peu près 7000 ancêtres vivant en Nouvelle-France, auCambodge, en France et ailleurs en Europe de l’Ouest, incluant quelquescentaines dans les colonies britanniques d’Amérique du Nord et des Antilles,dans les forêts américaines, ainsi que quelques individus isolés provenant desources plus exotiques, comme une famille de marchands arabes installée àMalte, quelques esclaves noirs des Carolines et une prostituée suisse enceinted’un cardinal italien de passage sur la Côte d’Azur. Ce que je retiens surtout decette génération, c’est sa langue française qui était déjà parlée partout en

Mon aïeule Jeanne de la Sergerie, quia émigré en Nouvelle-France

 juste avant la conquête britannique.

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Chapitre 1 – AH, MES AÏEUX!

Nouvelle-France, de Terre-Neuve à la Louisiane, à une époque où, en France, onparlait encore des patois souvent incompréhensibles d’une région à l’autre.

Mes quelque 7000 ancêtres vivant en 1700 auraient en théorie laissé unedescendance qui atteindrait aujourd’hui plus de 100000000 d’individus. Par leurentremise, je me retrouve donc apparentée à presque tous les Canadiens et lesCambodgiens, à la plupart des Français, à beaucoup d’Américains, d’Anglais etd’Amérindiens, ainsi qu’à des millions d’autres personnes vivant ailleurs enEurope de l’Ouest et en Asie.

Pour reculer d’un siècle, je passe quatre générations et dois multiplier lenombre de mes ancêtres par seize. J’aurais donc eu, en théorie, à peu près100000 ancêtres vivant vers 1600, soit un nombre beaucoup plus grand que toutela population de la Nouvelle-France à cette époque. Il est donc probable que la

majorité des hommes et des femmes arrivés de France au Canada entre 1600 et1700 aient contribué à mon hérédité, plusieurs apparaissant sur de nombreusesbranches de mon arbre généalogique. J’avais aussi des dizaines de milliersd’ancêtres vivant au Cambodge et en France, en terre amérindienne et dansdivers pays d’Europe et d’Asie.

C’est à cette époque qu’a débarqué le premier homme à porter le nom deDesjardins en Nouvelle-France, coureur des bois pionnier du commerce desfourrures. Bien qu’il soit le père du père du père… du père de mon père, il nem’a rien légué de plus, à part son nom, que mes 100 000 autres ancêtres de cette

génération. Par contre, comme certains élé-ments essentiels de nos cellules ne se trans-mettent que par les ovules (par exemple, lesmitochondries, dont nous reparlerons), j’aiune parenté particulière avec ma mère, samère, la mère de sa mère, et ainsi de suitedans une longue chaîne qui se perd dans lanuit des temps. Cela fait en sorte que, mêmesi mon nom est québécois à 100% et queseulement 25% de mes gènes viennent duCambodge, mes mitochondries sont plusproches parentes de celles des Cambodgiensque de celles de la majorité de mes voisinsimmédiats, incluant mon propre père.

À cette génération, je dois la colonisation des Amériques, incluant cemajestueux territoire du Québec qui m’a été légué en héritage, trop souvent audétriment de celui de mes cousins amérindiens. Malgré cette impardonnableinjustice historique, on peut tout de même se consoler en constatant que lacolonisation de notre continent a permis l’émergence d’un nouveau type destructures sociales, des sociétés qui ont fortement favorisé la croissance de la

Mes mitochondries ressemblent plus

à celles des habitants de ce villagecambodgien qu’à celles de mon père.

   J  a  c  q  u  e  s   P  r  e  s  c  o   t   t

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Du Big Bang au Village planétaire

démocratie et du libre marché, éliminant les vieux systèmes hérités des régimesaristocratiques.

Si mes 100000 ancêtres ayant vécu en 1600 n’avaient laissé que 2,5 enfantsen moyenne chacun, et que ceux-ci en avaient fait autant à leur tour, et ainsi desuite jusqu’à aujourd’hui, leur descendance théorique s’élèverait à plus de232 milliards d’individus. En effet, chaque personne de cette époque a, enthéorie, 2328306 descendants, chiffre impressionnant pour quelqu’un qui n’adonné naissance qu’à 2 ou 3 enfants.

Je n’ai évidemment pas autant de cousins qui me sont apparentés parl’entremise de cette génération, mais il me semble évident qu’à l’exception desquelques rares Amérindiens ou Noirs «pur-sang», à peu près tous les citoyensdes Amériques ont ainsi un lien familial avec moi par l’intermédiaire de l’un ou

de l’autre de leurs ancêtres ayant vécu vers 1600. Je pourrais dire la même chosepour à peu près tous les habitants d’Europe et la plupart de ceux d’Extrême-Orient.

MA CULTURE ME RELIE AUX FRANCOPHONESDU MONDE ENTIER

En reculant jusqu’à l’an 1500, j’arrive au nombre théorique de 2097152 ancêtres;réduisons à un peu plus d’un million et demi pour tenir compte de la con-sanguinité. La moitié d’entre eux vivaient en France, surtout à Paris et dansl’Ouest du pays, et les autres étaient un peu partout, incluant une proportionimportante des Amérindiens qui occupaient alors notre continent.

Si je retraçais tous les descendants théoriques de chacun de ces ancêtres passi lointains, j’arriverais au chiffre incroyable de plus de 20000 milliardsd’individus. Ce chiffre est évidemment absurde et il illustre bien le danger de

 jouer avec des fonctions exponentielles. Il n’en reste pas moins que, remontantune vingtaine de générations, soit 500 ans à peine, je peux dire que je partageau moins un ancêtre avec à peu près tous les habitants actuels de notre planète.Évidemment, je partage immensément plus d’ancêtres avec mes proches cousins

du Québec, du Cambodge ou de France qu’avec mes lointains cousins duZimbabwe, d’Argentine, ou du Japon, mais j’ai tout de même une certaineparenté, aussi mince soit-elle, avec la vaste majorité des humains, exception faitede quelques communautés complètement isolées génétiquement et géographi-quement, comme c’est le cas pour les habitants de certaines îles du PacifiqueSud, quelques tribus perdues au fin fond de l’Amazonie ou quelques villagesautochtones de l’extrême Nord-Est de la Sibérie.

À ces générations qui ont vécu entre 1500 et 1600, je dois la Renaissance, avecses révolutions scientifiques, culturelles et philosophiques. Ce sont elles qui ontrelancé la pensée en Europe après un Moyen Âge qui a duré environ mille ans.

Dans la foulée de l’astronome polonais Nicolas Copernic et du navigateur italien

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Chapitre 1 – AH, MES AÏEUX!

Christophe Colomb, les hommes et les femmes de ce XVIe siècle ont retiré la Terredu centre de l’Univers et se sont lancés à la découverte des autres continents.

En l’an de grâce 1400, j’avais à peu près 20 millions d’ancêtres répartis surtous les continents, avec une concentration particulière en Europe de l’Ouest. Les

générations de cette époque ont inventé l’imprimerie qui allait avoir tellementd’importance pour la diffusion des idées et des connaissances parmi les couchespopulaires et ainsi devenir un des piliers de la démocratisation de l’humanité.

C’est aussi à cette époque que se sont formées les premières identitésnationales en Europe, avec la reconquête de l’Espagne, l’unification de la Franceet celle des Îles Britanniques, et la formation de royaumes forts en Russie, enPologne et en Scandinavie. Mes ancêtres chinois de cette époque connaissaientégalement une période de grand raffinement sous la dynastie Ming.

Avec un nouveau saut en arrière de200 ans, je dois multiplier le nombre de mesancêtres par 256 (16 × 16), pour un chiffrethéorique de 8589934592 ancêtres ayant vécuen l’an 1200 apr. J.-C. Ce chiffre dépasse debeaucoup l’ensemble de tous les humains

 vivant à cette époque et un nombre plusréaliste serait de quelques centaines demillions, soit à peu près toute la populationde l’Europe à cette époque, avec la plupart desFrançais qui apparaissent plusieurs fois dansmon arbre généalogique, certains individus y

figurant même sur des centaines de branches La résidence familiale d’un de mesancêtres, vers 1200

On pourrait représenter l’ensemble des humainsayant vécu au cours des 2, 3 ou 4 derniers millions

d’années par une série de points projetés sur lasurface d’un cône. Au début, il n’y a qu’une poignéed’individus, puis ceux-ci se multipliant, leurs des-cendants sont de plus en plus nombreux et demoins en moins apparentés les uns aux autres àmesure que le temps passe.

Si on projette mon arbre généalogique (zone noire)et mes cousins (zone grise) sur la surface de cecône, on peut voir que plus je remonte loin dans letemps, plus ma parenté actuelle représente unefraction importante de l’humanité (1), (2) et (3).Si je remonte assez tôt, tous les humains deviennent mes cousins (4) et il y a même une époqueau cours de laquelle à peu près tous les humains font partie de mon arbre généalogique (5).

1 2 3a(de face)

3b(de dos)

4a(de face)

4b(de dos)

5a(de face)

5b(de dos)

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Du Big Bang au Village planétaire

différentes. J’y retrouve aussi une portion importante de toutes les populations vivant alors en Asie, et même des millions d’Africains.

Je suis surtout redevable aux générations de cette période d’avoir réorganiséla vie en société après le chaos des siècles précédents. C’est à cette époque que lecommerce a repris à la grandeur de l’Europe et que les bourgeoisies sontapparues dans les villes, amorçant le lent travail de réorganisation sociale quiallait mener à l’effondrement de la féodalité. Ce sont aussi ces générations quiauront mis fin aux croisades contre leurs voisins musulmans, ouvrant ainsi laporte à une coexistence plus pacifique qui a permis la redécouverte de la cultureantique préservée et raffinée par les Arabes et les Perses. Un peu plus à l’Est, mesancêtres cambodgiens vivaient pour leur part une période de grandes richessesdurant l’apogée du royaume Khmer qui a bâti les merveilleuses cités d’Angkor

Vat («la ville-temple») et Angkor Thom («la grande ville»).Si je recule jusqu’à l’an 1000, j’arrive à un chiffre théorique qui ne vaut même

plus la peine d’être mentionné tellement il est sans commune mesure avec laréalité. Ce chiffre surréaliste illustre tout de même combien mon arbregénéalogique est vaste et à quel point mon aventure personnelle est liée à cellede toute l’humanité.

De mes ancêtres européens vivant entre l’an 1000 et l’an 1500, je sais peu dechose, sinon qu’il leur a fallu être très coriaces pour surmonter les épidémies,famines, invasions barbares, croisades et autres catastrophes de toutes sortes

qui ont ravagé le continent au cours de ces cinq siècles. Par contre, en Extrême-Orient, c’était une époque de grande effervescence intellectuelle et artistique,ainsi que le début d’une ère d’inventions importantes dans plusieurs domaines,comme la poudre à canon, la boussole, la première horloge mécanique et des

 variétés de riz à croissance rapide. Les branches orientales de ma famille vivaientalors une période de grande opulence avec la réunification de la Chine sous lesSong et l’apparition des premiers shoguns au Japon.

En reculant jusqu’à l’an 500 apr. J.-C., il est probable que j’avais autantd’ancêtres à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’Europe. Bien sûr, ceux qui vivaientalors en France (Gaule) contribuent à des centaines, voire des milliers de lignées

chacun, ce qui fait que j’ai quand même plus de sang français dans mes veinesque tout autre sang. Mais, si on parle de chiffres absolus, individu pour individu,il est probable qu’à cette lointaine époque le nombre de mes ancêtres vivant enEurope était inférieur au nombre de ceux qui étaient établis ailleurs.

C’est tout de même aux habitants de la Gaule de cette époque que je dois lesfondements de ma langue, mélange de latin et de langues celtiques ougermaniques, incluant même certaines contributions de l’arabe. C’est aussi à cesgénérations que je dois l’un des principaux fondements de l’identité française:la rencontre du christianisme et de la culture nordique symbolisée par laconversion de Clovis, roi des Francs.

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Chapitre 1 – AH, MES AÏEUX!

En reculant jusqu’à l’an 0, je dois tenircompte du grand brassage de gènes provoquépar l’Empire romain et par les sièclesd’invasions barbares qui ont suivi. Ainsi, je nepeux même plus dire avec certitude que mesancêtres gaulois de cette époque comptentplus dans mon bagage génétique que ceux

 vivant ailleurs dans le bassin méditerranéen,incluant probablement quelques ancêtresnoirs issus des vastes forêts d’Afrique, enpassant par Rome, Séville, Carthage ouAlexandrie.

C’est aux générations de cette période que je dois les assises du christianisme,religion qui va fortement influencer toute ma pensée, même si ni l’un ni l’autrede mes parents ne le pratiquent, et même si les circonstances de ma vie devaientm’amener à ne jamais mettre les pieds dans un temple consacré à quelque culteque ce soit. Combinées à la culture humaniste empruntée aux Grecs et àl’efficacité organisationnelle héritée de l’Empire romain, les idées prêchées parle prophète Jésus de Nazareth ont permis la mise sur pied de communautésappelées «Églises», qui ont su transmettre ses valeurs de charité et decompassion d’une génération à l’autre, malgré les nombreuses crises qui ontmarqué son histoire, et même malgré les nombreuses horreurs commises en sonnom par ses propres Églises.

Mille ans av. J.-C., j’avais des ancêtres un peu partout en Eurasie, bien quela majorité d’entre eux vivaient probablement assez près de la mer Méditerranée.

Ce sont ces générations qui allaient bientôt engendrer la renaissance del’Antiquité, le VIe siècle av. J.-C., qui a vu apparaître presque simultanément lespremiers philosophes en Grèce, le réformateur Zoroastre en Perse, le saintBouddha en Inde, ainsi que les philosophes Confucius et Lao-Tseu en Chine.Plusieurs reconnaissent en ces divers penseurs les bases mêmes de la penséehumaniste et rationaliste qui est tellement représentative de notre époque.

En l’an –2000, j’avais des ancêtres vivantun peu partout sur la planète et il est probableque la plupart des habitants des premièresgrandes civilisations du Moyen-Orient figurentparmi les contributeurs de mon bagagegénétique et qu’ils sont la source ultime demon bagage intellectuel.

Je leur dois, entre autres choses, l’utili-sation à grande échelle de l’agriculture,fondement primordial de toute civilisation. Jeleur dois aussi l’invention de la métallurgieavec le bronze, puis le fer, ainsi que l’écriture,

Plusieurs générations de mes ancêtresse sont abreuvées de l’eau apportée

par cet aqueduc.

Beaucoup de mes ancêtres sont mortssur ce chantier.

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Du Big Bang au Village planétaire

les mathématiques et la vie en villes, avec la spécialisation des tâches sous formede métiers. Parmi mes ancêtres, je compte aussi les premiers bâtisseurs degrands empires et les pharaons qui ont fait édifier ces grandioses pyramides.

MON ESPÈCE RÉUNIT TOUS LES ÊTRES HUMAINS

Voilà 10000 ans, à peu près tous mes ancêtres étaient des nomades vivant de lachasse et de la cueillette, bien que certaines communautés commençaient déjàà pratiquer l’agriculture et l’élevage à temps plein. Je leur suis redevable de lacapacité même de vivre en grandes sociétés, ce qui était impossible avant queces peuples de la fin de la Préhistoire organisent la production et la conservationde la nourriture. Ce sont leurs descendants immédiats qui ont bâti les premières

 villes et qui ont tracé les premières routes commerciales sur la Méditerranée

orientale et au travers des déserts du Moyen-Orient. On assistait alors àl’apparition de structures sociales plus complexes que la famille et le clan.

Voilà 30000 ans, mes ancêtres s’appelaient Homo sapiens sapiens, trois motslatins qui veulent dire «homme sage sage», autre illustration du fait que les nomspeuvent parfois être quelque peu trompeurs. Ils vivaient alors en Afrique, auMoyen-Orient et en Europe du Sud. Ce sont les générations de cette période quiont inventé l’artisanat, l’art, la culture, les religions, bref tout ce qui caractériseune société humaine trop grande pour n’être unie que par les liens de parentéimmédiate. On leur doit entre autres choses ces magnifiques peintures sur les

murs des cavernes qui en disent tellement long sur la délicatesse de leur âme.(Il n’est pas complètement exclu que certains de mes ancêtres de cette époqueaient été des Néandertaliens ou des Néandertaliennes, version primitive d’ Homo

 sapiens qui était fort bien adaptée au climat rigoureux de l’Europe mais qui aété éliminée, peut-être à cause de son infériorité intellectuelle.)

Voilà 100000 ans, la majorité de mes ancêtres étaient des Homo sapiens sapiensqui vivaient en Afrique du Nord-Est et au Moyen-Orient. Ils et elles m’ont légué unegrande souplesse mentale, celle-là même qui leur a permis d’inventer toute unegamme de nouveaux outils, contrairement à leurs ancêtres qui se contentaient derépéter les mêmes gestes de génération en génération avec des outils primitifs.

Voilà 250000 ans, mes ancêtres Homo sapiens sapiens commençaient àpeine à se différencier de leurs propres ancêtres, les Homo sapiens plus primitifs.À cette époque, ils vivaient surtout dans la pointe Sud de l’Afrique. Je leur doisun cerveau beaucoup plus complexe que tout ce qu’il y avait eu sur Terre avanteux, et c’est vraisemblablement à partir de leur époque que l’usage d’un langagerudimentaire est devenu généralisé parmi les humains.

Voilà 500000 ans, mes ancêtres étaient des  Homo sapiens primitifs quihabitaient en Afrique de l’Est. C’est probablement aux générations de cettepériode que je dois la maîtrise du feu, qui éloignait les bêtes la nuit et qui

permettait de cuire les aliments, les rendant plus tendres tout en éliminant denombreux parasites dangereux pour la santé.

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Chapitre 1 – AH, MES AÏEUX!

Voilà 1000000 d’années, mes ancêtres étaient des Homo erectus, deux motslatins qui signifient «humain en posture verticale». (C’est une appellationparticulièrement mal choisie étant donné que nos ancêtres marchaient sur deuxpattes depuis déjà plusieurs millions d’années. Ce fait était toutefois inconnu àl’époque où ils ont été baptisés ainsi.) Ces Homo erectus habitaient alors un peupartout en Afrique de l’Est. Je leur suis redevable de l’enfance prolongée sicaractéristique de notre espèce et qui me donne toutes ces années pourapprendre à maîtriser mon corps et à me comporter correctement en société.

Voilà un peu moins de 2000000 d’années, peu après le début de l’èrequaternaire et du Pléistocène, mes ancêtres étaient des Homo habilis, c’est-à-diredes «humains habiles», enfin un nom qui reflète la réalité. Ils habitaient desbrousses arides au Nord-Est de l’Afrique, dans la région qui s’étend entre la vallée

du Rift et les grands lacs africains. Je leur dois les premiers outils de pierre, dontl’apparition allait révolutionner l’histoire de ma lignée. Ils sont les premiers àmériter le nom de «Homo», notamment parce qu’ils faisaient preuve d’unecertaine capacité à utiliser intelligemment leurs mains et parce qu’ils ont amorcécet important accroissement du cerveau qui allait se poursuivre jusqu’à l’ Homo

 sapiens sapiens.

-575 millions

Jurassique

-5 milliards -4 -3 -2 -1

Ère précambrienne (archéozoïque)

Azoïque Archéen Algonkien

-500 -400 -300 -200 -100

Ère primaire (paléozoïque) Ère secondaire(mésozoïque)

Cambrien Ordovicien

Silurien

Dévonien

Carbonifère

Permien

Trias

Crétacé

-65 millions-50 -40 -30 -20 -10

Ère tertiaire (cénozoïque)

Paléocène Éocène Oligocène Miocène Pliocène

-2 millions -1 million -500 000 -250 000 -100 000

Ère quaternaire

Pléistocène

Holocène(-10 000 à aujourd’hui)

Les ères géologiques

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Du Big Bang au Village planétaire

MON ORDRE M’APPARENTE À TOUS LES PRIMATES

Voilà 5000000 d’années, un peu avant la fin de l’ère tertiaire et du Pliocène,

mes ancêtres étaient des australopithèques, mot composé du latin pithecus, qui veut dire « grand singe», et  austral, qui signifie «du Sud». Malgré ce nom de«grands singes du Sud», mes ancêtres de cette époque habitaient surtout auNord-Est de l’Afrique, dans la savane semi-désertique à l’est de la vallée du Rift.Ce sont les tout premiers à démontrer ce caractère typiquement humain qu’estla bipédie (la capacité de marcher sur deux pieds), comme on peut encore le voirdans les très belles traces de pas qu’ils ont laissées dans les cendres volcaniquesà Laetoli, en Tanzanie. Ils n’avaient pas un cerveau plus gros que celui des autresgrands singes, mais ils vivaient dans la savaneplutôt que dans les arbres, ce qui semble les

avoir forcés à se redresser pour mieux voirpar-dessus les herbes, pour exposer moins desurface corporelle aux cruels rayons du soleilde midi, et pour pouvoir courir plus rapi-dement quand ils étaient poursuivis par lesfauves. Je leur dois donc cette position ver-ticale qui a libéré leurs mains et le cerveau deleurs descendants, dont moi. La célèbre Lucyest un bel exemple d’australopithèque et proba-blement une cousine proche de mes ancêtres.Toutefois, une certaine marge d’incertitudedemeure, car le buisson de notre famille aconnu de nombreux embranchements à partirdes premiers australopithèques, engendrantplusieurs familles assez semblables les unesaux autres et dont la plupart ont disparu assezrapidement. Il est donc assez difficile pourl’instant de discerner exactement le cheminprécis qui a mené jusqu’à l’ Homo sapiens

 sapiens.

Voilà 10000000 d’années, au début du Pliocène, mes ancêtres étaient degrands singes quadrupèdes sans queue vivant en bordure des forêts, quelquepart dans un triangle délimité par l’Afrique de l’Est, les Balkans et le sous-continent indien. Les proches cousins de mes ancêtres à cette époque étaientdes Ouranopithecus (en l’honneur du dieu grec Ouranos), des Sivapithecus (pourle dieu hindou Siva) et des Kenyapithecus (pour le Kenya, pays d’Afrique de l’Est).Cette lignée a également engendré mes plus proches cousins dans le mondeanimal: les chimpanzés, les gorilles et les orangs-outans, avec qui je partage plusde 90% de mes gènes. Je leur dois surtout ma grande capacité à socialiser et àétablir des relations durables avec mes congénères. C’est aussi à leur époque que

la colonne vertébrale est devenue de plus en plus capable de se redresser.

Traces de pas à Laetoli en Tanzanie

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Chapitre 1 – AH, MES AÏEUX!

Voilà 20000000 d’années, au Miocène, mes ancêtres étaient des singesappelés «proconsuls» qui vivaient dans les forêts de l’Afrique équatoriale. Pareux, j’ai une parenté spéciale avec les singes d’Afrique et d’Asie. Je leur doissurtout d’excellents yeux capables de voir en couleurs et en stéréoscopie, ce quipermet de mieux évaluer les distances. Le développement de ces merveilleuxorganes a permis à ces singes de mieux voir les fruits brillamment colorés aumilieu de la verdure quasi uniforme de la forêt, et de pouvoir calculer et exécuterles gracieux bonds qui les menaient de branche en branche, bien à l’abri desprédateurs qui rôdaient au niveau du sol.

Voilà 35000000 d’années, vers la fin de l’Éocène, mes ancêtres étaient dessinges primitifs. Je leur dois surtout mes pouces opposables, évolution capitalequi culminera 30000000 d’années plus tard avec l’utilisation et la fabrication

d’outils. Mais, à l’époque, il semble que c’était plutôt la mobilité qui comptait et,dans un milieu arboricole, nos ancêtres jouissaient d’un avantage indéniableavec leurs quatre mains. On pourrait même parler de cinq mains, car ceux-ciprofitaient aussi d’une queue musclée capable de s’enrouler autour d’unebranche, caractéristique toujours présente chez mes lointains cousins singes quihabitent encore les forêts de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud.

Voilà 60000000 d’années, peu après ledébut de l’ère tertiaire et du Paléocène, mesancêtres étaient des primates primitifsappelés «prosimiens», qui signifie «avant les

singes». Leurs plus proches descendantsencore vivants de nos jours sont les lémurs,les loris et les tarsiers, ces jolies créatures auxgrands yeux qui peuplent surtout l’île deMadagascar. Les prosimiens vivaient dans lesimmenses forêts tempérées qui couvraientalors une partie importante de la Terre. Lesprimates n’étaient qu’un tout petit groupemarginal parmi la multitude de nouvellesespèces de mammifères apparues pour

exploiter les niches écologiques autrefoisoccupées par les dinosaures.

MA CLASSE ME RATTACHE À TOUS LES MAMMIFÈRE S

Voilà 100000000 d’années, au cours du Crétacé, mes ancêtres étaient desmammifères primitifs dont les plus proches descendants encore vivants sont lesinsectivores, comme les hérissons et les taupes. À cette époque, c’étaient de toutespetites créatures poilues de la taille d’une souris, qui se cachaient au fond desbois afin d’éviter le plus possible de fréquenter les puissants dinosaures qui

dominaient alors la planète. Je leur dois l’apparition de l’utérus, qui acomplètement révolutionné le mode de reproduction en augmentant de façon

Lémurien

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Du Big Bang au Village planétaire

dramatique le rôle de la mère et en donnant une importance toute nouvelle à lapériode de l’enfance. Par l’entremise de ces générations lointaines, ma familles’étend à tous les cousins mammifères, des écureuils aux éléphants, des chauves-souris aux baleines et des antilopes aux lions.

Voilà un peu plus de 200000000 d’années, au début du Jurassique, mesancêtres étaient des marsupiaux de la taille d’un rat. Je leur dois d’avoir déve-loppé la mamelle, qui joue un si grand rôle dans mon enfance, comme ce serad’ailleurs le cas durant ma vie sexuelle d’adulte. Je leur suis de plus redevabled’un cerveau nettement plus évolué que celui de leurs propres ancêtres reptiliens.En plus de la grande famille des mammifères, ils ont engendré le groupe desmarsupiaux qui survit toujours en Australie grâce à l’isolation provoquée par ladérive des continents et dont les kangourous et les koalas sont les représentants

les mieux connus.Voilà un peu moins de 300000000 d’années, vers la fin du Carbonifère, mes

ancêtres étaient des reptiles mammaliens, dont la principale caractéristique estqu’ils ont commencé à développer le corps à sang chaud, tellement plus pratiqueet efficace que celui des animaux à sang froid. Grâce à cet acquis, mes ancêtresont pu gagner une certaine indépendance face à leur milieu car ils n’étaient plusobligés d’attendre que le soleil les réchauffe, comme doivent encore le faire noscousins lézards le matin et nos cousines grenouilles au printemps. Le majestueuxdimetrodon (voir illustration page 218) est un des proches parents de nosancêtres de cette époque. (Contrairement à l’image populaire, le dimetrodon

n’est pas un dinosaure, car ceux-ci n’apparaîtront que 70000000 ou 80000000d’années plus tard.) Les descendants actuels les plus directs de ces ancêtresmammaliens sont les étranges platypus et monotrèmes, qui survivent eux aussien Australie et qui, malgré leur allure surprenante et leurs mœurs insolites, n’ensont pas moins mes lointains cousins.

MON EMBRANCHEMENT M’UNIT À TOUS LES VERTÉBRÉSET LES CORDÉS

Voilà à peu près 350000000 d’années, au

début du Carbonifère, mes ancêtres étaientdes reptiles primitifs qui ont développé lesoutils indispensables pour quitter la vieaquatique et conquérir les continents. Ils ontacquis une peau étanche qui leur permettaitde ne pas se déshydrater, même s’ils restaientexposés aux rayons du Soleil pendant delongues heures. Ils ont également acquis untout nouveau système respiratoire fonction-nant parfaitement hors de l’eau, avantage

d’autant plus intéressant que l’oxygènereprésente près du quart de l’air ambiant,

Dragon de Komodo, cousin ayant gardéplusieurs des caractéristiques demes ancêtres reptiles primitifs.

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Chapitre 1 – AH, MES AÏEUX!

alors que l’oxygène en solution dans l’eau ne représente qu’une fractioninsignifiante de ce milieu. Ce sont également mes ancêtres de cette période quiont mis au point les œufs à coquille, qui sont encore utilisés aujourd’hui par lesoiseaux et la plupart des reptiles. Par eux, je suis apparentée aux reptiles actuels,comme les crocodiles, les serpents, les lézards et les tortues, ainsi qu’avec lesreptiles disparus, dont les dinosaures, et même avec les oiseaux, qui semblentêtre les descendants directs de certains dinosaures à plumes.

Voilà un peu plus de 400000000 d’années, au début du Dévonien, mesancêtres étaient des amphibiens primitifs, beaucoup plus proches de leursancêtres poissons que de leurs descendants directs actuels, les grenouilles et lessalamandres. Je leur suis redevable des premiers systèmes de collecte d’oxygènepouvant fonctionner autant dans l’air que dans l’eau. Mais je leur dois surtout

mes quatre membres, avec des os solides et des articulations souples dansl’épaule et le bassin, ainsi que des muscles attachés fermement aux os par destendons et des contrôles nerveux complexes pour faire bouger le tout. Cesinventions sont d’autant plus importantes que c’est également à cette époquequ’est apparue la lignine, une molécule qui a permis aux plantes de développerdes tiges rigides et de s’élever au-dessus du sol. Grâce aux pattes héritées de cespremiers amphibiens, mes ancêtres ont pu suivre le mouvement des plantes etaspirer à une certaine verticalité. Cette mouvance a connu une certaineculmination avec l’animal humain, dont l’axe principal est tourné à 90° parrapport à celui de nos ancêtres poissons.

Voilà 450000000 d’années, vers la fin de l’Ordovicien, mes ancêtres étaientdes poissons. Je leur dois la structure de base de mon anatomie, car ils dispo-saient déjà d’à peu près tous les principaux systèmes qui me constituent, sauf mes poumons, qui ont remplacé leurs branchies. Ils sont tout particulièrementimportants, car ce sont eux qui ont développé le crâne qui protège le cerveau, etla colonne vertébrale en os solide qui protège la moelle épinière. Ces organes ont

 joué un rôle capital dans mon histoire car ils ont évité à mes ancêtres l’obligationde se former une carapace extérieure comme les fourmis, les crevettes et leshuîtres. En prime à ce rôle de protection, la colonne vertébrale s’est égalementretrouvée à servir de point d’appui pour les moyens de locomotion, d’abord les

nageoires et, plus tard, les pattes.Voilà 525000000 d’années, au cours du

Cambrien, mes ancêtres étaient de petitsanimaux allongés appelés «pikaïas», sorted’intermédiaire entre les vers de terre et lespetits poissons. Leur principale caractéris-tique est l’apparition de la notocorde, une tigesolide qui les traversait presque d’un bout àl’autre et qui allait se développer peu à peu encolonne vertébrale. En raison de cette noto-

corde, les pikaïas sont considérés comme le Pikaïa

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premier pas dans la séparation entre notre famille et celle des invertébrés. Lespikaïas m’ont également légué ces intrigantes fentes branchiales que l’on voittrès bien près de la tête des requins et que j’ai eues pendant quelques semainesdurant mon développement embryonnaire. Malgré leur éphémère existence,celles-ci prouvent l’incontestable parenté que j’ai avec tous ces innombrablespoissons qui peuplent nos océans, nos lacs et nos rivières.

MON RÈGNE RASSEMBLE TOUS LES ANIMAUX

Voilà 575000000 d’années, vers la fin du Précambrien, mes ancêtres étaientdes invertébrés qui ressemblaient à de petits vers de terre. Je leur dois d’avoirun système digestif unidirectionnel en forme de tube divisé en parties distinctescomme la bouche, l’estomac et les intestins. J’ai aussi hérité d’eux l’organisation

de mon système circulatoire qui permet la distribution efficace des aliments àchacune des cellules de mon corps. Je leur dois aussi le fait d’avoir deux systèmesmusculaires bien séparés, un qui fait bouger mon corps et que j’apprends encoreà maîtriser, l’autre chargé de faire avancer la nourriture dans mon systèmedigestif et qui fonctionnait déjà le jour de ma naissance. Ce sont les derniersancêtres que je partage avec la plupart des invertébrés (les mollusques, lescrustacés, les insectes, etc.).

Voilà à peu près 600000000 d’années, mes ancêtres étaient des vers platsqui ont été les premiers organismes animaux à grouper des cellules spécialisées

en systèmes plus ou moins distincts. C’est aussi à ces vers plats que je dois lespremiers pas vers l’apparition du cerveau, d’abord sous la forme d’une massecompacte de cellules nerveuses située à l’avant de l’animal. Grâce à eux, je suisparente avec les planaires et même avec les petits cousins dégueulasses de lafamille: les vers solitaires et les douves qui parasitent le foie et les poumons.

Voilà 630000000 d’années, mes ancêtres étaient des cnidaires, aussi appelés«coelentérés», famille d’animaux très simples dont les représentants actuels sontles coraux, les anémones de mer, les hydres etles méduses. Je leur dois les premières cel-lules spécialisées dans diverses fonctions: la

digestion, la contraction, la perception del’environnement, la protection, la coordina-tion des mouvements, l’attaque des proies,etc. Ce sont mes ancêtres de ces générationsqui ont été les premiers à incarner cettedéfinition qui veut que l’organisme animalsoit d’abord et avant tout un estomac à larecherche de nourriture.

Banc de corail

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Chapitre 1 – AH, MES AÏEUX!

Voilà 800000000 d’années, mes ancêtres ne méritaient pas vraiment le nomd’«organismes», car ils n’étaient encore que de simples colonies de cellulesformant des boules ou des filaments. Je leur dois tout de même cette merveilleusecapacité qu’ont mes cellules de rester ensemble pacifiquement pour former descommunautés au lieu de tenter de se digérer les unes les autres, ce qui étaitpourtant une des caractéristiques essentielles de leurs ancêtres. L’autre héritageimportant qui m’a été légué par mes ancêtres de cette lointaine époque, c’est lecontrôle de la division cellulaire en fonction des besoins de la colonie, acquisindispensable pour le passage de l’être vivant unicellulaire à l’organismepluricellulaire. C’est à ce contrôle essentiel qu’échappent les cellules cancéreusesqui font tant de ravages.

MON ESSENCE EST PARTAGÉE PAR TOUS LES ÊTRES VIVANTSVoilà plus de 1000000000 (un milliard) d’années, mes ancêtres étaient desunicellulaires eucaryotes, nom formé de deux mots grecs signifiant «vrainoyau», ce qui veut dire qu’ils avaient plusieurs chromosomes contenus dansun noyau délimité par une membrane. Ils avaient également de nombreusesstructures internes, comme des systèmes de membranes multiples qui fabriquentdes produits chimiques essentiels, des petites poches appelées «vésicules» quidigèrent la nourriture et des microtubules quifont office de squelette. Ce sont mes ancêtresde cette époque qui m’ont légué la structure

de base commune à toutes les cellules qui meconstituent. De plus, ce sont les derniersancêtres que je partage avec les animauxunicellulaires comme les amibes, les paramé-cies et les radiolaires. Ils sont enfin le dernierlien qui me rattache aux algues, aux plantes,aux champignons et aux moisissures. Par leurentremise, ma parenté élargie s’étend à tousles êtres vivants, sauf les bactéries.

Voilà plus de 1,5 milliard d’années, mes ancêtres eucaryotes se sont laissésenvahir par des créatures plus primitives, de type bactérie. Ces «envahisseurs»ont par la suite évolué à l’intérieur même des cellules hôtes pour devenir leschloroplastes et les mitochondries. Les chloroplastes sont ces petits grainsremplis de chlorophylle qu’on trouve chez les plantes et qui utilisent l’énergiedu soleil pour fabriquer du sucre; les mitochondries sont des petits grainssemblables, mais elles font le travail inverse, soit démonter les molécules de sucrepour fournir de l’énergie aux cellules. Cette fusion a permis l’apparition deréactions chimiques à haut rendement en énergie qui permettent une qualité de

 vie dont je profite toujours. Enfin, ce sont également ces eucaryotes qui ontgénéralisé la reproduction sexuée avec double série de chromosomes, favorisant

Choanoflagellé (eucaryote animal)

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un immense brassage de gènes qui a relancé l’évolution vers des sommetsinimaginables à l’époque où il n’y avait que des bactéries.

Voilà plus de 2 milliards d’années, mes ancêtres étaient des eucaryotesprimitifs. Ils étaient assez semblables aux petites bactéries qui constituaient alorsl’essentiel de la vie, mais ils avaient déjà acquis certaines caractéristiques quiallaient leur permettre d’engendrer les eucaryotes. Ils étaient quatre ou cinq foisplus gros que les bactéries voisines, et ils disposaient d’une membrane beaucoupplus complexe qui leur permettait d’«avaler» leur nourriture en gros morceaux,contrairement à leurs ancêtres. C’est probablement aussi à cette époque que leschromosomes sont apparus parce que l’unique brin d’acide désoxyribonucléique,ce fameux ADN, hérité des bactéries devenait de plus en plus long et qu’il fallaittrouver une façon plus pratique de le manipuler.

Voilà plus de 2,3 milliards d’années, mes ancêtres étaient des unicellulairesprocaryotes, ce qui veut dire qu’ils n’avaient ni noyau ni chromosomes, et queleur unique brin d’ADN flottait librement dans la cellule. Ils n’avaient à peu prèsaucune structure interne et, pour se nourrir, devaient fabriquer des produitschimiques qu’ils déversaient dans l’environnement afin de «digérer» leurnourriture à l’extérieur avant de l’absorber, molécule par molécule, à travers leurmembrane. Ce sont probablement les derniers ancêtres qui me donnent uncertain lien de parenté avec la plupart des bactéries, dont il existerait encore desmilliers d’espèces partageant la planète avec moi.

Voilà plus de 2,8 milliards d’années,mes ancêtres étaient de minuscules bactériesqui avaient acquis la capacité de résister à unpoison qui avait peu à peu fait son apparitiondans l’environnement: l’oxygène moléculaire.Celui-ci était produit par des cousines appe-lées «algues bleues» et, au fil des millionsd’années, ces molécules toxiques se sontaccumulées dans les océans, puis dans l’atmo-sphère, donnant à notre Terre sa belle appa-rence bleue. Je dois donc à mes ancêtres decette époque d’avoir développé la capacité derésister à l’oxygène et même de s’en servirpour extraire l’énergie emmagasinée dans lessucres.

Voilà plus de 3,5 milliards d’années, mes ancêtres ressemblaient proba-blement aux bactéries très primitives qui vivent encore aujourd’hui dans desenvironnements extrêmes de température, de pression, de salinité ou d’acidité.Ils ont développé le code génétique et ces merveilleux ribosomes, petites machineschimiques qui lisent les acides ribonucléiques (ARN) et les traduisent en

Bactérie primitive

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Chapitre 1 – AH, MES AÏEUX!

protéines. Mes ancêtres de cette époque sont également la source de plusieursdes réactions chimiques les plus fondamentales de mon organisme.

Voilà plus de 3,9 milliards d’années, il y avait probablement des «choses vivantes» primitives qui n’avaient peut-être pas encore découvert l’ADN, maisqui subsistaient tout de même grâce à un ensemble de réactions chimiquesrelativement simples. Je leur dois le développement crucial d’une membranesemi-perméable qui isolait leur matière vivante du reste de l’environnement.C’est probablement également à leur époque que les protéines sont apparues.Ces quasi-créatures primitives représentent l’ancêtre ultime, celui que je partageavec toutes les créatures qui ont existé et existent encore sur Terre, la source à quinous devons tous la vie!

MA PLANÈTE M’A FAITE FILLE DE LA TERREVoilà plus de 4 milliards d’années, les énormes quantités d’énergie fourniespar le Soleil et par les atomes radioactifs commençaient à peine à produire lesmolécules organiques complexes qui allaient engendrer la vie. Si je remonte

 jusqu’à cette époque, c’est la Terre elle-même qui devient ma Mère, la matricede la vie. Elle a pu offrir un environnement dans lequel les molécules et lesprocessus de la vie pourraient se développer, parce qu’elle était juste à la bonnedistance du Soleil et qu’elle avait une masse suffisante pour retenir uneatmosphère capable de maintenir un effet de serre à sa surface.

Voilà plus de 6 milliards d’années, le système solaire n’existait pas encore.Les atomes qui me constituent se promenaient dans un nuage interstellaire,plusieurs d’entre eux ayant été fabriqués peu de temps auparavant dans uneétoile proche qui avait explosé. Les plus légers, ceux d’hydrogène, étaient pourla plupart dans des molécules d’hydrogène (H2), alors que la plupart des autresse trouvaient dans des molécules simples comme l’eau (H2O), l’ammoniac (NH3),le méthane (CH4) et le gaz carbonique (CO2). Certaines de ces moléculesflottaient librement dans le nuage tandis que d’autres étaient cristallisées sousforme de glaces entourant des poussières métalliques. À cette époque, c’est ànotre galaxie, la Voie lactée, que je dois d’avoir créé un environnement dans

lequel ces molécules et ces glaces ont pu se concentrer pour former un nouveausystème solaire.

MON UNIVERS M’A ENGENDRÉE À PARTIR DE POUSSIÈRESD’ÉTOILES

Voilà plus de 9 milliards d’années, la plupart des atomes complexes qui meconstituent n’avaient pas encore été fabriqués. Leurs particules existaient déjà,mais soit sous la forme de nuages d’atomes d’hydrogène et d’hélium, soit sous laforme de particules détachées, participant aux fusions nucléaires qui se

déroulaient au sein des étoiles. À cette époque, c’est aux forces de la nature que

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Du Big Bang au Village planétaire

 je dois d’avoir engendré un Univers dans lequel ont pu apparaître des étoilescapables de fabriquer les atomes complexes qui me composent aujourd’hui.

Voilà 12 ou 15 milliards d’années, au moment du Big Bang, tout ce qui meconstitue et tout ce qui m’entoure n’était qu’énergie, et «cela» se préparait à lagrande aventure qui allait permettre à notre Univers d’engendrer matière, vie etintelligence. Je n’ai pas la moindre idée à qui ou à quoi je dois cet Univers, mais,en tant qu’ancêtre ultime de notre grandiose aventure, je lui lève mon chapeau…

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C H A P I T R E

LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ(ou Comment l’Univers a accouché de moi…)

Au cours de ce survol de l’histoire des nombreuses générations qui m’ontprécédée, j’ai voulu vous donner quelques points de repère qui illustrent à

quel point je suis une riche héritière et qui montrent la contribution de mamerveilleuse famille à faire de moi un être humain unique et rempli depromesses. Mais les voyages à rebours dans le temps ont tendance à me laisserlégèrement désorientée et j’imagine que c’est aussi un peu le cas pour vous. Je

 vous propose donc maintenant de parcourir à nouveau ce même chemin, mais

en partant cette fois du Big Bang.En reprenant cette histoire dans le sens réel de la chronologie, il nous sera

plus facile de constater comment la complexité s’est construite petit à petit, étapepar étape, chaque nouvelle phase profitant des acquis de la période précédente.Nous pourrons ainsi mieux comprendre comment un Univers aux débutschaotiques a pu s’organiser peu à peu et faire apparaître des «objets» de plus enplus complexes, jusqu’à accoucher de moi…

Afin de rendre ce voyage plus facile à suivre, nous allons imaginer que lechemin menant du Big Bang jusqu’à moi est un long sentier qui a été parcouru

par l’Univers depuis sa naissance, voilà plus de douze milliards d’années. Loin des’apparenter à une autoroute bien droite menant inévitablement du Big Bang jusqu’à l’humanité, notre sentier ressemble plutôt à une simple piste primitive,étroite et sinueuse, qui a parfois été obligée de revenir sur son tracé, qui a dûtraverser des zones désertiques ou marécageuses où il n’y a que peu de pointsde repère, et qui s’est souvent retrouvée accrochée à flanc de montagne, presquecoincée entre une falaise de stabilité et un précipice de chaos.

À plusieurs reprises, notre Univers aurait pu être entraîné dans l’une oul’autre des nombreuses impasses évolutives qui menaçaient sa progression versla complexité. Le plus souvent, celles-ci n’ont été évitées qu’au prix de

changements de cap dramatiques et de choix hasardeux devant des bifurcations

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Du Big Bang au Village planétaire

en apparence insignifiantes qui ont pourtant entraîné des conséquencesirréversibles. En refaisant ce chemin ensemble, nous allons rencontrer desstructures de plus en plus complexes, chercher à mieux comprendre dans quelenvironnement celles-ci sont apparues, et quelles sont les forces qui ont permisleur émergence.

Ce sentier comporte essentiellement trois grands segments: d’abord  Lematériel, qui nous amène du Big Bang jusqu’à la formation de la Terre et quiparle essentiellement de physique et de chimie; ensuite Le vivant, qui traite despremiers êtres vivants jusqu’aux premiers humains et qui se concentre surla biologie et l’éthologie, la science du comportement des animaux; enfin

 L’intelligent, qui nous amène des premiers humains jusqu’au XXIe siècle et quirecouvre la psychologie et la sociologie. Afin de rendre notre progression encore

plus facile à comprendre, chaque segment est divisé en quatre parties, pour untotal de douze secteurs relativement bien délimités qui couvrent chacun une desgrandes étapes du développement de la complexité dans notre Univers. Nousn’accorderons pas une importance égale à tous les segments, car les principauxthèmes de certains d’entre eux seront vus plus en détail dans d’autres chapitres.

PREMIER SEGMENT: LE MATÉRIEL

AU CŒUR DU BIG BANG

(Voilà à peu près 12 milliards d’années)Notre sentier a donc commencé au moment du Big Bang, il y a douze ou quinzemilliards d’années, alors qu’une minuscule bille d’énergie très comprimée etextrêmement chaude a amorcé un formidable mouvement d’expansion qui sepoursuit encore de nos jours.

D’une certaine façon, c’étaient de très humbles débuts, puisque, aussiincroyable que cela puisse paraître, cette bille était beaucoup plus petite que laplus petite poussière que vous puissiez imaginer… Avec une telle taille, il va desoi qu’elle ne contenait aucune matière. Par contre, elle possédait déjà toute

l’énergie nécessaire pour fabriquer un Univers au grand complet, avec sesmilliards de galaxies, ses milliards de milliards d’étoiles, ses trous noirs, sesnuages interstellaires aux couleurs chatoyantes et toute une ribambelle d’objetsplus fascinants les uns que les autres, incluant ma jolie petite planète bleue. Cequi est plus important encore, c’est que l’énergie contenue dans cette petitesphère était soumise à des lois qui allaient lui permettre de s’organiser pourengendrer de la matière sous une multitude de formes.

Au tout début, cette énergie était beaucoup trop chaude et concentrée pourformer quelque sorte de structure que ce soit. Elle n’avait aucune formeparticulière et toutes les forces de l’Univers étaient unifiées à l’intérieur de cepetit volume insignifiant. Mais, comme cette bille d’énergie était en expansion,

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

la densité à l’intérieur diminuait rapidement, de telle sorte que son contenu serefroidissait de façon dramatique. La première conséquence de l’expansion etdu refroidissement a été que cette énergie initiale informe a pu se fragmenteren une multitude de gouttelettes minuscules appelées «particules», chacunecontenant une fraction infime de l’énergie originelle. La plupart de ces goutte-lettes ont gardé leurs caractéristiques d’énergie pure, c’est-à-dire qu’elles

 véhiculent une force ; c’est le cas, par exemple, des gouttelettes-particulesappelées «photons» qui transportent la force électromagnétique et que nouspouvons ressentir sous forme de lumière ou de chaleur.

À mesure que la température a baissé, une autre sorte de gouttelette-particulea fait son apparition. On pourrait dire que des «grumeaux» se sont formés dansla «soupe» d’énergie, un peu comme des cristaux de glace se forment dans une

boisson gazeuse qui est restée quelques minutes de trop au congélateur. Cesgrumeaux étaient des particules de matière, chacune étant en fait un minusculepaquet d’énergie qui s’est recroquevillée sur elle-même en un point infinimentpetit. Contrairement aux gouttelettes d’énergie pure comme les photons, lesgouttelettes de matière avaient la possibilité de s’unir entre elles pour constituerdes structures, ce qui a permis de lancer l’histoire de la complexité dans notreUnivers.

Pour ce qui nous intéresse, les deux principales catégories de particules dematière étaient d’abord les quarks, qu’on retrouve aujourd’hui dans les noyauxatomiques, puis les électrons, que vous connaissez bien grâce à vos nombreux

appareils électriques et électroniques. Il y avait également une véritable faunede particules plus exotiques comme les neutrinos, les muons, les anti-quarks etbien d’autres encore mais, comme elles n’ont pas joué un rôle central dans notrehistoire, nous allons les laisser dans les buissons en bordure de notre route etpoursuivre notre progression sur un sentier qui est déjà bien achalandé, comme

 vous allez le voir.

Dès cette lointaine époque du Big Bang, notre histoire a connu denombreuses péripéties qui ont passé près de l’entraîner dans toutes sortes deculs-de-sac évolutifs sur lesquels nous reviendrons au chapitre 6 «Voies etimpasses». Pour l’instant, nous nous contenterons de constater que les particulesde matière ont tout de suite commencé à se grouper et que, dès les premiersméandres du sentier, nous rencontrons des structures de plus en pluscomplexes:

• Moins d’une seconde après le Big Bang, certains quarks étaient déjà réunistrois par trois pour former des protons et des neutrons.

• Moins de cinq minutes plus tard, 25% des protons et des neutrons étaientdéjà réunis quatre par quatre pour former des noyaux d’hélium.

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Du Big Bang au Village planétaire

• Moins d’un demi-million d’années plus tard (à peine un clin d’œil à l’échellede l’Univers), les protons et neutrons s’associaient aux électrons pour formerdes atomes d’hydrogène et d’hélium.

• Peu de temps après, les atomes d’hydrogène s’associaient deux par deuxpour former des molécules d’hydrogène. (Ces structures sont décrites plusamplement au chapitre 4, intitulé «La pyramide de la complexité».)

Ces quelques structures simples peuvent sembler insignifiantes si on lescompare aux merveilleuses architectures qui enrichissent maintenant notrequotidien. Pourtant, ce sont ces quelques «objets» issus du Big Bang qui ontservi d’unités de base pour tous les développements ultérieurs. Plus importantencore, l’apparition de ces humbles structures au cœur du Big Bang nous indiqueque, dès le début de notre histoire, une partie de la matière possédait toutes les

caractéristiques nécessaires pour pouvoir grouper ses éléments en structures deplus en plus complexes.

Par contre, avec ces premiers atomes et molécules simples, notre Universprimitif avait déjà épuisé son potentiel de complexité, car ni les atomes d’héliumni les molécules d’hydrogène n’avaient la capacité de se réunir en structures deniveau supérieur.

DU CHAOS AU COSMOS

(Voilà à peu près 10 milliards d’années)Après ce premier élan de créativité, l’Univers a connu une longue période demonotonie qui n’a été marquée par aucun nouveau progrès notable sur la voie

 vers la complexité. Constitué essentiellement d’hydrogène et d’hélium, le«nuage» issu du Big Bang poursuivait son expansion et son refroidissement,mais il semblait ne plus avoir la capacité d’engendrer de nouvelles structures.Comme il ne se passait à peu près plus rien d’intéressant à l’échelle micro-scopique, nous allons continuer notre voyage en quittant le monde des particulespour considérer l’Univers dans son ensemble.

Au cours des deux ou trois premiers milliards d’années qui ont suivi le BigBang, notre nuage originel s’est déchiqueté sous le double effet de l’expansion,qui se poursuivait à l’échelle globale, et de la gravité, dont les effets se faisaientsurtout sentir à l’échelle locale. Comme une nappe de brume effilochée par unepetite brise, le nuage initial s’est déchiré en lambeaux, lesquels se sont ensuitesubdivisés en filaments plus petits, lesquels se sont fragmentés en unités encoreplus petites, etc. Notre Univers en est ainsi venu à former peu à peu unegigantesque dentelle cosmique à trois dimensions, avec d’immenses vides séparéspar de délicats chapelets de galaxies (voir illustration page 236).

De plus, comme les fragments eux-mêmes n’étaient pas parfaitement

homogènes, la gravité a poursuivi le processus de séparation à des échelles deplus en plus réduites. C’est ainsi que certaines «boules» se sont détachées de la

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

masse principale qui allait devenir notre Galaxie, et sont devenues les amasglobulaires qui entourent la Voie lactée, des concentrations d’étoiles pouvantréunir des milliers, voire des millions d’étoiles liées entre elles par la gravité.Enfin, chaque nuage-galaxie s’est fractionné en milliards de petites boules quisont éventuellement devenues des étoiles.

Cette partie de notre sentier n’a pas encore été cartographiée, car nousignorons toujours exactement dans quel ordre le travail s’est effectué. Mais, peuimporte le chemin qui a été emprunté, ce qui compte, c’est qu’une unique boulede gaz chaotique s’est séparée en une multitude de structures imbriquées lesunes dans les autres, formant ce que nous appelons le «cosmos». (Voir lechapitre 7 pour une description des structures cosmiques.) Ce titanesque travailde structuration de l’Univers a permis un nouveau départ pour l’histoire de la

complexité, ce qui nous permet de retrouver notre sentier de l’autre côté de cesecteur quelque peu obscur.

VIE ET MORT DES ÉTOILES

(Entre –10 et –4,5 milliards d’années)

Notre sentier nous entraîne maintenant au cœur d’une étoile, où nous allonsretrouver des points de repère plus faciles à reconnaître. Cette étoile n’était qu’unbanal fragment du nuage originel, mais la gravité faisait en sorte qu’au lieu de sefuir les uns les autres, les atomes et les molé-

cules qu’il contenait se précipitaient les uns surles autres, menant à une espèce d’explosion àl’envers. Ce processus s’appelle «effondrementgravitationnel» ou encore « implosion», c’est-à-dire que toute la matière cherchait à tomber vers le centre, provoquant un mouvement quiressemble vaguement, en beaucoup plus lent,à ce qui se passe lorsqu’un édifice s’effondre surlui-même à la suite du travail des dynamiteurs.

Ce mouvement de compression provenant de toutes les directions à la fois afait en sorte qu’au centre de la sphère la gravité est devenue tellement intense quela pression et la température ont remonté peu à peu, jusqu’à atteindre des niveauxassez élevés pour que les noyaux d’hydrogène, qui sont des protons solitaires,fusionnent les uns avec les autres pour former des noyaux d’hélium. Or, chaquefois que ce processus de fusion réussissait, il y avait un petit peu d’énergie quiétait libérée. Une partie de cette énergie repoussait la matière environnante,comme le ferait une explosion, ce qui contrebalançait la force gravitationnelle.Grâce à ce phénomène, l’étoile pouvait atteindre une espèce d’équilibre précaireentre la gravité qui cherchait à la faire imploser et la force nucléaire qui cherchaità la faire exploser. De façon tout à fait accessoire, on notera que l’énergie ainsi

Effondrement gravitationnel

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Du Big Bang au Village planétaire

produite n’était pas toute absorbée par lalutte contre la gravité et qu’une fractionminime s’échappait de la surface de l’astre,principalement sous forme de lumière et dechaleur, ce qui lui donnait son aspect brillantsi caractéristique.

Voilà donc un autre bout de notre sentierqui est dévoilé. Mais, attention, ce processusde fusion se poursuit maintenant depuis plusde dix milliards d’années dans la vastemajorité des étoiles sans pour autant

 vraiment enrichir la complexité dans notre

Univers. Notre sentier aurait donc pu se terminer ici, avec un joli cosmos remplid’étoiles brillantes, mais ne contenant aucune structure plus complexe qu’unatome d’hélium ou une molécule d’hydrogène. Si ce ne fut pas le cas, c’est parceque les étoiles ne sont pas éternelles et, qu’en fait, plus elles sont grosses, pluselles ont de gravité à combattre, plus elles utilisent de «carburant» pour semaintenir en équilibre et plus elles meurent rapidement.

Quand une étoile épuisait son hydrogène,elle devenait incapable de combattre sapropre gravité et elle recommençait à s’effon-drer sur elle-même. Cela faisait à nouveau

monter la pression et la température jusqu’àce que, dans son cœur, les noyaux d’héliumsoient tellement comprimés les uns contre lesautres qu’ils fusionnent trois par trois pourformer des noyaux de carbone, la première

 vraie nouvelle structure apparue dans l’Uni- vers depuis l’époque du Big Bang.

De plus, comme la gravité continuait inlassablement son œuvre de com-pression, les noyaux de carbone devenaient eux-mêmes coincés contre d’autresnoyaux, ce qui provoquait l’apparition de structures de plus en plus lourdes,principalement des noyaux d’azote et d’oxygène. Dans certaines étoiles trèsmassives, le processus se poursuivait jusqu’à l’apparition de noyaux encore pluslourds, comme le magnésium, le silicium et ainsi de suite jusqu’au fer. Enrendant son dernier souffle, l’étoile faisait un ultime cadeau à l’Univers enlaissant quelques-uns de ces noyaux complexes s’échapper de son cadavre, lesrendant libres de poursuivre un bout de chemin de plus sur le sentier vers lacomplexité. Allons maintenant les retrouver dans l’espace interstellaire.

Loin de la «fournaise» nucléaire qui les avait forgés, ces noyaux lourdsattiraient des électrons pour constituer des atomes immensément plus complexes

que les atomes d’hydrogène et d’hélium produits lors du Big Bang. La grandenouveauté, c’est que, comme chaque noyau contenait plusieurs protons, il attirait

N

+ Énergie+ 2 positrons+ 2 neutrinos

P P

P P

PPN

Quatre protons fusionnent et deviennentun noyau d’hélium, qui contient deux

protons (P) et deux neutrons (N).

+ Énergie

Fusion de l’hélium en carbone

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

de nombreux électrons, ce qui lui donnait une riche architecture lui permettantaussi de former des molécules beaucoup plus intéressantes que la simplemolécule d’hydrogène issue du Big Bang. Parmi ces nouvelles molécules quenous rencontrons en bordure de notre sentier, il y a surtout de l’eau, de l’am-moniac, du méthane et du gaz carbonique.

Il arrivait aussi que ces molécules simples se rencontrent et forment unemolécule plus complexe, contenant un plus grand nombre d’atomes. Mais,comme la densité était très faible, les rencontres étaient peu fréquentes et lenombre d’exemplaires de molécules complexes restait très limité.

LA NAISSANCE DE LA TERRE

(Voilà 4,5 milliards d’années)Comme la complexité ne pouvait se construire dans les conditions de faibledensité qui prévalaient dans les nuages interstellaires, il ne s’est à peu près rienpassé de neuf pendant plusieurs milliards d’années. La progression vers lacomplexité n’a repris qu’à partir du moment où ces molécules se sont retrouvéesdans un milieu propice aux rencontres, c’est-à-dire une planète rocheuse située

 juste à la bonne distance de son étoile pour que l’eau à sa surface puisse resterliquide. Cette longue attente était inévitable, car les atomes métalliques capablesde constituer une planète rocheuse sont particulièrement rares. Comme ils nesont fabriqués que pendant l’agonie des étoiles supermassives et que celles-ci ne

représentent qu’un pourcentage insignifiant de toutes les étoiles, l’Univers a dûattendre bien longtemps avant d’engendrer une planète adéquate pour l’appa-rition de la vie.

D’ailleurs, une telle planète rocheuse ne pouvait pas apparaître n’importe où.À peu près la moitié de toutes les galaxies, celles qu’on appelle «elliptiques» pourles différencier des galaxies spirales, ont cessé de fabriquer de nouvelles étoilesdepuis fort longtemps. Elles ne contiennent donc plus d’étoiles supermassivesqui meurent rapidement. Les noyaux lourds qui s’échappent de leurs étoilesagonisantes errent donc dans l’espace interstellaire jusqu’à ce qu’ils passent assezprès d’une étoile pour être attirés par sa gravité et qu’ils aillent s’y abîmer. Ils seretrouvent ainsi piégés dans de petites étoiles qui ont encore des milliardsd’années de «vie» devant elles, empêchant du même coup ces atomes métalliquesde s’accumuler en quantités suffisantes pour former des planètes rocheuses. Lesgalaxies elliptiques sont donc essentiellement stériles. La même chose vaut pourles cœurs de galaxies spirales, qui contiennent 90% de leurs étoiles et qui ontégalement cessé de fabriquer de nouvelles étoiles depuis beaucoup trop longtempspour contenir plus qu’un pourcentage insignifiant d’atomes lourds.

Par contre, la situation est bien différente dans le disque aplati qui toune autourdu cœur de ces galaxies spirales. En raison de phénomènes qui sont encore très mal

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Du Big Bang au Village planétaire

compris, les «bras» de ces galaxies spiralesagissent comme de gigantesques machines àbrasser et à comprimer les nuages inter-stellaires, de telle sorte que de nouvelles étoilessont constamment créées à partir de nuages quiont été «pollués» par les atomes lourds échap-pés des étoiles mortes. Comme il y a toujoursquelques rares supergéantes qui sont crééesavec chaque nouvelle génération d’étoiles, etcomme ces supergéantes meurent très rapide-ment, leurs apparitions et disparitions succes-sives pendant une demi-douzaine de milliards d’années ont permis d’accumuler petità petit des atomes lourds dans le milieu interstellaire. Notre lointaine banlieue

galactique est ainsi devenue un lieu d’enrichissement où les éléments essentiels à lacomplexité pouvaient se ramasser, se rencontrer et interagir les uns avec les autrespour faire apparaître de nouvelles structures.

Et c’est ainsi que, voilà un peu moins de cinq milliards d’années, ce grandtourbillon cosmique que nous appelons la «Voie lactée» a engendré une nouvelleétoile à partir d’un nuage qui contenait tout juste assez d’atomes métalliques pour que desplanètes rocheuses puissent s’y former. Allonsy rejoindre notre sentier…

Comme tant d’autres avant lui, le nuagequi allait former notre système solaire s’esteffondré sur lui-même sous l’effet de sapropre gravité. Cette lente implosion lui a faitprendre une forme vaguement sphérique et ils’est peu à peu mis à tourner sur lui-même. Àcause de la force centrifuge, la sphère s’estaplatie aux deux pôles pour prendre peu àpeu la forme d’une «soucoupe volante». Latrès vaste majorité de la matière contenue

dans le nuage s’est retrouvée concentrée toutau centre, jusqu’à ce que la température et lapression y deviennent assez élevées pourallumer la fournaise nucléaire. Une nouvelleétoile, notre Soleil, prenait sa place dansl’Univers.

Toutefois, un peu moins de 1% de lamatière contenue dans le nuage initial aéchappé à l’attraction gravitationnelle de cequi allait devenir notre Soleil. Cette infime

Formation du système solaire

Galaxie spirale

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

fraction de matière a continué à tourner autour de l’étoile naissante, et la«soucoupe volante» s’est peu à peu transformée en un disque très minceperpendiculaire à l’axe de rotation. Au fil des millions d’années qui ont suivi, lespoussières et les glaces présentes dans ce disque se sont agglomérées pour formerdes granules, puis des grains, des boulettes et, par la suite, des blocs de plus enplus imposants. Quelques-uns parmi ceux-ci sont éventuellement devenus assezgros pour exercer une attraction gravitationnelle sur leurs voisins plus petits.Agissant comme des aspirateurs cosmiques, chacun d’entre eux a fini de nettoyer«son» secteur. La grande horloge cosmique marquait un peu plus de quatremilliards d’années avant notre ère et notre système solaire était né.

Il était essentiellement composé de quelques grosses boules de gaz, commeJupiter, qui se sont formées assez loin de l’étoile naissante. Seulement une partieinsignifiante de la matière restante s’est retrouvée à former quatre minusculesplanètes rocheuses tournant sur des orbites beaucoup plus rapprochées. Latroisième planète se trouvait tout juste à la bonne distance, mais les conditionsà sa surface n’étaient guère plus réjouissantes que celles sévissant sur toutes ses

 voisines et leurs nombreuses lunes.Par contre, l’intérieur de cette planète recelait deux secrets qui allaient lui

permettre de devenir le berceau de la vie. Le premier était une grande quantitéde noyaux atomiques instables provenant d’une supernova ayant explosé au

 voisinage de notre nuage peu de temps avant son effondrement. Enfermés dansle ventre de la jeune Terre, ces atomes radioactifs se sont désintégrés, libérantde l’énergie qui a fortement contribué à faire fondre l’intérieur de notre boule. Lesecond ingrédient secret, c’est qu’à l’intérieur de notre planète il y avait égalementune bonne quantité de glaces, dont de l’eau, de l’ammoniac, du méthane et du gazcarbonique. Ces glaces étaient intimement mêlées aux cristaux des roches quis’étaient agglutinés pendant la formation de la planète, avec une contributionnon négligeable provenant de nombreuses comètes tombées sur la Terre par lasuite. En raison de la chaleur régnant àl’intérieur, ces glaces ont fondu et elles ontformé des poches de vapeur qui ont été peu àpeu relâchées dans l’atmosphère par labouche des volcans.

À l’époque où cela s’est produit, la Terreétait devenue assez grosse et massive pourretenir par sa gravité les gaz qui l’entouraient.En s’accumulant dans l’atmosphère, ces

 vapeurs sorties du ventre de la planète ontformé d’épaisses couches de nuages. Pendantdes millions d’années, le ciel ne fut qu’ungigantesque orage répondant par ses éclairset ses coups de tonnerre à la furie des volcansd’où il était issu. Même lorsque le calmerevenait, l’atmosphère restait irrespirable, Notre Terre primitive,un environnement peu invitant

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Du Big Bang au Village planétaire

remplie de gaz carbonique et de vapeurs sulfureuses, tandis que le sol restaitinhospitalier, empoisonné par des produits acides et des métaux lourds.

Malgré cette apparence peu invitante, c’est tout de même à la surface de cetteplanète primitive qu’il nous faut maintenant nous rendre pour continuer à suivrele chemin de notre sentier. En effet, après plusieurs millions d’années de

 volcanisme et d’orages dignes du Déluge, un nouveau milieu était apparu à lasurface de cette troisième planète: aux endroits les moins élevés, des moléculesd’eau liquide s’étaient réunies pour former des flaques, des étangs, des lacs, desmers et des océans. Mieux encore, cette eau pouvait rester liquide parce quel’atmosphère fonctionnait comme un isolant, emprisonnant une partie de lachaleur par un phénomène que vous connaissez sous le nom d’«effet de serre».Ainsi, presque dix milliards d’années après le Big Bang, des conditions favorables

à la vie étaient réunies et le processus de complexification pouvait se poursuivre.Bien qu’elles soient très loin de l’image qu’on se fait habituellement du jardind’Éden, ces étendues d’eau constituaient un milieu dans lequel les moléculespouvaient se rencontrer et former de nouveaux liens. Les molécules qui s’ycôtoyaient n’avaient rien de bien exceptionnel puisqu’il en existait déjà des copiesdans le nuage qui a donné naissance à notre système solaire. Bien que plusieursd’entre elles seraient aujourd’hui considérées comme toxiques, on y retrouvaittout de même quelques exemplaires des principaux blocs de base de la vie,essentiellement des acides aminés et des acides gras, et peut-être même des basesazotées (les composants de l’ADN). Cela n’a rien d’étonnant, puisque les atomes

de la vie, soit le carbone, l’oxygène, l’azote et l’hydrogène, ont une tendancenaturelle à former des molécules complexes, pourvu que le milieu ambiant leurfournisse de l’énergie.

DEUXIÈME SEGMENT: LE VIVANT

FABRIQUER DU SOI-MÊME

(Entre –4,5 et –3,5 milliards d’années)

À partir d’ici, notre sentier vers la complexité débouche sur une zone qu’onpourrait comparer à une vallée marécageuse dans laquelle nous perdons sa trace.Par contre, si nous regardons au loin, de l’autre côté de la vallée, nous pouvons

 voir qu’il émerge à nouveau des marais et poursuit son tracé vers la montagne.Ce moment encore lointain, représentant quelques centaines de millionsd’années, c’est celui où les premiers êtres vivants auront été dûment constitués.Nous en sommes séparés par une suite de marais entrecoupés d’une poignéed’îlots sur lesquels on devine à peine quelques traces de notre sentier. Puisquenous connaissons déjà sa direction générale, à savoir qu’il va déboucher surl’apparition des êtres vivants, nous utiliserons les connaissances que nous avons

des cellules actuelles, ainsi que les quelques rares indices disponibles sur le

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

terrain, pour imaginer le mieux possible les différentes étapes qui pourraientavoir été franchies au cours de cette période qui a vu l’apparition de la vie.

Notre point de départ, c’est que tous les êtres vivants consomment del’énergie. Cela vaut de la plus minuscule bactérie à l’arbre le plus gigantesque,du champignon le plus immobile au guépard le plus rapide. Or, les étenduesd’eau à la surface de la Terre primitive recevaient continuellement d’énormesquantités d’énergie. On peut donc raisonnablement émettre l’hypothèse que la

 vie est née parce que cette énergie a été canalisée et utilisée de façon à alimenterdes processus chimiques qui ont été les précurseurs de ceux qui se déroulent denos jours à l’intérieur de chaque cellule vivante. Nous allons donc aborder cesegment obscur de notre sentier en nous intéressant d’abord à l’énergie.

Sur notre Terre primitive, les apports en énergie étaient multiples, depuis le

 jeune Soleil qui inondait la planète dans toutes les longueurs d’onde, jusqu’auxactivités volcaniques qui prenaient de nombreuses formes différentes. Le cycleévaporation-précipitation de l’eau servait de plus à rebrasser continuellement lamatière et ajoutait de nouvelles formes d’apport en énergie, tels les éclairs.Comme les molécules présentes dans l’eau étaient sans cesse bombardéesd’énergie, brassées dans tous les sens et fréquemment mises en contact les unesavec les autres, il était inévitable qu’elles interagissent.

De plus, un lieu de contact privilégié apparaissait chaque fois qu’une de cesétendues d’eau se desséchait et que les molécules qu’elle contenait se retrouvaient

piégées dans la boue résiduelle. Comme des aliments qui collent au fond d’unchaudron trop chauffé, celles-ci se retrouvaient alors coincées les unes contreles autres, ce qui provoquait l’apparition de nouveaux liens qui n’auraient paspu se faire en présence d’eau. Lorsque les pluies revenaient remplir la mare, lesnouvelles molécules ainsi créées reprenaient leur danse avec les autres moléculesdans une eau de plus en plus riche en molécules complexes.

Or, aussi petite qu’elle soit, une molécule est un objet physique et, commetout objet physique, elle tend constamment à contenir aussi peu d’énergie quepossible. Ainsi, lorsque vous prenez un objet, une pierre par exemple, l’énergieque vous dépensez en le soulevant s’y trouve emmagasinée temporairement sous

la forme d’énergie potentielle. Lorsque vous relâchez l’objet, celui-ci se débar-rasse de ce surplus d’énergie en retombant à son niveau initial, transformantl’énergie potentielle en mouvement (c’est l’énergie cinétique). Lorsque l’objetfrappe le sol, cette énergie cinétique peut se transformer de diverses façons,notamment: 1º en stress interne (c’est la raison pour laquelle certains objets sebrisent en tombant), 2º en stress pour la surface qui reçoit le choc, 3º en chaleur,4º en son. C’est cette même tendance naturelle à se débarrasser de l’énergie quifait qu’une pierre roulera en bas de la montagne si rien ne la retient, simplementparce qu’elle contient moins d’énergie une fois rendue en bas qu’elle n’encontenait lorsqu’elle était en haut.

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Du Big Bang au Village planétaire

À l’échelle microscopique, on assiste à des phénomènes assez semblables,car on constate que les particules, les atomes et les molécules qui se trouvent àdétenir temporairement un surplus d’énergie ont tous également tendance à fairedes choses qui leur permettent de perdre ce surplus afin de se retrouver à unniveau d’énergie aussi bas que possible. Ainsi, quand une particule contient plusd’énergie que le minimum permis par les lois de la physique, elle est dite«excitée» et se débarrasse de son surplus en émettant des particules ou desphotons, jusqu’à ce qu’elle ait retrouvé son état le plus stable. De la même façon,quand les atomes et les molécules absorbent un surplus d’énergie, ils onttendance à la remettre en circulation dans l’environnement à la premièreoccasion. Ils se retrouvent ainsi souvent à l’origine de séries d’événements quisont alimentés par le passage de l’énergie dans l’environnement.

L’énergie qui inondait notre mare primitive pouvait provoquer diversesréponses de la part des molécules. Les trois plus importantes étaient: 1º lemouvement, forme d’énergie mécanique; 2º l’émission de photons, formed’énergie électromagnétique; 3º la création de liens atomiques riches, formed’énergie chimique. Regardons d’un peu plus près ce qui se passait quand unphoton en provenance du Soleil frappait une molécule d’eau.

Dans le premier cas, quand il s’agissait d’un photon de basse énergie, onpourrait le comparer à une queue de billard qui frappe la boule blanche et lamet en mouvement. Une fois que celle-ci areçu son impulsion, elle se déplace, frappe

une première boule, lui transfère une partiede son énergie, et la boule se met à son touren mouvement. La boule blanche conservetoutefois une partie de son énergie et conti-nue sur une nouvelle trajectoire qui peutl’envoyer percuter une autre boule, puis uneautre, et ainsi de suite en cascade jusqu’à cequ’elle ait épuisé l’énergie qui lui a été trans-mise par la queue. Si la personne qui joue estun professionnel, il est possible que les boules

frappées par la blanche aillent se jeter dansune des poches; mais s’il s’agit de quelqu’unqui joue très mal à ce jeu, les trois boules frappées par la blanche vont simple-ment aller percuter d’autres boules, qui vont elles-mêmes aller heurter d’autresboules, et ainsi de suite jusqu’à ce que toute l’énergie fournie à la boule blanchese soit dissipée en collisions et en friction.

La situation était assez semblable pour la molécule d’eau qui était mise enmouvement par les rayons du Soleil: elle frappait des voisines, qui allaient elles-mêmes frapper d’autres molécules voisines, et ainsi de suite en cascade jusqu’àce que toute l’énergie fournie par le photon ait été épuisée en collisions et en

friction. (On pourrait dire que l’énergie concentrée du photon initial était ainsi

Cascade de collisions

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

peu à peu diluée dans l’environnement, transformée en chaleur diffuse quiaugmentait très légèrement la température de la nappe d’eau.)

Par ailleurs, il arrivait que les chocs projettent vers le ciel certaines moléculesd’eau situées à la surface, un phénomène que vous connaissez sous le nomd’«humidité». Lorsque ces molécules se refroidissaient, par exemple en passantau-dessus d’une montagne, elles retombaient sous forme de pluie. Tout commela pierre, la molécule d’eau perdait son énergie excédentaire en redescendant,et s’il y avait eu un barrage hydroélectrique pour la forcer à passer par uneturbine, elle aurait pu transformer une partie de son énergie en courantélectrique.

Les choses se présentaient quelque peu différemment quand une moléculed’eau se faisait frapper par un photon de moyenne énergie, car il arrivait qu’au

lieu de se transformer en mouvement, son énergie soit absorbée par la moléculesous forme d’excitation interne (un peu comme les atomes d’un filamentd’ampoule absorbent l’énergie électrique fournie par une turbine et la trans-forment en excitation de leurs électrons). Le surplus d’énergie absorbé par cesmolécules d’eau était réémis un peu plus tard sous la forme de deux ou troisphotons de plus basse énergie, qui étaient alors absorbés par d’autres molécules,qui réémettaient cette énergie à leur tour par d’autres photons encore plusfaibles, et ainsi de suite en cascade jusqu’à ce que toute l’énergie du premierphoton ait été diffusée dans l’environnement sous forme de chaleur.

Enfin, il arrivait qu’une partie de l’énergie soit transformée en énergiechimique. On pourrait poursuivre notre analogie en imaginant que, lorsque desmolécules d’eau étaient frappées par des photons à très haute énergie, il pouvaitarriver qu’elles se fassent arracher un atome d’hydrogène. Dans un tel cas, là oùil y avait deux molécules de H2O (de forme H--O--H, chaque tiret symbolisantun «crochet» chimique), il y avait durant quelques instants deux atomesd’hydrogène isolés (H-), et deux groupes -O--H, dont l’oxygène était en manqued’un partenaire. Si ces deux groupes -O--H se rencontraient, leurs deux atomesd’oxygène pouvaient réunir leurs «crochets» libres et former une moléculeH--O--O--H (H2O2), que vous connaissez probablement sous le nom de «peroxyded’hydrogène», liquide transparent qui fait un peu mal quand on s’en sert pourdésinfecter une égratignure.

Or, les liens qui s’établissent entre les atomes ne sont pas tous de la mêmeforce. Ainsi, l’architecture interne de l’atome d’oxygène fait en sorte que, quandil s’associe avec un atome d’hydrogène, le lien entre eux est très fort et il fautinvestir beaucoup d’énergie pour les séparer. À l’inverse, certains liens sont plusfaibles et peuvent être brisés par une simple étincelle. Par exemple, on peututiliser de l’énergie électrique pour faire l’électrolyse de l’eau; on obtient alorsde l’oxygène moléculaire (O2) et de l’hydrogène moléculaire (H2), deux sortes demolécules beaucoup moins stables. On dit alors qu’elles sont plus riches en

énergie que les molécules d’eau, puisqu’elles «contiennent» dans leurs liens

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Du Big Bang au Village planétaire

chimiques l’énergie électrique qui a été in- vestie par l’électrolyse. Comme l’ont décou- vert les victimes du Hindenburg, dirigeablequi a flambé en quelques minutes en 1937,lorsque de l’hydrogène gazeux est remis encontact avec de l’oxygène gazeux, il suffitd’une étincelle pour que l’énergie emmaga-sinée dans leurs liens chimiques riches soità nouveau libérée sous forme de chaleur etde lumière, tandis que les atomes se réor-ganisent pour retrouver leur forme plusstable à l’intérieur de molécules d’eau.

Ainsi, la création hypothétique d’une molécule de peroxyde d’hydrogène àpartir de deux molécules d’eau excitées par des photons illustre comment unepartie de l’énergie envoyée par le Soleil pouvait être emmagasinée dans des lienschimiques plus riches. Même si nous ne savons pas précisément quellesmolécules peuvent avoir été à l’origine de la vie, il est fort probable que lesprochains «objets» sur ce segment de notre sentier ont été des molécules quicontenaient un ou plusieurs liens chimiques riches de ce genre.

Les processus à l’origine de la vie ont certainement été plus «discrets» queceux à l’œuvre lors de l’incendie du  Hindenburg. Ils sont toutefois basés sur lemême principe, à savoir que lorsqu’une molécule «riche» en énergie se retrouve

dans des circonstances appropriées, elle a tendance à relâcher ce surplus dansson environnement. Elle peut ainsi être à l’origine d’une cascade d’événementschimiques qui ressemblent aux cascades de collisions et aux cascades dephotons. Lorsque ces cascades de réactions chimiques se produisent de façonincontrôlée, elles peuvent se manifester comme des explosions, mais, si ellessont contenues et canalisées, elles peuvent entraîner des phénomènes encoreplus intéressants.

Il est donc probable qu’à l’origine de la vie il y a eu des phénomènes quiavaient la propriété de transformer de l’énergie physique (comme le rayon-nement du Soleil, la radioactivité ou l’activité volcanique) en énergie chimiqueemprisonnée dans des liens riches entre certains atomes.

Un des plus anciens phénomènes susceptibles d’avoir alimenté la vie enénergie à ses débuts pourrait avoir impliqué différents composés du soufre, dontl’hydrogène sulfureux, gaz qui sent les œufs pourris. Ils étaient produits dans lesentrailles de la Terre et permettaient de transformer une partie de la chaleur quiy règne en énergie chimique. Ces produits s’échappaient en grandes quantitésde certains volcans, mais aussi des fumerolles, ces colonnes de fumée noire qu’ontrouve au fond des océans. Cette molécule d’hydrogène sulfureux (H2S)ressemblait beaucoup à l’eau (H2O), de telle sorte qu’elle pouvait jouer un rôle

important dans les cascades de réactions chimiques.

HydrogèneOxygène

Électrolyse de l’eau

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

Un autre chemin que l’énergie aurait pu emprunter à cette époque aurait faitappel aux atomes de fer qui pouvaient perdre quelques-uns de leurs électronspériphériques lorsqu’ils étaient frappés par certains photons. Ces électronsexcités se retrouvaient en liberté dans l’environnement et provoquaient eux aussides cascades de réactions chimiques lorsqu’ils transféraient leur énergie excéden-taire à des molécules capables de l’absorber. Plusieurs autres atomes métalliquespourraient avoir joué un rôle semblable et, encore aujourd’hui, certains desphénomènes les plus essentiels de la vie sont basés sur ce principe, comme lachlorophylle qui utilise un atome de magnésium pour transformer l’énergie desphotons lumineux du Soleil en une cascade de réactions chimiques.

Il y a probablement une grande quantité d’autres «chemins» chimiques quiont été explorés au cours de ces premiers pas de la vie, mais peu importe le

chemin précis qui a été suivi, l’important est qu’une partie de l’énergie physiqueen circulation dans l’environnement s’est retrouvée piégée dans des lienschimiques riches capables d’alimenter des cascades de réactions menant à lacréation d’autres molécules riches en énergie chimique.

Si ces molécules riches s’étaient retrouvées dans un milieu pauvre en énergie,les rencontres au hasard auraient suffi à leur faire rapidement perdre leursurplus d’énergie et les atomes auraient fini par se recombiner en moléculespauvres comme l’eau et le gaz carbonique. Mais, comme elles se trouvaient dansun milieu riche en énergie, continuellement alimenté par le Soleil, les volcans, leséclairs et toutes sortes d’autres phénomènes, les molécules riches étaient créées

plus rapidement qu’elles ne se décomposaient, de telle sorte qu’au fil desmillénaires elles se sont accumulées et ont pu interagir les unes avec les autres.

En raison de ces cascades d’événements qu’il provoque, on pourrait dire quele passage de l’énergie dans l’environnement ressemblait à celui de l’eau quiruisselle à flanc de montagne et qui peutalimenter une centrale électrique. De plus,afin de descendre, l’eau suit le chemin qui luioffre le moins de résistance et, à ce titre, c’estl’environnement qui lui dicte son parcours.Par contre, en même temps qu’elle se soumetà ces conditions, l’action d’érosion de l’eau faitque chaque ruisseau et chaque rivière creuseson lit, de telle sorte que le passage de l’eauinfluence l’environnement à son tour, appro-fondissant de plus en plus ces cheminsprivilégiés, créant peu à peu des «voies» quilui permettent de circuler de plus en plusfacilement.

Un peu de la même façon, l’énergie qui ruisselait dans l’environnement

terrestre à cette époque très lointaine avait tendance à suivre des chemins

La rivière creuse son lit.

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Du Big Bang au Village planétaire

impliquant certaines molécules plutôt que d’autres, soit parce que ces moléculesétaient plus communes ou qu’elles étaient particulièrement susceptiblesd’absorber des photons d’une certaine longueur d’onde, soit pour toutes sortesd’autres raisons relevant de la physique ou de la chimie. Par contre, même sil’énergie devait se «soumettre» à ces voies privilégiées, tout comme l’eau quiruisselle, elle aussi «creusait son lit». Elle creusait son lit parce que, de par sonsimple passage dans l’environnement, l’énergie ruisselante faisait apparaître deplus en plus de molécules riches, non seulement en quantités, mais également en

 variétés. Or, chaque fois qu’une nouvelle molécule riche apparaissait, elle étaitsusceptible de participer à de nouvelles réactions chimiques avec chacune desanciennes molécules. Et chaque fois qu’une nouvelle réaction chimique seproduisait, cela ouvrait la porte à encore plus de nouvelles variétés de molécules,etc. Il s’agissait donc d’un phénomène très fortement autogénérateur qui ne

pouvait qu’aller de plus en plus vite tant qu’il y avait de l’énergie pour l’alimenter.À mesure que cette faune moléculaire se diversifiait, il est apparu certaines

séquences de réactions chimiques qui canalisaient l’énergie ruisselante mieuxque d’autres. Donc, plus il y avait de molécules de ce genre qui étaient fabriquées,plus il y avait d’énergie qui était captée et stockée dans des liens chimiques riches,plus il y avait de nouveaux exemplaires de ces molécules qui étaient fabriqués,etc. On imagine donc qu’à mesure que le temps passait, la «soupe» épaississaitparce que les molécules riches s’y trouvaient en nombres croissants.

Le prochain segment de notre sentier est tout particulièrement difficile à

suivre, car il nous fait quitter le monde de la chimie simple sans toutefois nousamener jusqu’à celui du vivant. C’est une espèce de no man’s land sans points derepère familiers et que la vie a peut-être franchi trop furtivement pour nouslaisser beaucoup d’indices quant à l’itinéraire précis qu’elle a suivi. Il y a tout demême un point de passage très clair que la vie a nécessairement traversé,l’apparition de molécules qui avaient une toute nouvelle propriété: la catalyse.

Habituellement, les molécules impliquées dans une réaction chimique sontdétruites et remplacées par de nouvelles molécules, comme dans 2 H2 + O2 =2 H2O, ou encore dans CH4 + 2 O2 = CO2 + 2 H2O. Ces séquences de réactionschimiques sont linéaires: une molécule no 1 reçoit un surplus d’énergie et entreen réaction chimique avec une ou quelques molécules no 2; elles sont toutes«détruites» par cette rencontre parce qu’elles s’échangent quelques atomes et setransforment en molécules de types nos 3 et 4. La cascade se continue si une deces nouvelles molécules rencontre une molécule no 5 avec laquelle elle entre enréaction chimique, ce qui les transforme respectivement en molécules nos 6 et 7.Ces deux dernières molécules peuvent à nouveau réagir avec d’autres molécules,et ainsi de suite jusqu’à ce que la cascade deréactions chimiques ait épuisé toute l’énergieinitiale. Dans une cascade de cette sorte,chaque molécule est créée par une étape de la

chaîne et elle est détruite par l’étape suivante.

