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- 1 - Capitaine GASTON Roger 1 3 4 Céation de notre amie Marie-Josée Torre de Bravura Je choisis le maquis GUERRE D’ALGERIE Témoignage Nice - Février 1995

JE CHOISIS LE MAQUIS: CNE GASTON

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GUERRE D'ALGERIE COMMANDO PARTISAN 4

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CapitaineGASTON Roger

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Céation de notre amie Marie-Josée Torre de Bravura

Je choisis le maquisGUERRE D’ALGERIE

Témoignage

Nice - Février 1995

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C A P I T A I N E G A S T O N R O G E R

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LES GUERRES DU XXe SIÈCLEÀ TRAVERS LES

TÉMOIGNAGES ORAUX

**

Collection Michel El Bazeréalisée dans le cadre de l’Association Nationale des Croix de Guerre

et des Croix de la Valeur Militaire

2 Place Grimaldi - 06000Tél. 0493878677

Récits de vie des Anciens Combattants,Résistants, Internés, Déportés, Prisonniers

**Pour l'enrichissement de la

mémoire collectiveCes documents peuvent être mis en libre communication

Droits de traduction, de reproduction et d'adaptationréservés pour tous les pays.

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• Ministère des Anciens Combattants - Délégation à la Mémoire et à l’Information Historique - Paris.• Sénat de la République - Département de la Recherche Historique de la Bibliothèque - Paris.• Department of Defense - Department of the Army - Federal Center of Military History - Washington -U.S.A.• Imperial War Museum - Departement of Documents - London - Great Britain.• Bundesarchiv-Militärarchiv - Freiburg im Breisgau - Deutschland.• Hôtel National des Invalides - Musée de l'Armée - Paris.• Conseil Général des Alpes Maritimes - Cabinet du Président.• Direction des Archives Départementales des Alpes Maritimes.• Université de Nice-Sophia Antipolis - Centre de la Méditerranée Moderne et Contemporaine.• Ville de Nice - Bibliothèque Municipale.• Ville de Nice - Cabinet du Maire-Adjoint aux Anciens Combattants.• Musée de la Résistance Azuréenne.• Le Témoin.

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Analyse du témoignage

134 - Capitaine GASTON Roger -:Décédé - Mme Gaston - Av. Georges Delpech - 47000 - Agen

JE CHOISIS LE MAQUISGUERRE D’ALGERIE

Écriture : 1964 - Édition Fév 1995 - 25 Pages

POSTFACE DE MICHEL EL BAZE

Troublé dès 1958 par la politique de la Métropole en Algérie, le Capitaine Gaston Rogerengagé volontaireévadé de guerrerésistantOfficier de la Légion d’Honneurprend le maquis avec ses Harkis contre son Pays.

Les Pieds noirs vibreront à la lecture du douloureux témoignage de ce patriote désemparé à quiils adresseront, j’en suis sûr, leurs affectueuses pensées.

Disturbed from 1958 by the policy of the Metropolis in Algeria, the Captain GastonRoger

committed volunteerfugitive of warresistantOfficer of the Legion of Honortakes the maquis with his Harkis against his Country.

Black Feet will vibrate to the perusal of the painful testimony of this leaves patriot towho they address, I am sure, their affectionate thinks.

Beunruhigt seit 1958 durch die Politik der Metropole in Algerien, gehtCapitaine Gaston Roger

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KriegsfreiwilligerFlüchtiger des KriegesWiderstandskämpferOffizier der Légion d'Honneurin den Widerstand mit seinen Harki gegen sein Land.

Die Pieds noirs werden bei der Lektüre des schmerzhaften Zeugnisses diesesverzweifelten Patrioten erschüttert sein, dem sie, ich bin dessen sicher, ihreaufrichtigen Gefühle zuwenden werden.

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Index

Alger 15Algérie 9; 11; 13; 14Allemagne 10Alsace Lorraine 14

Bley Commandant 12Bouira 10; 12; 13Challe Général 11

De Gaulle Général 11; 14Djurjura 11

El Adjiba 13Errich Douar 10

Faure Général 11Fedjki Sergent 10Fort Turc cimetière 12Fresnes 11

Gaston Roger 9

Haizer Douar 10

Indochine 9; 10; 12Italie 10; 12

Kabylie 10; 12; 13

Lugrin 11

Maroc 10Massu Général 11Méliani Caporal 10Mesmer Ministre 12

Norvège 9

Ossola Administrateur 12

Paris 11

Salmon Sous-préfet 12Si Salah, commandant de la Willaya

IV 11Simon Général 11; 12

Tighrempt Douar 10Tikjda 10Tizi-Ouzou 11Tunisie 12; 13

Valence 15

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Capitaine GASTON Roger**

Je choisis le maquisC o m m a n d o d e C h a s s e “ P a r t i s a n 4 ”

L a m é m o i r e

L a m é m o i r e : s e u l b a g a g e i n c e s s i b l e J a c q u e s A T T A L I

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J E C H O I S I L E M A Q U I S

L’histoire, que les plus humbles comme les plus grandsécrivent chaque jour, a besoin du témoignage de tous. C’est ledevoir de chacun d’écrire ce qu’il fit, ce qu’il vit au cours de cesannées terribles qui arrachèrent à la Patrie l’honneur parlambeaux et son héritage par morceaux.

Ainsi moi-même, GASTON Roger, ex-capitaine d’infanterie, né le 27 octobre1920 à Paris 9e, engagé volontaire en 1938, évadé de guerre, Résistant-maquisard,titulaire de douze titres de guerre, ex-officier de la Légion d’Honneur, en touteobjectivité, sans complexe de culpabilité devant mes concitoyens, je rassemble cesquelques feuillets afin qu’ils conservent mon témoignage pour que, demain, sous lapression de milliers d’autres semblables, soit revue et corrigée la relation officielledes événements depuis 1958.

J’avoue avoir perdu beaucoup des illusions qui me conduisirent de Norvège àl’Algérie par l’Indochine et d’autres propriétés de Papa. Je crains d’avoir fait unedes dernières retraites de l’homme libre. Sans doute, les générations futures,caporalisées, collectivisées, “nationalisées”, acquerront une seconde nature qu’ellessubiront jusqu’à ce qu’une troisième habitude leur soit à son tour imposée par lescirconstances.

Mais je n’aurai pas voulu, pas plus que laissé faire cela. Toujours choqué par ledrame algérien, j’accuse ceux qui acceptèrent avoir tourné la page, d’en avoir refuséla lecture, ou d’analphabétisme. Sur cette page, il y a la menace vieille comme lemonde : “malheur au vaincu!”

C’est la loi