2 H2 + O2 = 2 H2O

CH4 + 2 O2 = CO2 + 2 H2O

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

Les seules molécules qui s’accumulent dans l’environnement sont celles qu’ontrouve tout au bout de la chaîne, et ce sont généralement des molécules assezpauvres en énergie, comme l’eau et le gaz carbonique.

Les catalyseurs sont différents parce qu’ils provoquent des réactionschimiques chez d’autres molécules, mais ressortent eux-mêmes inchangés parle processus. Même si la comparaison laisse à désirer, on peut penser au rôle del’eau dans la formation de l’oxyde de fer (rouille), car c’est la molécule d’eau quifacilite la rencontre entre un atome de fer et un atome d’oxygène. Mais dès quel’oxyde de fer est formé, la molécule d’eau laisse les nouveaux «mariés» à leurnouvelle «vie commune», et elle recommence son jeu d’«entremetteuse» avecde nouveaux atomes de fer et d’oxygène. C’est ce qui explique que quelquesgouttes d’eau coincées entre deux plaques de fer peuvent provoquer l’apparition

de toute cette rouille que l’on voit notamment sur les vieilles automobiles.Autrement dit, un catalyseur est un facilitateur de rencontres chimiques.

Comme les catalyseurs pouvaient recommencer leur action de nombreusesfois, au lieu d’avoir de simples cascades linéaires, comme celles qui ont étémentionnées ci-dessus, on a vu l’apparition de cascades de réactions chimiquesqui se déployaient en éventail. Comme il n’était pas détruit par les réactionschimiques auxquelles il participait, le catalyseur pouvait être à l’origine de deux,dix, cent ou mille nouvelles cascades de réactions chimiques au lieu d’être unsimple maillon dans une chaîne. Cette «quasi-indestructibilité» des catalyseursleur a permis de canaliser encore plus d’énergie ruisselante vers certaines

cascades de réactions chimiques, permettant qu’une portion toujours plus grandede cette énergie soit transformée en molécules riches.

De plus, le catalyseur représentait un acquis; les autres molécules étantdétruites pendant le déroulement normal de la chaîne de réactions chimiques, ilétait chaque fois nécessaire de repasser par toutes les étapes menant à leurfabrication. À l’opposé, la longévité du catalyseur éliminait le besoin d’avoir àrefaire toutes les fois les trois, huit ou quatorze réactions chimiques qui avaientété nécessaires pour le fabriquer; une fois que le catalyseur était dans l’environ-nement, c’était pour y rester. (Il n’est évidemment pas question ici de prétendreque les catalyseurs sont véritablement indestructibles, mais simplement desouligner que, de par leur nature, ils ont une espérance de «vie» beaucoup pluslongue que les autres molécules, qui sont destinées à être modifiées ou détruitesau cours d’une réaction chimique ultérieure.)

À partir du moment où les catalyseurs sont entrés en scène, les cascades deréactions chimiques se sont à nouveau grandement multipliées, non seulementen quantités, mais également en variétés. Ces premiers catalyseurs étaientprobablement des molécules assez simples contenant quelques douzainesd’atomes tout au plus, l’équivalent d’une courte chaîne d’acides aminés ou denucléotides, deux sortes de molécules dont nous reparlerons bientôt. On imagine

donc que leur action pouvait s’exercer sur une grande variété de molécules, et

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Du Big Bang au Village planétaire

que les résultats changeaient selon lesproduits avec lesquels ils interagissaient. Onpourrait donc dire que quand le catalyseur«A» rencontrait les molécules nos 13 et 14, illes transformait en molécule no 15, maisquand il rencontrait les molécules nos 13 et 18, il les transformait en moléculeno 37, et ainsi de suite.

Un autre cap important a été franchi lorsqu’un catalyseur «A», a transforméd’autres molécules, disons la no 82 et la no 25, en une nouvelle molécule,appelons-la «B», qui avait elle aussi des pouvoirs de catalyseur. Ainsi, la seuleprésence du catalyseur A et des molécules nos 82 et 25 dans un environnementdonné devenait suffisante pour qu’une fois de temps en temps A transforme ces

molécules en catalyseur B. Les molécules de B s’accumulaient donc dansl’environnement elles aussi et se retrouvaientà leur tour à l’origine d’autres cascades deréactions chimiques qui faisaient apparaîtreencore plus de quantités et de variétés demolécules riches.

Parmi les nouvelles molécules créées par le catalyseur B, la plupart étaientprobablement sans intérêt pour la construction de la vie. Mais on suppose queB a lui aussi fini par rencontrer des molécules sur lesquelles il pouvait agir defaçon à les transformer en un nouveau catalyseur que nous appellerons « C».

Donc, la simple présence du catalyseur A provoquait l’apparition de plusieurscopies du catalyseur B, disons 5, et chacune de ces 5 molécules de B provoquaitl’apparition de 5 exemplaires du catalyseur C, soit 25 en tout. Puis, les 25 unitésde C pouvaient favoriser l’apparition de125 catalyseurs D, qui pouvaient favoriserl’apparition de 625 catalyseurs E, etc. Ainsi,une partie de plus en plus importante del’énergie ruisselante était utilisée pourfabriquer des molécules riches qui avaient lapropriété d’aider à fabriquer d’autres molé-

cules riches en énergie. On imagine sanspeine que notre «soupe» est peu à peu deve-nue un bouillon très riche dans lequel lescatalyseurs prenaient de plus en plus d’im-portance.

Le prochain point de repère que nous pouvons imaginer au sujet de cettepériode mal connue, c’est qu’un jour une de ces chaînes s’est refermée sur elle-même, comme un serpent qui se mord la queue. Pour que cela se produise, ilaura fallu que, parmi les catalyseurs de plus en plus nombreux et de plus en plus

 variés qui apparaissaient, il s’en trouve un, que nous nommerons «Z», dont la

présence favorisait la formation du catalyseur A. À partir du moment où ce

A

B

C

BB CC

C

D

B C D

C D

C D

D

BCD

CD

D DED C CE

DE

DE

E E

E E

E

E

ED E

D E

D

D

EE

D

Cascade de réactions catalytiques

A + 13 + 14 = A + 15

A + 13 + 18 = A + 37

A + 82 + 25 = A + B

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

nouveau catalyseur Z a existé, il a commencé à fabriquer de plus en plus decopies de A, qui ont produit encore plus d’exemplaires de B, et encore beaucoupplus de C, et toujours de plus en plus de D, de E, de F, de G, de H, et ainsi desuite jusqu’à X, Y et Z, qui relançaient le mouvement vers A encore plus

 violemment.Ainsi, la présence de tous les catalyseurs A

 jusqu’à Z dans un milieu servait à harnacherl’énergie ruisselante pour transformer desmolécules simples en de plus en plus denouvelles copies de ces mêmes catalyseurs A àZ. À partir de ce moment, on peut parler d’un«cycle d’autocatalyse», car ces molécules for-maient alors une espèce de structure virtuellequi leur permettait de «travailler» ensemblepour fabriquer de plus en plus de nouvellescopies de chacune d’elles. Bien sûr, comme lesconditions dans l’eau sont rarement parfaitement stables, on imagine que, le plussouvent, ces cycles d’autocatalyse s’interrompaient après un temps relativementcourt en raison d’un changement quelconque dans l’environnement. Il n’en restepas moins que de nombreuses molécules riches avaient été fabriquées durantl’existence du cycle, et que celles-ci restaient dans la «soupe», disponibles pours’intégrer à un nouveau cycle qui se formait un peu plus loin ou un peu plus tard.

Comme la «soupe» contenait de plus en plus de molécules riches, dontplusieurs pouvaient agir comme catalyseurs, on suppose que les séquencescatalytiques qu’elles pouvaient former se sont multipliées et diversifiées. Or, plusil y avait de nouvelles séquences qui faisaient leur apparition, plus il y avait dechances que certaines d’entre elles se referment à leur tour en cycles d’auto-catalyse ou encore qu’elles servent à «refermer» une autre chaîne déjà existante.Dans un cas comme dans l’autre, le résultat était que, grâce à ces cascades deréactions chimiques cycliques, l’énergie était utilisée de façon toujours plusefficace.

Comme plusieurs de ces molécules pou-

 vaient intervenir dans plus d’un cycle, on peutimaginer que les cycles chimiques sontdevenus de plus en plus souvent intercon-nectés par une ou plusieurs molécules com-munes. Lorsque cela se produisait, la pro-duction de certains cycles plus courts allaitalimenter d’autres cycles plus importants, quifabriquaient eux-mêmes des molécules utili-sées dans d’autres cycles encore, etc.

Avec de multiples chaînes de réactions chimiques interreliées de cette façon,

il est probable que les cycles qui utilisaient le plus efficacement l’énergieruisselante ont pris de plus en plus de place, parfois au détriment des cycles

Y   Y   Y

Z

Z Z

Z

Z

A

A A

AA

B

BB

BBC

C

C

C

C

D

D

D

GHH H

H

H

L

M

MM

M

M

N

NN

N

O

OO

O

S

SSRS

S

T TTT

N

I III

Y

X

Cycle d’autocatalyse

Y

Z

A

B

CD

E FG

H

L

M

N

O

P

S Q

R

V

T

UW

X

I

J

K

Cycles autocatalytiques interreliés

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moins performants. En même temps, on peut supposer qu’une certaine orga-nisation ou hiérarchie a émergé de cette multitude de cycles enchevêtrés, avecdes chaînes principales alimentées par des cycles mineurs, certains d’entre euxfonctionnant en parallèle, d’autres en série, etc. Le tout prenait de plus en plusl’allure d’un système complexe d’échanges de matières premières et d’énergie.

On imagine que ce processus de com-plexification chimique s’est poursuivi jusqu’àl’apparition d’un système autocatalytiqueassez complexe pour résister tant bien quemal aux variations de conditions dans l’envi-ronnement. On suppose qu’il contenait assezde cycles, de sous-cycles et de sous-sous-cycles pour que les principales chaînes deréactions soient maintenues en permanence,ayant recours à diverses combinaisons dessous-cycles selon les circonstances. Onpourrait dire que ce système formait un«mégacycle autocatalytique» et, tant qu’ilétait approvisionné en énergie et en matièrespremières, il assemblait sans cesse de nou-

 velles copies de chacune des molécules qui leconstituaient.

Bien qu’on ne puisse pas encore parlerd’êtres vivants, ces premiers mégacyclesd’autocatalyse sont tout de même les pre-mières «réalités» que nous rencontrons sur lesentier qui méritent en quelque sorte le nomd’«ancêtres». En effet, bien que ces ultimes ancêtres du vivant n’aient apparem-ment que très peu de ressemblances avec moi, nous partageons tout de même unaspect fondamental de notre nature: eux et moi sommes essentiellementconstitués chacun d’un ensemble de molécules dont la principale activité est defabriquer de nouvelles copies d’elles-mêmes. En ce sens, eux et moi, ainsi que

 vous, et toute autre forme d’être vivant, nous sommes tous, d’abord et avant tout,

des machines chimiques qui consomment de l’énergie et des matières premièresafin de fabriquer de nouvelles copies de leurs molécules.

Si ces mégacycles d’autocatalyse ont bel et bien existé, ils sont la véritableorigine de la vie, soit un ensemble de processus chimiques qui canalisent l’énergieruisselante afin de se perpétuer. Si je suis ici aujourd’hui, c’est parce qu’une, ouplusieurs, de ces combinaisons de processus chimiques commencées à l’aube dela vie a réussi à se maintenir sans jamais discontinuer, et à se transmettre, tout enévoluant et en se complexifiant, de cellule en cellule, d’organisme en organisme,de génération en génération, d’espèce en espèce, et ce, malgré tous leschambardements que la vie a dû subir au cours des trois ou quatre milliards

d’années écoulées depuis son apparition.

Représentation schématique et trèssimplifiée d’une partie du mégacycle

d’autocatalyse qu’est une cellule.

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

J’appelle cela «fabriquer du moi-même» et, dans mon cas, l’expressionrestera vraie au sens littéral tant que je n’aurai pas terminé ma croissance. Cesprocessus chimiques qui ont cours dans mes cellules vont en effet être très actifsau cours des prochaines années pour prendre le lait, le pain, la viande et les fruitsque je vais consommer, les décomposer en molécules plus simples et lesréassembler pour fabriquer de plus en plus de cellules de Marie-Jasmine. Mais,même si vous avez terminé votre propre croissance, vous aussi restez essentiel-lement une machine chimique à fabriquer du vous-même, car vos cellules sontcontinuellement actives à fabriquer de nouvelles copies de vos protéines, quandce n’est pas à fabriquer de nouvelles cellules pour remplacer celles qui sont usées(savez-vous que votre corps fabrique en moyenne deux millions de nouveauxglobules rouges par seconde et que vos cellules osseuses sont remplacées à peuprès tous les sept ans?).

On suppose que ces premiers cycles chimiques précurseurs de la vieimpliquaient des molécules beaucoup plus simples que celles qu’on trouveaujourd’hui, même dans les êtres vivants les plus primitifs. Il y a tout de mêmede fortes chances qu’elles aient été de proches parentes des quatre familles demolécules qui sont au cœur de la chimie de la vie aujourd’hui, soit : 1º les acidesaminés qui forment les protéines, 2º les bases azotées qui forment l’ADN et l’acideribonucléique (ARN), 3º les acides gras et 4º les sucres. On ignore égalementcombien de molécules différentes participaient à ces divers cycles et sous-cycles,mais il y en avait certainement beaucoup moins que dans les bactéries les plusprimitives toujours vivantes, qui comptent aujourd’hui quelques milliersd’intervenants chimiques réunis en plusieurs centaines de cycles chimiquesimbriqués les uns dans les autres.

Une autre étape essentielle sur notre sentier vers la complexité fut franchiequand un de ces mégacycles d’autocatalyse se mit un jour à fabriquer parmi sesnombreux produits un certain nombre de molécules de graisse. Comme on peutle voir à la surface d’un bol de soupe ou dans certaines bouteilles de vinaigrette,les molécules de graisse sont hydrophobes (elles refusent de se mélanger avecles molécules d’eau). Elles ont donc tendance à se grouper pour former de petiteslentilles qui flottent à la surface.

Grâce à cette propriété, des molécules de graisse légèrement modifiées ontéventuellement servi pour constituer des membranes imperméables à l’eau,membranes qui ont permis à certains mégacycles d’autocatalyse de se retrouverisolés du milieu ambiant. Il est probable que, dans la plupart des cas, cesemprisonnements ont mené à l’arrêt des réactions chimiques, puisque lamembrane empêchait l’arrivée de nouveaux matériaux de base comme lesmolécules d’eau (H2O), de gaz carbonique (CO2) ou d’hydrogène sulfuré (H2S).Mais il semble qu’il vint un moment où une ou quelques grosses molécules sontrestées coincées dans la membrane au moment où celle-ci se refermait. En raisonde leur présence, la membrane ne pouvait devenir parfaitement étanche, et ces

molécules ont ainsi pu jouer un rôle de porte primitive.

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À partir du moment où un de ces mégacycles d’autocatalyse complet seretrouva ainsi partiellement isolé du milieu ambiant par une membrane, lerythme des réactions chimiques «utiles» s’accéléra grandement, car lesmolécules restaient constamment proches les unes des autres. Ce surcroît deproductivité a permis à ces petites machines chimiques de se multiplier encoreplus rapidement, ce qui entraîna également une prolifération des diverses

 variantes possibles à partir du modèle originel. Le système de protection grossierdu début fut amélioré, jusqu’à l’apparition de membranes percées d’ouverturescomplexes, capables de laisser pénétrer seulement les molécules constituant lamatière première nécessaire pour fabriquer de nouvelles copies des macro-molécules formant le mégacycle autocatalytique.

Nous voilà donc presque sortis des marécages. Avec une membrane qui

renferme un ensemble de molécules capables d’utiliser l’énergie pour produirecollectivement de nouvelles copies d’elles-mêmes, vous avez presque un être vivant.Toutefois, il faut souligner l’existence d’une catégorie bien particulière de moléculesqui en sont venues aujourd’hui à symboliser l’essence même de la vie: les acidesnucléiques et, plus particulièrement, l’acide désoxyribonucléique, ou ADN.

Il y a lieu de croire qu’à mesure que les cycles chimiques primitifs sont devenusde plus en plus élaborés, des mécanismes de gestion se sont mis en place. En effet,avec une complexification constante, il y avait un très net avantage évolutif àmettre au point un système qui assurerait que toutes les réactions chimiquesnécessaires à la perpétuation des cycles se produisaient, mais aussi, autant que

possible, qu’elles ne se produisaient que lorsqu’elles étaient utiles.La façon d’y arriver était de contrôler l’assemblage final des catalyseurs, car plus

il y avait de copies d’un catalyseur particulier, plus il y avait de chances pour queles divers cycles, sous-cycles et sous-sous-cycles catalytiques auxquels il participaitsoient productifs. Inversement, moins il y avait de copies de ce même catalyseur,plus les cycles qui l’incluaient étaient forcés de ralentir leur production. Ainsi, lesquantités de plus en plus gigantesques de réactions chimiques qui se déroulaient àl’intérieur de ces premiers êtres vivants en sont venues à être contrôlées par unmécanisme relativement simple qui consistait à ne permettre la production denouveaux catalyseurs que lorsque cela était requis pour le bon fonctionnement del’ensemble. Leurs pièces détachées, qu’on appelle aujourd’hui «acides aminés»,restaient disponibles en tout temps, mais ce n’est que lorsque le besoin s’en faisaitsentir qu’ils étaient assemblés, enfilés les uns à la suite des autres, pour constituerce que nous désignerions aujourd’hui par le terme «protéines», les principauxcatalyseurs qui constituent l’armature de base de notre métabolisme.

Ce système de gestion en est venu peu à peu à créer un livre de recettesappelé «ADN», qui contient toute l’information nécessaire pour construirecorrectement chacun des principaux catalyseurs jouant un rôle important dansune cellule. Ce faisant, les premiers êtres vivants ont non seulement mis au point

un mode de gestion efficace, mais également une espèce de mémoire qui leur apermis d’assurer encore mieux leur perpétuation.

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

Nous voici donc enfin rendus de l’autre côté des marécages et nousretrouvons notre sentier, quelques centaines de millions d’années après l’avoirperdu de vue. Bien que nous n’ayons pas bien vu tous les processus à l’œuvre,nous savons que, pour que ce premier être vivant apparaisse, il a fallu l’évolutionde quatre phénomènes, soit: 1º un système de plus en plus efficace pour canaliserl’énergie qui ruisselait dans l’environnement; 2º des molécules formant des cyclesd’autocatalyse de plus en plus élaborés; 3º une membrane isolant partiellementles cycles du restant de la soupe chimique; 4º un système de gestion et demémoire de plus en plus perfectionné.

Bien que je vous aie présenté ces quatre grands acquis de la vie primitive danscet ordre, il n’y a actuellement aucune façon de vérifier que les choses se sont bienpassées ainsi. La séquence d’événements racontée au cours des dernières pages

n’est rien de plus qu’une simplification à l’extrême d’un des chemins plausiblesque la vie aurait pu emprunter. En fait, il est probable que les choses aient souventévolué sur tous les fronts en même temps, jusqu’à l’apparition de ces petitesmerveilles d’intégration chimique qu’étaient les premiers êtres vivants.

Un point particulièrement obscur est de savoir comment s’est faite concrète-ment l’intégration des séquences de réactions chimiques entre les acidesnucléiques et les protéines. Cette question est d’autant plus difficile à trancherqu’à la base même de mon métabolisme, on retrouve des cycles autocatalytiquesqui font interagir très intimement ces deux sortes de macromolécules. Ainsi,l’ADN ne peut ni se répliquer ni jouer son rôle de gestionnaire sans l’intervention

d’une armée de protéines hautement spécialisées. Par contre, les protéines nepeuvent être assemblées sans avoir recours à l’information inscrite dans l’ADNpar l’intermédiaire du code génétique. Il s’agit donc d’un problème de logiquequi ressemble vaguement à celui de la poule et de l’œuf où on ne sait pas par oùça a commencé. Pour l’instant, il n’est toujours pas possible de déterminer si cesont les gènes ou les protéines qui sont à la base de la vie car leurs cyclesautocatalytiques sont trop intimement liés pour qu’on puisse trancher dans unsens ou dans l’autre.

Oublions donc ce dilemme et poursuivons notre aventure en observantcomment nos lointains ancêtres, les premiers êtres vivants, ont évolué sur un bout

de sentier qui nous est beaucoup plus familier. Comme nous avons de bonnesraisons de croire qu’ils ressemblaient beaucoup à certaines bactéries primitivesqui prolifèrent encore aujourd’hui dans certains milieux, je vous propose de lesappeler par leur vrai nom, soit des «archéobactéries». Étant donné qu’elles étaientles descendantes directes des premiers mégacycles d’autocatalyse, vous ne vousétonnerez pas d’apprendre que ces bactéries étaient elles aussi des machineschimiques qui s’activaient essentiellement à fabriquer de nouvelles copies de leurspropres molécules.

On pourrait comparer une bactérie à une usine de montage, du genre de cellesqui font l’assemblage des téléviseurs, des automobiles ou des Boeing 747. L’usine

utilise des matières premières, comme des pièces de métal, de plastique ou de tissu,

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ainsi que des vis, des broches et de la colle, et les assemble en produits finis. Elle estdonc essentiellement constituée d’une grande quantité de chaînes d’assemblageorganisées en une espèce de pyramide hiérarchique. La majorité des chaînes demontage prennent les éléments de base et les réunissent en objets un peu pluscomplexes. Les objets produits par plusieurs chaînes de niveau 1 sont ensuiteacheminés pour alimenter des chaînes de niveau 2 qui assemblent plusieurs d’entreeux en objets encore plus complexes. Ceux-ci sont ensuite utilisés pour alimenter des

chaînes de niveau supérieur, et ainsi de suite jusqu’à l’assemblage du produit final.C’est ce qui s’appelle, en termes techniques, de l’«assemblage modulaire».Mais la grosse différence entre la bactérie et l’usine d’assemblage, c’est que

la bactérie ne fabriquait ni des téléviseurs, ni des Boeing 747, ni aucun produitmanufacturé destiné au commerce extérieur. En fait, les seuls produits résultantde ces chaînes de montage n’étaient rien d’autres que de nouvelles copies de leurspropres pièces constituantes, lesquelles pièces pouvaient ensuite être assembléespour constituer de nouvelles chaînes de montage. Il n’y a pas de quoi sesurprendre, puisque ces bactéries étaient des êtres vivants et que les êtres vivants,

 vous le savez, sont des machines à fabriquer du soi-même.

La bactérie prenait donc de l’énergie et des matières premières sous forme demolécules simples dans l’environnement et elle les assemblait en pièces de plusen plus compliquées. Les nouvelles pièces ainsi formées étaient d’abord utiliséespour remplacer ses propres pièces lorsqu’elles brisaient à cause de l’usure. Mais,même lorsque la production dépassait les besoins en pièces de rechange, celle-cise poursuivait jusqu’à ce que l’usine-bactérie dispose de toutes nouvelles chaînesd’assemblage prêtes à fonctionner. Ces nouvelles chaînes étaient à leur tourcapables de prendre encore plus de matières premières et de les transformer enencore plus de nouvelles chaînes de montage, et ainsi de suite tant que l’environ-nement pouvait lui fournir énergie et matières premières. C’était un peu comme

une usine qui ne ferait rien d’autre que fabriquer de nouveaux morceaux d’usineet qui pourrait en théorie grossir sans cesse et de plus en plus rapidement.

Nouvelle chaîne de montageNouvelle chaîne de montage

Nouv elle c haî ne de mont age

Ordinateurcentral (ADN)

Protéines

Protéines

ProtéinesProtéines

Déchets

Déchets

Déchets

Déchets

Déchets

Matières premières

Matières premières

Coque(membrane)

HublotMatières premières Matières premières

C h a î n e  d e  m o n t a g e Chaîne de montage

C h a î n e  d e  m o n t a g e  C  h a  î n e  d e  m

 o n t a g e

Une bactérie est une usine à fabriquer du soi-même, remplie de chaînes de montage fabriquantde nouvelles pièces (protéines) qui constituent de nouvelles chaînes de montage.

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redressé, aplati afin que les «montants» de l’échelle puissent être séparés l’unde l’autre et que chaque «barreau» soit séparé en deux parties. Cette structureparticulière a permis l’apparition de verrous chimiques qui bloquaient ainsi lalecture de l’information contenue dans un segment déterminé. Comme ces

 verrous ne permettaient la « lecture» de l’information que lorsque les cir-constances le demandaient, ils constituaient une espèce de programme infor-matique qui disait quelque chose comme ceci: «Lorsque la concentration en unproduit en particulier dépasse une valeur x, il faut fabriquer une protéine A(ouverture du verrou, lecture du segment et fabrication de la protéinecorrespondante); lorsque la concentration redescend au-dessous d’une valeur y,il faut cesser la production (fermeture du verrou et interruption de la lecture).»

Afin de comprendre encore mieux ce qu’étaient ces bactéries primitives, nousallons maintenant imaginer que chacune d’elles était en fait une usine embarquéeà bord d’un vaisseau spatial ou d’un sous-marin. La fonction essentielle restait lamême, soit fabriquer du soi-même (de nouvelles pièces pour ses chaînes demontage), mais cela devait se faire à l’intérieur d’une coque qui l’isolait complè-tement du monde extérieur, à l’exception de quelques portes et hublots. La bactériedevait donc utiliser ces quelques ouvertures pour faire pénétrer toutes les matièrespremières dont elle avait besoin et aussi pour évacuer les déchets qu’elle produisait.

Mais, comme on l’a vu, quand les conditions étaient favorables, la bactériefabriquait de plus en plus de nouvelles pièces et de nouvelles chaînes de montage, etune véritable usine terrestre aurait dû bâtir des annexes au fur et à mesure afin de lesloger. Si la chose ne poserait pas trop de problèmes à une usine terrestre, ce serait undéfi bien différent à relever pour un vaisseau spatial ou un sous-marin qui se doitd’être étanche et de gérer de façon très stricte ses échanges avec le monde extérieur.Or, plus il y avait de nouvelles chaînes demontage qui étaient fabriquées, plus le vaisseaudevait grossir. Comme son volume augmentaitbeaucoup plus rapidement que sa surface, etqu’il était impossible de percer plus qu’un certainnombre de hublots et de portes par unité desurface de la coque, les ouvertures manquaientet il devenait de plus en plus difficile d’alimenterles nouvelles chaînes de montage et d’évacuerleurs déchets. Ce genre de croissance ne pouvaitdonc pas se poursuivre indéfiniment sans causerde sérieux problèmes de gestion.

La solution aurait pu être de limiter la fabrication de nouvelles pièces etl’assemblage de nouvelles chaînes de montage dès que la capacité optimale du

 vaisseau aurait été atteinte, ce que mes propres cellules arriveront à faire quand j’aurai terminé ma croissance. Mais, en ce qui concerne les bactéries, il sembleque la croissance ait été une pulsion trop fondamentale de leur chimie pour êtrelimitée de cette façon. Une autre solution aurait pu être de simplement évacuerle surplus de production dans l’environnement dans n’importe quelles conditions,

Longueur : 1 cm (x 2)

Surface : 6 cm2

  (x 4)Volume : 1 cm3  (x 8)

Longueur : 2 cm

Surface : 24 cm2

Volume : 8 cm3

Le volume croît plus rapidementque la surface.

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

mais la logique veut que, si certaines lignées de bactéries ont opté pour cette voie, elles ont laissé très peu de descendantes et nous en avons perdu la trace.

La solution qui a été retenue, c’est que quand la surpopulation moléculairedevenait intenable à l’intérieur du vaisseau, l’ordinateur central ordonnait lafabrication d’un deuxième ordinateur central et celui-ci partait de son côté avecla moitié des chaînes de montage, la moitié des réserves en matières premières etla moitié de la coque. Grâce à ce dédoublement de l’information (fabrication d’unenouvelle copie de l’ADN), les deux vaisseaux filles issus du vaisseau mère pou-

 vaient continuer à fonctionner comme deux entités indépendantes et amorcer unnouveau cycle. Dorénavant, «se diviser»voudrait dire «se multiplier».

Grâce à ce phénomène, «fabriquer du soi-même» prenait un tout autre sens.Jusqu’à ce moment, les processus chimiques fondamentaux de la vie poussaient

la bactérie à fabriquer une plus grande quantité de soi-même, c’est-à-direassembler sans cesse de nouvelles copies de ses pièces constituantes. Avec lareproduction, cela dépassait la simple accumulation de nouvelles protéines, celacorrespondait à fabri-quer de nouveaux in-dividus identiques àsoi-même. Le sentier vers la complexité ve-nait de prendre unnouveau virage parti-culièrement intéres-sant, car fabriquerplus de soi-même étaitdevenu fabriquer plusde «soi-mêmes».

En se multipliant, les bactéries ont engendré le prochain phénomèneimportant que nous rencontrons dans notre histoire: la compétition. En effet,bien que le Soleil ait été généreux de ses rayons et que la Terre ait été une biengrande planète pour les petites bactéries, il n’en restait pas moins que l’énergieet les matières premières se trouvaient en quantités limitées, tandis que, en

théorie, la capacité de se reproduire des bactéries était pour sa part tout à faitillimitée. Dans de telles circonstances, il était inévitable que les bactéries en viennent tôt ou tard à entrer en compétition les unes avec les autres pourl’obtention de ces ressources.

Ce nouveau phénomène n’aurait toutefois présenté que peu d’intérêt si lesbactéries étaient toutes restées parfaitement identiques à leur mère. Si tel avaitété le cas, la compétition n’aurait été rien de plus qu’une question de chance, lesbactéries les mieux situées engendrant une plus grande descendance que lesautres. De toute façon, elles auraient toutes été identiques, peu importe leurlignée, de telle sorte que leur histoire particulière et leur environnement

spécifique auraient été sans importance quant à leur identité.

De la croissance à la multiplication: fabriquer plus de soi-mêmedevient fabriquer plus de «soi-mêmes».

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Mais ce ne fut pas le cas, ce qui nous amène en contact avec un autreparadoxe de notre histoire. En effet, si l’ADN avait été une façon absolumentfiable de transmettre les recettes, toutes les bactéries seraient encore semblables,la complexité n’aurait jamais dépassé ce stade et je ne serais pas ici pour enparler. Par contre, si les premiers êtres vivants n’avaient pas développé une façonde transmettre fidèlement les recettes d’une génération à l’autre, il est probableque les processus chimiques de la vie auraient rapidement dégénéré dans lechaos, chaque nouvelle génération devant sans cesse tout réinventer sous peinede se perdre dans des culs-de-sac chimiques.

Heureusement pour nous et pour la complexité, l’ADN n’était pas absolumentfiable. Bien qu’elle soit extrêmement bien construite pour jouer son triple rôle demémoire, de gestion et de transmission, la molécule d’ADN reste soumise à

certains facteurs présents dans l’environnement. Divers incidents pouvaient eneffet modifier légèrement la molécule et, en conséquence, changer l’informationqu’elle contenait. C’est ce phénomène qui est généralement appelé «mutation».

Avec de l’ADN modifié, le programme central envoyait des instructionsdifférentes aux chaînes de montage, qui ne pouvaient faire autrement que defabriquer des pièces légèrement modifiées. La plupart du temps, ces nouvellespièces ne faisaient aucune différence. Parfois, elles n’arrivaient pas à s’intégrercorrectement aux chaînes de montage, de telle sorte que cette bactérie était moinsefficace que ses congénères. Même si elle arrivait à survivre et à se reproduire, ellele faisait moins souvent que les autres et sa descendance était peu à peu supplantée

par les autres branches de la famille qui avaient conservé la recette originale. Cetterecette défectueuse était donc détruite à court ou à moyen terme.

En revanche, il arrivait aussi que la nouvelle pièce effectuait le travail encoremieux que l’ancienne pièce, rendant la chaîne de montage plus efficace. Dansun tel cas, la bactérie qui détenait cette nouvelle recette grossissait plus vite queles autres, elle se reproduisait plus souvent et ses descendantes qui héritaient dela nouvelle recette en venaient à supplanter peu à peu les autres lignées qui nebénéficiaient pas de cet avantage. On peut résumer ce nouveau phénomène parl’équation suivante: compétition + mutations = diversification + sélection =évolution. Autrement dit, après que ce processus de sélection naturelle eut été àl’œuvre un certain temps, les descendantes d’une même bactérie pouvaientformer deux lignées très différentes parce que les mutations leur donnaient descaractéristiques différentes qui pouvaient leur être plus ou moins utiles, selonl’environnement où elles se trouvaient.

Ce phénomène de diversification a pris une importance considérable parceque les nappes d’eau présentes à la surface de la Terre primitive offraient diversessources d’énergie et de matières premières capables d’entretenir ces cycles decatalyse. Mutation après mutation, pièce par pièce, certaines bactéries en sont

 venues à posséder des chaînes de montage qui étaient plus efficaces dans les

nouveaux milieux qu’elles colonisaient, alors que certaines autres chaînesdisparaissaient, n’offrant plus aucun avantage dans le nouvel environnement.

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

LE TRAVAIL EN COMMUN

(Entre –3,5 et –1 milliard d’années)

Mais si la compétition est un des moteurs de l’évolution, la collaboration estégalement une des premières inventions de la vie. En effet, les plus anciennes

traces de vie identifiées jusqu’à maintenant sont les stromatolithes, qui datent

Les Arbres de la vie

L’image d’un arbre a souvent été utilisée pour montrer que les diverses espèces vivantes ontdes ancêtres communs. Comme cette image vous est certainement familière, je la reprendsici, mais avec une dimension dynamique, afin de bien montrer que la vie est un phénomène encroissance et que, avec le passage des milliards d’années depuis qu’elle est apparue sur Terre,elle s’est beaucoup ramifiée et complexifiée. Chaque image représentera donc de façon trèsschématique quelles «sortes» d’êtres vivants étaient présents dans l’entourage de mes ancêtres

à chacune des époques, et quels sont les liens de «parenté» existant entre les diverses«familles» au fur et à mesure qu’elles sont apparues.

Afin de rendre la progression plus facile à suivre, j’ai toujours situé ma «famille» à l’extrêmedroite de l’arbre, et le nom de mes ancêtres les plus directs de chaque époque est indiqué àl’intérieur d’un encadré. Afin de respecter les conventions reconnues, j’ai employé les nomsscientifiques les plus généralement acceptés, et il arrive qu’ils soient différents de ceux qu’onretrouve dans le texte. Ces arbres mentionnent également beaucoup d’autres « familles» dont je ne parle malheureusement pas dans le texte parce qu’il serait évidemment beaucoup troplong de décrire chacune d’elles. Si j’ai piqué votre curiosité, vous devriez trouver la plupart

de leurs noms dans un atlas de biologie, si ce n’est dans un simple dictionnaire.Commençons donc par cette première version, l’Arbre de la vie d’il y a à peu près 3,5 milliardsd’années, à l’époque où la Terre n’abritait que des archéobactéries. Parmi celles-ci, la plus prochede nos ancêtres serait celle des éocytes, aussi appelés «thermo-acidophiles extrêmes», ce qui veut dire que leursdescendantes les plus directes qui soient encorevivantes sont ces surprenantes petites créaturescapables de survivre dans des environnements extrêmement chaudsou acides (ou les deux), comme les geysers bouillants du parc

Yellowstone. Elles ne sont pas aussi jolies que les orchidées, ni aussiterrifiantes que les dinosaures, mais comme elles sont coriaces!

(thermo-acidophilesextrêmes)

méthanogènes

éocyteshalobactéries

Ainsi, de génération en génération, les diverses familles de bactéries se sontéloignées de plus en plus les unes des autres jusqu’à former des espècesdistinctes.

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Du Big Bang au Village planétaire

de plus de 3,5 milliards d’années. Il sembleque ces stromatolithes constituent des restespétrifiés de tapis de bactéries primitives quiauraient été très semblables à des formationsqu’on trouve encore aujourd’hui dans cer-taines étendues d’eau très spéciales, commele Grand Lac Salé de l’Utah, dans l’Ouest desÉtats-Unis.

Or, ces tapis d’algues contemporains nesont pas composés de simples piles de bac-téries toutes semblables. Ce sont plutôt desensembles de diverses espèces de bactéries qui ont développé des relationscomplémentaires, de telle sorte que les unes se nourrissent littéralement desdéchets des autres. Elles ont ainsi mis au point une façon efficace d’exploitercollectivement un environnement particulièrement pauvre qui leur seraitprobablement inaccessible à titre individuel. Cela leur a de plus permis desurvivre à peu près inchangées depuis l’aube de la vie dans des milieux qui sontrestés inaccessibles même aux formes de vie beaucoup plus évoluées qui sontapparues par la suite. Le fait que les plus anciennes traces de vie que nouspuissions trouver sur notre planète soient le fruit d’un travail communautaire,plutôt que le résultat d’une compétition féroce, nous montre que la vie ne serésume pas à une simple lutte entre organismes parfaitement égoïstes ettotalement absorbés par la compétition et la prédation.

On peut également illustrer que la prédation n’est pas le seul moteur del’évolution en pensant à l’être vivant dont il existe le plus d’exemplaires sur notreplanète: l’algue bleue. Malgré son nom, ce n’est pas une algue, mais bien plutôtune bactérie qui vit dans l’eau et dont le véritable nom est «cyanobactérie». Loind’être des prédatrices, ces algues bleues ont complètement révolutionné la viesur Terre grâce à une méthode particulièrement efficace pour transformerdirectement l’énergie du Soleil en énergie chimique. Elles ont effectué ce viragemajeur en utilisant un pigment, comme la chlorophylle, qui contenait un atomemétallique qui perdait un électron lorsqu’il était frappé par un photon de lumière.Cet électron libre était alors pris en charge par une série de molécules spécia-lisées qui absorbaient petit à petit son surplus d’énergie et s’en servaient pouralimenter plus ou moins directement les chaînes de montage de l’algue bleue.

Pour en revenir à notre analogie, on pourrait dire que l’algue bleue étaitcomme un vaisseau spatial équipé de panneaux solaires particulièrementefficaces. Elle passait une partie importante de son temps à exploiter l’énergiesolaire pour transformer des molécules pauvres comme l’eau et le gaz carboniqueen molécules riches en énergie, comme le sucre, qui servaient éventuellementpour alimenter ses autres chaînes de montage.

Vue en coupe de la structure stratifiéed’un stromatolithe

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

Le problème avec les algues bleues et leur photosynthèse, c’est que, commetant d’autres «usines», elles engendraient des déchets, des sous-produits inutileset parfois très toxiques résultant des nombreuses réactions chimiques qui avaientcours dans leurs entrailles. Un des pires poisons que ces cyanobactériesproduisaient était une des molécules les plus corrosives de l’Univers, l’oxygènemoléculaire (O2). Cette nouvelle molécule toxique représentait une menace trèssérieuse pour toutes les formes de vie, car, à part les algues bleues, à peu prèsaucune des espèces de bactéries vivant à cette époque n’était équipée pour luifaire face.

(Bien sûr, pour nous qui sommes issus d’une tradition plus tardive del’évolution, l’oxygène moléculaire que nous respirons semble un bienfait. Mais,si vous vous rappelez qu’il fait rouiller le fer, qu’il fait noircir l’argent, qu’il

transforme le cuivre en vert-de-gris et qu’il fait brûler la plupart des tissus vivants, vous comprendrez que c’est une molécule particulièrement active et qui devaitêtre manipulée avec beaucoup de précautions afin de ne pas endommager lesstructures délicates des premières formes de vie.)

Au fil des millions d’années qui ont suivi, les algues bleues ont continué à«polluer» les nappes d’eau en y rejetant des quantités de plus en plus importantesde ce poison oxygène, de telle sorte que des familles entières de bactéries ont dûdisparaître, incapables de s’adapter à ce nouvel environnement. Parmi les espècesqui ont réussi à survivre, plusieurs sont allées se réfugier dans les quelques lieuxencore à l’abri du poison, comme les boues et les grands fonds océaniques.

Certaines lignées ont éventuellement ressurgi de ces abris pour aller se logerdans les systèmes digestifs des animaux, où elles étaient également protégées dupoison oxygène.

Quelques rares espèces ont plutôt adopté des chaînes de réactions chimiquesqui leur permettaient de manipuler le poison oxygène de façon sécuritaire. Mieuxencore, elles ont réussi à dompter le monstre et à l’utiliser pour démonter desmolécules organiques comme le sucre afin d’extraire une fraction encore plusgrande de l’énergie qui y était stockée. Cela leur a permis non seulement desurvivre dans le nouvel environnement, mais aussi, et peut-être surtout, dedévelopper un métabolisme (ensemble de réactions chimiques propres à chaqueespèce vivante) beaucoup plus performant que celui de leurs ancêtres quiavaient recours à des filières énergétiques plus primitives.

De plus, ce nouvel acquis a ouvert la porte à ce que certains êtres vivantspuissent découvrir la prédation, attaquant leurs cousines, les algues bleues, pouren extraire le précieux sucre, allant même jusqu’à décomposer leurs piècesconstituantes afin de les recycler sur leurs propres chaînes de montage.

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Du Big Bang au Village planétaire

Notre sentier vers la complexité nous entraîne maintenant à la rencontred’une autre de mes ancêtres qui a complètement chambardé l’apparence de la

 vie sur Terre. Apparue voilà un peu plus de deux milliards d’années, cettenouvelle espèce de bactérie s’est distinguée des autres branches de la familleparce qu’elle a inventé une nouvelle sorte de membrane beaucoup plus com-plexe que celles de ses propres ancêtres. Pour bien comprendre le pas immensequi a été franchi à cette époque, reprenons notre analogie de la bactérie qui res-semble à un vaisseau spatial.

En raison de la petitesse de ses sas et de ses hublots, notre vaisseau-bactérieprimitive devait avoir recours à un procédé peu efficace pour faire entrer lesmatières premières dont elle avait besoin. Tout comme les métaux nécessaires àla construction d’un vaisseau spatial se trouvent rarement à l’état pur dans lanature, les molécules riches nécessaires à la construction de la bactérie ne serencontraient pas souvent à l’état pur et dans une forme facile à faire passer autravers des ouvertures de la membrane.

Dans le cas d’un vaisseau spatial, cela voudrait dire: 1º localiser une sourceappropriée, disons un gros rocher regorgeant de métaux; 2º se poser à côté;

3º envoyer une armée de petits robots découper le rocher en morceaux assezpetits pour passer au travers des sas ou des hublots; 4º les introduire à l’intérieur;5º les soumettre à divers procédés d’affinage pour en extraire le métal; 6º moulerle métal pour en faire les pièces de base de ses nouvelles chaînes de montage.Les déchets, c’est-à-dire la pierre non métallique qui constituait le restant durocher, étaient alors rééjectés vers l’extérieur, toujours en petites quantitéslimitées par la taille des sas et des hublots.

Dans le cas d’une bactérie, cela voulait dire: 1º se trouver en présence d’unesource de nourriture appropriée; 2º sécréter des enzymes qui décomposent cettenourriture en molécules assez petites pour passer au travers des ouvertures de

L’Arbre de la vie voilà à peu près

2 mil liards d ’années

En plus des archéobactéries, toujours sur labranche de droite, plusieurs nouvelles «familles»de bactéries plus «modernes» avaientfait leur apparition. Ce sont cellesqu’on trouve sur la branche de gauche.Mais ma famille n’est pas issue de ces bactéries plus«évoluées», car mes ancêtres de cette époqueétaient encore des membres du groupe des éocytes.

éocytes

méthanogènes

halobactéries

cyanobactériesprochlorophycées

bactéries pourprées

flavobactéries

bactéries vertes non sulfureuses

thermotogales

bactéries fermentatricesGram positives

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

la membrane; 3º les introduire à l’intérieur une par une; 4º les soumettre à diversprocédés pour les recycler sur ses propres chaînes de montage. L’inventionrévolutionnaire de mes ancêtres de cette époque, c’est qu’ils ont éliminé unebonne partie de ces étapes en créant une toute nouvelle sorte de membrane quiallait leur permettre de s’alimenter d’une façon beaucoup plus efficace.

La contribution essentielle de mes ancêtres de cette époque a été de perdrela coque rigide des bactéries et de se retrouver avec une membrane souple etextensible, qui offrait beaucoup plus de possibilités. Entre autres nouveautés,cette membrane leur permettait d’ingurgiter un gros morceau de nourriture enformant un repli de la membrane tout autour,phénomène appelé «phagocytose». Si nousrevenons à l’analogie du vaisseau spatial,

nous dirons que ce nouveau type de vaisseauaurait une coque en tissu extrêmementextensible, de telle sorte qu’il lui suffirait des’approcher d’un rocher pour que celui-ci créeun creux dans la coque, repoussant la mem-brane devant lui vers l’intérieur. Une fois quele rocher est à l’intérieur, la membrane sereferme derrière lui et l’intégrité de la coqueest ainsi maintenue. Le rocher se retrouvealors dans une espèce de bulle formée de lamême membrane que la coque extérieure,créant ainsi une espèce de petit espace«extérieur» à l’intérieur du vaisseau.

Ce nouveau système présentait de nombreux avantages. Tout d’abord, enfaisant le travail de digestion dans les limites d’une petite bulle, elle-même àl’intérieur de la cellule, les enzymes étaient beaucoup plus efficaces que quandelles devaient faire ce travail à l’extérieur de la bactérie. De plus, avec lesmolécules nutritives prisonnières de la bulle, elles étaient beaucoup plusfacilement absorbées que quand elles avaient la chance de diffuser un peupartout dans l’environnement. Mes ancêtres pouvaient donc être beaucoup plus

efficaces dans la consommation de nourriture, ce qui leur donnait un très netavantage évolutif.

Le second avantage majeur de cette nouvelle membrane, c’est qu’il n’étaitplus nécessaire de consommer la nourriture sur place. Avec la formulebactérienne, le vaisseau devait rester auprès du rocher tout le temps que cela luiprenait pour le découper en petits morceaux et l’absorber. Avec la nouvelleformule, un très gros morceau de rocher pouvait être avalé d’un seul coup, et le

 vaisseau pouvait repartir immédiatement à la recherche d’une autre source denourriture, le rocher étant tranquillement digéré en chemin. Entre autres

Microbe ou

particule alimentaire

Phagocytose

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conséquences, cela a eu pour effet de favoriser grandement l’évolution vers desêtres de plus en plus capables de percevoir leur environnement et de bouger enfonction de ce qui s’y trouvait.

Enfin, cette membrane révolutionnaire a contribué à régler plusieurs desproblèmes qui limitaient la croissance des bactéries et à desserrer un peu lescontraintes imposées par l’obligation de garder un rapport volume-surface à peuprès constant pour éviter la suffocation. La membrane capable de phagocytoserendait les échanges avec l’extérieur beaucoup plus faciles, car cette matièresouple permettait de créer des «portes» au fur et à mesure des besoins, autantpour l’ingestion des aliments que pour l’évacuation des déchets. De plus, un«bout» de membrane se trouvait à enrober chaque morceau de nourriture«avalé», créant en quelque sorte un espace extérieur à l’intérieur de la cellule.

Les surfaces ainsi créées, bien qu’elles fussent à l’intérieur, permettaient deséchanges avec le milieu «extérieur» qui s’y trouvait piégé temporairement,rendant ces échanges encore plus rapides et efficaces. Libérées de la coque rigidede leurs cousines bactéries, mes ancêtres ont donc pu devenir de plus en plusgrosses avant qu’un problème d’espace les force à se diviser.

Par ailleurs, comme la formule présentait de nombreux autres avantages,les membranes internes se sont multipliées, jusqu’à créer un réseau complexede parois, de tubes, de poches, dont plusieurs parties sont constamment enconstruction et en «dé-construction». Certaines sections se sont spécialisées,formant des structures de mieux en mieux définies à l’intérieur de la cellule.

Profitant de toutes ces innovations, le métabolisme a évolué lui aussi, devenantde plus en plus complexe, capable d’exploiter de mieux en mieux l’espace àl’intérieur de la cellule et l’environnement extérieur. L’apparition de la membranecapable d’absorber de gros morceaux de nourriture est donc un passageextrêmement important sur le tracé de notre sentier, un peu comme le débutd’un très long pont qui va nous permettre de franchir le fossé entre le pays desbactéries (unicellulaires sans noyaux), que nous quittons peu à peu, et celui desunicellulaires avec noyau, dont le nom scientifique est «eucaryotes».

De plus, ce que le gros vaisseau pouvait faire à un rocher, il pouvait le fairetout aussi facilement aux petits vaisseaux qui continuaient de proliférer dansson environnement. Autrement dit, plus mes ancêtres ont grossi, plus elles sontdevenues capables d’absorber de gros morceaux de nourriture, jusqu’à ce qu’uned’entre elles en vienne à pouvoir avaler tout rond des bactéries appartenant àdes lignées restées plus petites.

L’idée était d’autant plus intéressante que, contrairement au rocher, dont ilfallait extraire le métal et rejeter les déchets rocheux, les petits vaisseaux étaientdéjà constitués de pièces de métal qui pouvaient souvent être recyclées presquetelles quelles sur les chaînes de montage du vaisseau prédateur, se traduisantencore par une très nette économie de travail et d’énergie. Autrement dit, en

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

mangeant des bactéries, mes ancêtres de cette époque profitaient en partie dutravail d’assemblage moléculaire déjà effectué par leurs proies. Au lieu d’absorberdes matières premières sous forme de molécules très simples, elles utilisaientdes molécules beaucoup plus complexes déjà présentes dans leur proie, ce quileur épargnait les dernières étapes de démontage et les premières étapes deschaînes de montage.

C’est ainsi que, voilà à peu près deux milliards d’années, mes ancêtreseucaryotes primitifs ont inventé la prédation, phénomène qui nous accompa-gnera dorénavant tout au long de notre progression sur le sentier, parfois defaçon ouverte, en toute camaraderie, parfois cachée, à l’affût de la moindreoccasion pour se manifester au détour d’un buisson… Avec la prédation, lasélection naturelle ne s’appliquait plus seulement à la capacité d’exploiter

efficacement l’environnement, mais également à la capacité d’éviter de devenirle repas d’un autre être vivant.

Le passage suivant illustre bien comment notre sentier vers la complexité estcapable de faire des virages abrupts, parfois même à 180°, pour nous fairedécouvrir des réalités inédites et imprévisibles. L’action commence par unebanale histoire de prédation alors qu’une de mes lointaines ancêtres a avalé unebactérie selon la méthode décrite ci-dessus…

Pour une raison qui n’a pas encore été élucidée, mon ancêtre a été incapablede digérer cette bactérie, c’est-à-dire que les protéines qu’elle fabriquait n’ont

pas été en mesure d’en détruire les membranes protectrices. Peut-être monancêtre était-elle une mutante qui avait perdu la capacité de produire uneprotéine particulièrement indispensable à ce travail, ou peut-être cette bactérieétait-elle une mutante qui avait créé une nouvelle protéine qui rendait samembrane particulièrement résistante, toujours est-il que cette bactérie-là n’apas été digérée et qu’elle n’est pas morte.

Plus surprenant encore, c’est que mon ancêtre n’a pas immédiatement rejetéce corps vivant étranger comme un vulgaire déchet. Au lieu de cela, elle l’a laissée

 vivre en son sein; elle lui a même fourni l’énergie et les matières premières dontelle avait besoin pour assurer sa survie et sa croissance! Comme toute bactérie

digne de ce nom, l’intruse s’est aussi multipliée et, quand mon ancêtre a elle-même proliféré par la suite, une partie de ces bactéries s’est retrouvée danschaque nouvelle cellule, où elles ont recommencé un nouveau cycle. Celles-ciont été ainsi transmises de génération en génération, comme un trésor presqueaussi précieux que notre sacro-saint ADN lui-même. À partir de ce moment, ledestin de ces bactéries est resté très intimement lié à celui de ma famille.

Ce genre de relation peut porter différents noms selon les circonstances:«esclavage» si la prisonnière est asservie aux besoins de son hôte au détrimentde son propre développement, «symbiose» si les deux entités retirent desbénéfices de l’association et «parasitisme» si le développement de l’envahisseurse fait aux dépens de l’hôte. Dans le cas qui nous intéresse, on peut parler de

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symbiose, car mon ancêtre fournissait à ces bactéries la nourriture, l’énergie etla protection, alors que celles-ci contribuaient à son bien-être d’une façonextrêmement importante.

Ces bactéries étaient des spécialistes de la manipulation de l’énergie. Avantqu’elles arrivent, mes ancêtres ne savaient pas comment utiliser efficacementl’oxygène, de telle sorte qu’elles arrivaient à peine à extraire un tout petit peud’énergie des molécules de sucre et laissaient des sous-produits encore gorgésd’énergie comme l’alcool. Ces bactéries spécialistes avaient pour leur part lacapacité de dégrader les sous-produits du sucre et leur arracher jusqu’à leurdernier lien riche en énergie, ne laissant que des molécules particulièrementstables et pauvres en énergie, tels l’eau et le gaz carbonique.

Elles utilisaient cette énergie pour recharger les petites «batteries molécu-

laires» appelées Adénosine TriPhosphate (ATP), mais, comme elles recevaientbeaucoup plus d’énergie et de matières premières que ce dont elles avaientbesoin, l’ATP excédentaire était ensuite transporté pour alimenter les chaînes deproduction de mon ancêtre qui leur servait d’hôte. Grâce à cette symbiose, mafamille pouvait profiter au maximum de sa nourriture, ce qui lui a permis dedévelopper des chaînes de montage encore plus efficaces, entraînant une netteamélioration de la performance de son métabolisme. Les descendantes directesde ces bactéries se trouvent toujours dans chacune de mes cellules sous le nomde «mitochondries» (voir illustration page 133). Chez les organismes complexescomme moi, elles sont transmises exclusivement par les mères à travers l’ovule,

ce pourquoi j’ai une parenté spéciale avec ma mère, la mère de ma mère, la mèrede la mère de ma mère, etc., et que même les mâles ont cette parenté spécialeavec leur mère, leur grand-mère maternelle, etc.

Ce phénomène de symbiose entre une grosse cellule et de petites bactériess’est produit à d’autres occasions. Ainsi, toutes les vraies algues et toutes lesplantes terrestres sont le résultat d’une telle symbiose lorsqu’une proche cousinede mes ancêtres a un jour avalé une bactérie proche de la famille des alguesbleues et a commencé à vivre en symbiose avec elle au lieu de la digérer. Libéréede ses tâches quotidiennes, cette bactérie s’est mise à fabriquer du sucre enquantités industrielles et ce sont ses descendantes, connues sous le nom de«chloroplastes», qui fabriquent encore les sucres végétaux.

Il est également possible que d’autres parties des cellules modernes soientles descendantes directes de bactéries, entre autres les cils et les flagelles dontla queue des spermatozoïdes est un exemple connu.

Par ailleurs, avec la croissance qui se poursuivait sans cesse, notammentgrâce à la nouvelle membrane et à la contribution des mitochondries, mesancêtres de cette époque en sont venues à occuper un volume de plus en plusrespectable. Cela leur a permis de mieux aménager leur espace intérieur. Lesdiverses fonctions essentielles à leur survie pouvaient être assurées à partir de

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

différentes portions délimitées de la cellule au lieu d’être réparties un peun’importe où, comme c’était le cas pour les bactéries.

Ainsi, la digestion des aliments n’était localisée qu’en certains endroits précis,le traitement de l’énergie ne se faisait plus que dans les mitochondries, l’ADNétait centralisé dans le noyau derrière une double enveloppe protectrice, unegrande partie de la production de protéines a été rapprochée du noyau, desdivisions internes et des systèmes de distribution sont apparus et il y eut mêmedes systèmes de locomotion très efficaces qui ont évolué à partir des structuresprimitives héritées des bactéries. Avec ces organites variés, mes ancêtres étaienten train de devenir de véritables cellules complexes.

Mais, même avec cette nouvelle membrane, la croissance de mes ancêtreseucaryotes ne pouvait se poursuivre indéfiniment, entre autres raisons parceque, même si la cellule grossissait, l’épaisseur de la membrane restait quant àelle à peu près constante. Or, construire des cellules de plus en plus grosses àpartir des mêmes matériaux, c’est un peu comme essayer de construire un stadeolympique avec les mêmes matériaux que ceux qui sont utilisés pour une tente-roulotte. Bien que la multiplication des membranes internes ait donné plus de

consistance et de support à la cellule, et malgré l’apparition de structures commele noyau et les mitochondries, qui offraient des points d’appui supplémentaires,

Microcorpuscule (peroxysome)

Polysome libre

Mitochondrie

Microtubules

Lysosome

Endosome

Invagination endocytaire

Cytosol

Glycocalyx

Fibres d’actine

Flagelle

Corpuscule basal (cinétosome)

Membrane plasmique

Enveloppe nucléaire

NoyauNucléole

Polysome lié à une membraneRéticulum endoplasmique

Vésicule de transmission

Complexe de GolgiRéseau trans-Golgien

Vésicule sécrétoire

Représentation schématique d’une cellule eucaryote animale montrant une grande variétéd’organites spécialisés, incluant plusieurs qui ne peuvent être décrits dans ce livre.

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Du Big Bang au Village planétaire

il était tout de même inévitable que mes ancêtres eucaryotes en viennent à fairecomme leurs ancêtres bactériens : se diviser et, donc, se multiplier.

Or, toutes ces nouvelles structures internes des cellules nécessitaient nonseulement de nouvelles variétés de protéines, mais également des protéines de plusen plus complexes. L’information requise pour fabriquer toutes ces structuresdevenait donc de plus en plus substantielle, de telle sorte que l’unique brin d’ADNflottant dans les bactéries s’est allongé jusqu’à ce qu’il ne puisse plus rempliradéquatement son importante fonction de contrôleur des réactions chimiques. Unede mes ancêtres a réglé le problème en instaurant le système des chromosomes, quiorganise l’ADN en segments et embobine chaque segment sur des supports rigidesconstitués de protéines. Les chromosomes venaient de faire leur entrée en scène.

Par ailleurs, pour des raisons qui ne sont

pas encore bien claires, une de ses descendantesa littéralement doublé l’ensemble de son ADN,se retrouvant avec deux copies de chaquechromosome, donc deux copies de chaquesegment d’ADN et de chaque recette pourchaque protéine nécessaire à sa survie. Si l’onne sait pas au juste ce qui a entraîné cedoublement des chromosomes, on peut parcontre en comprendre facilement les consé-quences. Avec deux séries complètes de recettes,

les êtres vivants pouvaient faire l’expérienced’une quantité presque infinie de combinaisonsqui étaient impossibles auparavant.

Prenons un exemple simpliste, disons uneprotéine A qui devait travailler en collabo-ration avec une protéine B. Dans l’anciensystème, avec un seul livre de recettes, si unemutation modifiait la protéine B en B’, il étaitessentiel que B’ travaille aussi bien avec A que ne le faisait B, sinon les bactériesporteuses de B’ se reproduisaient moins souvent et B’ était éliminé du bagagegénétique à court ou moyen terme. En revanche, avec deux livres de recettes,mes ancêtres pouvaient garder la recette de B dans un livre et celle de B’ dansl’autre sans que cela diminue dramatiquement leurs chances de survie. Celapermettait une évolution beaucoup plus rapide, parce que, quelques générationsplus tard, une nouvelle mutation pouvait transformer la protéine A en A’, de tellesorte que la combinaison A’ et B’ était plus efficace que l’ancien systèmecomportant A et B.

Ainsi, alors que ni A’ ni B’ n’auraient été retenues par le système à un seullivre de recettes des bactéries, leur combinaison pouvait apparaître et être

exploitée par un système à chromosomes doubles. Comme mes ancêtres de cette

3a 6b4a

3b2a

5a

1a

4b

6a

1b

5b

2b

Les divers chromosomes d’une cellule(1, 2, 3, etc.) sont de longueur variableet se retrouvent en paires (1a, 1b, 2a,

2b, etc.). Cette figure montredes chromosomes qui sont prêts

pour la division cellulaire.

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

époque utilisaient des dizaines de milliers de protéines différentes et que chacuned’entre elles était susceptible d’interagir avec n’importe quelle autre, le systèmeà double gène a causé une première explosion phénoménale dans la variété desêtres vivants.

Pour explorer encore plus efficacement l’univers des diverses combinaisonsgénétiques possibles, une génération un peu plus tardive de mes ancêtres a«inventé» la reproduction sexuée. Au lieu d’avoir une cellule mère qui se séparaitpour donner deux cellules filles identiques à elle-même, il y avait désormais deuxcellules mères, et chacune ne donnait que la moitié de ses chromosomes,engendrant ainsi une espèce de «demi-cellule» qui devait ensuite rencontrer uneautre «demi-cellule» afin qu’elles s’unissent pour reconstituer une cellule«complète» avec un double jeu de chromosomes. Ainsi, chaque cellule fille se

retrouvait avec deux livres de recettes complets, mais chacun ne contenait quela moitié des recettes utilisées par l’une ou l’autre cellule mère. En raison de cela,chaque nouvelle cellule devenait un «objet» unique dans toute l’histoire del’Univers, une combinaison spécifique de protéines qui n’avait jamais existéauparavant et qui ne reviendrait jamais par la suite. L’individu était né et ce futla deuxième explosion phénoménale dans la

 variété des êtres vivants.

C’est ainsi que mes ancêtres eucaryotesprimitifs ont pu engendrer des espèces aussidifférentes que les radiolaires, aux coquilles

si délicates, les amibes informes, avec leuringénieux système de locomotion, et lesparamécies, des unicellulaires aux structuresinternes tellement développées qu’elles préfi-gurent les organismes pluricellulaires. Maisnotre sentier vers la complexité ne passe paraucune de ces espèces «évoluées», car mapropre lignée n’a pas suivi ces voies vers laspécialisation.

Tout comme les eucaryotes ont émergé des bactéries primitives et non pasde bactéries plus évoluées apparues plus tard, les premiers organismes pluri-cellulaires ont émergé du groupe des choanoflagellés, qui sont parmi les plusprimitifs des eucaryotes. On peut d’ailleurs croire que le besoin de grouperplusieurs cellules en structures plus complexes est apparu au sein de ce groupe,qui n’est ni très répandu ni particulièrement doué, justement parce que cesflagellés avaient moins de succès que leurs compétiteurs unicellulaires plusspécialisés. Mais, même si ma famille n’est pas issue des eucaryotes les plusévolués, il importe surtout de souligner que c’est dans notre lignée que lemouvement vers la complexité s’est poursuivi en rassemblant plusieurs unicel-lulaires au sein d’une nouvelle structure: l’organisme pluricellulaire.

La beauté rayonnante des radiolaires

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

dans lequel chaque bactérie ou pièce de nourriture avait plus de chances de sefaire attraper, car elle était coincée entre plusieurs cellules prédatrices. Cettedifférence entre les volvocales et les éponges est une excellente illustration duprincipe qui veut que de nouvelles structures apparaissent lorsque des objets segroupent de telle sorte que l’ensemble soit plus que la simple somme des parties.

Grâce à cette nouvelle organisation communautaire, les cellules flagelléessont devenues des prédatrices plus efficaces et elles ont réussi à manger plus quece dont elles avaient besoin pour survivre. Mais, au lieu d’investir ce surplus dansla fabrication de nouvelles copies d’elles-mêmes, comme l’auraient fait leursancêtres unicellulaires, ces éponges primitives ont plutôt pris le risqued’engendrer des cellules qui ont abandonné la recherche de nourriture. Commeles cellules flagellées partageaient leurs surplus avec ces nouvelles cellules, celles-

ci ont pu se permettre de perdre leur flagelle et autres équipements de«chasse», en échange de quoi elles ont pu développer les structures dont ellesavaient besoin pour assumer de nouvelles fonctions. Une partie importante detout ce que nous rencontrerons au cours des prochaines étapes de notre sentierdécoule directement de ce mouvement vers la spécialisation amorcé par lesancêtres immédiats des éponges.

La plus importante de ces tâches «non digestives» était la protection contreles attaques des bactéries et autres unicellulaires attirés par la montagne denourriture que représentait l’éponge. Cette tâche fut accomplie par les cellules dela couche extérieure qui ont modifié leur membrane de façon qu’elle devienne de

plus en plus imperméable et résistante. Ce faisant, ces cellules ont perdu lacapacité d’avaler de la nourriture par cette paroi, perte plus qu’amplementcompensée par le surplus de nourriture produit par les cellules flagellées. Encontrepartie, les cellules digestives étant protégées sur leurs arrières, ellespouvaient désormais se permettre de dépenser moins d’énergie à se bâtir desdéfenses, ce qui s’est traduit par une plus grande efficacité dans leur tâcheprincipale de capture et de digestion des aliments. Cela leur a donné le moyen defaire vivre encore plus de cellules voisines, et ainsi de suite dans une espèce decycle autogénérateur qui est à la base de toute l’évolution des animauxpluricellulaires.

Entre les cellules qui digéraient et celles qui protégeaient, il s’est créé unecouche de cellules aux formes variables qui acheminaient la nourriture digéréepar les flagellées jusqu’aux cellules de protection. Ces cellules ont égalementacquis la capacité de fabriquer divers matériaux de structure, comme desaiguilles de calcaire et la protéine élastique, appelée «spongine», qui donne auxéponges leur texture particulière. Enfin, il y avait une quatrième variété decellules qui ont littéralement pris la forme de tuyaux et qui constituaient lespetits trous par où l’eau pénétrait.

Chaque petite potiche mesurait au plus quelques millimètres et contenait à

peine quelques centaines, parfois même aussi peu que quelques douzaines de

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Du Big Bang au Village planétaire

cellules. (Quand vous avez une éponge naturelle dans la main, vous ne tenez pasle cadavre d’un individu, mais bien toute une ville fantôme qui a déjà abrité desmilliers d’individus tous différents.) Chaque petite unité était tout de même unanimal de plein droit qui assurait sa croissance en ingérant des matières vivanteset en les recyclant sur ses propres chaînes de montage. Par contre, l’intérieur dela potiche n’était pas encore un véritable estomac, car aucune digestion ne s’yproduisait; elle n’en préfigurait pas moins ce que tous les animaux sont devenuspar la suite: des estomacs à la recherche de nourriture.

Je ne peux pas dire avec certitude que j’ai déjà eu des ancêtres éponges, carles éponges actuelles sont clairement situées sur un embranchement propre et ilne semble pas qu’elles aient engendré d’animaux pluricellulaires plus complexes.Il est toutefois certain que notre sentier a traversé une période au cours de

laquelle mes propres ancêtres ressemblaient beaucoup aux éponges parce qu’ilsn’étaient constitués que de trois ou quatre sortes de cellules peu spécialiséesformant une cavité qui n’était pas encore un estomac à proprement parler.

Avant que notre sentier nous amène à quitter le monde des éponges, il y alieu de souligner que celles-ci ont été non seulement les premiers animauxpluricellulaires dignes de ce nom, mais qu’elles ont aussi été les premiersanimaux à se réunir en communautés structurées qui peuvent inclure descentaines de milliers d’individus. Tout comme le principe de l’éponge était deplacer les cellules flagellées de tellesorte que le battement de leurs fla-

gelles soit plus efficace à faire circulerde l’eau, les éponges ont franchi unpas de plus en s’organisant selon quel-ques principes d’architecture simples,réussissant ainsi à créer un courantencore plus fort qui traversait lacolonie depuis la périphérie vers lecentre et qui apportait constammentun approvisionnement de nourriture.

Bien sûr, les éponges ne sont pas des animaux très intelligents et leur viesociale est nécessairement quelque peu limitée. Elles sont tout de même la preuveque, très peu de temps après leur apparition, les animaux pluricellulaires se sontgroupés, tout comme l’avaient fait leurs propres ancêtres unicellulaires, ce quileur a vraisemblablement permis d’augmenter leur efficacité collective etindividuelle. En toute simplicité, les éponges symbolisent cette mouvanceunificatrice qui a débuté avec les structures matérielles et qui s’est poursuiviedans le vivant en réunissant des bactéries en cellules eucaryotes, des celluleseucaryotes en éponges et des éponges en colonies.

Colonies d’éponges de plus en plus complexes

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

DE L’ESTOMAC AU CERVEAU

(Entre –1 milliard et –350 millions d’années)

Avec l’apparition des doubles chromosomes, de la reproduction sexuée et desorganismes pluricellulaires, la vie sur Terre a connu une nouvelle explosion deformes diverses. Laissant derrière nous le monde des éponges, nous retrouvonsma lignée un tout petit peu plus loin sur le sentier de l’évolution. Mes ancêtresétaient alors devenus des cnidaires, créatures très simples dont les représentantsactuels sont les coraux, les anémones de mer,les méduses et les hydres. Ce sont encore desanimaux très simples, mais on note tout demême quelques améliorations majeures par

rapport aux éponges.Tout comme les éponges, ces cnidaires

étaient essentiellement constitués d’une cavitépour piéger la nourriture en suspension dansl’eau, mais celle-ci n’était plus un simple lieude passage. Plutôt que de servir de lieu depassage pour un courant continu, la cavitén’avait plus qu’une seule ouverture, quiaspirait une petite quantité d’eau et la rejetaitun peu plus tard. Cette ouverture était aussi

entourée de «doigts», très simples chez cer-taines espèces et très élaborés chez d’autres,

L’Arbre de la vie voilà un peu moins

de 1 mill iard d’années

En plus des diverses «familles»de bactéries qu’on retrouvesur la branche de gauche,il y avait désormais plu-sieurs «sortes» d’euca-ryotes, unicellulaires com-plexes avec noyau. Cesnouveaux venus occupent à peuprès tout le centre de l’arbre. À cette époque, mes

ancêtres avaient déjà quitté le monde des unicellulaireset commencé la formidable aventure des animauxpluricellulaires. Ils étaient devenus des cnidaires.

cnidaires

éponges

choanoflagellés

champignons

ptéridiospermes

bryophytes

algues vertes

   a   c   a   n    t    h

   a   m   o   e    b    i   e

   n   s

algues doréesl   a  b   y   r   i   n  t  h  u  l   a  l   e  s  

o   o   m     y   x   è    

t    e   s   

s    p   o   r   o   z   o   

a   i    r   e   s   

diatoméesalgues jaunes

algues brunes

dinoflagellés

ciliés

kinétoplasmides

éocytes

méthanogèneshalobactéries

cyanobactériesprochlorophycées

bactéries pourprées

bactéries Gram positives

flavobactéries

bactéries vertes non sulfureuses

thermotogales

eugléniensm     y   

x   o   m   

  y   c   è    t    e   s   

e   n   t    a   m   o   e   b    e   s   

m  i    c   r   o   

s    p   o   r   i    d    

i    e   s    g   i    a   r   d    

i    a   s   

myxomycètesà plasmides

Bouche

Bras

Cavité digestive

Vue en coupe d’une hydre d’eau douce,bel exemple de cnidaire

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Du Big Bang au Village planétaire

qui servaient à diriger encore plus de nourriture vers l’ouverture qu’on peutpresque déjà qualifier de «bouche». Pendant que l’eau était à l’intérieur de lacavité, c’étaient toujours des cellules flagellées qui avaient la tâche d’en extrairela nourriture. Cependant, au lieu de simplement absorber les bactéries et lesautres éléments nutritifs, certaines cellules flagellées sécrétaient plutôt dans lacavité des produits chimiques qui commençaient à décomposer la nourritureavant même qu’elle soit absorbée par d’autres cellules appelées «cellules nutri-tives». Les cellules nutritives et glandulaires étaient placées un peu partout surla surface interne de la cavité et elles nourrissaient leurs voisines par diffusiondes molécules nutritives de cellule en cellule.

Une autre amélioration majeure apparue à cette lointaine époque, c’est queles cellules digestives ont également développé une spécialisation différente à

leur autre extrémité. En effet, toutes ces cellules se terminaient dans le corps del’animal par une partie élastique qui pouvaitse contracter au besoin. Toutes ces terminai-sons de type musculaire étaient alignéesautour de l’axe principal, de telle sorte que,quand quelques-unes d’entre elles se contrac-taient en même temps, une partie du tube seresserrait et réduisait son diamètre. Parailleurs, les cellules chargées de la protectionextérieure étaient elles aussi terminées parune partie élastique, mais leurs fibres étaientplutôt alignées dans le sens de la longueur dela cavité, si bien que, quand elles se contrac-taient, le tube raccourcissait.

Ces deux sortes de mouvement donnaient à mes ancêtres cnidaires une bienmeilleure prise sur leur environnement car, en alternant ces contractions secteurpar secteur, ils arrivaient non seulement à aspirer et rejeter l’eau, mais aussi àla brasser pendant qu’elle était à l’intérieur, donnant encore plus de chances auxcellules flagellées d’attraper la nourriture au passage. Plusieurs cnidaires ontmême étendu ce contrôle musculaire aux «doigts» autour de la bouche, ce qui

augmentait d’autant leur efficacité à forcer la nourriture vers l’intérieur.Les contractions de toutes ces fibres musculaires étaient dirigées par une sorte

de treillis constitué de cellules nerveuses primitives dont la fonction première étaitde s’échanger des messages chimiques de manière que l’excitation des fibresmusculaires se fasse de façon coordonnée. Les cellules nerveuses situées dans les«doigts» ont de plus développé une certaine sensibilité à l’environnement, de tellesorte que, lorsqu’elles se faisaient toucher par de la nourriture potentielle, ellesfaisaient bouger les «doigts» pour la canaliser vers la bouche. C’était la premièremanifestation d’animaux capables d’exercer une véritable action sur leurenvironnement. Ils ont aussi été les premiers animaux à développer une variété

de cellules spécialisées, ouvrant la porte à la différenciation cellulaire.

Celluleglandulaire

Cellulenutritive

Couche

externe

Cellulenerveuse

Celluleprotectrice

Cellule deremplacement

Couche

interne

Paroi d’une hydre d’eau douce

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

Dans certaines familles de cnidaires, comme les coraux, les individus sontrestés très petits et ils vivent en colonies comme les éponges. Ainsi, les morceauxde corail qu’on voit au fond des aquariums sont en fait les cadavres de coloniesentières de petits polypes individuels. Dans ces colonies, les polypes individuelsne sont pas simplement installés les uns à côté des autres; ils sont tous reliés pardes ouvertures situées à leur base, si bien que ce qui est attrapé par l’un d’euxpeut parfois servir à alimenter d’autres membresde la colonie.

De plus, ces petites colonies ont elles-mêmes tendance à se grouper pour formerdes bancs de coraux, véritables métropolessous-marines visibles même de l’espace. Cette

socialisation provoque en outre un spectaclede toute beauté lorsque les coraux lancenttous en même temps leurs ovules et leursspermatozoïdes dans l’océan.

Dans d’autres branches des cnidaires, comme les méduses, l’accent a été missur l’individu plutôt que sur la collectivité. Au lieu de se tenir en groupes, lesancêtres polypes des méduses ont grossi, grossi et grossi jusqu’à ce que chaqueindividu ait atteint la taille de toute une colonie de petits polypes formant uncorail. Certaines familles de cnidaires ont même exploité les deux formules,comme les terribles «galères espagnoles» (Portuguese men-of-war ), constituées

d’un gros polype central qui reçoit l’aide de plusieurs autres sortes de plus petitspolypes spécialisés dans des tâches précises comme la locomotion, la mise àmort des proies, la reproduction, etc. Toutes ces recettes semblent très bienfonctionner, puisque les coraux et les méduses ont encore des descendantsdirects, malgré le passage de plus de 600 millions d’années, malgré l’apparitiond’espèces beaucoup plus évoluées, et malgré plusieurs extinctions massives quiont balayé des familles entières.

Mais malgré ces exemples de réussite et de persistance chez ces quelquesespèces primitives, les mutations et la reproduction sexuée ont continué de faireapparaître de plus en plus de nouvelles espèces, et voilà un peu plus de600millions d’années, un nouveau virage s’est produit. Jusqu’à ce point-ci denotre aventure, mes ancêtres pluricellulaires n’étaient encore constitués que dequelques minces couches de cellules entourant une cavité qu’ils cherchaient àemplir de nourriture. Cette situation a changé dramatiquement lorsque lescellules spécialisées de mes ancêtres vers plats ont commencé à se grouper pourformer des systèmes.

Tout comme l’hydre, le polype de corail ou la méduse, le ver plat demeuraitessentiellement une cavité digestive entourée de quelques sortes de cellulesspécialisées. Par contre, une évolution majeure s’était produite quant à la forme de

cette cavité digestive. Les cnidaires avaient une poche aux contours plutôt réguliers,

Corail

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Du Big Bang au Village planétaire

comme un lac de forme circulaire. Chez les vers plats, cette cavité est très ramifiée, commeun lac séparé en plusieurs grandes baies,chacune d’elles étant de plus subdivisée en unemultitude de baies de plus en plus petites. Toutcomme un lac avec de nombreuses baies abeaucoup plus de berges qu’un lac bien rond,ce plan de construction servait à multiplier lasurface interne de la cavité afin d’y accueillirencore plus de cellules flagellées et autrescellules spécialistes de la digestion. En plusd’une digestion plus efficace, cela permettaitaussi de loger beaucoup plus de cellules non

digestives dans les «presqu’îles» qui s’avan-çaient entre les baies.

Grâce à cet ingénieux design, les versplats ont pu multiplier la quantité et la variétédes cellules spécialisées, et ainsi atteindre unemasse critique qui a ouvert la porte à leurorganisation en systèmes très primitifs. Ainsi,les cellules flagellées restaient toujours res-ponsables d’ingérer la nourriture, mais ellesavaient abandonné leurs fonctions de sécré-

tion et de contraction, qui avaient été confiées à d’autres sortes de cellulesspécialisées. Les cellules extérieures avaient aussi perdu leur fonction decontraction et se spécialisaient uniquement dans la protection.

Les fonctions de contraction avaient été prises en charge par de véritablescellules musculaires, toujours divisées en deux grands groupes:

– celles qui étaient responsables de fairebouger les aliments dans la cavité digestive,qui obéissaient à un contrôle très local;

– celles qui étaient responsables de fairebouger l’animal dans son ensemble, quiavaient besoin d’exercer leur coordina-tion à plus grande échelle.

Afin d’être plus efficaces dans cette fonc-tion de coordination, les cellules nerveuses sesont multipliées et, au lieu du simple treillissans structure particulière hérité des cnidaires,elles en sont venues à former un réseau pri-mitif centré sur deux grosses tresses de cellulesnerveuses parallèles qui faisaient toute la

Ganglioncéphalique

Corde nerveuse

Système nerveux d’un planaire (ver plat)

Comme le montre ce schéma, lesnombreuses ramifications du systèmedigestif du ver plat occupent presque

tout l’intérieur de l’animal.

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

longueur de l’animal. De nombreuses ramifications reliaient ces deux cordes entreelles ainsi qu’avec chacune des cellules musculaires, de telle sorte qu’ellespouvaient les exciter en séquence pour produire un mouvement ondulatoire qui estparticulièrement harmonieux chez certaines espèces de vers plats vivant dans l’eau.

Ces deux fibres nerveuses sont donc devenues le véritable centre de contrôlede l’animal et, à une extrémité de chaque corde, il est apparu une boule decellules nerveuses appelée «ganglion céphalique». Avec cet ajout, les cellulesnerveuses contrôlaient les cellules musculaires, mais c’étaient ces ganglions quidirigeaient l’action des autres cellules nerveuses. C’est la forme la plus primitivede ce qui allait peu à peu se transformer en cerveau, un véritable centre dedécision doté de la capacité de savoir à quel moment donner aux muscles unordre plutôt qu’un autre.

L’apparition de ces ganglions à une extrémité de l’animal a une importanceadditionnelle quand on pense que les vers plats auraient pu adopter une toutautre symétrie. En effet, leur bouche n’est pas située près de l’extrémité, maisbien sur leur ventre, au milieu du corps, où elle sert tour à tour de point d’entréede la nourriture et de point de sortie des déchets. Les ganglions céphaliquesauraient donc pu se situer au milieu de chaque corde nerveuse ou, mieux encore,il aurait pu y en avoir un ou deux à chaque extrémité de l’animal. Au lieu de cela,mes ancêtres vers plats se sont retrouvés avec leurs deux ganglions céphaliquesà la même extrémité, ce qui leur a donné l’honneur de devenir le prototype dumodèle de base le plus populaire dans le monde animal, avec une symétrie

gauche-droite, mais une différence marquée entre l’avant et l’arrière ainsiqu’entre la face ventrale et la face dorsale. Cela s’appelle une «symétriebilatérale».

Ce phénomène a probablement été influencé par le fait que les ganglionscéphaliques de certains vers plats ont acquis des filaments nerveux qui se sontrendus jusqu’à la surface postérieure de la « tête » où des cellules sensibles à lalumière sont apparues. Ces «ocelles» n’étaient pas encore des yeux, mais ilsremplissaient déjà la fonction qui deviendra celle des yeux: renseigner le centrede décision (ganglions céphaliques) sur les conditions de l’environnement. Aveccette capacité de «voir» à une extrémité de leur corps, ces vers plats ont apprisà se déplacer de préférence dans cette direction, modèle qui a été repris de façonquasi universelle dans le monde animal.

Le prochain segment de notre sentier est un peu plus difficile à suivre, car iltraverse une époque appelée l’«explosion du Cambrien», au cours de laquelleles formes de vie ont évolué très rapidement et se sont multipliées. Bien que nousen perdions un peu la trace, nous savons que notre sentier a effectué plusieurs

 virages majeurs dans un temps très court, chaque virage servant à construire unpeu plus cet organisme hautement complexe dont nous, les vertébrés, avonshérité.

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Du Big Bang au Village planétaire

Tout d’abord, la symétrie bilatérale, à peine ébauchée par les vers plats, s’est vue confirmée par l’apparition d’animaux privilégiant nettement la formeallongée, avec une tête et une queue. Ces ancêtres des vers ronds ont remplacél’orifice central et ventral des vers plats par une véritable bouche placée à l’avantde l’animal et un anus situé à l’autre extrémité. Comme les déchets n’étaient plusrégurgités, mais plutôt excrétés, le mouvement de la nourriture se faisait toujoursdans la même direction, de l’avant vers l’arrière, ce qui permettrait éventuel-lement une spécialisation des diverses sections du tube, avec le découpage engros morceaux au début et l’extraction plus raffinée vers la fin.

On voit ici clairement la ligne de fond de l’évolution des animaux. L’épongen’était qu’une cavité créée pour emprisonner de la nourriture, entourée dequelques cellules périphériques qui lui assuraient forme et protection. Avec les

cnidaires, l’animal au complet était encore essentiellement constitué d’une cavitédigestive, mais celle-ci était soutenue dans son travail par quelques sortes decellules spécialisées qui remplissaient diverses fonctions. Avec les vers plats, lacavité digestive est devenue plus complexe, mais l’animal au complet restaitentièrement bâti autour d’elle; les cellules spécialisées se sont diversifiées etmultipliées, mais elles restaient trop dépendantes des cellules digestives pourconstituer de véritables systèmes fonctionnels. Enfin, avec les ancêtres des versronds, le tube digestif est devenu une entité en elle-même et le reste de l’animala pu se développer de façon plus autonome.

Le prochain virage s’est donc produit très peu de temps après l’apparition des

premiers vers ronds, et c’était une innovation majeure dans l’arrangement destissus situés entre le système digestif et la paroi extérieure. Grâce à ce changementde design, le système digestif en est venu à ne plus être collé directement à lasurface extérieure du corps, devenant un ensemble à toutes fins utiles détaché, unpeu comme une poche à l’intérieur d’une autre poche, ou comme une doublureamovible dans un manteau d’hiver. Cela a éventuellement permis à toutes sortesde structures internes spécialisées de voir le jour, comme notre petit intestin quiest replié sur lui-même de nombreuses fois ou l’estomac complexe des ruminants,deux innovations qui auraient été impossibles si la cavité digestive était restéecollée à la peau, comme c’est le cas chez les vers plats. L’espace libre entre les deux

poches est également devenu un milieu très propice à la formation de structuresnouvelles, comme les muscles, le système nerveux, le système circulatoire, etc.

Toutefois, cette «isolation» du système digestif du reste de l’animal présentaitun problème majeur. Tant que toutes les cellules restaient proches de la cavitédigestive, comme dans le cas des vers plats, elles pouvaient être alimentées pardiffusion des aliments d’une cellule à l’autre ou par le transport de la nourrituresur de courtes distances grâce à des cellules spécialisées. Comme ce mode departage direct n’était plus possible avec la nouvelle configuration, un systèmecirculatoire primitif est apparu chez les premières formes de vers segmentés,dont les vers de terre sont les descendants actuels les plus connus. C’était un

réseau de canaux qui entouraient le système digestif et distribuaient les produits

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

de la digestion à toutes les autrescellules de l’organisme, supprimantdu coup l’obligation d’avoir dessections du système digestif danstous les recoins de l’animal. Grâce àcette innovation, les cellules spécia-lisées ont pu se développer auxendroits les plus efficaces, permet-tant à ces premiers vers segmentés età leurs descendants de mettre aupoint de véritables systèmes spécia-lisés pour assurer chacune de leursfonctions vitales.

Le système circulatoire a également apporté une autre amélioration de taille.Les vers plats n’avaient d’autre choix que de rester plats parce qu’ils absorbaientl’oxygène par la peau, de telle sorte qu’aucune cellule ne pouvait être située très loinà l’intérieur de l’animal sous peine de manquer de ce déchet devenu indispensable.Avec le système circulatoire, mes ancêtres de cette lointaine époque distribuaientdonc à la fois l’oxygène en provenance de l’extérieur et les aliments en provenancede l’intérieur, ce qui leur a donné la chance de devenir plus épais (au sens littéral).Autre facteur non négligeable, le système circulatoire servait également à transporterles principaux déchets, comme le gaz carbonique, permettant à l’animal d’évacuerrapidement ces sous-produits toxiques et augmentant d’autant son efficacité. Avecune bonne alimentation en oxygène et une bonne évacuation du gaz carbonique,mes ancêtres de cette époque se sont dotés d’un métabolisme beaucoup plusperformant que celui dont ils avaient hérité de leurs ancêtres vers plats.

La période du Cambrien a vraiment été très riche en rebondissements, etmes ancêtres n’avaient pas sitôt acquis le système circulatoire que deuxaméliorations majeures faisaient leur apparition: le cœur et les branchies. Lesanimaux qui ont développé ces deux organes sont les derniers ancêtres que jepartage avec les mollusques (huîtres, moules, etc.), les crustacés (crevettes,homards, etc.) et les échinodermes (étoiles de mer, oursins, etc.). C’est donc à

cette époque qu’est apparu le cœur, une espèce de renflement de la principaleartère qui se contractait de façon périodique pour forcer le liquide à circulerdans tout le système.

En outre, avec un système circulatoire de plus en plus efficace dans ladistribution de nourriture et d’oxygène, il devenait nettement avantageux d’avoirun système plus performant que la peau pour obtenir l’oxygène. Notre sentier adonc connu un autre virage important quand mes ancêtres de ces mêmesgénérations ont acquis les branchies, organes qui leur permettaient d’extrairerapidement de plus grandes quantités d’oxygène en faisant circuler de l’eau autravers d’une espèce de labyrinthe où elle était mise en contact avec une

multitude de petits vaisseaux sanguins.

Système circulatoire

Système digestifCorde neurale

Schéma de la structure d’un ver segmenté

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Du Big Bang au Village planétaire

Quelque part parmi ces nombreux virages, notre sentier vers la complexité estpassé par une fourche dont les deux branches semblaient presque identiques àleur point de départ. Entre les deux options, il n’y avait qu’une petite différencede design, et celle-ci aurait pu sembler plutôt insignifiante voilà un peu plus de500 millions d’années. Pourtant, elle a évolué, jusqu’à devenir le premier critèrede discrimination dans le monde animal: le clivage entre les vertébrés, mafamille, et les invertébrés, nos lointains cousins.

Commençons par mentionner quela double corde nerveuse des vers platsavait été remplacée par une structureunique qui courait d’un bout à l’autrede l’animal et qui étendait ses rami-

fications à partir de cet axe central,essentiellement pour coordonnerl’action des muscles. La bouche étantdorénavant située à l’avant, elle étaitdevenue une des principales sourcesd’information à propos de l’environ-nement, et constituait la partie ducorps dont le contrôle était le plusimportant. Pour ces raisons, le «centrede décision» se devait de rester proche

de la bouche et, chez certaines espèces,ce qui sert de cerveau est un véritableanneau de cellules nerveuses situéestout autour de la bouche. Mais, à partirde cette bouche, il était tout aussipossible de faire passer la «tresse»principale (corde neurale) au-dessusdu système digestif qu’au-dessous.

On peut supposer que les ancêtresdes invertébrés se sont retrouvés avec leur corde neurale en position ventrale

parce que c’est ce qui était le plus sécuritaire pour eux. Comme à cette époquela vie de la plupart des pluricellulaires se passait en grande partie sur le sol, maisau fond de l’eau, il y avait plus de chances qu’une attaque provienne du haut quedu dessous. Comme il était également certainement plus facile de survivre aprèsavoir perdu une bouchée de muscles et d’intestins qu’après avoir perdu unebouchée du «nerf» principal, le système avec tresse neurale en dessous fut retenupar la sélection naturelle.

Les plus lointains ancêtres connus des vertébrés se sont retrouvés pour leurpart avec leur corde neurale en position dorsale, vraisemblablement parce quec’étaient des animaux qui nageaient la plupart du temps et qu’elle était ainsimieux protégée des ennemis et des proies, qui restaient au fond de l’eau.

Cerveau

A

B

Systèmedigestif

Systèmedigestif

Cerveau

Notocorde

Systèmenerveux

Systèmenerveux

Comparaison du plan corporel des invertébrés (A)et des vertébrés (B)

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

Or, c’est à cette même époque que le ganglion céphalique a commencé àprendre de plus en plus d’importance comme centre de décision capable decontrôler adéquatement les mouvements du corps dans sa recherche denourriture. La timide tentative de vision des vers plats se développa graduel-lement en de véritables yeux, et la boule de cellules nerveuses grossit sensi-blement afin de pouvoir traiter adéquatement l’information que ces yeux, labouche et les autres sources de renseignements fournissaient sur l’envi-ronnement.

Le problème que les invertébrés ont rencontré, c’est qu’il fallait tout de mêmequ’ils aient leurs yeux sur le dessus de leur tête, de telle sorte que leur cerveaus’est développé au-dessus de leur bouche, tout comme ce fut le cas pour les

 vertébrés. Mais, comme leur tresse neurale restait sur le ventre, il lui fallait

croiser le tube digestif au niveau de la gorge avant de pouvoir rejoindre lecerveau. Cela créait un véritable « engorgement», parce que la croissance dusystème nerveux entrait en compétition directe avec le bon fonctionnement dusystème digestif. Mes ancêtres n’avaient pas ce problème, car leur réseau nerveuxprincipal n’avait pas besoin de croiser leur système digestif.

Les véritables conséquences decette différence ne devinrent évi-dentes que plusieurs générationsplus tard, à mesure que le besoin dese protéger contre les grands pré-

dateurs s’est fait sentir. La peau quiservait de protection contre lesbactéries et les unicellulaires n’em-pêchait pas nécessairement uneméduse ou un ver plat de causer desérieux dommages. Or, si presque tous les animaux simples que nous avonsrencontrés jusqu’à présent avaient une capacité presque totale de se régénérerquand ils perdaient une partie de leur anatomie, ce n’était plus le cas avec lesanimaux plus complexes comme les cordés, ancêtresimmédiats des vertébrés, d’où le besoin accru de protection.

Avec leur corde neurale en position dorsale et en lignedroite avec le cerveau, mes ancêtres ont pu se contenter d’uneprotection minimale. Ils ont lentement acquis un simple«étui» de cartilages plutôt rigides qui en est venu à protégerleur corde neurale. De leur côté, les invertébrés ne pouvaientfaire appel à une solution aussi simple à cause du croisemententre leur système nerveux et leur système digestif au niveaude la gorge. C’est en partie ce problème qui les força à seconstruire une carapace beaucoup plus importante. Il fautd’ailleurs avouer qu’à cette époque leur formule a semblé

Trilobite

Corde nerveuse

Système circulatoire Système digestif

Notocorde

Schéma de la structure d’un cordé

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Du Big Bang au Village planétaire

nettement supérieure, surtout avec l’apparition des trilobites, ancêtres descrustacés, qui ont longtemps été les rois incontestés de la vie marine. (D’autresinvertébrés ont également eu cet avantage, beaucoup plus tard, quand les insectesont conquis les terres émergées et les ont dominées un bon moment avant quemes ancêtres sortent de l’eau à leur tour.)

Mais la carapace des invertébrés s’est révélée beaucoup moins avantageusequand mes ancêtres sont devenus des champions de nage toutes catégories. Car,outre qu’elle avait la capacité de protéger la moelle épinière, la structure de cartilagesoffrait un support idéal pour ancrer une série de muscles segmentés bien organisésde part et d’autre du corps. Il était donc beaucoup plus facile de faire de bonsnageurs avec mes ancêtres poissons, qui étaient clairement profilés pour se déplacerrapidement dans l’eau, qu’avec les ancêtres des homards et des crevettes, dont la

forme est aussi peu aérodynamique que le module lunaire des missions Apollo.Avec une bonne musculature, un début d’ossature, un système digestif 

indépendant et spécialisé, un système circulatoire avec pompe centrale associéeà des branchies, et l’ébauche d’un système nerveux complexe, mes ancêtres decette époque disposaient de tout ce dont ils avaient besoin pour devenir lescréatures de loin les plus rapides à être apparues jusqu’alors sur notre planète.

L’Arbre de la vie voilà à peu près 500 mill ions d’années

En plus des bactéries, à gauche, et des eucaryotes, au centre, il y avait de nombreuses « familles»de plantes et d’animaux, sur les deux branches de droite. Mes ancêtres cordés de cette époqueavaient déjà commencé le cheminement qui allait mener aux vertébrés.

cordés  hémicordés

échinodermes

annélidésbrachiopodes

arthropodes  c   h

  é  t  o  n

  o  g   a  t  e  s

  p   l  a  t   h  e

   l  m   i  n

  t   h  e  scténaires

cnidaires

ptéridiospermales

m  y  x  o m  y  c  è t  e s  e n t  a m o e b e s  

e u   g  l  é  n i  e n s  

m i  c  r  o s   p o r  i  d  i  e s  

b a c  t  é  r  i  e s   v  e r  t  e s   n o n  s  u  l  f   u  r  e u  s  e s  

b a c  t  é  r  i  e s   G  r  a m   p o s  i  t  i  v  e s  

c   y  a n o b a c  t  é  r  i  e s  

 g  i  a r  d  i  a s  

k  i  n é  t  o  p l  a s  m i  d  e s  

lycophytesbryophytes

algues

dorées

diatomées

algues jaunes

dinoflagellés

ciliés

éocytes

bactéries pourpréesflavobactéries

thermotogales

m é  t  h a n o  g è n e s h a l  o b a c t é  r  i  e s 

prochlorophycées

              a                      l              g      

               u              e              s 

                       b               r               u               n              e              s 

     é    p    o    n   g    e    s

   c    h   a   m

   p     i   g 

   n   o   n   s

   m   a   r   a    t    t    i   a

    l   e   s

                              a                                            l                              g            

                              u                              e                              s 

                               v                              e                              r

                                    t                               e                              s 

l      a    b        y     

r     i      n    t     h      u     l      a    l      e     s     

o   o   m     y   

x   

è    t    e   s   

s       p     

o     r     o     z     o     a     i       r     e     s     

myxomycètes à plasmides

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

De plus, en n’ayant que cette armure légère autour de leur corde nerveuse,mes ancêtres avaient la possibilité de devenir beaucoup plus gros que lesinvertébrés, dont la croissance a presque toujours été fortement gênée par laprésence de cette carapace extérieure encombrante. (À peu près les seulsinvertébrés dont la taille dépasse celle d’un rat sont issus de la famille despieuvres, et ils n’y sont arrivés qu’en abandonnant complètement leurs carapaces.D’ailleurs, ils restent pris avec le problème de l’engorgement.)

Nous voici donc rendus au moment où les poissons font leur apparition surnotre sentier vers la complexité. Ceux-ci avaient reçu de leurs ancêtres cordésun système digestif complexe divisé en sections spécialisées, un systèmecirculatoire bien ramifié doté d’un cœur primitif associé à une masse debranchies, une musculature symétrique et segmentée, et un système nerveux

central constitué essentiellement de la moelle épinière et de ses ramifications,les nerfs, mais qui commençait déjà à se diviser en sections spécialisées avecl’apparition du cerveau proprement dit.

Mais, dans un océan de plus en plusdominé par les crustacés, la nourriture avaittendance à devenir plus coriace afin derésister aux assauts de leurs pinces et de leursbouches faites à partir de matériaux durscomme la chitine. La bouche musculaire en

 ventouse héritée des cordés s’est rapidement

révélée insuffisante, de telle sorte que lasélection naturelle a amené les poissons àdévelopper à leur tour des tissus fermes(cartilages, os ou dents) autour de leurbouche afin de lui donner de la rigidité et dela force.

De plus, comme les crustacés avaient misau point des yeux qui leur donnaient une bienmeilleure perception de leur environnement, les pressions de la sélectionnaturelle ont fait en sorte que les poissons fassent de même afin de combattre àarmes égales. Tout comme les crustacés, ils ont alors développé leur cerveau demanière à pouvoir traiter rapidement l’information en provenance de la boucheet des yeux, et de l’interpréter de telle sorte que la moelle épinière soit en mesurede donner aux muscles des ordres clairs en temps voulu.

Avec la bouche, les yeux et le cerveau qui prenaient de plus en plusd’importance et qui étaient tous situés les uns près des autres, il y avait unavantage évolutif très clair pour les animaux dont l’anatomie offrait uneprotection supplémentaire à l’ensemble de la tête. Peu à peu, celle-ci a pris laforme d’une carapace de cartilage et d’os qui recouvrait tout l’avant de l’animal.

Lamproie, descendante directe des toutpremiers poissons sans mâchoire

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Du Big Bang au Village planétaire

La partie inférieure s’en est éventuellementdétachée et mes ancêtres poissons se sontretrouvés avec une véritable mâchoire mobileen os.

Mais, même avec cette protection localeau niveau de la tête, les poissons n’auraientpas pu survivre s’ils n’avaient pas étébeaucoup plus rapides que leurs cousinscrustacés, tellement plus robustes. Mes an-cêtres subissaient donc une forte pressionévolutive pour développer un système muscu-

laire encore plus performant que tout ce qui avait existé jusqu’alors.

Les poissons primitifs ont ensuite acquis une série de côtes en cartilage eten os de part et d’autre de leur colonne vertébrale. Les côtes assuraient unecertaine protection supplémentaire aux systèmes digestif et circulatoire, tout enservant de point d’appui additionnel aux muscles, assurant un surplus d’effi-cacité. Les poissons se sont aussi munis d’excroissances de la colonne vertébrale

 vers le haut et vers le bas à certains endroits stratégiques de leur corps. Celles-ci en sont venues à servir de propulseur en ce qui concerne la queue et degouvernail en ce qui concerne les autres nageoires dorsales et ventrales.

Une autre véritable innovation en matière d’évolution concerne l’apparition chez

certains poissons de quatre autres nageoires qui n’étaient pas de simplesprolongements de la colonne vertébrale. Chacune d’entre elles était constituée d’unréseau de cartilage ou d’os complètement indépendant et mobile, recouvert de peau,et actionné par un système musculaire différent du réseau principal. Ces véritables«pagaies» étaient situées de part et d’autre de l’axe principal, deux grosses situéestout juste derrière la tête, et deux autres plus petites situées vers l’arrière du ventre.Elles permettaient àl’animal d’avoir plus deforce et de vitesse, lors-que cela était requis, ouplus de précision, selonles circonstances. Avecl’apparition de ces na-geoires, le plan de basedes tétrapodes venaitd’apparaître.

Avec ces derniersajouts, mes ancêtres de l’époque ressemblaient probablement à de petits requins,ces poissons primitifs qui règnent en maîtres presque incontestés des mersdepuis plus de 400 millions d’années. Mais, contrairement aux requins et aux

raies actuels, qui n’ont conservé que les parties cartilagineuses de leur squelette,

Astraspis, poisson dont la têteétait recouverte d’une épaisse

carapace osseuse.

Machoiremobile

Crâne osseux

Nageoirepectorale (paire)

Nageoirepelvienne (paire)

Nageoireventrale

Nageoiresdorsales (simple)

Structures osseuses donnant aux poissons une protectionet faisant d’eux des maîtres nageurs.

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

mes ancêtres ont utilisé abondamment le calcium pour fortifier le leur et seconstituer un véritable squelette en os.

La partie la plus importante de ce squelette était évidemment le crâne, quiprotégeait le cerveau et les organes de perception. Ceux-ci se sont fortementspécialisés et se sont diversifiés. Ainsi, en plus de la vision et de la perceptionchimique offerte par la bouche, les poissons se sont dotés d’oreilles, d’un organeolfactif précurseur du nez, et parfois même d’autres organes qui n’ont pasd’équivalent pour nous, comme les barbillons tactiles autour de la bouche despoissons-chats. Avec toutes ces sources d’information, le cerveau a connu unecroissance rapide et il est devenu capable de reconstituer une véritable imagementale de l’environnement et d’orienter le comportement de l’animal enconséquence.

Avec leur forme hydrodynamique, leurs muscles puissants et leur cerveaucomplexe, les poissons se sont imposés comme les maîtres de la vie aquatique.Les invertébrés ont tenté de rester dans la course à la vitesse avec l’apparitiondes ammonites, qui ont mené aux pieuvres et aux calmars, mais leur succès aété plutôt limité.

Pourtant, pendant que la vitesse jouait unrôle central dans l’évolution de la majorité despoissons, ma petite famille à moi émergeaitd’une branche très marginale dont le dévelop-pement a été conditionné par un mode de vie

bien différent. Loin de devenir des championsde natation, mes ancêtres ont plutôt acquisquatre nageoires charnues, avec de gros os etdes muscles puissants qui leur permettaientde littéralement marcher au fond de l’eau, probablement dans des nappes d’eaupeu profondes et densément recouvertes de végétation.

Afin de donner plus de force à ces quatre nageoires, leurs os furent articulésdirectement à partir de la colonne vertébrale, de telle sorte qu’ils pouvaientsupporter tout le poids du corps si le besoin s’en faisait sentir. Chaque nageoirefut de plus séparée en trois parties distinctes, avec des articulations et un système

de muscles spécifiques à chaquepartie. Ainsi, la nageoire n’était plusune simple pagaie, mais bien une

 véritable patte articulée et capablede divers mouvements.

Cette innovation s’est révéléeparticulièrement utile pour mes loin-tains ancêtres qui vivaient dans certai-nes zones aux eaux peu profondes etsoumises à des assèchements pério-diques. Contrairement à leurs cousins

Poisson à nageoires charnues

Schéma de la structure osseuse des poissonsqui ont commencé à sortir de l’eau.

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Du Big Bang au Village planétaire

mieux équipés pour la nage, qui mouraient de suffocation lorsqu’ils étaient coincésdans des mares d’eau isolées, mes ancêtres pouvaient «marcher» d’une mare àl’autre. Cela leur donnait accès à une riche nourriture de plantes et d’invertébrés quiavaient déjà une longueur d’avance dans la colonisation de la terre ferme. Cetteexploration d’un nouvel habitat les mettait de plus à l’abri de prédateurs plus agilesqu’eux, comme les requins et autres grands poissons carnivores.

Mais cette nouvelle habitude de sortir de l’eau présentait un défi de taille,

étant donné que les branchies étaient inutiles dans ce nouveau milieu. Sans ladécouverte d’une source alternative d’oxygène, les excursions des poissons surla terre ferme seraient restées un phénomène marginal, et la grande famille des

 vertébrés terrestres n’aurait jamais vu le jour. La solution retenue par l’évolutionest d’autant plus élégante qu’elle a exploité un autre organe rendu inutile par la

 vie terrestre.

Cet organe, appelé «vessie natatoire», avait été formé par mes ancêtrespoissons pour y enfermer de l’air afin de contrôler leur flottaison. Cette vessiene leur servait plus sur la terre ferme, et elle était donc «disponible» pour évoluer

 vers d’autres fonctions. Chez certains poissons, la paroi de cette vessie contenait

L’Arbre de la vie voilà à peu près 450 mill ions d’années

Des familles de plantes et d’animaux de plus en plus « modernes » faisaient leur apparition, etmes ancêtres s’appelaient des «ostéolépiformes», ce qui veut dire qu’ils commençaient à avoir un véritable squelette en os.

ostéolépiformesdipneustes

actinisiens

paléopisciformes

chondrichthyens

cyclostomes

ostéostracéscordéshémicordés

annélidés

brachiopodes

arthropodes

algues brunes

labyrinthulales

myxomycètes à plasmides

dinoflagellés

ciliés

méthanogènes

halobactéries

cyanobactéries

prochlorophycées

bactéries pourprées

flavobactéries thermotogales

b a c t é r i e s  v e r t e s  n o n  s u l f  u r e u s e s 

b a c t é r i e s  G r a m  p o s i t i v e s 

s   p o r  o z  o a i  r  e s  

o  o  m   y  x  è  t  e  s  

m  

 y  x  o  m   y  c  è  t  e  s  

é   o  c   y  t  e  s     e  n  t  a  m  

o  e  b  e  s  

e  u   g  l   é   n  i   e  n  s  

k  i   n  é   t  o   p  l   a  s  m  i   d   e  s  

m  i   c  r  o  s   p  o  r  i   d   i   e  s  

 g  i   a  r  d   i   a  s  

algues jaunesdiatomées

       b     r     y     o

     p       h

     y      t    e    s

      f    o     u    g       è     r

    e    s

     m    a     r    a

     t     t      i    a       l    e    s

  é  c   h   i

  n  o  d

  e  r  m  e  s

  p   l  a

  t   h  e   l  m   i  n

  t   h  e  s

  c  t  é  n

  a   i  r  e  s

  c  n   i  d

  a   i  r  e  s

  p  t é  r  i

 d  i o s  p

 e  r  m  a  l e

 s

  l  y c o  p  h  y

  t e s

       c           h       a        m        p             i       g   

        n       o        n       s

   a    l   g   u   e   s   v   e   r    t   e   s

          é        p         o        n       g   

       e       s

       a           l       g   

        u       e       s           d

       o        r          é

       e       s

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

beaucoup de vaisseaux sanguins minuscules, et l’oxygène de l’air ambiant pouvaitainsi être transféré au système circulatoire. La recette étant efficace, la vessienatatoire a peu à peu été transformée en poumon, organe de captation d’oxygènebien supérieur aux branchies, car le pourcentage d’oxygène dans l’air est bienplus élevé que dans l’eau. Ainsi dotés de pattes et de poumons, mes ancêtresétaient devenus des amphibiens, aussi appelés «batraciens». Ils possédaient déjàun organisme très semblable au mien, un corps qui contient sensiblement lesmêmes os et les mêmes organes que mon petit corps à moi. À partir d’ici,l’évolution dans ma famille se fera principalement par des modifications auxorganes existants plutôt que par l’apparition de tout nouveaux organes.

Notre sentier vers la complexité passera peu de temps aux abords de cettemare d’eau, car le passage de la vie marine à la vie terrestre ouvrait à mes

ancêtres de cette époque de multiples niches écologiques tout à fait inédites. Eneffet, avant que les premiers poissons deviennent amphibiens, les terres émergéesavaient déjà été colonisées par les plantes et les invertébrés (insectes, vers, etc.).Il y avait donc une immense quantité de nourriture qui attirait ma familletoujours plus profondément à l’intérieur de ces territoires nouveaux et inconnus.

Un problème sérieux se présentait toutefois à ces batraciens aventureux.Même si leur organisme leur permettait de survivre en permanence hors de l’eau,les choses se compliquaient considérablement au moment de la reproduction.Les œufs de leurs ancêtres poissons et amphibiens étaient déposés dans l’eau etnon pas sur la terre ferme. Mes ancêtres explorateurs de la terre ferme devaient

donc soit retourner à l’eau pour pondre leurs œufs, soit mettre au point unenouvelle façon de produire des œufs qui puissent survivre ailleurs que dans l’eau.Ceux qui n’ont pas fait cette transition sont restés des amphibiens, tandis quemes ancêtres à moi sont devenus des reptiles. Bien qu’elle n’ait nécessité que peud’ajustements anatomiques majeurs, cette transition est particulièrementimportante parce que, à partir de ce moment, pour la première fois dansl’histoire de la vie, assurer sa descendance ne passait plus par la quantité, maisbien par la qualité.

La plupart des plantes, des animaux invertébrés, des poissons et desamphibiens fabriquent leurs «œufs» par milliers, par millions et même parmilliards dans certains cas. Or, comme l’équilibre écologique est à peu prèsmaintenu d’une génération à l’autre, il est inévitable qu’en moyenne un seul detous les rejetons produits au cours de la vie d’un érable, d’une mouche ou d’unsaumon deviendra un jour capable de se reproduire à son tour. (En réalité, pourles espèces sexuées, il faut plutôt dire que pour chaque paire d’individus faisantpartie d’une génération donnée, il y aura deux nouveaux individus pour prendreleur place à la génération suivante.)

La stratégie appliquée par toutes ces créatures consiste donc à engendrerune multitude de rejetons, dans l’espoir qu’un ou deux d’entre eux soit un jour

en mesure de transmettre les gènes de la famille à une génération de plus, et ce,

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Du Big Bang au Village planétaire

malgré le fait que la très, très, très vaste majorité finit dans l’estomac d’un préda-teur ou dans un autre endroit peu propice à sa survie. Les œufs produits dansde telles conditions ne pouvaient être que des «objets» relativement modestes,demandant un investissement minimal par unité, afin de pouvoir être produitsen quantités industrielles. Autrement dit, la quantité était privilégiée aux dépensde la qualité.

Profitant de l’eau, les invertébrés, les poissons et les amphibiens pouvaientse contenter de pondre des œufs ne contenant que très peu de nourriture. Cesœufs simples arrivaient rapidement à éclosion, et les larves qui en sortaientassuraient elles-mêmes leur croissance jusqu’à l’état adulte en puisant lanourriture dont elles avaient besoin dans le milieu ambiant. Par contre, la plupartd’entre elles servaient à leur tour de repas pour un autre animal. En pondant leurs

œufs loin de l’eau, les reptiles les mettaient à l’abri des prédateurs, mais ils seprivaient de cette source de nourriture, rendant le stade larvaire immensémentplus compliqué. Évoluant vers une tout autre stratégie reproductive, ils en vinrentà produire des œufs beaucoup plus gros, qui contenaient assez de nourriture pourpermettre au rejeton d’atteindre un développement suffisant pour assurer sasurvie. De plus, comme l’œuf de reptile ne baignait plus dans l’eau, il étaitimportant qu’il soit à peu près étanche et qu’il contienne déjà toute l’eau dontl’embryon allait avoir besoin pour assurer sa croissance jusqu’à la naissance.

Mais produire un gros œuf à coquille dure était une tâche beaucoup plusexigeante que fabriquer un petit œuf mou, et ce que les œufs des reptiles ont

gagné en «qualité», ils l’ont perdu en quantité. Au lieu de fabriquer desmultitudes de rejetons comme leurs ancêtres amphibiens et poissons, les reptilesen vinrent à n’en produire que quelques douzaines ou quelques centaines aucours de toute leur vie, investissant immensément plus d’énergie dans chacunafin d’augmenter sensiblement ses chances de survie. Dans ces conditions,chaque petit représentait un investissement beaucoup plus grand, tendance quiallait se poursuivre et culminer avec les grands mammifères, dont les humains.

Car il faut bien dire que mes ancêtres ne sont pas demeurés des reptiles bienlongtemps. Peu de temps après qu’ils se sont définitivement émancipés du milieuaquatique, le sentier vers la complexité les a entraînés dans une toute nouvelleaventure, qui les a amenés à également s’affranchir de leur dépendance enversla chaleur du Soleil.

C’est qu’il y avait en effet une autre différence majeure entre la vie dans l’eauet celle sur la terre ferme: la température. Dans l’eau, la température est plutôtstable, ne changeant à peu près pas du jour à la nuit, et à peine un peu au fil dessaisons. Un animal accoutumé à une région précise peut donc se fier que latempérature restera tout au long de sa vie à l’intérieur d’une fourchetteacceptable pour son métabolisme. L’air, par contre, change beaucoup de tem-pérature selon les saisons et peut même connaître des variations sensibles entre

le jour et la nuit. En conséquence, la plupart des reptiles sont inactifs la nuit,

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

 victimes d’une espèce de torpeur dont ils ne sortent qu’après avoir été réchauffésau matin par les rayons du Soleil.

Mes ancêtres de cette époque, appelés «reptiles mammaliens», ont éliminécette dépendance grâce à un tout nouveau métabolisme qui utilisait une partie dela nourriture pour garder leur températureinterne à un degré permettant de fonctionnerde façon moins dépendante de la températureextérieure. Par cette innovation, ils pouvaient

 vivre même la nuit, ce qui leur donnait un trèsnet avantage sur leurs cousins à sang froid. Enconséquence, pendant les dizaines de millionsd’années qui ont suivi, mes ancêtres et leurs

autres cousins mammaliens ont été les maîtressur la terre ferme, occupant le haut de laplupart des chaînes alimentaires, dominantnettement leurs cousins plus primitifs à sangfroid, les vrais reptiles et les amphibiens.

Cette suprématie a été brusquement inter-rompue à la fin du Permien, alors qu’unecatastrophe planétaire a éliminé une partsubstantielle de toutes les espèces animales et

 végétales. On n’en connaît pas la nature, mais

il semble qu’elle a très fortement favorisé lesreptiles à sang froid au détriment de mesancêtres à sang chaud. Les dinosaures, descen-dants des reptiles à sang froid, ont alors assuréleur suprématie sur mes ancêtres mamma-liens, obligés dès lors à ne vivre que la nuit.C’est donc dans un sous-bois obscur que nousretrouvons les mammifères primitifs en bor-dure de notre sentier vers la complexité.

Mentionnons d’entrée de jeu que la vienocturne a eu plusieurs bénéfices à long termepour notre lignée. Comme ils devaient trouverleurs proies dans le noir, mes ancêtres avaientun avantage évolutif certain à mieux voir,mieux entendre et mieux sentir leur envi-ronnement. Des organes d’une grande sensibi-lité sont ainsi apparus, ce qui a nécessité uncerveau encore plus volumineux et hautementperfectionné. Les câblages plutôt simples ducerveau hérité des reptiles ont apparemment

Vue en coupe d’un mammifère primitif 

Cortex (hémisphère cérébral)

Hémisphèrecérébral

Lobe optique

Cervelet

Bulbe rachidien

Hémisphèrecérébral

Lobe optique

Cervelet

Bulbe rachidien

Cervelet

Bulbe rachidienAire optique

Le développement du cerveau,des poissons (A) aux reptiles (B), puis

aux mammifères (C). Les partiesprimitives demeurent, mais de nouvelles

structures, comme le cortex, sedéveloppent littéralement «au-dessus»

des vieux organes et connaissentune croissance phénoménale

chez les mammifères.(Adapté de K. Arms et P.S. Camp, Biologie générale,1993, Éditions Études Vivantes, Québec, p. 786.)

A

B

C

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Du Big Bang au Village planétaire

été insuffisants pour traiter adéquatement la grande quantité de nouvellesinformations en provenance de leurs sens, et un second cerveau, appelé «cortex»,s’est formé par-dessus l’ancien cerveau reptilien.

Ainsi, ces tout premiers mammifères se retrouvèrent avec deux centresd’interprétation distincts, dont le plus récent répondait essentiellement auxbesoins de traiter de l’information et de donner à l’animal une image de plus en

plus précise et complexe de l’environnement au sein duquel il se trouvait. Cela voulait dire que, contrairement à l’ancien cerveau reptilien, dont la fonctionpremière était de contrôler le corps, ce nouveau cerveau n’était pas entièrementorienté sur l’action. Cela lui a permis de développer une plus grande capacitéd’abstraction, c’est-à-dire la possibilité de concevoir des images mentales sansque celles-ci soient automatiquement transformées en actions. La porte étaitainsi ouverte pour l’apparition d’animaux dont le comportement ne serait plusstrictement instinctif.

L’Arbre de la vie voilà à peu près 350 mill ions d’années

Les vertébrés étaient sortis de l’eau et, par la suite, les reptiles s’étaient séparés de leurs ancêtresamphibiens. Les reptiles avaient ensuite évolué et divergé en plusieurs grandes familles, dont lessynapsides, qui allaient bientôt engendrer les reptiles mammaliens.

synapsides

diapsides anapsides

captorhinidés

salamandres

grenouilles

dipneustes

actinisiens

paléopisciformes

requins

raies

cordés

hémicordés

cycadales

fougères

marattialesalgues jaunes

algues brunes

labyrinthulales

oomyxètess  p o r  o z  o a i  r  e s 

myxomycètes à plasmides

dinoflagellés

ciliés

méthanogènes

halobactérieséocytes

bactéries Gram positives

cyanobactéries

prochlorophycées

  b a c t é r  i

 e s  p o u r

 p r é e s

  f   l  a  v  o   b  a

  c  t  é  r  i  e  s

  t   h  e  r  m  o  t  o  g 

  a   l  e  s

b ac t é r i e s  v e r t e s  no n s ul f ur e us e s 

m  y x o m  y c è t e s e  n  t  a  m  o e  b e  s   g  i  a  r  d  i  a  s  

m i  c  r  o s   p o r  i  d  i  e s  

k  i  n é  t  o  p l  a s  m i  d  e s  

e u   g  l  é  n i  e n s  

  c   y

  c    l  o  s   t  o   m

  e  s   é  c    h    i   n

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  e  s

   a   r   t    h   r  o   p

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   e   s

                é            p               o            n            g                 e            s

  p  t  é  r  i  d  i  o  s  p

  e  r  m  a   l  e

  s

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            a            m            p                    i            g     

            n            o            n            s

 

a    l        g    u    e    s     v    

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a    l        g    u    e    s     d      

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   e   s

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

RELATIONS D’ENFANCE

(Entre –350 et –6 millions d’années)

Contrairement à presque tous les animaux qui les avaient précédés, mes ancêtresmammifères et nos cousins oiseaux auraient perdu leurs petits s’ils avaient eule réflexe de pondre leurs œufs et de disparaître avant la naissance de leurprogéniture, comme le font les saumons du Pacifique de façon tellementdramatique en se laissant mourir dans le plan d’eau où ils viennent de déposerleurs œufs fécondés. Pour assurer leur descendance, les animaux à sang chauddevaient au contraire protéger leurs petits des variations de température, et ce,au moins jusqu’à leur naissance. C’est ce que font les oiseaux en couvant leursœufs jusqu’à l’éclosion. C’est également ce que font les mammifères en gardant

l’embryon dans l’utérus de la femelle, plusieurs mois si nécessaire, jusqu’à ceque le petit ait atteint un état de développement comparable à celui qu’il auraits’il devait sortir de son œuf pour commencer sa vraie vie. Cette innovation alittéralement bouleversé les règles du jeu de la sélection naturelle et elle a permisl’apparition de plusieurs choses interdites auparavant.

Prenons l’exemple d’une petite tortue qui sort de sa coquille sur une plagedes îles du Sud. Sa mère l’a pondue dans le sable des semaines auparavant et estrepartie mener sa vie de tortue adulte dans l’océan. Comme les tortues pondentaux mêmes endroits depuis des millénaires, sinon depuis des millions d’années,l’éclosion de leurs œufs est attendue impatiemment par toutes sortes d’autres

animaux, comme les oiseaux et les crabes, qui raffolent de la chair tendre despetites tortues naissantes. À cause de cela, quand la petite tortue émerge de sonœuf et de son trou dans le sable, elle doit déjà avoir toutes les capacités physiqueset intellectuelles dont elle aura besoin pour survivre, car la vie ne lui offre aucunepériode d’apprentissage ou de développement postnatal. Il n’y a aucune chancede survie et de reproduction pour la petite tortue qui ne naît pas avec un corpsen parfait état de marche, un système nerveux déjà capable de le fairefonctionner, ainsi qu’avec un cerveau en mesure de se faire une idée juste del’environnement et de prendre les bonnes décisions selon les circonstances.

Maintenant, imaginons un gène «défectueux» qui donnerait à une petitetortue une musculature plus forte, mais qui fasse aussi en sorte qu’elle ait besoind’une heure ou deux d’apprentissage avant de bien maîtriser ses pattes. Cettepetite tortue serait peut-être un jour devenue une championne de nage toutescatégories, mais elle sera tout de même incapable de courir le jour de sanaissance et elle finira dans l’estomac d’un prédateur. Cette réalité est le lot de laplupart des invertébrés, des poissons et des reptiles, alors que les choses sontbien différentes pour les oiseaux et les mammifères.

Le fait d’avoir toujours au moins un des parents présent jusqu’à la naissancea en effet permis à nos deux familles de mettre au monde des petits qui ont la

chance de survivre jusqu’à l’âge adulte même s’ils sont incapables de prendre

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Du Big Bang au Village planétaire

soin d’eux-mêmes tout de suite, des rejetonsqui sont souvent même incapables de con-trôler leur propre corps de façon adéquatepour plusieurs heures, jours, semaines oumême plusieurs mois. Cela est tellement vraique les mammifères en sont venus à mettreau monde des petits dotés d’un systèmedigestif incapable de se nourrir avec quoi quece soit d’autre que du lait!

Mais, plus encore qu’au niveau physique,c’est au niveau intellectuel qu’il faut voirl’impact véritable des portes ouvertes par les

obligations parentales imposées par le sangchaud. Puisqu’ils pouvaient se permettre de venir au monde alors qu’ils n’avaient pas encore la capacité de prendre soind’eux-mêmes, la plupart des oiseaux et des mammifères en sont venus à naîtreavec un cerveau qui restait en grande partie «non programmé», un cerveau dontles principaux circuits contrôlant le comportement instinctif n’étaient pas encoreau point. En raison de ce phénomène, l’enfance est devenue beaucoup plusqu’une simple période au cours de laquelle le corps finissait de grandir.

C’était aussi, et peut-être surtout, une période au cours de laquelle le petitanimal pouvait «apprendre». Il commençait donc par apprendre comment

maîtriser son corps et, par la suite, il devait apprendre comment se comporter,de quoi avoir peur, où chercher sa nourriture, comment trouver un partenairesexuel, etc. Cette période d’éducation a permis une souplesse mentale bien plusgrande que ce qu’on retrouvait chez les animaux dont tous les comportementsétaient déjà inscrits sous forme d’instincts dans les connexions nerveusesprésentes à leur naissance dans leur cerveau et leur moelle épinière. Cette périoded’apprentissage appelée «enfance» a donc facilité grandement une augmentationimportante de l’intelligence, comme on peut le voir chez les oiseaux et chez nous,les mammifères, qui sommes beaucoup plus intelligents que nos cousins reptiles,poissons ou invertébrés.

Cette «plasticité» du cerveau des animaux à sang chaud a été illustrée defaçon magistrale et amusante par les expériences que le zoologiste autrichienKonrad Lorenz a menées sur les oies. Celui-ci a réussi à montrer qu’au momentde leur naissance, le cerveau des petites oies ne contient aucune image mentalede ce qu’est une oie, et qu’elles doivent acquérir cette image appelée «empreinte»au cours des heures qui suivent. Comme la plupart des oies grandissent enprésence de leur mère, elles acquièrent la bonne image et tout va bien. Enmettant un autre objet à la place de la mère au bon moment, Lorenz a constatéque pour les jeunes oies il était aussi facile de développer un attachement avecune image «non oie» qu’avec une image «oie», montrant ainsi que l’image «oie»

n’était pas imprimée à la naissance. Comme les comportements sexuels des oies

Les petits mammifères doivent téter

leur mère car ils ne peuventdigérer que du lait.

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

semblent pour leur part instinctifs plutôt que le fruit de l’apprentissage, Lorenzs’est retrouvé avec des oies adultes qui faisaient des parades nuptiales vis-à-visde l’empreinte (homme, chaise, etc.) qu’il leur avait donnée parce qu’elles étaientincapables de reconnaître leurs vraies congénères comme des partenaires sexuels

potentiels.De plus, comme l’enfance se passait très souvent en présence d’autres petits

de la même portée, elle est devenue un excellent laboratoire de socialisation.Pendant plusieurs jours, mois ou années, le petit mammifère était en contactavec ses congénères et s’en faisait une image mentale associée à des situations de

 jeu et de plaisir. C’est notamment pour cette raison que les oiseaux et lesmammifères en sont venus à manifester beaucoup plus de comportementssociaux qu’à peu près toutes les autres espèces animales.

Grâce à ces nouvelles réalités, les animaux à sang chaud ont eu l’occasion

de faire l’expérience du prochain «objet» important sur notre sentier: la famille.

L’Arbre de la vie voilà à peu près 150 mill ions d’années

À cette époque, les dinosaures régnaient sur notre planète et mes ancêtres n’étaient encore quedes mammifères primitifs.

mammifères primitifs

édentés

marsupiaux

monotrèmes

multituberculés

ankylosauresstégosauresornithropodes

cératopsiens

sauropodes

thérapodes

oiseaux

saumonsharengsanguilles r e q u

 i n s

raies

        p           t          é        r

       o       s       a        u        r       e

       s

   c   r   o

   c   o    d     i     l   e   s

     t   o    r     t    u

   e   s

  s  a    l  a

   m  a   n

  d   r  e  s

  g   r  e  n

  o  u   i   l   l  e

  s

  a  c  t   i  n   i  s   i

  e  n  s

  c   y   c    l  o   s   t  o

   m  e   s

   é  c    h    i   n

  o   d

  e   r   m

  e   s

    h   é   m    i  c

  o   r   d   é   s

  c  o   r   d

   é   s

    c     t      é     n

    a      i     r    e

    s

    p        l    a

     t      h    e

      l    m      i    n

     t      h    e    s 

       é     p       o     n     g       e     s 

    c     n      i      d

    a      i     r    e

    s

    c     h

    a    m    p  

     i    g      n    o    n    s 

   m   o   n   o   c   o    t   y     l    é

    d   o   n   s

    d     i   c

   o    t    y      l    é

    d   o    n

   s

   c   o   n    i    f    é

   r   a    l   e

   s

  a  r   t   h

  r  o  p  o

  d  e  s

  g    i  n   k   g 

  o  s

c      y    c    a    d      a    l      e    s      p    r    è     l      e    s    

f      o    u     g    è     r    e    s    m    a    r    a    t     t     i      a    l      e    s    

a    l       g    u    e    s     d      o    r    é     e    s    

d      i      a    t     o    m    é     e    s    

a    l       g    u    e    s       j      a    u    n    e    s    a    l       g    u    e    s     b    r    u    n    e    s    

myxomycètes à plasmides

o    o    m      y    x    è     t     e    s    

l   a  b   y  r  i   n  t  h  u  l   a  l   e  s  

s    p  o  r   o  z   o  

a  i    r   e  s   

c i l i é s 

e n t a m o e b e s e u  g l  é  n i  e n s k  i  n é  t  o  p l  a s m i  d  e s 

b a c t é r i e s  v e r t e s  n o n  s u l f  u r e u s e s b ac t é r i e s  G r am p o s i t i v e s 

c y ano b ac t é r i e s 

  t  h e  r  m

 o  t o g  a  l e

 s

   f   l  a  v  o

   b  a  c  t  é  r   i  e

  s

       b    a    c     t     é     r

      i    e    s      p    o     u

     r     p     r     é    e

    s

     p     r    o    c       h       l    o     r

    o     p       h     y 

    c     é    e    s

é  o c  y  t e s 

m é  t h a n o  g è n e s h a l o b a c t é r i e s 

m i c r o s p o r i d i e s 

 g  i  a r  d  i  a s  

dinoflagellés

a      l           g      u      e      s      

 v       e      r       t       e      

s      

  a  n  n  é   l   i  d

  é  s   b  r  a  c   h   i

  o  p  o  d

  e  s

  d   i  p  n  e

  u  s  t  e  s

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Du Big Bang au Village planétaire

Depuis que nous avons quitté le monde descoraux, notre parcours nous a amenés àrencontrer des animaux aux organismes deplus en plus complexes, mais nous n’avonsque peu parlé des relations que ceux-cientretenaient avec leurs congénères.

C’est parce qu’en fait, à quelques excep-tions près, il semble que la plupart desanimaux autres que les mammifères et lesoiseaux n’ont pas un cerveau assez développéleur permettant d’entrer en relation les unsavec les autres de façon à vraiment constituer

des structures réunissant plusieurs organismes. Il y a quelques exceptions dansplusieurs lignées, comme les abeilles, les requins ou les crocodiles du Nil, quiont une certaine vie familiale, mais il s’agit justement d’exceptions et, dans laplupart des cas, ce sont des espèces qui partagent plusieurs des caractéristiquesdes animaux à sang chaud, comme les soins aux petits, des formes de com-munication entre individus, le travail mis en commun, etc.

Chez la plupart des mammifères, ces caractéristiques revêtent une grandeimportance, et si chez certaines espèces la cellule familiale est dissoute aussitôtque les petits sont en mesure de prendre soin d’eux-mêmes, chez d’autresespèces, la famille dure de génération en génération sans discontinuité. C’est ce

qu’on peut observer, par exemple, chez les éléphants, dont les femelles cons-tituent des groupes qui peuvent rester stables depuis leur naissance jusqu’à leurmort, bien que les individus aient presque tous été remplacés entre-temps. À cetitre, une famille d’éléphants femelles constitue un «objet» en soi, une réalitéqui a une certaine existence au-delà de celle des individus qui la composent.

Notre sentier a pris un autre virage radical lorsqu’un météorite de la tailled’une montagne a frappé la Terre, débalançant les équilibres climatiques etentraînant l’extinction d’une part substantielle des espèces occupant la planèteà l’époque. Cette extinction massive a entraîné notamment la disparition desdinosaures, ces impressionnantes créatures à propos desquelles il y aurait tantà dire, mais que nous devons ignorer puisqu’elles ne font pas partie de mafamille.

Rejoignons donc mes ancêtres, juste après cette catastrophe, alors que toutessortes de niches écologiques ont été libérées. Débarrassés de leurs prédateursdinosaures, ces mammifères primitifs ont pu engendrer une grande quantité dedescendants et, en conséquence, une variabilité encore plus grande qu’en temps«normal». Les mutations ont pu exercer leur effet diversificateur sur cesnombreux rejetons et, comme il y avait de multiples milieux nouvellementdisponibles, les descendants des mammifères primitifs ont été sélectionnés de

génération en génération pour leur capacité à survivre dans diverses conditions.

L’enfance est une période de jeu pourla plupart des mammifères.

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

Des familles de plus en plus différentes les unes des autres sont donc apparuesen réponse aux nouvelles pressions environnementales qui s’exerçaient sur elles.

Du point de vue anatomique, ces diverses familles de mammifères ont toutesgardé à peu près le même plan de base, de telle sorte qu’à ce niveau il y arelativement peu de différences entre une chauve-souris, un lion, une vache etune baleine. Mais même si le plan de base restait le même, de nombreuxajustements se sont produits, donnant à chaque lignée la possibilité d’être mieuxadaptée à son nouvel environnement, del’occuper et de s’y perfectionner afin del’exploiter de mieux en mieux. Ainsi, leschauves-souris ont acquis des os plus légers,les lions des mâchoires plus fortes, les vaches

des estomacs plus complexes et les baleinesdes poumons plus volumineux. Ces évolutionsdivergentes ont été particulièrement mar-quées au niveau des pattes, comme on le voitavec les ailes des chauves-souris, les griffesdes félins, les sabots des ruminants et les na-geoires des baleines, qui sont véritablementquatre variations sur le même thème.

Mais, encore une fois, ma famille n’a pas participé à cette course à l’inno- vation. Alors que nos cousins adaptaient ainsi le plan de base hérité des

mammifères primitifs, mes ancêtres, qui étaient à l’époque semblables auxprosimiens actuels (lémurs, tarsiers, etc.), continuaient à mener le mode de viequ’ils menaient du temps des dinosaures. Comme ils continuaient à vivre le plussouvent la nuit, dans la forêt, à la recherche d’insectes, ils n’étaient l’objetd’aucune pression évolutive pour se débarrasser de la patte primitive à cinq doigts qu’ils avaient héritée des reptiles, et qui restait toujours très utile pourcirculer dans les arbres. C’est cet archaïsme qui allait leur permettre de profiterau maximum d’un tout nouveau phénomène, l’apparition des arbres à fruits. (Cenouveau virage sur notre sentier illustre une fois de plus comment notre histoirerepose souvent sur des inversions de logique qui provoquent des situations

particulièrement fertiles en ce qui regarde la progression vers la complexité.)Comme nous l’avons vu, mes ancêtres ont toujours mangé des végétaux ou

des animaux qui mangeaient des végétaux, et ce, depuis que les premierseucaryotes primitifs ont mis au point la membrane qui leur permettait d’avalerdes algues bleues et autres bactéries. Comme il s’agit d’un acte de prédation, onpeut supposer que les végétaux font ce qu’ils peuvent contre cette agression, d’oùl’apparition de mécanismes de défense comme l’écorce, les épines, la sèvetoxique, etc.

L’apparition des arbres fruitiers représente pourtant exactement la démarche

inverse. En fabriquant des fruits, ces arbres investissent beaucoup d’énergie à

RA

HU

CU

HU

CURA   RA

HU

CU

Quatre adaptations très différentesd’un même dessin de base:

chauve-souris, cheval, chat et baleine

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Du Big Bang au Village planétaire

produire des objets dont la seule fonctionsemble être de nourrir les animaux. Cela peutsembler étrange à première vue, mais, commetout le reste, si cette stratégie a émergé del’évolution, c’est parce qu’elle est efficace.

À quoi servent donc les fruits? À leurfaçon, les fruits font le même travail que lessamares qui tombent en virevoltant desérables au printemps: ils servent à transporterla graine loin de la plante mère. Bien sûr, lesbananes sont moins aérodynamiques que les samares et elles ont donc recoursà une trajectoire plus compliquée. Le principe est simplement qu’en fournissant

de la nourriture à l’animal, l’arbre l’amène à manger ses graines qui sont situéesau centre du fruit. Comme il est à peu près impossible de digérer les graines,certaines d’entre elles survivent au passage dans le tube digestif de l’animal etressortent quelques heures ou quelques jours plus tard, loin de l’arbre qui les afabriquées, et elles sont déposées au sol au milieu d’un tas d’excréments,environnement idéal pour leur germination.

Déjà habitués à chasser les insectes dans les branches des arbres, mesancêtres prosimiens étaient les mieux placés, avec les oiseaux, pour profiter decette nouvelle occasion qui s’offrait à eux. Afin de pouvoir se déplacer encoreplus facilement, ils ont peu à peu perdu leurs griffes au profit de pattes dotées

d’un pouce opposable, qui leur permettaient de prendre les branches à pleinemain au lieu de devoir y planter leurs griffes, comme le faisaient leurs ancêtreset comme le font toujours de nombreux rongeurs.

Une fois cette transformation réalisée, mes ancêtres ont peu à peu aban-donné leur vie nocturne, car il n’y avait que peu de prédateurs capables de lessuivre dans les hauteurs de la forêt. En adoptant un mode de vie diurne, ils ontperdu leurs grands yeux de primates primitifs et ont acquis une silhouette quinous est plus familière, celle des singes.

Grâce à ce mode de vie qui se déroulait essentiellement dans les arbres, mes

ancêtres de cette époque se sont graduellement dotés d’yeux capables nonseulement de voir en couleurs afin de distinguer les fruits au travers de la végétation, mais aussi d’yeux capables d’évaluer la distance, atout absolumentessentiel pour sauter rapidement de branche en branche lorsque le besoin s’enfaisait sentir. Avec une vision tellement améliorée, il leur était désormais possiblede se faire une représentation mentale de leur environnement en couleurs et entrois dimensions. Il va de soi que leur cortex s’est développé d’autant, la sélectionnaturelle favorisant les populations et les individus munis de cerveaux capablesde mieux traiter cette nouvelle information et de mieux l’intégrer aux schémasmentaux hérités de leurs ancêtres.

Plesiadapis, primate primitif 

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

C’est donc en partie en raison de ce mode de vie privilégié que les primatesen sont venus à posséder des cerveaux de plus en plus gros, jusqu’à devenir lafamille animale qui consacre le plus gros pourcentage de son poids à son systèmenerveux. Or, un plus gros cerveau signifiait un passage plus difficile entre leshanches de la mère au moment de la naissance, de telle sorte que les petitsprimates en sont venus à naître encore moins préparés pour la vie que ne le sontla moyenne des mammifères. Cela veut dire que ceux-ci naissaient avec uncerveau encore moins bien programmé, que l’instinct jouait un rôle encore moinsgrand dans leur vie, qu’ils devaient apprendre encore plus de choses, que leurenfance s’allongeait et qu’ils devenaient encore plus sociables de génération engénération.

L’Arbre de la vie voilà à peu près 50 mill ions d’années

Les dinosaures avaient disparu et mes ancêtres étaient devenus des primates. La vie n’a plustellement changé depuis cette date et cet arbre représente donc l’essentiel de ce qu’on trouveencore de nos jours sur notre jolie petite planète bleue.

primates

prosimiens   chauves-souris

insectivores

rongeurs

carnivores

éléphants

oiseaux

oiseaux

oiseaux

serpents

lézardssphénodontes

crocodilestortues

salamandres

grenouilles

saumonsharengs

anguilles

       c       o        r          d          é

       s

    h    é

   m    i   c   o

   r    d    é

   s

annélidés

brachiopodes

dicotylédons

monocotylédons

coniférales

ginkgos

cycadales

diatomées

algues jaunes

myxomycètes

dinoflagellés

ciliés

entamoebes

eugléniens

g i  a r  d  i  a s 

kinétoplasmides

éocytesméthanogènes

halobactéries

bactéries vertes non sulfureuses

bactéries Gram positives

cyanobactéries

prochlorophycées

bactéries pourprées

flavobactéries thermotogales

algues brunes

sporozoaires

l  a b  y  r  i  n t  h u l  a l  e s  o o m  y  x  è t  e s  

prèlesfougères

marattiales

   a   r   t    h   r   o   p   o    d   e   s

    é   c     h     i    n

   o    d

   e    r    m

   e   s

     p      l     a     t      h     e      l     m      i     n     t      h     e     s

   c   t    é   n   a    i   r   e   s

   c   n    i    d   a    i   r   e   s

   a    l   g   u   e   s   v   e   r   t   e   s

a    l       g    u    e    s     d      o    r    é     e    s    

requins

raies

 d  i p n e u

 s  t e s a c t

  i n  i s  i e n

 s

édentés

kangourouskoalas

opossumsmultituberculés

ongulés pairs

ongulés impairs

cétacés

monotrèmes     c      h     a     m     p      i     g     n     o     n     s

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Du Big Bang au Village planétaire

Après avoir passé quelques dizaines de millions d’années dans les arbres,notre sentier vers la complexité est redescendu au sol voilà une vingtaine demillions d’années, quand les grands singes sans queue ont fait leur apparition.Pour des raisons qui ne sont pas encore éclaircies, mes ancêtres de cette époqueont grossi considérablement par rapport à leurs ancêtres singes, ce qui signifiaitqu’ils ne pouvaient plus avoir accès aux hautes branches des arbres, mais aussiqu’ils étaient en meilleure posture pour se défendre contre les prédateurs quirôdaient au niveau du sol.

La principale conséquence de ce changement d’habitat semble avoir été unetendance à relever la colonne vertébrale, qui a pris une position à 45° plutôt queparallèle au sol, comme chez la très vaste majorité des vertébrés. La perte de laqueue est peut-être liée aux mêmes circonstances, car ma famille est également

un des très rares groupes de vertébrés à ne pas avoir conservé cet appendicehérité des poissons, et il est possible que son absence ait joué un rôle dans lepassage final à la position verticale.

Le changement d’angle de la colonne vertébrale a aussi eu une influence surle bassin, qui se retrouvait de plus en plus souvent à porter la quasi-totalité dupoids de l’animal. Pour ce faire, il était donc avantageux de développer un bassinplus fort, ce qui par contre nuisait encore plus au passage de la tête du bébé àl’accouchement. Si c’est surtout avec les australopithèques qu’on verra toutl’impact de ce changement, déjà chez les derniers ancêtres que nous partageonsavec les chimpanzés et les gorilles, les bébés sont venus au monde de moins en

moins «achevés», ayant besoin d’une période d’enfance de plus en plus longueet développant des comportements sociaux de plus en plus complexes.

L’enfance était aussi une période de jeu, c’est-à-dire une période où le petit animalpouvait «essayer» divers comportements sans que cela porte à conséquence. Il y adonc lieu de croire que, comme les chimpanzésadultes actuels, mes ancêtres de cette époquegardaient des comportements qui seraient vuscomme puérils chez d’autres espèces, commecourir pour le simple plaisir, faire des culbutes,

se chatouiller, s’embrasser, se donner de grandestapes dans le dos, etc. On suppose qu’ils avaientbeaucoup de contacts physiques comme lescaresses et l’élimination mutuelle des parasites vivant dans leur fourrure, ainsi que plusieursautres formes de communication comme lescris et les gesticulations, ainsi que les regards,mimiques et autres expressions faciales.

De plus, avec des mains, des yeux et un cerveau de plus en plus développés,ainsi que beaucoup de temps pour apprendre comment s’en servir, mes ancêtres

grands singes ont pu explorer toutes sortes de nouvelles façons d’utiliser leurs

Même adultes, les chimpanzésaiment jouer.

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

mains. C’est probablement ce qui leur a permis de découvrir, de fabriquer etd’utiliser certains «outils» pour se faciliter la vie. On trouve encore les traces deces découvertes chez nos cousins chimpanzés qui savent utiliser des pierres oudes branches pour casser des noix, se servir de brindilles pour attraper destermites et utiliser des feuilles pour se confectionner des sortes d’éponges afin deboire ou faire leur toilette.

Enfin, le sens de la famille a grandement augmenté à mesure que mesancêtres sont passés de prosimiens à primates et à grands singes sans queue,comme on peut encore l’observer chez nos cousins chimpanzés et gorilles. Ilssont parmi les créatures les plus sociables de tout le règne animal, entre autresraisons parce qu’ils ont une très longue enfance au cours de laquelle ils ont lachance d’apprendre les nombreux comportements interpersonnels transmis par

nos ancêtres communs.

TROISIÈME SEGMENT: L’INTELLIGENT

OUTILS ET SOCIÉTÉS

(Entre –6 millions d’années et 6 000 ans av. J.-C.)

Notre sentier vers la complexité quitte maintenant laforêt qui l’abritait depuis que les mammifères pri-

mitifs s’y étaient réfugiés du temps des dinosaures.Il nous entraîne dans un nouveau milieu, celui deshautes herbes de la savane africaine.

On considère généralement que notre lignée s’estséparée de celles des autres grands singes à partir dumoment où nos ancêtres ont opté définitivementpour la posture verticale. Ce changement est proba-blement survenu au moment où les forêts disparaissaient en Afrique orientale,mais il n’est pas clair s’il s’est produit un peu avant ou un peu après. Quoi qu’ilen soit, il est évident que la posture verticale pré-

sentait de très nets avantages pour se déplacer dansles hautes herbes de la savane. En plus d’une meil-leure vision à distance grâce à leurs yeux qui étaientplus loin du sol, mes ancêtres australopithèquesprésentaient une silhouette beaucoup plus discrèteaux yeux des grands félins prédateurs. La posture

 verticale permettait également de réduire la surfacecorporelle exposée aux rayons cruels du Soleilde midi.

Cependant, en éloignant leur tête du sol, mes ancêtres de cette époquerompaient avec une tradition qui remontait au moins jusqu’aux poissons, sinon

Vers la savane

Redressement de la colonne vertébrale

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plus loin encore. Avec sa bouche-porte-d’entrée-vers-l’estomac et ses organes deperception, la tête avait toujours été le fer delance de l’animal, son principal moyen deprédation et souvent son meilleur outil dedéfense. En enlevant à la tête sa positiond’avant-garde, les australopithèques ontouvert la porte à une forte diminution de lamâchoire. Or, comme les muscles de lamâchoire étaient attachés au crâne, leureffacement progressif a en quelque sortelibéré la boîte crânienne, qui pouvait ainsimieux accommoder la croissance du cerveau

et surtout l’expansion de sa composante laplus récente, le néo-cortex.

Par contre, la posture pleinement verticale mettait encore plus de pressionsur les os du bassin, qui devaient désormais porter le poids de presque toutl’animal en permanence. Ces modifications avaient tendance à resserrer encoreplus le passage par lequel les bébés devaient passer à la naissance, et donc àdiminuer encore plus la taille de leur tête et de leur cerveau. Le compromis entreces deux tendances contradictoires fut double : d’abord, l’enfant vint au mondede plus en plus tôt durant la gestation, au point que, sur plusieurs pointsanatomiques majeurs, un être humain est essentiellement un avorton dechimpanzé né avant terme; ensuite, comme un enfant tellement prématuré nepouvait pas terminer adéquatement la préparation de son cerveau et de sonsystème nerveux, le petit humain est un des rares animaux dont le systèmenerveux continue son développement jusqu’à une quinzaine d’années après qu’ila commencé à respirer.

Ces circonstances exceptionnelles ont été encore plus importantes du faitque les australopithèques étaient particulièrement mal équipés pour survivredans la savane. Ils n’y trouvaient ni fruits ni noix, et les petits animaux y étaientbeaucoup moins nombreux que dans la forêt. Les deux choses abondantes dans

ce nouveau milieu étaient des herbes, que leurs estomacs étaient essentiellementincapables de digérer, et de grands ruminants qu’ils étaient à peu près incapablesde tuer. Et même si, par miracle, il leur arrivait de tomber sur un animal mortavant leurs compétiteurs, ils n’avaient ni crocs ni griffes pour déchirer le cuir etatteindre rapidement la viande avant que l’odeur du sang ne rameute tous lesprédateurs et charognards du secteur.

Il est probable que, très souvent, nos ancêtres australopithèques n’avaientaccès à la carcasse qu’après que celle-ci ait été nettoyée tour à tour par les lions,les hyènes et les vautours, alors qu’il ne restait plus guère que les os. C’est ainsi,croit-on, que mes lointains ancêtres se sont retrouvés dans l’obligation de trouver

une façon de casser les gros os durs qui avaient résisté aux crocs des hyènes et

Récession de la mâchoire etaugmentation de la boîte crânienne

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

aux coups de becs de vautours. Pour y arriver,ils ont utilisé la bonne vieille recette que leursancêtres avaient mise au point pour casser lesnoix: mettre l’objet en question sur une sur-face dure et cogner dessus avec une pierre

 jusqu’à ce qu’il éclate. Cela leur permettaitd’avoir accès à la riche moelle, et peut-êtremême parfois à la cervelle d’une bête à la têteparticulièrement dure. Joli décor pour lanaissance de l’humanité…

Mes ancêtres ont dû peu à peu comprendreque les pierres pointues avaient un meilleur

pouvoir de pénétration que les autres, et onpeut aisément imaginer que, pendant des centaines de milliers d’années, lespierres qui étaient à la fois pointues et très dures ont été précieusement gardéeset transmises de génération en génération. En apprenant à mieux maîtriser lesmuscles de leurs mains et de leurs bras, ces dernières générations préhumainesont pu découvrir divers usages aux pierres pointues ou coupantes, notammentpour creuser la terre afin d’en extraire les tubercules et pour séparer plusrapidement la viande des carcasses quand ils avaient la chance de trouver unebête morte avant les autres charognards.

Cette accumulation de connaissances au

sujet des pierres a éventuellement mené cer-tains de mes ancêtres à se rendre compte qu’ilétait possible de rendre une pierre encore pluspointue en la frappant contre d’autres pierres.Ce travail de leurs mains a grandement accruleur dextérité, mais aussi, et surtout, lacoordination entre leurs yeux, leur cerveau etleurs mains. (On imagine sans peine qu’il adû y avoir de nombreux pouces écrasés aucours des millions d’années qu’a duré cet

apprentissage.)Par ailleurs, on sait que les chimpanzés ont un cerveau capable d’apprendre

des centaines de mots du langage gestuel. Il est donc probable que mes ancêtresaustralopithèques, proches cousins des ancêtres des chimpanzés, ont peu à peudéveloppé des moyens de communiquer efficacement entre eux. De plus,l’enseignement de l’art de fabriquer et d’utiliser les pierres a dû créer un besoinde plus en plus fort de communication efficace afin que les techniques puissentêtre transmises correctement d’une génération à l’autre.

Le langage s’est probablement aussi développé en partie parce que les outils

ont aidé mes ancêtres à devenir des chasseurs. En effet, malgré l’apparition de

Briser des os.

Tailler des pierres.

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Du Big Bang au Village planétaire

pierres pointues, la chasse dans la savane restait un travail de groupe, ce quisuppose qu’il y avait un avantage évolutif signifiant pour les bandes dont lesindividus pouvaient communiquer assez bien. Cela leur permettait de mieuxcoordonner leurs activités, non seulement pendant la chasse elle-même, maisavant même qu’elle commence, par la préparation de stratégies de plus en pluspoussées. Ce nouvel élément a certainement contribué lui aussi à renforcer lecycle de la socialisation.

Ainsi, on peut supposer que les premiers humains ont peu à peu instauré untype de rapports entre eux qui a fini par dépasser largement les quelquesstructures hiérarchiques qu’on trouve chez les grands singes. Les posturessymboliques de soumission, de menace ou d’affection, qu’on observe chez denombreux mammifères, ont dû évoluer vers des formes de plus en plus raffinées

pour exprimer les émotions, unissant la posture, les expressions faciales et lessons en un registre qui aura graduellement gagné en précision et en diversité, jusqu’à ce que communiquer des émotions ou des intentions d’action devienneune activité relativement facile.

Enfin, il y a lieu de croire que le sens de la famille a joué un rôle importantdans le fait que nos ancêtres ont pu survivre dans les dures conditions de lasavane et donner naissance à l’animal humain. On sait que le partage denourriture se produit occasionnellement au sein des familles de grands singeset qu’il est parfois utilisé de façon très «sociale», comme pour cimenter unealliance, signifier la soumission ou même acheter des faveurs sexuelles. Il semble

que, dans la savane, la rareté de la nourriture aurait rendu ce partage absolumentindispensable, de telle sorte que les seules lignées qui ont survécu ont été cellesdont les mâles étaient prêts à partager le maigre produit de leur chasse avec leurfemelle et leurs petits. Cette pression évolutive aurait grandement aidé àconsolider la cellule familiale de base monogame, avec un seul mâle et une seulefemelle qui restent ensemble plusieurs années afin de pouvoir élever leurs jeunes

 jusqu’à la maturité.

L’outil de pierre taillée, symbole par excellence du passage de l’animal àl’humain, n’était pas seulement le fruit des efforts d’un individu, mais bienl’«incarnation momentanée» d’un concept et d’une technique hérités desgénérations passées. On peut donc faire un parallèle entre l’outil et l’organe quiest l’«incarnation momentanée» d’une recette génétique propre à chaque espèce.

Tout comme l’organe, l’outil s’est amélioré lentement de génération en géné-ration, essentiellement par un processus d’essais multiples et de sélection desmeilleurs résultats. Les outils de pierre sont le symbole de la vie en société, commel’organe est le symbole de la vie commune des cellules au sein d’organismes.À partir de ce point sur notre sentier, c’est la société qui devient une structureactive à fabriquer du soi-même, d’abord sous forme d’individus partageant lamême culture, et ensuite sous la forme d’objets de plus en plus variés.

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

Avec la vie sociale et le langage à leur disposition pour accumuler lesconnaissances, les humains sont d’abord devenus les meilleurs prédateurs de laplanète, capables d’abattre jusqu’aux majestueux mammouths qui n’avaient

 jamais servi de proie à aucun fauve. Lesimpressionnantes scènes de chasse peintessur les parois rocheuses de certaines grottestémoignent d’ailleurs de l’état de communionintime de mes ancêtres de cette époque avecleurs proies. Toutefois, alors même que leshumains atteignaient le sommet de leurpuissance et de leur art en tant que chasseurs,la même accumulation de connaissances leura permis de se libérer des aléas de la cueillette

et de la chasse en devenant éleveurs et agri-culteurs.

Par ailleurs, tout au long de la Préhistoire, à mesure que mes ancêtres sesocialisaient, les bandes composées de quelques douzaines d’individus qu’ilsconstituaient au début sont devenues de plus en plus importantes. Elles ont prisla forme de familles élargies, incluant des centaines de parents, avant d’éventuel-lement se transformer en véritables clans répartis sur tout un territoire. Quandils ont délaissé la chasse au profit de l’agriculture, les clans en sont venus àinclure dans le réseau des cousins de plus en plus lointains, vivant dans le même

 village ou encore dans les villages voisins. La cellule familiale restait au cœur dela vie sociale, mais elle s’intégrait désormais dans des communautés dont lesmembres n’étaient pas nécessairement tous des cousins proches, mais quipartageaient des choses devenues peut-être tout aussi importantes que les gènes,comme la langue, la religion, les émotions, la façon de s’habiller, les préférencesalimentaires, etc.

N’étant plus dépendants des migrations d’animaux pour bien manger, leshumains ont pu s’installer près des terres les plus propices à l’élevage et àl’agriculture. Cet enracinement des communautés humaines à une terre parti-culière les a amenées à former des groupes de plus en plus grands, la structure

familiale héritée des grands singes étant peu à peu élargie.Toujours grâce à l’accumulation de connaissances, l’agriculture est devenue

de plus en plus productive et les humains pouvaient se nourrir en investissantmoins de temps et d’énergie qu’en chassant. Ce surplus de productivité a amenédu «temps libre» qui a permis à quelques individus d’acquérir des habiletés(fabriquer de meilleurs outils, mieux préparer les aliments, bâtir de meilleursabris, découvrir de nouveaux tissus, etc.). Par un processus semblable à laspécialisation des cellules, certains humains se sont spécialisés, ce qui a rendula société plus efficace et permis encore plus de spécialisation, etc.

Peintures rupestres

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Du Big Bang au Village planétaire

Dans ce nouveau contexte, la survie des individus n’était plus le simple fruitdes efforts de chacun, mais bien de ceux de toute la communauté, et même detoute la culture à laquelle ils appartenaient. En effet, la vie de village permettaitnon seulement une meilleure protection contre les prédateurs animaux ethumains, mais encore elle facilitait une certaine mise en commun des ressourcesqui permettait d’assurer un minimum vital à chaque famille, sauf lorsque tout le

 village était frappé par la famine.

La vie de village permettait aussi d’entreprendre des travaux d’aménagementqui auraient été impensables pour les familles individuelles, comme creuser despuits collectifs, assécher des marais, irriguer des terres stériles, etc. Cela sup-posait également que chaque famille acceptait un certain nombre de règles quidéterminaient un partage plus ou moins équitable des efforts et des bénéfices.

Enfin, si les familles de cette époque étaient en mesure de produire autantde nourriture, c’est parce que leur communauté leur avait communiqué unefoule de connaissances essentielles à propos de la terre, des plantes et desanimaux. Ces connaissances n’étaient pas encore codifiées en livres, mais ellesn’en étaient pas moins transmises de génération en génération dans les façons defaire, les outils utilisés, les semences préférées et même parfois dans des légendeset des récits mythiques.

Les individus de cette époque n’étaient déjà plus seulement un ensemble departicules réunies en atomes, eux-mêmes organisés en molécules, lesquelles sont

structurées en macromolécules qui forment des cellules, qui sont assemblées enorganisme; mes ancêtres de la fin de la Préhistoire devenaient eux-mêmes lesunités de «structures» supérieures comme la famille et le village, parfois mêmele clan ou la nation.

Je crois qu’on peut établir plusieurs parallèles entre ces premières vraiessociétés humaines et les premiers vrais animaux pluricellulaires: les éponges.Tout d’abord, il y a une similitude entre les circonstances qui ont amené lescellules à s’unir en organismes et celles qui ont entraîné les bandes d’humains às’unir en villages. Les ancêtres immédiats des éponges étaient des créaturesunicellulaires qui se déplaçaient constamment à la recherche de leur nourriture,

mode de vie qu’elles ont abandonné pour se fixer en colonies afin de mieuxexploiter les ressources en nourriture de leur environnement. De façon semblable,quoique beaucoup plus consciente, les ancêtres immédiats des villages étaientdes bandes de nomades qui se sont établies en colonies pour mieux exploiter lesressources en nourriture de leur environnement. La stratégie des éponges a étéefficace et celles-ci ont proliféré, comme la stratégie des villages a été efficace etleurs populations ont rapidement explosé.

Il y a également une grande ressemblance dans le fait que les cellules deséponges ne sont presque pas spécialisées, ce qui veut dire que chacune d’entreelles est encore capable d’effectuer la plupart des tâches nécessaires à sa survie

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

et, donc, que la plupart d’entre elles pourraient presque vivre de façon autonomesi le besoin s’en faisait sentir. De la même façon, les familles qui se sont réuniespour former les premiers villages étaient constituées d’individus peu spécialisés,capables de répondre eux-mêmes à l’ensemble de leurs besoins, de telle sorteque chacun d’entre eux, ou tout au moins chaque famille, aurait pu survivre sansle village si le besoin s’en était fait sentir.

En définitive, les deux situations se ressemblent parce que les premiersorganismes pluricellulaires ont ouvert la porte à la spécialisation des cellules,tout comme les communautés humaines à l’aube de la civilisation ont préparé leterrain à la spécialisation des individus et des familles. C’est ainsi que sontapparus les premiers artisans de la poterie, de la céramique, du tissage de fibreset de la confection de vêtements, du travail du métal, etc.

DU VILLAGE À L’EMPIRE MONDIAL

(Entre 6 000 ans av. J.-C. et 1850)

À partir du moment où les humains se sont sédentarisés, ils ont commencé à vivre en groupes de plus en plus grands, ce qui les a amenés à se donner desstructures sociales beaucoup plus importantes.

Notre sentier vers la complexité nous dirige maintenant dans une des valléesfertiles du Moyen-Orient où nous retrouvons un village d’humains installés surdes terres riches en bordure d’un grand fleuve. Certaines familles gardaient deschèvres, tandis que d’autres faisaient pousser du blé, et parfois elles échangeaiententre elles leurs surplus de farine, de lait ou de laine. Grâce à ces excédentsalimentaires, leur société avait les moyens de répondre aux besoins de quelquesfamilles qui avaient eu la chance de délaisser les travaux agricoles au profitd’activités artisanales.

Or, toute personne ou toute famille dont l’activité principale n’était pas deproduire ses propres aliments devenait automatiquement un rouage dans unestructure sociale. Tout comme la cellule au sein d’un organisme pluricellulaire,

cette famille n’assurait plus sa survie de façon indépendante, mais bien commeun élément d’une structure plus importante. Tout comme les organismes ontévolué pour passer de simples colonies de cellules à des «objets» en soi, lessociétés ont évolué pour passer de simples groupements d’individus et de famillespour devenir de plus en plus des réalités qui avaient leur propre dynamique,obéissant à des facteurs qui dépassaient les règles régissant leurs partiesconstituantes.

La présence des artisans augmentait grandement l’efficacité et la qualité de vie de toute la communauté, qui pouvait ainsi prospérer de génération engénération. Cette présence exerçait également un attrait pour les autres com-

munautés de la vallée, de sorte que le petit village grossissait sans cesse, pouvait

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Du Big Bang au Village planétaire

faire vivre encore plus d’artisans, ce qui améliorait encore plus l’efficacitécollective, etc.

Les échanges se sont ensuite étendus entre les villages, souvent parl’entremise de familles ayant des parents dans les deux régions. Même lesnomades des forêts pouvaient échanger du poisson, du gibier et des peaux contredes tissus, du blé ou de la poterie provenant de la vallée. C’était le début ducommerce. Les villages situés sur les voies de communication ont profité de cepremier boom économique de l’histoire et certains d’entre eux ont pu setransformer en petites villes dominant leur secteur.

Dans les régions rurales, les clans sont demeurés la principale structurepolitique, militaire et commerciale, et ce jusqu’au XXIe siècle dans certains payscomme l’Afghanistan. Mais là où la civilisation urbaine s’installait, un tissu social

beaucoup plus complexe se développait. Il comprenait certes encore de nom-breux liens familiaux, mais à ceux-ci venaient se superposer toutes sortes d’autresrelations entre individus, familles et clans. En ville, le voisin n’étant plus nécessai-rement un cousin, on ne pouvait donc plus faire appel au chef de clan pour réglerune dispute de clôture; des structures sociales plus complexes sont doncapparues pour régir les relations et faire régner la paix entre voisins.

Contrairement à la famille paysanne qui produisait elle-même sa nourritureet achetait quelques produits seulement, le plus souvent à de proches parents,la famille citadine devait se procurer une part beaucoup plus importante de sa

nourriture auprès de purs étrangers. Alors que la plupart des habitants des zonesrurales vivaient et travaillaient en contact constant avec d’autres membres deleur clan, les habitants des villes travaillaient souvent avec des étrangers dont lafamille venait d’un autre village, d’un autre clan, voire d’un autre royaume. Enconséquence, des systèmes de collecte et de distribution des vivres et autresproduits sont apparus, entraînant l’invention de la monnaie ainsi que des poidset mesures contrôlés par le roi.

Cette régionalisation et l’apparition des villes ont permis l’émergence decultures encore plus riches, de modes de vie toujours plus confortables et destructures sociales de plus en plus complexes. À mesure que la productivité de ces

sociétés augmentait, elles pouvaient se permettre de dégager de plus en plus depersonnes des tâches strictement liées à la production de nourriture, et laquantité de personnes exerçant des métiers non agricoles se multiplia rapi-dement, autant en quantité qu’en variété. Cette spécialisation permettaitd’explorer encore plus de nouvelles techniques, qui amélioraient toujours plus laproductivité, etc. Cela a permis l’émergence des plus grands cadeaux del’Antiquité à l’humanité, soit l’écriture, les arts, les sciences, les techniques deconstruction, de navigation, etc.

On pourrait comparer cette étape dans le développement des sociétés à celledes vers plats dans l’évolution animale. On se souviendra que le ver plat resteessentiellement un simple système digestif entouré de quelques outils d’appoint.

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

Par contre, il est déjà plus complexe que le polype de corail, car ses cellulesspécialisées (nerfs, muscles, etc.) ont commencé à former des systèmes. Dans lemême ordre d’idées, les sociétés de la fin de la Préhistoire étaient encore essen-tiellement des «machines sociales» à produire de la nourriture, et seulementune infime minorité de leur population pouvait se consacrer à d’autres tâches.Ces quelques individus ont tout de même joué un rôle similaire à celui despremières cellules spécialisées qui se sont groupées en systèmes, ce qui a permisune véritable prise en charge communautaire de la plupart des besoins de chaquecellule.

De la même façon, les premières familles à délaisser la production agricoleont peu à peu tissé des réseaux commerciaux et politiques qui ont graduellementpris en charge la plupart des besoins des autres familles en ce qui regarde la

protection contre les prédateurs, la planification à long terme, l’accumulationdes connaissances, la répartition des surplus, etc. C’est l’apparition de ces divers«organes» sociaux qui a permis l’émergence de la civilisation.

Un peu avant l’émergence des grandes civilisations de l’Antiquité, les pre-mières grandes villes sont apparues sur les rives du Nil et de quelques grandsfleuves d’Asie. Ces villes étaient généralement dotées d’un gouvernement stablebasé sur la famille régnante. On y trouvait souvent une armée de métier et desfortifications, de nombreuses entreprises familiales, ainsi que des réseaux dedistribution pour la nourriture et les autres produits essentiels. La productionde nourriture occupait encore la vaste majorité de la population de la région,

mais cette production était dorénavant bien encadrée, les surplus étant utiliséspour nourrir les populations croissantes des villes qui pouvaient ainsi seconsacrer à toutes sortes d’autres activités.

Ces villes n’étaient plus seulement la place de marché pour les villages desalentours; elles étaient devenues des chefs de file de régions comprenantquelques autres villes de moindre importance et parfois des centaines de villages.Elles avaient également commencé à établir des liens commerciaux avec desrégions plus éloignées, ce qui a souvent entraîné l’enrichissement mutuel, maisaussi parfois des conflits d’intérêts qui dégénéraient à l’occasion en conflits armésentre deux puissances régionales.

Ce type de communauté humaine pourrait être comparé au degré d’organi-sation atteint par les animaux comme les vers de terre, qui disposent d’unsystème digestif bien organisé et bien localisé, ce qui les a obligés à développerun système circulatoire pour distribuer la nourriture aux autres cellules. Lesurplus d’efficacité engendré par cette meilleure organisation de l’espace leur apermis de développer une musculature plus efficace et un système nerveuxcentral plein de promesses.

De la même façon, les sociétés humaines de l’Antiquité étaient des «objets»bien intégrés, et le bien-être de chacun était déjà dépendant des services renduspar tous les autres systèmes sociaux. Tout le monde dépendait des communautés

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Du Big Bang au Village planétaire

agricoles pour leur nourriture, mais celles-ci dépendaient également des autresmembres de la société qui assuraient leur protection, leur offraient la justice,leur construisaient des temples, confectionnaient des vêtements et fabriquaientdes outils, prévoyaient les crues du fleuve pour mieux planifier les labours et lessemailles, etc. La société était devenue une entité en soi, avec sa dynamiquepropre qui transcendait celles des villages et des familles, et qui était dorénavantplus qu’une simple extension de la fonction alimentaire.

Au milieu de l’Antiquité, entre 3000 et 1000 ans avant l’ère chrétienne,certaines villes étaient devenues de grandes capitales. En plus d’une familleroyale, elles contenaient toute une aristocratie ainsi que des dizaines de milliersd’autres humains répartis entre plusieurs douzaines de spécialisations dutravail: on était boucher, boulanger, maçon, menuisier, soldat, employé d’entre-

pôt, débardeur, prêtre, teinturier, artisan, artiste, etc. Leurs souverains organi-saient de grands travaux d’irrigation et de contrôle des crues, ce qui rendait laproduction d’aliments encore plus facile.

C’est également à cette époque que sont apparues les premières grandesœuvres architecturales comme les pyramides, ainsi que des institutions qui ontété à l’origine de structures sociales comme les compagnies et les ministères.Ces institutions ont connu une évolution qui présente beaucoup de similitudesavec la façon dont les organes se sont développés chez les animaux. Dans les

MITANNI

ASSYRIE

CHALDÉE

BABYLONIE

AKKAD

SUMER

ÉLAM

SYRIE

MÉSOPOTAMIE ANCIENNE

Karkemish

Mari

Assour

Nimroud(Kalhou)

Ninive

Khursabad(Sour Shamouken)

Nouzi(Gasour)

Jarmo

Samarra

Eshnounna(Tell Asmar)

Behistoun

Ecbatane

Suse

Ancien rivageÉridou

LarsaOur

LagashOumma

NippourBarsippaBabylone

Sippar Djemdet Nasr

Isin

Ourouk 

Shubat Enlil

Euphrate

Tigre

Golfe Persique

Beaucoup des premiers villages, des premières villes, des premiers royaumes,

et des premiers «empires» sont apparus près du Tigre et de l’Euphrateentre –10 000 et –2 000.

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

deux cas, cela commence avec quelques cellules ou quelques individus qui sespécialisent dans une tâche particulière: quelque chose comme fabriquer desdéfenses dans le cas des cellules, ou fabriquer des sandales, pour ce qui est deshumains. Comme ces quelques cellules ou individus exécutent cette tâche mieuxque la moyenne des autres membres de leur communauté, cela libère les autresde cette obligation, ce qui leur permet en retour de mieux se concentrer sur leurpropre tâche.

Lorsque le nouveau produit ou service procure une meilleure qualité de vieà l’organisme ou à la société, la recette est retenue et exploitée au meilleur descirconstances. Puisque les produits sont de plus en plus demandés, le nombred’individus-cellules assignés à cette tâche particulière augmente régulièrement.En multipliant ainsi les spécialistes, la société (ou l’organisme) leur donne la

chance d’explorer leur spécialité, et parfois même celle de faire des essais quimènent à la découverte de nouvelles façons de faire les choses. Ainsi, quand unenouvelle recette de fabrication plus efficace est trouvée, l’efficacité de l’atelier(ou de l’organe) s’en trouve améliorée, ce qui bénéficie à la fois aux individus(aux cellules) qui le constituent et à la société (ou à l’organisme) dont il faitpartie.

Ce processus, qui a mené à l’apparition des premières structures gouverne-mentales et des premières entreprises commerciales, ressemble donc beaucoup àce qui est arrivé lorsque mes ancêtres sont passés de vers à cordés. Chez les vers,les divers systèmes existent, mais ils ne constituent pas encore des organes bien

définis. C’est pourquoi on peut couper un ver de terre en deux ou trois morceauxqui vont continuer à vivre pendant un certain temps parce que chaque segmentcontient essentiellement les mêmes éléments musculaires, nerveux et digestifs quetous les autres segments. Avec les cordés, par contre, on voit l’apparition de

 véritables organes, comme le cerveau et le cœur, qui centralisent une fonction bienprécise qui était auparavant assumée par toutes les cellules du système.

Tout comme l’apparition des cordés a marqué un virage majeur en faveurdes organes, étape indispensable pour la naissance de l’intelligence, les premiersgrands ensembles politiques ont permis l’émergence de structures spécialiséescomplexes comme l’armée, le clergé ou les commerçants, qui ont constituédurant l’Antiquité la figure de proue de ce qu’il est convenu d’appeler la«civilisation».

Vers la fin de l’Antiquité, certaines capitales impériales dirigeaient de véritables mégastructures qui dominaient de nombreux peuples aux culturesdifférentes. Elles détournaient une partie des richesses des colonies au profit del’élite de la capitale qui en profitait pour développer des modes de vie raffinés etdes cultures d’une grande élégance. Les structures sociales internes de cesempires étaient nombreuses, bien définies et bien établies, comme l’aristocratie,les noblesses locales, l’armée, l’administration publique, les grands propriétaires

terriens, les organisations ouvrières, la caste sacerdotale, etc.

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Du Big Bang au Village planétaire

En plus de ces structures essentiellement humaines, les grands empires de

l’Antiquité se sont donné des infrastructures matérielles à grande échelle, commedes aqueducs, des réseaux routiers, des canaux d’irrigation et de navigation, deslignes maritimes débarrassées des pirates, des fortifications géantes comme laGrande Muraille de Chine, des bâtiments administratifs, des ouvrages militaires,etc. C’est aussi à cette époque que sont apparus de nombreux outils de naturemoins tangible mais tout aussi essentiels à la réussite d’un empire, comme descodes de lois, des institutions politiques, des écoles, des connaissances mathé-matiques et astronomiques, une tradition théâtrale, etc.

Avec l’émergence de ces structures humaines, matérielles et intellectuelles,l’Empire romain avait instauré la plupart des principales institutions qui allaient

être essentielles à l’édification des sociétés complexes. Ces institutions ont certesété améliorées au fil des siècles, parfois au point d’être méconnaissables, maiselles continuent à gérer une grande partie de la vie en société de nos jours. (Onpeut penser ici à des institutions comme le Sénat et la Bourse, aux codes de loisélaborés par Jules César et même à la grammaire latine, qui a eu une influenceconsidérable sur plusieurs langues européennes.)

Le degré d’évolution des sociétés à l’époque des grands empires de l’Antiquitépeut donc être comparé au stade des poissons dans l’histoire de mes ancêtresanimaux. En effet, bien que les poissons ne nous ressemblent pas tellement enapparence, ce sont quand même eux qui ont à peu près achevé le développementdes organes essentiels qui allaient constituer tous les vertébrés. À ce titre, presque

TingitaneCésarienne

MAURITANIE

Afrique

Cyrénaïque

Mer Méditerranée

Mer Noire

Mer Caspienne

ÉgypteArabie

Judée

Syrie

Mésapotamie

Assyrie

Arménie

Cappadoce

Cilicie

GalatieAsie

Achale

Épire

Macédoine

Thrace

Mésie

Dacie

Illyrie

Pannonie

Norique

Italie

Sicile

Sardaigne Îles Baléares

Corse

Alpes

Germanie

Belgique

Lugdunaise

Bretagne

Narbonnaise

TarraconaiseLusitanie

Bétique

ESPAGNE

Aquitaine

GAULE Rétie

Pamphilie

ChypreCrète

Océan Atlantique

 

Vers l’an 200, l’Empire romain était une structure réunissantplusieurs dizaines de peuples vivant sur trois continents.

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

toute notre évolution biologique depuis cette époque est principalementconstituée de variations sur le thème de base que les poissons nous ont légué enhéritage, tout comme une bonne partie de notre évolution sociale depuisl’Antiquité a consisté à développer des variations sur les lignes de fond héritéesdes civilisations classiques.

Au cours des siècles qui ont suivi, la formule impériale a continué des’imposer dans certaines régions, comme l’Empire byzantin, les califats musul-mans, les empires des Mongols et les empires érigés en Chine par des Chinois,des Mongols et des Mandchous.

Mais le problème, avec les empires, c’est que, comme le veut le dicton, «tousles chemins mènent à Rome». En d’autres termes, à peu près toutes les structuresqui se créent au sein d’un de ces empires sont organisées en fonction des besoins

et des désirs des élites de la capitale, et souvent au détriment du développementdes peuples soumis. C’est pourquoi les invasions barbares qui ont libéré l’Europede l’Ouest du joug romain ne devraient pas être vues seulement comme un recul dela civilisation, mais aussi comme une occasion qui a été offerte aux peuples dela côte atlantique de mettre en pratique les leçons apprises de l’Empire pour sedonner de véritables structures sociales locales.

Ces peuples ont repris à leur compte les acquis de la civilisation qui leuravait été imposée et s’en sont servis pour se construire un tissu social très richeà l’échelle locale et des identités nationales fortes. Les échanges commerciaux

locaux se sont multipliés, de telle sorte que même les paysans avaient desmeubles, des outils, des ustensiles, des vêtements, bref de nombreux objetsfabriqués par d’autres, souvent même dans des villes lointaines. Même s’il n’yavait pas nécessairement de quoi être très fier des élites de cette époque, quimanquaient généralement de raffinement, le peuple était fort et même les classesles plus humbles connaissaient un niveau de vie bien supérieur à celui descouches populaires durant les meilleures années de l’Empire romain.

Malgré quelques tentatives impériales de courte durée, comme celles deCharlemagne, de Charles Quint et de Napoléon, les peuples de l’Europe de l’Ouestse sont surtout activés à bâtir des États nationaux forts autour d’une langue

commune, une culture commune, une aristocratie commune, etc. Ils ontmultiplié les échanges, non pas tellement sur des territoires de plus en plusgrands, mais bien à l’intérieur de chaque village, de chaque région et de chaqueprovince. Ainsi, bien qu’il ait été une période d’obscurantisme pour les élites, leMoyen Âge a constitué une période de grand développement économique pourles peuples d’Europe de l’Ouest.

Le tissu social est devenu de plus en plus dense, avec une multiplication rapidede toutes sortes d’institutions locales, régionales et nationales. Les classes socialesse sont multipliées et la famille régnante a dû laisser aller de plus en plus de sespouvoirs entre les mains d’une multitude d’intervenants de toutes sortes, commela petite noblesse locale, mais aussi les commerçants, les corporations d’artisans,

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Du Big Bang au Village planétaire

les ordres religieux, les intellectuels, etc. Ce phénomène fit que, contrairement àce qui se passa ailleurs, les membres des élites d’Europe de l’Ouest ne furent pasles seuls à bénéficier des progrès techniques considérables qui attendaientl’humanité à la fin du Moyen Âge et au cours de la Renaissance.

Les quatre peuples de l’Atlantique (Portugais, Espagnols, Français et Anglais)se sont rapidement donné des structures nationales unifiées, d’abord par desroyaumes forts aux frontières relativement bien définies, ensuite par uneintégration sociale et commerciale encore plus grande, ce qui a permis encoreplus d’efficacité, donc encore plus de prospérité, etc.

Avec la Renaissance, ces structures nationales ont servi d’armature pourl’élaboration d’États-nations. Des bourgeoisies de plus en plus importantes etdes classes populaires urbaines de mieux en mieux éduquées après l’apparitionde l’imprimerie ont fait en sorte que l’appartenance à la nation est devenuebeaucoup plus que la simple allégeance à un souverain. Des institutions comme

l’armée, la justice, les douanes, etc., mises en place par les aristocraties pour

Limoges

        R         h        ô      n      e

R      h      i       n     

Charolais

Lyon

Dijon

Mulhouse

Principauté

d’Orange

Bourges

Orléans

La Rochelle

Rennes

Nantes

Brest

Duchéde Bretagne

Bordeaux

Bayonne Toulouse   Montpelier

Marseille

AvignonNice

Bastia

Ajaccio

COMTÉDE NICE

DUCHÉDE SAVOIE

CANTONSSUISSES

EMPIRE

COMTAT-VENAISSIN

Perpignan

G   a  r   o  n  n  e  

L oir e

S  e  i   n e  

ROYAUMEDE CASTILLE

ROYAUMED’ARAGON

ANDORRE

ROYAUMEDE NAVARRE

Strasbourg

Nancy

Bruxelles

Rouen   BeauvaisSoissons

Amiens

LilleCalais

Paris

Vers 1650, l’unification de la France était presque achevée.

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

gérer leur pays, ont adopté une vie propre, indépendantes du roi. Le pays estdevenu de moins en moins la propriété privée de son souverain, et de plus enplus une communauté d’humains ayant des droits et dont le souverain n’étaitplus que le protecteur.

On peut établir un certain parallèle entre cette période d’élaboration desÉtats-nations et l’étape qui a été franchie par nos ancêtres amphibiens qui ontutilisé les organes mis au point par les poissons et ont modifié ceux qui étaientnécessaires pour vivre hors de l’eau. En adaptant les recettes de poissons dans untout nouvel environnement, les amphibiens ont relancé l’évolution vers dessommets insoupçonnés du temps de la vie aquatique. De la même façon, lepassage des empires de l’Antiquité aux nations de la Renaissance a consisté àadapter des structures bien organisées à de nouveaux contextes et à leur donner

de nouvelles utilités. Cela a mené à des sociétés plus vigoureuses, capablesd’explorer de nouveaux territoires.

Notre sentier vers la complexité quitte cette Europe occidentale à laRenaissance et nous fait embarquer sur un grand voilier. Comme les quatrepeuples de l’Atlantique ne pouvaient pas, ou ne voulaient plus, se soumettre lesuns les autres, ils ont choisi de poursuivre leur croissance aux dépens des peuples

 vivant sur les autres continents. La course aux empires coloniaux était lancée.

Au cours des quelques siècles qui ont suivi, ces quatre peuples se sontlittéralement partagé la Terre, érigeant des structures intercontinentales qui ont

culminé avec l’Empire britannique qui s’étendait véritablement à l’ensemble dela planète. Les structures sociales riches d’Europe ont donc été imposées àplusieurs autres peuples, qui étaient à nouveau traités comme l’étaient lespeuples conquis à l’Antiquité. L’armée, l’administration publique et le commerceconnurent un essor phénoménal, ce qui amena les classes moyennes desmétropoles à s’enrichir, à s’éduquer et à jouer un rôle encore plus important dansla société.

Les fourrures d’Amérique du Nord, l’or des Incas, les soieries de Chine, lesdiamants d’Afrique du Sud, toutes les richesses de la planète étaient pillées afinque les élites et les peuples d’Europe de l’Ouest se donnent le mode de vie le plus

évolué jamais atteint par l’humanité. Le commerce a connu une augmentationfulgurante, les épices et autres produits de l’Orient n’ayant plus à traverser lapérilleuse route de la soie au travers des déserts et des montagnes de l’Asiecentrale. Les importations des Amériques firent fureur à la grandeur de l’Europe,avec la tomate, le chocolat et le tabac, qui devinrent des produits de consom-mation courante. Une autre plante native des Amériques, la pomme de terre,devint tellement populaire que quelques générations plus tard elle était presquela seule source d’alimentation pour les classes populaires en Irlande.

Des familles pionnières «civilisaient» les grands espaces «primitifs»d’Amérique, d’Afrique ou d’Asie, se bâtissant un mode de vie très enviable,généralement aux dépens des populations locales. Bien que le phénomène n’en

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Du Big Bang au Village planétaire

fût qu’à ses débuts, il faisait tout de même partie d’une économie mondialisée quipermettait aux colons de profiter des biens fabriqués dans les capitales enéchange de matières premières obtenues à des prix dérisoires dans les colonies.

Ce processus s’est poursuivi plus de 400 ans, au cours desquels lesmétropoles européennes ont étendu leurs filets à la grandeur de la planète. Il aatteint son âge d’or au cours de la première moitié du XXe siècle, alors quel’Empire britannique était devenu une véritable structure mondiale, avec despossessions dans chacun des 24 fuseaux horaires et sous toutes les latitudes,depuis la terre d’Ellesmere, au pôle Nord, jusqu’à la terre de Graham, au pôleSud. Bien que l’Empire britannique ait été l’un des moins sanguinaires del’histoire, ses institutions incluaient tout de même une tradition militaireimplacable lorsqu’on s’opposait à ses intérêts commerciaux, comme cela fut

amplement démontré lors des guerres de l’Opium en Chine et de la guerre desBoers en Afrique du Sud.

Mais ce mouvement vers la complexité sociale portait en lui-même le germede sa propre destruction. En effet, plus les métropoles s’enrichissaient, plus leursclasses populaires devenaient riches, instruites et conscientes de leur propre rôledans la société ainsi que du pouvoir qui en découlait. Ces sociétés riches ontdonc acquis des traditions de droits individuels et des principes démocratiquesqui ont mené à la monarchie constitutionnelle en Angleterre de même qu’à larévolution aux États-Unis et en France.

De plus, pendant qu’ils détournaient les richesses de leurs colonies au profitde la métropole, les colonisateurs transmettaient tout de même, bien que souventà leur corps défendant, une partie de leur richesse intellectuelle aux peuplesopprimés. Or, parmi les plus grandes richesses jamais créées par l’intellecthumain, il y avait l’idée que les structures sociales étaient au service du peuple,et non l’inverse, comme cela fut le cas de façon quasi universelle depuisl’Antiquité jusqu’à la révolution américaine. Bien que le célèbre «We thepeople…» n’incluait ni les Noirs, ni les Amérindiens, ni les femmes, ni mêmebeaucoup d’hommes blancs pauvres, il entrouvrait une porte que les élites nepourraient plus jamais refermer. Ces principes entraient souvent en conflit avecla pensée impérialiste et ils en vinrent à miner les fondements mêmes desempires coloniaux.

Mais, avant cela, il fallait une confrontation finale entre les thèsesimpérialistes et les idées démocratiques. Cette confrontation a duré de 1914 à1945 et a entraîné une portion importante de la population de la planète dansdeux conflagrations mondiales. Elle a atteint son zénith en 1942, pendant laDeuxième Guerre mondiale alors que les empires nazi et japonais atteignaientleur étendue maximum après une série presque ininterrompue de victoires surtous les fronts. Au cours de cet été fatidique, presque toutes les terres et tous lesocéans de la planète, ainsi que plus des trois quarts de sa population, étaient

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

sous l’autorité de seulement six administrations impériales situées à Berlin,Tokyo, Londres, Washington, Moscou et Chungking (capitale provisoire de laChine pendant l’invasion japonaise).

Cette période qui a vu la domination des impérialistes européens sur le restede la planète me fait penser à l’époque des dinosaures. Comme ceux-ci, lesmétropoles européennes étaient le produit «naturel» des lois de la compétitionet de la sélection des plus efficaces. De plus, comme plusieurs dinosaures, ellesavaient perfectionné la prédation comme mode privilégié de progression vers lacomplexité. Cependant, tout comme ce fut le cas pour les dinosaures, la formuleimpérialiste ne pouvait être efficace que pendant un temps, et elle était appeléeà être remplacée un jour par une formule plus prometteuse…

LES TEMPS MODERNES(De 1850 à l’an 2000)

Le grand virage a commencé avec la révolution industrielle. L’imprimerie ayantgrandement facilité la circulation des idées en Europe, les empires coloniauxont entrepris l’éducation d’un nombre croissant d’hommes, et parfois même defemmes, des classes moyennes. Cela a eu un effet quasi immédiat sur l’accu-mulation du savoir, et toutes les sciences se sont mises à faire d’énormes bondsen avant. En ce sens, la science moderne n’est pas la somme des connaissancesdécouvertes par une série d’individus, mais bien un produit de société, un

phénomène qui ne serait jamais survenu si l’Europe n’avait pas élaboré lesréseaux permettant de relier ces individus et de leur permettre de s’enrichirintellectuellement les uns les autres comme cela n’avait jamais été possible aupa-ravant. Ces découvertes scientifiques ont rapidement été mises au service de laproduction de biens de toutes sortes, entraînant le sursaut de productivité le plusimportant depuis l’invention de l’agriculture à la fin de la Préhistoire. Larévolution industrielle a catapulté l’humanité en cinquième vitesse.

Avec la mécanisation de l’agriculture, le pourcentage de la population libéréedes tâches alimentaires s’est accru fortement, et l’apparition de toutes sortes demachines leur a permis d’atteindre des niveaux de productivité absolumentinimaginables un siècle plus tôt. Dans les sociétés de l’Atlantique Nord, et dansune moindre mesure dans celles d’Europe centrale, les échanges entre individus,entre régions et entre continents se sont encore une fois multipliés à un rythmeabsolument hallucinant, du moins selon les critères de l’époque. Déjà au débutdu XXe siècle, la majorité des habitants des pays occidentaux étaient devenus depures créatures sociales qui auraient été à peu près incapables d’assurer leursurvie sans leurs liens sociaux. Leur environnement était entièrement constituéd’objets fabriqués par d’autres humains et ils ne consommaient presque plus que

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

laquelle certains individus et certains peuples étaient faits pour commander, etd’autres pour obéir. Les Nazis parlaient même de «race des Seigneurs et de sous-hommes» ( Herrenvolk und Untermenschen).

Pendant quelques années, jusqu’en 1942, il y a eu de bonnes raisons de croirequ’ils allaient réaliser leurs rêves d’empires mondiaux, ou à tout le moinspartager la planète entre quelques structures prédatrices intercontinentales.Encore une fois, le peuple russe fut la principale victime du conflit et, encoreune fois, les cousins Américains durent venir à la rescousse des Anglais et desFrançais. L’avenir de l’humanité s’est joué en quelques mois au cours de 1942lors des batailles de Midway, dans le Pacifique, d’El Alamein, en Afrique du Nord,et de Stalingrad, au carrefour entre l’Europe et l’Asie. Les impérialistes perdirentces trois batailles cruciales, et eux qui n’avaient jamais subi la défaite ne

connurent plus jamais la victoire. À peine trois ans plus tard, leurs rêvesd’empires millénaires étaient morts, écrasés sous les ruines et les cendres quiconstituaient alors l’essentiel des villes allemandes et japonaises.

Mais la défaite des empires nazi et japonais n’a pas entraîné un renforcementdes empires britannique et français comme on aurait pu s’y attendre. Cette fois,la paix fut établie sur des bases différentes. Déjà à la fin de la Première Guerremondiale, Thomas Woodrow Wilson, président des États-Unis, avait tentéd’orienter l’humanité vers l’abolition des empires coloniaux et vers le droit dechaque peuple de prendre son avenir en main. Sa tentative se solda par un échec

en 1918, car les Français et les Anglais étaient encore trop forts. Mais la situation

Moscou

Washington

BerlinLondres

Territoires sousle contrôle plusou moins direct de

Berlin

TokyoChungking

Tokyo

Londres

Washington

Moscou

Chungking

En juin 1942, le monde était divisé en six grandes zones.

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Du Big Bang au Village planétaire

était bien différente en 1945, alors que l’Europe était littéralement saignée àblanc par six ans de guerre totale. Dans ce contexte, avec les Français et lesAnglais ruinés et terrorisés à l’idée de devoir affronter l’armée soviétique, leprésident américain Harry Truman s’est retrouvé en mesure de mettre enapplication les idées de Wilson et de Franklin D. Roosevelt et de forcer lesEuropéens à démanteler leurs empires coloniaux.

Mais l’autre vainqueur de la Deuxième Guerre mondiale, Joseph Staline,avait peu de sympathie pour ces idées libérales à propos des droits sacrés despeuples. Son pays, l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), avaitété envahi trois fois en un peu plus d’un quart de siècle, et la seule barbarie naziedes quatre dernières années avait coûté la vie à plus de 20 millions de sesconcitoyens. Pour lui, la victoire militaire qu’il venait de remporter lui donnait

le droit de récupérer les territoires qui avaient été arrachés de force à son paysaprès la Première Guerre mondiale, et il n’était pas question de redonner leurpleine liberté aux peuples d’Europe de l’Est qui avaient été «libérés» par l’arméesoviétique, et dont la plupart avaient d’ailleurs collaboré jusqu’à un certain pointavec le régime hitlérien.

Avec deux façons tellement différentes d’envisager la victoire et la paix, lesAméricains et les Soviétiques se dirigeaient tout droit vers un affrontementmilitaire entre leurs deux armées qui se retrouvaient face à face en Europecentrale après avoir conjointement terrassé la bête nazie. Or, l’Armée rouge avaitdû se battre pouce par pouce sur plus de 2000 kilomètres, depuis Stalingrad

 jusqu’à Berlin, alors que les Alliés occidentaux n’avaient rencontré que très peude résistance une fois qu’ils avaient pu établir leur tête de pont en Normandie.De plus, à cette époque, les Soviétiques étaient presque aussi bien armés que lesAméricains et ils profitaient de l’avantage d’être beaucoup plus près de leur baseque les Américains, qui devaient tout transporter au-delà de l’Atlantique. Il y adonc de fortes chances que les troupes endurcies de Staline auraient eu le dessussur les soldats américains, dont la plupart n’avaient même pas encore reçu de

 véritable baptême de feu.

Ce qui a évité à Truman de devoir vérifier la validité de cette hypothèse, c’estqu’il tenait une arme secrète dans sa manche et qu’il a profité d’Hiroshima etNagasaki pour envoyer un message clair à Staline: toute confrontation militaireavec les États-Unis dégénérerait nécessairement en un carnage tel que lamonstruosité hitlérienne ferait figure de simple hors-d’œuvre. Si le gouvernementaméricain n’a pas hésité à bombarder non pas une, mais bien deux villes japo-naises, alors que ce pays était déjà complètement neutralisé sur le point militaireet qu’il aurait suffi de continuer le blocus maritime et les bombardements encorequelques semaines ou quelques mois pour forcer une reddition, il n’hésiterait pasune minute à annihiler les villes soviétiques l’une après l’autre pour empêcher lescommunistes de s’emparer de l’Europe de l’Ouest. Comme il ne possédait pasencore la bombe atomique, Staline n’a pu que se contenter d’encaisser ses gains et

de mettre fin à la partie. C’était le début de la guerre froide.

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

Les Soviétiques se sont alors empressés de fabriquer leurs propres armesnucléaires, et il était alors déjà trop tard pour revenir en arrière. La course auxarmements qui a suivi s’est faite parce que les militaires de toutes les générationspassées avaient toujours fait cela et que personne n’a su entrevoir l’impasse quis’annonçait. Ce n’est qu’au bout de quelques décennies que ceux-ci ont fini par serendre compte, de part et d’autre du rideau de fer, qu’il y avait déjà longtemps quele point de destruction mutuelle assurée avait été atteint et que, peu importe lescénario envisagé, tout cela se terminerait par un immense champ de ruinesradioactives pour tous les pays engagés. Aucune société ne pouvait survivre à uneguerre nucléaire, encore moins la gagner. Dorénavant, il s’agissait de découvrircomment être juste assez armé pour décourager l’ennemi d’attaquer, sans êtreassez armé pour qu’il se sente obligé d’attaquer à titre préventif. La stratégie, quiavait toujours été l’art de planifier la victoire, était devenue l’art d’assurer la paix.

Dans de telles conditions, l’idée même de conquérir un empire mondial par laforce des armes devenait absurde. C’était la fin de l’ère coloniale, du moins sur leplan des structures. Devant cette impossibilité de poursuivre la croissance par laprédation, des rapports nouveaux se sont établis entre les peuples.

LE VILLAGE PLANÉTAIRE

(Aujourd’hui et demain)

Bien que l’accouchement soit quelque peu difficile, l’humanité semble maintenantavoir adopté la seule autre voie ouverte vers une plus grande complexité:l’intégration de plusieurs nations indépendantes au sein de fédérations multi-nationales régionales, continentales ou planétaires. Contrairement aux anciensempires qui profitaient à la seule métropole coloniale, les nouveaux ensemblessont des fédérations d’États libres qui se réunissent pour leur profit mutuel,comme le Commonwealth, dont le nom veut justement dire «richesse commune».Le phénomène est particulièrement avancé en Europe de l’Ouest, avec le marchécommun original qui s’est peu à peu transformé en Union européenne.Maintenant, on voit apparaître un peu partout sur la planète des structures quipourraient éventuellement mener à d’autres fédérations semblables.

De nombreuses structures véritablementplanétaires ont également été mises en place,depuis l’Assemblée générale des Nations Unieset son Conseil de sécurité, jusqu’à l’Associationmondiale des journaux pour itinérants, enpassant par l’Organisation mondiale du com-merce, Microsoft, l’Union postale internationale,Médecins sans frontières et des milliers d’autresinstances de toutes sortes qui réunissent desindividus, des groupes, des entreprises, des

Drapeau de l’Organisationdes Nations Unies

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Du Big Bang au Village planétaire

gouvernements et à peu près n’importe quelle autre forme de structure humaine.Pas une semaine ne passe sans que plusieurs événements mondiaux n’attirentnotre attention, que ce soit dans le domaine du sport, celui des finances ou celuide la politique.

Une nouvelle expression a fait son apparition dans le vocabulaire usuel du journal télévisé: la «communauté internationale». Alors que cette entité n’existepas encore vraiment, on lui reproche déjà les échecs qu’elle a supposément connusau Rwanda, en Somalie et dans les Balkans. Pourtant, l’idée même qu’il y ait unecommunauté internationale capable d’intervenir dans de telles circonstances estradicalement nouvelle et, même à la fin des années 70, personne n’aurait eu l’idéede blâmer la «communauté internationale» pour être restée imperturbable pendantque les Khmers rouges exterminaient le tiers de la population du Cambodge en

trois ans. Même si elle n’est encore qu’un vulgaire brouillon de ce qu’elle est appeléeà devenir, il semble désormais acquis que cette «communauté internationale»interviendra de plus en plus souvent, et qu’elle deviendra d’ici à quelques décenniestout au plus l’arbitre de tous les conflits ainsi que le garant ultime du droit despeuples contre les gouvernements abusifs.

Pendant ce temps, nos villes sont devenues de véritables méga-organismesdans lesquels chacun de nous occupe la place d’une cellule dans un organisme,effectuant sa tâche ultraspécialisée dans la société en échange de la satisfactionde tous ses besoins essentiels par cette société, à commencer par d’excellentsréseaux de distribution de la nourriture, des services de police qui protègent nos

 vies et nos biens la plupart du temps, des gouvernements qui sont en principecapables de prendre des décisions valables pour l’ensemble de la société, etc.

Étant née en l’an 2000, je suis venue au monde dans une famille qui participeà toute cette mouvance planétaire postindustrielle. Tout comme les cellules dansmon organisme, je suis rattachée à l’ensemble de la société par toutes sortes destructures comme les réseaux de distribution d’eau potable et d’électricité, lessystèmes de collecte des rebuts et des eaux usées, les systèmes de communicationcomme le téléphone, Internet, la poste et la télévision, les réseaux routiers et lesservices de transport en commun, ainsi que par d’innombrables autres biens etservices qui me sont offerts par des entreprises privées ou des servicesgouvernementaux. La situation est rendue telle que la vaste majorité d’entre nousserions aujourd’hui tout aussi incapables de survivre sans notre société que mescellules seraient en mesure de survivre si elles étaient isolées de mon petit corps.

Le stade d’intégration que nous avons maintenant atteint et l’émergence desfédérations de nations présentent des similitudes avec l’émergence des famillesde mammifères. La formule «dinosaure» a été remplacée par la formule«mammifère», catégorie d’animaux moins imposants pour ce qui regarde laprédation, mais plus riches en ce qui concerne la complexité et, surtout, capablesde se recombiner en structures de niveau supérieur, comme la famille. De la

même façon, la formule «empire mondial» est appelée à être remplacée par des

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Chapitre 2 – LE SENTIER VERS LA COMPLEXITÉ

États-nations moins imposants en ce qui a trait à la prédation, mais plus richesen complexité et, surtout, qui seront bientôt capables de se recombiner en unestructure de niveau supérieur comme le Village planétaire.

Nos sociétés postindustrielles sont l’aboutissement d’un long processus decomplexification qui a commencé avec les premières familles de mammifères,s’est raffiné avec les premiers villages du Néolithique, pour ensuite engendrerdes structures sociales toujours plus complexes. Comme nous l’avons vu, cecheminement a ressemblé à celui qui a permis à l’évolution animale de passer deséponges aux humains.

À ce titre, le Village planétaire représente lui aussi un passage à un niveausupérieur de complexité, structure qui ne réunit plus simplement des individus,mais bien des États-nations. Et ce Village planétaire que nous voyons aujourd’hui

n’est qu’une pâle ébauche de ce qu’il est appelé à devenir, car, selon toutesprobabilités, il va connaître à son tour un développement semblable à celui quia mené des éponges aux humains, tout comme à celui qui a mené des premiers

 villages jusqu’à nos sociétés postindustrielles. Ainsi, le sentier se poursuit avecmoi, et il se poursuivra à travers moi, avec mes enfants, mes petits-enfants, mesarrière-petits-enfants…

À ceux et celles qui viendront après moi, je léguerai donc tout ce merveilleuxhéritage qui m’a été transmis par mes parents, à commencer par le Big Bang,instant de passage de l’énergie à la matière, instant où l’éternité commençait à

devenir temps. Je leur léguerai aussi l’action de la gravité, qui a mené à laformation de grumeaux dans un univers homogène et à l’apparition des galaxieset des étoiles. Mon héritage inclut évidemment la nucléosynthèse qui se produitau cœur des étoiles agonisantes, qui permet la fabrication de noyaux de plus enplus lourds et qui nous mérite le surnom de «poussières d’étoiles». Mon héritage,c’est également la naissance de la Terre, issue d’un nuage enrichi d’atomes lourdset de molécules aux propriétés étonnantes comme l’eau et le gaz carbonique. Jelègue également à ma descendance la merveilleuse architecture des orbitales«p», fondement essentiel de la chimie, et plus particulièrement de cescathédrales moléculaires que sont les protéines.

Mes enfants hériteront aussi de l’encapsulation, moment critique de notrehistoire, quand les cycles autocatalytiques primitifs se sont retrouvés à l’abriderrière une membrane cellulaire pour fabriquer de plus en plus de soi-mêmeen utilisant ce grand flux d’énergie déversé sur la Terre par le Soleil. Mon héritagecomprend évidemment aussi ce formidable ADN, livre de recettes assez fiablepour assurer la continuité d’une génération à l’autre, mais quand même tout

 juste assez variable pour permettre les mutations, la sélection naturelle etl’évolution. L’héritage de mes enfants, c’est également ce poison oxygène, devenuun élément-clé de ma force vitale grâce à la présence de mitochondries qui viventen symbiose au sein de mes cellules. Je transmets également à ma descendance

la spécialisation des cellules, qui a permis l’apparition d’organes de plus en plus

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Du Big Bang au Village planétaire

efficaces, dont le système nerveux et le cerveau, qui permettent de percevoirl’environnement et d’y réagir adéquatement. Mes enfants jouiront aussi de lapossibilité de vivre à l’air libre, d’être actifs même la nuit, grâce à leur méta-bolisme à sang chaud, et de marcher sur deux pattes, libérant leurs mains pouraccomplir des tâches plus utiles.

Mon héritage, c’est évidemment aussi un cerveau capable d’inventer desoutils, de créer de la beauté, d’aimer et même d’anticiper la mort. Enfin, je lèguetoute cette sagesse humaine accumulée depuis plusieurs millénaires et qui sertde fondement à ces nobles sociétés que nous constituons, sociétés qui sontimparfaites, mais qui réussissent toutefois à transmettre un art de vivre sommetoute assez décent d’une génération à l’autre et dont mes enfants vont hériter.Puissent-ils utiliser tout ce bagage pour faire à leur tour un bout de chemin sur

le sentier, et construire un Village planétaire de plus en plus riche à tous pointsde vue, un Village propre, fécond, fleuri, pacifié et dont les principes de baseseront la justice et le respect.

Si tel est le cas, je n’ai aucun doute que mes descendants et descendantessont conviés à vivre des aventures tout aussi passionnantes que celles qui ontmené du Big Bang jusqu’à moi.

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DEUXIÈME PARTIE

QUE SUIS-JE?

(Je suis une pyramide de structures)

 Lorsqu’un enfant vous pose la question: «Qu’est-ce que c’est ?» à propos d’un objet quelconque, vous répondez sans doute en lui expliquant 1º de quoi l’objet est constitué, et 2º à quoi il sert. Ainsi, à la question: «Qu’est-ce qu’un avion?», vous répondrez probablement que c’est 1º un objet en métal qui a des ailes et des moteurs, et 2º qui permet de transporter des gens et des choses en les faisant voler dans les airs d’un lieu à un autre.

 De la même façon, si quelqu’un vous demandait ce que «vous » êtes, vous pourriez répondre en lui parlant de votre travail et en décrivant le rôle que vous jouez dans la société, mais vous pourriez aussi lui expliquer de quoi vous êtes constitué ou constituée, c’est-à-dire un ensemble d’organes, de cellules, de molé- cules, d’atomes et de particules.

 Dans mon cas, le premier volet est plutôt limité, étant donné que je suis encoretrop jeune pour avoir une fonction sociale précise. Pourtant, même si je suisincapable de subvenir à mes propres besoins, j’ai déjà deux rôles sociaux importants

 à jouer : charmer tout mon entourage et symboliser l’avenir pour mon papa, ma

maman, mes quatre grands-parents et mes trois arrière-grands-parents qui sonttoujours vivants.

Mais, comme j’ai peu d’autres choses à vous dire à ce propos, je vais profiter del’occasion pour répondre à la question «Que suis-je?» en essayant de vous expliquer le plus simplement possible de quoi je suis constituée.

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C H A P I T R E

LE MÉCANO

L’Univers est structuré comme un langage.

HUBERT REEVES

Mon grand-papa Lafleur aime beaucoup travailler de ses mains et il est habiledans toutes sortes d’activités comme la menuiserie, la plomberie, la

réparation d’appareils ménagers, etc. Mais là où il excelle, c’est en mécanique,passion qu’il a développée durant son adolescence, alors qu’il s’amusait àdémonter et remonter des automobiles aux noms évocateurs comme Charger,Duster, Demon…

Le mois dernier, maman a acheté une automobile Volvo vieille de sept ans à

peine à un prix dérisoire, parce que le moteur avait manqué d’huile et quepersonne ne savait combien de pièces il faudrait remplacer avant de le remettreen état. Grand-papa a donc communiqué avec différents marchands de piècesusagées et il a déniché un véhicule accidenté du même modèle, encore plus vieux,mais avec un moteur qui semblait valoir la peine d’être utilisé pour les pièces.Nous sommes donc allés coucher chez lui un vendredi soir et, le lendemainmatin, grand-papa, maman et papa se sont mis au travail dès 7 heures.

Un ami garagiste leur a prêté un gros livre avec plein de dessins quimontraient chacune des pièces de l’auto de maman et de plusieurs autresmodèles Volvo. C’était un peu comme les instructions pour assembler un modèle

réduit ou un meuble IKEA, mais en beaucoup plus compliqué et avec des listesinterminables de pièces de toutes sortes. Comme papa n’a que des connaissancestrès limitées en mécanique, grand-papa et maman en ont profité pour lui fairemieux comprendre ce qu’est une automobile.

À l’aide des dessins, ils lui ont montré qu’elle est essentiellement constituée desix grands sous-ensembles, soit la carrosserie, le châssis, le groupe moteur, les roueset la direction, le système électrique et l’habitacle intérieur. Il y a aussi quelqueséléments plus difficiles à classer comme les essuie-glaces ou le silencieux. Toute fièrede montrer ses connaissances approfondies en mécanique, maman allait un peu vite

au goût de grand-papa, qui est plus manuel qu’intellectuel. Il l’a donc arrêtée pourpréciser que tout cela était des vues de l’esprit, et que même si c’est plus facile à

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Du Big Bang au Village planétaire

comprendre en utilisant descatégories comme celles-là, il nefaut jamais oublier qu’une auto-mobile est un objet complexe.Cela veut dire que chacun de cessous-ensembles effectue un cer-tain nombre de tâches qui sontessentielles au bon fonctionne-ment du véhicule, mais que c’estuniquement leur interaction har-monieuse qui permet à mamande nous amener en balade et defiler en toute sécurité à 100 kilo-

mètres à l’heure sur l’autoroute des Cantons-de-l’Est.Nullement intimidée, maman a repris en précisant que chacun de ces grands

sous-ensembles pourrait ensuite être décomposé en éléments plus petits. Ainsi,le groupe moteur comprend le moteur, la transmission, le carburateur, leréservoir à essence, etc., alors que le système électrique comprend la batterie,les phares, quelques autres éléments et, surtout, un réseau de câbles qui relientces divers éléments. Histoire de faire plaisir à grand-papa, elle a ajouté d’un tonsolennel que chaque sous-ensemble ne peut remplir sa fonction au sein du

 véhicule que si chacune de ses pièces travaille en relation étroite avec les autrespièces du groupe, ainsi qu’avec certaines pièces des autres systèmes. Grand-papaen a profité pour montrer à papa d’autres dessins qui illustraient comment lacourroie de synchronisation permet d’assurer que le mouvement du moteurcontrôle l’ouverture et la fermeture des valves ainsi que la mise à feu de chaquecylindre dans le bon ordre.

Maman a ensuite repris l’initiative enajoutant que les différents éléments qui cons-tituent ces sous-ensembles pourraient eux aussiêtre démontés en pièces plus petites. Parexemple, un moteur est constitué d’un bloc,

d’une tête, de pistons, etc., tandis qu’un pharecontient une ampoule, un réflecteur, des vis, etc.Avant que grand-papa l’interrompe à nouveau,elle a eu juste le temps de préciser que presquetous ces objets pourraient ensuite être décom-posés en éléments encore plus simples qui sont

 vissés, soudés ou collés les uns aux autres.

Grand-papa a alors souligné que, dans certains cas, le processus arrête assezrapidement. Par exemple, au niveau de la carrosserie, trois ou quatre étapes dedémontage sont généralement suffisantes pour obtenir un morceau de tôle

moulée qui ne peut plus être séparé en objets plus petits sans le faire fondre ou

Suspension

Moteur

Radiateur

Réservoir d’essence

Batterie

AllumageCarburateur

Pot catalytiqueTuyau d’échappemenArbre de transmission

Boîte de vitessesFrein à disque

Une automobile est constituée de plusieurs systèmes.

Un moteur est constituéde plusieurs pièces.

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Chapitre 3 – LE MÉCANO

le découper au chalumeau. En revanche, il y a des cas beaucoup plus complexes,comme la transmission, les systèmes électroniques ou la finition intérieure, pourlesquels une douzaine d’étapes ou plus seraient nécessaires avant d’avoir détachéchaque vis, dessoudé chaque fil ou séparé chaque fibre de tissu.

Maman a poursuivi en indiquant que si l’on continuait le démontage jusqu’aubout, après avoir décomposé la plus petite ampoule électrique en dix ou douzepièces différentes, on se retrouverait avec plusieurs milliers de pièces de toutessortes et de toutes grosseurs, des centaines de mètres de fils en tous genres, etassez de fibres pour tisser plusieurs mètres carrés de tissus. Indépendammentde leur grosseur, de leur forme ou de leur composition, ces pièces auraient toutesen commun le fait d’être des objets «unitaires», qui ne peuvent plus êtredémontés en éléments plus simples sans altérer leur nature propre. Ainsi, le bloc-

moteur n’est qu’un unique morceau de métal qui a été usiné pour lui donner uneforme précise et dans lequel on a percé des trous; la même chose vaut pour letuyau en fibres de chlorure de polyvinyle (mieux connu sous le sigle anglaisPVC), le fil de cuivre débarrassé de sa gaine isolante, la fibre de nylon quicomposait le tapis, etc.

S’il voulait poursuivre son entreprise de démontage passé ce point, grand-papa devrait laisser de côté ses outils de mécanicien et prendre ceux d’unchimiste pour analyser les alliages des pièces métalliques, les polymères destuyaux, les fibres des tissus, etc. Il serait alors en mesure de dire que l’ex-automobile de maman contenait tant de tonnes de tel alliage, tant de

kilogrammes de tel autre alliage, tant de grammes de telle molécule, tant de telleautre molécule, etc. Il pourrait même démonter ces molécules en atomes etconstater qu’une cinquantaine d’éléments chimiques différents entrentaujourd’hui dans la construction d’un véhicule automobile. Une fois qu’il auraitdémonté ces atomes en leurs éléments constituants, quarks et électrons, ilarriverait au point où la science moderne ne lui permettrait plus de démonterquoi que ce soit; il serait alors face à des particules dites «élémentaires», enprincipe indivisibles en éléments plus petits.

Imaginons maintenant ce qui se passerait si nous faisions ensemble la mêmeexpérience avec mon joli petit corps, afin de mieux comprendre de quoi je suisconstituée et comment je réponds à la question «Que suis-je ?». Comme vousallez le voir, il y a beaucoup de ressemblances entre la structure d’une automobileet la structure de mon organisme, mais il y a aussi des différences essentiellesque je tiens à souligner avant que votre enthousiasme envers la quête deconnaissances vous amène à commettre un acte irréparable.

Rappelons tout d’abord que je suis un être vivant, et qu’à ce titre je suis unestructure beaucoup plus complexe que n’importe quel objet jamais fabriqué parles humains. Même si les transplantations d’organes deviennent de plus en plusfréquentes et routinières, elles demeurent des opérations immensément plus

compliquées, délicates et risquées que de simples changements de pièces chez le

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Du Big Bang au Village planétaire

mécanicien. Pensez à la tragédie du sang contaminé et vous comprendrez quetransfuser un litre de sang n’est pas une opération du même ordre qu’ajouter unlitre d’huile à votre moteur.

Une seconde différence fondamentale, c’est que, comme tout être vivant, jesuis beaucoup plus qu’une simple collection d’objets matériels. En plus desatomes et des molécules qui me constituent, je suis le produit de l’énergie duSoleil qui me parvient sous forme de nourriture par l’intermédiaire des planteset des animaux. De plus, je suis l’héritière d’équilibres chimiques complexes quiont été atteints petit à petit au cours de plus de trois milliards d’annéesd’évolution.

Enfin, il faut multiplier par dix ou cent les mises en garde de grand-papa voulant que les relations entre les pièces et les systèmes sont essentielles à la

compréhension de l’automobile. Les «objets» qui me constituent, organes,cellules et molécules, sont immensément plus interdépendants les uns des autresque les pièces de l’automobile de maman, alors il est d’autant plus essentiel degarder une vision globale des choses.

En raison de ces trois réalités, vous comprendrez qu’il n’est pas vraimentquestion que je vous laisse me démonter et me réassembler par la suite. Puisque

 je ne pourrais survivre à un tel exercice, nous allons nous contenter de faire lachose de façon purement imaginaire. Tout comme maman pourrait utiliser lesdessins du manuel d’instructions pour démonter sa Volvo dans sa tête, sans jamais

toucher à la moindre pièce, nous allons «démonter» mon corps de façon«virtuelle», en faisant appel à des dessins comme ceux qu’on trouve dans un atlasd’anatomie humaine ou dans un dictionnaire. Nous allons tout de même fairel’exercice de façon très soignée afin que vous soyez à même de constater toute lacomplexité qu’on trouve dans un charmant petit organisme vivant comme moi…

PREMIÈRE ÉTAPE: LES SYSTÈMES

Dans un premier temps, l’entreprise vous révélera qu’on peut «séparer» moncorps en une demi-douzaine de grands sous-ensembles qui regroupent la plupartde mes organes, soit: 1º le systèmedigestif, 2º la musculature, 3º le sque-lette, 4º le système nerveux, 5º le systèmecirculatoire et 6º la peau. Il y a éga-lement quelques autres éléments plusdifficiles à classer comme les glandes,les ganglions, les organes reproduc-teurs, etc. Tous ces systèmes sont del’ordre de grandeur du mètre, échellede grandeur typique des humains,dont la majorité mesurent entre un etdeux mètres.

Osseux Digestif Nerveux

Trois systèmes fonctionnels chez l’humain

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Chapitre 3 – LE MÉCANO

Tout comme c’était le cas pour l’automobile de maman, chacun de ces grandssous-ensembles exécute un certain nombre de fonctions essentielles à ma survie,comme la digestion des aliments, la distribution de l’oxygène, la prise dedécisions, etc. Mon bon fonctionnement en tant qu’organisme vivant dépendévidemment de ce que toutes ces tâches soient effectuées en étroite collaborationavec tous les autres sous-systèmes.

DEUXIÈME ÉTAPE: LES ORGANES

Tout comme c’était le cas pour l’automobile, vous pourriez ensuite « séparer» chacun desgrands systèmes de mon organisme en uncertain nombre d’unités plus petites, qu’on

désigne généralement sous le nom d’«or-ganes». Ainsi, mon système digestif est untube qui mesure quelques mètres de longentre ma bouche et mon anus (à peu près neuf mètres chez un adulte). Entre ces pointsd’entrée et de sortie, il se divise en œsophage,en estomac, en intestin grèle, en gros intestin,etc. Il reçoit aussi l’appui de quelques organesauxiliaires, comme le foie et le pancréas, quifabriquent des produits chimiques essentiels

au travail exécuté par le tube principal.Ma peau est quant à elle un tissu très complexe qui comporte plusieurs

couches de cellules différentes, en plus de toutes sortes de glandes, de poils, depores, d’ongles, etc. Elle comporte des caractéristiques différentes selon qu’elleest sous mes talons, sur mes belles joues douces ou à l’intérieur de mon petit nezretroussé.

Ma musculature n’est pas encore celle d’Arnold Schwarzenegger, mais, toutcomme lui, elle contient déjà plus de 600 muscles. J’ai encore plusieurs annéesde travail ardu devant moi pour tous les découvrir et apprendre à les contrôler;

quand j’y serai arrivée, je serai une merveilleuse créature, capable de mouve-ments beaucoup plus diversifiés et complexes que n’importe quelle autre espèceayant jamais vécu sur notre planète.

La plupart de mes muscles sont attachés à un ou plusieurs des 300 os quiconstituent mon squelette et dont certains vont fusionner avec le temps, de tellesorte qu’à l’âge adulte il ne m’en restera plus que 206. D’abord formés pourprotéger la moelle épinière et le cerveau, les os des vertébrés sont rapidementdevenus l’armature qui permet aux muscles de contrôler le corps de façonefficace. Les unités de travail constituées par les muscles et les os sont complétéespar des éléments qui les mettent en contact les uns avec les autres, comme lescartilages, les tendons et les ligaments.

100  = 1 mètre10-1  = 1/10 = 1 décimètre10-2  = 1/100 = 1 centimètre

10-3  = 1/1 000 = 1 millimètre10-4  = 100 micromètres10-5  = 10 micromètres10-6  = 1 micromètre10-7  = 1 000 Angstroms10-8  = 100 Angstroms10-9  = 10 Angstroms10-10  = 1 Angstrom

Échelle de grandeur

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Du Big Bang au Village planétaire

Mon système circulatoire est un réseau de veines et d’artères de plus en pluspetites qui desservent chacun des recoins les plus reculés de mon organisme. Onestime que, lorsque ma croissance sera terminée, ces conduits formeront un réseaude plus de 100000 kilomètres de long. Chaque artère (et chaque veine) se termineraalors par de minuscules vaisseaux capillaires dont les parois sont tellement finesqu’elles permettent l’échange de gaz (surtout de l’oxygène et du gaz carbonique) etde nourriture avec mes autres cellules. Il a été calculé que, chez un adulte,l’ensemble de ces vaisseaux capillaires représente une surface d’échange de plus de2500 kilomètres carrés. Mon système circulatoire inclut aussi le cœur, qui pompeplusieurs litres de sang à la minute, ainsi que les poumons, qui éliminent le gazcarbonique et permettent de faire le plein d’oxygène. Le système circulatoire estaussi relié intimement aux reins, qui éliminent certains autres déchets, au foie,qui s’occupe notamment des graisses, et aux intestins, où le sang se charge

d’éléments nutritifs qui sont ensuite distribués à toutes mes cellules.Mon système nerveux comprend des organes sensoriels (yeux, oreilles, etc.),

ainsi que mon cerveau avec ses annexes, en plus de ma moelle épinière et d’unréseau de nerfs qui feraient des centaines de millions de kilomètres de long s’ilsétaient séparés les uns des autres et mis bout à bout. Je fais d’ailleurs partie d’unedes très rares espèces animales dont le système nerveux continue à se développeraprès la naissance.

La taille caractéristique de ces divers organes est le décimètre, longueur peuutilisée habituellement, mais qui représente un dixième de mètre, soit la tailled’une grosse orange ou d’un petit pamplemousse. Chez un humain adulte,certains organes comme les poumons et le foie sont un peu plus gros; d’autres,comme le cœur et les reins, sont de taille assez semblable, d’autres encore,comme les os de la main, sont un peu plus petits.

TROISIÈME ÉTAPE: LES PARTIES D’ORGANES

Voilà donc que vous avez isolé les centaines de grosses «pièces» qui me constituentet qui sont groupées à l’intérieur de l’un ou l’autre de mes grands systèmes. Mais,comme vous vous en doutez, chacun de ces organes peut à son tour être décom-posé en parties plus petites, comme le cœur qui a deux ventricules et deux

oreillettes, le cerveau, avec sesnombreux replis, les poumons,qui se divisent en sections deplus en plus petites, etc. Autre-ment dit, un cœur humain n’estpas une masse chaotique dematière cardiaque, le cerveaun’est pas une simple agglomé-ration de matière grise etmême les os ne sont pas desimples moulages de matièreosseuse.

Artère pulmonaire droite

Veine cave inférieure

Valvule tricuspide

Oreillette droite

Veine cave supérieure

Ventricule droit

Myocarde

Ventricule gauche

Valvule mitrale

Oreillette gauche

Valvule sigmoïde de l’artère pulmonaire

Un cœur est constitué de plusieurs parties.

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Chapitre 3 – LE MÉCANO

Vous pourriez ainsi «séparer» mon cœur en une douzaine de composantesplus petites, comme les oreillettes, les ventricules, les valves, les points d’attachedes artères, etc. La plupart de ces détails se mesurent à l’échelle du centimètre,mot qui veut dire «centième de mètre». C’est la taille d’une molaire d’adulte,c’est aussi un peu plus que l’épaisseur de la langue et un peu moins que lediamètre des plus grosses veines et artères chez un être humain adulte.

À partir d’ici, vous allez commencer à voir une différence énorme entre moiet l’automobile de maman. Comme on peut le voir au premier coup d’œil, mêmesi l’automobile contient des milliers de morceaux, la plus grande partie de samasse est composée de quelques grosses pièces métalliques comme des feuillesde tôle pour la carrosserie, des pièces façonnées pour le châssis et le moteur, despièces en plastique moulé pour l’habitacle, etc. Le démontage de ces pièces se

fait en relativement peu d’étapes et on arrive rapidement au point où il ne resteplus que des objets «indécomposables». Dans une automobile, il n’y a pasbeaucoup de pièces dont la taille soit beaucoup plus petite que le centimètre.

Dans mon cas, c’est tout le contraire. C’est quand vous descendez au-dessousdu centimètre que vous commencez à entrevoir toute la richesse et toute lacomplexité de mon organisme. Prenez une loupe et observez votre propre main;

 vous serez alors à même de constater, que loin d’être une surface lisse commeun morceau de plastique ou de métal, elle est composée d’une infinité de petiteslignes de plus en plus fines qui s’entrecroisent dans toutes les directions etforment des sillons plus ou moins importants selon l’endroit. C’est cette

construction en réseau quasi géométrique qui donne à la peau son équilibreunique entre souplesse et robustesse, entre élasticité et imperméabilité.

Partout où vous regarderez dans mon corps, vous trouverez des structuresqui sont de l’ordre du millimètre, unité de mesure dix fois plus petite que lecentimètre et qui correspond à l’épaisseur de quelques feuilles de papier. C’est àpeu près l’épaisseur de vos ongles et de vos paupières, et un peu moins que lediamètre des principaux nerfs qui émergent de votre colonne vertébrale. Maisnulle part dans mon corps vous ne trouverez d’objet de cette taille que vous nepourriez plus démonter en parties plus petites.

Si vous découpez un millimètre en dix parties, vous obtenez une longueurappelée «100 micromètres» et qui correspond approximativement à l’épaisseurd’une feuille de papier (un micromètre équivaut à un millionième de mètre).Vous en êtes presque aux limites de ce que vous pouvez observer à l’œil nu. Dansune automobile, vous ne trouverez à peu près aucune pièce de cette taille, alorsque, dans mon corps, vous continuez de découvrir une multitude de structuresqui sont de cet ordre, comme le diamètre moyen de mes nerfs et de mes

 vaisseaux sanguins les plus petits, les alvéoles dans mes poumons et les replis àl’intérieur de mes intestins. Cent micromètres, c’est également la taille maximaleque peut atteindre un nouvel «objet» que je m’empresse de vous présenter: la

cellule.

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Du Big Bang au Village planétaire

QUATRIÈME ÉTAPE: LES CELLULES

La cellule est ce qui me différencie fondamentalement de l’automobile de

maman. Sauf pour quelques très rares exceptions, comme l’émail qui recouvremes dents, je suis entièrement constituée de cellules. Je ne suis donc passeulement composée de six grands systèmes vitaux groupant quelques centainesd’organes, je suis aussi, et surtout, quelques milliers de milliards de cellules quitravaillent ensemble pour assurer leur survie collective. Voilà pourquoi monorganisme est un «objet» si complexe et pourquoi, même à cette échelle trèsréduite, vous continuez à rencontrer des structures de plus en plus fines dansmon corps.

Mon corps réunit un peu plus d’une centaine de sortes de cellules, depuisles minuscules et éphémères globules rouges de mon sang, jusqu’aux longs

neurones qui vont de ma colonne vertébrale jusqu’au bout de mes orteils, enpassant par les cellules gluantes de mucus qui tapissent l’intérieur de monestomac et les cellules transparentes qui forment le cristallin de mes yeux.Chaque sorte de cellule a été soigneusement façonnée par l’évolution pourremplir une tâche précise, et la recette en a été religieusement préservée au seinde mes chromosomes.

Un joli corps humain comme le mien estdonc comparable à un jeu de Lego très com-plexe avec des milliards de petites briques qui

seraient proposées dans plusieurs centainesde formes différentes et qui pourraient êtreassemblées pour former des granules, desfaisceaux, des parois, des tuyaux, des câbles,etc., lesquels sont groupés à leur tour pourformer des os, des muscles, des intestins…Bien sûr, l’analogie a ses limites, car, contrai-rement aux briques de Lego, qui sont desobjets simples, indivisibles et inertes, mes cel-lules sont des «objets» complexes, vivants etcapables de se reproduire.

Pourtant, malgré leur impressionnante diversité, toutes mes cellules ne sontque des variations sur un modèle de base qui a servi non seulement à laconstruction de toutes les cellules de mon corps, mais également à celle de toutesles cellules de presque toutes les autres espèces d’êtres vivants. (Les principalesexceptions sont les bactéries, qui sont des cellules sans noyau ni organites. Ondoit également exclure les virus, qui ne sont que des bouts d’acides nucléiquesenrobés de protéines et qu’on ne peut pas qualifier d’«êtres vivants».) Mescellules mesurent généralement entre 10 et 100 micromètres ou, si vous préférez,entre un centième et un dixième de millimètre. Cela veut dire que dans

l’épaisseur d’une feuille de papier, vous pourriez en empiler entre une demi-douzaine et une douzaine.

Cellule nerveuse (A) et cellulesmusculaires du système digestif (B)

A

B

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Chapitre 3 – LE MÉCANO

Nous voilà donc rendus à une échelle trop petite pour que vous puissiez voirquoi que ce soit d’intéressant à l’œil nu. Pourtant, il n’est pas question d’arrêterici notre entreprise de «démontage». Vous avez beau m’avoir «séparée» en sixsystèmes, puis en centaines d’organes, et enfin en milliards de cellules, vous êtesencore loin d’avoir épuisé ce qu’il y a à dire pour répondre adéquatement à laquestion de ce que je suis.

Si vous regardez de près mes petites cellules, vous allez constater quechacune d’entre elles ressemble beaucoup plus à un système complexe, commeune grande ville, qu’à une simple brique de Lego. Mais, pour y arriver, il vousfaudra être capable de voir mes cellules correctement, ce qui demandera un petitajustement optique.

Regardez ma petite main, qui mesure dix centimètres de long, et imaginez

une espèce de loupe qui la grossirait dix fois, de telle sorte qu’elle fasse près d’unmètre. À cette échelle, chaque cellule n’aurait encore qu’environ un dixième demillimètre de large, c’est-à-dire que le grossissement serait tout juste suffisantpour que la surface de ma peau vous apparaisse comme un treillis très fin.

Utilisez maintenant une seconde «loupe» qui grossit dix fois plus, et mamain atteint dix mètres de long, soit l’équivalent de la façade d’une maison. Àcette échelle, chaque cellule n’a encore qu’un millimètre ou deux de large, ce quiest tout de même cent fois plus que sa taille réelle. Vous distinguez nettementles cellules les unes des autres, mais vous ne voyez encore rien de ce qui se passe

à l’intérieur de chacune d’elles.

CINQUIÈME ÉTAPE: LES STRUCTURES CELLULAIRES

Grossissez une fois de plus par dix, pour obtenir une image digne d’unmicroscope de faible puissance. Cette fois, ma main atteint 100 mètres de long,l’équivalent d’un petit pâté de maisons. Chaque cellule mesure maintenant uncentimètre et couvre une surface comparable à celle d’un bouton de chemise. Àcette échelle, avec une cellule mille fois plus grande que nature, vous êtes enmesure de voir qu’elle ne ressemble en rien à la brique du jeu Lego qui ne peutêtre décomposée.

Au contraire, vous pouvez maintenant observer que chaque cellule estentourée d’une fine membrane qui la sépare de ses voisines, mais tout en lareliant à elles. Vous voyez aussi que chaque cellule a un noyau, et que diversautres objets flottent à l’intérieur d’un liquide épais appelé «cytoplasme». Mais,même à cette échelle, les structures internes de la cellule ne sont pas encore assez

 visibles pour que vous puissiez les observer de façon adéquate.

Je vous invite donc à grossir l’image encore une fois, à une échelle où mamain atteindrait un kilomètre de long, distance que vous pouvez parcourir endix ou quinze minutes à pied. En grossissant ainsi par un facteur de dix mille,aux limites des capacités des microscopes optiques, mon ongle aurait la taille

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Du Big Bang au Village planétaire

d’un triplex et chaque cellule atteindrait celle d’un pamplemousse, ou d’une

brique, si vous préférez. Il vous est maintenant possible de constater quel’intérieur de la cellule est tellement complexe que, pour en faciliter l’analyse,nous allons d’abord présenter ses grandes structures, comme nous l’avons déjàfait pour l’automobile de maman ainsi que pour mon organisme.

Tout d’abord, vous constatez que la cellule est entourée d’une paroi, généra-lement appelée «membrane plasmique», qui est infiniment plus complexe quema propre peau. En effet, afin de protéger la cellule comme ma peau protègemon corps, la membrane cellulaire doit être en mesure d’empêcher l’intérieurde la cellule de sortir et d’interdire aux produits indésirables d’y entrer. Mais,contrairement à ma peau, elle doit rester capable de laisser passer de grandesquantités de produits, comme l’oxygène et les aliments qui doivent pouvoirpénétrer facilement vers l’intérieur, et le gaz carbonique et les autres déchets quidoivent pouvoir migrer vers l’extérieur sans trop de difficultés.

L’autre grande structure de la cellule, le noyau, est généralement plus oumoins au centre. Il contient les chromosomes et son ADN a d’abord la fonctionde gérer à chaque instant les dizaines de milliers de réactions chimiquesnécessaires pour garder la cellule en état de fonctionner. Il est aussi le dépositairedes recettes génétiques et, à ce titre, est responsable de leur réplication aumoment de la division cellulaire. Tout près du noyau, il y a quelques séries de

poches aplaties empilées comme des assiettes. Cette région de la cellule, appelée

Nucléole

Cytoplasme

Noyau

Appareil de Golgi

Membrane

plasmique

Reticulumendoplasmique

Mitochondries

Cellule animale

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Chapitre 3 – LE MÉCANO

«appareil de Golgi», est responsable de recevoir les commandes du noyau et des’en servir pour fabriquer les protéines ou les autres produits chimiques qui sontensuite exportés vers le reste de l’organisme.

Le reste de la cellule est occupé par le cytoplasme dans lequel on trouveplusieurs sortes d’objets qui remplissent au niveau de la cellule des fonctionsassez semblables à celles des grands systèmes de mon organisme. Ainsi, laplupart de mes cellules ont des mitochondries, genre de système respiratoirepour cellules; certaines sortes de cellules ont l’équivalent d’un squelette, d’autresune musculature; d’autres ont une espèce de système digestif, etc.

SIXIÈME ÉTAPE: LES ORGANITES

Les mitochondries et plusieurs autres structures internes de la cellule s’appellent«organites» parce qu’elles reproduisent à l’échelle de la cellule ce que les organesfont pour mon organisme. Afin de poursuivre notre voyage vers l’infiniment petit,il nous faut maintenant utiliser une «loupe» virtuelle qui grossit cent mille fois,ce que peuvent faire les microscopes électro-niques. À cette échelle, ma main aurait dixkilomètres de long et il vous faudrait deuxheures pour marcher d’un bout à l’autre.Chaque cellule aurait ainsi un mètre dediamètre, soit un peu plus que la taille d’une

roue d’autobus, alors que ses organites,comme les mitochondries, auraient la tailled’une brique. (Leur taille réelle est de l’ordredu micromètre, c’est-à-dire mille fois pluspetit qu’un millimètre ou, si vous préférez,cent fois plus mince qu’une feuille de papier.)

Et pourtant, même à cette échelle incroyablement réduite, vous êtes loind’avoir épuisé la complexité de mon corps. Prenons par exemple une de mesmitochondries, ces organites responsables de la respiration cellulaire. Loin d’êtreune simple balle en caoutchouc, c’est plutôt un objet complexe, avec une struc-

ture interne bien déterminée et construite selon des plans qui allient précision etadaptabilité aux circonstances. Elle est remplie de structures internes en formede murets qui lui donnent l’allure d’un petit labyrinthe. Ces structures sont del’ordre du dixième de micromètre, soit un dix millième de millimètre.

SEPTIÈME ÉTAPE: LES MACROMOLÉCULES

Pour pouvoir observer ces structures de plus près, vous allez une nouvelle foisgrossir l’image par dix, aux limites des capacités des microscopes électroniquesles plus puissants. À cette échelle, ma main atteindrait cent kilomètres de long,

Mitochondrie humaine.Les stries transversales sont de petits

murets faits de membranes.

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distance parcourue en à peu près une heure sur l’autoroute. Un million de foisplus grande que nature, chaque cellule a maintenant à peu près la taille d’unemaison, et les organites les plus gros atteignent celle d’une roue de camion.

En regardant attentivement, vous constatez que même les plus petits orga-nites ne sont pas des objets lisses et unitaires, et vous commencez à vousapercevoir qu’ils sont en fait constitués de petites briques qui font à nouveaupenser à des morceaux de Lego. Ces petites unités peuvent prendre toutes sortesde formes et certaines s’emboîtent les unes dans les autres comme des pavés-unis pour former des structures plus complexes. Ces unités de base sont appelées«macromolécules» et sont à la cellule ce que la cellule est à l’organisme. Laplupart d’entre elles sont des protéines, mais il y a aussi les acides nucléiques(ADN et ARN) et quelques autres familles de molécules biochimiques.

Rien que dans mon petit corps à moi, il y a plusieurs dizaines de milliers desortes de macromolécules différentes, et chacune de mes cellules en contientune quantité astronomique. Elles interagissent les unes avec les autres grâce àleur forme particulière et par des échanges électriques d’une grande subtilité.Voilà donc qu’après m’avoir «séparée» en systèmes, en organes, en cellules eten organites, vous allez devoir envisager une étape de plus et «démonter»chacune de mes cellules en leurs véritables constituantes, les protéines et autresmacromolécules.

Ainsi donc, pour qu’un joli bébé comme moi respire et vous fasse des sourires,

il faut que des milliards de milliards de petites briques appelées «macromolécules»s’emboîtent correctement les unes dans les autres pour former des organitesfonctionnels, que ces milliers de milliards d’organites accomplissent chacun satâche au sein de sa cellule, afin que mes milliards de cellules fonctionnentcorrectement au sein de leurs organes respectifs. Tout un exploit, non?

Mais avons-nous enfin atteint des objets «unitaires», non décomposables?Pouvons-nous enfin affirmer qu’une protéine est comme une vis, dont il ne resteplus rien à dire sinon qu’elle est composée d’un alliage de fer et de nickel qui aété moulé dans une forme particulière? Eh bien non! Les macromolécules sontelles-mêmes des objets fort complexes qui valent la peine d’être étudiés

attentivement.

HUITIÈME ÉTAPE: LES MOLÉCULES

Vous devrez donc une fois de plus grossir votre image par dix, afin que chaqueprotéine atteigne la taille d’un pamplemousse, soit dix millions de fois sondiamètre réel, à l’extrême limite des capacités d’instruments très perfectionnésappelés «microscopes à effet tunnel» qui ont la capacité de nous faire «voir» lesatomes individuels. À cette échelle, la mitochondrie est grosse comme unemaison et ma main devient longue de 1000 kilomètres, soit un peu plus que la

distance Montréal–Sept-Îles, ou un peu moins que Paris-Marseille.

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Chapitre 3 – LE MÉCANO

Cette échelle de grossissement vous permet maintenant de voirqu’une protéine est tout sauf une billelisse, une brique Lego ou un simplebloc de pavé-uni. Prenez par exemplecelle qu’on appelle «myoglobine», unedes plus anciennes et parmi les plusimportantes. Comme vous pouvez le

 voir, son architecture est extrêmementcomplexe et il ne faudrait surtout pasla confondre avec un simple amas deferraille tordue au hasard.

Chaque protubérance, chaqueexcroissance, chaque repli, chaquedétail est susceptible de jouer un rôle essentiel à court ou à long terme. Lapreuve, c’est que la majorité des gens qui ont un «défaut génétique» ont en réalitéune protéine qui est légèrement différente de la protéine «normale», une infimedifférence qui est souvent suffisante pour les condamner à une mort prématuréeou à une qualité de vie grandement diminuée.

Afin de mieux comprendre ce qui permet à un si petit objet d’avoir une formetellement particulière, je vous invite à grossir encore une fois votre image parun facteur de dix, ce qui donnera à la protéine la taille d’un pneu de camion.

À cette échelle, cent millions de fois plus grande que nature, ma main aurait dixmille kilomètres de long, soit à peu près la distance Paris-Shanghaï.

À cette échelle, vous pouvez voir que cette protéine de myoglobine ressembleà un long tube replié sur lui-même plusieurs fois, comme un bretzel en troisdimensions. Cette forme bien précise est attribuable au fait que la protéine esten réalité constituée de centaines d’unités plus petites appelées «acidesaminés» et, bien qu’on compte des milliards de sortes de protéines différentesdans l’ensemble des êtres vivants sur la Terre, celles-ci sont toutes formées à partirde seulement vingt acides aminés différents. Tout comme on peut faire uneinfinité de mots à partir de vingt-six lettres, c’est l’agencement de ces divers acidesaminés les uns à la suite des autres qui est le fondement chimique de la magiede la vie. Les autres macromolécules sont également constituées de moléculesplus petites qui sont réunies en chaînes ou selon d’autres principes simples.

NEUVIÈME ÉTAPE: LES ATOMES

Comme il semble bien que vous ne soyez pas encore rendu au bout de votreentreprise de démontage, je ne peux que vous demander de grossir encore unefois votre image, de telle sorte que chaque acide aminé mesurera à peu près unmètre. La cellule aura la taille d’une grande ville et ma main aura cent mille

Représentation schématique de la structuretridimensionnelle d’une protéine

nommée «myoglobine»

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Du Big Bang au Village planétaire

kilomètres de long, le quart de la distance Terre-Lune, assez pour faire plus dedeux fois le tour de la Terre. À cette échelle, chaque atome sera gros comme unpamplemousse, soit un milliard de fois son diamètre réel.

Vous êtes maintenant en mesure de bien distinguer les différentes sortesd’atomes et vous constatez que non seulementil n’y a que vingt sortes d’acides aminés, mais,en plus, tous ceux-ci sont constitués de seule-ment cinq sortes d’atomes, soit l’hydrogène,le carbone, l’azote, l’oxygène et un tout petitpeu de soufre. Quant aux autres macromo-lécules, elles sont également constituées desmêmes atomes avec, en plus, un apport

important d’atomes de phosphore.Comme ces atomes sont également ceux qui constituent la plupart des autres

molécules de mon corps, vous pouvez maintenant affirmer qu’un corps humaincomme le mien est essentiellement constitué d’atomes de carbone, d’hydrogène,d’oxygène, d’azote, de soufre, de phosphore et de quelques atomes divers, commele calcium, le sodium, le fer, etc.

DIXIÈME ÉTAPE: LES NOYAUX

Et quand vous aurez fait l’inventaire de tous

ces atomes et de toutes les molécules, demême que les autres structures qu’ils cons-tituent, aurez-vous enfin fini de me «dé-monter»? Pourrez-vous enfin dire que vousavez atteint les briques de base qui font que

 je suis ce que je suis? Bien sûr que non, car,contrairement à leur nom qui signifie «indi-

 visible » en grec, les atomes ne sont pas euxnon plus des balles de caoutchouc plein. Enfait, les atomes sont presque entièrement

 vides, car ils sont composés d’un ou de plu-sieurs électrons qui forment des espèces de«nuages de charge électrique» autour d’unnoyau; or, ces nuages ne contiennent à peuprès pas de matière.

À notre dernière étape, les atomes avaient la taille d’un pamplemousse; si vous les grossissez par un facteur de dix, ils auront encore l’air d’être vides; unefois de plus, ils auront la taille d’une maison et continueront de paraître vides.Encore un facteur de dix, l’équivalent d’un pâté de maison… et toujours vides.Mais si vous grossissez chaque atome jusqu’à ce qu’il soit grand comme un stadeolympique, soit plusieurs milliers de milliards de fois son diamètre réel, vous

Représentation purement imaginaired’un atome d’hydrogène

Représentation schématiqued’une molécule de glycine

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Chapitre 3 – LE MÉCANO

 verrez flotter au milieu une petite boule, pas plus grosse qu’un grain de riz: c’estle noyau de l’atome. Tout le reste du «stade olympique» ne contient rien d’autrequ’un ou quelques électrons qui se déplacent dans tous les sens. Pour arriver àce résultat, il vous a fallu rendre votre image cinq mille fois plus grande qu’à ladernière étape, ce qui veut dire que chaque protéine a maintenant la taille d’une

 ville et que la cellule est devenue grosse comme la Terre. Quant au bout de mapetite main, il est à cinq cents millions de kilomètres, plus de trois fois la distancequi sépare la Terre du Soleil.

ONZIÈME ÉTAPE: LES NUCLÉONS

Et ce noyau n’est pas encore la fin de votre quête, car si vous le grossissez à sontour jusqu’à ce qu’il atteigne la taille d’un petit fruit, vous constaterez qu’il peut

lui-même être «séparé» en particules plus petites appelées «protons» et«neutrons», qui ressemblent maintenant à de petits pois. (Pour plus desimplicité, les protons et les neutrons sont réunis sous un même nom, les«nucléons», c’est-à-dire les «particules faisant partie du noyau».) Chaque noyaude carbone en contient une douzaine, alors que les noyaux d’oxygène en onthabituellement seize. Par contre, les noyaux d’hydrogène ne contiennent géné-ralement qu’un seul proton.

Il ne faudrait pas oublier les électrons, qui «tournent» tout là-bas, à unegrande distance de leur noyau, et vous êtes maintenant en mesure de dire que je

suis constituée de milliards de milliards de milliards de protons, de neutrons etd’électrons, qui sont réunis en atomes, qui forment des molécules, des macro-molécules, et ainsi de suite jusqu’à moi.

DOUZIÈME ÉTAPE: LES QUARKS

Et vous voilà presque à la fin de votre entre-prise. Mais, comme vous êtes d’une curiositéincorrigible, vous vous demandez s’il ne seraitpas possible de décomposer les protons et lesneutrons en éléments plus simples. Et, puis-que vous avez bien appris votre leçon, vousrevoilà à vouloir grossir l’image, par dix, puispar cent. Malheureusement, les technologiesles plus puissantes dont les physiciens dispo-sent aujourd’hui ne permettent pas encore demesurer des objets dont le diamètre est plus decent fois plus petit que celui du proton, de tellesorte que vous ne pouvez plus poursuivre legrossissement. Pourtant, vous ne pouvez arrê-ter votre entreprise de démontage car, pour desraisons à la fois théoriques et expérimentales,

Représentation purement imaginaire

de quarks s’échangeant des gluons.

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les scientifiques ont découvert que les protons et les neutrons sont en fait cons-titués de trois «objets» plus petits et plus simples, appelés «quarks». Or, commeles quarks demeurent invisibles même à cette échelle incroyablement réduite, onpeut dire que leur diamètre est nécessairement plus petit que 10–18 mètre (unmilliardième de milliardième de mètre) et que même s’ils occupent un certain

 volume, celui-ci est inférieur au millionième du volume du proton (1/100 × 1/100× 1/100 = 1/1000000). On peut donc dire que les nucléons (neutrons et protons)sont eux aussi essentiellement vides.

Comme les quarks pourraient être beaucoup plus petits que ce 10–18 mètre,le modèle favorisé actuellement les considère comme des objets ponctuels, c’est-à-dire que, comme un point en mathématique, ils n’auraient aucun diamètre etn’occuperaient aucun volume. Cette vision des choses présente toutefois des

difficultés car, si les quarks sont ponctuels, ils sont nécessairement des particulesélémentaires, ce qui signifierait que notre entreprise de démontage ne pourrait jamais se poursuivre au-delà des quarks, peu importe les découvertes scien-tifiques qui attendent l’humanité au cours des prochains siècles.

On peut cependant garder l’espoir que notre longue quête de compréhensionn’est pas vraiment finie, car les quarks peuvent changer de masse, de chargeélectrique et d’autres attributs tous aussi importants, ce qui pourrait indiquerque ce ne sont pas des particules élémentaires, mais bien des structures réunis-sant des éléments encore plus petits et plus simples. Si tel est bien le cas, il resteraencore du travail à faire pour les générations futures, et c’est tant mieux.

Comme vous pouvez le constater, je suis un «objet» infiniment plus com-plexe qu’une automobile; non seulement parce que j’ai beaucoup plus de«pièces», et que chaque pièce est beaucoup plus compliquée, mais aussi, etsurtout, parce que la complexité ne s’interrompt à aucun niveau en moi.Contrairement à ce qui s’est passé avec l’auto, qui n’a pas d’étapes intermédiairesentre la petite vis et les atomes qui la constituent, dans mon corps, vous trouveztoujours des structures imbriquées dans des structures, peu importe à quelleéchelle vous m’analysez.

De plus, il importe de ne pas perdre de vue que tout cet exercice a quelque

chose d’artificiel et de réducteur, car il ne tient compte que des divers «objets»matériels qui me constituent. À cause de cela, il nous a fallu négliger sérieu-sement le fait que la plupart de ces «objets» n’ont de sens que dans la mesure oùils sont interreliés, agissant les uns avec les autres. Mais, au-delà de ces structuresfaciles à définir, je suis aussi le flux d’énergie que je reçois jour après jour et quitraverse mon organisme pour alimenter la grande danse chimique que nousrésumons par le simple mot: «vie».

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C H A P I T R E

LA PYRAMIDEDE LA COMPLEXITÉ

Mon petit corps pèse à peu près cent fois moins que l’automobile de maman,ce qui fait qu’il contient cent fois moins de particules. Et pourtant, si vous

m’aviez vraiment séparée en pièces détachées et que vous deviez maintenant mereconstruire correctement, il serait faux de croire qu’il vous suffirait de cent foismoins de temps que pour réassembler la vieille Volvo de maman.

Je suis un «objet» tellement plus complexe que toute comparaison directe estimpossible, et vous comprendrez que je vous épargne tout l’incroyable travailqui serait nécessaire si je vous demandais de reprendre toutes ces particulesindividuelles et de vous en servir pour fabriquer un organisme vivant comme

moi. Comme de toute façon l’exercice de séparation s’est fait de manière pure-ment imaginaire, nous allons simplement faire le chemin inverse de celui quenous venons de parcourir afin de ressortir des entrailles de la matière et remontergraduellement vers des objets de plus en plus complexes. Cela nous permettranon seulement de revoir les divers éléments matériels qui apparaissent à chaqueétape, mais également d’inclure les forces qui sont responsables de l’émergencede ces structures de plus en plus élaborées. Ce petit exercice nous permettraégalement de souligner que, plus un «objet» est complexe, plus les forces quiagissent sur lui sont subtiles et multiples, ce qui ouvre des portes à des compor-tements de plus en plus variés.

Chacun des «objets» que nous rencontrerons aurait besoin d’un livrecomplet pour être bien décrit. Il va donc de soi que je ne mentionnerai ici quequelques aspects particulièrement importants, laissant de côté une fouled’éléments tout aussi intéressants, mais moins essentiels à la compréhension denotre démarche principale, qui consiste à comprendre comment la complexitéémerge de ces diverses recombinaisons de structures.

PREMIER NIVEAU: LES FONDEMENTS DE LA MATIÈRE

Dans un premier temps, vous allez cesser de penser à mes quarks comme à des

«objets» séparés. (De toute façon, vous auriez été incapables de les séparerréellement les uns des autres, car, malgré tous les puissants instruments des

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physiciens, personne n’a encore été en mesured’isoler un quark autrement que par le pouvoirde son imagination.) Donc, vous vous concen-trez, vous clignez des yeux, vous claquez desdoigts, un petit coup de baguette magique, ethop! voilà que mes quarks vous apparaissentà nouveau réunis trois par trois au sein deprotons et de neutrons, exactement comme ilsl’étaient avant que vous ne les «sépariez».Regardons maintenant d’un peu plus prèscomment ces particules «fonctionnent».

C’est la force nucléaire forte qui retient les

quarks au sein de leurs trios respectifs. Elle se manifeste sous la forme de gluons,des «objets» étranges qui semblent avoir certaines caractéristiques propres auxparticules de matière, mais aussi certains comportements qui les rapprochentdes ondes. Ceux-ci jouent un rôle essentiel, car des gluons sont continuellementéchangés d’un quark à l’autre, et c’est cet échange qui les retient ensemble.

On pourrait faire une comparaison avec une partie de tennis ou de racket-ball jouée en apesanteur par trois athlètes capables de se déplacer à des vitesseshallucinantes dans toutes les directions. Chaque joueur (quark) envoie des multi-tudes de balles (gluons) à ses deux comparses, qui les attrapent au vol et les luiretournent tout aussi rapidement. Pour respecter les règles du jeu, les trois

quarks doivent limiter leurs lancers et leurs déplacements à l’intérieur d’uneenceinte sphérique, et c’est cette espèce de «court de tennis» que nous appelonsun «proton» ou un «neutron». (Rappelons que chaque quark occupe moins d’unmillionième du volume total du «court», et possiblement immensément moins.)

Tout comme on le voit dans plusieurssports d’équipe, il y a diverses «positions» queles quarks peuvent adopter, un peu comme aubaseball il y a un lanceur, un receveur, unarrêt-court, etc. Dans le monde des particules,on observe que, quand deux quarks sont enposition up, et que le troisième est en position

 down, le trio (uud) qu’ils forment est unproton. Si, au contraire, deux d’entre eux sonten position down, et le troisième en positionup, alors le trio (udd) qu’ils forment est unneutron.

Cette différence entre neutrons et protons est attribuable au fait qu’unecharge électrique est associée à la position du quark: s’il est en position up, il aune charge de +2/3, alors que s’il est en position  down, il a une charge de –1/3.

En raison de cela, le proton a une charge totale de +1, soit la somme de +2/3,

Up

Down Down

Neutron

Représentation schématiqued’un neutron, avec ses trois quarks

qui s’échangent des gluons.

Up

Down

Proton Up

Représentation schématiqued’un proton, avec ses trois quarks

qui s’échangent des gluons.

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Chapitre 4 – LA PYRAMIDE DE LA COMPLEXITÉ

+2/3 et –1/3 (u+u+d). Le neutron a quant à lui une charge électrique de 0, soit lasomme de +2/3, –1/3 et –1/3 (u+d+d). Personne ne sait ce qui cause ces charges,ni pourquoi la charge de l’électron (–1) correspond très exactement à la différenceentre la charge du quark up, +2/3, et celle du quark down, –1/3. Ce qu’on sait,par contre, c’est que cette force électrique joue un rôle essentiel dans la plupartdes structures supérieures et qu’elle est au cœur de toute la chimie de la vie.

Comme la force nucléaire est très forte et qu’elle n’agit que sur une trèscourte distance, les protons et les neutrons sont les objets les plus denses quenous connaissons, sauf peut-être les trous noirs. Et pourtant, comme nousl’avons vu au chapitre précédent, les protons et les neutrons sont presquecomplètement vides. Si nous avons une impression de matière, c’est que lesquarks mettent tellement d’énergie dans leur jeu commun, ils se déplacent si

rapidement et ils échangent des quantités si phénoménales de gluons qu’ils noussemblent occuper tout le volume à la fois. Le phénomène ressemble à l’effet quele créateur de dessin animé recherche en mettant une multitude de pattes sousle personnage de Road Runner pour nous montrer qu’elles bougent rapidementet qu’il court très vite. Ces pattes, et la poussière qu’elles soulèvent, semblentalors occuper tout l’espace sous le Road Runner, un peu comme les quarkssemblent occuper tout l’espace à l’intérieur de leur proton ou de leur neutron.

Le volume des nucléons est donc une excellente illustration du fait que,même dans ses manifestations les plus intimes, la matière a des propriétés quinaissent des interactions entre les «objets». Autrement dit, si les propriétés des

protons et des neutrons n’étaient rien de plus que la somme des propriétés deleurs quarks, les nucléons n’auraient à peu près aucun volume. Quand unepropriété apparaît ainsi dans une structure en raison des interactions entre seséléments, on parle de «propriété émergente».

Voilà donc une première étape de franchie et, au lieu d’une soupe de quarkset d’électrons, lesquels ressemblaient plus à de l’énergie pure qu’à de la vraie«matière», mes particules ont repris un peu de leur consistance matérielle.

DEUXIÈME NIVEAU: PETIT PAS POUR LES NUCLÉONS,

GRAND SAUT POUR LA COMPLEXITÉPour passer à la prochaine étape de ma reconstruction, vous allez devoir

cesser de penser à mes protons et à mes neutrons comme à des entités séparées,et ils vont réapparaître à l’intérieur des noyaux qu’ils formaient avant que votreimagination ne les «sépare». La plupart de mes protons et de mes neutrons seretrouvent donc réunis en quantités à peu près égales dans les noyaux de mesatomes lourds, mais il reste tout de même une certaine quantité de protons isolésqui n’ont rejoint aucun noyau lourd; ce sont ceux qui provenaient de mes atomesd’hydrogène, dont le noyau ne contient généralement qu’un seul proton.

Mais, si vous regardez attentivement ces noyaux d’hydrogène, vous verrezqu’une infime minorité d’entre eux contiennent un neutron en plus du proton.

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Chapitre 4 – LA PYRAMIDE DE LA COMPLEXITÉ

solide parce qu’elle est entièrement constituée de tubes réunis en triangles. C’estégalement ce principe qui est généralement utilisé pour faire des pylônesélectriques à la fois solides et légers.)

La stabilité particulière du noyau d’hélium en a fait la principale briqueservant à la construction des noyaux plus lourds, de telle sorte que la plupartdes atomes lourds qui constituent mon organisme peuvent être vus comme desagrégats de particules alpha. C’est le cas, par exemple, des noyaux d’oxygène,qui contiennent huit protons et huit neutrons, soit quatre particules alpha, etdes noyaux de carbone, avec six protons et six neutrons, soit trois particulesalpha. La formule n’est toutefois pas universelle, et il y a également quelquesnoyaux lourds comme ceux de carbone 14 et d’azote qui n’entrent pas dans cettecatégorie.

Ainsi, même dans ces manifestations les plus intimes de la matière, on voitdéjà comment la complexité se développe par une suite de recombinaisons:

1. trois quarks pour former des neutrons et des protons,

2. un proton et un neutron pour former un deutérium,

3. deux deutériums pour former une particule alpha,

4. trois ou quatre particules alpha pour former mes noyaux lourds (carbone etoxygène).

Les propriétés nouvelles qui émergent de ces niveaux superposés de com-plexité ne sont pas encore apparentes parce qu’elles concernent surtout lesrelations que ces noyaux entretiennent avec les électrons. Cela nous amène àpasser au prochain niveau.

TROISIÈME NIVEAU: LA VALSE DES ÉLECTRONS

Nous voici donc rendus au moment où vous allez permettre à mes électrons dereprendre leurs interactions avec leurs noyaux respectifs et reconstituer les diversatomes qu’on trouvait dans mon corps. Pour chaque 10000 atomes, vous enretrouvez un peu moins de 6300 qui sont des atomes d’hydrogène, 2550 qui sontdes atomes d’oxygène, 950 de carbone, 140 d’azote, 30 de calcium, 20 de phos-phore, 6 de potassium, 5 de soufre, 3 de sodium, 3 de chlore et 1 de magnésium.En regardant de plus près, vous trouverez également des traces infimes deplusieurs autres éléments, comme un peu de fer pour mon sang, de l’iode pourma glande thyroïde, du fluor pour mes dents, etc.

Commençons par l’atome d’hydrogène, le plus commun, non seulement dansmon petit corps, mais également dans l’Univers au complet. C’est aussi, etsurtout, le plus simple à comprendre, car l’unique proton de son noyau ne peutretenir qu’un seul électron. Ces deux particules sont attirées l’une par l’autre

parce que la charge électrique négative de l’électron lui permet de réagir à la

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Du Big Bang au Village planétaire

charge électrique positive du proton. Encoreune fois, on pourrait comparer leur relationà une espèce de partie de tennis, mais,comme le proton est presque 2000 fois pluslourd, il reste au centre et c’est l’électron qui

 virevolte dans tous les sens à une très grandedistance du noyau. Les «balles» d’énergieélectromagnétique qu’ils s’échangent sontappelées «photons». Tout comme les gluonsqui sont échangés entre quarks, les photonsont une double nature, avec un comportement qui s’apparente parfois à celuides ondes, tout en ayant à l’occasion des manifestations qui ressemblent plutôtà celles des particules de matières.

Les règles qui s’appliquent à ce « jeu» font en sorte que les mouvements del’électron se limitent la plupart du temps à une espèce de coquille sphériquecentrée sur le proton et appelée «orbitale 1s». L’électron ne s’approche à peuprès jamais en deçà d’une certaine distance du proton; en revanche, il nes’éloigne que très rarement au-delà d’uneautre limite. Entre ces deux «distancescritiques», l’électron semble libre de fairen’importe quel mouvement, un peu commes’il pouvait disparaître d’un point donné pourréapparaître aussitôt à n’importe quel autrepoint de la coquille, sans avoir véritablementsuivi une «trajectoire précise» entre les deuxpoints. Comme ces mouvements lui per-mettent d’intercepter à peu près tous lesphotons lancés par son proton, il n’y a pas deplace pour qu’un second électron se joigne àla partie.

Passons maintenant à l’atome d’hélium, qui est bâti sur le même principeque l’atome d’hydrogène, sauf qu’avec deux protons dans son noyau, il attire

deux électrons. Ces deux électrons occupent la même coquille sphérique 1s,chacun échangeant des multitudes de photons avec chacun des deux protons.(Les deux neutrons du noyau ne participent pas à ce jeu, car ils sont électrique-ment neutres, comme leur nom l’indique.) La formule de «jeu» de l’hélium estparticulièrement stable avec un très grand équilibre entre les particules et entreles forces. Les électrons arrivent à «patrouiller» leur coquille de façon trèsefficace, interceptant tous les photons émis par le noyau, de telle sorte quel’atome d’hélium est à peu près parfaitement neutre du point de vue électrique.On dit alors que son orbitale est «saturée», car une orbitale ne peut pas accueillirplus de deux électrons à la fois. (Un peu comme un terrain de tennis ne peut pas

accueillir plus d’une ou deux personnes de chaque côté du filet afin d’éviter les

Électron

Proton

Photon

Représentation dite «planétaire»d’un atome d’hydrogène

Représentation schématiqued’un atome d’hydrogène

avec son orbitale 1s

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Chapitre 4 – LA PYRAMIDE DE LA COMPLEXITÉ

collisions entre joueurs.) La principale consé-quence est que l’hélium «refuse» systémati-quement d’interagir avec les autres atomes,de telle sorte que cette grande stabilité élec-tronique en a fait une impasse sur le chemin

 vers la complexité : on ne le retrouve nullepart dans mes molécules ou dans quelquestructure moléculaire que ce soit.

Exception faite de l’hydrogène, les troisatomes les plus communs dans mon corpssont l’oxygène, l’azote et le carbone. Commeces trois atomes sont au cœur de toute la chimie de la vie, nous devons prendre

un peu de temps pour bien comprendre de quoi ils sont constitués et commentils «fonctionnent».

Commençons par un noyau de carbone, le plus simple des trois, et laissonsdes électrons s’en approcher un à la fois. Comme on pourrait s’y attendre, lepremier électron se retrouve dans une orbitale sphérique 1s semblable à cellesdes atomes d’hydrogène et d’hélium. Mais, comme cet unique électron estincapable d’attraper tous les photons émis par les six protons du noyau, l’atomereste fortement chargé et il attire d’autres électrons. Le deuxième électron faitcomme celui de l’atome d’hélium et se place sur la même orbitale 1s que lepremier électron, de telle sorte que cette orbitale est saturée.

Même avec deux électrons, de nombreux photons continuent de s’échapper,et l’atome reste toujours fortement chargé électriquement. Nous pouvons donccontinuer notre processus de reconstruction en laissant un troisième électrons’approcher. Ce troisième électron ne peut pas rejoindre ses deux collègues, carl’orbitale 1s que ceux-ci «patrouillent» est saturée. L’électron nº 3 se trouve doncà former une nouvelle orbitale sphérique pluséloignée du noyau et qu’on appelle 2s. L’élec-tron nº 4 vient l’y rejoindre, et l’orbitale 2sdevient elle aussi saturée. L’organisation deces quatre électrons en deux orbitales sphé-riques fait un peu penser aux parties de tennisà quatre joueurs, dans lesquelles un joueur dechaque équipe reste à proximité du filet, alorsque les deux autres joueurs demeurent prèsdes limites extérieures du terrain pour couvrirles longues balles.

Par contre, même avec deux orbitalessphériques saturées, l’atome de carbone n’estpas encore neutre électriquement, car ses six

protons émettent toujours plus de photons

Représentation schématique d’unatome d’hélium avec son orbitale 1s

saturée d’électrons

Représentation schématique

des orbitales 1s et 2s du carbone

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Du Big Bang au Village planétaire

que les quatre électrons ne peuvent en attra-per. On peut donc laisser deux autres élec-trons s’en approcher, et on pourrait s’attendreà ce qu’ils forment à leur tour une troisièmeorbitale sphérique encore plus éloignée dunoyau que les deux précédentes. Mais si lesélectrons n’avaient formé rien d’autre que cegenre d’orbitales sphériques superposées lesunes sur les autres comme des peluresd’oignon, les atomes seraient incapables de secombiner en molécules comprenant plus dedeux atomes et notre Univers n’aurait proba-blement engendré que peu de complexité.

Ce ne fut pas le cas, car les choses changentà partir du cinquième électron. Au lieu des’installer sur une orbitale sphérique que nousaurions pu appeler «3s», ce quatrièmeélectron de l’atome de carbone forme plutôtune orbitale en forme de 8, un peu comme lespistes de course automobile pour enfants,avec le noyau situé tout juste au centre, là oùla piste se croise elle-même. (On pourraitaussi parler de sablier ou d’arachides, ou detoute autre forme qui aurait deux partiesrenflées séparées par un goulot.) Ce cin-quième électron passe donc la plus grandepartie de son temps à l’intérieur de ces deuxlobes, sautant constamment de l’un à l’autre.Cette orbitale est plus longue et plus étroiteque la 2s, de telle sorte que l’électron peutparfois se trouver plus près du noyau que sescollègues en 2s, alors qu’à d’autres moments ilen est un peu plus éloigné. Pour bien distinguer cette nouvelle configuration decelle des orbitales sphériques «s», on nomme «p» ces orbitales de forme plusallongée. De plus, comme elles ne sont utilisées qu’après que la 2s soit saturée,on les désigne par «orbitales 2p».

Les choses deviennent encore plus intéressantes quand on laisse un sixièmeélectron approcher. Au lieu d’aller rejoindre le nº 5 déjà installé sur son orbitale2p, ce nouveau venu s’installe sur une nouvelle orbitale 2p, tout à fait semblableà la première, mais placée à un angle de 90° par rapport à elle. Ces deux orbitalesforment donc une sorte de croix centrée sur le noyau et dont les extrémitésdépassent un peu l’orbitale 2s. (Cette forme prendra tout son sens quand viendra

le temps de former des molécules.) Avec ces six électrons en «orbite» autour du

y

z

x

y

z

x

y

z

x

Orbitales 2px, 2p y et 2pz

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Chapitre 4 – LA PYRAMIDE DE LA COMPLEXITÉ

noyau, l’atome de carbone est devenu électriquement neutre et n’attire plusd’autres électrons. Il est donc temps pour nous de passer aux atomes d’azote etd’oxygène.

Comme le noyau d’azote contient sept protons, il peut attirer sept électrons.Les six premiers s’organisent de la même façon que ceux du carbone, et leseptième électron s’installe sur une troisième orbitale 2p. Celle-ci se trouve aussià 90° des deux autres, de telle sorte que ces trois orbitales 2p sont disposées dansl’espace comme les trois axes x, y et z en mathématiques. Afin de les distinguer,on les désigne habituellement comme 2px, 2py et 2pz.

Le noyau d’oxygène contient quant à luihuit protons; il peut donc attirer huit élec-trons. Les sept premiers sont disposés comme

ceux de l’atome d’azote, soit deux en 1s, deuxen 2s et les trois autres occupant chacun uneorbitale 2p. Le huitième électron de l’oxygènes’installe pour sa part sur une de ces orbitales2p, rejoignant un collègue déjà sur place.L’atome d’oxygène se retrouve donc avec sesorbitales 1s, 2s et 2pz qui sont saturées, tandisque les orbitales 2px et 2py continuent à necontenir qu’un seul électron chacune.

Il est très important de comprendre cettearchitecture particulière engendrée par lesorbitales électroniques 2p, car c’est elle qui estau cœur du comportement de plusieurs atomes, notamment en ce qui concerneles relations que les atomes de carbone, d’azote et d’oxygène peuvent établir entreeux et avec l’hydrogène. Les orbitales 2p sont en quelque sorte la clé qui permetde comprendre la chimie de la vie, constatation qui nous ouvre la porte pourpasser au niveau suivant.

QUATRIÈME NIVEAU: LES RÈGLES DU PARTAGE

Pour cette partie, nous allons tenir pour acquis que vous avez laissé tous mesélectrons aller rejoindre leurs noyaux et que tous mes atomes sont reconstitués.Vous allez maintenant prendre quelques exemplaires des principaux atomes quime constituent, les mettre en présence les uns avec les autres et les laisser interagir.

Commençons donc avec deux atomes d’hydrogène isolés et permettez-leur dese rencontrer. Ils se réunissent immédiatement pour former une nouvellestructure appelée «molécule d’hydrogène», aussi connue sous le nom de«dihydrogène». (Bien qu’il n’y ait à peu près pas de molécules d’hydrogène dansmon petit corps, cela vaut la peine qu’on s’y attarde, d’abord en raison de sa

simplicité, puis parce que c’est la molécule la plus commune et la plus anciennede l’Univers.)

y

z

x

Orbitale 1s,2 électrons

Orbitale 2s,2 électrons

Représentation schématiquede l’atome d’oxygène

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Du Big Bang au Village planétaire

On pourrait expliquer la formation de la molécule d’hydrogène (H2) en ayantrecours une fois de plus à l’analogie de la partie de tennis. Les choses se passentun peu comme si l’atome d’hydrogène connaissait un léger déséquilibre élec-trique constant parce que son unique électron a beau «se déplacer» trèsrapidement, il ne peut pas être des deux côtés en même temps, de telle sorte qu’ilrisque toujours d’y avoir quelques photons vagabonds qui échappent à sa vigi-lance. Cette analogie laisse à désirer, mais son objectif est de «traduire» dansnotre réalité un concept assez mystérieux de la mécanique quantique lié auprincipe d’exclusion de Pauli et qui veut que chaque orbitale puisse accueillirdeux, et seulement deux électrons. De plus, non seulement il ne peut jamais yavoir plus de deux électrons sur une même orbitale, mais dès qu’il y a un électronsolitaire sur son orbitale, l’atome a tendance soit à perdre cet électron, soitaccueillir un électron supplémentaire pour venir combler ce «manque», ou

encore, s’il lui est impossible de retenir un électron supplémentaire, il auratendance à «partager» des électrons avec des atomes voisins.

Pour poursuivre notre analogie, on pourrait dire que s’il y a un second atomed’hydrogène dans le voisinage, son électron sera attiré par cette source dephotons vagabonds et les deux atomes s’approcheront l’un de l’autre. Comme cesecond atome d’hydrogène «souffre» lui aussi d’un léger déséquilibre électrique,les deux atomes se partagent les deux électrons et une molécule d’hydrogène estformée, avec chacun des deux électrons qui échange des photons avec chacundes deux protons. Les règles du jeuleur ordonnent alors de limiter leursmouvements à une orbitale qui prendla forme d’une arachide. Les électronsont alors tendance à se concentrerdans la région entre les protons etproduisent ainsi une force d’attrac-tion qu’on appelle «lien chimiquecovalent».

Contrairement à l’atome d’hydrogène, la molécule d’hydrogène ne connaîtpas de déséquilibre électrique. Avec deux électrons, la situation ressemble à celle

de l’atome d’hélium: toutes les parties de la périphérie sont adéquatementpatrouillées, et à peu près aucun photon ne parvient à échapper à leur vigilance.C’est ce qui explique pourquoi une molécule d’hydrogène ne peut pas s’unir àune autre molécule d’hydrogène, ni à un autre atome d’hydrogène. Ne cherchezpas de molécules comprenant trois atomes d’hydrogène (H3); il n’y en a nullepart dans l’Univers, même pas dans mon petit organisme.

Pour parler en termes de mécanique quantique, il faudrait plutôt dire queles deux atomes d’hydrogène se partagent les deux électrons de façon à comblerce «manque» que chacun «ressentait» du fait d’avoir un électron solitaire surson orbitale 1s. Le principe de base est donc qu’un électron qui se retrouve tout

seul sur son orbitale constitue une espèce de «crochet» qui cherche à établir une

Représentation schématiqued’une molécule d’hydrogène

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Chapitre 4 – LA PYRAMIDE DE LA COMPLEXITÉ

collaboration avec un électron semblablement solitaire en provenance d’un autreatome. Lorsque ce partage d’électrons se produit, chacun des deux atomesimpliqués devient un peu plus stable qu’il ne l’était quand son électron étaitsolitaire, de telle sorte que la formation de ce lien s’accompagne d’une émissiond’énergie. Autrement dit, l’énergie totale contenue dans la molécule est moindreque la somme des énergies de chaque atome seul (H + H = H2 + énergie).Inversement, pour rompre ce lien entre les deux atomes, il faudra redonner del’énergie à la molécule afin que chaque atome redevienne un peu plus instable,comme il l’était avant la formation du lien. On appelle cette différence «énergiede liaison», qui repose en grande partie sur l’attraction que les noyaux exercentsur leur entourage, d’abord sur leurs propres électrons, puis sur les électrons desatomes voisins.

Passons maintenant à une molécule unpeu plus complexe, mais beaucoup plus fami-lière: l’eau, aussi connue sous son appellationscientifique de «H2O». Comme la moléculed’hydrogène (H2), la molécule de H2Ocontient deux atomes d’hydrogène, mais, aulieu d’être unis l’un à l’autre, ceux-ci sontaccrochés de part et d’autre d’un atomed’oxygène. Cela se produit parce que lesorbitales 2px et 2py de l’oxygène sont occupéespar des électrons solitaires, et qu’ils peuventdonc servir de crochets en étant partagés avecd’autres atomes. Ainsi, si vous mettez deuxatomes d’hydrogène individuels en présenced’un atome d’oxygène, les électrons insa-tisfaits des atomes d’hydrogène vont allerrejoindre chacun une orbitale à moitié librede l’atome d’oxygène, créant ainsi un lien covalent entre son atome d’hydrogèneet l’atome d’oxygène.

Tout comme c’était le cas pour la formation de la molécule d’hydrogène (H2),

quand un atome d’hydrogène forme un lien covalent avec un atome d’oxygène,les deux atomes se retrouvent plus stables que lorsqu’ils étaient séparés. Or, plusstable veut dire contenir moins d’énergie. Donc, quand un tel lien se forme, unepetite quantité d’énergie est libérée (2 H2 + O2 = 2H2O + énergie). Mais si l’oncompare les deux phénomènes, on constate qu’il y a beaucoup plus d’énergielibérée quand un hydrogène s’unit à un oxygène (O–H) que lors de l’union dedeux atomes d’hydrogène (H–H). Inversement, il faudra beaucoup plus d’énergiepour briser le lien O–H que pour séparer deux atomes d’hydrogène. Comme ilest beaucoup plus difficile de briser une molécule d’eau qu’une moléculed’hydrogène, on dit que l’eau est très stable, ou encore «pauvre en énergie».

y

z

xH

H

Une molécule d’eau se forme parce quedeux atomes d’hydrogène s’accrochent

à l’atome d’oxygène.

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Du Big Bang au Village planétaire

Une autre caractéristique importante del’atome d’oxygène provient du fait que sesorbitales 2p sont à angle droit l’une parrapport à l’autre. En conséquence, les atomesd’hydrogène se placent eux aussi à peu près à90° l’un de l’autre, et la molécule prend laforme d’un accent circonflexe, avec l’oxygèneau sommet et les hydrogènes à chacune desextrémités. Or, le partage d’électrons entrel’oxygène et les atomes d’hydrogène voisins nese fait pas de façon parfaitement équitable.L’attraction supérieure du gros noyau d’oxy-gène (six protons) fait en sorte que les élec-

trons partagés passent plus de temps aucentre de la molécule que dans les extrémités.À cause de cela, la pointe de l’accent circon-flexe porte une légère charge négative, alorsque les extrémités sont plutôt chargées positi-

 vement. (Pour revenir à notre analogie desniveaux précédents, on dira que quelquesphotons vagabonds échappent à la vigilancedes électrons dans les extrémités, alors que leur présence prolongée au milieude la molécule rend cette partie de l’accent circonflexe particulièrement réceptive

pour attraper les photons vagabonds en provenance des autres molécules.)En conséquence, lorsque plusieurs molécules d’eau sont réunies, les

extrémités des unes sont attirées par les pointes de leurs voisines, ce qui donneà l’ensemble une viscosité exceptionnelle et permet à l’eau de demeurer liquideà des températures bien supérieures à la majorité des autres molécules simplesqui se volatilisent beaucoup plus facilement. Cette architecture particulière estégalement responsable de la plupart des propriétés de l’eau, comme le fait quela glace flotte sur l’eau et l’incroyable variétéde motifs qu’on trouve dans les jolis floconsde neige.

Comme il n’a qu’un seul électron à par-tager, l’atome d’hydrogène ne peut établirqu’un seul lien et ne peut former qu’une seulesorte de molécule. Par contre, avec deuxélectrons solitaires sur des orbitales 2p,l’atome d’oxygène peut soit établir des lienssimples avec deux atomes à la fois, soit unlien double avec un autre atome, de telle sorteque, si vous mettez des atomes d’oxygène

ensemble, ils peuvent se réunir deux par deuxou trois par trois. S’ils sont en duos, chaque

02

03

Oxygène moléculaire (O2) et ozone (O3)

Noyaude O

Noyaude H

H   H

O

Deux représentations schématiquesde la molécule d’eau

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Chapitre 4 – LA PYRAMIDE DE LA COMPLEXITÉ

atome établit non pas un lien, mais deux liens avec son voisin, une moléculequ’on peut symboliser par O=O, le double tiret représentant le double partaged’électrons. S’ils sont en trios, chaque atome a un seul lien avec chaque voisin,et ils forment une molécule triangulaire appelée «ozone» (O3).

Comme nous l’avons vu au niveau pré-cédent, l’atome d’azote (N) a trois orbitales 2pqui ne contiennent qu’un seul électron cha-cune. Cet atome a donc trois crochets grâceauxquels il peut établir des liens avec d’autresatomes aux électrons solitaires, à l’instar de lamolécule d’ammoniac (NH3). Les liens entrel’azote et les atomes d’hydrogène (N–H) sont

moins forts que les liens entre l’oxygène etl’hydrogène (O–H), ce qui fait que la moléculed’ammoniac est moins stable que la moléculed’eau et qu’il est plus facile de la faire entrer enréaction chimique avec d’autres produits.

Avec six électrons, le carbone se retrouve avec deux orbitales 2p où il n’y aqu’un seul électron, et sa troisième orbitale 2p complètement vide. En raison decela, un des deux électrons de l’orbitale 2s peut «migrer» vers l’orbitale 2p vide,laissant son collègue seul sur 2s. Ainsi, l’atome de carbone se retrouve avecquatre orbitales à moitié vides (crochets) qui

lui permettent d’établir des liens avec quatreautres atomes. Comme il est impossibled’avoir quatre axes formant des angles droits,les quatre crochets du carbone se répartissentplutôt comme les sommets d’un tétraèdre, cequ’on voit clairement avec la molécule deméthane (CH4). Notons que le lien entre lecarbone et l’hydrogène (C–H) est encore plusfaible que le lien entre l’azote et l’hydrogène(N–H), et donc beaucoup plus faible que le

lien entre l’oxygène et l’hydrogène (O–H).C’est cette propriété qui fait que le méthaneest «riche en énergie» et peut en conséquenceservir de carburant.

Avec ses quatre liens, le carbone peutaussi former toutes sortes de combinaisonsdifférentes comme le gaz carbonique (CO2),dans laquelle il partage deux crochets avecchacun des atomes d’oxygène (O=C=O). On leretrouve également formant des chaînes et

des réseaux comme le graphite et le diamant.

H   H

N

HAmmoniac

H   H

C

H

     H

HH

H

H

C

Méthane: Représentation simplifiéeclassique (A) et représentation plus réalistede la structure tridimensionnelle (B)

Gaz carbonique

A

B

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Du Big Bang au Village planétaire

En fait, les diverses sortes de liens que le carbone peut établir avec d’autresatomes sont tellement riches et variées qu’une branche complète de la chimieleur a été consacrée: la chimie organique.

CINQUIÈME NIVEAU: AUX FRONTIÈRES DU VIVANT

Faisons maintenant un pas de plus et regardons comment les molécules simplespeuvent se réunir pour former des structures de plus en plus complexes, jusqu’àproduire ces cathédrales de l’architecture moléculaire que sont les protéines etles acides nucléiques.

Cette partie commence plutôt mal, car les molécules simples comme H2,H2O, NH3, CH4, O2 et CO2 ont toutes les orbitales de tous leurs atomes occupées

par deux électrons, de telle sorte qu’à moins qu’on ne leur fournisse de l’énergiepour rompre les liens existants, elles ne cherchent pas à interagir avec d’autresatomes. À cause de cela, elles ne peuvent pas vraiment servir de «briques» debase pour la construction de structures plus complexes. Pour qu’elles puissentremplir cette fonction, il faudra donc qu’au moins un atome leur soit arraché etqu’elles soient ainsi tronquées, à nouveau «intéressées » à établir des liens avecd’autres atomes. Ces molécules tronquées se retrouvent souvent avec un électronen trop ou un électron en moins. Elles sont alors appelées «ions», mot quirecouvre un phénomène très important dont nous ne pourrons malheureu-sement pas parler ici.

Ainsi, si une molécule d’eau se fait arracher un atome d’hydrogène, il ne resteplus qu’un duo –OH, soit une molécule tronquée particulièrement réactive queplusieurs connaissent sous le nom de «radicaux libres». Elle peut se recombinernon seulement avec un atome d’hydrogène pour reformer une molécule d’eau,mais également avec tout autre atome disposant d’un lien inoccupé. Elle peutaussi se raccrocher à une autre molécule tronquée, comme deux groupes –OHqui se rencontrent pour former une moléculeH–O–O–H, le peroxyde d’hydrogène. Lesautres molécules de base peuvent égalementformer des groupes actifs du même genre

lorsqu’elles deviennent tronquées après s’êtrefait arracher un atome, comme l’ammoniacqui devient du –NH2, le méthane qui devientdu –CH3, le CO2 qui devient du –CO, etc. Cesont ces molécules tronquées qui peuventensuite se recombiner entre elles pour consti-tuer les molécules organiques.

Le phénomène est particulièrement intéressant dans le cas des groupescomprenant des atomes de carbone car, avec leurs quatre crochets, ils peuventfacilement former de longues chaînes. Ainsi, si vous prenez deux groupes –CH3,

 vous pouvez les unir pour former une molécule dont la formule chimique est

H

HO

OPeroxyde d’hydrogène

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Chapitre 4 – LA PYRAMIDE DE LA COMPLEXITÉ

C2H6. Si vous arrachez un des atomes d’hy-drogène situés au bout de cette nouvellemolécule pour le remplacer par un autregroupe –CH3, vous obtenez du C3H8 ; vouspouvez ensuite recommencer le même pro-cessus et obtenir du C4H10, du C5H12, etc.C’est cette capacité de former des chaînes quifait que le carbone constitue l’armature debase de toutes les molécules propres à la vie.

Les véritables briques de base des molé-cules organiques sont donc les moléculestronquées mentionnées ci-dessus ainsi que de

nombreuses autres du même genre, comme legroupe alcool (–CH2OH), le groupe hydroxyle(–COOH), le groupe thiol (–CH2SH), le groupephosphate (–H3PO4), etc. Ce sont ces petitsgroupes d’atomes qu’on retrouve au sein demolécules plus complexes, tel l’acide lactique,constitué d’un groupe –CH3, d’un groupe–CHOH– et d’un groupe –COOH, la glycine,formée d’un groupe –NH2, un groupe –CH2– et un groupe –COOH, ou la vitamine C,formée de groupes –HCO et –HCOH–.

Cette formule de recombinaisons de petits groupes d’atomes a été reprised’innombrables façons par la vie, et rien que dans mon petit corps à moi, il y ades milliers de variétés de produits chimiques relativement simples comprenantentre trois et douze groupes de ce genre, qui incluent donc entre une demi-douzaine et quelques douzaines d’atomes.

Le carbone joue un rôle primordial non seulement parce qu’il sert le plussouvent comme armature de base pour ces diverses molécules organiques, maiségalement parce que les chaînes de carbone ont parfois la possibilité de serefermer sur elles-mêmes pour former un anneau central sur lequel des groupessecondaires peuvent se greffer. Ces anneaux, ou carbones cycliques, sontessentiels à la chimie de la vie, car ils offrent encore plus de possibilités architec-turales que les simples chaînes, propriété largement exploitée sous toutes sortesde formes dans mes petites cellules.

SIXIÈME NIVEAU: QUATRE GRANDES FAMILLES DE MOLÉCULES

Parmi les milliers de sortes de molécules organiques nécessaires pour assurerma survie, quatre grandes familles jouent un rôle central: les lipides, les sucres,les acides aminés (unités de base des protéines) et les nucléotides (unités de basede l’ADN et de l’ARN).

HCH4

C3H

8

C4H

10

C2H

6

H

H

C   H

H

H

H

H

H

C C

H

H

HC

H

H

H

H

H

C

H

H

C C

H

H

HC

H

H

H

H

H

C C   H

Quelques exemples de moléculescomportant des chaînes de carbone.

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Du Big Bang au Village planétaire

Les lipides (acides gras, graisses et phosphoglycérolipides)

Les hydrocarbures sont des chaînes de groupes –CH2– avec un groupe –CH3 à

chaque extrémité (C3H8, C4H10, C5H12, etc.). Ces molécules ne se mélangent pasaux molécules d’eau; c’est d’ailleurs pourquoi l’essence et l’huile à chauffageflottent sur l’eau. Ce phénomène, appelé «hydrophobie», s’explique par lesarchitectures respectives de ces deux sortes de molécules.

Contrairement aux molécules d’eau qui ont une légère charge négative ausommet et des zones positives dans leurs extrémités, les chaînes de groupes–CH2– n’ont aucune polarité de ce genre. Les atomes de carbone attirent bienles électrons un peu plus fortement que les atomes d’hydrogène voisins, mais,comme ils le font de façon égale de part et d’autre de la molécule, il n’en résulteaucune polarité permanente.

En conséquence, s’il y a deux molécules de ce genre dans de l’eau, les moléculesd’eau situées entre elles vont être attirées ailleurs par les autres molécules d’eau,créant une espèce de vide qui va faire en sorte que ces deux moléculesd’hydrocarbures vont se coller l’une contre l’autre. S’il y a beaucoup de molécules dece genre dans l’eau, les molécules d’eau continueront à les éviter, les forçant à seréunir pour former des gouttelettes et, éventuellement, à flotter à la surface.

Les acides gras sont comme les hydrocarbures, sauf que, à un bout, le groupe–CH3 a été remplacé par un groupe acide –COOH. Or, les molécules d’eau recherchentla compagnie du groupe –COOH, car il estpolarisé, avec une légère charge positive

près de l’hydrogène et une légère chargenégative près de son voisin oxygène.L’acide gras est donc une molécule «schi-zophrène» qui a une «double person-nalité», avec une extrémité –COOH quisocialise facilement avec les moléculesd’eau et une extrémité –CH3 qui estrepoussée par elles. En conséquence,lorsqu’elles sont mises à la surface del’eau, les molécules d’acides gras ont

tendance à s’aligner parallèlement les unes auxautres, avec toutes leurs têtes –COOH près del’eau, et toutes leurs queues de –CH3 près de l’air.L’effet ressemble un peu à ce que vous obtien-driez si vous plantiez des pieux un à côté del’autre (comme les forts du Far-West), maisqu’après avoir créé une première palissade, vousen érigiez une seconde juste derrière, puis unetroisième, et ainsi de suite jusqu’à ce que tout lefort ne soit rien d’autre qu’un grand carré rempli

de pieux serrés les uns contre les autres.

Extrémitéhydrophile

Oxygène

Carbone

Carbone

Hydrogène

Hydrogène

Extrémitéhydrophobe

Oxygène

Structure d’un acide gras

Acides gras alignés les uns sur les autresà la surface de l’eau

Air

Eau

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Chapitre 4 – LA PYRAMIDE DE LA COMPLEXITÉ

Les acides aminés

Les acides aminés sont plus difficiles à

caractériser que les molécules de sucre, car ilen existe vingt sortes différentes et leursdifférences sont beaucoup plus apparentesque leurs ressemblances. Nous commen-cerons donc par la plus simple à comprendre,la glycine, molécule formée d’un groupe–NH2, d’un groupe –CH2– et d’un groupe–COOH.

Comme tous les acides aminés, la glycine est d’abord constituée d’une courtechaîne formée de trois principaux atomes: l’azote du NH2, le carbone du CH2 et

le carbone du COOH. Nous symboliserons donc cette chaîne principale parN–C–C. Cette « linéarité» est essentielle à la chimie de la vie parce que les acidesaminés individuels sont des produits chimiques assez peu intéressants et ce n’estque lorsqu’ils sont enfilés les uns à la suite des autres qu’ils révèlent leur utilitéréelle. Pour former une chaîne d’acides aminés, il faut donc arracher unhydrogène au groupe –NH2 à une extrémité,et un duo –OH au groupe –COOH à l’autreextrémité. Le –H et le –OH se rejoignent pourformer une molécule d’eau, et vous restezavec une molécule de glycine doublement

tronquée, avec un crochet à chaque extrémité(–N–C–C–). Si vous recommencez la mêmeopération avec quelques autres molécules deglycine et que vous les mettez en présence lesunes avec les autres, leurs crochets serejoindront et vous obtiendrez une chaînetoujours basée sur les mêmes trois atomes,soit –N–C–C–N–C–C–N–C–C–. C’est cettechaîne de base qui forme l’armature desprotéines.

Les dix-neuf autres sortes d’acides aminés utilisés pour fabriquer des protéinespeuvent être considérées comme des variations sur ce même thème. En effet, touspossèdent cette base –N–C–C– qui leur permet de s’enfiler les uns à la suite desautres, un peu comme des wagons de chemin de fer qui ont une base communepour s’accrocher les uns aux autres et rouler ensemble sans problème. Cette bases’appelle la «chaîne principale». De plus, chaque acide aminé a une chaîne latéralequi lui est propre, tout comme les wagons de chemin de fer ont une partiesupérieure qui varie grandement d’un type à l’autre (wagon-citerne, wagon àbestiaux, wagon à minerais, etc.). Dans le cas de la glycine, cette chaîne latérale esttrès modeste car elle se limite à l’atome d’hydrogène solitaire qu’on représente

«au-dessous» du carbone central et qui est indiqué par la zone grisée.

H

HH

C   HCH N   O

O

Glycine

H H

H

N C

O

H

H H O

H

H H O

NC   C   C N   CC

Chaîne de glycines

     H H

     H

N C

O

C

Glycine doublement tronquée

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Du Big Bang au Village planétaire

Pour transformer une molécule de gly-cine en alanine, le second acide aminé sur letableau, il faut commencer par lui arrachercet atome d’hydrogène solitaire, ce qui laisseun «crochet» libre au carbone central, etensuite le remplacer par un groupe CH3, cequi crée une chaîne latérale un peu pluslongue, en grisé sur la figure. Comme onretire un hydrogène et qu’on ajoute un groupe

Représentation schématique de la structure des vingt acides aminés qu’on trouve dans le vivant.Les chaînes latérales spécifiques sont en grisé.

     H

     H H

     H H

     H

N C

O

OC

     H

CCH3

Alanine

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Chapitre 4 – LA PYRAMIDE DE LA COMPLEXITÉ

CH3, on peut dire qu’une molécule d’alanine, c’est comme une glycine + CH2. Dela même façon, en substituant l’atome d’hydrogène au bout de la chaîne latéralede l’alanine par un groupe –OH, on obtient de la sérine. On pourrait aussi mettreà sa place un groupe –SH et obtenir de la cystéine ou un groupe –COOH etobtenir de l’acide aspartique. On peut continuer d’allonger ainsi la chaînesecondaire en y ajoutant de plus en plus de groupes simples et voir apparaîtrepeu à peu chacune des variétés d’acides aminés que vous avez trouvées dans moncorps. (Ceci n’est pas une description de comment les choses se passentréellement dans mes cellules, mais simplement un exercice de logique pourmieux vous faire comprendre que tous les acides aminés sont apparentés et qu’ilssont tous constitués de petits groupes d’atomes comme ceux que je vous aiprésentés dans les dernières pages.)

Cette chaîne latérale permet de plus à chaque acide aminé d’avoir sa propre«personnalité» chimique. Ainsi, certains ont un groupe –CH3 au bout de leurchaîne latérale, comme l’alanine et la valine, de telle sorte qu’ils ne sont pas dutout attirés par l’eau. Par contre, la chaîne latérale d’autres acides aminés, commel’acide aspartique et l’acide glutamique, se termine par un groupe –COOH, qui estpolarisé et dont la présence est attirante pour les molécules d’eau. De plus, certainsacides aminés ont une polarité négative, alors que d’autres ont une polaritépositive, de telle sorte qu’ils peuvent s’attirer ou se repousser les uns les autres.Ces diverses interactions sont un élément essentiel pour comprendre commentles acides aminés font leur travail au sein de mes protéines, ce que nous verronsun peu plus loin.

Les nucléotides

La dernière famille de biomolécules regroupe les nucléotides, qui sont les unités debase de l’ADN (acide désoxyribonucléique) et de l’ARN (acide ribonucléique). Il y ena huit sortes, soit quatre qui servent à la construc-tion de l’ADN et quatre autres qui servent pourl’ARN. Comme il s’agit de deux séries de moléculestrès semblables, nous allons nous concentrer surles quatre qui proviennent de mon ADN.

Chacune d’entre elles est constituée de troisparties, soit une base azotée (A), un sucre (B) etun phosphate (C). Le groupe phosphate est à uneextrémité du nucléotide et il contient un atomede phosphore entouré de quatre atomes d’oxy-gène et de trois atomes d’hydrogène. Le sucre aucentre des nucléotides est un ribose, le petit frèredu glucose qui ne contient que cinq groupes–HCOH– et qui forme un pentagone. De plus, il manque un atome d’oxygène à ceribose; c’est pourquoi on le nomme «désoxyribose». Le phosphate et ledésoxyribose sont identiques dans les quatre variétés de nucléotides de l’ADN, quine diffèrent les uns des autres que par leurs bases azotées.

Nucléotide

A

B

C

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Du Big Bang au Village planétaire

Ces quatre bases azotées sont essentiellement constituées d’un hexagonecomposé d’atomes d’azote et de carbone, auquel sont unis quelques groupesd’atomes en périphérie. La thymine et la cytosine se limitent à cette structure debase, tandis que dans le cas de l’adénine et de la guanine, un pentagone se greffesur l’hexagone pour donner une molécule légèrement plus complexe. Nousreparlerons bientôt de cette architecture particulière des bases azotées et du rôlequ’elle joue dans la chimie de la vie.

Les quatre nucléotides de l’ARN sont pres-que identiques à ceux de l’ADN. Ils ont le mêmegroupe phosphate à une extrémité, mais leurmolécule de sucre a tous ses atomes d’oxygène,ce pour quoi on l’appelle «ribose» plutôt que«désoxyribose». Trois des quatre bases azotéessont les mêmes que celles qu’on trouve dansl’ADN, mais l’uracile remplace la thymine.

Enfin, il faut souligner qu’en plus de leurrôle central au sein de l’ADN et de l’ARN, lesnucléotides jouent un autre rôle essentieldans la chimie de la vie, celui de transporteurd’énergie. Pour mieux comprendre ce phéno-mène, prenez un nucléotide adénine-ribose-phosphate (appelé «adénosinemonophosphate» ou « AMP») et approchez-le d’un autre groupe phosphate. En

investissant une petite quantité d’énergie, vous pouvez arracher un atomed’hydrogène à un phosphate et arracher un groupe OH à l’autre, créant ainsi uncrochet sur chaque molécule. L’atome d’hydrogène ira rejoindre le groupe OHpour former une molécule d’eau, et les deux groupes phosphates pourront utiliserleurs crochets pour s’unir et former un lien chimique riche en énergie. Vousobtenez ainsi une molécule appelée «adénosine diphosphate» ou «ADP». Si vousrecommencez le processus avec un troisième groupe phosphate, vous obtenezune molécule appelée «adénosine triphosphate» ou «ATP».

L’essentiel du travail des mitochondries est de prendre les riches «accumu-lateurs» d’énergie que sont les molécules de sucre, d’en extraire l’énergie en les

«brûlant» avec de l’oxygène moléculaire et de transférer cette énergie enplusieurs petites doses temporairement piégées dans les liens phosphate-phosphate de l’ATP. La molécule d’ATP est ensuite transportée ailleurs dans lacellule, là où de l’énergie est nécessaire pour produire une quelconque réactionchimique. Lorsqu’elle arrive sur les lieux, le lien phosphate-phosphate est rompu,l’énergie est libérée et utilisée selon les besoins. L’ATP étant redevenu de l’ADP,

 voire de l’AMP, la molécule retourne à la mitochondrie se faire «recharger» etcommencer un nouveau cycle.

Les molécules d’ATP ont un quasi-monopole pour ce rôle dans toutes lesbranches du vivant, ce qui porte à croire qu’elles ont commencé à assumer cette

fonction très tôt dans l’histoire de la vie. D’ailleurs, les rares exceptions sont des

CC

CC

CN

NN

N

N

H

H

H

H   H

Adénine

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Du Big Bang au Village planétaire

positive de l’hydrogène qui se trouve entre les deux zones. Il n’y a pas de partaged’électrons, donc pas de lien covalent, de telle sorte que le pont hydrogène estmoins fort qu’un vrai lien chimique et qu’il faut donc beaucoup moins d’énergiepour le briser. (On pourrait dire que le pont hydrogène est en quelque sorte le«velcro» du monde moléculaire, moins solide qu’une couture, mais beaucoup plusfacile à défaire lorsque le besoin s’en fait sentir.)Ces quatre bases azotées ont été retenues par la sélection naturelle parce qu’ellessont complémentaires deux à deux, c’est-à-dire que les zones polarisées (unepositive et une négative) de l’adénine se retrouvent juste en face des zones designe contraire de la thymine, et que les trois zones polarisées de la cytosinecorrespondent exactement à trois zones de signe opposé chez la guanine. Enconséquence, en face d’un nucléotide contenant une adénine, il ne peut y avoirqu’un nucléotide contenant une thymine et, inversement, devant de la thymine,il ne peut y avoir que de l’adénine.Le double brin d’ADN est donc comme un très long rouleau de parchemin quicontiendrait deux séries verticales de symboles associés deux par deux, disonscœur avec carreau et trèfle avec pique. Ainsi, si vous déchirez le parchemin dehaut en bas pour obtenir deux colonnes simples, vous pouvez reconstituer toutela partie manquante simplement en vous souvenant que devant chaque cœur vousdevez mettre un carreau, et devant chaque trèfle un pique. C’est ce principe d’unegrande simplicité qui a permis à l’ADN de devenir la mémoire du vivant de mêmeque le gestionnaire des réactions chimiques qui se déroulent dans mes cellules.

Les protéines

Tout comme les acides nu-cléiques, les protéines sontde longues chaînes de bio-molécules. Leurs unités debase sont des acides aminésréunis les uns aux autrespar leur base commune(–C–C–N–), mais, au lieu de

la monotone chaîne deglycines présentée au niveauprécédent, ils sont mainte-nant réunis selon des combinaisons très variées, une séquence particulière pourchacune des milliers de sortes de protéines dont mon organisme a besoin.La structure principale des protéines est très souvent en forme de spirale, bienque celle-ci n’ait rien à voir avec la double hélice de l’ADN. Cette structure debase est appelée «hélice alpha» parce que la macromolécule s’entortille sur elle-même en une spirale très serrée qui tient solidement grâce à la formation deponts hydrogène entre des zones positives et négatives réparties tout au long de

la chaîne principale des acides aminés (–C–C–N––C–C–N––C–C–N–). Cette

O

O

H

H

H

H   HC

C

C

C

C

R

RR

NN

Structure de base des protéines (C-C-N).Le remplace les différentes chaînes latérales.R

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Chapitre 4 – LA PYRAMIDE DE LA COMPLEXITÉ

configuration particulière fait ensorte que toutes les chaîneslatérales se retrouvent à pointer

 vers l’extérieur. Dans certains cas,ou même parfois pour d’autressegments de la même protéine, lastructure de base sera plutôt en«feuillets bêta», la chaîne princi-pale se repliant sur elle-même enlongs segments alignés les uns surles autres, encore une fois ferme-ment rattachés par des ponts hy-drogène.

De plus, ces structures de basese replient ensuite sur elles-mêmesde diverses façons selon la sé-quence précise des acides aminésque chaque protéine contient. Enraison des polarités distinctes desgroupes terminaux (–SH, –CH3,–COOH, etc.), les divers acidesaminés réagissent entre eux et avecl’eau. Le jeu des attractions et desrépulsions force l’espèce de tubeconstitué par l’hélice alpha à secontorsionner dans tous les sens.Le résultat peut aussi bien donnerune structure très régulière commedans le collagène, ou un véritablebretzel à trois dimensions, commela myoglobine. Ces formes particu-lières sont elles aussi très souventrenforcées par des ponts hydro-

gène et autres liens chimiquessubtils qui s’établissent entre lesdivers acides aminés.

Comme chaque protéine contient plusieurs douzaines, voire plusieurs centainesd’unités, et qu’il y a vingt acides aminés différents qui peuvent occuper chacune despositions, vous imaginez sans peine que les combinaisons possibles atteignentrapidement des chiffres astronomiques. Ainsi, il y a plus d’un milliard de possibilitéspour une simple chaîne de 8 unités, il y a un milliard de milliards de possibilitéspour une chaîne de 16 unités, un milliard de milliards de milliards pour 24 unités,

et ainsi de suite. Avec autant de possibilités et des milliards d’années à sa disposition,la vie a pu explorer d’innombrables avenues et chaque protéine incluse dans mon

Feuillets bêta

Protéines : figure très simplifiée (à gauche)et figure incluant les atomes (à droite).

C

C

C

C

C

CC

C

C

C

C

C

R

R

R

RR

R

R

N

N

N

N

N

NN

C

Hélice alpha, la chaîne «–N–C–C–N–C–C»s’entortille sur elle-même.

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Du Big Bang au Village planétaire

petit corps est un chef-d’œuvre de micro-ingénierie, dont la sélection s’est faite paressais et erreurs pour remplir une fonction particulière à l’intérieur de monorganisme. Il en résulte des formes incroyablement complexes et subtiles quipeuvent jouer toutes sortes de rôles.

Dans certains cas, la forme spécifique de la protéine lui permettra de s’unirà d’autres protéines, comme des pavés-unis qui s’emboîtent les uns dans lesautres, et de former des structures beaucoup plus grosses. Dans d’autres cas, laprotéine garde une partie «mobile», qui peut se modifier lorsqu’elle se trouveen présence d’un atome ou d’une molécule particulière; certaines protéines seretrouvent ainsi à traverser une membrane de part en part et servent en quelquesorte de porte, leur partie mobile transportant l’atome en question d’un côté àl’autre de la membrane. D’autres protéines encore sont des catalyseurs avec un

site actif, c’est-à-dire qu’un de leurs segments a la capacité d’immobiliser d’autresmolécules assez longtemps pour leur imposer une réaction chimique quidemanderait autrement beaucoup plus d’énergie. Toutes ces fonctions font queles protéines sont vraiment au cœur de tous les mécanismes moléculaires quiconstituent la vie elle-même.

Cela nous amène à quitter le monde des macromolécules et à regarder lesstructures qu’elles constituent lorsqu’elles se regroupent.

HUITIÈME NIVEAU: LES BRIQUES DU VIVANT

À partir de ce niveau, plusieurs choses changent de façon dramatique. Première-ment, l’identité. Jusqu’à ce point, la majorité des «objets» que nous avonsrencontrés étaient des pièces standardisées. Un quark up est identique à tous lesquarks up, et à ce titre on peut les interchanger sans nuire en quoi que ce soit àla structure initiale. À quelques nuances près, la même chose vaut pour lesprotons et les neutrons, pour les atomes, pour les molécules simples et mêmepour les molécules de base de la chimie organique.

Cela n’est déjà plus vrai avec les macromolécules comme l’ADN et lesprotéines. Ainsi, certaines de mes macromolécules ressemblent beaucoup aux

 vôtres, mais il y a tout de même certaines différences mineures dans la séquencedes acides aminés qui font qu’elles ne sont pas parfaitement identiques, mêmesi elles remplissent la même fonction. Même à l’intérieur de mon propre corps,il peut y avoir deux variantes de la même protéine, parce que certaines sontfabriquées à partir de la recette que j’ai héritée de mon papa, alors que d’autressont fabriquées à partir de celle de maman.

En dépassant le stade des macromolécules et en nous intéressant auxstructures qu’elles constituent, nous nous éloignons encore plus des piècesstandardisées pour entrer dans le monde du fabriqué sur mesure. Si nous nousen tenons aux structures les plus fines, nous allons encore trouver quelques

objets assez standard. C’est le cas, par exemple, des ribosomes, les plus petites

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Chapitre 4 – LA PYRAMIDE DE LA COMPLEXITÉ

structures à mériter le nom d’«organite» et qui ont le rôle essentiel d’assemblerdes protéines à partir des instructions fournies par les gènes. Ce sont de petitsgrains qui contiennent à peine quelques douzaines de macromolécules, surtoutdes protéines et des brins d’ARN, et ils sont tout juste encore assez simples pourqu’on puisse encore parler d’«objets» standardisés.

Mais les ribosomes sont à peu près uniques dans ce cas, et la plupart desorganites sont des structures immensément plus grosses qui comportent desquantités beaucoup plus importantes de protéines et de phosphoglycérolipides.En raison de cela, le taux de variation est beaucoup plus grand, au point qu’ilne peut plus être question de pièces standardisées. La plupart de mes organitesressemblent plutôt à une maison canadienne, bâtie avec les pierres des champsdu voisinage et les arbres qui ont poussé dans le boisé voisin. Bien que les

maisons dites «canadiennes» aient toutes beaucoup de points de ressemblance,chacune adapte un plan général à des circonstances historiques et géographiquesparticulières, contrairement aux maisons des développements résidentiels, quisont bâties en série sur la base de maisons modèles, avec des matériaux iden-tiques sortis de la même usine, et qui sont à toutes fins utiles interchangeables.Cette unicité est un phénomène qui prend de plus en plus d’importance à mesurequ’on grimpe dans l’échelle de la complexité.

Il y a une deuxième différence fondamentale entre le niveau des macro-molécules et celui des structures cellulaires: il nous faudra maintenant cesserde tenir compte seulement des «objets » facilement reconnaissables comme les

organites et les membranes. Pour vraiment rendre compte de ce qui se passe àl’intérieur de la cellule, il faut également prendre en considération les interactionsentre ces structures «solides» et les molécules qui flottent dans le cytoplasmequi remplit la cellule. Ces protéines et autres molécules organiques libresinterviennent dans des cycles de réactions chimiques très complexes qui sontaussi importants pour ma survie que mes structures cellulaires bien visibles.

Enfin, la troisième grande différence concerne l’énergie. Jusqu’à maintenant,nous nous sommes concentrés sur les «forces», une manifestation de l’énergiequi a quelque chose d’un peu «statique», car ce sont elles qui assurent la stabilitédes diverses structures (nucléons, atomes, molécules et macromolécules) quenous avons rencontrées jusqu’à maintenant. Comme nous arrivons aux «objets»

 vivants, nous devons tenir compte d’une nouvelle dimension de l’énergie parcequ’aucun être vivant n’est concevable sans une source extérieure d’énergie pourlui permettre de fonctionner. À ce titre, l’énergie du Soleil qui me parvient parl’intermédiaire des plantes et des animaux, bien qu’elle ne fasse que «ruisseler»à travers mon organisme, lui permettant ainsi de fonctionner, fait tout de mêmepartie de moi tout autant que mes atomes, mes molécules et mes organitesfacilement reconnaissables.

Nous voici donc rendus au moment où vous devez laisser mes molécules et

macromolécules redevenir les divers composants cellulaires qu’ils formaientavant votre «intervention».

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Du Big Bang au Village planétaire

Afin de bien comprendre la nature des membranes qui entourent toutes mescellules, vous allez commencer par penser aux bulles que les enfants produisenten soufflant au travers d’un anneau après l’avoir plongé dans de l’eau savonneuse.Ces bulles se produisent parce que les molécules de savon ont une extrémitépolaire qui est attirée par l’eau, et une chaîne de CH2 non polaire, qui esthydrophobe et qui cherche plutôt à s’aligner avec les autres chaînes semblables,loin de l’eau.

Quand l’enfant trempe l’anneaudans l’eau savonneuse et le ressortdélicatement, une très mince couched’eau se retrouve emprisonnée, commeprise en sandwich entre deux palis-

sades de molécules de savon qui onttoutes leurs têtes polaires en contactavec l’eau au centre et toutes leursqueues de carbone en contact avecl’air de part et d’autre. Quand l’enfantsouffle au travers de l’anneau, ladouble palissade se replie sur elle-même et la bulle se forme, avec de l’air au centre,entouré d’une couche de molécules de savon avec les queues pointées vers lecentre, suivie par une mince couche d’eau, et complétée par une autre couche demolécules de savon avec leurs queues pointées vers l’extérieur, en contact avec l’air

ambiant. On voit donc comment ce principe très simple peut être utilisé pour créerun volume «interne» nettement séparé de son environnement.

Les phosphoglycérolipides qui forment les membranes de mes cellules fonc-tionnent sensiblement de la même façon, sauf que, comme l’eau constitue 80 % demon corps, le processus est inversé. Aulieu d’avoir toutes leurs longues queuesd’hydrocarbures orientées vers l’airambiant comme celles de la bulle desavon, les molécules de phosphoglycé-rolipides ont toutes leurs têtes polaires

orientées vers l’eau ambiante, c’est-à-dire l’eau à l’intérieur de la cellulepour la couche interne et l’eau à l’exté-rieur de la cellule pour la couche ex-terne. Ce faisant, leurs queues fuyantl’eau s’alignent non seulement les unesà côté des autres, mais également lesunes en face des autres, de façon àformer une double palissade, obstacleque les molécules d’eau sont incapables

de franchir.

Eau

Eau

Membrane de phosphoglycérolipides

EauSavonSavon

Air Air

Vue en coupe d’une bulle de savon

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Chapitre 4 – LA PYRAMIDE DE LA COMPLEXITÉ

Mais, comme la cellule ne peut pas vivre complètement isolée du mondeextérieur, cette membrane est traversée par de nombreuses protéines qui fontoffice de porte étanche, un peu comme les sas sur les sous-marins ou les

 vaisseaux spatiaux. Grâce à leur architecture particulière, ces protéines ont uneou quelques sections mobiles qui leur permettent d’attraper un atome ou unemolécule d’un côté de la membrane et de la relâcher de l’autre côté lorsque lescirconstances le requièrent. Certaines protéines effectuent ce travail toutes seules,mais elles sont aussi souvent réunies en petits groupes qui forment de véritablesportes complexes qui s’ouvrent ou se ferment selon le contexte.

Les membranes de phosphoglycérolipides servent aussi à séparer les sectionsde la cellule les unes des autres. Il y en a qui entourent le noyau, d’autres qui formentl’appareil de Golgi et le réticulum endoplasmique, d’autres encore qui composentles mitochondries et des organites comme les lysosomes, les peroxysomes et autrespetites poches qui flottent dans la cellule. De nombreuses sortes de protéines sontsoutenues par ces membranes internes et elles sont souvent réunies en petits groupesresponsables d’accomplir une tâche bien définie. Ainsi, tout l’intérieur des mito-chondries est fait de membranes qui constituent un petit labyrinthe, une excellentefaçon de multiplier la surface de contact sans augmenter le volume. La surface deces «murets» est tapissée de groupes de protéines qui effectuent le travaild’oxydation du sucre pour en extraire l’énergieet la transférer à des molécules d’ATP.

Certaines autres structures cellulaires sontconstituées essentiellement de protéines réuniesen échafaudages de plus en plus complexes. Unexemple relativement simple est celui de latubuline, qui sert notamment à fabriquer lescils qui protègent les voies respiratoires et la«queue» des spermatozoïdes. À la base, il y aune protéine globulaire, une espèce de bretzelcomme la myoglobine, qui forme une masseassez compacte et qu’on pourrait comparer àun pavé-uni ou à une brique de Lego. Commec’est le cas de la plupart des protéines, la tubu-line a des sections de sa «surface» qui sontchargées positivement ou négativement. Cesrégions s’emboîtent à la perfection dans desrégions correspondantes (négatif vis-à-vis dupositif et vice-versa) des globulines voisines,de telle sorte que ces protéines s’imbriquentles unes dans les autres encore plus solide-ment, à leur échelle, que nos pavés-unis. Laforme en biseau de la globuline assure qu’unedouzaine d’entre elles forment un cercle, ou

plutôt une spirale, car il importe que les

Protéines de tubuline qui s’emboîtentcomme des pavés-unis.

Petite tour de tubuline(Les figures des pages 167, 168 et 170 sont adaptées

de: Christian de Duve, Une visite guidée de la cellulevivante, Bruxelles, De Boeck-Westmael, et Paris,Pour la science, 1987.)

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Du Big Bang au Village planétaire

«joints» ne soient jamais situés les uns vis-à-vis des autres. Le résultat ressemble un peuà un ressort complètement comprimé. Mais lapetite tour ainsi formée n’est pas encore assezgrosse ou solide pour constituer un cil. Lestours sont d’abord réunies en groupes de trois,solidement arrimées les unes aux autres, puis,neuf de ces trios sont réunis en cercle etrattachés à une structure centrale. Ainsi, pourconstruire un simple cil, beaucoup plus petitqu’un cheveu, il faut plus de 300 unités detubuline à chaque «étage» (12 par «tube» et27 tubes pour le cercle complet). Comme

l’épaisseur de chaque protéine est de l’ordredes nanomètres, il faut des centaines de milliers de rangs empilés les uns par-dessus les autres pour atteindre un dixième de millimètre de longueur.

Les protéines d’actine et de myosine, présentes dans nos cellules musculaires,constituent un exemple encore plus éloquent. À la base, il y a la protéine d’actine,qui est aussi une protéine globulaire avec des sites d’ancrage. Ses unitéss’attachent les unes aux autres et forment une double torsade appelée «filamentd’actine» (A sur la figure). Les filaments d’actine font leur travail en associationétroite avec une autre protéine, appelée «myosine». Cette protéine n’est pasglobulaire mais plutôt allongée, avec un renflement en forme de crochet à sonextrémité. Plusieurs unités de myosine s’attachent latéralement les unes auxautres et forment une espèce de petit bâton d’à peu près un micromètre de longgarni d’une grande quantité de petits crochets à chaque extrémité (B).

Le système actine-myosine peut faire son travail parce que des filamentsd’actine sont disposés de façon régulière tout autour du bâton de myosine, for-mant des espèces de cages tubulaires de longueur constante. À chaque extrémitédu filament de myosine, les crochets peuvent entrer en contact avec les filamentsd’actine (C) et se replier lorsque cela est requis. Ainsi, lorsque le muscle reçoitl’ordre de se contracter, des ions calcium sont injectés près des têtes de myosine et

enclenchent une séquence d’événements qui forcent les «crochets» à se replier,entraînant un déplacement du filament d’actine par rapport à la myosine(autrement dit, les bâtons de myosine «tirent» sur les filaments d’actine). Commeà l’autre bout les crochets sont placés à l’envers, ils «tirent» dans l’autre sens, detelle sorte que la structure centrale de myosine force les «cages» d’actine à serapprocher les unes des autres, d’où la contraction du muscle (C et D).

De nombreuses unités «actine-myosine» sont associées en filaments appelésmyofibrilles (E), et plusieurs de ces myofibrilles sont réunies pour former descellules musculaires (F). Ces cellules musculaires sont elles-mêmes organiséesen structures de plus en plus importantes (G), jusqu’à ce qu’émerge l’image d’un

Plusieurs tours de tubulineforment un cil.

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Chapitre 4 – LA PYRAMIDE DE LA COMPLEXITÉ

muscle particulier (H). La contraction des unités actine-myosine entraîne doncen cascade la contraction des myofibrilles, des cellules musculaires et desmuscles.

Ces deux exemples illustrent comment, grâce à l’action de grouper desstructures en structures plus importantes, en superposant plusieurs «couches»successives de complexité, il est possible de passer du monde infiniment petitdes molécules simples, comme les acides aminés, jusqu’au monde macro-scopique et considérablement plus complexe de mes muscles.

Dans le noyau, mes longues macromolécules d’ADN sont enroulées sur desbobines de protéines appelées «histones» (voir illustration p. 170), qui sontattachées à une armature ou filament central. Associées à des brins d’ARN et àdes protéines, ces structures constituent les chromosomes et sont en quelquesorte le centre de commande de la cellule.

Polymérisation

Myosine

Actine G

Actine F (filament)

Raccourcissement total

A

B

C

D

E

F

G

H

De la protéine au muscle, ou comment on passe du microscopique au macroscopiquepar des «recombinaisons» successives de structures imbriquées dans d’autres structures.

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Du Big Bang au Village planétaire

En plus de ces structures plus ou moinssolides et plus ou moins permanentes, macellule contient une multitude d’autres pro-duits chimiques en solution dans le cyto-plasme. Vous y trouverez de nombreuses pro-téines isolées, des brins d’ARN, des milliersde molécules organiques toutes différentes,des molécules simples, et même de nombreuxatomes individuels. Tous ces composés chimi-ques sont impliqués dans une multitude decascades de réactions chimiques imbriquéesles unes dans les autres et interdépendantespour permettre à chaque cellule de se main-

tenir en vie et de remplir son rôle à l’intérieurde mon organisme.

Même si ces divers produits chimiquesdemeurent en solution dans le cytoplasme etne forment pas de structures «solides»comme les membranes et les organites, ilsconstituent tout de même des ensembles fonctionnels d’une grande complexité.Pour que ma cellule demeure en état de fonctionner, il faut que de subtilséquilibres chimiques soient maintenus entre des centaines de milliers de produitsdifférents. Ces cascades de réactions chimiques servent à corriger continuelle-ment ces multiples équilibres, ajoutant un peu d’un produit lorsque le besoin sefait sentir, diminuant les concentrations d’un autre produit quand c’estnécessaire, etc. Le tout fait penser à une pyramide humaine montée sur unebicyclette circulant sur un fil de fer. Le moindre déséquilibre pourrait entraînerune chute catastrophique, mais de constants rajustements permettent de rétablirla symétrie de l’ensemble, lui conférant une stabilité qui lui permet de semaintenir dans les airs pour le plus grand plaisir des spectateurs.

NEUVIÈME NIVEAU: RETOUR À LA VIE!

Maintenant que vous avez permis à cette petite cellule de se reconstituer dansson intégralité, nous pouvons la regarder d’un peu plus près, non plus pourdéfinir ses composantes, mais pour voir comment elles fonctionnent toutesensemble et constituent non seulement un nouvel «objet» de complexitésupérieure, mais bien un «objet vivant».

La première chose qu’on observe, c’est que la plupart des structures dontnous venons de parler sont en mouvement continuel. Une partie importante desmembranes internes se font et se défont continuellement, créant, détruisant etrecréant sans cesse un réseau de petits tubes qui permettent à certaines

molécules de se déplacer dans la cellule en restant isolées du milieu, un peu

Octamèred’histones

Squeletted’histones H1

Chromatosome

Nucléosome

Attachement ausquelette d’histones H1

ADN embobinée sur des histones

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Chapitre 4 – LA PYRAMIDE DE LA COMPLEXITÉ

comme l’air chaud circule dans les conduits de ventilation d’un édifice. Pour sapart, l’appareil de Golgi reçoit continuellement du nouveau contenu à sa base, etle réémet bien emballé sous forme de globules. Une bonne partie de ces globulestraversent la cellule et vont fusionner avec la membrane externe avant d’expulserleur contenu à l’extérieur de la cellule. Le réticulum endoplasmique, ensemble demembranes dont la forme change constamment, sécrète des globules remplisd’enzymes et d’autres protéines qui se déplacent à l’intérieur de la cellule etlibèrent leur contenu dans le secteur approprié. Même les mitochondrieschangent; elles s’étirent, se tortillent, se séparent en deux parties ou fusionnentau besoin.

Le noyau semble une espèce de havre de stabilité dans ce tourbillond’activité. Bien à l’abri derrière sa double membrane protectrice, il interagit avec

le reste de la cellule par l’entremise d’une série de «portes» assez grandes pourlaisser passer les macromolécules comme l’ARN, tout en restant capables de serefermer hermétiquement. Par contre, à l’intérieur de la double membrane, une

 véritable frénésie règne à l’échelle moléculaire. Bien informé de la situation parune armée de messagers chimiques, le noyau s’active fébrilement jour et nuit àutiliser son ADN pour donner les instructions qui permettent à l’ensemble de lacellule de fonctionner.

L’activité première de la cellule est de fabriquer la machinerie moléculairedont elle a besoin pour fonctionner. Cela n’est pas toujours son activité la plusfréquente, ni même la plus importante en ce qui concerne la quantité, mais c’est

la plus fondamentale, car lorsque les «pièces» sont détruites par l’usure, il estabsolument indispensable de les remplacer, sans quoi les processus s’arrêtent etc’est la mort. À ce titre, une cellule est d’abord et avant tout une machinechimique qui fabrique du «soi-même».

Cette fonction essentielle est assurée par des mécanismes très complexes,appelés «boucles de rétroaction», qui permettent au noyau de «savoir» quelssont les besoins et d’ordonner la fabrication de chaque «pièce» au moment oùle besoin s’en fait sentir. Pour simplifier les choses à l’extrême, imaginons quede nombreuses copies de la protéine A travaillent ensemble pour provoquer uneopération chimique quelconque, un peu comme une machine qui effectue uneopération précise à l’intérieur d’une usine. Bien que ces protéines soient descatalyseurs et qu’à ce titre elles ne sont pas supposées être détruites par lesréactions chimiques auxquelles elles participent, elles sont régulièrementendommagées par toutes sortes d’incidents, un peu comme les rouages d’unemachine finissent par s’user, même s’ils sont en métal et qu’ils sont en principecapables de résister pendant le fonctionnement normal de la machine.

Lorsque beaucoup de copies de cette protéine ont été détruites, c’est un peucomme si une pièce de la machine devenait assez usée pour en réduire l’efficacitéde façon sensible. La production ralentit, ce qui peut provoquer soit une accu-

mulation en amont, parce que la production provenant des autres «machines»

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n’est plus traitée aussi rapidement qu’elle devrait l’être, soit une pénurie en aval,les «machines» qui dépendent de la production de celle qui est défectueusen’étant plus alimentées comme elles le devraient. La situation crée donc desdéséquilibres chimiques, certaines molécules se retrouvant en concentrationsplus grandes ou plus faibles que souhaitable. Ces déséquilibres peuvent entraînerla formation de molécules qui ne sont pas normalement dans la cellule, ou ladisparition de molécules qui devraient y être.

Par leur présence ou leur absence, ces molécules servent de signaux chimiquesqui se rendent jusqu’au noyau, lui permettant d’être informé de la situation. Unefois introduites dans le centre de commande, ces messagères interagissent avecdes protéines qui ont la possibilité de changer de forme et dont la fonctionpremière est de bloquer l’accès à un gène particulier (un gène correspond à un

segment d’ADN qui contient la recette pour une protéine). Ainsi, la protéine enquestion agit en quelque sorte comme un verrou, et la messagère chimiqueintervient comme une clé. Le système est d’autant plus complexe que la plupartde ces protéines-verrous ont plusieurs sites actifs, et ne peuvent être «déver-rouillées» que dans des circonstances très précises, c’est-à-dire en présence detoutes les «clés» requises, et même parfois en l’absence de certaines autres«clés». La combinaison permettant l’accès à un gène en particulier peut doncprendre une forme comme suit: la concentration en molécules X doit être plushaute que tel niveau, mais uniquement à la condition que la concentration enmolécules Y ne soit pas descendue sous un seuil critique, et qu’il reste encoreune quantité déterminée de molécules Z dans les parages. Lorsque toutes cesconditions sont réunies, la protéine-verrou adopte exactement la bonne formeet elle n’empêche plus la lecture du gène auquel elle bloquait l’accès.

Une fois le verrou ouvert, un groupe de protéines spécialisées s’activent àséparer les deux brins d’ADN et à «lire» l’un d’eux. Cette «lecture» consiste enfait à construire une molécule d’ARN dont les bases azotées sont parfaitementcomplémentaires à celles contenues dans le segment d’ADN. Cette moléculed’ARN est le plus souvent beaucoup plus longue que nécessaire, et elle doit êtretraitée ensuite par une autre équipe de protéines qui la réduisent considérable-ment en lui retirant tous les segments inutiles.

Une fois que la molécule d’ARN a été ramenée à la forme adéquate, elle sortdu noyau et se retrouve prise en charge par un ou plusieurs ribosomes qui la«lisent» à leur tour. Le ribosome est un organite très petit et très ancien, car onen retrouve même chez les bactéries. C’est une petite masse très compacte deprotéines et de brins d’ARN qui travaillent ensemble à «traduire» l’ARN envoyépar le noyau en une nouvelle copie de protéine. À chaque trio de bases (AAA,GAC, UUC, etc.), le ribosome associe un acide aminé particulier, de telle sortequ’un gène (séquence particulière de bases) correspond toujours à une mêmeprotéine (chaîne précise d’acides aminés).

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Chapitre 4 – LA PYRAMIDE DE LA COMPLEXITÉ

Si la protéine est destinée à combler les besoins immédiats de la cellule, cettetâche est accomplie par des ribosomes qui flottent librement dans le cytoplasme.Par contre, si la protéine est destinée à être exportée à l’extérieur de la cellule, letravail se fait plutôt par des ribosomes fixés à la surface de certaines membranesdu réticulum endoplasmique. Après avoir été lue quelques fois par les ribosomes,la molécule d’ARN est démontée et ses nucléotides retournent au noyau pourêtre réutilisés.

Ainsi, tant que le verrou reste ouvert, de nouvelles lectures du gène sonteffectuées, de nouvelles copies de la molécule d’ARN correspondante sontfabriquées et de nouvelles copies de la protéine adéquate sont assemblées parles ribosomes. L’arrivée sur les lieux de ces nouvelles protéines permet peu à peuà « leur machine» chimique de recommencer à fonctionner adéquatement et les

déséquilibres chimiques qui ont provoqué l’ouverture du verrou disparaissent.Lorsque l’équilibre est retrouvé, les messagers chimiques disparaissent (ouréapparaissent, selon le cas), de telle sorte que la protéine-verrou dans le noyaun’a plus de raison de rester ouverte. Elle se referme, stoppant à nouveau laproduction d’ARN pour son gène jusqu’à ce que les circonstances le requièrentà nouveau. (Il est un peu étourdissant de penser que le processus est en réalitéimmensément plus complexe, et qu’il se produit des milliers de fois par secondeà l’intérieur de chacune des milliards de cellules qui constituent mon petit corps.)

Outre qu’elle recourt à ce système pour produire ses pièces de rechange, lacellule fabrique des protéines et d’autres molécules pour réagir à son environ-

nement. Si nous parlions d’un unicellulaire comme une bactérie ou une amibe,ce pourrait être chercher la lumière, fuir un produit chimique toxique, ingérerun morceau de nourriture ou toute autre interaction entre la cellule et sonenvironnement. Dans tous les cas, il s’agit encore de boucles de rétroaction trèscomplexes qui ont été élaborées au cours de milliards d’années d’essais plus oumoins fructueux. En gros, la situation se résume au fait que la présence delumière, du produit toxique ou de la nourriture provoque des modifications dansles équilibres chimiques de la cellule. Ces déséquilibres provoquent des cascadesde réactions chimiques qui font que la cellule a le comportement approprié dansles circonstances.

Dans certains cas, ces boucles de rétroaction impliquent directement lenoyau, qui agit alors sensiblement selon les mêmes lignes que celles qui sontutilisées pour remplacer les protéines détruites par l’usure. La différence, c’estque dans ces cas c’est l’environnement qui provoque le déséquilibre chimiquequi lance le cycle de réaction au lieu de la simple usure des pièces.

Mais, lorsqu’il faut réagir vite, la cellule n’a pas le temps de passer par lecycle de fabrication des protéines (déséquilibre, message chimique, duplicationde l’ADN, transport de l’ARN, fabrication et acheminement de la protéine,rétablissement de l’équilibre). Au lieu de ce trop long processus, les réactions

rapides impliquent plutôt des déséquilibres chimiques ou électriques, dont le

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temps de réponse est considérablement plus court, pouvant même atteindre lemillième de seconde. Ainsi, certaines cellules peuvent maintenir des parties deleur membrane sous une faible tension électrique; d’autres maintiennent desdéséquilibres au niveau de l’acidité; d’autres encore font appel à des concen-trations plus ou moins grandes d’atomes spéciaux appelés «ions», qui ont unsurplus ou un déficit d’électrons. Dans tous ces cas, la cellule se maintient enpermanence en état de «déséquilibre», de telle sorte que, lorsque les cir-constances l’exigent, elle retrouve très rapidement un état plus «équilibré», c’est-à-dire sans polarité électrique, sans surplus d’acidité, etc. Ce changementd’équilibre sert en quelque sorte d’«interrupteur» et permet à la cellule d’agirimmédiatement en fonction de la situation. Par la suite, celle-ci retrouvera sonétat de «déséquilibre» pour pouvoir reprendre sa fonction.

Les cellules qui constituent mon organisme fonctionnent sensiblement dela même façon, sauf qu’elles ont perdu beaucoup des attributs des unicellulaireslibres qu’elles ont remplacés par des «commandes» qui viennent de l’ensemblede mon organisme. Par exemple, la plupart de mes cellules n’ont pas besoin dese déplacer; elles ont donc probablement «perdu» les mécanismes chimiquesrequis pour percevoir une source de nourriture et se déplacer pour l’atteindre. Enéchange, elles ont développé des mécanismes pour répondre aux besoins de monorganisme.

Ainsi, les cellules de mon pancréas fabriquent de l’insuline non pas pourrépondre à leurs besoins particuliers, mais bien pour combler les besoins de mon

organisme tout entier. La même chose peut être dite pour mes cellules mus-culaires qui ne se contractent pas selon leurs besoins propres mais bien selonles ordres qu’elles reçoivent de mon système nerveux. C’est aussi le cas descellules de ma rétine qui ont la capacité d’être excitées par des photons delumière, non pas pour leurs besoins individuels, mais afin de fournir del’information au cerveau pour l’ensemble de l’organisme.

En plus des pièces de rechange et des pièces requises pour s’adapter auxcirconstances, les cellules ont aussi tendance à fabriquer des pièces pour lesimple «plaisir» de fabriquer de nouvelles pièces et de nouvelles chaînes demontage. Chez les unicellulaires, cette propension à fabriquer de plus en plusde soi-même semble n’être contrôlée par aucun mécanisme interne, de telle sortequ’ils prolifèrent autant que l’environnement le leur permet.

Les cellules d’un organisme pluricellulaire complexe comme moi sontdifférentes parce qu’elles ne se reproduisent que lorsque l’organisme le requiert.Bien que la plupart de mes cellules disposent de toute la machinerie moléculairepour fabriquer de plus en plus d’elles-mêmes, grossir sans cesse et se multiplierrapidement, cette machinerie a été mise à l’abri derrière des verrous spéciauxcontrôlés par des molécules rares comme les hormones. Bien sûr, jusqu’à ce que

 j’aie atteint ma taille d’adulte, plusieurs de ces verrous seront ouverts plus

souvent que fermés, mais cela ne signifie pas que mes cellules soient pour autant

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Chapitre 4 – LA PYRAMIDE DE LA COMPLEXITÉ

libres de se multiplier à volonté. Tout est régi par un programme de croissancequi a été élaboré au cours des centaines de millions d’années écoulées depuisl’apparition des premiers organismes pluricellulaires. Lorsque je serai adulte,mes cellules n’auront la «permission» de se multiplier qu’à peu près une fois parsix ou sept ans en moyenne. Celles qui dérogeront à cette règle seront impitoya-blement terrassées par mon système de défense, car si elles ne sont pasrapidement anéanties, elles se transforment en cancer qui met en danger toutmon organisme.

Après ce survol de leurs propriétés et de leur fonctionnement, vous pouvezmaintenant laisser toutes mes cellules se reconstituer afin de mieux appréciercombien d’information mon ADN doit contenir pour pouvoir produire l’incroya-ble variété cellulaire qu’il faut pour assurer ma survie. Comme nous l’avons vu,

chacune de ces cellules est une petite merveille de complexité qui accomplit desmilliards d’opérations chimiques à tout instant et, pourtant, à l’échelle de monorganisme, chacune d’entre elles n’est qu’une infime partie, à toutes fins utilesinsignifiante, d’un immense ensemble qui gère le travail collectif qui consiste àme maintenir en vie.

DIXIÈME NIVEAU: MOI

Si nous suivions le plan établi au chapitre précédent, je vous dirais maintenantde laisser chacune de mes cellules reprendre sa place dans une section d’organe,

puis de laisser celles-ci reconstituer des organes, mes systèmes, et enfin monpetit corps au complet. Je ne le ferai pas, parce que, comme dirait grand-papa,«les images, ça aide à comprendre certaines choses, mais ça en cache d’autres».

À ce point-ci, je pense qu’il serait préférable de partir du point de vue que,malgré ces catégories pratiques, mon organisme ne constitue en fait qu’un seulgrand ensemble de cellules qui ont toutes sortes d’interactions entre elles. Biensûr, certains organes et certains systèmes peuvent être vus comme des «objets»qui ont une existence réelle, mais ce n’est pas vrai dans tous les cas.

Du point de vue purement structurel, il faut bien voir la différence entre uneautomobile, qui est réellement un ensemble de pièces vissées ou soudées les unesaux autres, et mon organisme, d’une nature beaucoup plus complexe et subtile.Ainsi, le système en alimentation d’essence de l’auto est vraiment constitué d’unréservoir, d’une pompe, de bouts de tuyaux et d’autres pièces facilementreconnaissables. En revanche, mon système circulatoire est un double réseaud’artères et de veines qui relient mon cœur à toutes les parties de mon corps parl’entremise de tuyaux qui sont relativement gros à l’origine, et qui deviennent deplus en plus petits à mesure qu’ils se rapprochent des cellules qu’ils sont chargésde desservir. Il n’y a aucune «soudure» à quelque endroit que ce soit dans ceréseau, de telle sorte qu’il n’y a aucun bout d’artère ou de veine qui puisse être

 vu comme un «objet» en soi. Ainsi, à l’exception de mon cœur, de mes poumonset de mes reins, mon système circulatoire ne peut pas vraiment être subdivisé

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Du Big Bang au Village planétaire

en «organes». D’ailleurs, en ce qui concerne mon cœur, plutôt que de le regardercomme un objet en lui-même, on pourrait aussi bien le décrire comme une

 version améliorée de ce qu’il était chez mes lointains ancêtres: un simple boutd’artère dont les cellules se sont mises à pulser en harmonie.

D’un point de vue historique aussi, je suis plus qu’un simple assemblage depièces détachées. D’abord dans ma petite histoire personnelle, parce que je suisissue d’une unique cellule, l’ovule fécondé, qui s’est multipliée de nombreusesfois, d’abord en cellules-filles identiques, puis rapidement en descendantes deplus en plus différenciées les unes des autres. Ces cellules ont d’abord constituétrois couches distinctes: une couche intérieure pour les cellules qui allaientdevenir mon système digestif et mes poumons, une couche médiane pour cellesqui allaient former mon système circulatoire, mes muscles et mes os, et une

troisième couche, externe, pour mon système nerveux et ma peau. Les cellulesde chaque couche ont ensuite continué à se multiplier et à se différencier, d’aborden grands types de cellules, par exemple musculaires ou osseuses, nerveuses ouépidermiques, puis en types de plus en plus précis, jusqu’à ce que chaque celluleait été construite sur mesure pour occuper la place précise qui est la sienneau sein de cette grande communauté qu’est mon organisme. Ainsi, ma«construction» ne s’est pas faite de façon modulaire, comme aux niveauxphysique et chimique. Elle a plutôt été menée sur tous les fronts en même temps,au niveau des cellules, des parties d’organes, des organes et même des systèmes.

Également du point de vue historique, mais cette fois sur le plan de la grandehistoire de mes ancêtres, je suis issue de processus qui n’ont rien à voir avecl’assemblage modulaire, du moins en ce qui concerne les cellules et les structures

supérieures. Mes ancêtres cnidaires ont créé les cellules spécialisées; ensuite,avec les vers plats, les cellules spécialisées se sont groupées pour former des

CheveuxOngles

Glandes sudoripares

Épiderme

Derme

Muscle squeletique

Muscle système digestif

Vaisseau sanguin

Cœur

Os

Cellule sanguine

Système respiratoire

Foie, pancréas

Système digestif

Glandes endocrines

Cerveau

Moelle épinière

Nerfs

Couche externe

Coucheinterne

Couche

médiane

Embryon

Spécialisation des cellules à partir des trois couches de cellules de l’embryon

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Chapitre 4 – LA PYRAMIDE DE LA COMPLEXITÉ

systèmes; et ce n’est qu’avec les cordés, après l’apparition de systèmes biendéfinis, que les cellules de certaines régions se sont spécialisées encore plus pourformer des organes bien précis à l’intérieur des systèmes.

Nous allons donc abandonner les étapes intermédiaires comme les organeset les systèmes, et simplement constater que mon organisme est un ensemble decellules qui travaillent ensemble pour assurer leur survie, définition qui s’appliqueà tous les pluricellulaires depuis les éponges. Par contre, au lieu d’être constituéede quelques douzaines de cellules comme une éponge, je suis composée deplusieurs milliards de cellules, ce qui permet immensément plus de complexité.Des structures comme mes poumons et mon système nerveux illustrent de façonmagistrale les possibilités qui émergent lorsque de grandes quantités de cellulestrès spécialisées sont organisées de façon à répondre à un besoin précis.

La surface externe de mes poumons nemesure même pas le quart d’un mètre carré et,pourtant, leur surface interne fait des dizainesde mètres carrés. Mes voies respiratoires, quicommencent avec un unique gros tuyau appelé«trachée», se divisent en deux bronches, puisen embranchements de plus en plus étroits (Asur la figure) pour se terminer en quelquescentaines de millions de petites pochesnommées « alvéoles » (B). C’est une façon de

maximiser la surface à l’intérieur d’un volumeminime. Si vous faites abstraction des alvéoleset ne regardez que les conduits d’air, vousaurez une image qui pourrait faire penser à unarbre sans feuilles et qui aurait tellement debranches de plus en plus fines qu’elles semble-raient occuper presque tout l’espace. Si vous«ajoutiez» les alvéoles au bout de chaquebranche, vous pourriez avoir quelque chosequi ressemblerait vaguement à une tête de

brocoli, mais avec des «bulles» beaucoup pluspetites et placées au bout d’embranchementsimmensément plus fins et plus complexes.C’est cette architecture perfectionnée qui me permet de mettre l’air que je respireen contact avec beaucoup de vaisseaux sanguins (C) et d’échanger le gazcarbonique contre de l’oxygène à un rythme assez rapide pour entretenir toutel’activité chimique de mes cellules.

Un mécanisme assez semblable avait d’ailleurs été mis au point pour faciliterl’absorption de la nourriture, système qu’on trouve encore avec la cavité digestiveramifiée des vers plats. Mais, comme depuis l’apparition des vers ronds, la

nourriture voyage toujours dans la même direction à l’intérieur du système

Cellulepulmonaire

Capillairesanguin

O2

CO2

C’est grâce à l’architecture très ramifiéeet très complexe de mes poumonsque je peux assimiler rapidementles grandes quantités d’oxygène

dont mon organisme a besoinpour maintenir son train de vie.

A

B

C

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digestif, il a fallu qu’apparaisse un système qui respecte le plan en tuyau. Lasolution retenue par la sélection naturelle est double: 1º la majeure partie demon intestin est très étroite et le tuyau est replié sur lui-même de nombreusesfois, de façon à pouvoir en loger quelques mètres de long à l’intérieur de monpetit bedon; 2º tout l’intérieur de l’intestin est tapissé de petites excroissancesen forme de doigts recouvertes de cellules qui absorbent la nourriture et latransmettent au flux sanguin. Ces petits «doigts» multiplient la surface internede mon intestin par plusieurs ordres de grandeur, ce qui constitue un atoutessentiel pour entretenir un métabolisme riche comme le mien.

Mais c’est dans mon système nerveux que les possibilités ouvertes par lacollaboration entre des milliards de cellules connaissent leur plus belleexpression. Comme le système nerveux a d’abord été mis au point pour

commander les muscles, sa partie la plus ancienne est la moelle épinière, bienprotégée à l’intérieur de la colonne vertébrale. Le système nerveux ne ressemblepas au système circulatoire, qui est constitué de «tuyaux» de plus en plus petits,comme un réseau d’aqueduc municipal. Au contraire, les nerfs qui émergent dema moelle épinière sont semblables à de gros câbles qui réunissent une multi-tude de petits câbles appelés «axones». Cette situation rappelle plutôt celle desanciens câbles de téléphone, qui devaient contenir un fil distinct entre chaqueabonné et le central, de telle sorte que, plus vous étiez proche du central, plus lecâble était gros, non pas comme un gros tuyau, mais comme un câble quicontient de plus en plus de filaments. De la même façon, dans chaque nerf quisort de ma colonne vertébrale, il y a des dizaines ou des centaines de millionsde petits câbles qui relient les cellules nerveuses (neurones) de ma moelle épi-nière avec à peu près toutes les parties de mon corps. De plus, ces petits câblessont faits d’une seule pièce d’un bout à l’autre, de telle sorte que ce sont lesneurones situés dans ma moelle épinière qui prolongent chacun leur axone versun tout petit groupe de cellules situées dans mes doigts, dans mes orteils ou danstoute autre partie de mon corps. Ainsi, lorsque des neurones qui sont voisinsdans ma moelle épinière sont activés en même temps ou en séquence, leursaxones transportent le message jusqu’à leurs petites sections musculairesrespectives, et les muscles peuvent se contracter ou se relâcher de façon har-monieuse. Une bonne partie de mes activités depuis ma naissance a justementconsisté à apprendre comment mon cerveau peut activer les divers neurones dema moelle épinière de façon à faire bouger mes membres selon mes besoins etmes désirs. Vous ne vous en souvenez probablement pas, mais c’est vraimentune période d’apprentissage très intense.

L’autre partie importante de mon système nerveux, c’est l’ensemble situédans ma tête, qu’on appelle communément «cerveau», et qui contient en faitplusieurs parties comme le cortex, le cervelet, etc. C’est un ensemble d’unecomplexité incroyable qui contient plusieurs milliards de neurones, qui peuventtous être directement connectés à des dizaines, voire des centaines ou même des

milliers d’autres neurones. Des mathématiciens ont estimé que le nombre

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Chapitre 4 – LA PYRAMIDE DE LA COMPLEXITÉ

symbolisant la quantité de combi-naisons différentes qui pourraient enthéorie s’établir entre mes diversneurones est plus grand que celui quia été retenu pour traduire le nombretotal de particules élémentaires dansl’Univers. Il se pourrait donc que leplus grand nombre au monde soitrelié non pas à l’Univers dans sonentier, mais bien à l’objet le pluscomplexe que cet Univers sembleavoir engendré jusqu’à maintenant: le cerveau humain.

Rappelons brièvement l’histoire de cet organe afin de mieux souligner toutesa richesse. Les cellules nerveuses sont apparues chez les cnidaires et ellesavaient pour fonction principale d’activer les cellules musculaires de façoncoordonnée. Chez les vers plats, le réseau plus ou moins formel des cnidairesest devenu un véritable réseau structuré, avec deux cordes principales qui vontd’un bout à l’autre de l’animal et de nombreuses ramifications plus ou moinsperpendiculaires qui rejoignent les diverses cellules musculaires. Ce systèmepermet une coordination beaucoup plus fine entre les fibres musculaires. Deplus, deux petites masses de cellules nerveuses sont apparues à une desextrémités des cordes nerveuses et, au lieu d’être reliées à des cellules muscu-laires, ces nouvelles cellules étaient plutôt unies aux autres cellules nerveusesdes cordes principales, de telle sorte qu’elles permettaient une coordinationencore plus fine. C’était la première apparition d’un centre de décision.

Chez certaines espèces de vers plats et leurs descendants, ces bulbes nerveuxont donné naissance à des prolongements à la surface de la tête, ce qui leur apermis d’intégrer une nouvelle fonction: percevoir l’entourage. Le simple systèmede contrôle musculaire s’est donc adjoint peu à peu un système de perceptionde l’environnement. Chez les vers ronds, puis les vers segmentés et ensuite chezles cordés, les organes de perception ont pris davantage d’importance, de tellesorte que le «cerveau» pouvait traiter de plus en plus d’information avant de

«décider» quels mouvements étaient nécessaires. Le simple système de gestiondes muscles était devenu un véritable centre de traitement de l’information, deplus en plus capable de se donner une «image mentale» de la réalité quil’entourait avant d’envoyer ses ordres à la moelle épinière, laquelle les relayaitaux muscles.

Avec les poissons, les amphibiens et les reptiles, le cerveau a acquis unefonction supplémentaire, celle de «stocker» des programmes comportementauxayant fait leurs preuves chez les générations antérieures. Ces programmes seprésentaient sous la forme d’instincts inscrits dans le «câblage» même ducerveau, de telle sorte que, outre qu’il pouvait percevoir son environnement,

Hypothalamus

Cerveau

Cervelet

Bulbe rachidien

Moelle épinière

Le cerveau et ses annexes

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Du Big Bang au Village planétaire

l’animal était en mesure de comparer la situation perçue avec une banqued’images associées à des comportements précis. Quand il percevait une situationqui ressemblait à une des situations prévues, le cerveau «savait» immédiatementce qu’il fallait faire et donnait les ordres en conséquence à la colonne vertébrale.

Avec les mammifères, les primates et les grands singes, les organes de per-ception se sont grandement perfectionnés, ce qui a nécessité l’apparition ducortex, un tout nouveau «cerveau» qui s’est installé «par-dessus» l’ancien cerveaureptilien. Comme il n’est pas apparu d’abord pour contrôler les muscles, maisbien pour mettre de l’ordre dans la foule de données fournies par les organes deperception, ce nouveau cerveau était beaucoup moins axé sur l’action, etbeaucoup plus sur la capacité d’abstraction. Comme nous l’avons vu dans lechapitre 2, plusieurs facteurs se sont combinés pour que ce cortex soit beaucoup

moins soumis aux programmes appelés «instincts», et beaucoup plus capabled’acquérir ses schémas de comportement par diverses méthodes, dont l’appren-tissage pendant l’enfance. De simple centre de traitement de l’information, lecerveau était devenu un véritable centre de décision. De plus, pour des raisonsbeaucoup moins claires, le cerveau des mammifères est devenu capable d’émo-tions, ce qui a grandement favorisé l’établissement de relations entre les individuset qui a, en retour, facilité encore plus le développement du cerveau, etc.

Avec les australopithèques, les premiers humains, et l’ Homo sapiens sapiens,le cerveau est véritablement devenu un organe capable d’avoir conscience de sapropre existence, et l’outil par excellence par lequel nous pouvons communiquer

entre nous, partager des sentiments, des idées, des connaissances, des espoirs,comme nous le faisons par l’entremise du livre que vous tenez dans vos mains.

Le voyage aller-retour que nous venons de faire ensemble jusqu’à l’infinimentpetit illustre bien que je suis constituée d’une multitude d’«objets» réunis enstructures de plus en plus importantes, une espèce de pyramide de la complexité,qui repose sur les particules subatomiques et remonte graduellement jusqu’àmoi. Si je peux bouger, sourire, parler, aimer et apprendre, c’est parce que tousces divers niveaux «fonctionnent» correctement, chacun à son échelle. Pour que

 j’existe, il faut que mes quarks s’échangent des gluons, que mes électronséchangent des photons avec mes protons, que mes atomes partagent des élec-trons entre eux pour former des molécules, que mes molécules soient sans cesseassemblées et rassemblées en macromolécules diverses, que mes protéines etmes acides nucléiques travaillent de concert au sein de chaque cellule pourperpétuer des cycles chimiques amorcés voilà à peu près quatre milliardsd’années, que chacune de mes cellules remplisse correctement au sein de sonorgane le rôle pour lequel elle a été fabriquée, et que chacun de mes organes,à commencer par mon cerveau, fonctionne de façon harmonieuse avec tout lereste de mon organisme.

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Chapitre 4 – LA PYRAMIDE DE LA COMPLEXITÉ

Ma tâche est maintenant d’apprendre à utiliser tous ces précieux héritageset de m’en servir pour entrer en relation avec d’autres organismes, humains ouautres, afin de participer à mon tour à toutes sortes de structures supérieures, quidonnent de nouveaux étages à la pyramide de la complexité et qui y fontapparaître des phénomènes inédits, parfois même tout à fait imprévisibles.

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INTERMÈDE 

LE GRAND-DÉJEUNER 

M’ayant «démontée» puis «remontée», vous avez eu l’occasion de constaterque je suis constituée d’une grande quantité de structures imbriquées les

unes dans les autres, une espèce de pyramide de complexité qui permet derecombiner des éléments simples en «objets» de plus en plus complexes.Pourtant, même si vous entrepreniez d’analyser et de décrire de façon extrême-ment minutieuse tous mes organes, toutes mes cellules, chacune de mes pro-téines et chacun de mes atomes, jusqu’à la plus infime particule, vous seriezencore loin d’avoir épuisé tout ce qu’il y a à dire pour répondre à la question«Que suis-je?».

Comme je l’ai mentionné au début de la deuxième partie, quand on dit cequ’est un objet, on parle habituellement non seulement de ce qui le constitue,mais aussi de ce à quoi il sert. Or, dire ce à quoi sert un objet, c’est le situer enrelation avec d’autres objets ou avec des humains, ou les deux, et quand on parled’objets ou de personnes en relation les uns avec les autres, on a de bonnes

chances d’être en train de décrire une structure quelconque. Ainsi, quand je disqu’un avion sert à transporter des personnes, je dis qu’un avion fait partie d’unestructure socio-politico-économique qui relie des personnes les unes aux autres,au point qu’elles sentent le besoin de voyager de longues distances pour pouvoiragir les unes avec les autres.

Dans ce sens, la pyramide de la complexité ne s’arrête pas avec moi, car pourdécrire correctement un «objet» quelconque il faut non seulement décrire lesstructures qui le constituent, mais aussi les structures auxquelles il participe, etdéterminer le rôle qu’il y joue.

Ainsi, pour bien comprendre une de mes cellules, vous devez non seulementla considérer comme une pyramide de structures, qui va des particules jusqu’àcette cellule, en passant par les atomes, les molécules, les macromolécules et lesorganites, mais vous devez également considérer que cette cellule fait elle-mêmepartie de structures de niveaux supérieurs, comme parties d’organes, organes,systèmes et organisme. Si vous ne tenez pas compte du fait que ma cellule n’aaucun sens en elle-même, que ce n’est qu’en la situant à l’intérieur de monorganisme que vous en comprenez toutes les dimensions, vous passez à côté deréalités tout aussi essentielles que toutes les structures qui la constituent.

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Intermède – LE GRAND-DÉJEUNER

des amuse-gueules comme de la truite fumée, des champignons sauvages, desbouchées d’abats de chevreuil et bien d’autres délices encore. Elle ne manque

 jamais d’idées pour inventer de nouvelles recettes, mêlant son héritage culinaireautochtone à ce qu’elle trouve dans des livres de recettes ou dans Internet.

Cette année, le trente-neuvième et dernier invité est arrivé à six heures etdemie, et Angèle nous a tous demandé de nous asseoir peu après. Servir autantd’invités en même temps demande une certaine organisation, alors en plus dufour électrique, du poêle à bois et du foyer, quelques invités apportent leur fourà micro-ondes. Même si le service est parfois un peu long et laborieux, cela nedonne que plus de temps à chacun pour digérer entre les services. D’ailleurs,personne ne mange de tout, car chacun a ses petites préférences et, comme lesplats ne reviennent pas tous d’année en année, personne ne veut se priver de

l’occasion de savourer ses délices favoris jusqu’à satiété.Cette année, le repas a commencé par une délicieuse terrine de lièvre et d’oie

sauvage, immédiatement suivie d’un bol de la traditionnelle crème de poulet degrain, qui contient beaucoup de crème très fraîche et très riche. (Quand cettesoupe n’est pas au menu, il y a des oncles de maman qui deviennent hystériques;la force de la tradition j’imagine…) Ont suivi les viandes, au nombre de sept cetteannée: du caribou cuit au four à bois servi dans son jus, un poulet de grain aumiel, un jambon fumé dans la cabane à sucre et mijoté dans de la bière maison,des côtelettes d’agneau braisées, un énorme doré cuit à l’étouffée sous les braises,une tourte au chevreuil ainsi qu’un incroyable bouilli aux herbes sauvages qui

revient d’année en année, et dans lequel Angèle met un peu de tout, y compris del’ours, du porc-épic ou de l’écureuil si elle en a «sous la main». Le tout étaitaccompagné de pommes de terre apprêtées de quatre façons différentes, denombreux autres légumes, incluant une délicieuse purée de courge sauvage, d’un«bar à salades», de plusieurs sortes de pains et de brioches, et de beurre maisonfrais de la veille.

Pour dessert, il y avait des tartes aux pommes et aux fraises, des beignes àl’ancienne, un gâteau au fromage et aux framboises, et de la crème glacée maisonassaisonnée à l’érable. Avant, pendant et après le repas, Christian offrait sesbières maison, ses vins maison et même quelques alcools un peu plus forts qu’ildistille lui-même, bien que ce soit illégal. Plusieurs lui ont apporté aussi desalcools rares en cadeau, ce qui fait qu’au fil des années il s’est retrouvé avec unbar qui fait l’envie de bien des connaisseurs.

Les invités étaient encore à table quand minuit a sonné et la maison s’estremplie d’un grand tumulte, avec tout le monde qui voulait souhaiter la bonneannée à tout le monde. L’activité a baissé graduellement après minuit et demi,certains invités plus jeunes quittant pour aller rejoindre d’autres fêtes, et les plusâgés qui allaient plutôt se coucher.

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Du Big Bang au Village planétaire

LE «NOBLE SAUVAGE»

Vers trois heures du matin, il ne restait plus qu’une quinzaine de personnes

autour du foyer et, comme chaque année à cette heure tardive, Angèle parlait desa jeunesse et des aventures qu’elle avait vécues quand sa famille était encorenomade et tirait une bonne partie de sa subsistance de la trappe, de la chasse etde la pêche.

Angèle est née en 1948, peu de temps après que son père fut revenu d’Europeoù il s’était distingué comme tireur d’élite dans les forces armées canadiennes.Profondément écœuré par le gaspillage de capital humain auquel il avait assistépendant ces années de guerre, le père d’Angèle avait décidé de tourner le dos àla civilisation occidentale et de reprendre la vie nomade de ses ancêtres.

Bien qu’il ait été un des meilleurs tireurs de toute l’Amérique du Nord, ildécida d’utiliser ses fusils et ses carabines le moins possible et il réussit àapprendre la chasse à l’arc de son grand-père qui avait déjà 70 ans à l’époque.Lui qui avait passé cinq ans de sa vie au milieu du vacarme des machines deguerre, il refusa jusqu’à sa mort d’utiliser les automobiles, canots à moteur etmotoneiges qui commençaient alors à pénétrer en territoire cri.

Comme ceux de son peuple, il s’est construit une petite maison au village,mais ne l’habitait que quelques mois par année, préférant passer le plus clair deson temps loin dans la forêt à chasser et à coucher dans son tipi en peaux decaribou. Il était particulièrement fier d’avoir lui-même abattu d’une flèche

chacune des bêtes dont les peaux lui servaient dorénavant d’abri. Il lui avait falluplus de trois ans avant d’être en mesure de remettre le tipi qu’il avait empruntéde son oncle maternel et de pouvoir dire, comme ses ancêtres, qu’il possédaitdorénavant une habitation qu’il avait vraiment érigée de ses propres mains, sansrecourir aux techniques des hommes blancs.

Angèle aime particulièrement parler de son arrière-grand-père, né vers 1880et mort en 1963, alors qu’elle avait 15 ans. Il était un des derniers hommes enAmérique du Nord à connaître la technique de fabrication des pointes de flèchesen pierre. Tandis que la plupart des hommes de son village se convertissaient aufusil, lui s’entêtait à chasser à l’arc, préférant passer plus de temps dans la forêtà trouver sa nourriture que de rester la moitié de l’année au village, avec rien demieux à faire que de boire l’alcool frelaté échangé par les Blancs contre desfourrures.

Il était né à une époque où les Blancs n’avaient pas encore détruit le modede vie ancestral des Cris. Pendant son enfance, sa famille ne possédait que troisobjets en métal: un couteau de chasse trouvé par un de ses ancêtres près ducadavre d’un coureur des bois français tué par les loups autour de 1750, unehache obtenue par son propre grand-père vers 1835 au comptoir de la Compa-gnie de la Baie d’Hudson en échange d’une magnifique peau d’ours et un vieux

chaudron en fonte dont plus personne ne connaissait la provenance.

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Intermède – LE GRAND-DÉJEUNER

Pour le reste, tout ce que ses parents possédaient avait été fait de leurspropres mains ou par quelqu’un de proche. Les peaux de caribou de leur tipiétaient cousues avec des nerfs et des tendons, et même leurs aiguilles étaientfaçonnées à partir d’os. Les vêtements et les mocassins qu’ils portaient étaientconfectionnés eux aussi à partir de peaux d’animaux chassés par les gens du

 village. Certains de leurs vêtements d’hiver auraient tout de même fait l’envie debien des dames de la haute société blanche de l’époque.

Leurs ustensiles de cuisine étaient en bois ou en osier tressé, beaucoup moinslourds à transporter que leurs équivalents en métal et plus faciles à remplaceren cas de perte. Ils avaient presque tous été fabriqués par sa mère, mais quelques-uns étaient des cadeaux provenant d’autres membres de la famille. Son pèrefabriquait lui-même ses outils de chasse et de pêche à partir de bois, de nerfs,

de plumes, d’os et de pierres et, à part quelques bijoux, c’était là l’essentiel desbiens appartenant à la famille de l’arrière-grand-père d’Angèle durant sonenfance entre 1880 et 1895. À leur façon, elle et Christian cherchaient à menerautant que possible une vie qui respecte en partie les valeurs qu’il lui avaittransmises avant sa mort.

UN PETIT-DÉJEUNER BANAL

Nous avons couché sur place et, le lendemain matin, pendant le petit-déjeuner,papa a commencé à louanger la vie presque parfaitement autonome que

mènent Christian et Angèle sur leur fermette depuis qu’ils ont pris une retraiteanticipée offerte par leur ancien employeur commun, la Société de l’énergie dela Baie-James. Mais papa ne connaît Christian que depuis trois ans, alors il n’apas encore appris à se prémunir contre les taquineries que celui-ci est capabled’inventer pour s’amuser et pour faire rire la galerie. Innocent, papa n’a pas vule piège que Christian lui préparait et il a foncé dedans tête baissée.

Christian a commencé par laisser papa parler de l’importance d’être auto-nome et de ne pas trop dépendre des autres. Par des commentaires subtils et desquestions discrètes, il l’a ensuite amené à reparler des nobles valeurs défenduespar le père et l’arrière-grand-père d’Angèle et de comment le style de vie de

Christian et Angèle était un compromis idéal entre ces nobles principes et lesinnombrables gâteries offertes par la vie dans une société postindustrielle.

Au moment où papa finissait son repas et s’allumait une cigarette, Christiansauta du coq à l’âne et, avec un éclair de malice dans les yeux, lui demanda s’ilavait aimé son humble repas. Craignant un instant de n’avoir pas adéquatementremercié Angèle, papa rougit et fit de grands signes de la tête en répétant: « Oui,oui, c’était délicieux.» Christian revint pourtant à la charge en lui demandants’il n’avait pas été déçu devant un petit-déjeuner si banal, surtout après le festinde la veille.

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Du Big Bang au Village planétaire

De plus en plus empêtré dans ses réactions, papa lui répondit que tout étaitparfait, que c’était exactement le genre de repas simple que nous prenons presquetous les jours à la maison et que tout était bien ainsi. Après un clin d’œil à mamère, qui ne put s’empêcher de sourire car elle connaissait déjà la suite del’histoire, Christian reprit l’attaque de plus belle en demandant à papa d’énu-mérer ce qu’il avait mangé. Comme son ton ne laissait aucune place à ladiscussion, papa s’exécuta. La liste n’était d’ailleurs pas bien longue, puisqu’ils’était contenté d’un verre de jus d’ananas, de deux rôties, l’une avec du beurred’arachide et l’autre avec un peu de camembert, et d’une tasse de café noir, sanssucre ni lait.

Prenant un malin plaisir à torturer gentiment sa proie, Christian se promenapartout dans la maison, répétant la liste par trois fois à voix haute, prenant tous

les autres membres de la famille à témoin que papa n’avait eu pour tout petit-déjeuner qu’un verre de jus, deux rôties et une tasse de café. Se retournantbrusquement dans un grand geste théâtral, il pointa un doigt accusateur surAngèle et la somma d’expliquer publiquement pourquoi elle avait donné un repasaussi banal à mon pauvre père, lequel en était d’ailleurs à se demandersérieusement s’il ne ferait pas mieux d’aller se cacher sous la table.

Lâchant un grand soupir, Angèle alla chercher le contenant de jus en carton,le fromage, le bocal de beurre d’arachide, le sac de café et un sac de farine.Posant chacun de ces objets de façon très délibérée sur la table, elle s’assit et fitun grand sourire à papa, qui eut ainsi sa première chance de se détendre un peu

depuis près de dix minutes. Prenant le contenant de jus entre ses mains, elleregarda papa et lui rappela qu’à peu près tout ce qu’il avait mangé la veille étaitle fruit de leur propre travail à elle et à Christian, avec l’aide de leurs enfants etpetits-enfants. Malgré une grande variété et une présentation remarquable, lerepas du réveillon était le reflet d’une vie simple où il n’y a que peud’intermédiaires entre le foin qui nourrit la vache qui produit le lait qui donnele beurre, et celui qui mange le beurre à quelques centaines de mètres à peinede l’endroit où le foin a poussé. Par opposition, le «simple» petit-déjeuner depapa était le reflet d’un mode de vie immensément plus compliqué, capable deréunir à peu de frais des produits provenant des cinq continents, incluant du jus

d’ananas ayant poussé en Thaïlande, de la farine de blé cultivé au Canada, dubeurre d’arachides provenant du Sénégal, du fromage produit en France et ducafé importé de Colombie.

Ayant efficacement rempli son rôle dans la petite mise en scène de son mari,Angèle adressa un nouveau sourire à mon papa, fit une petite révérence àl’auditoire et retourna dans le secteur cuisine. Maman se leva et l’y rejoignit,mais quand papa tenta de faire de même avec l’intention d’aller aider à laver la

 vaisselle, il se fit apostropher par Christian qui n’en avait pas fini avec sa victime.Lançant un petit cri et un regard de désespoir à maman, il se rassit quand celle-ci lui fit signe que ses services n’étaient pas requis. Reprenant la boîte de jus

d’ananas, Christian demanda à papa s’il avait une idée de combien il avait fallu

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Intermède – LE GRAND-DÉJEUNER

de personnes pour qu’il puisse boire son petit verre de jus matinal. Comme papane répondait pas assez rapidement à son goût, il le relança: «Combien? deux outrois, une douzaine, une centaine, aucune idée?»

HISTOIRE D’ANANAS

Comme papa ne répondait toujours pas, Christian lui proposa de les compter.Prenant un stylo et quelques feuilles de papier dans un tiroir proche, il revints’asseoir auprès de papa qui respirait mieux maintenant que le pire était passé.Malgré lui, il se prit au jeu et commença à compter avec Christian.

Il y avait d’abord au moins six employés à l’épicerie, soit:

– le commis du service à l’auto;

– l’emballeur;

– la caissière;

– le commis qui a mis la boîte sur l’étagère;

– la gérante de département qui a passé la commande chez le grossiste ;

– le commis d’entrepôt qui a déchargé le camion.

Il y avait eu aussi au moins cinq employés chez le grossiste:

– le chauffeur du camion;– le commis qui a chargé le camion;

– la vendeuse qui a pris la commande;

– le commis qui a déchargé le camion du fabricant;

– l’acheteur qui a commandé le chargement chez le fabricant.

Avant eux, il y avait eu les employés de l’embouteilleur, une bonne douzaine,et ceux qui sont responsables du transport du concentré par bateau, train etcamion, soit une cinquantaine. Il y a aussi eu ceux et celles qui ont fabriqué le

concentré en Thaïlande, encore une douzaine, et les employés de la plantation,une douzaine de plus.

Cette liste compte entre 75 et 100 personnes, bien que Christian et papa aientréduit les opérations au strict minimum à chacune des étapes. En fait, il seraitprobablement plus réaliste de dire qu’il a fallu l’intervention de plus d’une cen-taine de personnes pour que l’ananas récolté quelques semaines plus tôt enThaïlande se retrouve sous forme de jus dans le verre de papa en ce beau matindu jour de l’An.

D’ailleurs, comme l’a fait remarquer Angèle, cette filière n’inclut que les

personnes qui ont été en contact direct avec l’ananas, avec son concentré ou avec

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Du Big Bang au Village planétaire

son jus. Pourtant, la seconde partie de ce périple n’aurait jamais pu se produires’il n’y avait pas eu le contenant en carton de un litre qui a permis de transporteret de manipuler le jus à partir de l’usine d’embouteillage jusqu’au verre de papa.Or, ce contenant est un objet assez complexe composé de trois couches diffé-rentes, une couche métallisée à l’intérieur pour isoler le jus, une couchecartonnée au centre pour donner de la rigidité au contenant et une couche enplastique imprimé à l’extérieur pour que les clients puissent reconnaître leproduit désiré.

Papa, qui avait eu le temps de se remettre de ses émotions fortes, étaitmaintenant tout à fait captivé par l’exercice. S’emparant de la feuille de Christian,il a introduit une nouvelle colonne qui commençait sous forme d’embranche-ment latéral à partir de l’usine d’embouteillage. Sous le titre «Contenant», il a

écrit:– deux autres employés chez l’embouteilleur pour recevoir et manipuler les

contenants;

– un chauffeur de camion du fabricant de contenants jusqu’à l’usined’embouteillage;

– au moins une vingtaine d’employés à l’usine du fabricant de contenants,ceux et celles qui reçoivent les trois types de matière première, quicommandent les machines pour tailler selon le patron requis, pourassembler les trois couches et pour plier le produit fini, ceux qui emballent

le produit fini et ceux qui l’expédient chez l’embouteilleur;– une autre quinzaine ou une vingtaine d’employés à l’imprimerie qui a

préparé la couche la plus extérieure de contenant;

– au moins une vingtaine d’employés à chacune des trois usines qui ontfabriqué les trois différents matériaux;

– au minimum, une cinquantaine de personnes ayant travaillé à l’extractionet à la production des matières requises pour chacune des trois couches ducontenant;

– au minimum, une autre cinquantaine de personnes ayant transporté toutesles diverses matières premières qui ont servi à fabriquer ces trois matériaux.

Papa fit une rapide addition qui lui fit conclure qu’au moins deux centspersonnes supplémentaires avaient contribué directement à la fabrication dubanal petit contenant en carton qu’Angèle avait laissé sur la table. Et, commeChristian lui fit remarquer, papa n’avait même pas tenu compte de ceux et cellesqui avaient fabriqué les colles, les encres, le bouchon refermable, le sceau desécurité et peut-être plusieurs autres éléments moins évidents.

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Intermède – LE GRAND-DÉJEUNER

LA PLANÈTE DANS SON ASSIETTE

Il ajouta qu’on pourrait facilement refaire le même cheminement pour le beurre

d’arachide du Sénégal, le fromage de France, le café de Colombie et le blé de laSaskatchewan. Ainsi, le travail concerté de près de deux mille personnes avaitété requis pour que papa puisse consommer un petit-déjeuner somme toutebanal, certainement pas plus élaboré que ce que consomment la majorité desNord-Américains la plupart du temps.

Maman mit son grain de sel en affirmant qu’il est d’ailleurs possible de faireéclater ces chiffres encore plus rapidement si l’on remplace le jus d’ananas parun cocktail de jus de fruits qui peut contenir jusqu’à sept concentrés différents,si l’on substitue le beurre d’arachide par un pâté de campagne qui contient troisou quatre sortes de viande, sans parler des assaisonnements et des produits

chimiques, si l’on met sur la table au lieu du fromage un pot de confituresindustrielles avec sucre, pectine, agents de conservation et Dieu sait quoi d’autre,si l’on remplace le simple pain maison d’Angèle par un pain de six, huit ou douzegrains, et si l’on change enfin le café colombien équitable préféré de Christian parun mélange raffiné fait à partir des meilleurs grains en provenance de Jamaïque,d’Hawaii, du Kenya et d’Arabie. Ce genre de petit-déjeuner pourrait facilementnécessiter la contribution de cinq mille, peut-être même de dix mille personnes,et il ne serait toujours constitué que d’un verre de jus, de deux rôties avec leurgarniture et d’une tasse de café noir, sans sucre ni lait.

Voyant que mon papa était impressionné et pensif, Christian décida de ledéstabiliser une nouvelle fois en lui lançant: «Mais tu sais, tout ça, c’est rien quela pointe de l’asperge!», ce qui finit tout de même par arracher un sourire à papa.

Ravi d’avoir retrouvé son auditoire, Christian reprit de plus belle en affirmantque les employés de l’épicerie n’auraient pas été à leur poste pour faire leurtravail s’il n’y avait pas eu un service de la paie qui leur émettait un chèque unesemaine sur deux. À ce titre, la personne responsable de la paie est aussiindispensable au fonctionnement du système que n’importe quelle personneayant touché directement le jus ou sa boîte. Ce principe s’applique aussi à toutesles compagnies engagées dans le processus.

Il va de soi que, pour fonctionner adéquatement et avec un minimum depersonnel, le service de la paie a besoin d’un système bancaire fiable, lequel estaussi nécessaire pour les paiements à chaque étape. Histoire de montrer qu’ilavait bien compris, papa ajouta que tout notre mode de consommationpostindustriel repose également sur le transport rapide et économique de tousces produits. Afin que le système fonctionne, il faut donc que les véhicules soientmaintenus en état de rouler par des mécaniciens, que leurs réservoirs soientremplis régulièrement et que les routes soient entretenues. Papa décida doncqu’il fallait inclure dans la boucle les mécaniciens, l’industrie du pétrole et lesservices de la voirie, sans qui rien de tout cela ne serait possible.

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Du Big Bang au Village planétaire

Christian le relança en mentionnant que les communications par la poste,par télécopieur, par téléphone et par courriel font également désormais partiede la boucle, car, sans elles, il serait absolument impossible de gérer uneéconomie à l’échelle planétaire comme cela se fait actuellement. Cela lui fitpenser que l’électricité est également devenue un élément indispensable à toutesles étapes de ces processus.

Papa pensait avoir le dernier mot en poussant la logique à un niveau encoreplus global. Il lança l’idée que les édifices où se trouvent l’épicerie, les entrepôtset les usines sont tout aussi indispensables au système et que, à ce titre, tous leshumains qui les ont construits font également partie de la boucle, comme tousceux qui ont contribué à fabriquer les divers matériaux qui ont servi à les bâtir.Avant que Christian puisse le dire, maman ajouta que le même raisonnement

s’appliquait à tous les véhicules et à tous les équipements utilisés par ces diversesentreprises, même les machines ayant servi à fabriquer les machines, et ainsi desuite.

Pourtant, c’est Angèle qui a le mieux réussi à surenchérir, en ajoutantqu’aucune de ces personnes n’accepterait de travailler si elle craignait constam-ment que sa maison soit pillée ou qu’il arrive du mal à ses enfants pendant sonquart de travail. Il faut donc inclure les enseignants, les policiers et même lescompagnies d’assurance dans le réseau d’individus collaborant au petit-déjeunerde papa. Angèle élargit ainsi le cercle de plus en plus, pour inclure les autresépiciers, chez qui s’approvisionnent les employés de toutes ces compagnies, les

employés des hôpitaux, qui s’occupent des malades pendant que leurs parents vont travailler, et même les collecteurs d’impôts qui, à leur façon, sont indis-pensables au fonctionnement de la société qui nous permet de nous procurertant de biens et de services différents à des prix tellement abordables.

Satisfait d’avoir pu faire comprendre à papa que des millions d’individusavaient été mis à contribution pour le simple petit-déjeuner qu’il venait deconsommer, Christian a ramené la discussion sur son point de départ, la relativeautonomie dont lui et Angèle profitaient.

Il fit remarquer que, bien que lui et Angèle aient coupé et débité eux-mêmes

presque tout le bois qui a servi à construire leur maison, ils ont tout de mêmeutilisé au moins 200 sortes différentes de clous, de vis, de boulons et d’agrafes,sans oublier les produits isolants, les colles, les pièces de plomberie et le réseauélectrique. Malgré leur indépendance partielle, Christian et Angèle ne s’imaginentpas être déconnectés du reste de l’humanité. Ils ont calculé que, malgré leursituation particulière, au moins plusieurs dizaines de millions d’autres êtreshumains ont contribué à ce qu’ils se donnent un chez-soi à leur goût, ajoutantque, pour une personne vivant dans un appartement en ville, il faudrait plutôtcompter en centaines de millions.

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De plus, ils ont plusieurs appareils électriques et électroniques, alors que lemoindre petit ordinateur comporte tellement de pièces différentes et provenantde tellement de filières différentes qu’il représente plusieurs millions d’interve-nants à lui tout seul. À moins de retourner dans le Grand Nord et d’adopter unmode de vie semblable à celui de l’arrière-grand-père d’Angèle, dont toutes lespossessions avaient été fabriquées par des membres de la famille, il estaujourd’hui impossible de ne pas devoir son environnement immédiat à lacontribution de dizaines, voire de centaines de millions d’autres humains menantleur propre petite vie derrière la porte d’à côté ou à l’autre bout de la planète.

Nous sommes déjà dans le Village planétaire et, malgré mon jeune âge, masurvie dépend directement de toutes ces structures humaines qui forment à leurtour cette immense pyramide de complexité qu’est devenue l’humanité.

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Intermède – LE GRAND-DÉJEUNER

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TROISIÈME PARTIE

POURQUOI SUIS-JE?

(Je suis le produit des lois… et des infractions)

 À quoi sert-il de vivre si ce n’est pour rendre ce monde plus habitable?SIR WINSTON CHURCHILL

 Il y a généralement deux façons de répondre à une question qui commence par «pourquoi»: une qui se définit en fonction du passé et l’autre qui regarde plutôt

 vers l’avenir. Dans le premier cas, on cherche à comprendre quelles circonstances ont amené la situation qui nous intéresse, quelles en sont les causes, quelles forces étaient en jeu, etc. On parle alors d’une approche « déterministe» ou «causale». Dans le second cas, on suppose que la situation qui nous occupe a été créée par une forme quelconque d’« intelligence», et on cherche à comprendre quelle étaitl’intention de cette «intelligence», à quelles fins, dans quel but, «elle» a créé cette

 situation. On parle alors d’une approche «finaliste».

Par exemple, alors qu’elle était encore toute petite, ma maman faisait une pro-menade au parc et, apercevant un gland sur la pelouse, elle a demandé à sa mère

 pourquoi ce gland était là. Ma grand-maman, qui a grandi au Cambodge dans une famille bouddhiste, lui répondit que ce gland faisait partie du grand cycle de la vie et qu’il était là afin qu’il puisse germer un jour et grandir, jusqu’à devenir unmagnifique chêne qui produirait à son tour des glands pour relancer un nouveau

 cycle. C’était une réponse remplie de poésie et de respect envers la Nature, le genre de réponse qu’un mystique aurait pu donner.

Mais si c’était avec grand-papa qu’elle avait fait cette promenade, la réponse aurait pu être bien différente. Toujours pragmatique, son père lui aurait raconté que tous les êtres vivants se reproduisent, car les lignées qui n’ont pas mis au point de stratégie efficace de reproduction se sont éteintes voilà fort longtemps; il aurait

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 ajouté que les chênes assurent leur re- production en fabriquant une énorme quantité de glands, que les écureuils s’emparent des glands et les enterrent pour les jours difficiles, ce qui permet à quelques-uns d’entre eux de germer et de recommencer un nouveau cycle. Cela aurait été une réponse plutôt terre àterre, plus proche de ce qu’un scienti-

 fique aurait pu lui répondre.

Comme je suis toute petite et que jen’ai pas encore traversé de crise existen-

tielle, quand je me demande pourquoi je suis, je ne suis pas tournée vers l’avenir et ne cherche pas une réponse finaliste à cette question. Par contre, mon jeune cerveau a une grande soif de connaissance, et j’ai un grand désir de comprendre quels sont les événements qui ont mené à mon apparition sur cette belle planète qui est la nôtre. Plus particulièrement, j’aimerais vous faire partager quelques idées à propos des forces à l’œuvre dans notre Univers, forces qui ont permis que l’énergie engendre la matière, que la matière accouche à son tour de la vie et que l’intelligence apparaisse au sein du monde vivant.

 La présente partie constitue donc une double réflexion sur les facteurs qui ont permis l’émergence de la complexité dans notre Univers. Dans un premier temps, le

 chapitre 5 détaille quelques grands principes à l’œuvre à plusieurs niveaux de la complexité ; dans un second volet, le chapitre 6, intitulé «Voies et impasses», s’attarde à quelques-unes des nombreuses impasses qui auraient pu mettre fin àl’aventure de la complexité, afin de mettre en évidence les changements de cap

 fréquents qui ont été nécessaires pour que la complexité puisse continuer de s’élaborer.

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C H A P I T R E

5

LES PRINCIPES

L

a toute première chose qui ressort quand on cherche à comprendre qui jesuis et ce que je suis, c’est que la notion de structure est au cœur de toute la

progression vers la complexité. 1º si vous me «démontez», vous découvrez unegrande quantité de structures imbriquées les unes dans les autres; 2º l’histoire demes origines est l’histoire de l’apparition de structures de plus en plus complexesdans l’Univers.

UNE NOTION FONDAMENTALE: LA STRUCTURE

Cette notion de structure peut être utilisée pour décrire une foule de réalités del’infiniment petit à l’infiniment grand, du très simple au plus complexe. Sadéfinition est «toute entité qui regroupe des entités plus simples, mais qui le faitde telle sorte que le tout est plus que la simple somme des parties». Ainsi, lasimple addition d’éléments ne donne pas nécessairement une structure s’ilsn’interagissent pas les uns avec les autres.

Prenons un exemple que vous avez probablement déjà vu à la télévision: lesathlètes du patinage artistique. Les choses qu’un patineur peut faire au son de lamusique sont relativement limitées tant qu’il est seul: avancer, arrêter, reculer,tourner à gauche ou à droite, étendre les bras ou les replier, et pivoter sur lui-même selon quelques techniques diverses aux noms étranges comme «tripleaxel» ou «double boucle piqué».

Si vous mettez deux patineurs sur la même glace et qu’ils agissent de façonparfaitement indépendante l’un de l’autre, vous n’avez pas créé une nouvellestructure, vous avez simplement mis deux «objets» en présence l’un de l’autre.De plus, même si vos deux patineurs exécutent exactement les mêmes mouve-ments en même temps, vous n’avez toujours pas engendré une nouvelle structure,

 vous avez simplement deux «objets » qui réagissent de façon semblable à lamême musique. Le résultat est certes plus agréable à regarder que lorsqu’il n’ya qu’un seul patineur, mais aucune nouvelle propriété n’émerge de cetterencontre, car il n’y a pas de mise en commun.

Par contre, à partir du moment où les deux patineurs, supposons homme etfemme, agissent l’un avec l’autre, plusieurs nouvelles possibilités apparaissent,

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Du Big Bang au Village planétaire

avec des mouvements qui ne sont accessiblesà aucun des deux patineurs pris individuelle-ment. C’est ainsi qu’on les voit danser l’unautour de l’autre, faire des pirouettes dans lesbras l’un de l’autre et, à l’occasion, on voitmême l’homme littéralement soulever sapartenaire et exécuter des mouvements en laportant à bout de bras. Ces mouvements nesont pas la simple addition des mouvementsaccessibles à chaque patineur et, pour cetteraison, on peut dire que ce «couple» est une

 véritable structure, un «objet» complexe capa-ble de comportements originaux et différents

de ceux de ses parties.Pour les mêmes raisons, un atome d’hydro-

gène est une structure très simple qui réunit unproton et un électron qui agissent l’un avec l’autre. Le comportement de l’atomed’hydrogène est très différent de celui de son proton, très différent de celui de sonélectron, et aussi très différent de la simple somme de leurs comportements. Parexemple, comme nous l’avons déjà vu, un atome d’hydrogène occupe un volumeimmensément plus grand que la simple somme des volumes du proton et de l’électron.

Un exemple plus familier pourrait être celui du sel de table, produit chimique

très humble qui a pourtant pris une place considérable dans nos vies, au pointque l’expression biblique «le sel de la Terre» signifie «élément essentiel». Le selde table est un cristal simple qui ne contient que des atomes de sodium et desatomes de chlore. Or, le chlore est un gaz verdâtre extrêmement toxique et, mêmeen très petite concentration dans l’eau, il agit comme désinfectant et comme

 javelisant, d’où son usage répandu dans nos piscines. De son côté, le sodium estun métal très instable. Il s’enflamme spontanément au contact de l’oxygène et,en présence d’eau, il se transforme en soude caustique, produit aussi corrosif que la plupart des acides. Ce sont donc deux atomes extrêmement nocifs lors-qu’ils sont manipulés individuellement, et pourtant, quand on les combine

ensemble, ils deviennent inoffensifs et même bénéfiques au point d’être presqueessentiels à la vie. Il n’y a aucun doute que les propriétés chimiques du sel sonttout sauf une simple addition des propriétés chimiques du chlore et du sodium.À ce titre, le cristal de sel est une structure.

Ce principe peut être projeté à tous les autres paliers de la complexité,comme les protéines, qui sont des structures réunissant des acides aminés; lescellules, qui sont des structures rassemblant des macromolécules; les orga-nismes, qui sont des structures unissant des cellules; les sociétés, qui sont desstructures regroupant des humains; et même de toutes nouvelles structures,comme l’Union européenne, qui réunit des pays qui veulent partager leurs

aspirations et agir de concert.

C’est parce qu’ils interagissent queces deux patineurs ont une si grande

diversité de mouvements.

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Chapitre 5 – LES PRINCIPES

Un autre élément qui ressort de l’analyse de toutes ces structures, c’estqu’elles s’établissent toujours lorsque quelque chose est échangé ou partagé entreles diverses parties. Ainsi, les quarks restent dans les protons parce qu’ilss’échangent des gluons, les électrons restent dans les atomes parce qu’ilséchangent des photons avec leur noyau, les molécules se forment parce que lesatomes partagent des électrons, les macromolécules ont leur forme particulièreà cause des protons qui sont partagés dans les ponts hydrogène.

Quand on arrive aux niveaux supérieurs, ce sont souvent des tâches qui sontpartagées. Ainsi, même si les macromolécules s’échangent bel et bien des groupesd’atomes comme –COOH ou –CH3, il est tout aussi important de constaterqu’elles partagent également la tâche collective de fabriquer de nouvelles copiesd’elles-mêmes. C’est une mise en commun beaucoup plus subtile que le simple

partage d’objets physiques comme les gluons ou les groupes d’atomes, et c’est justement cette subtilité qui fait que le produit de ce partage, la cellule vivanteen l’occurrence, est un objet infiniment plus intéressant que la simple sommede ses parties constituantes.

De la même façon, mes cellules s’échangent une très grande variété de pro-duits chimiques, mais plus important encore, elles partagent la tâche collectivede me faire grandir et de me maintenir en vie, ce qui suppose encore une fois defabriquer de nouvelles copies d’elles-mêmes selon un plan de croissancepréétabli. De plus, si je mets des enfants au monde à mon tour, mes cellulesauront aussi la chance de faire une nouvelle expérience dans l’art de «fabriquer

du soi-même».Toujours dans la même ligne de pensée, les humains forment des sociétés

parce qu’ils se partagent des produits, des services et même des idées. Mais il estpeut-être encore plus important de voir que les humains des sociétés postindus-trielles se partagent la tâche collective de se maintenir en vie et de faire croîtreleur communauté. Les hommes et les femmes participent à la grande aventuredu «fabriquer du soi-même» en faisant des enfants, mais aussi en produisantdes objets qui sont à l’image de leur culture (vêtements, outils, ordinateurs,bâtiments, etc.). Ce partage inclut également les nouvelles idées qui enrichissentla communauté, et toutes sortes d’autres gestes qui contribuent au bien-être denombreux autres humains. Finalement, si nos descendants en viennent à quitternotre planète pour aller coloniser la Lune, Mars, voire d’autres mondes, lessociétés humaines auront la chance de faire elles aussi une nouvelle expériencedans l’art de «fabriquer du soi-même».

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200

Du Big Bang au Village planétaire

UN UNIVERS STRUCTURÉ COMME UN LANGAGE

Une autre caractéristique des structures que nous avons rencontrées, c’est

qu’elles sont toutes incluses les unes dans les autres, un peu comme des poupéesrusses, sauf qu’au lieu d’avoir une seule poupée de chaque taille, quand vousouvrez la première, vous trouvez 5, 10 ou 20 poupées plus petites et, en ouvrantchacune d’entre elles, vous en trouvez 10 ou 20 d’une taille encore plus petite, etainsi de suite jusqu’à avoir des milliards de milliards de petites poupées pas plusgrosses qu’un quark.

On peut résumer cette situation de façon très schématique par la pyramidede la complexité, une image qui symbolise que chaque nouveau niveau destructure repose sur tous les niveaux précédents et que chaque élément de niveau«N» est composé de plusieurs éléments du niveau inférieur, «N moins 1», qui

sont eux-mêmes composés de plusieurs éléments du niveau «N moins 2», etainsi de suite jusqu’aux quarks.

Cette pyramide de la complexité ressemble beaucoup à une autre pyramidedu même genre et dont les «objets» vous sont certainement beaucoup plusfamiliers, la pyramide du langage. On y constate qu’à la base il y a les lettres, qui

sont rassemblées en mots, lesquels sont réunis en phrases, qui forment desparagraphes, et ainsi de suite.

Etc.

Familles

Organismes Organismes

Organes Organes Organes

Cellules* Cellules Cellules Cellules

Protéines Protéines Protéines Protéines Protéines

Molécules Molécules Molécules Molécules Molécules Molécules

Atomes** Atomes Atomes Atomes Atomes Atomes Atomes

Protons Neutrons Protons Neutrons Protons Neutrons Protons Neutrons

Q Q Q Q Q Q Q Q Q Q Q Q Q Q Q Q Q Q Q Q Q Q Q Q

  * En plus des protéines, les cellules incluent d’autres macromolécules comme l’ADN, ainsique de nombreux autres composés chimiques.

** En plus des neutrons et des protons, les atomes incluent les électrons, qui ne figurent  pas dans cette illustration.

Pyramide de la complexité

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201

Chapitre 5 – LES PRINCIPES

Ainsi, tout comme un enfant doit d’abord apprendre à former ses lettres, àles réunir ensuite en mots, puis en phrases, et ainsi de suite, l’Univers qui a

accouché de moi l’a fait en «apprenant» d’abord à former des quarks, en«découvrant» ensuite comment les réunir en protons et en neutrons, ensuite enatomes, puis en molécules, en macromolécules, en cellules et en organismes.Tout comme le sens émerge des diverses recombinaisons des éléments dulangage, la complexité a émergé des diverses recombinaisons que l’Univers aréussi à faire depuis le Big Bang.

Plus on monte dans la pyramide, plus il y a de variétés possibles et cetteaugmentation de la variété fait en sorte qu’il devient possible de faire des choixet de ne retenir que les éléments qui ont des propriétés propices à la formationdes niveaux supérieurs.

Avec un alphabet d’à peine 26 lettres, plus quelques accents, on fabrique desdizaines de milliers de mots dans la seule langue française, et nous n’utilisons qu’unefraction infime des combinaisons possibles (il existe des millions de combinaisonspossibles pour des mots de quatre lettres ou moins et, plus les mots sont longs, plusles possibilités sont nombreuses). S’il y a presque une infinité de mots possibles, ily a littéralement une infinité d’infinités de phrases différentes qu’on peut construireavec ces mots. Il y a aussi une infinité d’infinités de paragraphes qui pourraientréunir ces phrases, et ainsi de suite à mesure qu’on grimpe sur la pyramide dulangage. En conséquence, les 26 lettres sont toutes employées, alors que seulementune fraction des combinaisons possibles est vraiment utilisée pour former des mots,

et que de toutes les combinaisons de mots possibles, seulement une petite partie estretenue pour former de véritables phrases, etc.

Etc.

Rayons

Collections Collections

Volumes Volumes Volumes

Chapitres Chapitres Chapitres Chapitres

Paragraphes Paragraphes Paragraphes Paragraphes Paragraphes

Phrases*  Phrases Phrases Phrases Phrases Phrases

Mots Mots Mots Mots Mots Mots Mots

Lettres Lettres Lettres Lettres Lettres Lettres Lettres Lettres

  * En plus des lettres, les phrases incluent des signes de ponctuation.

Pyramide du langage

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Du Big Bang au Village planétaire

Ces principes se vérifient aussi sur la pyramide de la complexité qui reposesur une poignée de quarks, une centaine d’atomes, des milliers de molécules debase, des dizaines de milliers de sortes de protéines, etc. Or, avec une plus grande

 variété d’objets, il va de soi que leurs «comportements» seront plus variés, puisque,par définition, deux «objets» dont tous les comportements sont identiques peuventdifficilement constituer une «variété». Ainsi, les différences de «comportement»entre un quark up et un quark  down sont plutôt limitées et se manifestentessentiellement par la charge électrique (seulement deux possibilités) et une légèredifférence de masse. Par contre, la centaine d’atomes que nous connaissonsforment une douzaine de «familles» aux comportements chimiques très différents.Les molécules simples ont une marge de manœuvre encore plus étendue, maiselle est tout de même très limitée si on la compare aux multitudes de fonctionsspécialisées que peuvent remplir les diverses protéines. De la même façon, il y a

une grande variété d’unicellulaires aux comportements distincts, mais cette variétédevient beaucoup moins impressionnante si on la compare aux possibilités quasiinnombrables qui sont apparues avec les organismes pluricellulaires.

Ainsi, avec seulement deux sortes de quarks stables, il va de soi que tousdeux devaient être utilisés pour aller plus haut. En revanche, sur la centained’atomes qu’on peut constituer avec les quarks et les électrons, seulement six(C, H, N, O, P et S) ont été retenus pour bâtir les structures de la vie. De la mêmefaçon, parmi les milliers de molécules simples qu’on peut former à partir de cesatomes, seulement quelques douzaines ont été choisies pour créer des biomolé-cules… et ainsi de suite.

IA

IIA

IIIB I VB VB VIB VIIB VIIIB IB IIB

IIIA IVA VA VIA VIIA

VIIIA

Uns Uno Une

Li

Na

K

Rb

Cs

Fr

Be

Mg

Ca

Sr

Ba

Ra

Sc

Y

La

Ac

Ti

Zr

Hf

Unq

V

Nb

Ta

Unp

Cr

Mo

W

Unh

Mn

Tc

Re

Fe

Ru

Os

Co

Rh

Ir

Ni

Pd

Pt

Cu

Ag

Au

Zn

Cd

Hg

Al

Ga

In

Tl

C

Ge

Sn

Pb

N

P

Sb

Bi

O

S

Se

Po

F

Cl

Br

I

He

Ne

Ar

Kr

Xe

Rn

Ce

Th

Pr

Pa

Nd

U

Pm

Np

Sm

Pu

Eu

Am

Gd

Cm

Tb

Bk

Dy

Cf

Ho

Es

Er

Fm

Tm

Md

Yb

No

Lu

Lr

B

Si

As

Te

At

H21 2,1

5 6 7 8 9 103 4 2,0 2,5 3,0 3,5 4,01,0 1,5

11 12 13 14 15 16 17 180,9 1,2 1,5 1,8 2,1 2,5 3,0

19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 360,8 1,0 1,3 1,5 1,6 1,6 1,5 1,8 1,8 1,8 1,9 1,6 1,6 1,8 2,0 2,4 2,8

0,7 0,987 88 104 105 106 107 108 109

37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 540,8 1,0 1,2 1,4 1,6 1,8 1,9 2,2 2,2 2,2 1,9 1,7 1,7 1,8 1,9 2,1 2,5

55 56 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 860,7 0,9 1,3 1,5 1,7 1,9 2,2 2,2 2,2 2,4 1,9 1,8 1,8 1,9 2,0 2,2

57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 711,1 1,1 1,1 1,1 1,1 1,1 1,1 1,1 1,2 1,2 1,2 1,2 1,2 1,2 1,2

89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 1031,1 1,3 1,5 1,7 1,3 1,3 1,3 1,3 1,3 1,3 1,3 1,3 1,3 1,3 1,3

1,008 4,003

223,019 226,025 (262)(263)(262)(261) (265) (266)

6,941 9,012 10,81 12,011 14,007 15,999 18,998 20,180

26,982 28,08622,989 24,305 30,974 32,06 35,453 39,948

39,098 40,078 44,956 47,88 50,942 51,996 54,938 55,847 58,933 58,69 63,546 65,390 69,72 72,610 74,922 78,96 79,904 83,80

138,906 140,115 140,908 144,24 144,912 150,36 151,96 157,25 158,925 162,50 164,930 167,26 168,93 173,04 174,967

227,028 232,038 231,036 238,029 237,048 244,064 243,061 247,070 247,070 251,079 252,083 257,095 258,098 259,100 260,105

132,905 137,27 190,2 192,22178,49 180,948 183,85 186,207 195,08 222,018209,987208,982208,980207,2196,967200,59 204,383

85,468 87,62 88,906 91,22 92,906 95,94 97,907 101,07 102,906 106,42 131,290126,905107,868 127,60112,41 114,82 118,710 121,75

Fr

Numéro atomique

Masse atomique

Symbole

Électronégativité

Tableau périodique des éléments: les six éléments de la vie sont en grisé.

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Chapitre 5 – LES PRINCIPES

Outre qu’elles présentent toutes deux une suite d’objets constitués à partird’objets plus simples, ces deux pyramides se ressemblent parce que, dans lesdeux cas, pour qu’un niveau supérieur de structure apparaisse, il faut nonseulement que divers éléments échangent ou partagent quelque chose, mais aussique ces échanges ou ces partages soient encadrés par des règles.

Ainsi, on ne peut pas combiner n’importe quelles lettres pour former n’im-porte quel mot. Bien sûr, en théorie, rien ne m’empêche de le faire et d’assignerune signification différente à chaque nouvelle combinaison de lettres qui mepasse par la tête. Mais, si je veux vous communiquer quelque chose, il importeque vous et moi réussissions à nous entendre sur le sens que nous accordons àchaque mot. Or, pour faciliter cette tâche, il est presque indispensable que nousconvenions de certaines règles de base.

Nos dictionnaires français contiennent plus de 50000 mots, dont plus destrois quarts sont en fait des combinaisons d’éléments plus simples, de telle sorteque nous n’avons pas besoin de tous les retenir. En fait, en vous souvenant d’àpeine 1000 ou 1500 racines et d’une centaine de règles combinatoires, vous êtesen mesure de comprendre à peu près tous les mots de la langue française sansmême avoir recours à un dictionnaire. Par contre, imaginez tout ce qu’il vousfaudrait retenir si au lieu d’avoir des associations linguistiques simples comme«produire», «produit», «production», «producteur», «productif» et «produc-tivité», vous deviez apprendre six mots sans rapport les uns avec les autrescomme «manari», «boutaxo», «abstrodu», «qwerty», «ilo» et «casbnila».

La même chose vaut pour la pyramide de la complexité. Dans un univers oùtous les quarks pourraient échanger des gluons avec tous les autres quarks, ilsformeraient soit une unique boule compacte, véritable impasse pour la com-plexité, soit toutes sortes d’«objets» dont la première caractéristique serait lafragilité. En effet, s’il n’y avait pas de règles, dès qu’une nouvelle situation seprésenterait, n’importe quel quark serait susceptible de quitter sa structure pouraller s’associer à d’autres quarks, détruisant du coup la structure déjà existante.Ce serait le chaos total et la complexité n’aurait jamais pu émerger. Cela vautégalement pour tous les niveaux supérieurs.

DEUX VOIES VERS LA COMPLEXITÉ

Comme toute analogie, ces deux pyramides ont des défauts et ne reflètent pastoute la réalité. Ainsi, elles ne peuvent rendre compte que d’une sorte demouvement vers la complexité, celui qui permet de passer d’un niveau à l’autre,de réunir des lettres en mots ou des phrases en paragraphes, de réunir desparticules en atomes ou des unicellulaires en organismes pluricellulaires. Si l’onse fie strictement à l’image donnée par ces pyramides, tous les mots sont aumême niveau de complexité, peu importe qu’ils n’aient que deux lettres ou qu’ilsen comptent vingt-cinq. La même chose vaut pour les organismes pluricellu-

laires, qui semblent tous être au même niveau, peu importe qu’ils soient simplescomme les éponges ou complexes comme un humain.

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Du Big Bang au Village planétaire

Pourtant, il est évident qu’un gros mammifère est une structure immensé-ment plus complexe qu’un simple corail, et qu’un mot comme «anticonstitution-nellement» peut véhiculer beaucoup plus de sens que le mot «un». Il y a doncdeux façons très différentes d’augmenter la complexité dans l’Univers, soit enengendrant des objets de plus en plus complexes à un niveau donné, soit enrecombinant des objets d’un niveau donné pour former un objet de niveausupérieur. Afin de rendre compte de ces deux formes de cheminement vers lacomplexité, on pourrait parler de complexification «verticale» quand il y a unsaut d’un niveau à un autre, et de complexification «horizontale» quand il y asimplement progression à l’intérieur d’un même niveau.

Ainsi, l’histoire de la vie sur la Terre implique au moins trois sauts verticaux:1º la réunion de macromolécules en cellules, 2º la réunion d’unicellulaires en

organismes pluricellulaires et 3º la réunion d’organismes pluricellulaires enfamilles et en sociétés. Entre ces sauts verticaux, il y a eu de nombreuses évo-lutions horizontales, comme l’émergence d’organismes de plus en plus évoluéset l’apparition de sociétés de plus en plus complexes.

Il y a aussi eu des cas moins clairs, comme l’évolution depuis les premièresbactéries jusqu’aux unicellulaires complexes, un cheminement qui tient à la foisdu cheminement horizontal, dans la mesure où une famille de bactéries a évoluépour devenir de plus en plus grosse, mais qui implique aussi un saut vertical,parce que les cellules complexes peuvent aussi être vues comme des ensemblesd’organites, dont plusieurs ont une origine distincte, comme les mitochondries

et les chloroplastes.L’histoire de l’Univers a été assez semblable, car on y voit des sauts verticaux

clairs, comme lorsque trois quarks forment un nucléon ou que plusieursnucléons se réunissent en noyau complexe, lorsque les noyaux se réunissent àdes électrons pour former des atomes et quand deux atomes d’oxygène seréunissent en une molécule d’oxygène. On y retrouve aussi des «évolutions»horizontales, comme lorsque les étoiles fabriquent des noyaux atomiques de plusen plus gros ou que les jeux chimiques provoquent l’apparition de molécules deplus en plus complexes, sans pour autant provoquer de nouveau saut vertical.

De plus, autant dans la pyramide de la complexité que dans celle du langage,il y a un certain flou à la limite entre les niveaux, une certaine marge de jeu entreles catégories. Ainsi, dans le langage, on voit des objets comme «à» qu’onpourrait classer comme une lettre, mais aussi comme un mot, ou même commeune structure mixte qui réunit une lettre et un accent. Par contre, «anticonsti-tutionnellement» ressemble plus à une phrase qu’à un simple mot, puisqu’ilremplace toute la locution: «de façon contraire aux usages consacrés par laconstitution». De la même façon, on peut considérer le passage de l’hydrogèneà l’hélium comme un saut vertical, parce qu’il réunit deux protons et deuxneutrons en une structure plus complexe. Mais on peut aussi le voir simplement

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Chapitre 5 – LES PRINCIPES

comme la deuxième étape d’une évolution horizontale qui va de l’hydrogène jusqu’aux atomes lourds comme l’uranium.

Les sauts verticaux sont indispensables parce que les mouvementshorizontaux finissent toujours par nous entraîner dans des impasses.

En théorie, rien ne m’empêche d’employer des mots de 50 lettres, des phrasesde 200 mots, des paragraphes longs de 6 pages ou des chapitres de 300 pages. Je n’aiaucune explication vraiment scientifique pour me justifier, mais mon gros bon sensme dit que, si je commençais à écrire ainsi, vous arrêteriez de me lire très rapidementparce qu’il vousseraittrèsdifficiledecomprendrecequej’essaiedevouscommuniquer . Onpeut dire qu’au-delà d’une certaine limite, les mots, les phrases ou les para-graphes deviennent des monstruosités inutilisables parce qu’ils ne permettentpas de communiquer des idées.

Il semble également y avoir des limites à la taille des «objets» engendrés parl’Univers. Même à l’échelle la plus simple qui nous soit accessible, celle desélectrons, on constate que les versions «lourdes», appelées «muons» et«tauons», se débarrassent très rapidement de leur excès de poids et redeviennentde simples électrons. Le phénomène est à peu près identique chez les quarks etles trios qu’ils forment.

Le phénomène se reproduit à toutes les échelles supérieures, à commencerpar les atomes, qui sont tous instables dès qu’ils contiennent plus de 83 protons,

 jusqu’aux superamas de galaxies, qui semblent ne jamais contenir plus que

quelques dizaines de milliers de galaxies. Il vaut également pour les protéines, quin’ont jamais plus de quelques centaines d’acides aminés et s’applique même auxorganismes pluricellulaires, dont la taille n’a jamais dépassé celle des baleinesbleues.

Dans certains cas, les sauts sont nécessaires parce que des lois sont violéesau-delà d’une certaine limite de masse ou de complexité. Dans d’autres cas, iln’y a aucune raison apparente et on peut se demander si l’Univers n’a pas toutsimplement un équivalent quelconque à notre gros bon sens qui fait en sortequ’aucune classe d’objets ne dépasse une certaine limite de taille.

L’INCONTOURNABLE BESOIN DES LOIS

Chaque fois qu’un nouveau saut vertical est effectué et qu’un niveau supérieur estatteint, cela ouvre la porte à de nouvelles propriétés, ce qui entraîne l’apparitionde nouvelles règles combinatoires. Par exemple, les règles d’orthographe quipermettent de combiner les lettres en mots sont tout à fait inadéquates pourcombiner des mots en phrases ou des phrases en paragraphes. C’est ce qui faitque, en plus de l’orthographe, il a fallu inventer la grammaire, la syntaxe, larhétorique, etc.

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Du Big Bang au Village planétaire

De la même façon, les règles qui régissentles échanges de gluons entre quarks nepeuvent pas être simplement transposéespour régir les partages d’électrons entreatomes. Vu que les atomes sont des objetsbeaucoup plus complexes que les quarks,leurs comportements sont beaucoup plusélaborés, ce qui fait que des règles plus raf-finées sont requises.

C’est justement cette indépendance deslois à chaque nouveau niveau de complexitéqui permet l’apparition de phénomènes radicalement nouveaux appelés «pro-

priétés émergentes». En conséquence, même si vous avez une connaissance trèsapprofondie des éléments d’un niveau quelconque, il est loin d’être certain que vous pourrez prédire entièrement les propriétés de la structure qu’ils vont formerensemble (pensez aux patineurs et au sel de table).

Par contre, même si les phénomènes d’un niveau particulier ne sont pas latransposition pure et simple des phénomènes de niveaux inférieurs, on voit toutde même certains phénomènes d’«écho» entre les niveaux.

Ainsi, la force qui retient les protons et les neutrons ensemble dans le noyaun’est qu’un faible écho de celle qui retient les quarks ensemble à l’intérieur de

leurs trios. On observe un phénomène assez semblable avec la force électro-magnétique, qui semble n’être qu’une version «basse énergie» de la forcenucléaire faible. On retrouve aussi la même chose avec les ponts hydrogène, quisont la «colle» permettant la formation des structures complexes comme l’ADNet les protéines, force qui peut être vue comme un faible écho de la forceélectromagnétique, qui est le ciment entre les atomes.

On retrouve également ce phénomène d’écho avec les similitudes entre lescellules, les organismes et nos sociétés postindustrielles. Dans les trois cas, ils’agit de structures qui permettent de mettre en commun le travail de chaqueparticipant pour obtenir un «mieux-être» collectif. Les trois «objets» en cause,

protéines, cellules et humains, sont de natures très différentes les uns des autreset des règles combinatoires très différentes régissent leurs échanges. Et pourtant,les trois sortes de structures qu’ils constituent, cellules, organismes et sociétéspostindustrielles, ont tellement de points communs qu’il est tentant de croireque certaines forces sont à l’œuvre à plus d’un niveau, bien que parfois cela seproduise sous des formes différentes.

LA TOUT AUSSI INDISPENSABLE MARGE DE JEU

Mais si les lois sont un des principaux moteurs permettant de progresser vers la

complexité, elles ont souvent tendance à entraîner une dérive vers des formesstables, qui sont, par définition, des objets qui ne cherchent plus à évoluer.

Il faut des règles.

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Chapitre 5 – LES PRINCIPES

Ainsi, l’intervention de la gravité a souvent été capitale pour le progrès versla complexité, notamment: 1º dans la fragmentation du nuage initial, 2º pourcréer la pression qui permet la fusion de noyaux lourds au cœur des étoiles et3º dans la formation d’un milieu stable à la surface de la Terre. Pourtant, si lagravité avait été la seule force à l’œuvre dans l’Univers, il y a très longtemps quetoute la matière se serait concentrée en quelques masses infiniment densesappelées «trous noirs», endroits qui semblent très peu hospitaliers pour desobjets complexes comme moi.

Dans la même ligne d’idées, on ne peut nier l’importance de la force nucléairedans la construction de la complexité. Sans elle, pas d’atomes complexes, pas demolécules complexes et évidemment pas de vie. Par contre, si la force nucléaireavait pu aller jusqu’au bout de sa logique, elle aurait transformé toute la matière

de l’Univers en noyaux de fer et la vie ne serait jamais apparue. De la mêmefaçon, si la force électromagnétique avait été toute seule, notre Univers necontiendrait que des molécules de base pauvres en énergie, comme l’eau et legaz carbonique.

Si les nombreuses impasses évolutives qui nous guettaient ont été évitées,c’est parce que l’Univers semble toujours trouver une faille dans ses propres lois,une marge de jeu, parfois infime, qui lui permet de glisser quelques exceptionsà la règle et ainsi relancer la mouvance vers la complexité.

Prenons le cas des étoiles. Si elles brillent, c’est parce que, dans leur cœur, des

protons sont fusionnés quatre par quatre pour former des noyaux d’hélium. Or,du point de vue de la physique classique, la fusion de protons est absolumentimpossible, car chaque proton porte une charge électrique positive, donc plusils s’approchent l’un de l’autre, plus leurs champs électriques se repoussent. Ilscréent des lignes de force qui s’accumulent et se compriment à mesure que ladistance diminue et, en théorie, aucune force au monde ne peut permettre depercer ces lignes de force pour mettre les deux protons en contact l’un avecl’autre.

Même au cœur des étoiles, où règnent des températures dans les millions dedegrés Kelvin et des pressions du même ordre, il devrait être physiquement

impossible de fusionner deux protons etd’enclencher les processus nucléaires. Bienque les protons s’y déplacent à 500 kilomètrespar seconde et frappent leurs voisins à raisonde plusieurs millions de collisions par se-conde, ils refusent catégoriquement de serecombiner. Et c’est très bien ainsi, car si lafusion entre deux protons était possible, il ya bien longtemps que la force nucléaire auraitépuisé l’hydrogène qui lui sert de carburant,

probablement bien avant que la vie n’ait eu letemps d’apparaître.

Les étoiles brillent grâce à

un mécanisme qui est à toutesfins utiles impossible.

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Du Big Bang au Village planétaire

Et pourtant, les étoiles brillent. C’est parce que les protons ne suivent pasles lois de la physique classique, mais celles de la physique quantique. Or, enphysique quantique, il n’y a que des probabilités, jamais d’impossibilités! Unseul résultat positif pour plusieurs milliers de milliards de milliards d’essais, celas’appellerait une «impossibilité» en physique classique. (Imaginez-vous en trainde répéter la même expérience des milliards de milliards de fois avant d’obtenirune seule fois le résultat espéré. Je parie que vous en arriveriez à la conclusionque la chose est impossible bien avant d’avoir réalisé votre millionième essai.)Toutefois, en physique quantique, une chance sur des milliards de milliards, c’estune probabilité qui n’est pas égale à zéro. Et, comme il y a des quantités astro-nomiques de protons au cœur des étoiles et du Soleil, il s’en trouve toujoursquelques-uns pour se glisser dans cette minuscule marge de jeu et venirensoleiller vos journées.

Il y a plusieurs autres exemples de marges de jeu à première vue insi-gnifiantes qui ont eu une importance énorme dans l’histoire de mes origines;nous en verrons quelques autres au cours du chapitre 6 «Voies et impasses».

PERFECTIONNER DES RECETTES ÉPROUVÉESOU INNOVER RADICALEMENT?

L’évolution horizontale se fait généralement en perfectionnant les recetteséprouvées, autrement dit en maîtrisant de mieux en mieux les lois qui régissent

un niveau particulier. À l’opposé, les sauts verticaux font plus souvent appel àl’innovation, à une faille dans l’édifice apparemment imperturbable des lois.

Par exemple, la spécialisation est une forme de complexification horizontale,car elle consiste en l’approfondissement de recettes qui ont fait leurs preuvespour exploiter de mieux en mieux les lois de la sélection naturelle et cheminer

 vers de plus en plus de complexité. Et pourtant, on pourrait mentionner denombreux cas où ce sont justement les non-spécialistes qui ont relancé lemouvement vers la complexité, particulièrement quand venait le temps de fairedes sauts verticaux. Ainsi, les cellules complexes ne sont pas les descendantesdes bactéries les plus évoluées, mais celles des archéobactéries. De façon semblable,

les pluricellulaires ne sont pas issus des unicellulaires les plus complexes, maisdes flagellés, famille parmi les plus primitives. Enfin, on note que les ancêtresdes primates étaient encore des insectivores primitifs alors que la plupart desautres mammifères avaient déjà commencé à se spécialiser pour occuper lesnouveaux habitats libérés par l’extinction des dinosaures. Ayant conservé la pattetraditionnelle héritée des reptiles et un système digestif capable de digérer denombreuses sortes de nourriture, ils étaient en excellente position pour profiterau maximum des ressources changeantes de l’époque.

Dans le même ordre d’idées, on peut dire que la prédation a été une stratégieefficace pour atteindre une plus grande complexification. Les animaux qui sontau sommet des chaînes alimentaires peuvent généralement être vus comme

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Chapitre 5 – LES PRINCIPES

«supérieurs» à ceux dont ils se nourrissent, soit parce qu’ils sont plus gros, plusrapides, plus intelligents, soit parce qu’ils ont des structures sociales pluscomplexes. La même chose peut être dite à propos des nombreux empires qui ontété édifiés tout au long de l’histoire humaine. Pourtant, chaque fois que mesancêtres ont sauté d’un niveau à l’autre, ils et elles ont dû renoncer à cette dyna-mique de prédation pour la remplacer par une forme de collaboration. Aucunorganisme pluricellulaire n’aurait pu voir le jour si leurs cellules n’avaient pasrenoncé à leur capacité de se digérer les unes les autres, et aucune structurepolitique n’est possible tant que les familles se font la guerre au lieu de com-mercer entre elles.

LE PROGRÈS NÉCESSITE DES CHANGEMENT S DE CAP

Des changements de logique se produisent parfois même à l’intérieur d’uncheminement horizontal comme l’évolution des organismes pluricellulaires. Lesextinctions massives en sont une bonne illustration.

La sélection naturelle favorise la reproduction des animaux les mieuxadaptés à leur environnement, et l’évolution constitue donc un approfondis-sement continuel des recettes ayant fait leurs preuves pour les ancêtres. Pourtant,la vie sur Terre a connu plusieurs extinctions massives, probablement une demi-douzaine rien qu’au cours des 500 millions d’années écoulées depuis l’apparitiondes pluricellulaires. Or, chaque fois qu’une telle extinction massive se produit,

la logique de la sélection naturelle est complè-tement chambardée, et des recettes éprouvéesdepuis des dizaines de millions d’années sontsimplement reléguées aux oubliettes de l’his-toire. Dans de telles circonstances, on ne peutreprocher la moindre «erreur de calcul» auxanciens  winners qui se retrouvent soudai-nement parmi les losers. Un bon exemple dece phénomène est évidemment l’extinctiondes dinosaures, de véritables chefs-d’œuvre dela sélection naturelle, balayés par un accidentfortuit et remplacés par nos ancêtres mammi-fères, les losers de l’époque précédente.

On peut peut-être établir un certain parallèle avec Hitler et Gandhi en 1941.Avec ses chars aux portes de Moscou, Hitler était clairement le winner , prêt àutiliser la force pour arriver à ses fins, prêt à tuer pour ses idées, et réussissantsur toute la ligne à ce jeu. À l’opposé, Gandhi était clairement un loser , préférantle jeûne à la lutte armée, prêt à mourir plutôt qu’à tuer pour ses idées, et plussouvent en prison qu’à la tête de son peuple. Et pourtant, à peine six ans plustard, l’histoire avait donné raison à Gandhi, qui avait réussi à libérer son peuple

du joug britannique, alors qu’Hitler avait vu ses armées anéanties, son paysréduit à l’état de ruines et son nom maudit par l’histoire.

Les dinosaures ont été victimesd’un accident fortuit.

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Du Big Bang au Village planétaire

Un des principaux facteurs qui provoquent les sauts verticaux, c’est que les«bénéfices» engendrés par un niveau supérieur de structuration sont plus grandsque les «bénéfices» auxquels chacun des «objets» participants ne pourrait avoiraccès par lui-même.

Les phénomènes de complexification horizontale, comme ceux qui sontalimentés par la prédation ou la compétition, supposent habituellement que legagnant progresse essentiellement aux dépens des perdants, une logique du « win

 or lose »: pour que je gagne, il faut que tu perdes. À l’opposé, le passage à unniveau supérieur de complexité se fait souvent en fonction de la collaborationet tous les participants sont censés en profiter, une logique du « win-win»: tugagnes et je gagne, parce qu’à deux nous faisons mieux que la simple somme dece que nous pouvons faire chacun de notre côté.

Ainsi, lorsque des unicellulaires se sont réunis pour former les premiersorganismes pluricellulaires, ils ont connu une plus grande efficacité collectiveet toutes les cellules membres en ont profité. Quand les humains ont commencéà constituer des structures sociales de plus en plus importantes, ils l’ont faitparfois sous le mode de la prédation, qui a fait que quelques-uns ont profité audétriment des autres. Mais souvent, peut-être même le plus souvent, c’est sous lemode de la collaboration que l’intégration s’est faite, ce qui a plutôt permisl’émergence de nouvelles richesses dont les bienfaits ont été mieux distribués.

Si nous parvenons à faire collaborer nos peuples au sein du Villlage

planétaire au lieu d’exercer la prédation entre nous, nous ouvrirons la porte àde multiples bienfaits qui sont à peine imaginables aujourd’hui…

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C H A P I T R E

VOIES ET IMPASSES

Les derniers seront les premiers.

(Titre d’une chanson écrite par Jean-Jacques Goldmanet interprétée par Céline Dion.)

Quand je contemple la longue histoire qui a mené de la naissance de l’Universau cœur du Big Bang jusqu’à ma naissance au sein de notre Village

planétaire, je constate que le cheminement vers la complexité a rarement étésimple et facile à suivre. Loin d’une autoroute toute droite et bien éclairée, il aplus souvent eu l’air d’un sentier sinueux qui serpente au travers de toutes sortes

de terrains difficiles, qui fait plein de détours pour contourner des obstacles, etqui se retrouve souvent coincé à flanc de montagne entre une falaise de stabilitéet un précipice de chaos.

Les recettes qui ont servi à une certaine époque pour avancer et faire desgains importants se sont souvent révélées dangereuses au cours de la périodesuivante, menant tout droit à des impasses évolutives qui auraient pu mettre finà cette grande épopée, n’eussent été les changements brusques et imprévisiblesqui se sont produits et qui ont relancé l’évolution de la complexité dans notreUnivers. Dans le présent chapitre, nous allons reprendre les différentes étapesdu Sentier vers la complexité, mais en nous concentrant cette fois sur les

impasses qui nous guettaient et les innovations qui sont apparues, permettant larelance du mouvement vers une plus grande complexité.

A. ÊTRE OU NE PAS NAÎTRE

Au début, notre Univers était tellement dense et chaud qu’aucune structuren’aurait pu s’y former sans être aussitôt détruite. S’il était resté stable dans cetétat, il n’y aurait jamais eu de complexité. Cette impasse a été évitée parce que,pour des raisons qui n’ont pas encore été expliquées, notre Univers était enexpansion.

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Du Big Bang au Village planétaire

Une toute petite fraction de se-conde après le temps zéro, notreUnivers a traversé une phase infla-tionnaire. Pendant cette période,l’expansion était tellement rapide que,si elle avait continué au mêmerythme, le rayon de ce que nous appe-lons notre «Univers» aurait atteintdes milliards d’années-lumière enmoins d’une seconde. La matière seserait alors diluée tellement vitequ’aucune structure n’aurait pu s’yformer. Cette impasse a été évitée

parce qu’à peine 10–33 secondes aprèsle temps zéro, cette expansion in-flationnaire a cessé au profit d’unrythme d’expansion beaucoup moinsrapide.

Avant la période inflationnaire, notre Uni- vers ne contenait que de l’énergie, une réalitéqui se prête mal à la structuration et quin’aurait probablement pas été capable d’en-gendrer un haut niveau de complexité. Cetteimpasse a été évitée parce que, en se refroi-dissant, une partie de l’énergie originelle acristallisé en petits «grumeaux», comme lesquarks et les électrons.

Mais, quand notre Univers a engendré lamatière, il devait en principe respecter une loide conservation de la matière-énergie selonlaquelle la création de matière devait toujoursêtre accompagnée de création d’antimatière.

Ainsi, chaque fois que des photons engen-draient une particule, une antiparticule équi- valente en antimatière était créée en mêmetemps. Cela semblait une bonne façon de fairequelque chose (de la matière) à partir d’à peuprès rien (de l’énergie), mais le processussouffrait d’un vice de fond. En effet, dèsqu’une antiparticule rencontrait sa contre-partie de matière (proton et antiproton,électron et antiélectron, etc.) elles s’embras-

saient d’une étreinte tellement énergiquequ’elles disparaissaient toutes les deux pour

1030

1020

1010

100

10-10

10-20

10-30

10-40

10-50

        1        0    -        3        5

        1        0    -        3        0

        1        0    -        2        5

        1        0    -        1        5

        1        0    -        1        0

        1        0    -        5

        1        0        0

        1        0        5

        1        0        1        0

        1        0        1        5

Si l’expansion avait continuéau même rythme, le rayonactuel de l’Univers aurait étéatteint avant la première seconde.

RAYON de notre Universen mètres

Aujourd’hui :TEMPS = 1017 secondesRAYON = 1026 mètres

TEMPS en secondes

Phase inflationnaire

Quand deux photons se rencontrent,ils peuvent provoquer l’apparitiond’une paire particule-antiparticule.

Quand une particule rencontre son

antiparticule, elles se détruisent l’unel’autre et redeviennent des photons.

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Chapitre 6 – VOIES ET IMPASSES

redevenir de la pure énergie. Durant la première seconde qui a suivi le Big Bang,des quantités absolument inimaginables de particules et d’antiparticules ontainsi été créées, détruites, recréées, détruites à nouveau, etc., le tout se déroulantà un rythme infernal. Un calcul rapide montre que le bilan de toute cette frénésieaurait dû être «0», de telle sorte que notre Univers aurait dû revenir à son pointde départ et continuer à ne contenir que de l’énergie, ce qui aurait probablementmis fin à l’aventure de la complexité. Pourtant, pour des raisons encore malexpliquées, l’Univers s’est retrouvé avec une faille minuscule dans sa loi de laconservation de la matière-énergie, de telle sorte que, pour chaque milliard depaires particule-antiparticule qui sont redevenues de la pure énergie, il est restéune particule solitaire qui n’a pas trouvé d’antiparticule avec qui s’anéantir. Tousmes atomes, les vôtres, ainsi que tous ceux de notre Univers, sont donc constituésde particules qui représentent une petite erreur de calcul d’un milliardième dans

le grand jeu de boules qui s’est déroulé au cœur du Big Bang durant les premièressecondes de notre longue histoire.

Aux températures qui régnaient pendant les premières minutes suivant leBig Bang, les fusions se réalisaient facilement, d’autant plus qu’il y avaitbeaucoup de neutrons, et que la fusion proton-neutron est beaucoup plus facileque la fusion proton-proton. En conséquence, à peu près le quart de tous lesprotons et neutrons de l’Univers se sont recombinés très rapidement pour formerdes particules alpha (deux protons et deux neutrons). Mais le processus decomplexification s’est arrêté là, car la particule alpha refusait à peu prèssystématiquement de se recombiner avec de nouveaux protons ou neutrons. Sicette période initiale de nucléosynthèse s’était poursuivie à peine quelquesminutes de plus, à peu près toute la matière visible de notre Univers se seraittransformée en particules alpha et notre histoire aurait été bien différente, car iln’y aurait plus eu d’hydrogène pour alimenter les étoiles. Cette impasse a étéévitée parce que plus l’Univers s’étendait, plus la pression baissait, et plus latempérature tombait. Heureusement pour nous, la température est descendueau-dessous du seuil nécessaire pour la fusion de l’hélium alors que seulement25% de la matière avait eu le temps de se réunir en particules alpha.

Si la logique de la force électromagnétique pouvait être poussée jusqu’à sa

limite, elle forcerait les électrons de charge négative à fusionner avec les protonsde charge positive pour former des neutrons. Or, un Univers entièrement cons-titué de neutrons n’aurait pas engendré la complexité, d’autant plus que lesneutrons sont instables s’ils ne sont pas contenus dans un noyau atomique etqu’ils éclatent au bout de quelques minutes, redevenant un proton et un électron.Si les choses se passaient ainsi, notre Univers ne contiendrait pas d’atomes eton peut difficilement imaginer comment la complexité se serait construite. Cetteimpasse a été évitée parce que, pour des raisons encore mal comprises, lesélectrons ne succombent pas totalement à l’attraction des protons en se préci-pitant sur eux. Au lieu de cela, ils exécutent une espèce de «danse» autour du

noyau, danse qui prend la forme des orbitales dont nous avons déjà parlé et quileur permet de former des atomes. Cette solution est d’autant plus étonnante

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Du Big Bang au Village planétaire

que, selon la théorie électromagnétique classique, un électron qui «tourne» ainsidevrait irradier de l’énergie, ce qui l’amènerait à perdre son élan et le condam-nerait à «tomber» sur le noyau, comme un satellite finit par retomber sur Terrequand il n’a plus assez de vitesse pour se maintenir en orbite. L’existence mêmedes atomes est donc une double violation des lois de l’électromagnétique clas-sique, paradoxe qui ne peut s’expliquer que dans le cadre étrange de la méca-nique quantique.

L’atome aurait aussi pu être «sauvage» et n’avoir aucun intérêt à se recom-biner en structures plus complexes, ce qui est d’ailleurs le cas des atomes de lafamille des gaz inertes comme l’hélium, le néon, l’argon, etc. Cette impasse a étéévitée parce que la plupart des atomes ont des orbitales partiellement remplieset cherchent ainsi à partager leurs électrons avec d’autres atomes pour former

des molécules ou des cristaux.

B. UN UNIVERS UNIFORMÉMENT GRIS,OU DES POINTS BLANCS SUR FOND NOIR

Si la gravité avait été plus forte, ou si l’Univers avait contenu plus de matière, ilaurait pu rapidement s’effondrer sur lui-même à nouveau, l’attraction gravita-tionnelle venant à bout de l’impulsion initiale du Big Bang. En fait, il sembleque l’Univers contenait très exactement la quantité de matière qu’il lui fallaitpour éviter à la fois l’expansion trop rapide dont nous avons parlé ci-dessus, et

le «Big Crunch», expression inventée pour décrire un Big Bang à l’envers et dontla traduction serait quelque chose comme «grand écrasement».

Au moment où l’Univers finissait de traverser son époque Big Bang, soit àpeu près 300000 ans après le temps zéro, il n’était qu’une immense boule de gazen expansion dont la densité était répartie de façon presque parfaitement égaleentre tous les points. Mais s’il avait été vraiment parfaitement homogène, il auraitcontinué à se diluer et notre Univers ne serait aujourd’hui qu’une brume de gaztrès dilué dans une sphère d’un diamètre atteignant des milliards d’années-lumière. Dans un tel univers, il n’y aurait pas eu d’étoiles, ni d’atomes lourds quisont tellement importants pour la construction de la complexité. Cette impasse

Fragmentation du nuage initial

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Chapitre 6 – VOIES ET IMPASSES

a été évitée parce que, lorsqu’on descend jusqu’à l’échelle des atomes, il se produitconstamment de petites fluctuations qui font varier la densité d’un endroit àl’autre. Ce sont probablement ces fluctuations de densité infiniment petites quisont allées en augmentant, de sorte que l’effondrement gravitationnel s’est fait àl’échelle locale plutôt que globale.

En raison de ces différences de densité, la gravité a déchiré la boule originelleen une multitude de nuages de gaz plus petits, chacun s’effondrant sur lui-même.Une partie importante de la matière contenue dans chaque nuage s’est affaisséeau centre, formant un gigantesque trou noir. Si la gravité avait été la seule forceà l’œuvre, l’Univers au complet se serait transformé en une simple collection detrous noirs gigantesques. Cette impasse a été évitée parce qu’une partie de lamasse de chaque nuage s’est mise en orbite autour du cœur-trou-noir, donnant

ainsi naissance aux galaxies.La partie du nuage qui a continué à tourner autour du cœur galactique a

également continué à se fragmenter sous l’effet de la gravité. Chaque nuage aainsi donné naissance à des milliards de gouttelettes dont certaines nousapparaissent aujourd’hui sous la forme d’étoiles. Tout en tournant autour ducœur de la Galaxie, chaque gouttelette s’est également effondrée sur elle-même,ce qui l’a amenée à tourner sur elle-même à son tour. Ce mouvement de rotationautour d’un axe a souvent été suffisant pour arrêter l’effondrement et créer unéquilibre. Ces gouttelettes sont devenues des naines brunes, de petites boules degaz un peu plus grosses que Jupiter, qui ont atteint un équilibre stable, de telle

sorte qu’elles ne sont jamais devenues de vraies étoiles. Si toutes les gouttelettesde matière avaient été assez petites pour se stabiliser ainsi, il n’y aurait pasd’étoiles et notre Univers ne contiendrait toujours rien de plus que des nuagesd’hydrogène et d’hélium, des naines brunes et des trous noirs. Ce serait unUnivers bien sombre et sans grande complexité.

Cette impasse de la naine brune a été évitée parce que plusieurs gouttelettesétaient trop massives pour se stabiliser simplement en tournant sur elles-mêmes.Bien qu’une partie de leur masse se soit effectivement stabilisée en tournantautour du cœur, la gravité restait trop forte et une grande quantité de matièrecontinuait à se précipiter vers le centre, en voie de former un petit trou noir.Cette nouvelle impasse du trou noir a été évitée parce que, plus il y avait dematière qui tombait au centre de la gouttelette, plus la densité augmentait, cequi faisait remonter la température. Quand le thermomètre indiquait plusieursmillions de degrés Celsius, la force nucléaire forte enclenchait la fusion del’hydrogène. Cette fusion dégageait de l’énergie qui permettait de combattrel’effondrement gravitationnel et de retarder la formation du trou noir pourquelques milliards d’années. C’était le début des étoiles.

Malgré le retour de la fusion nucléaire, les étoiles constituaient essentiel-lement une nouvelle impasse car elles passent la majorité de leur vie à fusionner

de l’hydrogène en hélium, processus qui n’ajoute à peu près rien à la complexitéde l’Univers. Si les étoiles avaient été éternelles, elles n’auraient jamais créé

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Du Big Bang au Village planétaire

d’atomes plus lourds que l’hélium et il n’y aurait pas eu de complexité. Cetteimpasse a été évitée parce que les étoiles s’empoisonnent peu à peu avec l’héliumqu’elles fabriquent, jusqu’à ce que les particules alpha nuisent à la fusion desprotons restants. Quand un seuil critique est atteint, la fusion ralentit, la partiecentrale de l’étoile s’effondre et la température recommence à monter. Ce chemindevrait finalement aboutir à la formation d’un trou noir, mais la force nucléaireintervient en réalisant un nouveau prodige : la fusion de trois particules alpha enun noyau de carbone.

C. ENTRE TROP STABLE ET TROP FRAGILE

En fabriquant des noyaux de plus en plus lourds, l’étoile extrait encore un peud’énergie, laquelle lui sert à combattre son propre effondrement un peu plus

longtemps. Mais ce processus arrête avec la formation des noyaux de fer, car ilssont les noyaux les plus lourds et les plus stables que cette force puisse engendrer.Si la force nucléaire forte avait été la seule à l’œuvre dans les étoiles, celles-ciauraient transformé la majeure partie de leur matière en noyaux de fer, peu utilespour la construction de la vie. Cette impasse a été évitée, notamment grâce àl’intervention d’une autre force appelée «force nucléaire faible», qui fait en sorteque lorsque des noyaux de plus en plus lourds sont produits, une partie de plusen plus grande de l’énergie se manifeste sous la forme de neutrinos plutôt que dephotons. Or, les neutrinos sont des particulestrès exotiques qui s’échappent de l’étoile sans

interagir avec la matière. L’énergie qu’ilstransportent ne sert donc à rien pour com-battre l’effondrement gravitationnel. Enraison de cette brusque perte d’énergie, c’estseulement la partie centrale de l’étoile quis’effondre très rapidement, et cette violenteimplosion produit une immense boufféed’énergie. Les couches médianes de l’étoilesont alors violemment repoussées vers l’ex-térieur plutôt que graduellement attirées vers

le centre par la gravité. Les étoiles de taillemoyenne deviennent des géantes rouges, des étoiles boursouflées, comme ledeviendra notre Soleil dans quelques milliards d’années, alors que ses couchesexternes atteindront presque l’orbite de la Terre. Pour les étoiles plus massives,le phénomène est encore plus dramatique, car elles explosent en supernovæ,émettant pendant quelques jours autant d’énergie que toute une galaxie. Sanscette intervention in extremis de la force nucléaire faible et des neutrinos, à peuprès tous les noyaux lourds tomberaient au cœur des étoiles et y resteraientpiégés pour l’éternité. Cette impasse est donc évitée parce qu’à l’étape géanterouge ou supernova, beaucoup de noyaux lourds échappent à l’attraction

gravitationnelle et se retrouvent dans l’espace interstellaire où ils rencontrentdes électrons pour former des atomes complexes.

Nébuleuse du Crabe, des atomeslourds qui s’échappent du cadavre

d’une supernova.

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Chapitre 6 – VOIES ET IMPASSES

L’orbitale «s» ne permet que le partage de deux électrons entre deux atomes.Au sortir du Big Bang, notre Univers ne contenait rien de plus complexe quel’atome d’hélium et la molécule d’hydrogène. Si les électrons avaient continué àne former que des orbitales «s», il n’y aurait eu aucune molécule contenant plusde deux atomes, et tous les atomes contenant un nombre pair d’électronsauraient été inertes comme l’hélium. On imagine mal que la complexité se soitélaborée dans de telles conditions. Cette impasse a été évitée par l’apparition desorbitales «p» et de la merveilleuse architecture électronique qu’elles permettent.

Lorsque les atomes complexes s’échappaient des étoiles mourantes, ils serecombinaient rapidement avec des atomes d’hydrogène pour former desmolécules simples comme le méthane (CH4), l’ammoniac (NH3) ou l’eau (H2O).La stabilité même de ces molécules en faisait des impasses évolutives, car elles

ne cherchent pas à se recombiner. Cette impasse a été évitée parce qu’à l’occasionelles se faisaient arracher un atome d’hydrogène, qui était parfois remplacé parun atome lourd pour former des molécules plus complexes et un peu moinsstables.

D. ÊTRE AU BON ENDROIT AU BON MOMENT

Malgré ses propriétés exceptionnelles, l’eau ne peut tout de même rester liquidequ’à l’intérieur d’une fourchette de températures plutôt limitée. La différencede 100 degrés Celsius entre son point de congélation et son point d’ébullition

nous semble énorme, mais c’est parce que nous sommes des créatures trèssensibles et que nous ne pouvons survivre que dans des conditions de tiédeurextrême. Or, ces températures sont loin d’être représentatives des conditionsnormales dans notre Univers. À la surface de Mercure, par exemple, le simplefait de passer d’une zone ensoleillée à une zone ombragée représente unchangement de température instantané de bien plus que 100 degrés. Il fallaitdonc non seulement une planète rocheuse capable de retenir de l’eau liquide, ilfallait de plus qu’elle soit assez massive pour retenir une atmosphère qui crée uneffet de serre afin de normaliser les températures à sa surface. Mais, même avecune telle protection, il fallait aussi que cette planète se trouve juste à la bonnedistance, sans quoi elle aurait pu devenir un monde glacial comme Mars outorride comme Vénus.

E. LES DÉBUTS DE LA VIE : TOUJOURS UNE ÉNIGME

On sait tellement peu de choses à propos de l’origine de la vie et des cheminsqui ont été parcourus à cette époque qu’il est difficile de connaître avec précisionles impasses qui menaçaient et les coups de barre qui ont été donnés pour leséviter. Par contre, ce qui est fascinant, c’est qu’en moins d’un milliard d’annéesla complexité semble être passée des molécules simples qu’il y avait au momentde la formation de notre planète jusqu’à des bactéries en état de fonctionner. Ilest encore plus intrigant de constater qu’après ce début fulgurant les bactéries

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Du Big Bang au Village planétaire

semblent avoir très peu évolué au cours des deux ou trois milliards d’années quiont suivi, avant de passer à l’étape suivante, les cellules complexes.

F. ZIGZAGUER VERS LA COMPLEXITÉ

L’ADN est l’une des meilleures illustrations de l’importance de la marge de jeu.Pour bien remplir son rôle, il est indispensable que l’ADN et toute la machineriemoléculaire qui l’entoure soient à peu près absolument fiables. Avec des milliardsde nucléotides et des milliards de transcriptions qui s’effectuent en tout temps,une marge d’erreur d’une seule opération par million serait probablementsuffisante pour m’empêcher de fonctionner de façon adéquate. Par contre, sil’ADN avait été vraiment absolument infaillible, il aurait constitué une nouvelleimpasse, car notre planète n’abriterait toujours que des bactéries primitives.

Pendant les premiers milliards d’années de la vie sur Terre, les bactéries ontévolué grâce à la sélection naturelle qui favorisait les lignées les mieux adaptées.Chaque génération transmettait à la génération suivante les combinaisons degènes qui avaient favorisé certains «individus», et les combinaisons les moinsefficaces étaient peu à peu éliminées par la prolifération des winners. Dans un telcontexte, on s’attendrait à ce qu’un «individu» ayant une combinaison gagnanteait avantage à transmettre ses gènes le plus intégralement possible à ses descen-dants. Et pourtant, certaines sortes de bactéries ont commencé à s’échanger desgènes, mêlant les règles de la sélection naturelle, essayant continuellement de

nouvelles combinaisons, et permettant à des gènes «inférieurs» de survivre pluslongtemps dans le pool commun. C’est cette inversion de logique qui a faitexploser la variété d’êtres vivants, ce qui a mené aux unicellulaires complexes, àla reproduction sexuée, qui a institutionnalisé les échanges de gènes, et, éven-tuellement, à l’apparition des organismes pluricellulaires sexués et leurincroyable diversité.

G. CES EXTINCTIONSQUI TRANSFORMENTLES LOSERS EN WINNERS 

L’histoire de mes origines a connu un doublerevirement particulièrement spectaculaire aucours de l’évolution des vertébrés. Quand mesancêtres amphibiens ont définitivement aban-donné la vie aquatique, ils sont devenus desreptiles. Peu de temps après ce passage cru-cial, ma lignée s’est séparée des autres reptilesen développant un métabolisme à sang chaud.C’est pourquoi on appelle ces reptiles des

«reptiles mammaliens». La formule sembleavoir été particulièrement bien adaptée aux

Contrairement à la croyance populaire,le dimétrodon n’est pas un dinosaure,

ni même l’ancêtre des dinosaures.Il était un reptile mammalienet un cousin proche de mes ancêtres.

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Chapitre 6 – VOIES ET IMPASSES

circonstances, car, au cours des dizaines de millions d’années qui ont suivi, mesancêtres sont devenus de plus en plus gros et de plus en plus diversifiés, tandisque les autres reptiles semblent avoir stagné très longtemps, demeurant unphénomène plutôt marginal, un peu comme les amphibiens qu’ils avaientdétrônés. Plusieurs indices laissent croire qu’à cette époque les mammaliensétaient les winners, entre autres raisons parce qu’ils se retrouvaient souvent ausommet des chaînes alimentaires. Les choses auraient pu continuer ainsi trèslongtemps, de telle sorte que ces mammaliens auraient pu ne jamais engendrerles vrais mammifères, et l’intelligence aurait pu ne jamais apparaître sur notreplanète.

Avec la grande extinction du Permien, les mammaliens ont été littéralementbalayés de l’avant-scène, qui a été entièrement occupée par les vrais reptiles.

Ceux-ci sont devenus de plus en plus gros, ils ont occupé la plupart des nichesécologiques disponibles, autant sur la terre ferme que dans les océans, et ce sonteux qui étaient le plus souvent au sommet des chaînes alimentaires. La Terreavait une nouvelle «race de seigneurs»: les dinosaures. Pendant ce temps, mesancêtres régressaient sur tous les plans. La plupart des lignées de mammaliensse sont éteintes, les seules à survivre étant quelques espèces très petites qui secachaient au fond des bois et chassaient les insectes la nuit afin d’éviter de croiserles puissants dinosaures. De winners, mes ancêtres étaient devenus les losers.Les choses auraient également pu continuer ainsi fort longtemps, auquel cas lesdinosaures régneraient toujours sur la planète, et il y a peu de chances quel’intelligence caractéristique des humains soit apparue en de telles circonstances.

Cette impasse a été évitée parce qu’avec l’extinction du Crétacé, les chosesont à nouveau été bouleversées. Les dinosaures ont à peu près disparu de la carte,les seules lignées ayant survécu étant celles qui ont pu développer un méta-bolisme à sang chaud et qui ont engendré les oiseaux. Les quelques autresreptiles qui ont survécu, comme les crocodiles, serpents et tortues, sont devenusà leur tour un phénomène plutôt marginal comparé aux mammifères et auxoiseaux qui connaissaient une diversification phénoménale et s’emparaient dela plupart des niches écologiques, incluant de très nombreux milieux aquatiques.De losers, mes ancêtres étaient redevenus les winners.

H. C’EST PARFOIS PAYANT DE NE PAS SE PRESSER

Au moment où les dinosaures ont disparu, beaucoup de mammifères ont quittéleurs boisés pour se précipiter sur toutes les nouvelles niches écologiques quis’ouvraient à eux, et ils se sont rapidement spécialisés pour mieux les exploiter.Plusieurs familles ont engendré des animaux superbes comme les mammouths,les baleines et les grands félins, pour ne nommer que ceux-là. Pendant ce temps,notre propre groupe faisait un peu figure d’«arriérés» en maintenant son stylede vie primitif et en continuant à chasser des insectes la nuit dans la forêt,

comme si les dinosaures étaient encore de ce monde pour imposer leur terreur.C’est pourtant cette absence de spécialisation qui leur a permis de profiter au

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Du Big Bang au Village planétaire

maximum du nouvel habitat créé par l’apparition des arbres fruitiers. Si mesancêtres s’étaient spécialisés plus tôt, ils auraient pu être incapables de profiterde l’apparition de ces arbres, et l’intelligence pourrait ne jamais être apparuechez les primates.

I . SPÉCIALISATION: L’INGÉNIOSITÉ COLLECTIVE!

Nos ancêtres grands singes n’ont probablement pas choisi de quitter la forêt pourtenter leur chance dans la savane. On ne sait pas encore dans quelles circons-tances ce changement d’habitat s’est produit, mais les deux hypothèses les plusretenues sont: 1º qu’ils auraient été chassés graduellement vers des zones de plusen plus périphériques de la forêt par des cousins mieux adaptés, comme lesancêtres des chimpanzés ou ceux des gorilles (ou les deux), ou 2º qu’ils se seraient

tout simplement trouvés du mauvais côté au moment où la faille, appelée «Rift»,s’est ouverte et a coupé l’Afrique orientale en deux, mouvement tectonique quia rendu la partie Est de plus en plus aride, faisant disparaître les forêts qui s’ytrouvaient. Dans un cas comme dans l’autre, nos ancêtres étaient clairement trèsmal adaptés pour survivre en exil dans la savane, loin des sources abondantesde nourriture auxquelles ils étaient habitués. C’était indéniablement un mauvaiscoup du sort qui aurait pu tout aussi bien provoquer l’extinction de notre lignée.

Étant donné leur absence de griffes et de crocs, il est probable que nosancêtres australopithèques ont commencé leur aventure dans la savane tout au

bas de l’échelle, ne disposant souvent de rien d’autre pour se nourrir que descarcasses abandonnées par les autres charognards. Notre lignée aurait donc pudisparaître ou demeurer très longtemps ainsi, un petit groupe de charognardsmarginaux sans grand avenir. Et pourtant, c’est justement cette situationd’infériorité qui les a forcés à avoir recours aux pierres pour assurer leur survie,ouvrant la porte à une évolution tout à fait imprévisible par la sélection naturelle.En un revirement presque incon-cevable, leurs descendants sontdevenus les prédateurs les plusefficaces jamais vus sur notreplanète, capables de fonctionneren groupe afin de terrasser desproies comme les mammouths etles rhinocéros, qui étaient quasiinaccessibles, même pour lesgrands félins.

Nos ancêtres ont donc été des superprédateurs pendant des centaines demilliers d’années, et il est tout à fait concevable que nous n’ayons jamais dépasséce stade, ce qui aurait constitué une autre forme d’impasse dans la progression

Chasse au mammouth: mes ancêtres sont devenusdes superprédateurs.

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Chapitre 6 – VOIES ET IMPASSES

 vers la complexité. Pourtant, un revirement encore plus spectaculaire est survenuquand ils ont carrément abandonné la chasse pour inventer un tout nouveaumode de vie basé sur l’agriculture et l’élevage.

 J. RATIONALISME ET DÉMOCRATIE AU FIL DES SIÈCLES

Un des revirements les plus tristes de l’histoire de mes origines s’est produit enGrèce quelques siècles avant notre ère. À cette époque, les cités grecques avaientétabli des «colonies» sur un très large territoire s’étendant de la péninsuleibérique jusqu’à l’extrémité orientale de la mer Noire. Cela ne constituait pas unempire à proprement parler, car c’était essentiellement une colonisationpacifique, mais cela suffisait tout de même pour donner aux cités grecques unniveau de vie inégalé à l’époque. Cette prospérité a alimenté un grand foison-

nement intellectuel qui s’est incarné en grande partie par l’apparition des philo-sophes présocratiques, de véritables champions de la pensée scientifique etrationnelle comme Démocrite, le premier à proposer le concept d’atome, Thalèsde Milet, inventeur du mot «philosophe», et Pythagore, mystique et mathéma-ticien célèbre pour son théorème sur les triangles rectangles. Toute cetteeffervescence scientifique mena aux trois grands philosophes que furent Socrate,Platon et Aristote, puis à presque rien d’autre. Aristote fut le maître d’école duconquérant Alexandre le Grand, et la culture grecque délaissa la philosophie auprofit de l’impérialisme. Ses successeurs semblent avoir été peu intéressés par leschoses scientifiques ou philosophiques et furent suivis par les Romains, trop

pragmatiques pour s’intéresser vraiment aux choses scientifiques, puis par lesChrétiens, trop tournés vers le Ciel pour se préoccuper des choses matérielles. Cepremier éclair de pensée rationaliste ne dura donc qu’un peu plus de deux siècles,pour ensuite rester dans l’oubli pendant près de quinze siècles, jusqu’à laRenaissance.

Aussi contradictoire que cela puisse pa-raître, l’Empire romain a connu ses plusbelles heures de gloire alors qu’il n’étaitencore qu’une république. En effet, la majo-rité des conquêtes de Rome se sont produitesavant ou par Jules César, alors que c’est sonhéritier, Auguste, qui fut le premier empereur.Auguste ajouta bien quelques provinces àl’Empire, mais il s’agissait essentiellement del’Égypte, qui avait déjà été pratiquementsoumise par César, et de quelques zonesbarbares dans les Balkans qui étaient sansgrande importance économique ou straté-gique. Après Auguste, il n’y eut à peu près Auguste, premier empereur de Rome

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Du Big Bang au Village planétaire

aucune conquête d’importance, et l’Empire qui était au zénith de sa gloire, avantmême d’avoir un empereur à sa tête, commença son lent déclin. Même la penséeintellectuelle, si riche jusqu’à l’époque de César avec des auteurs comme Cicéronet Sénèque, se limita par la suite à quelques empereurs philosophes commeMarc-Aurèle et autres penseurs faisant partie de leur cour immédiate. Onpourrait presque dire que les empereurs ont «tué» Rome et qu’ils étaient en voied’enfermer l’Europe et le Moyen-Orient dans une nouvelle sorte d’impasseévolutive. Cela a été évité parce qu’après quelques siècles de décadence, l’Empireromain s’est effondré, laissant apparaître des royaumes dits «barbares».

Après s’être forgé des États-nations forts, les peuples de l’Atlantique sontpartis à la conquête des océans. Au lieu d’empires territoriaux contigus commecela avait toujours été le cas dans le passé, ils se bâtirent des empires coloniaux

éparpillés dans le monde. Au lieu d’avoir de simples chicanes de frontièrescomme les empires précédents, les empires coloniaux amenèrent la guerre à lagrandeur de la planète, se partageant les territoires et les peuples soumis commesi toute la Terre leur appartenait. Cela se poursuivit jusqu’au début du XXe siècle,alors que notre jolie boule bleue elle-même devint un terrain de jeu trop petitpour leurs ambitions prédatrices. L’humanité était prête à franchir une nouvelleétape. L’impérialisme européen avait à son tour atteint ses limites et menaçaitd’enfermer la civilisation entière dans une nouvelle impasse. Une nouvelleinversion de logique était nécessaire; elle s’est présentée au cours de l’été 1942.

K. D’AUSTERLITZ À AUSCHWITZ:UN SIÈCLE ET DEMI DE TENTATIONS TOTALITAIRES

Au début de la bataille aéronavale de Midway, dans l’océan Pacifique en juin 1942,les impérialistes japonais et nazis avaient toutes les raisons de croire que la guerreétait gagnée. Les Japonais n’avaient connu que des victoires et, au cours des moisayant suivi leur attaque contre Pearl Harbour, ils avaient littéralement accaparétout l’Extrême-Orient et menaçaient à très court terme de s’en prendre à l’Australie,

 voire à l’Empire des Indes. Les Allemands s’étaient emparés d’à peu près toutel’Europe en quelques années, et même s’ils avaient connu quelques revers au cours

de l’hiver 1941-1942, le rouleau compresseur nazi avait repris l’offensive, avec legénéral Rommel qui filait tout droit vers Alexandrie, en Égypte, et Von Paulus versStalingrad, en Russie. Presque toute la planète était à ce moment contrôlée parBerlin, Tokyo, Londres et Washington, avec les territoires russe et chinois sur lepoint d’être dépecés par les impérialistes (voir carte page 114). Aux îles Midwaymême, les Japonais avaient réuni la plus puissante flotte militaire jamais vue etils déclassaient les Américains environ à dix contre un, sauf en ce qui concerneles porte-avions, où leur supériorité n’était que de quatre contre trois. Leurimmense flotte justifiait tout de même leur conviction qu’ils allaient éliminer lesquelques navires américains encore dans le Pacifique et ainsi régner en maîtressur tout l’océan jusqu’à Hawaii. Dans un tel cas, les Américains n’auraient pas pu

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Chapitre 6 – VOIES ET IMPASSES

aller aider les Anglais en Afrique du Nord, ni envoyer des tonnes d’équipementmilitaire aux Russes, ce qui aurait pu être déterminant dans l’issue de la guerreen Europe. De plus, même en investissant toutes leurs forces dans la guerre duPacifique, il n’est pas du tout certain que les Américains auraient pu faire quoique ce soit, étant donné que les Japonais auraient mis à profit les mois suivantspour prendre Hawaii, le Pacifique Sud et peut-être même l’Alaska. Dans de tellescirconstances, on ne peut exclure que les Anglais et les Américains en soient venusà accepter de partager la planète avec les Nazis et les Japonais pour former troisgrands empires transcontinentaux. À Midway, au cours de cette matinée fatidiquedu 4 juin 1942, les chasseurs Zéros avaient littéralement massacré toutes lesescadrilles américaines lancées contre leursporte-avions, et tout laissait croire qu’àquelques heures de là leurs collègues bom-

bardiers allaient couler à peu près tout ce quiflottait encore avec un drapeau américain dansle Pacifique. Et pourtant, tout a été chambardéen quinze minutes. Deux escadrilles améri-caines sont arrivées au moment où les chas-seurs japonais étaient au ras des flots et queleurs bombardiers étaient sur les ponts en trainde se réarmer et de refaire le plein de carbu-rant. Les Japonais eurent à peine le temps decligner des yeux que trois de leurs quatre porte-avions étaient en flammes. Le

quatrième fut coulé le lendemain, mettant définitivement fin à la supériorité dela Marine impériale. Deux douzaines d’aviateurs américains avaient changé lecours de l’histoire en un quart d’heure, évitant à l’humanité l’impasse atrocequ’aurait été la domination de la planète par les impérialistes nazis, japonais etanglo-américains.

Au cours des premières années qui ont suivi 1945, les Anglais et les Françaisont pu continuer de croire qu’ils avaient gagné la guerre, mais ils durentrapidement se rendre à l’évidence que le conflit venait de leur coûter leursempires intercontinentaux. Pour combattre les philosophies racistes des Naziset des Japonais, les Alliés avaient pris le «droit des peuples à décider de leuravenir» et en avaient fait un des principes de base de la reconstruction d’après-guerre. Or, ce principe était difficilement compatible avec le maintien desempires coloniaux. Une guerre qui devait essentiellement déterminer si lesAllemands et les Japonais avaient le droit de se bâtir des empires comme l’avaientfait les Anglais, les Français, les Russes et les Américains s’est terminée avec ladisparition quasi totale de la formule impériale elle-même. En se débarrassantde la formule impérialiste, l’humanité a ouvert la porte à un nouveau niveau destructuration, une véritable Organisation des Nations Unies vouée au bien-êtrede tous les peuples et non au seul profit de quelques pays riches. Bien sûr,l’humanité n’est pas encore arrivée à ce résultat, mais il ne fait plus aucun doute

Porte-avions japonais Akagi ,en flammes dans l’océan Pacifique,

le jour de la bataille aéronavalede Midway

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Du Big Bang au Village planétaire

que les idées de ce genre animent de plus en plus d’humains et qu’elles ont faitleur chemin jusque dans les discours des riches et des puissants de ce monde.

Les inventeurs de la bombe atomique l’appelaient l’«arme ultime», car ilss’imaginaient avoir inventé l’arme qui viendrait à bout de n’importe quel ennemi.Peu d’entre eux auraient pensé à l’époque qu’ils venaient effectivement de mettreau monde l’arme ultime, au sens où c’était une arme qui rendrait en fait la guerreinimaginable. Au début, les Américains s’en servirent simplement comme d’unemenace pour contrebalancer la très nette supériorité militaire des Soviétiquesen Europe. Lorsque Staline eut fabriqué à son tour sa bombe atomique, lesAméricains les avaient déjà multipliées en quantités industrielles, ce qui leur apermis de garder leur supériorité encore quelques décennies. La course auxarmements qui s’ensuivit a commencé comme toutes les courses du genre dans

l’histoire, mais elle a eu un dénouement bien surprenant. Au lieu qu’un des deuxbelligérants en vienne à profiter de sa supériorité, comme Hitler l’avait fait en1939, on finit par se rendre compte des deux côtés du rideau de fer que, mêmesi une telle supériorité était atteinte, le perdant resterait en mesure de fairetellement de dommages au vainqueur que ce serait aussi pire que de perdre laguerre. La stratégie, qui avait toujours été l’art de préparer la victoire, devint l’artde maintenir la paix. Cette constatation n’empêchapas les deux parties de continuer la course auxmissiles jusqu’à ce que tout le monde accepte quel’humanité était rendue au point de la destructionmutuelle assurée («MAD» en anglais). L’humanitéavait atteint le point de non-retour, et les militairesen vinrent à accepter que la prochaine fois qu’unpays déciderait d’utiliser la guerre totale pour seconstruire un empire mondial, il finirait en un tasde cendres radioactives, tout autant que sesconquêtes. L’arme qui aurait pu permettre à sondétenteur d’imposer un véritable empire mondialest devenue l’arme qui a rendu la voie impérialeimpraticable.

L’innommable boucherie déclenchée par Hitler visait entre autres choses àunifier l’Europe en un unique empire dirigé à partir de Berlin et à éliminer le«péril» communiste. Cinquante ans plus tard, son «rêve» est presque réalisé parl’Union européenne, qui regroupera bientôt à peu près tout le territoire qu’il avaitsoumis, en plus d’avoir apporté une contribution non négligeable dans la chutedes régimes communistes d’Europe de l’Est. La grande différence, c’est évidem-ment que tous ces pays se sont joints librement à l’Union, et que cette structureest basée sur le respect mutuel et non sur la domination. L’Allemagne joue unrôle de leader depuis la formation de la Communauté économique européenne,mais le mot anglais leader (chef de file) n’a pas tout à fait le même sens que le mot

Ombre en forme de champignon

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Chapitre 6 – VOIES ET IMPASSES

allemand führer (chef suprême). Ainsi, même si les Allemands sont particuliè-rement bien placés pour profiter des nouvelles possibilités qui s’ouvrent enEurope centrale et orientale, personne ne prétend plus aujourd’hui que la racearyenne ait un droit inné d’exploiter les peuples slaves qui se joignent maintenantà l’Union européenne.

Comme ces quelques exemples le démontrent, il a fallu bien des zigzags pourque notre sentier vers la complexité évite les nombreux culs-de-sac évolutifs quile guettaient. Il n’est donc pas surprenant que nous devions maintenant délaisserla formule impérialiste, qui a connu tant de succès au cours des quatre dernierssiècles, pour atteindre un niveau plus haut sur la pyramide de la complexité etcréer le Village planétaire.

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QUATRIÈME PARTIE

OÙ SUIS-JE?

(Trois pyramides dont je fais partie)

Voilà enfin une question simple qui devrait amener une réponse simple.Toutefois, comme j’ai une triple nature (matière, vie et intelligence), je dois lui

 apporter trois réponses distinctes:

1. Étant composée de matière , j’occupe une place dans l’ Univers. Mon petit corps réagit à la gravité, et avec sa masse d’une quinzaine de kilogrammes, il joue le

même rôle dans l’Univers que toute masse semblable, peu importe qu’il s’agisse d’une vulgaire roche, d’une statue en or massif, ou d’une cuillerée de matière stellaire. J’ai donc ma place dans l’Univers et je participe à toute cette immense pyramide cosmique constituée de lunes, de planètes, de systèmes solaires, d’étoiles doubles et triples, d’amas d’étoiles, de bras spirales, de galaxies, de groupes locaux de galaxies, d’amas de galaxies, et même de superamas de galaxies, lesquels constituent en définitive cette fine dentelle cosmique que nous appelons «Univers». Sans cette pyramide de structures, je n’existerais pas, car notre Univers est en fait un endroit essentiellement vide et si la matière n’y était

 pas réunie en structures imbriquées les unes dans les autres, elle serait tellement diluée qu’on pourrait la considérer comme une quantité négligeable.

2. Puisque je suis un être vivant , j’occupe une place dans la biosphère qui est assez semblable à celle de tout autre petit animal de masse comparable à lamienne. Puisqu’un être vivant isolé est, par définition, une impossibilité, je

 participe à toute une pyramide «vivante» constituée d’organismes, de familles, de populations, d’espèces, d’écosystèmes locaux, régionaux, continentaux, et planétaires. Outre qu’elles constituent une pyramide de complexité, ces diverses structures vivantes forment toutes ensemble une espèce d’«entité vivante» qui reproduit un peu à l’échelle planétaire ce qui se passe à l’intérieur de chaque cellule et à l’intérieur de chaque être vivant, avec des échanges d’énergie et de

matières premières, de grands cycles régulateurs qui maintiennent des équilibres

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Du Big Bang au Village planétaire

 délicats entre les parties et une tendance à la croissance qui ne s’est jamais démentie en quatre milliards d’années. Ces pyramides de niveau supérieur sont aussi indispensables à ma survie que la pyramide de structures qui me constitue.

3. Parce que je suis un être intelligent , j’occupe une place dans l’  humanité . Par l’entremise de mes parents, je m’intègre à une pyramide «intelligente» formée

 d’organismes humains, de familles, de villages et de villes, de clans, de tribus, de régions administratives, de nations, de pays, d’organisations multinationales comme l’Union européenne, l’Organisation du traité de l’Atlantique-Nord(OTAN), la Ligue arabe et l’Organisation des Nations Unies (ONU), le tout devantbientôt être réuni au sein d’une unique structure, le Village planétaire. De plus,

 à l’intérieur de plusieurs de ces entités, on trouve des pyramides partielles comme celle du travail, qui réunit des employés en départements, des départements en

 compagnies ou en ministères, des compagnies en associations et des ministères en gouvernements, etc.

Par ailleurs, avec l’apparition des sociétés postindustrielles et la mondialisation des échanges économiques, l’humanité commence à ressembler à son tour à unimmense «être vivant», avec ses flux d’énergie, de matières premières, de produits

 finis, et parfois même d’êtres humains, avec ses mécanismes régulateurs qui permettent de maintenir certains équilibres indispensables au bon fonctionnement de l’ensemble, et avec sa tendance irrépressible à fabriquer de plus en plus de «soi-même». Cette «pyramide d’intelligences» est elle aussi devenue indispensable à ma

 survie et à mon plein épanouissement au sein de la collectivité humaine.

 Enfin, au-delà de toutes ces structures bien visibles que nous nous sommes données pour organiser notre vie sur une même terre et sur la même Terre, il y a un ensemble beaucoup moins structuré, mais tout aussi présent, le peuple auquel j’appartiens, qui me donne ma langue, ma culture, mes valeurs, mes préférences alimentaires et vestimentaires, etc. Cet environnement humain conditionnera l’adulte que je deviendrai tout autant que le bagage génétique dont j’ai hérité à la naissance.

 Les trois prochains chapitres décrivent plus amplement ces trois pyramides auxquelles je participe et qui répondent en quelque sorte à la question «Où suis-je?».

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C H A P I T R E

L’UNIVERS(Le matériel)

Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie.BLAISE PASCAL, Les Pensées 

J’habite dans une maison de ferme que maman et papa ont achetée voilà à peuprès cinq ans. Elle est située dans une zone semi-agricole en périphérie de la

 ville de Granby, ce qui nous permet d’avoir un rythme de vie champêtre tout enétant à dix minutes du centre-ville et à moins d’une heure de route de Montréalet de Sherbrooke, où habitent leurs familles respectives.

MON COIN DE PAYS

Notre petit coin de pays est inclus dans la Municipalité régionale de comté dela Haute-Yamaska, qui fait partie de la région administrative de la Montérégie.Cette région administrative appartient au Québec, immense territoire qui couvreplus de 1,5 million de kilomètres carrés. Malgré cette immensité, le Québec nereprésente qu’un peu plus de 15% du territoire canadien, lequel compte pour unpeu moins de la moitié de la surface couverte par notre continent, l’Amériquedu Nord. Pour sa part, notre continent représente un peu plus de 16% des terresémergées, mais à peine 5% de la surface totale de notre planète, qui fait plus de500 millions de kilomètres carrés. Notre grand territoire québécois ne représentedonc qu’environ un tiers de 1%, soit 0,35%, de toute la surface de notre planète.

Notre Terre est une grosse boule qui mesure 40000 kilomètres de circon-férence à l’équateur. À moins que vous n’ayez déjà été pilote d’avion de ligne, ily a de fortes chances que ce chiffre soit d’un ordre de grandeur qui ne veuillerien dire pour vous.

Afin de ramener ce chiffre à des dimensions compréhensibles, souvenez- vous que, lorsqu’il n’y a pas trop de circulation, une automobile parcourt à peuprès 100 kilomètres par heure sur une autoroute. Donc, s’il y avait une autoroutefaisant le tour de la Terre, il vous faudrait rouler 400 heures avant de revenir à

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Du Big Bang au Village planétaire

 votre point de départ. Lors de vos longs voyages, vous avez probablement déjàparcouru quelque 1000 kilomètres par jour. Donc, un voyage autour de la Terre

 vous demanderait 40 jours de route sans arrêt, en ne faisant à peu près riend’autre que rouler, dormir, manger et faire le plein.

Ainsi donc, notre planète est une bien grosse boule si on la compare à unpetit «objet» comme moi. Pourtant, elle n’est qu’un petit élément à l’intérieurd’une multitude de structures cosmiques, soit le système Terre-Lune, le systèmesolaire, le bras spiral d’Orion, la Voie lactée, notre groupe local, le superamas degalaxies de la Vierge et la grande structure en dentelle qui semble couvrir toutl’Univers. Portons maintenant notre regard sur ces astres qui nous entourent.

LE SYSTÈME SOLAIRE

La Lune est toute proche, tout en étant in-croyablement lointaine. Elle est approxima-tivement à 400000 kilomètres de nous, soitdix fois le tour de la Terre. Donc, s’il existaitune autoroute entre votre maison et la Lune,il vous faudrait passer plus d’un an à coucherdans des chambres de motels, et à manger du

 fast-food avant de vous rendre à destination.Perspective peu réjouissante, mais pas telle-

ment pire que ce que vivaient les premiersexplorateurs qui ont traversé l’Amérique duNord en canots d’écorce.

Une autre façon de se représenter la distance Terre-Lune, c’est de les réduiretoutes les deux à des dimensions que l’on peut comprendre. Ainsi, on pourraitramener la Terre à la grosseur d’une orange, soit dix centimètres de diamètre.Dans ce cas, la Lune serait grosse comme une cerise de France et il y aurait unedistance d’à peu près trois mètres entre les deux.

Donc, imaginez une pièce de six mètres sur six, environ deux fois la surfaced’un salon, retirez-en tous les meubles, placez une orange au beau milieu et faitescirculer une cerise de France tout autour. Voilà à quoi pourrait faire penser lesystème Terre-Lune. Ce petit exercice devrait commencer à vous donner une idéedu fait que l’Univers que nous habitons est essentiellement vide. Tournons-nousmaintenant vers un astre beaucoup plus animé.

Le Soleil est énorme, mesurant environ 1,5 million de kilomètres d’un côtéà l’autre, soit presque 5 millions de kilomètres de circonférence. Il vous faudraitdonc, rien que pour en faire le tour, une douzaine d’années de route à raison de1000 kilomètres par jour.

Si l’on reprend notre échelle de tout à l’heure, avec la Terre grosse commeune orange, il nous faut un Soleil gros comme un édifice d’une quinzaine de

La Lune

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Chapitre 7 – L’UNIVERS

mètres de hauteur, soit plus de quatre étages! Faut-il préciser que notre petiteorange bleue paraît bien insignifiante à côté de cette énorme boule de feu dontla température en surface atteint plusieurs milliers de degrés Celsius?Heureusement pour nous, notre Terre est à une distance respectueuse de cemonstre.

En gardant les mêmes proportions, on placerait l’orange à un kilomètre etdemi du Soleil. Imaginez un terrain vague qui ferait trois kilomètres de diamètre,soit à peu près l’ensemble de toutes les pistes d’atterrissage d’un aéroportinternational; au centre, on place une boule de feu de quinze mètres de hauteuret, à l’extrémité, notre petite orange bleu et blanc, qui prend un peu plus de365 jours pour en faire le tour. Entre les deux, pas d’asphalte, pas de pelouse,pas d’arbres ou de panneaux; rien d’autre que beaucoup de vide et deux

«planètes» minuscules (Mercure, grosse comme un kiwi, et Vénus, grossecomme une orange), ainsi que quelques poussières.

Toujours en gardant la même échelle, avec le Soleil gros comme un édificede quatre étages et la Terre située à 1,5 kilomètre, la dernière planète du systèmesolaire, Pluton, se trouverait à une distance de 36 kilomètres. Pourriez-vous voirun édifice de quatre étages à partir d’une distance de 36 kilomètres? Peut-être,s’il était en flammes, sur un fond très noir, et qu’il n’y ait pas trop d’autreséléments visuels susceptibles de vous distraire.

Bref, notre système solaire est comme un très grand lac de 40 kilomètres de

rayon (un peu plus grand que le lac Saint-Jean), qui ne contiendrait qu’un édificede quatre étages en feu tout au centre, un kiwi (Mercure) et trois oranges (Vénus,la Terre et Mars) dans un premier cercle de deux kilomètres, quatre boulesgrosses comme des chaloupes, dans les 30 kilomètres suivants (Jupiter, Saturne,Uranus et Neptune), et Pluton, à la limite du lac, encore plus petite que la Terre.Comme vous pouvez le constater, notre système solaire est un endroit bien vide.

LA VOIE LACTÉE

Quittons maintenant notre voisinage immédiat et jetons un coup d’œil surl’Univers qui l’entoure. La première chose qui nous frappe est évidemment lamultitude d’étoiles de tous genres qui peuplent le ciel dans toutes les directions.On en voit des bleues, des blanches, des jaunes et des rouges. La plupart sontlégèrement plus petites que notre Soleil, mais on en trouve tout de mêmequelques-unes qui sont immensément plus grosses.

L’étoile la plus proche est à plus de 40000 milliards de kilomètres, un chiffretellement grand qu’il convient de le remplacer par quelque chose de plus aisé àmanipuler: les années-lumière. La lumière voyage à 300000 kilomètres parseconde, soit plus d’un milliard de kilomètres à l’heure, plus de 10 millions defois plus rapidement que vous ne pouvez le faire en automobile. Cela veut dire

que la lumière pourrait faire le tour de la Terre huit fois en une seule seconde.

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Du Big Bang au Village planétaire

Elle se rend à la Lune en un peu plus d’une seconde et nous parvient du Soleil enhuit minutes à peine. L’étoile la plus proche, Alpha du Centaure, est donc situéeà 4,4 années-lumière de nous parce que sa lumière prend un peu plus de quatreannées pour franchir le gouffre intersidéral qui nous sépare.

Si l’on gardait notre échelle de tout à l’heure, avec la Terre grosse commeune orange et le Soleil de la taille d’une maison de quatre étages, il faudrait placerla maison représentant Alpha du Centaure à près de 400000 kilomètres, aussiloin que la Lune. Je crains que cette comparaison ne vous aide pas vraiment àsaisir l’amplitude du vide qui sépare les étoiles les unes des autres.

Nous allons donc réduire une fois de plus notre modèle, jusqu’à ce que leSoleil ait à son tour la taille d’une orange. À cette échelle, la Terre est grossecomme un grain de sable qui tourne à 8 mètres du Soleil, Jupiter a la taille d’ungrain d’orge qui tourne à 55 mètres et Pluton est un autre grain de sable situé àplus de 75 mètres.

Où se trouve donc l’étoile voisine la plus proche si l’on réduit notre Soleil àla taille d’une orange et notre système solaire à celle d’un petit pâté de maisons?Quelques centaines de mètres? Non. Quelques kilomètres? Non. Quelquescentaines de kilomètres? Non plus.

Si notre immense Soleil était réduit à la taille d’une orange, l’étoile la plus

proche serait encore à plus de 2500 kilomètres. Cette distance est comparable à

Notre voisine la plus proche est Alpha Centauri (1), l’étoile la plus brillantede la constellation du Centaure.

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Chapitre 7 – L’UNIVERS

celle qui sépare New York de Dallas, Barcelone de Moscou ou Delhi de Beijing.C’est une distance énorme à mettre entre deux oranges et cela vous donne uneidée à quel point les étoiles sont brillantes. Imaginez une lumière grosse commeune orange et qui soit assez brillante pour être visible de New York jusqu’à Dallas(à la condition que ces deux villes se trouvent sur une ligne droite, ce qui n’est pasle cas à cause de la courbure de la Terre, mais passons…).

Autrement dit, si l’on mettait un Soleil gros comme une orange au centre del’Amérique du Nord, disons dans le Dakota-du-Sud, il y aurait tout au plus cinq ou six oranges voisines qui pourraient loger à la grandeur de ce continent, disonsune au Mexique, une en Floride, une à Terre-Neuve, une au pôle Nord, une enAlaska et une en Californie. Comme vous pouvez le voir, notre coin de la Galaxieest lui aussi un endroit extrêmement vide.

Et pourtant, notre Soleil fait actuellement partie d’une section assez densede la Voie lactée appelée «bras spiral d’Orion». Comme les autres galaxiesspirales, notre Voie lactée est divisée en un certain nombre de bras quis’enroulent en spirale tout autour du noyau galactique.

Le noyau de la Galaxie contient à peu près 90% de toutes les étoiles de laVoie lactée, ce qui ne laisse que 10% pour l’ensemble des bras qui constituent ledisque. Le bras d’Orion semble contenir environ 20% des étoiles du disque, soitmoins de 2% de toutes les étoiles réunies dans notre Galaxie. Notre Soleil setrouve à peu près aux deux tiers de la distance entre le noyau et le bord dudisque, de telle sorte que, loin d’être au centre de l’Univers, nous habitons enquelque sorte dans une banlieue éloignée de notre Galaxie.

De plus, il importe de savoir que le Soleil n’est pas fixé à demeure dans saposition actuelle. Il se déplace dans l’espace à la vitesse vertigineuse de plus de200 kilomètres par seconde et fait le tour du noyau galactique en 230 millionsd’années. Contrairement à ce que l’on croyait jusqu’à récemment, les étoiles netournent pas autour du noyau à la même vitesse que les bras. Cela fait en sorteque notre Soleil passe graduellement d’un bras spiral à un autre et que nos

 voisines d’aujourd’hui ne le seront probablement plus dans quelques dizainesde millions d’années.

Notre Galaxie réunit une centaine de milliards d’étoiles et son diamètre estde l’ordre de 100000 années-lumière! Pour avoir une bien pâle idée de l’immen-sité de chiffres semblables, repensez aux distances considérables entre les étoilesdont nous avons parlé un peu plus tôt, deux oranges séparées par la moitié d’uncontinent. Multipliez maintenant ces distances dans les trois dimensions, defaçon à mettre des milliards d’étoiles les unes à côté des autres. Pas des milliersou des millions, mais bien des milliards!

Ainsi, même en réduisant les étoiles à la taille des oranges, on obtient unegalaxie qui aurait un diamètre de plus de 50 millions de kilomètres, soit plus de

100 fois la distance de la Terre à la Lune, dimensions encore trop grandes pour

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Du Big Bang au Village planétaire

être vraiment compréhensibles. Réduisons donc les étoiles à nouveau, cette fois jusqu’à ce qu’elles aient la taille d’un grain de sable d’un demi-millimètre dediamètre. À cette échelle, il faudrait encore laisser plus de 10 kilomètres de videentre deux grains de sable, et le diamètre total de la Galaxie serait de 200000kilomètres, plusieurs fois la grosseur de notre Terre. Même à cette échelle, onobtient un «objet» trop gros pour que vous puissiez facilement le visualiser. Enfait, si je veux réduire la Voie lactée à une taille que nous pouvons comprendre,disons un stade olympique, je devrai ramener les étoiles à une taille tellementpetite qu’elles seront à peine visibles au microscope. Vraiment un endroit bien

 vide… Tournons maintenant notre regard vers le vaste Univers qui entoure notreGalaxie.

LE COSMOSLa Voie lactée n’est pas seule dans l’Univers.Dans quelque direction que nous pointionsnos télescopes, on trouve des galaxies plus oumoins lointaines. Les astronomes estimentqu’il en existe au moins des dizaines de mil-liards, peut-être même beaucoup plus.

Comme on peut se l’imaginer, les distancesentre les galaxies sont immenses, même pour

nous qui travaillons depuis quelques minutesavec des chiffres astronomiques. Ainsi, notre voisine, la galaxie Andromède, est à 2 millionsd’années-lumière de nous. Comme la Voielactée, Andromède mesure à peu près100000 années-lumière de diamètre, ce qui

 veut dire que l’espace vide entre les deuxpourrait loger 20 galaxies tout aussi grosses.

Toutes proportions gardées, on serait donc tenté de dire que les galaxies sontbeaucoup plus proches les unes des autres que ne le sont les étoiles. Même si

c’est vrai, c’est un peu trompeur, car elles ne sont pas toutes de même grosseuret elles ne sont pas réparties uniformément dans l’Univers.

Par exemple, notre groupe local contient une vingtaine de galaxies, maisseules la Voie lactée et Andromède sont des galaxies majeures. Les autres sont depetites choses comme les nuages de Magellan, qui contiennent tout au plusquelques centaines de millions ou quelques milliards d’étoiles.

Notre groupe local occupe un espace qui ressemble à un immense cube dontchaque arête fait à peu près 4 millions d’années-lumière, soit un total de64 milliards de milliards d’années-lumière cubes. Dans ce cube, il a y deux

Notre groupe local inclut la Voie lactéeet Andromède, ainsi que quelques

galaxies plus petites.

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Du Big Bang au Village planétaire

Notre superamas de la Vierge fait-il lui-même partie d’une structure plusgrande? Oui et non. Il ne semble pas y avoir de structure locale plus grande quele superamas. Du moins, aucune n’a encore été trouvée. Il y a toutefois degrandes concentrations de galaxies que l’on peut deviner au-delà de notresuperamas, et qui ont été baptisées «Grande Muraille» et «Grand Attracteur».Ces «objets» sont encore hors de la portée de nos instruments et de nos concepts,mais il n’est pas exclu que nous soyons bientôt en mesure de mieux lescomprendre.

Par contre, si l’on serend à une échelle encoreplus grande que celle dessuperamas, on sait qu’on

peut trouver une immensestructure cosmique à troisdimensions qui fait un peupenser à une dentelle extrê-mement fine. Celle-ci com-porte essentiellement du

 vide, avec quelques raresamas de galaxies qui repré-sentent des «nœuds» et desfilaments qui s’étendent endirection des nœuds voisinset qui sont constitués dechapelets de groupes locaux comme le nôtre. Entre ces filaments ténus, il y ad’immenses vides qui semblent ne contenir ni amas, ni groupes locaux, etprobablement très peu de galaxies isolées.

L’image la plus parlante à ce sujet est probablement celle des bulles quiforment la mousse à la surface de la bière lorsque celle-ci est versée trèsrapidement. On sait bien qu’on peut remplir un verre de mousse et que, lorsqu’ellese dépose au fond, il n’y a qu’une ou deux gorgées de liquide.

L’Univers est un peu semblable. Les galaxies sont toutes situées dans ces zonestrès limitées qui sont séparées par d’immenses bulles vides. Si l’on faisait unecoupe de l’Univers, on obtiendrait une image qui ressemblerait à l’intérieur d’unetablette de chocolat Aero ou, encore, à un rayon de miel avec des alvéoles videsqui seraient de grosseurs irrégulières. Une preuve de plus que notre Univers estessentiellement vide.

De fait, si l’on pouvait prendre une immense cuillère et brasser le contenu del’Univers jusqu’à ce que toute la matière soit uniformément répartie, on auraitune densité d’à peu près un atome par mètre cube. C’est là un état de videbeaucoup plus parfait que le meilleur vide que l’on puisse créer en laboratoire.

C’est un vide plus vide que l’espace entre les étoiles, la sorte de vide que l’on nepeut espérer rencontrer qu’en se rendant dans l’espace intergalactique.

La fine dentelle cosmique «remplissant» l’Univers.

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Chapitre 7 – L’UNIVERS

Comme vous pouvez le voir, si notre Univers a réussi à engendrer la com-plexité, ce n’est pas parce qu’il contient beaucoup de matière, mais plutôt parceque celle-ci est organisée en structures imbriquées dans des structures, elles-mêmes imbriquées dans d’autres structures, etc. Les objets qui «meublent» notrecosmos (planètes, étoiles, galaxies, etc.) forment donc en quelque sorte leurpropre pyramide. Tout comme c’était le cas pour la pyramide de la complexité,plus on monte sur la pyramide du cosmos, plus on rencontre de gros «objets».Par contre, on ne peut pas vraiment dire que la complexité augmente à mesurequ’on monte dans cette pyramide. Pour retrouver la complexité, mieux vaut sepencher sur une autre pyramide de structures et de cycles imbriqués, le vivant.

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C H A P I T R E

LA BIOSPHÈRE(Le vivant)

Nous n’héritons pas de la Terre, nous l’empruntons à nos enfants.PROVERBE AUTOCHTONE

En tant qu’être vivant, je suis un tout petit élément à l’intérieur d’un autreensemble appelé la «biosphère». Celle-ci inclut tous les êtres vivants, qui

sont groupés au sein de diverses sous-structures comme les familles, les espèces,les chaînes alimentaires, les écosystèmes locaux, etc.

Tout comme c’était le cas pour le cosmos, on ne peut pas vraiment dire que

cette pyramide du vivant soit une reproduction fidèle de la pyramide de lacomplexité ou de celle du langage. Les structures intermédiaires sont plus floueset, tout comme on peut affirmer qu’un humain fait partie de plusieurs structuressupérieures en même temps (famille, entreprise, ville, peuple, etc.), on peut affir-mer que chaque être vivant fait partie de plusieurs structures différentes àl’intérieur de la biosphère.

De plus, la biosphère comprend également des éléments de l’environnementphysique comme une partie du sol, des eaux, de l’atmosphère et même l’énergiereçue quotidiennement du Soleil. Toutes ces composantes sont continuellementen interaction les unes avec les autres, et on y reconnaît des flux importants quiforment de gigantesques cycles imbriqués les uns dans les autres. C’est un peucomme si la biosphère dans son ensemble formait une gigantesque cellule ouun immense être vivant d’une complexité qu’on commence à peine à imaginer.

LA BIOSPHÈRE EN MOI

Cette relation entre moi et les autres êtres vivants est tellement omniprésentequ’on peut en trouver les traces non seulement à l’intérieur de mon petit corps,mais même à l’intérieur de mes propres cellules.

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Du Big Bang au Village planétaire

Il y a tout d’abord ces centaines de milliards de mitochondries qui «vivent»bien à l’abri dans mes cellules. Elles ont un ADN différent du mien et, à ce titre,sont en quelque sorte des organismes distincts de moi. La relation que j’en-tretiens avec elles est véritablement symbiotique, car, si elles ont pu proliférer,c’est grâce à la protection que nous, les animaux et les végétaux, leur avonsofferte depuis plus d’un milliard d’années. En retour, ce sont elles qui « savent»comment utiliser l’air que nous respirons pour «brûler» le sucre que nousmangeons afin d’alimenter notre métabolisme en énergie. Sans les mitochon-dries, aucun de nous ne pourrait avoir un rythme de vie plus excitant que celuid’une moisissure ou d’un champignon.

Mon lien à l’environnement est également visible dans la moindre artère microscopique

du coin le plus reculé de mon petit corps. Eneffet, si l’oxygène moléculaire (O2) que je res-pire peut être utilisé par les mitochondries,c’est parce que c’est une molécule instable etriche en énergie. Or, une des caractéristiquesles plus importantes de ce genre de molécules,c’est qu’elles ont une grande facilité à se dé-faire, permettant à leurs atomes de formerdes structures comme l’eau, le gaz carbo-nique, l’oxyde de fer, etc., qui sont plus stableset plus pauvres en énergie. Ainsi, l’oxygènemoléculaire contenu dans l’air que je respiredisparaîtrait assez rapidement s’il n’était pascontinuellement approvisionné en nouvellesmolécules par les plantes, les algues et lesbactéries photosynthétiques. Donc, s’il y a del’oxygène transporté par les globules rouges de mon sang, c’est parce qu’il y atoute une biosphère qui se charge de me le rendre disponible.

La même chose vaut pour le sucre que je brûle si allègrement et qui me pro- vient des divers aliments que je consomme. Plus encore, il y a plusieurs autres

produits chimiques absolument essentiels à mon bon fonctionnement et quemes cellules sont incapables de fabriquer par elles-mêmes. Il y a si longtempsque ma famille dépend de la consommation d’autres êtres vivants que nous avonscomplètement perdu la capacité de fabriquer certains produits de base commeles vitamines et un certain nombre d’acides aminés. Ainsi, si mes cellulesreçoivent les matériaux de base et l’énergie dont elles ont besoin, c’est parce que

 je consomme des êtres vivants engendrés par cette même biosphère à laquelle j’appartiens.

La biosphère est aussi particulièrement présente dans mes intestins, où desmilliards de bactéries s’activent jour et nuit pour m’aider à digérer ma nourriture.

Ces bactéries sont véritablement des corps étrangers, qui ont leur propre ADN, et

Filaments d’algues bleues,bactéries capablesde photosynthèse

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Chapitre 8 – LA BIOSPHÈRE

dont l’histoire familiale n’a rien à voir avec la mienne. Elles sont mes hôtes; je lesprotège contre toutes sortes de dangers et les maintiens bien à l’abri du poisonoxygène qui a envahi tout notre environnement. En échange, elles aident à megarder en vie, car elles se nourrissent en brisant certains liens chimiquesparticulièrement robustes que même les enzymes digestifs présents dans monestomac et mes intestins sont incapables de briser. Elles rejettent ensuite des«morceaux» chimiques plus simples, dont certains peuvent alors être assimiléspar mon organisme. Si je ne peux pas me nourrir en mangeant du foin comme lefont les vaches et les chevaux, ou en mangeant du bois, à l’instar des termites, c’esten grande partie parce que mes intestins ne contiennent pas de bactéries capablesde s’attaquer à la cellulose qui protège les cellules végétales du foin et du bois. Ilest d’ailleurs très important de maintenir l’intégrité de cette «flore bactérienne»,car, lorsqu’elle est modifiée, cela provoque toutes sortes de dérèglements, comme

le savent ceux et celles qui reviennent de voyage avec une crise de «turista».Conséquemment, il ne faut pas m’en vouloir si mes couches sentent parfois

si mauvais. Ce n’est pas vraiment «moi» qui dégrade ma nourriture au pointqu’elle ait cette odeur déplaisante. En fait, ce sont ces petites bactéries qui font,à l’intérieur de mon gros intestin, un travail assez semblable à celui que leurscousines font lorsqu’un morceau de viande pourrit. C’est donc grâce à cesbactéries que certains éléments plus coriaces de ma nourriture peuvent sedégrader dans mon gros intestin et ainsi contribuer à ma croissance. Il ne fautdonc pas vous surprendre si, malgré mon joli nom, je ne sens pas toujours aussibon qu’une fleur des jardins.

D’AUTRES EXEMPLES DE COLLABORATION

Un phénomène de symbiose assez semblable se produit chez les plantes, car lamajorité d’entre elles n’ont aucun système de digestion. Celles-ci doivent donctrouver dans l’air et le sol tous les produits dont elles ont besoin pour croître, etelles doivent les trouver sous une forme qu’elles peuvent utiliser sur leurs chaînesde montage. Or, de nombreuses plantes ont perdu (ou n’ont jamais acquis) lacapacité d’employer l’azote autrement que sous forme de nitrates. Cela veut direqu’elles ne peuvent utiliser ni l’azote moléculaire contenu dans l’air, ni mêmel’azote des tissus organiques enfouis dans le sol. Elles sont donc complètementdépendantes de bactéries qui vivent entre leurs racines, et parfois même à l’in-térieur de celles-ci, et dont un des principaux déchets se présente justement sousforme de nitrates. La croissance des plantes est donc assurée parce qu’ellespeuvent consommer les déchets des bactéries contenues dans leurs racines.

Cette symbiose entre différentes sortes d’êtres vivants remonte à très loindans l’histoire de la vie sur Terre. On la retrouve entre autres chez les lichens,formés grâce à une association entre un champignon et une algue, qui trouvent

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Du Big Bang au Village planétaire

ainsi le moyen de survivre dans des conditions particulièrement pauvres, commeà la surface des roches. On remarque également des phénomènes de symbiosechez diverses sortes d’éponges et de coraux qui abritent des algues unicellulairesà même leurs tissus, les protégeant des prédateurs, mais profitant en échangede leur capacité d’utiliser la lumière pour fabriquer des molécules complexes etriches en énergie.

En plus des rapports de symbiose, il s’établit souvent des rapports de complé-mentarité entre diverses espèces.

On peut penser d’abord au phénomène des fruits, procédé par lequel certainsarbres offrent de la nourriture aux animaux et aux oiseaux afin que ceux-citransportent leurs semences au loin. Le fruit n’est d’ailleurs qu’un développementrécent d’un principe plus ancien, la fleur, qui offre de la nourriture aux insectes

et à certains oiseaux afin de faire transporter le matériel génétique d’une planteà l’autre, permettant ainsi de sans cesse renouveler les combinaisons dechromosomes.

Il y a également des fourmis qui récoltent une sorte de feuilles qu’elles nepeuvent manger, mais dont elles se servent pour alimenter des champignons quideviennent ensuite leur nourriture; c’est en quelque sorte un mélange très pri-mitif d’agriculture et de compostage. On connaît même des espèces de fourmisqui font littéralement l’élevage d’autres sortes d’insectes (entre autres despucerons) qui leur servent par la suite pour s’alimenter, soit parce qu’elles les

mangent, soit parce qu’elles en récoltent des substances nutritives, tout commenos fermiers récoltent le lait des vaches et les œufs des poules. On voit aussi desfourmis qui défendent certaines sortes d’arbres contre d’autres insectes.

On trouve également beaucoup d’associations du même genre dans la mer,où de petits poissons circulent librement et sans danger apparent à l’intérieurde la bouche de gros poissons prédateurs pour leur nettoyer les dents et lesgencives. D’autres se cachent entre les tentacules vénéneux de certaines ané-mones de mer et en échange, ils les débarrassent de certains parasites; on peutaussi penser aux bernard-l’ermite, qui ont pris l’habitude de s’abriter dans descoquillages abandonnés par d’autres mollusques.

LA PRÉDATION

Tout à l’opposé de ces diverses formes de collaboration entre espèces, on trouvela prédation, forme d’interaction généralement beaucoup plus avantageuse pourune espèce que pour l’autre.

Puisque les bactéries photosynthétiques demeurent la sorte d’êtres vivantsla plus commune sur Terre, la majorité de la prédation se fait aux dépens de cespetites créatures bleues ou vertes. Une multitude de créatures unicellulaires lesmangent, avant de devenir à leur tour la proie de créatures un peu plus grosses,comme des larves, qui sont elles-mêmes mangées par d’autres animaux encore

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Chapitre 8 – LA BIOSPHÈRE

plus gros, et ainsi de suite jusqu’en haut de la chaîne alimentaire. Cette chaînepeut être constituée d’à peine quelques maillons, comme dans le cas des baleinesà fanons qui se nourrissent de créatures microscopiques. Elle peut aussi êtrebeaucoup plus longue, comme c’est le cas entre les algues bleues et les requins,car ceux-ci ne reçoivent l’énergie du Soleil qu’après que celle-ci a servi à une oudeux douzaines de créatures différentes qui l’ont absorbée en mangeant uneproie, pour la redonner un peu plus tard quand ils se sont retrouvés dansl’estomac de leur propre prédateur.

Une autre très grande partie de la prédation est faite par d’innombrablesinsectes et d’autres animaux herbivores qui se nourrissent de plantes et d’algues.C’est une forme de prédation qui n’a rien de bien excitant, d’autant plus que lesmoyens de défense sont très rares dans le monde végétal. Il y a bien quelquesplantes vénéneuses ou à épines, quelques arbres à écorces dures, etc., mais, dansl’ensemble, les plantes ne semblent pas particulièrement «dérangées» par lesactions des animaux et, à moins de circonstances exceptionnelles, elles conti-nuent leur croissance ou repoussent année après année, sensiblement aux mêmesendroits.

Même la majorité de la prédation entre animaux se produit à des échellesdont nous n’avons pas conscience. Des larves de crevettes mangent des uni-

cellulaires, des insectes dans le sol dévorent les larves d’autres insectes, desoiseaux attrapent des insectes en vol, et un million d’autres formes de combatsse déroulent silencieusement en dehors de notre champ de conscience. Laprédation «glamour» qu’on nous présente habituellement à la télévision, lionen train de courir derrière un zèbre, meute de loups autour d’un chevreuil coincédans la neige, aigle fondant à toute vitesse sur un lièvre ou requin en train dedéchiqueter une proie, ne constitue donc qu’un phénomène extrêmementminoritaire. De plus, ces émissions négligent souvent de préciser qu’il n’y a pasque des avantages à naître prédateur; par exemple, on mentionne rarement quel’espérance de vie d’un lionceau à la naissance est beaucoup moins élevée que

celle d’un petit zèbre.

Baleine à fanons (A) et krill (B), une chaîne alimentaire très courte et sans «glamour».

   P   i  e  r  r  e -   H  e  n  r  y   F  o  n   t  a   i  n  e

A

B

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Du Big Bang au Village planétaire

Tous les éléments de la biosphère ont évolué ensemble au fil des milliardsd’années, et ils sont tous interdépendants. À ce titre, les espèces prédatrices serendent elles aussi utiles dans l’ensemble et elles ne font pas que «profiter dusystème». Ainsi, les plantes, les animaux aquatiques et les insectes ont prisl’habitude de produire leur progéniture en quantités astronomiques. Si lesprédateurs n’éliminaient pas la vaste majorité de ces rejetons potentiels, laplanète deviendrait rapidement saturée de bactéries, de pissenlits, de coraux, decrevettes, de poissons, d’insectes ou d’érables.

Les équilibres entre individus et entre espèces sont le fondement de la bio-sphère. Toutes les espèces sont intégrées dans des cycles plus ou moinscomplexes, comme celui qui s’établit entre les plantes qui servent de nourritureaux animaux, dont les excréments servent ensuite d’engrais aux mêmes plantes.

À ce titre, la prédation constitue un élément tout aussi essentiel à la biosphèreque la symbiose, la photosynthèse ou la reproduction, mais elle n’est pas plusimportante, et certainement pas plus digne d’admiration qu’aucun d’entre eux.

LES GRANDS CYCLES

Par ailleurs, les interactions entre espèces vivantes ne se limitent pas à desrapports entre individus comme ceux qui sont présentés ci-dessus. Il existe desflux énormes de «matières premières» et de «déchets» qui sont échangés àgrande échelle entre les espèces. Ces flux forment des mégacycles chimiques qui

sont tout aussi importants pour ma survie que les cycles chimiques qui sedéroulent dans mon propre corps.

En premier lieu, il y a le cycle de l’oxygène moléculaire (O2), déchet produit àpartir du gaz carbonique (CO2) par les plantes, les algues et les bactériesphotosynthétiques. Une bonne partie de ce cycle se produit en circuit fermé, car,quand il n’y a pas de lumière, les êtres capables de photosynthèse recyclent leurpropre déchet d’oxygène en l’utilisant pour démonter les molécules de sucrefabriquées pendant la journée. Nous, les animaux, avons carrément éliminé l’étapede production de sucre à partir de la lumière, et nous nous contentons de mangerle sucre produit par les plantes et de le brûler avec leur déchet oxygène. Ce faisant,

il va de soi que nous profitons du cycle beaucoup plus que nous y contribuons, cequi nous met, par contre, complètement à la merci de la vie végétale.

Nous participons tout de même de manière non négligeable au cycle del’oxygène, car, si tous les animaux sur la terre et dans l’eau cessaient de respireret de consommer de l’oxygène moléculaire, le taux de gaz carbonique pourraitbaisser de façon sensible, et la croissance des plantes s’en trouverait affectée. Deplus, l’air pourrait en venir à contenir tellement d’oxygène que la plupart desplantes prendraient feu spontanément. Ainsi, chaque fois que j’inspire, je profitede ce grand flux d’oxygène qui m’est fourni par les végétaux et, chaque fois que

 j’expire, j’apporte ma modeste contribution à un système en équilibre qui semaintient ainsi depuis plus d’un milliard d’années.

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Chapitre 8 – LA BIOSPHÈRE

Un autre cycle important est celui de l’azote, composant majeur des acidesnucléiques et des acides aminés. Cet atome est essentiel aux processus chimiquesqui se déroulent à l’intérieur de mes cellules, mais je suis absolument incapablede l’utiliser dans sa forme la plus commune, qui est l’azote moléculaire (N2)composant plus des trois quarts de l’air que je respire. La chose n’est pasparticulièrement surprenante en soi, puisqu’à titre d’animal j’obtiens toujourstoutes mes matières premières à partir des autres êtres vivants que je consomme.Mais, contrairement à l’oxygène, au carbone et à l’hydrogène, qui proviennent demolécules simples comme l’eau (H2O) et le gaz carbonique (CO2), la plupart desplantes n’ont aucune façon directe d’obtenir de l’azote, et elles sont dépendantesde l’action des bactéries. Conséquemment, chaque fois que mon petit corpsordonne la fabrication d’une cellule, la préparation d’une nouvelle copie de monADN repose ultimement sur l’action d’humbles bactéries qui ont utilisé de l’azote

atmosphérique pour nourrir les racines d’une plante, ou de bactéries qui ontdécomposé un être vivant pour remettre ses atomes en circulation sous une formeassimilable par les végétaux. Je participe à mon tour à ce grand cycle, car mesexcréments finissent dans les égouts municipaux, d’où ils seront éventuellementrecyclés, molécule par molécule, dans les divers cycles du vivant.

Le carbone forme quant à lui plusieurs cycles très intéressants, à commencerpar celui du gaz carbonique et du sucre dont nous avons déjà parlé. De plus, lesmolécules de sucre ne sont pas les seules à contenir du carbone, et même lesmolécules de sucre ne sont pas toujours toutes utilisées au fur et à mesure. Ils’accumule donc une grande quantité d’atomes de carbone dans la biosphère,

particulièrement lorsque les animaux et les plantes meurent. Ainsi, lorsque les

NITRATES NITRATESPUTRÉFACTION

Minéralisation

Azote de l’airN

2

Lessivage

Bactériesfixatrices

Bactéries

dénitrifiantes

Lessivage

Azoteorganique

Cycle de l’azote

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Du Big Bang au Village planétaire

coraux et les mollusques meurent, leurs coquillages peuvent se retrouverincorporés au fond marin et devenir ainsi la partie constituante d’une rochecalcaire. Un autre exemple serait celui des gisements de charbon, de pétrole etde gaz naturel qui proviennent d’immenses quantités de matière végétale ouanimale dont la décomposition s’est produite sous terre, en l’absence d’oxygène.

Ces cycles du carbone, de l’azote et de l’oxygène sont extrêmement importantspour la santé de notre planète. Ils se sont établis au cours des deux derniersmilliards d’années à la suite d’interactions à grande échelle entre les diversintervenants de la biosphère. Ils permettent de maintenir des équilibres qui sontdevenus essentiels à notre survie ainsi qu’à celle de toutes les créatures vivant dansnotre environnement. On sait par exemple que la quantité de gaz carboniqueprésent dans l’atmosphère a été maintenue à l’intérieur d’une fourchette très étroitedepuis des centaines de millions d’années par toutes sortes de mécanismesimpliquant non seulement les êtres vivants, mais aussi la fixation du carbone ausein de roches calcaires et son rejet ultérieur par la bouche des volcans. Or, commele gaz carbonique est un des principaux gaz à effet de serre, si sa concentrationdevait être modifiée de façon sensible par des processus artificiels, on pourraitassister à des dérèglements dramatiques du climat et la Terre pourrait avoir besoind’une très longue période avant de pouvoir rétablir des conditions favorables àl’épanouissement de créatures complexes comme nous.

Ce genre de cycles et ces équilibres délicats ne concernent pas uniquement

les principaux atomes de la vie, mais aussi toutes sortes d’autres «briques»nécessaires pour maintenir en bon état de fonctionner l’ensemble des mégacycles

CO2

Photo-synthèse

PétroleSédiments

Débrisvégétaux

O2

Décomposeurs

Respiration

Charbon

CaCO3

Calcaire

Cycle du carbone. Ce cycle est beaucoup plus long dans la terre que dans l’atmosphère.L’activité humaine peut augmenter de beaucoup la quantité de CO2 et en modifier l’équilibre.

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Chapitre 8 – LA BIOSPHÈRE

environnementaux. Cela est particulièrement visible dans le rôle indispensableque jouent les bactéries décomposeuses, non seulement dans le recyclage desproduits azotés, mais également dans la décomposition indispensable de toutesles matières organiques mortes. Ainsi, si les bactéries décomposeuses cessaienttout à coup de remplir leur rôle au sein de la biosphère, les plantes manqueraientde «pièces de rechange» à court terme et, de plus, les feuilles mortes, les cadavresd’animaux et toutes sortes d’autres débris du vivant s’accumuleraient sur le solet au fond des nappes d’eau sans jamais disparaître complètement. Aprèsquelques millénaires ou quelques millions d’années, cette accumulation dedéchets deviendrait telle qu’elle pourrait en venir à étouffer la vie elle-même.

En définitive, pour que je puisse consommer toute cette merveilleusenourriture qui alimente ma croissance, il faut qu’une multitude de bactéries

décomposeuses aient fait leur travail au cours des dernières années, permettantle développement des plantes que je mange et des plantes mangées par l’un oul’autre des nombreux animaux qui ont fini leur voyage sur Terre dans un pot depurée pour bébé. Ma dépendance envers la biosphère va donc beaucoup plusloin que les seuls aliments que je consomme et l’air que je respire.

UN LIEN DE PLUS EN PLUS TÉNU

J’ai la chance de grandir dans un milieu semi-agricole et, tout près de ma maison,il y a un gros ruisseau, un petit boisé, des champs de maïs et des vergers. Je suis

donc encore un peu en contact avec la nature, car tout autour de moi il y a desoiseaux, des poissons, des fleurs, des mulots ramenés à la maison par notrechatte et même quelques chevreuils qu’on voit de loin à l’automne. Pourtant, àl’exception de quelques légumes de notre jardin et de quelques fleurs, aucun deces éléments de la biosphère ne pénètre à l’intérieur de la petite bulle isolanteque constitue notre maison. Mes parents et moi vivons à peu près aussidéconnectés de la biosphère que si nous habitions une tour de béton au cœurd’une grande ville. Bien sûr, nous entendons les oiseaux chanter et nous voyonsparfois de petits poissons dans l’eau, mais mes parents ne laissent même pas lesaraignées ou les mouches pénétrer dans notre sanctuaire et à peu près toutenotre nourriture nous parvient dans des emballages de plastique ou des boîtes defer-blanc achetés à l’épicerie en ville. C’est un style de vie qui permet d’éliminerbeaucoup de dangers, surtout pour un petit être au système immunitaire fragilecomme moi, mais cela nous empêche d’être conscients à quel point nous restonsdépendants de toute la biosphère.

Avant que débute le processus qui allait transformer notre lignée en humains,nos ancêtres grands singes ne représentaient qu’une espèce animale parmi lesautres, espèce qui avait sa place dans divers cycles impliquant d’autres espèces.Ils étaient déjà omnivores, mais tant que la forêt est demeurée leur habitatprincipal, leur menu comportait probablement essentiellement des fruits et des

noix, avec des insectes et un peu de viande à l’occasion. Ils contribuaient à leurtour à l’environnement par leurs excréments recyclés par des bactéries

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Chapitre 8 – LA BIOSPHÈRE

Depuis la révolution industrielle, trois choses ont changé radicalement. Toutd’abord, le pourcentage de personnes nécessaires pour assurer la productionagricole a chuté dramatiquement, pour ne plus représenter aujourd’hui qu’unfaible pourcentage de la population des sociétés postindustrielles. Ensuite, laproduction des aliments est devenue très éloignée des cycles naturels, avec lamécanisation des fermes, l’emploi de pesticides et d’engrais chimiques, lesimmenses parcs d’engraissage de bestiaux, les usines à poulets, etc. Enfin, ladistribution des aliments est devenue une véritable industrie, si bien qu’il n’y aplus le moindre contact entre producteurs et consommateurs.

Ces nouvelles réalités ont fait en sorte que la vaste majorité d’entre nous avonscomplètement perdu le contact avec les réalités rurales, et notre rencontre avecla biosphère se limite à une activité de plein

air de temps en temps. Nous n’avons plus lamoindre idée de comment nos aliments sontproduits et nous restons en grande partieindifférents aux enjeux véritables qui sedécident ces années-ci, le plus souvent sansnotre participation. Par exemple, il a fallu lamaladie de «la vache folle» pour que nousapprenions que, depuis plusieurs années,certains producteurs ajoutaient des farinesprovenant de carcasses de mouton à la nour-riture de leur bétail, une véritable aberrationsi l’on songe que jamais dans la nature une

 vache ne pourrait en venir à consommer desproduits animaux. Pourtant, malgré cettequasi-catastrophe, nous continuons à accep-ter que le profit économique soit le principalmoteur de la production et de la distributionde nos aliments. Avec toutes les expériences qui se font actuellement avec desorganismes génétiquement modifiés, quelles sont les probabilités que quelques-unes d’entre elles finissent par provoquer de véritables dégâts?

L’humanité a récemment acquis des moyens techniques considérables, cequi lui donne le pouvoir de causer des dommages sérieux, à la limite irréver-sibles, à l’environnement. Nous nous amusons avec les génomes, nous intro-duisons des millions de tonnes de produits chimiques et biologiques dangereuxdans l’environnement, nous créons de nouvelles espèces qui sont un véritabledéfi aux règles de la sélection naturelle, nous détournons des rivières et asséchonsdes mers, nous rasons nos forêts et polluons nos océans à coup de super-pétroliers. Tant que nos moyens étaient limités, nous trouvions toujours un«ailleurs» où nous pouvions rejeter nos déchets et nos pires problèmes. Avec les

Nous sommes de moins en moinsconscients des conditions dans

lesquelles nos aliments sont produits.

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Du Big Bang au Village planétaire

moyens qui sont les nôtres actuellement, il n’y a plus d’ailleurs possible. Laplanète est devenue tellement petite que nous avons littéralement le pouvoir dela rendre malade, ce que nous avons d’ailleurs déjà commencé à faire.

Si j’étais née un peu plus tôt ou dans un pays moins industrialisé, il y a defortes chances que je serais venue au monde dans une famille d’agriculteurs etque j’aurais eu un contact très intime avec la biosphère. Même si j’étais née en

 ville, ma maman aurait acheté sa viande et ses légumes au marché, directementdu producteur ou de quelqu’un qui le connaissait personnellement. Mais, dansnos sociétés postindustrielles, les producteurs agricoles sont devenus tellementrares que les consommateurs n’ont à peu près plus jamais l’occasion d’en ren-contrer et de partager leurs préoccupations. Cela nous rend particulièrementinsensibles à toutes les valeurs sur lesquelles nos sociétés ont été bâties depuis

presque dix mille ans et cela explique en partie notre indifférence face auxdésastres écologiques qui nous guettent.

Notre biosphère constitue une immense structure qui relie tous les êtres vivants les uns aux autres. Les équilibres subtils et les cycles complexes qui m’ontpermis de naître et de grandir sur cette planète sont aujourd’hui menacés parnotre puissance d’intervention. Il est impératif que nous devenions capables, entant qu’humanité, de gérer adéquatement ce vaisseau spatial appelé « Terre».Pour ce faire, il faut accepter de voter des lois visant à limiter les gestes égoïstesque certains individus, certaines compagnies ou certains peuples font à leur seulprofit, sans tenir compte de leur effet sur l’état de santé de notre Village

planétaire, qui inclut désormais les coins les plus reculés de l’Amazonie, de laSibérie et de l’Antarctique.

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C H A P I T R E

L’HUMANITÉ(L’intelligent)

 J’ai pour rêve qu’un jour ce pays s’élèvera

et sera à la hauteur de la vraie signification de son credo:«Nous croyons que ces vérités sont évidentes en soi:

que tous les hommes sont créés égaux.»*

Si je n’ai que des liens ténus avec la biosphère, c’est essentiellement parce que je suis née dans une famille qui appartient à une société postindustrielle et qui

dépend par le fait même de la collaboration constante de milliards d’individus unpeu partout sur la planète. Mais, malgré les dangers que ce genre de société faitpeser sur la biosphère, si je ne pense qu’à ma petite personne, je dois bien avouer

que les bénéfices que j’en retire dépassent grandement les inconvénients.

LES AVANTAGES DES SOCIÉTÉS POSTINDUSTRIELLES

Ces bénéfices ont commencé à se manifester dès ma conception. Maman est une jeune femme en excellente santé qui s’alimente de façon intelligente. Alors,durant les neuf mois que j’ai passés dans son ventre, j’ai reçu tous les alimentsdont j’avais besoin pour fabriquer de plus en plus de cellules de Marie-Jasmine.N’ayant souffert d’aucune carence particulière et n’ayant pas été exposée auxméfaits du tabac et de l’alcool, mes organes ont pu se développer selon le planinscrit dans mes gènes. J’ai également profité des soins que maman a reçus deson gynécologue-obstétricien et d’une montagne d’éléments d’informationprovenant de toutes sortes de sources qui ont permis à mes parents de préparerma venue dans les meilleures conditions possibles, avec papa qui a cessé defumer, maman qui a fait de la gymnastique prénatale, etc. Mes parents m’ontainsi fait profiter non seulement de la sagesse accumulée par leurs famillesrespectives au fil des générations, mais également d’une foule de connaissanceset de techniques développées par la société dans son entier. J’ai donc commencé

9

* «I have a dream that one day this nation will rise up and live out the true meaning of 

its creed: “We hold these truths to be self-evident: that all men are created equal.”»(Discours prononcé par Martin Luther King à Washington, le 28 août 1963.)

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Du Big Bang au Village planétaire

à profiter de notre riche civilisation aussitôt que mon ovule a amorcé sacroissance et, le jour de ma naissance, j’étais aussi prête à affronter la vie surTerre que peut l’être un petit humain.

Mes parents m’ont ramenée à la maison quelques jours plus tard et m’ontfait grandir dans un milieu plus aseptisé que ne l’étaient la plupart des hôpitauxil y a moins d’un siècle. Grâce à toutes sortes d’appareils électroménagers et deproduits désinfectants, papa et maman tiennent la maison dans un état depropreté exemplaire. On me lave tous les jours avec de l’eau propre et desproduits qui sont bons pour ma peau; des draps et des vêtements nets me sontfournis à mesure que le besoin s’en fait sentir; les parquets et la salle de bainsont à peu près exempts de germes dangereux pour ma santé, et même la cuissondes aliments se fait sans fumée ou autres émanations nuisibles. Je grandis donc

dans un environnement presque parfaitement sécuritaire, où les plus grosses«bibittes» qui menacent ma santé sont des virus comme celui de la grippe quemon grand frère rapporte parfois de la garderie.

En plus de cet environnement presque idyllique, mes parents me fournissentchaque jour tout plein de bonnes choses à manger et à boire. En passant du laitde maman aux préparations de lait enrichi et aux aliments pour bébé, j’ai reçudes vitamines et des minéraux essentiels en quantités plus que suffisantes pourassurer ma croissance. Même si maintenant je commence à manger la mêmechose que papa et maman, je reçois encore plusieurs éléments essentiels commede l’iode qui est incorporé au sel de table, du fluor qui arrive dans l’eau potable,

du calcium qui est ajouté au lait, etc. Ma santé et ma croissance sont donc sousla responsabilité directe de mes parents, mais, en fait, ceux-ci bénéficient dutravail et des connaissances de dizaines, voire de centaines de millions d’autresêtres humains qui ont contribué à un titre ou à un autre dans le fait que mesparents peuvent m’abriter dans un logis aussi sécuritaire et me fournir desaliments tellement adéquats pour ma croissance.

La société postindustrielle qui m’a accueillie m’offre également sa protectiond’une façon plus subtile par l’entremise de ses lois. Ces dernières me protègentdes prédateurs de tous genres, et un de leurs fondements est que les femmes ontautant de valeur et de droits que les hommes. Dans cette société, la norme veutqu’on ne batte pas les enfants, qu’on n’abuse pas d’eux sexuellement, qu’on neles humilie pas, surtout en public, qu’on ne les fasse pas travailler de façondéraisonnable, etc. Cette protection de ma sécurité inclut aussi toutes sortesd’autres composantes, comme les lois qui nous permettent de circuler sansdanger sur les routes, celles qui assurent la qualité des aliments et des médica-ments, celles encore sur la qualité de l’air et de l’eau, etc.

Mes parents ont aussi la responsabilité de voir à mon bien-être émotif, caravant d’être un «objet» intelligent, je suis un être de relations et d’émotions. Lesliens que je crée avec ma famille immédiate au cours de ma petite enfance seront

le fondement de ma personnalité, le tableau de fond sur lequel je pourrai ensuite

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Chapitre 9 – L’HUMANITÉ

placer les connaissances plus intellectuelles que je vais acquérir. Si mes parentset les autres humains de mon entourage n’arrivent pas à me communiquercertains traits de base comme la confiance en moi, la compassion, la loyauté, lapersévérance, etc., je resterai un être humain incomplet, incapable de m’épanouirau contact des autres humains.

Après avoir assuré ma sécurité physique, mon développement corporel etmon bien-être émotif, mes parents vont vouloir assurer mon épanouissementintellectuel. C’est là une nouveauté radicale par rapport à presque toutes lesgénérations qui ont précédé la leur.

Pour la très immense majorité des humains qui sont passés sur cette Terreavant nous, la tâche première des parents était de transmettre leurs connais-sances à leurs enfants. Ceux-ci espéraient ainsi donner à leur progéniture une

façon d’assurer leur survie et de propager l’espèce. On sait la forme d’appren-tissage que cela représente pour les animaux, et c’était encore vrai pour la plupartdes humains jusqu’à récemment. Ainsi, les Amérindiens chasseurs montraientà leurs fils comment chasser, les agriculteurs canadiens-français apprenaientl’agriculture à leurs fils et les marchands anglais enseignaient le commerce àleurs fils. Quant aux filles, elles apprenaient comment devenir femme de chas-seur, femme d’agriculteur ou femme de marchand.

Bien sûr, ce principe n’était pas absolu, et plus on montait dans l’échellesociale, plus on avait de chances d’y échapper. Il était tout de même assez géné-

ralisé pour qu’on puisse dire que c’était la norme, et il a dominé de l’Antiquité jusqu’à la révolution industrielle, alors que de nombreux enfants d’agriculteursse sont retrouvés dans les mines, les usines et les bureaux. Mais, même alors, ilétait très fréquent que les enfants d’ouvriers soient embauchés par la mêmeentreprise que leur père et qu’ils fassent le même travail.

C’est avec la révolution postindustrielle que tout a vraiment changé. Enquelques générations à peine, nos sociétés sont passées de quelques centainesde sortes de métiers à des dizaines de milliers de spécialisations. La transmissionde connaissances de père à fils ou de mère à fille devenait nettement insuffisanteet la préparation au marché du travail est passée entre les mains de la société.

Dans nos sociétés postindustrielles, la plupart des enfants passent au moinsdix ans sur les bancs d’école, et plusieurs d’entre eux s’y attardent cinq ou dixans de plus. Les connaissances accumulées par les parents et les grands-parentsne prennent donc à ce sujet qu’une importance très relative, et la responsabilitépremière de mes parents n’est donc plus de me transmettre ce qu’ils savent, maisbien de m’exposer à toutes ces sources d’information que sont l’école, les jeuxéducatifs, les livres, la télévision, Internet, etc. Faire de moi une adulte épanouieet une citoyenne utile n’est donc plus la tâche de mes seuls parents; cela devientde plus en plus une responsabilité de la société dans son ensemble.

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Du Big Bang au Village planétaire

Grâce aux médias, avant même d’aller à l’école, je vais grandir dans unenvironnement saturé d’information de tout genre à propos de tout. Je vais enrecevoir en regardant la télévision, en jouant par terre avec les vieux magazinesde maman, en regardant par-dessus l’épaule de papa quand il navigue dansInternet, en écoutant mon grand frère parler de ses journées à la garderie, etc.Mon cerveau va peu à peu s’accoutumer à l’idée que j’habite un grand Villagesur une petite planète et que ce village contient tout plein de personnes fasci-nantes qui font des tas de choses très intéressantes.

L’ENVERS DE LA MÉDAILLE

Mais, tôt ou tard, je vais aussi apprendre qu’il y a beaucoup d’humains qui n’ontpas la chance de profiter autant que moi de ce Village planétaire qui est en train

de se construire, des humains pour qui les sociétés postindustrielles et la mondia-lisation apportent immensément plus de souffrances que d’avantages.

• Pour ma petite cousine cambodgienne de 12 ans qui est forcée de seprostituer à Bangkok depuis trois ans et qui est condamnée à mourir bientôtparce qu’un touriste européen lui a transmis le virus du sida, le Villageplanétaire, c’est une abomination.

• Pour mon petit voisin mexicain qui souffre de sous-alimentation parce queson père ne peut plus trouver de terre à cultiver depuis que les propriétairesutilisent leurs champs pour engraisser des bœufs qui vont finir en

hamburgers aux États-Unis, le Village planétaire, c’est la famine.• Pour ma petite amie du Sierra Leone qui s’est fait amputer les deux mains

par des milices financées par les marchands internationaux de diamants,le Village planétaire, c’est un cauchemar.

• Pour le petit Haïtien qui travaille dans des conditions inhumaines pourcoudre des ballons de foot vendus dans les pays riches, le Village planétaireest synonyme d’esclavage.

• Pour le jeune Russe emprisonné pour un délit mineur, et qui se retrouvecondamné à mourir de la tuberculose parce que son gouvernement aéliminé presque tous les soins de santé dans les prisons afin de mieuxsatisfaire les appétits voraces des mafieux associés à l’élite capitalistemondiale, le Village planétaire n’engendre que la mort.

• Pour la jeune Palestinienne tuée par une roquette lancée d’un hélicoptèreisraélien financé par le gouvernement américain, le Village planétaire, c’estle martyr.

• Pour le petit indigène d’Amazonie qui se retrouve sans abri dans les rues deRio parce que ses parents sont morts empoisonnés d’avoir bu l’eau de leurrivière contaminée par des rejets d’une mine exploitée par des Canadiens,le Village planétaire est une calamité.

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Chapitre 9 – L’HUMANITÉ

• Pour la petite Rwandaise dont les parents ont été massacrés au cours d’unetuerie entre Hutus et Tootsies qui n’était qu’un épisode dans la longue lutteque se livrent Franco-Allemands et Anglo-Américains pour le contrôle duCentre de l’Afrique, le Village planétaire, c’est un véritable fléau.

• Pour le petit Nord-Coréen mort de faim parce que son gouvernement sesent justifié d’investir dans la recherche nucléaire plutôt que dans l’agri-culture, le Village planétaire, c’est une monstruosité.

• Pour la jeune Noire de Los Angeles, cocaïnomane et emprisonnée parce queson président croit que les boucliers antimissiles sont plus importants queles programmes de réhabilitation, le Village planétaire, c’est le désespoir.

Par contre, je vais aussi découvrir qu’il y a de plus en plus de gens qui se

préoccupent réellement du bien-être de leur prochain. On les retrouve dans lesorganisations non gouvernementales d’aide internationale, dans les diversesfiliales de l’Organisation des Nations Unies (ONU), dans les syndicats, danscertains ministères et organismes gouvernementaux, et parfois même à desendroits surprenants comme à la vice-présidence de la Banque mondiale.

Depuis la fin de la Deuxième Guerre mon-diale, la solidarité internationale a commencéà jouer un rôle important dans l’histoire.L’ONU a organisé des missions de Casquesbleus, timidement au début, puis avec de plus

en plus d’assurance, au point qu’on leurreproche aujourd’hui de ne pas avoir suprévenir des conflits dans lesquels on n’aurait

 jamais pensé à les mêler voilà à peine deuxdécennies. Le Programme alimentaire mon-dial intervient régulièrement lorsque la fa-mine menace certaines régions, et le tragiquebilan de l’Afrique serait encore bien pire sans l’aide internationale. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés est aussi un organismeimportant qui a permis à la communauté internationale de soulager quelque

peu les souffrances des populations civiles victimes de conflits ou de catastrophesnaturelles.

Alors que la Croix-Rouge était une des seules organisations du genre voilàun siècle, celles-ci se multiplient aujourd’hui trop rapidement pour que qui quece soit puisse en tenir le compte. En plus de l’aide apportée dans des situationsd’urgence et dans des projets de développement, la simple présence de cesintervenants étrangers a généralement un effet positif sur le respect des droitshumains les plus fondamentaux. La présence d’observateurs étrangers auxélections a aussi permis à de nombreux pays de se doter de gouvernements plusresponsables que ceux qui sont issus des nombreux coups d’État, lesquels ontété la norme dans le tiers-monde durant quelques décennies.

Ces Casques bleus sont prêts pourune nouvelle mission.

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Du Big Bang au Village planétaire

Bref, je suis une toute petite Marie-Jasmine qui grandit jour après jour ausein d’une humanité qui est elle aussi en pleine croissance. Mais même lorsque

 j’aurai mon corps d’adulte, je resterai un tout petit «objet» comparé à l’immenseterritoire du Québec, qui n’est pourtant qu’une petite partie de la Terre, elle-même une toute petite planète perdue quelque part au sein d’un immenseUnivers, essentiellement vide et froid. Le grand vertige que je ressens devant cemajestueux cosmos n’a d’égal que l’émerveillement que provoque en moi laconscience de faire aussi partie d’une biosphère dont les interrelations tissentune structure encore plus complexe que l’Univers lui-même, avec toutes sesétoiles, ses galaxies, ses amas de galaxies et sa grande dentelle cosmique. Avec sesmolécules, ses macromolécules, ses unicellulaires bactériens et eucaryotes et,surtout, avec l’ensemble de ses diverses espèces d’organismes pluricellulaires, labiosphère semble constituer un gigantesque méta-organisme qui évolue depuis

à peu près quatre milliards d’années, façonnant la planète de façon à y faireapparaître des niches écologiques de plus en plus variées et fascinantes. Si laprédation y joue un rôle important, c’est également le cas pour la coopération,tout particulièrement en ce qui concerne l’espèce humaine. C’est fondamentale-ment cette facilité que nous, humains, avons à collaborer entre nous, qui apermis d’allonger considérablement notre espérance de vie, ainsi que l’émergencede modes de vie de plus en plus agréables et enrichissants à tous points de vue.Puisque toutes nos sciences et nos techniques sont le fruit de cette capacité quenous avons de partager nos idées, ne serait-il pas temps que nous cessions de lesutiliser pour détruire notre environnement, quand il ne s’agit pas de nous

détruire les uns les autres, et que nous les mettions plutôt à profit pour éliminerla souffrance sur notre planète?

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CINQUIÈME PARTIE

QUAND SUIS-JE?

(C’est le début d’un temps nouveau)

Ceci sera, j’espère, l’époque des expériences dans l’art de gouverneret que leur base sera fondée sur des principes d’honnêteté et non de la force seule.

Si jamais la morale d’un peuple peut servir de baseà son gouvernement, c’est notre cas.*

THOMAS JEFFERSON

Quand suis-je ? Cette question peut sembler la plus étrange des cinq, puisque personne ne se la pose, à moins de sortir d’un long épisode d’inconscience. Je la pose quand même parce qu’elle m’a semblé être une bonne introduction à cette dernière partie du livre, au cours de laquelle nous nous pencherons sur le sens de cette histoire et sur l’avenir de cette grande aventure de la complexité.

Si vous me demandiez «quand» je suis, je vous répondrais que je suis en train de vivre le moment où l’humanité doit faire un choix radical entre les vieilles idéesimpérialistes de suprématie nationale qui sont incarnées par certains politiciens,

 gens d’affaires et militaires, et le désir que plusieurs d’entre nous, peut-être mêmela majorité des humains, ressentons de ne former qu’une seule communauté, leVillage planétaire.

* Traduction libre de : «This, I hope, will be the age of experiments in government, andthat their basis will be founded on principles of honesty, not of mere force. If ever themorals of the people can be made the basis of their own government, it is our case.»

(Thomas Jefferson, rédacteur de la Déclaration d’indépendance des États-Unis.)

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INTERMÈDE 

LE CALENDRIER COSMIQUE 

Dans un premier temps, j’aimerais vous présenter un calendrier qui reprendde façon très schématique les grandes étapes de cette très longue histoire de

mes origines. Ce calendrier la présente comme si elle s’était entièrement dérouléeà l’intérieur de l’année 1999, de telle sorte que la fin de l’histoire, le 31 décembreà 11 heures 59 minutes et 59 secondes, se produit tout juste avant que le sperma-tozoïde de papa ne féconde l’ovule de maman et que je commence ma formidableaventure parmi vous.

Comme tout bon calendrier, il débute le 1er janvier, une fraction infinitésimale

de seconde après minuit précis, qui est fixé arbitrairement comme étant le BigBang, le moment où le temps commence à être compté. Comme il est générale-ment admis que l’âge de l’Univers se situe entre douze et quinze milliardsd’années, nous attribuons un milliard d’années à chaque mois, le mois de janvierpouvant être un peu plus long si notre histoire a duré plus de douze milliardsd’années.

La seconde «page» du calendrier ne présente que le mois de décembre,soit le dernier milliard d’années écoulées juste avant ma naissance. Chaque joury représente donc à peu près 32 millions d’années. La troisième «page» montreune page d’agenda pour le 31 décembre ; chaque heure compte pour 1333000

ans. La quatrième «page» est une section d’agenda pour la dernière heure du31 décembre, avec chaque minute qui correspond à 20000 ans. La cinquième«page» montre une page de journal de bord pour la dernière minute, avecchaque seconde qui représente 333 années. La dernière «page» montre les deuxdernières secondes, soit la période écoulée au cours des 665 dernières années.

Cette synthèse vise surtout à faire ressortir comment le cheminement vers lacomplexité s’accélère de façon dramatique à mesure qu’on se rapproche de notreépoque. Alors qu’avant l’apparition des premiers organismes pluricellulaires, il

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Du Big Bang au Village planétaire

fallait attendre des milliards d’années pour assister à des changementsimportants, les étapes sont devenues de plus en plus courtes, se mesurant:

– en centaines de millions d’années à l’époque des premiers organismespluricellulaires;

– en dizaines de millions d’années du temps des mammifères;

– en millions d’années depuis l’apparition des australopithèques;

– en centaines de milliers d’années depuis l’apparition du genre Homo ;

– en dizaines de milliers d’années depuis l’ Homo sapiens sapiens;

– en millénaires depuis l’Antiquité;

– en siècles depuis la Renaissance;– en décennies depuis la Deuxième Guerre mondiale.

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 L ’ A N

 N É E

   A   N   N    É   E   1   9   9   9

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   •

   C   ’  e  s

   t   l  e   d   é   b  u

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   C   h  a  q  u  e  m  o   i  s   é  q  u   i  v  a  u   t   à  e  n  v   i  r  o  n   1

  m   i   l   l   i  a  r   d   d   ’  a  n  n   é  e  s ,  s  a  u   f   l  e  m  o   i  s   d  e   j  a  n  v   i  e  r  q  u   i  p  o  u  r  r  a   i   t   ê   t  r  e  p   l  u  s   l  o  n  g  s   i  n  o   t  r  e  a  v  e  n   t  u  r  e  a   d

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7/23/2019 Jacques Robert - Du Big-Bang Au Village Planétaire

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262

   L   E   D   E   R   N

   I   E   R   M   O   I   S

   D    É   C   E   M

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   7

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   1

   2

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   (  –   1

  m   i   l   l   i  a  r   d   )

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Intermède – LE CALENDRIER COSMIQUE

LE DERNIER JOUR31 DÉCEMBRE 1999(Chaque heure équivaut à environ 1,33 million d’années.)

M inui t (–3 2 00 0 00 0)Mes ancêtres laissent peu à peu le mode de vie nocturne des prosimiens primitifs et ils se

1 h 00 transforment graduellement en singes primitifs, comme ceux qu’on voit actuellement enAmérique du Sud, et qui ont une queue préhensile.

2 h 00

3 h 00 ( –2 80 00 00 0)La vie dans les arbres mène à l’apparition des mains aux pouces opposables qui permettent

4 h 00 d’agripper les branches à pleine main plutôt que d’y planter des griffes comme le faisaient mesancêtres insectivores et comme le font toujours mes cousins rongeurs.5 h 00

6 h 00 ( –2 40 00 00 0)

7 h 00 L’adoption d’un mode de vie diurne et la chasse aux fruits colorés au milieu de la verdure de laforêt transforment les yeux des prosimiens, déjà excellents la nuit, en outils d’un grand

8 h 00 raffinement capables de voir en couleur et en profondeur.

9 h 0 0 ( –2 00 00 00 0)

10 h 00 Mes ancêtres sont devenus des singes évolués de type proconsul. Comme la plupart des singesmodernes vivant en Asie et en Afrique, ils avaient probablement une vie sociale assez complexe,11 h 00 une enfance prolongée et un niveau d’intelligence supérieur à la moyenne des mammifères.

1 2 h 00 (–1 6 00 0 00 0)

13 h 00 Mes ancêtres traversent probablement une époque où leur mode de locomotion principal est labrachiation, c’est-à-dire le déplacement de branche en branche en utilisant principalement les bras

14 h 00 pour s’y suspendre, plutôt que les pieds pour marcher dessus. Cela pourrait avoir favorisé leredressement de la colonne vertébrale et l’apparition éventuelle de la posture verticale.

1 5 h 00 (–1 2 00 0 00 0)

16 h 00 Mes ancêtres sont devenus de grands singes sans queue, comme Sivapitecus et Ouranopitecus .Leur colonne vertébrale est de plus en plus verticale, ce qui crée un stress supplémentaire au

17 h 00 niveau du bassin. Leurs petits viennent au monde de plus en plus immatures, ce qui facilitegrandement leur socialisation.

18 h 00 (–8000000)

19 h 00 Apparemment parce qu’ils sont contraints de quitter la forêt pour tenter de survivre dans lasavane, mes ancêtres apprennent à marcher sur deux pieds, ce qui leur mérite le nom

20 h 00 d’australopithèques. Cela libère leurs mains et leurs cerveaux, les orientant de plus en plus versl’intelligence.

2 1 h 0 0 (–40 00 0 00 )

Mes ancêtres utilisent les pierres de plus en plus souvent pour survivre.2 2 h 0 0 (–26 66 0 00 )Mes ancêtres deviennent des Homo habilis qui savent tailler des pierres.

2 3 h 0 0 (–13 33 0 00 ) Voir page suivante

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Du Big Bang au Village planétaire

LA DERNIÈRE HEURE31 DÉCEMBRE 1999, 23 h 00(Chaque minute équivaut à environ 20000 ans.)

2 3 h 0 0 (–13 33 0 00 )Mes ancêtres deviennent des Homo erectus . Leur naissance devient de plus en plus prématurée,ce qui prolonge grandement leur période d’enfance.

23 h 05 Comme la croissance du cerveau peut se poursuivre après la naissance, sa taille n’est plus aussidrastiquement limitée par la largeur du bassin.

23 h 10 Plus mes ancêtres apprennent à tailler et à utiliser les pierres, mieux ils réussissent à contrôler 

leurs mains, de telle sorte que les sections du cerveau qui sont responsables de contrôler lesmains prennent de plus en plus de place dans les nouveaux secteurs qui apparaissent.

2 3 h 15 (–10 00 0 00 )Le cerveau de mes ancêtres atteint à peu près la taille de celui des humains modernes. Onsuppose que leurs relations interpersonnelles sont aussi très avancées, incluant des modes de

23 h 20 communication assez sophistiqués pour coordonner les activités de chasse et transmettre d’unegénération à l’autre les techniques de taille de la pierre.

23 h 25 Mes ancêtres deviennent des Homo sapiens primitifs. Ils disposent d’une trousse d’outilsquelque peu limitée, mais déjà assez variée pour qu’on puisse y reconnaître différentes«cultures». C’est possiblement également à cette époque que mes ancêtres auraient domestiqué

le feu.

23 h 30 (–666000)Les outils deviennent de véritables pierres taillées selon les besoins et selon des styles propres àchaque région. On suppose que le langage est alors assez évolué pour que mes

23 h 35 ancêtres puissent planifier à l’avance les campagnes de chasse, surtout celles contre le trèsgros gibier comme les mammouths et les rhinocéros.

23 h 40 Les premiers vêtements et les premiers abris construits de main d’homme pourraient êtreapparus à cette époque.Les Néanderthaliens, proches cousins de mes ancêtres de cette époque, «colonisent» le Proche-Orient et l’Europe du Sud.

23 h 45 (–333 000)Bien que les Néanderthaliens évoluent avec succès en Europe et ailleurs pendant plusieurscentaines de milliers d’années, c’est à nouveau d’Afrique (du Sud, cette fois) qu’émergent mes

23 h 50 ancêtres les plus récents, les Homo sapiens sapiens . Alors que les Néanderthaliens utilisaientinlassablement les mêmes recettes, mes ancêtres ont découvert une multitude de nouvelles

23 h 55 façons de tailler les pierres et d’en faire des outils sophistiqués. Homo sapiens sapiens aégalement créé les premières manifestations artistiques, et ils (et elles) ont été les premiers àgénéraliser le culte des morts.

23 h 59 (–20 000) Voir page suivante  

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Intermède – LE CALENDRIER COSMIQUE

LA DERNIÈRE MINUTE31 DÉCEMBRE 1999, 23 h 59(Chaque seconde équivaut à environ 333 ans.)

23 h 59:00 (–20 000)Mes ancêtres domestiquent les chiens, qui protègent leurs campements des prédateursdurant la nuit, et qui apprennent peu à peu à contribuer aux expéditions de chasse.

23 h 59:05 Les chiens se révèlent particulièrement utiles quand certains de mes ancêtres découvrent qu’ilpeut être plus profitable d’encadrer et de nourrir les chèvres et les moutons que d’avoir àcourir pour les attraper quand on a faim.

23 h 59:10 À la même époque, certains autres ancêtres vivant dans les vallées fertiles proches dessources du Tigre et de l’Euphrate développent l’agriculture.Avec l’élevage et l’agriculture, qui deviennent de plus en plus efficaces, les groupes humainsgrossissent, et on voit l’apparition des premiers villages stables au Proche-Orient.

23 h 59:15 (–15 000)La pierre taillée raffinée d’Homo sapiens sapiens est remplacée par des outils encore plusélégants, comme la pierre polie, l’ivoire sculpté, le bois pointu et endurci au feu, etc.

23 h 59:20 De nombreuses communautés pleinement sédentarisées abandonnent définitivement lachasse et se nourrissent à peu près exclusivement en pratiquant l’agriculture. Dans lesvillages, certaines familles plus chanceuses ou plus efficaces réussissent à libérer quelques

23 h 59:25 membres des travaux agricoles pour qu’ils approfondissent le travail du bois ou du cuir, lapréparation du fromage, ou l’extraction de l’huile des olives, etc. En quelques siècles,différentes sortes d’artisanat comme la poterie et le textile font leur apparition et deviennentgénéralisés dans certaines régions.

23 h 59:30 (–10 000 ou 8 000 ans avant J .-C.)Les premières villes font leur apparition au Proche-Orient, dont Çatal Huyuk et Jericho.

23 h 59:35 Elles sont généralement situées sur des réseaux commerciaux qui deviennent de plus enplus étendus, incluant bientôt des routes maritimes couvrant l’Est de la Méditerranée.Les humains vivant aux sources du Tigre et de l’Euphrate révolutionnent une nouvelle foisl’humanité en découvrant la métallurgie. C’est l’Âge du Bronze.

23 h 59:40 Les premières grandes agglomérations urbaines font leur apparition et se bâtissent desempires en s’alliant aux régions voisines ou en les soumettant.Pour gérer ces grands ensembles, il faut inventer l’écriture, les mathématiques, et desstructures sociales complexes.C’est également à cette époque que la roue apparaît.

23 h 59:45 (–5 000 ou 3 000 ans avant J .-C.)Les grandes civilisations de l’Antiquité font leur apparition en Égypte, en Mésopotamie etdans la vallée de l’Indus.C’est l’apparition de l’astronomie, des religions, de l’architecture, etc.

23 h 59:50 C’est le siècle de la sagesse, avec Pythagore, Zoroastre, Buddha, Confucius.Alexandre le Grand (–356 à –323) conquiert tout le Moyen-Orient mais meurt.(Année 0)Début de l’ère chrétienne.

23 h 59:55 À son apogée, l’Empire romain s’étend de la mer d’Irlande au golfe Persique.Les Musulmans fondent des califats de l’Espagne jusqu’en Inde.Charlemagne (747-814) entreprend la reconstruction de l’Europe occidentale.

23 h 59:58 (Année 1335 de notre ère) Voir page suivante

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Du Big Bang au Village planétaire

LES DEUX DERNIÈRES SECONDES31 DÉCEMBRE 1999, 23 h 59:58 s

23 h 59:58 (1335)• Les Mongols contrôlent des empires qui s’étendent de la Pologne et de la Turquie jusqu’en

Corée et au Viêt Nam.• Les peuples d’Europe occidentale se rassemblent en quelques royaumes forts aux frontières

et aux identités nationales de mieux en mieux définies.• Les Espagnols et les Portugais achèvent la reconquête de leur péninsule aux dépens des

Musulmans, expérience qui leur sert de prélude à la conquête du monde qu’ils vontentreprendre peu après.

• Les Européens découvrent le nouveau continent et on assiste à la conquête sanglante del’Amérique du Sud par les conquistadores.

• Les premières colonies anglaises et françaises sont fondées en Amérique du Nord.• Charles Quint (1500-1558) devient le premier monarque à disposer d’un véritable empire

planétaire.23 h 59:59 (1665)

• Louis XIV, le Roi-Soleil (1638-1715), symbolise tout le raffinement que les métropoleseuropéennes peuvent se payer aux frais de leurs colonies.

• Grâce aux travaux précurseurs de Copernic, Kepler et Galilée, une nouvelle vision du mondes’impose et des géants comme Newton et Descartes ouvrent toutes grandes les portes de larévolution scientifique.

• Les Russes conquièrent la Sibérie et l’Asie centrale ; les Français font de même avec le cœur de l’Amérique du Nord.

• Tout juste après avoir battu les Français sur les plaines d’Abraham (1763), l’Empire britan-nique perd sa plus belle possession lorsque les États-Unis d’Amérique proclament leur indépendance (1776).

• La France abolit la monarchie. Les constitutions des États-Unis et de la France républicainedeviennent le phare de l’humanité.

• Napoléon Bonaparte (1769-1821) détourne l’idéal républicain à son profit personnel,se bâtit un empire, et le perd tout aussi rapidement.

• La révolution industrielle bouleverse le mode de vie dans les grandes villes.• L’Empire britannique est présent sur toutes les mers et tous les continents.

• La Guerre de Sécession (1861-1865) ensanglante les États-Unis.• La reine Victoria (1819-1901) incarne l’apogée de l’impérialisme européen.• Deux guerres mondiales (1914-1918 et 1939-1945) déchirent l’Europe et la planète.• L’Organisation des Nations Unies voit le jour (1948).• Les pays européens perdent leurs colonies.• La guerre froide amène l’humanité à la destruction mutuelle assurée.• Les États-Unis deviennent la seule superpuissance au monde après la chute des régimes

communistes en Europe de l’Est. L’Union européenne réunit quinze pays et prévoit couvrir l’ensemble du continent d’ici quelques années.

• Conception de Marie-Jasmine.

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Intermède – LE CALENDRIER COSMIQUE

Ce calendrier résume donc en quelques pages l’histoire de nos origines, touten illustrant à quel point celle-ci s’accélère. C’est un phénomène qui se fait sentirtout particulièrement depuis quelques décennies, et que l’auteur américain AlvinToffler a baptisé le «choc du futur».

Déjà, au début des années 70, ce visionnaire avait compris que l’accumula-tion des connaissances se faisait de plus en plus rapidement et que leursapplications techniques bouleversaient le quotidien à un rythme toujourscroissant. À peine trente ans plus tard, quatre appareils à peu près inconnus àl’époque ont pris l’avant-scène: les ordinateurs personnels, les fours à micro-ondes, les téléphones portables et les magnétoscopes. En un temps record, cesnouveaux gadgets ont envahi la plupart des foyers dans les sociétés industria-lisées, et même ceux des classes moyennes du tiers-monde, modifiant en pro-

fondeur les habitudes de vie, les façons de travailler et le genre de rapports quis’établissent entre humains.

Il importe donc de retenir que les décisions qui se prennent aujourd’huipeuvent avoir de très lourdes conséquences dans un avenir pas si lointain, etqu’il est d’autant plus essentiel que nos dirigeants prennent ces décisions en ayantune vision juste de l’histoire, celle du passé, mais aussi celle à venir.

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C H A P I T R E

L’À VENIR

Imaginez tous les gens partageant la planète…

Vous pouvez dire que je suis un rêveur,mais je ne suis pas le seul. J’espère qu’un jour vous vous joindrez à nous,

et le monde sera uni.* JOHN LENNON

J’ose croire que les voyages fantastiques que nous venons d’effectuer ensembledans le temps, dans l’espace et au travers des dimensions vous ont permis

de constater à quel point vous, tout autant que moi, êtes de riches héritiers, de

fascinantes pyramides de complexité et le prodigieux résultat de lois et d’infrac-tions à ces mêmes lois. Espérant que vous partagez l’émerveillement que j’ai moi-même ressenti quand j’ai découvert toutes ces dimensions de notre conditionhumaine, je vous invite maintenant à faire un dernier petit voyage, non plus versquelque coin secret de notre Univers, mais bien dans l’univers du sens quechacun et chacune d’entre nous peut choisirde donner à sa vie…

NOTRE «MYTHE» D’ORIGINE

Les récits de création et les mythes d’origineconstituent depuis fort longtemps une partieimportante du bagage culturel de l’humanité.Ils sont parmi les premiers textes à avoir étémis par écrit à l’aube de l’Antiquité, et toutlaisse croire qu’avant même d’être écrits, ilsavaient été racontés durant des millénaireslorsque la communauté se réunissait le soirautour du feu ou au cours de cérémonies

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* Traduction libre d’un extrait de la chanson Imagine : «Imagine all the people/Sharingall the world…/You may say I’m a dreamer, but I’m not the only one/I hope some dayyou’ll join us/And the world will be as one.»

Chapelle Sixtine

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religieuses. On en trouve chez la plupart des peuples, depuis les petites tribusisolées au plus profond de l’Amazonie, dont le sorcier raconte l’origine aux jeunessur le point de devenir adultes, jusqu’au plafond de la chapelle Sixtine, auVatican, où des millions d’humains ont pu voir la vision bien personnelle queMichel-Ange a peinte de la création et de la relation entre Dieu et les humains.

Contrairement à ce que notre pensée occidentale et cartésienne nousporterait à croire, les auteurs de récits de création et de mythes d’origine neprétendent pas nécessairement rapporter ce qui s’est passé de façon factuelle et

 journalistique. Dans la plupart des traditions, surtout celles qui comportent desmythologies riches, comme en Égypte et en Inde, on trouve plusieurs récits decréation, souvent en opposition les uns avec les autres. Un bel exemple est celuide la Bible, dont la Genèse, premier livre de l’Ancien Testament, contient deux

histoires qui se contredisent l’une l’autre sur plusieurs points. Par exemple, dansle récit présenté dans le premier chapitre, il est dit que le couple humain a étécréé le sixième jour, après les plantes et tous les animaux, tandis que dans le récitdu deuxième chapitre, Adam a été créé en premier, les plantes et les animauxensuite, et Ève à la toute fin.

Le plus fascinant, c’est que ces deux textes contradictoires ont été mis unaprès l’autre, au tout début du livre le plus saint des Juifs, par le groupe de sagesqui a décidé de l’ordre définitif des textes bibliques. Comme on ne peut passoupçonner ces hommes saints et très instruits de n’avoir pas remarqué cescontradictions, on ne peut que supposer qu’à leurs yeux elles étaient sans

importance. Il semble donc que ces textes n’ont pas été retenus pour leur fidélité journalistique, mais bien à partir de critères qui n’ont aucune prétentionscientifique ou historique.

Mircea Eliade, un des pères de l’anthropologie moderne, a écrit que les récitsde création et les mythes fondateurs «fournissent des modèles pour la conduitehumaine et confèrent, par là même, signification et valeur à l’existence». Il estdonc clair pour cet historien des religions que ce genre de récit n’est pas à jugeren fonction de son exactitude historique, mais bien selon sa valeur pédagogiqueet existentielle.

Un exemple clair provient de Polynésie, où certains peuples racontent que leSoleil et la Lune sont en fait un frère et une sœur qui ont eu une relation sexuelleensemble, ignorant que cela était tabou. Par leur comportement irresponsable,ils ont provoqué une catastrophe cosmique et, depuis ce temps, sont condamnésà se poursuivre l’un l’autre dans le ciel sans presque jamais arriver à se toucher.Quand par malheur ils y arrivent tout de même, c’est l’éclipse, la catastrophe quinous rappelle que l’inceste est interdit. L’intérêt premier de ce récit n’est doncpas tant d’expliquer pourquoi le Soleil et la Lune semblent effectivement courirl’un après l’autre dans le ciel en suivant tous les deux la même trajectoire jouraprès jour et nuit après nuit, mais bien de faire comprendre aux jeunes gens que

l’inceste est tabou et qu’il peut entraîner des catastrophes.

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En ce sens, il était important que le récit de la création du monde en six joursse trouve au tout début de la Genèse, parce que c’est sur lui qu’est fondé le sabbat,le jour du repos, première obligation que tout Juif se doit de respecter. Bien sûr,il y a beaucoup plus à ce texte que la simple injonction de respecter le jour duSeigneur, mais, même si le texte n’avait aucune autre valeur, cette fonction«normative» suffirait pour justifier l’importance qui lui a été accordée par latradition judaïque.

LE SENS DE L’HISTOIRE

Plus intéressant en ce qui nous concerne, Eliade constate que «les mythesrévèlent que le Monde, l’homme et la vie ont une origine et une histoiresurnaturelles, et que cette histoire est significative, précieuse et exemplaire». À

ce titre, les récits de création et les mythes fondateurs jouent un rôle d’inspira-tion, un pont de poésie qui permet à chacun et chacune de réaliser que sa petiteexistence personnelle s’inscrit au sein d’une fresque qui la dépasse, que sa petitehistoire personnelle est liée à de grands enjeux qui touchent sa famille, son clan,l’ensemble de son peuple, tout le monde vivant, et parfois même tout le cosmos.Les «événements» ou les «faits» auxquels on fait référence dans ces récitspeuvent donc être adaptés aux circonstances, car c’est la fonction pédagogiquequi prime.

L’histoire de nos origines, telle qu’elle est présentée dans le chapitre 2 («Le

sentier vers la complexité»), ne constitue pas à proprement parler un récit decréation ou un mythe d’origine, car elle se veut basée sur les connaissancesscientifiques les plus récentes. Même si elle reste en grande partie incomplète,elle tente généralement de refléter le plus fidèlement possible ce que la majoritédes auteurs croient avoir été l’histoire du cosmos, de la vie et de l’humanité. Mais,bien que ce récit soit plus souvent fondé sur des équations mathématiques quesur des allégories folkloriques, on peut se demander s’il peut tout de mêmeremplir le rôle attribué aux récits de création par Mircea Eliade, soit de servirde source d’inspiration et de guide pour notre conduite ici et maintenant.

Autrement dit, pour reprendre les mots d’Eliade, pouvons-nous continuer à

considérer «que cette histoire [de nos origines] est significative, précieuse etexemplaire», même si nous renonçons d’entrée de jeu à croire que «le Monde,l’homme et la vie ont une origine et une histoire surnaturelles»? Je crois qu’onpeut choisir de répondre: oui.

La première chose qui me frappe quand je considère l’ensemble de l’histoirede nos origines, c’est que cette histoire a un sens indéniable, puisqu’elle vatoujours du plus simple vers le plus complexe. Notre Univers a commencé par unBig Bang, et il ne contenait alors aucune structure matérielle. Comme il abriteaujourd’hui des «objets» complexes comme nos sociétés postindustrielles et monpetit cerveau, l’histoire écoulée entre les deux ne pouvait avoir qu’une seuledirection, un seul «sens», celui de l’apparition de structures de plus en plus

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complexes. Il est donc clair pour moi que je peux choisir de donner un «sens»à mon histoire personnelle, l’inscrire dans le «sens» de l’histoire, c’est-à-direpoursuivre l’édification de la complexité en travaillant à la construction duVillage planétaire.

La deuxième chose que je remarque dans cette histoire, c’est que la pro-gression vers la complexité ne ressemble en rien à un bel escalier mécaniquebien droit qui amène son passager sans effort vers le sommet. Elle ressembleplutôt à un sentier sinueux, et de nombreux virages ont été nécessaires pourpasser des quarks du Big Bang aux sociétés complexes du Village planétaire. Les«recettes» préparées à une étape ou à un niveau particulier peuvent se révélertout à fait inadéquates et être abandonnées à l’étape suivante ou au niveausuivant, pour refaire surface sous une forme à peine modifiée quelques étapes

plus loin ou quelques niveaux plus haut.Enfin, la troisième chose que je constate est qu’il faut toujours en venir à

effectuer de nouveaux «sauts» verticaux, car les progressions horizontales, bienqu’elles soient intéressantes en elles-mêmes, finissent inévitablement par nousenfermer dans des impasses dont on ne peut s’extraire qu’en adoptant de toutesnouvelles approches. Encore une fois, cela signifie aujourd’hui qu’il nous fautrenoncer à l’impérialisme et à l’hégémonisme de certaines nations, et travaillerdans le sens de la construction du Village planétaire.

Si j’applique ces «leçons» à ma petite personne, je suis tout d’abord émer-

 veillée de constater combien il a fallu de travail à notre Univers pour accoucherd’«objets» aussi complexes que moi et la société postindustrielle à laquelle j’appartiens. Cette histoire de mes origines montre que je suis véritablementl’enfant de l’Univers. Mes protons datent du Big Bang. Mes atomes de carboneet d’oxygène ont été forgés dans des étoiles agonisantes. Mes molécules d’eauont été formées dans les nuages interstellaires, pour être ensuite emprisonnéesdans le ventre de notre planète et vomies par les volcans de la Terre primitive.Mon ADN a été transmis et modifié de génération en génération, sans la moindreinterruption, depuis plusieurs milliards d’années. Mon organisme a été trans-formé par d’innombrables mutations qui ont fait évoluer mes milliards d’ancêtrespetit à petit. Mon esprit est le produit de la rencontre entre la société trèscomplexe dans laquelle je vis et cette quintessence de complexité qu’est uncerveau humain. Cette très longue histoire est donc pour moi une sourceinépuisable de fierté, comme les récits de création et les mythes d’origine l’ont étépour de nombreuses générations de mes ancêtres.

Cette longue histoire de mes origines me dit aussi que les humains et leurssociétés ne sont pas une aberration dans notre Univers. Malgré leurs limites ettout ce qu’elles ont parfois de détestable, les sociétés humaines ont autant leurplace dans la grande pyramide de la complexité que les atomes, les protéines oules grenouilles. En effet, s’il y a une chose qui différencie les humains de la

plupart des autres animaux, c’est que nous avons créé les outils (cerveau, langage,

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comportements, etc.) qui nous permettent de nous réunir pour former desstructures toujours plus complexes. En même temps, cette différence nous réunitde façon encore plus profonde à l’Univers tout entier, puisque nous ne faisonsainsi que reprendre à notre stade ce qui a été fait auparavant par les quarks, lesatomes et ainsi de suite jusqu’aux organismes. Ce que nous avons de plusradicalement humain, notre capacité de nous réunir en structures plus com-plexes, rejoint ainsi ce que nous avons de plus profondément universel.

PRÉDATION OU COLLABORATION?

Outre qu’elle est une source d’inspiration et de fierté, cette histoire de nosorigines peut éclairer de façon signifiante le processus de «village-isation» quidéferle depuis quelques décennies à la grandeur de notre planète. Quand on le

regarde à partir du point de vue de l’émergence de la complexité, ce phénomèneprend tout son sens et on peut entrevoir les portes qui s’ouvrent maintenantdevant l’humanité.

Si l’on traduit en termes actuels les quelques principes mis de l’avant dans celivre, on constate que l’humanité doit aujourd’hui choisir entre deux voies radica-lement différentes vers la complexité. Nous pouvons poursuivre avec la crois-sance individuelle de chaque pays, mouvement de complexification horizontalequi se fait souvent aux dépens des autres peuples, ou nous pouvons travailler àla formation d’une structure supérieure qu’on pourrait appeler la «communauté

internationale», exécutant un nouveau bond vertical, avec toutes les promessesque cela suppose. Autrement dit, nos pays doivent choisir entre prédation etcollaboration, un choix qui a été fait à plusieurs occasions dans le passé:

• C’est grâce à la prédation que nos ancêtres bactéries ont pu grossir ; parcontre, l’intégration des mitochondries, qui leur a permis de devenir descellules complexes, relève plutôt de la collaboration.

• La prédation a permis à nos ancêtres unicellulaires de se spécialiser, maisc’est la collaboration qui leur a permis de se réunir pour former les animauxpluricellulaires.

• Nos ancêtres animaux ont pu évoluer vers des métabolismes de plus en plusperformants grâce à la prédation envers les plantes et envers les autresanimaux; cependant, c’est la collaboration qui a permis aux mammifères,aux oiseaux et aux insectes sociaux de former des structures plus complexescomme les ruches, les meutes et les familles.

• Même si, en tant qu’animaux, nous avons nécessairement une relationprédateur-proie avec nos lointains cousins végétaux, un des virages les plusimportants de notre histoire, l’apparition des primates, est attribuable engrande partie à l’arrivée des arbres à fruits, phénomène qui relève autantde la collaboration que de la prédation.

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• Lorsque nos ancêtres australopithèques se sont retrouvés désarmés dans lasavane, c’est la collaboration entre générations qui leur a permis de survivre,en transmettant les techniques pour fabriquer et utiliser des pierres pointuesen remplacement des crocs et des griffes qui leur manquaient.

• De plus en plus habiles avec leurs mains et leurs pierres, nos ancêtres sontdevenus les meilleurs prédateurs de la planète justement à la suite de laperte d’un de leurs derniers caractères prédateurs. En effet, c’est en grandepartie parce qu’ils ont perdu leur mâchoire proéminente et les grossescanines héritées des grands singes que leur cerveau a pu se développer defaçon aussi rapide.

• Peu après être devenus, grâce à leur capacité de travailler en groupes, lesmeilleurs prédateurs de la planète, mes ancêtres ont abandonné la chasse

pour adopter l’élevage et l’agriculture, des approches qui demandent beau-coup plus de collaboration que de prédation.

• Contrairement au lieu commun selon lequel l’essentiel de l’histoire humainese résume à une série de guerres et de conquêtes, dans les faits, la très vastemajorité des humains ont passé le plus clair de leur temps à collaborer avecd’autres humains. Ceux et celles qui s’accrochent encore à la prédation sontdepuis longtemps considérés comme des dictateurs, des voleurs, des pirates,des criminels et autres bandits.

• En fait, l’essentiel de l’histoire humaine, c’est l’émergence des structures

nécessaires pour que des groupes d’humains de plus en plus grands soientcapables de collaborer. En ce sens, même une armée est essentiellement ungrand ensemble d’humains organisés de façon à collaborer pour exécuterdes tâches particulières.

• Les humains restent capables de prédation, et il serait illusoire d’attendre le jour où ce ne sera plus le cas. Par contre, depuis la Préhistoire, ils ont apprisà collaborer en groupes de plus en plus importants, particulièrement en sedonnant des règles de conduite communes. C’est ainsi que les sociétés ontpu passer de la prédation entre individus à la prédation entre familles, à laprédation entre villages, à la prédation entre régions, et maintenant à laprédation entre nations. À première vue, cela peut sembler une régressionplutôt qu’une progression, mais il faut tenir compte du fait que, lorsque laprédation a commencé à se faire entre villages, c’est parce qu’elle ne sefaisait plus entre familles, et que, quand elle a commencé à se faire entrerégions, c’est parce qu’elle ne se faisait plus entre villages, et ainsi de suite.

• Même si la prédation entre nations a permis l’émergence de structurescomplexes comme l’Empire romain, l’Empire chinois ou l’Empire britan-nique, les empires exclusivement prédateurs, comme ceux de Hitler, deNapoléon ou d’Attila, se sont le plus souvent effondrés très rapidement.

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GUERRE ET PAIX

Si Berlin et Tokyo avaient gagné la Deuxième Guerre mondiale, l’humanité aurait

continué à croître vers la complexité, mais, au lieu de le faire par la collaboration,comme nous tentons de le faire depuis soixante ans, cela se serait fait parl’oppression de la majorité d’entre nous au profit de quelques cliques de tarés,comme la bande de prédateurs en tous genres qui entouraient Adolf Hitler.Puisque l’apparition des armes nucléaires semble désormais interdire lapossibilité qu’une nation s’empare militairement de la planète, la formation d’unefédération planétaire s’impose de plus en plus comme prochaine étape sur notrelong sentier vers la complexité.

Et d’ailleurs, malgré tous les rêves de grandeur des conquérants et desdictateurs présents et passés, si un référendum honnête était tenu aujourd’hui à

la grandeur de la planète, une majorité d’humains de tous les pays se rallierait volontiers à la plupart des principes fondateurs de l’Organisation des NationsUnies (ONU). Pour les réduire à leur plus simple expression, on pourrait résumerces principes en deux phrases:

1. Un pays ne doit pas devenir la proie d’un autre pays.

2. Un être humain ne doit pas devenir la proie d’un autre être humain.

On observe que cette intégration planétaire se fait à un rythme accélérédepuis une vingtaine d’années. Alors que le Marché commun européen s’est

limité à six membres durant plusieurs décennies (Allemagne, Hollande, Belgique,Luxembourg, France et Italie), sa version plus moderne, l’Union européenne,inclura bientôt à peu près tous les peuples du continent, depuis la Méditerranée

 jusqu’au cercle polaire, et depuis la côte atlantique jusqu’aux monts Oural. Enmême temps, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), autrefoisl’alliance militaire des pays capitalistes contre les pays communistes, rassembledésormais plusieurs anciennes républiques soviétiques, et même la Russie y estdéjà bienvenue à titre d’observatrice. Lorsque cette dernière en sera un membrede plein droit, cette alliance militaire pourrait devenir peu à peu le bras arméde l’ONU et se transformer éventuellement en un pacte planétaire auquel

 voudront adhérer toutes les nations souhaitant vivre en paix avec leurs voisins.

Cette idée ne relève déjà plus de l’utopie; elle fait désormais partie despossibilités bien réelles qui seront à notre portée d’ici à quelques décennies toutau plus. D’ailleurs, même le plus fanatique «faucon» militariste et impérialisteest bien forcé de constater que, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale,les frontières entre les pays n’ont à peu près pas changé, montrant que le recoursà la force pour s’emparer du territoire d’un autre peuple est un concept dépassé.La mésaventure des États-Unis au Viêt Nam et celle de l’Union soviétique enAfghanistan resteront longtemps les symboles de ce nouveau monde étrangedans lequel même un petit peuple pauvre et essentiellement agraire peut tenir

tête à une grande puissance postindustrielle.

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Une étape importante a été franchie autour de 1990, lorsque le mur de Berlinest tombé et que les régimes communistes d’Europe de l’Est ont été remplacéspar des structures politiques qui se voulaient plus démocratiques. En réaction àcette baisse de tension en Europe centrale, les Américains et autres Occidentauxont laissé tomber de nombreux régimes répressifs qu’ils maintenaient encore aupouvoir dans les Antilles (comme Duvalier en Haïti), en Amérique du Sud(comme Pinochet au Chili), en Afrique (comme Mobutu au Zaïre) et en Asie duSud-Est (comme Suharto en Indonésie). La réduction des arsenaux nucléaires,la chute du régime raciste en Afrique du Sud, la fin de la guerre civile en Irlandedu Nord, les élections au Cambodge et au El Salvador, la signature d’un traitéde paix entre Yasser Arafat, leader du peuple palestinien, et Yitzak Rabin,premier ministre d’Israël, tout laissait croire que l’humanité se préparait àinstaurer un nouvel ordre mondial plus proche des idéaux de la charte des

Nations Unies.Mais, bien sûr, la guerre n’est pas disparue. Certains pays ont éclaté, au grand

déplaisir de l’ethnie dominante, menant à des actes de répression particulière-ment féroces, comme en ex-Yougoslavie, en Tchétchénie, au Soudan et au Timororiental. Ces atrocités, et la réprobation internationale quasi unanime qu’ellesont suscitée, ne font que mieux illustrer à quel point la domination d’un peuplesur des minorités ethniques ou religieuses est devenue inacceptable dans notregrand village. En tout état de cause, depuis la fin de la Deuxième Guerre mon-diale, à peu près aucun conflit armé n’a mené à des annexions de territoires, lestrois principales exceptions étant l’invasion chinoise au Tibet, l’invasionisraélienne en Palestine et l’invasion turque de la partie nord de Chypre. Cedernier problème devrait se régler à court terme, parce que Chypre et la Turquiedésirent toutes deux se joindre à l’Union européenne, mais l’occupation de laPalestine et celle du Tibet, bien qu’affectant de petites populations, demeurentdes plaies purulentes qu’il faudra bien guérir un jour.

Le conflit Iran-Irak a démontré par l’absurde à quel point les conflits trans-frontaliers sont devenus insensés dans notre monde hypermécanisé. Malgré lesnombreuses années de sacrifices immenses imposés aux deux peuples voisinspar leurs dirigeants respectifs, et malgré la mort de plus d’un million d’Iraniens

et d’Irakiens dans la fleur de l’âge, le front est à peu près toujours resté fixe, sedéplaçant à peine de quelques dizaines de kilomètres de part et d’autre de lafrontière reconnue entre les deux pays. Après autant de souffrances inutiles, ceconflit stupide financé par les États-Unis et les princes du pétrole s’est soldé parun retour au statu quo, comme la plupart des autres conflits frontaliers,notamment ceux entre l’Inde et le Pakistan, entre le Chine et l’Union soviétique,et tant d’autres. L’invasion du Koweït par l’Irak et l’expulsion subséquente destroupes de Saddam Hussein ont quant à elles démontré que la «communautéinternationale» est aujourd’hui capable de se mobiliser rapidement (surtoutquand les États-Unis assument le leadership) pour faire respecter le statu quo

des frontières de 1945.

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Plusieurs pays ont connu de sanglantes guerres civiles, entre ethnies, entreclans, entre religions, entre idéologies, entre colonisés et colonisateurs, ou toutsimplement entre un peuple et son régime militaire. Bien que ces guerresintestines aient souvent mené à des abominations à peine croyables, il importede garder les choses en perspective. Même en additionnant toutes les victimes detous les conflits qui ont affligé l’humanité depuis septembre 1945 (il y a doncpresque 60 ans), incluant la Corée, le Viêt Nam, le Rwanda, le Congo, l’Iran,l’Irak, l’Inde, le Pakistan, le Cambodge, le Bengladesh, l’Algérie et tous les autres,nous n’arriverions probablement pas à dépasser la centaine de millions de morts,de blessés et de disparus au cours de la seule Deuxième Guerre mondiale, qui apourtant duré moins d’une décennie.

Sir Winston Churchill a déjà affirmé: «Lorsque les progrès des armes dedestruction [massive] permettront à tout le monde de tuer tout le monde,personne n’aura plus envie de tuer personne.» Nous avons malheureusementpresque accompli la première moitié de cette prophétie, souhaitons que nousaurons bientôt la sagesse de mettre la seconde en application.

LA LOI DU PLUS FAIBLE

Mais il ne suffit pas de mettre fin à la prédation entre nations, et c’est pourquoiles membres fondateurs et fondatrices de l’ONU ont jugé bon d’adopter unecharte des droits qui a été considérée comme encore plus importante que lacharte fondatrice de l’ONU elle-même. Ainsi, dès le départ, il a été défini quel’humanité devait non seulement protéger les États faibles contre les États forts,

mais qu’elle devait aussi protéger les humains faibles contre la prédation, peuimporte que celle-ci provienne d’autres humains, de multinationales ou de

Mappemonde, en l’an 2000. À part l’éclatement de certains pays, les frontièressont à peu près identiques à celles de 1945.

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gouvernements. Ce faisant, l’ONU reprenait à son compte des principes quiservaient déjà de fondements aux lois que les sociétés démocratiques tentent demettre en pratique depuis plusieurs générations.

Mais, malgré presque 60 ans de progrès, ces «beaux principes» sont encoreloin d’être appliqués de façon égale dans tous les pays. Il faut tout de même leschérir, car c’est ce genre de «phare moral» qui a permis aux citoyens des États-Unis d’approcher de plus en plus des idéaux de leur Constitution, aux Françaisde se conformer de mieux en mieux à leur Charte des droits de l’homme, et àplusieurs autres peuples de se doter d’institutions démocratiques inspirées deprincipes semblables.

En effet, quand les pères de la Constitution des États-Unis, et plus particuliè-rement Thomas Jefferson, ont écrit que tous les hommes sont créés égaux, ils

n’incluaient que les mâles blancs assez riches pour payer des taxes. Il a ensuitefallu attendre presque un siècle pour que l’esclavage soit aboli, et un siècle de pluspour que la discrimination institutionnelle devienne illégale. Malgré cette troplente évolution, il importe de retenir que ce sont ces «beaux principes» qui ontcontinué tout ce temps à alimenter l’âme de tranches de plus en plus larges de lapopulation et, même s’il reste encore beaucoup d’inégalités de nos jours, il n’y aplus qu’une infime minorité d’États-Uniens qui s’entêtent à croire que les Noirssont vraiment inférieurs aux Blancs. Quand on sait qu’une majorité de Blancsétaient encore racistes dans certains États du Sud vers 1960, on ne peut queconstater à quel point le chemin parcouru en moins de 50 ans est considérable.

On pourrait dire la même chose à propos des femmes, que les pères de laConstitution américaine n’ont évidemment pas jugées dignes du droit de vote.Et pourtant, même si cette exclusion leur semblait toute naturelle, c’est sur cettemême Constitution que les femmes du début du XXe siècle ont pu s’appuyer pourréclamer et obtenir leur propre émancipation ainsi que le droit de vote. Ainsidonc, de «beaux principes» idéalistes, qui n’ont aucune chance d’être mis enœuvre au moment où ils sont énoncés, peuvent tout de même servir d’inspirationquelques générations plus tard, et il arrive que leurs conséquences dépassentmême l’intention des rédacteurs originaux.

Après de nombreuses années passées à ne parler que de croissance écono-mique, de circulation des capitaux et de mondialisation des profits, les « leadersdu monde» ont récemment changé de thèmes pour leurs discours prononcés àl’occasion des grandes rencontres multilatérales comme Davos, le G8, l’Organi-sation de coopération Asie-Pacifique et même l’Organisation mondiale ducommerce. Si on se fie à leur nouveau credo, dans ce monde «globalisé» qui esten train de naître, chaque être humain aura un droit absolu à la vie et à larecherche du bonheur, ainsi que certains autres droits qui seront protégés partous les gouvernements locaux de la planète. C’est tout à fait le genre d’affir-mation qui a servi de pierre d’assise pour l’ONU, et on voit bien que de plus en

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Chapitre 10 – L’À VENIR

plus de pays en font la base de leur régime politique. Même les régimes les plusrépressifs voudraient bien faire croire qu’ils y adhèrent, signe que, tôt ou tard, ilsdevront à leur tour céder aux revendications de leurs peuples et aux pressionsde la communauté internationale.

Souhaitons que nos dirigeants aient vraiment à cœur ces nouvelles valeurs,car, même dans nos sociétés postindustrielles, capitalistes et démocratiques, ilreste encore beaucoup de chemin à parcourir avant de voir l’émergence decommunautés humaines vraiment respectueuses des droits des plus faibles. Parexemple, il n’est pas vrai que tous les humains naissent égaux; plusieurs naissentavec moins de talents que d’autres, et il y en a même qui naissent avec desproblèmes de santé tellement graves que leur propre survie est menacée sansl’aide d’autrui. L’expression «Tous les humains naissent égaux» n’est donc pas

une constatation, mais bien un désir; elle exprime le fait que «nous» voulonsque la société soit organisée de façon que tous les humains aient des chanceségales de s’épanouir dans leur recherche du bonheur.

Pour ce faire, nous nous sommes donné des lois dont la nature a radicale-ment changé au fil des siècles. Au début, les lois servaient essentiellement àprotéger les droits et les biens des riches et des puissants contre les débordementspopulaires. À cette époque, le système judiciaire, comme tout le reste de l’État,était au service de l’élite. Peu à peu, de génération en génération, les humainsen sont venus à concevoir que les lois et l’État pouvaient ne pas être exclu-sivement au service des riches et qu’on pouvait leur confier, entre autres res-

ponsabilités, celle de protéger les plus faibles contre les tendances prédatricesdes plus forts. Des lois de plus en plus équitables ont été adoptées, et des organismescomme la Régie du logement et la Cour des petites créances ont été créés pourprotéger les plus démunis contre les abus des mieux nantis. De révolutions enévolutions, ces idées ont fait leur chemin dans la conscience populaire, et ellesfont aujourd’hui partie du vaste «consensus démocratique» qui s’exprime deplus en plus fort à la grandeur de notre Village planétaire.

En raison de cela, il n’est plus possible de tolérer des structures sociales etéconomiques qui font en sorte que les riches s’enrichissent et que les pauvress’appauvrissent. L’évolution des organismes s’est faite parce que, en travaillantensemble, les cellules engendraient plus de «vie» que la somme de ce qu’ellesauraient pu produire individuellement. L’évolution des sociétés jusqu’à aujour-d’hui s’est également réalisée en grande partie parce que le collaboration entreindividus, familles, villages ou régions apportait un surplus de productivité quipouvait être redistribué. Même si tous et toutes n’en profitaient pas de façonégale, loin de là, il n’en reste pas moins qu’au fil des siècles la condition humaines’est améliorée, même, et peut-être surtout, pour les plus pauvres.

S’il y a encore des humains qui ont faim, qui n’ont pas accès à de l’eaupotable, qui meurent de maladies qu’on pourrait traiter, qui ne reçoivent aucune

instruction ou qui sont réduits à un quasi-esclavage, ce n’est pas parce que nous

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Du Big Bang au Village planétaire

n’avons pas les moyens de régler ces problèmes, mais simplement parce quenous croyons les mensonges de ceux et celles qui ont avantage à ce que les chosesrestent ainsi. Selon toutes les études les plus sérieuses, incluant celles qui sontpréparées par plusieurs organisations de l’ONU, il suffirait de détourner unepartie de l’argent actuellement dépensé en armes de toutes sortes pour remédierà la plupart de ces problèmes à la grandeur de la planète.

Plusieurs persistent à croire que la surpopulation est la cause principale desmaux des temps modernes. Cela est d’autant plus tentant qu’il existe effective-ment un lien géographique indéniable entre certaines régions touchées par lafaim et certaines régions très populeuses. Mais une équation de ce genre ne tientpas la route, car elle est contredite par de nombreux faits. Par exemple, la régionqui englobe la Hollande, la Belgique, le Nord de la France et l’Ouest de l’Alle-

magne est une des plus densément peuplées au monde, et elle ne souffre nulle-ment de la faim, alors que de grandes régions de l’Afrique essentiellementdésertiques et sous-peuplées sont victimes de famine de façon chronique. LaTerre produit déjà assez d’aliments pour nourrir près de dix milliards d’humains;si certains d’entre nous souffrent toujours de la faim, ce n’est pas parce qu’ilssont «de trop», mais d’abord et avant tout parce qu’ils sont pauvres, une consta-tation qui vaut autant pour l’itinérant de Montréal que pour la paysanne sansterre du Brésil ou pour l’indigène de Papouasie. D’ailleurs, il y avait déjà des gensqui mouraient de faim à l’époque de Jules César, alors que l’Empire romain étaitloin d’être surpeuplé.

Il y avait des gens qui mouraient de faim voilà 2 000 ans et, chaque journée,il y en a encore 100000 qui meurent de faim ou de maladies liées à la sous-alimentation, et ce, malgré le fait que nous produisons déjà assez d’aliments pournourrir plus de 10 milliards d’êtres humains. Cette situation dramatique n’estpas une fatalité, mais simplement le résultat du fait qu’il y a toujours eu deshumains qui refusent de comprendre que la collaboration est un moyen suffisantpour créer de la richesse. Ces humains sont convaincus que l’évolution et lacroissance ne peuvent provenir que de la prédation, peu importe que celle-cis’exerce entre individus, entre compagnies, entre pays ou entre empires. Lesadeptes de cette approche représentent actuellement le principal obstacle à

l’évolution de l’humanité; aussi longtemps que nos structures politiques etéconomiques resteront entre leurs mains, ils et elles voudront nous convaincreque leur approche «dure» est nécessaire pour assurer la survie et la croissancede leur famille, de leur entreprise, de leur peuple, voire de l’humanité tout entière.Tant que ce genre d’idées dominera dans les centres de pouvoir à Washington, àMoscou, à Beijing, à Bagdad, à Tel-Aviv, etc., nous continuerons à voir certainsgroupes tenter d’imposer leur hégémonie militaire, économique ou culturellesur d’autres membres de la communauté des nations.

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Chapitre 10 – L’À VENIR

VILLAGE PLANÉTAIRE OU PILLAGE PLANÉTAIRE?

Si la guerre froide s’était terminée par un match nul, il y a de fortes chances que

la rencontre des deux idéologies dominantes aurait engendré une toute nouvelledynamique pour l’humanité. Nous aurions pu trouver un compromis acceptableentre, d’un côté, les droits et les libertés individuels qui sont les fondements desdémocraties capitalistes, et de l’autre, les droits collectifs et le besoin de protégerles plus faibles, défendus par les régimes communistes. Une fois qu’un équilibre

 viable aurait été trouvé, nous aurions pu nous mettre tous ensemble à l’œuvrepour construire notre Village planétaire sur de bonnes assises. Malheureusement,ce ne fut pas le cas, notamment parce que le clan des capitalistes s’est retrouvéavec le champ libre à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique, un peucomme un gouvernement qui se retrouverait tout à coup sans opposition

officielle.Convaincus d’avoir remporté une victoire historique sur les «forces du mal»

incarnées par le régime communiste soviétique, les «grands seigneurs» capita-listes ont adopté une attitude arrogante et égocentrique. Débarrassés du « périlrouge», les idéologues du néolibéralisme ont tenu pour acquis qu’il leur étaitdésormais possible de réorganiser la planète à leur convenance, et de façon àmaximiser leurs seuls profits. Dans plusieurs cas, ils ont même poussé la cupidité

 jusqu’à faire signer des traités qui prévoient qu’une entreprise a le droit depoursuivre un gouvernement lorsqu’elle estime que celui-ci adopte des légis-lations ou des règlements qui l’empêchent de réaliser tous les profits escomptés.

Ce faisant, les adeptes du capitalisme pur et dur ont fait entrer l’humanitédans une ère de corruption encore jamais vue sur notre planète. Comme le crimeorganisé n’est qu’une version extrême du capitalisme sauvage, des liens trèsmalsains se sont établis entre les élites financières mondiales et des groupesmafieux de tout acabit. Le résultat est qu’aujourd’hui plusieurs gouvernementsd’Europe de l’Est, d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie du Sud-Est se retrouventplus ou moins sous la tutelle de gangsters, comme le prouvent, par exemple, lesaccusations criminelles pour corruption et pour meurtre qui pèsent contre lesex-présidents du Mexique et du Pérou, ainsi que contre le fils de l’ex-présidentd’Indonésie. Même dans nos pays postindustriels, l’argent engendré par le traficde la drogue ou d’autres activités criminelles fait son chemin dans la société,s’achetant une respectabilité en soudoyant des banquiers et des représentantsdu gouvernement.

Dans plusieurs régions du monde, cette libéralisation à outrance a mené à de véritables catastrophes. En Afrique de l’Ouest, le contrôle des mines de diamantsa provoqué des guerres civiles particulièrement brutales. L’Asie centrale estravagée par des guerres de clans alimentées par des intérêts économiques dontla préoccupation première est de bâtir des pipelines pour acheminer le pétrolede la mer Caspienne vers les marchés internationaux. La Thaïlande, gros

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Du Big Bang au Village planétaire

exportateur d’héroïne, a transformé sa capitale, Bangkok, en un immense bordelpour touristes venus du monde entier. Quant à la Chine, dont la populationreprésente presque le quart de l’humanité, elle connaît maintenant le pire dedeux mondes, un régime politique communiste répressif et des structureséconomiques de plus en plus capitalistes qui mettent sa main-d’œuvre bonmarché et non syndiquée au service des étrangers. Pendant qu’une infimeminorité de fonctionnaires du parti, de gangsters et d’entrepreneurs locauxs’enrichissent de façon indécente, une petite classe moyenne voit le jour dansquelques villes du Sud, mais l’immense majorité des Chinois, surtout ceux etcelles des provinces rurales de l’intérieur, se retrouvent abandonnés par leurgouvernement et voient leur niveau de vie baisser de façon dramatique.

Ces excès du capitalisme sauvage n’épargnent d’ailleurs pas les pays riches.

Au cours des quinze dernières années, en Amérique du Nord, les chefs d’entre-prise ont fait passer leurs revenus de trente fois le salaire moyen de leursemployés à plusieurs centaines de fois. Tandis qu’une infime minorité se donnedes moyens de plus en plus raffinés pour maximiser ses gains, le pouvoir d’achatdes classes moyennes baisse sans cesse, forçant un pourcentage élevé des famillesà vivre «à la petite semaine», avec la faillite et l’itinérance qui menacent si leprochain chèque de paye n’arrive pas comme prévu. En même temps, une frangede plus en plus importante de la société est marginalisée, obligée d’avoir recoursaux services des prêteurs sur gages, quand ce n’est pas aux comptoirs d’aidealimentaire.

La faillite de la compagnie Enron est un cas type des plus intéressants.1º Elle nous a permis de constater tout d’abord que les dirigeants prédateurs decette société n’ont éprouvé aucun scrupule à s’enrichir au moment même où ilsla mettaient en faillite, provoquant la ruine de milliers de petits épargnants,incluant leurs propres employés et employées, tout comme leurs retraités etretraitées. 2º Elle nous montre que le système est incapable de sévir contre cesbandits, qui sont toujours millionnaires et qui vont probablement s’en sortir avecun non-lieu ou quelques heures de travaux communautaires. 3º Elle prouve queles firmes comptables les plus respectables au monde n’ont aucune hésitation àse faire les complices de ce genre d’escroquerie. 4º Elle a permis de mettre au

 jour les pratiques prédatrices de cette entreprise, qui manipulait les marchés del’énergie de façon éhontée, provoquant artificiellement une crise de l’électricitéen Californie en 2000-2001, trouvant même le moyen de faire croire à plusieursque cette crise avait été produite par les politiques trop «gauchistes» des élusdémocrates plutôt que par ses pratiques illégales.

L’humanité ne peut plus se permettre de laisser le pouvoir entre les mainsd’individus pour qui la prédation est un mode acceptable de relation entre êtreshumains, entre entreprises, entre groupes sociaux ou entre nations. Notrepouvoir collectif d’intervention est devenu immensément trop grand pour êtrelaissé sous l’autorité de quelques individus, peu importe qu’ils soient des

capitalistes de talent comme Bill Gates ou de hauts fonctionnaires du parti,

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Chapitre 10 – L’À VENIR

comme ceux dont les décisions ont entraîné l’assèchement de la mer d’Aral, dansl’ex-Union soviétique. Les gens d’affaires doivent comprendre qu’ils ne peuventpas à la fois réclamer les commandes de la société, sous prétexte que leursméthodes sont les plus efficaces, et en même temps prétendre que les entreprisescapitalistes n’existent que pour faire des profits, et non pour assurer le bien-êtrepublic.

Ce n’est plus le temps d’élire des aventuriers sectaires qui rêvent de boucliersspatiaux, de croisades contre les infidèles et de baisses d’impôts pour leurspropres fidèles. Il est temps d’en finir avec les politiciens qui pratiquent l’uni-latéralisme et de mettre fin à l’usage de la force économique ou militaire pourintimider les plus faibles. Il est devenu urgent que les peuples des pays indus-trialisés remettent le pouvoir entre les mains de gens animés d’un véritable désir

de bâtir une communauté internationale juste, une communauté internationalequi devienne capable de répartir équitablement les tâches et les fruits du labeurcollectif, qui soit garante du droit de chacun et de chacune à sa pleine part debonheur, qui soit respectueuse de toutes les cultures et qui soit capable d’assurerune cohabitation harmonieuse à long terme entre l’humanité et le reste de labiosphère.

Si nous trouvons le courage, individuellement et collectivement, de continuerà renoncer de plus en plus à la prédation et à miser davantage sur la collabo-ration, les frontières entre pays et classes sociales pourront peu à peu s’estomper.Nous serons alors en mesure de réduire véritablement les budgets consacrés aux

dépenses militaires, et le seul argent économisé à ce chapitre devrait suffireamplement pour régler la plupart des plaies qui affligent encore des partiesimportantes de l’humanité.

Si vous vous dites que mettre fin à la misère n’est pas une simple questiond’argent, que la tâche est trop compliquée pour qu’on prétende s’y attaquer,rappelez-vous que produire une bombe atomique et envoyer un homme sur laLune n’étaient pas non plus de simples questions d’argent. Pourtant, quand leprésident Roosevelt a été convaincu que les États-Unis devaient posséder unearme atomique avant Hitler, il a trouvé les centaines de milliers de savants, detechniciens, d’ouvriers, de mineurs, etc., dont il avait besoin, et il l’a eue sa foutuebombe, un point c’est tout! Quand le président Kennedy était persuadé que lesÉtats-Unis devaient fouler le sol lunaire avant les Soviétiques, il a également misau travail les centaines de milliers d’individus dont il avait besoin et ce fut fait.Si un président des États-Unis ou, mieux encore, un groupe de dirigeants plané-taires décidait qu’il faut mettre fin à la pauvreté et assigne à cette tâche descentaines de milliers d’universitaires, de techniciens, de gestionnaires, d’ouvriersspécialisés, etc., je vois mal pourquoi ce but ne pourrait pas être atteint. Aprèstout, jusqu’au milieu du siècle dernier, seulement des personnes à l’imaginationcomplètement délirante, comme Jules Verne ou Hergé, pouvaient croire que des

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Du Big Bang au Village planétaire

humains marcheraient bientôt sur la Lune. Éliminer la misère humaine n’estcertainement pas un objectif moins réaliste que de voyager dans l’espace.

Une fois que nous nous serons donné de véritables instances mondialescapables d’assurer la gouvernance de la Terre, que nous aurons établi une paixrelative à la grandeur de la planète, que nous aurons cessé de dépenser dessommes considérables dans les armements et que nous aurons utilisé l’argentainsi épargné pour régler les problèmes les plus urgents, notre tâche consistera àpermettre à chaque humain de développer au maximum son potentiel afin qu’ilpuisse contribuer au mieux à notre bien-être collectif. Nous découvrirons alors ununivers aux richesses presque infinies: le monde des biens et des services que desmilliards d’êtres humains interreliés par Internet peuvent créer tous ensemble.

L’HUMANITÉ RÉSEAUTÉEInternet, le symbole le plus éloquent de la mondialisation en cours, a déjàcommencé à miner de l’intérieur l’ordre économique actuel. En servant de

 véhicule pour des contacts directs de plus en plus faciles entre individus,entreprises, communautés, groupes sociaux, etc., il permet l’établissement deréseaux informels qui court-circuitent le quasi-monopole détenu jusqu’à récem-ment par les gouvernements et les multinationales (un peu comme l’inventionde l’imprimerie a détruit le quasi-monopole que l’Église, grâce à ses moinescopistes, détenait sur les connaissances au Moyen Âge).

Déjà, il y a une multitude de petites et moyennes entreprises en tous genresqui font des affaires ensemble directement, sans passer par les canaux tradi-tionnels comme les délégations commerciales, les foires internationales ou lesmissions industrielles. On peut voir désormais un graphiste de Gaspé, petite villeéloignée de tous les grands centres, qui gagne en partie sa vie en dessinant despochettes de CD pour une compagnie de disques basée à Kiev, en Ukraine; unepropriétaire de boutique à Melbourne, en Australie, qui communique direc-tement avec des communes de production d’artisanat sur les hauts plateaux duPérou; la directrice d’une petite clinique médicale de Californie qui fait tenir sesdossiers informatisés par des secrétaires travaillant en Inde; le maire commu-

niste d’une petite ville de Chine de l’Ouest qui fait effectuer des travauxd’ingénierie par une firme de Berlin. La liberté d’action qu’Internet apporte àtoutes les personnes engagées dans ce genre de transaction est absolument sanscommune mesure avec tout ce que l’humanité a connu au cours de son histoire.

Par ailleurs, nous ne sommes pas encore capables d’imaginer tout l’impactqu’Internet va avoir sur les connaissances scientifiques. Les progrès fulgurantsdes dix dernières années ne font que nous donner un vague avant-goût de ce quis’en vient, un peu comme l’apparition des premiers réseaux nerveux chez lescnidaires ne préfigurait que de très très loin l’évolution qui allait aboutir à descerveaux capables de découvrir la théorie de la relativité. Tout comme l’invention

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Chapitre 10 – L’À VENIR

de l’imprimerie a provoqué la Renaissance et la révolution scientifique enpermettant une circulation plus large et plus rapide des idées et des connais-sances, l’apparition d’Internet a déjà commencé à entraîner une multiplicationextrêmement rapide des échanges scientifiques et techniques entre les individus,les entreprises, les institutions, les universités, les laboratoires gouvernementaux,etc. Tout laisse croire que le «réseautage» électronique de l’humanité va avoirdes répercussions encore plus grandes et plus profondes que la Renaissance elle-même.

Et même sur le plan individuel, peut-être surtout sur le plan individuel,Internet ouvre des portes qui étaient absolument inimaginables voilà très peude temps. Toute personne ayant une passion, aussi inusitée soit-elle, est désor-mais en mesure de trouver une ou plusieurs âmes sœurs, de l’autre côté de la

rue ou à l’autre bout du monde. Il y a des pages Web à propos de plus de sujetsque vous ne pourriez en inventer, et les sites de clavardage (bavardage en ligne)se sont multipliés à un rythme exponentiel. Plusieurs grands médias ouvrentmaintenant un babillard électronique où acteurs, victimes ou témoins de grandsévénements peuvent s’adresser à la planète en entier et être lus par qui le veutbien. Un architecte de Bagdad a utilisé son site Internet pour raconter au jour le

 jour l’invasion anglo-étatsunienne de l’Irak, et son site était un des plus visitésau monde pendant la «libération» de la capitale.

Même nos amitiés vont être profondément influencées par Internet; l’enfantqui déménage à l’autre bout du continent peut rester en contact avec ses com-

pagnons de classe aussi facilement que s’ils étaient encore dans la même ville; la jeune Québécoise qui a travaillé comme coopérante en Afrique peut garder sesamitiés vivantes jusqu’au jour où elle pourra y retourner. La famille de touristes

 japonais qui a passé deux semaines à visiter des temples aztèques peutdévelopper une relation d’intimité avec un couple de Mexicains rencontréspendant les vacances. Notre «réseau de relations» va littéralement exploser aucours des dix ou quinze prochaines années, augmentant d’autant notre com-préhension mutuelle, accélérant de façon constante et irrépressible la construc-tion du Village planétaire non pas au sommet, mais à la base.

À mesure que ces structures matérielles (comme Internet) et immatérielles(comme l’ONU) s’organisent et se développent, chaque humain est entraîné deplus en plus complètement et de plus en plus rapidement dans une grande rondeplanétaire qui fait radicalement augmenter son interdépendance. En communi-quant de plus en plus les uns avec les autres, nous sommes en train de tisser unetoute nouvelle forme de structure dans un «espace à plusieurs dimensions», unréseau qui deviendra rapidement aussi complexe à son échelle que notre cerveaupeut l’être à la sienne.

Armée de cette nouvelle «intelligence collective», l’humanité dans sonensemble pourra dépasser une existence centrée principalement sur la satisfac-

tion de ses besoins primaires, en ce qui regarde la nourriture et la reproduction,

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et se lancer à la découverte de la satisfaction des activités intellectuelles,culturelles et sociales. Pour cela, il nous faudra renoncer à constituer un groupede sociétés en compétition les unes avec les autres pour assurer leur survie, etdevenir un véritable Village planétaire basé sur l’entraide et le respect, une sociétéplanétaire où chacun pourra manger et vivre décemment et où chaque personneaura la possibilité de développer toutes ses dimensions affectives, artistiquesou scientifiques. Tout comme ce fut le cas au cours de l’Antiquité aprèsl’invention de l’écriture, et au cours de la Renaissance après l’invention del’imprimerie, l’apparition des nouvelles techniques de communication devraitelle aussi provoquer l’émergence de toutes nouvelles façons de comprendre deslois de l’Univers, les lois de la vie et celles qui régissent le comportement humainen société.

Avec une quantité absolument phénoménale d’information disponible enquelques clics de souris, il y a de plus en plus d’humains qui peuvent découvrirà peu près tout ce qu’ils désirent à propos d’à peu près n’importe quel sujet àpartir de leur résidence, de leur lieu de travail, d’un café Internet ou d’une biblio-thèque publique. Or, comme l’acquisition de connaissances est le véritablefacteur premier de la croissance, et ce, depuis la Préhistoire, une humanité deplus en plus capable de s’instruire deviendra nécessairement une communautéde plus en plus efficace. Avec plus de 3000000000 de pages Internet déjà acces-sibles au grand public, et le moteur de recherche Google qui répond à lui seul àplus de 50000000 demandes par jour, on peut aisément prédire qu’en plus desnouvelles connaissances, l’ensemble des humains va acquérir plus de nouvelleshabiletés au cours des vingt ou trente prochaines années qu’au cours des deux outrois derniers siècles.

Ce phénomène de mondialisation et de démocratisation de l’information adéjà commencé à donner des résultats impressionnants sur le plan du métissageculturel. La jeune fille de Shanghai, qui adule Céline Dion et qui copie seschansons dans son ordinateur, joue aussi de la musique pop avec ses amis,transposant une partie de ses références culturelles traditionnelles dans lenouveau langage et créant de nouveaux genres. Alors que les mélanges de genresétaient relativement rares voilà trente ou quarante ans (par exemple, la musique

cubaine qui mêlait les sons latins avec les rythmes africains, ou l’album dugroupe Switched on Bach qui reprenait de la musique baroque avec desinstruments électroniques), on voit aujourd’hui plusieurs de nos plus belles pagesmusicales qui sont écrites par des gens qui mélangent le jazz à la musique juivetraditionnelle, la musique berbère et le rock, le chant grégorien avec la musiquenew age, etc. Bien que ce ne soit pas encore aussi évident, ce phénomène a deschances d’avoir des répercussions semblables et encore plus profondes sur lapeinture, le théâtre, la danse, etc.

Enfin, Internet va rapidement devenir le lieu par excellence de la non-discrimination. Devant l’écran, les vieilles divisions entre homme et femme, Noir

et Blanc, jeune et vieux, pauvre et riche, handicapé ou pas, ont beaucoup moins

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Chapitre 10 – L’À VENIR

d’importance. Bien sûr, les vieux réflexes vont avoir la vie dure, et les individusqui veulent garder leurs préjugés vont continuer à le faire. Mais pour ceux etcelles de ma génération, qui vont grandir en tenant pour acquis que le Villageplanétaire est déjà une réalité, il va être de plus en plus facile de connaître l’autre,de comprendre sa vie et ses sentiments, d’accepter ses différences, d’apprécierses contributions à notre bien-être collectif, et, pourquoi pas, de l’aimer.

NOTRE PORTE VERS LES ÉTOILES

On peut donc espérer que bientôt, d’ici à un siècle ou deux tout au plus,l’humanité dans son ensemble fonctionnera comme une seule entité. Les liensentre individus et entre régions seront tellement étroits que la seule comparaisonqui me vienne à l’esprit est celle d’un méga-organisme, qui inclura non seulement

tous les humains, mais, éventuellement, l’ensemble de la biosphère.Or, comme tout organisme vivant, cette «entité planétaire» voudra consacrer

une bonne partie de ses énergies à fabriquer du soi-même. Mais s’il est vrai quenos descendants auront alors éliminé la misère, on peut raisonnablement espérerque les peuples du tiers-monde auront tendance à n’avoir qu’un ou deux enfantspar couple, comme c’est déjà le cas dans la plupart des sociétés postindustrielles.La population de la planète cessera alors de croître, du moins en nombre, etl’humanité devra trouver un nouveau sens à l’expression «fabriquer du soi-même».

Ce ne sera pas la première fois depuis le début de l’aventure de la complexité

que l’expression «fabriquer du soi-même» changera de signification. Commenous l’avons vu au cours des chapitres précédents, cette «pulsion fondamentale»de la vie prend un sens bien différent, selon qu’on en parle du point de vue desprotéines, des unicellulaires, des organismes pluricellulaires ou des sociétés.

Pour certains animaux, surtout parmi les plus socialisés, «fabriquer du soi-même» veut aussi dire transformer leur environnement en fonction de leursbesoins, comme c’est le cas des insectes sociaux, des castors, de certains oiseaux,etc. Les humains ont particulièrement développé ce dernier aspect, d’abord ense construisant des abris, puis en inventant des outils et des vêtements, endéveloppant l’agriculture et toutes les techniques diverses qui ont suivi. Ainsi,pour l’Empire romain, «fabriquer du soi-même», c’était aussi construire desroutes, des aqueducs, des édifices administratifs et des temples tout autour de laMéditerranée, vendre ses produits, répandre sa religion, ses coutumes et sescodes de lois, etc. Pour une société postindustrielle, «fabriquer du soi-même»,c’est donc aussi exporter son mode de vie, ses idées, ses connaissances, sestechniques et une foule d’autres «objets», matériels et immatériels, qui lacaractérisent.

Mais pour les générations à venir, «fabriquer du soi-même» inclura unniveau supplémentaire qui consistera à envoyer des robots, et parfois des

humains, dans le Système solaire, afin de mieux le connaître, l’exploiter etprobablement même en venir à le coloniser sous une forme ou une autre. Si cette

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colonisation connaît un certain succès, on pourra dire que la pyramide de lacomplexité aura atteint un étage de plus, celui d’un ensemble « interplanétaire»regroupant la Terre et ses colonies sur la Lune, sur Mars, et peut-être même surd’autres planètes ou lunes encore moins hospitalières.

Sortir du Système solaire présentera un tout autre défi, car les distancesentre étoiles sont considérables et, pour l’instant, on ne peut concevoir de modede transport dépassant la vitesse de la lumière. Par contre, l’évolution desconnaissances scientifiques fait en sorte qu’il est tout à fait probable que nosdescendants réussissent un jour à voyager à 90% de la vitesse de la lumière, cequi placera plusieurs douzaines d’étoiles à la portée d’un voyage de dix ou quinzeans. On ne peut donc pas exclure la possibilité qu’un jour lointain, notre pyra-mide montera encore d’un cran, et réunira des planètes situées dans divers

systèmes solaires, formant une espèce de fédération interstellaire.De plus, rien n’empêche de rêver qu’un jour les humains trouveront des

technologies leur permettant de voyager à des vitesses bien supérieures à celle dela lumière. Bien sûr, jusqu’à nouvel ordre, la théorie de la relativité sembleinterdire cette possibilité; mais il ne faut pas sous-estimer l’ingéniosité de nosdescendants des prochains millénaires. Après tout, un humain de la Préhistoireaurait été absolument incapable d’imaginer que quoi que ce soit au monde puissese déplacer plus rapidement qu’un aigle ou un guépard; et pourtant, il y a aujour-d’hui des avions qui se déplacent à plusieurs fois la vitesse du son, grâce à destechnologies tout à fait inimaginables pour tous mes ancêtres ayant vécu avant

le XXe siècle.D’ailleurs, la pyramide deviendrait tellement plus intéressante si nos lointains

descendants pouvaient un jour avoir la chance de rencontrer une ou plusieursautres espèces intelligentes provenant de divers secteurs de notre Galaxie. Ceserait tellement sympathique d’imaginer notre Village planétaire s’intégrant àune unique entité intelligente répandue à la grandeur de la Voie lactée, une sortede Village galactique qui aurait alors la chance, à son tour, de « tendre la main»aux autres galaxies de l’Univers…

Mais, trêve de rêve et de délire, nous devons pour l’instant nous contenter

de la Station spatiale internationale, qui symbolise tout de même déjà la portequi s’ouvre devant nous à mesureque nous progressons vers l’unifica-tion de notre planète. Avec la plupartdes puissances industrielles qui ycontribuent à un titre ou à un autre,cette station est notre véritable pre-mier pas vers l’espace, et c’est à titred’ «humanité en train de s’unir» quenous le franchissons. Les braves

astronautes, qui risquent leur viepour y aller et qui y passent des mois La Station spatiale internationale,notre porte vers les étoiles.

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Chapitre 10 – L’À VENIR

dans des conditions peu enviables, ont tout de même l’honneur d’être le fer delance de l’humanité. En occupant cet avant-poste, les cosmonautes font partiede ceux et celles qui incarnent le mieux cette intégration de l’humanité au seindu Village planétaire.

L’humanité pourrait être sur le point de devenir adulte. Après avoir hérité àsa naissance des nombreux trésors que nos divers ancêtres avaient accumulésau fil des milliards d’années, l’humanité a consacré les derniers millénaires àapprendre comment les individus pouvaient fonctionner harmonieusement lesuns avec les autres. Or, collaborer suppose que chacun soit dans une certainemesure capable de dépasser son égocentrisme naturel, de faire preuve d’uneouverture à l’«autre». Chez les individus, cette capacité est généralement acquiseau sortir de l’enfance, lorsque le petit humain réalise (et généralement accepte)

qu’il ou elle n’est pas le centre du monde. Le fait que de plus en plus de pays etde peuples sont aujourd’hui capables de renoncer au nombrilisme primaire etde se tendre la main pour s’enrichir mutuellement me donne espoir que nousaurons bientôt acquis assez de sagesse pour savoir respecter, apprécier et

 véritablement partager les richesses incalculables qui nous ont été léguées parl’Univers, la Terre et la Vie.

C’est cette «maturité collective» que nous sommes en train d’acquérir, quinous donnera peut-être demain les moyens de quitter notre berceau pour allerau-devant de notre destinée cosmique et relever les défis qui attendent notredescendance dans ce merveilleux Univers à qui nous devons la vie…

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ÉPILOGUE

Certains voient les choses comme elles sont et se demandent : Pourquoi? Je rêve de choses qui n’existent pas et me demande : Pourquoi pas?*

ROBERT F. KENNEDYcité par son frère Ted, à ses funérailles

Cher lecteur, chère lectrice,

J’espère que vous avez pris autant de plaisir à lire ce livre que mes auteursen ont eu à le rédiger.

J’imagine que, comme eux, vous avez trouvé certains passages plus difficilesà traverser, mais j’ose croire que, comme ce fut le cas pour eux, vos efforts ont

été récompensés par la grande joie qu’on ressent quand on sort enrichi d’uneexpérience exigeante mais réussie.

Avant de vous laisser aller, j’aimerais vous rappeler que mon histoire, c’est votre histoire; ma famille, c’est votre famille; ma nature, c’est votre nature; et si j’aisu vous communiquer ma passion, mes espoirs sont maintenant vos espoirs.

Comme mes auteurs l’ont écrit en présentation, je n’ai atteint mes objectifsque si je vous ai aidé à approfondir votre foi en un Univers qui a su engendrer tourà tour l’énergie, la matière, la vie, la conscience, l’intelligence et même l’amour.

La construction du Village planétaire est déjà commencée. Commentcomptez-vous y contribuer ?

Merci de m’avoir accompagnée dans ce beau grand voyage…

Marie-Jasmine Lafleur-Desjardins

;-)

* Traduction libre de: «Some see things as they are, and ask: Why?I dream of things that are not, and ask: Why not?»

7/23/2019 Jacques Robert - Du Big-Bang Au Village Planétaire

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REMERCIEMENTS

 Je ne crois pas un seul instantque l’évolution cosmique

et l’apparition de la conscience humainesoient le résultat du pur hasard.

Mais je ne sais pas quoi mettre à la place.HUBERT REEVES

L’aventure qui a mené à ce livre a commencé le jour où Jacques Robert a luun livre écrit par Pierre Matton et qui s’intitule Du Big Bang à Mozart.

Peu de temps après, nous avons organisé une rencontre au cours de laquellenous avons constaté que nous partagions plusieurs points de vue, à commencerpar une commune passion pour les idées mises de l’avant par l’astrophysicien etphilosophe Hubert Reeves.

À la suite de cette rencontre, nous avons décidé de mettre nos ressources encommun et d’écrire un livre qui nous permettrait de pousser plus loin certainesdes principales thèses de Hubert Reeves afin de les transmettre sous une formequi soit accessible à un public encore plus grand.

Ayant consacré sa carrière à l’enseignement de la biologie aux étudiants et

étudiantes inscrits au baccalauréat dans cette discipline à l’Université deSherbrooke, Pierre Matton avait accumulé une foule de méthodes didactiquesqui lui permettaient de communiquer efficacement sa passion à ces jeunesesprits et à leur insuffler un grand désir de mieux comprendre cette fantastiquepyramide de complexité qu’est un organisme humain.

Ayant passé une bonne partie de sa vie à étudier l’histoire de nos origines,Jacques Robert était en mesure d’étendre les concepts mis de l’avant par Pierreà propos du vivant aux deux extrémités de ce continuum, soit, vers le passé, enincluant l’histoire de l’Univers avant la vie, et vers l’avenir, en incluant l’histoirede l’humanité. De plus, ses expériences comme enseignant et animateur enpastorale au secondaire le rendaient sensible aux besoins particuliers de cettecatégorie de lecteurs.

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Du Big Bang au Village planétaire

Il y a évidemment une multitude d’auteurs que nous devrions mentionnersi nous voulions nommer tous ceux et celles dont les idées ont contribué à étayerles thèses avancées par Marie-Jasmine. Comme il nous faudrait presque un autrelivre pour tous leur rendre hommage, nous nous contenterons de mentionnerceux qui nous ont le plus marqués et dont nous recommandons chaleureusementla lecture.

Le premier est évidemment l’astrophysicien et philosophe Hubert Reeves,dont les nombreuses publications nous ont ouverts à deux des lignes de fond lesplus importantes présentées par Marie-Jasmine, à savoir: 1. que nous sommesconstitués par une «pyramide de la complexité» et 2. que l’histoire de nosorigines coïncide avec celle de l’apparition de la complexité dans l’Univers. D’unecertaine façon, notre livre est essentiellement une tentative d’approfondir un

certain nombre d’idées lancées initialement par M. Reeves. Si vous avez aiméles pages que vous venez de lire et que vous avez envie de pousser vos réflexionsplus loin, nous vous recommandons tout particulièrement ses livres Patience

 dans l’Azur , Poussières d’étoiles et L’heure de s’enivrer .

À peine moins importants qu’Hubert Reeves, il y a eu un certain nombred’auteurs particulièrement prolifiques comme Carl Sagan (thèmes généraux),Albert Jacquard (biologie et société), Stephen Jay Gould (évolutionnisme), IsaacAssimov (surtout en physique), Joël de Rosnay (biologie), Desmond Morris(éthologie), Timothy Ferris (astronomie et cosmologie), Yves Coppens (anthro-pologie), Donald Johanson (anthropologie) et Arthur Koestler (histoire des

sciences). Nous avons lu plusieurs livres de chacun de ces auteurs et ils nous ontà peu près tous paru passionnants et relativement faciles à comprendre, mêmepour les non-initiés.

Nous avons également beaucoup aimé de nombreux livres écrits par JeanPiaget (psychologie du développement cognitif), Theillard de Chardin (anthropo-logie et philosophie), Stephen Hawking (physique), Christian de Duve (biologiecellulaire) et Charles Philippe David (géopolitique et stratégie militaire). Ceslivres sont toutefois plus spécialisés et pourraient intéresser ceux et celles qui

 voudraient explorer l’étude de ces aspects.

Parmi les auteurs dont l’œuvre écrite est moins volumineuse, mais toutefoisimportante, mentionnons Stuart Kauffman, qui applique les mathématiques duchaos à la biologie, James Gleick, qui a signé un classique intitulé Chaos, TrinhXuan Thuan, pour son chef-d’œuvre, La mélodie secrète, à propos du Big BangRichard Feinman, Prix Nobel de physique, Lynn Margulis, pour son livre

 L’univers bactériel, et Richard Dawkins, auteur du best-seller Le gène égoïste, quidéfend des idées presque diamétralement opposées aux nôtres mais qui le faitd’une façon tellement magistrale que nous n’hésitons nullement à en recom-mander la lecture.

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REMERCIEMENTS

Bien sûr, il y a beaucoup d’autres auteurs qui ont nourri nos connaissanceset nos réflexions; la liste serait trop longue. En leur disant merci, nous réalisonsde façon bien concrète et vivante une des grandes évidences de ce livre, à savoirque l’interaction dans l’Univers est toujours source de nouveauté et de progrès.

Une première version du manuscrit a été critiquée par quatre finissants etfinissantes en sciences de la santé au Cégep de Saint-Jean-sur-Richelieu, ainsique par quatre autres qui terminaient leur 5e secondaire à la PolyvalenteArmand-Racicot, également à Saint-Jean-sur-Richelieu. Nous transmettons doncnos remerciements les plus chaleureux à Pascal Beauchesne, Justin Carey,Vanessa Desgagné, Ariane Proteau, Mathieu Raymond, Myriam Robert,Stéphanie Scarfo et Justin-Félix Smith. Jacques leur avait demandé de ne pasnous ménager et ils ont parfaitement rempli leur mission. Grâce à leurs nom-

breux commentaires, souvent d’une grande richesse, nous avons pu rendre plusclairs certains concepts essentiels, et généralement simplifier notre vocabulairepour rendre le texte plus accessible. C’est pour nous un grand plaisir de donnerici leurs noms, ainsi que ceux des professeurs qui nous ont mis en contact aveceux: Annie Châteauneuf, Jean-Pierre Guillet et Thang Hoang.

Les sections traitant de physique ont également été relues par Louis-AndréHamel, professeur de physique à l’Université de Montréal. Nous le remercions denous avoir évité d’écrire certaines choses inexactes, et s’il reste toujours deserreurs dans le texte, nous en prenons évidemment l’entière responsabilité.

Nous profitons également de l’occasion pour faire un clin d’œil à Jasmine, lafille de la cousine de Jacques Robert, dont nous avons emprunté le nom pourbaptiser notre personnage. Elle nous semble incarner ce multiculturalisme quifait la richesse de notre société.

Enfin, nous tenons à exprimer toute notre gratitude à Jean-Marc Gagnon, àLise Morin et à toute l’équipe des Éditions MultiMondes pour l’appui qu’ils nousont donné dans notre tentative d’opérer la jonction entre vulgarisationscientifique et philosophie sociale.

Jacques Robert et Pierre Matton

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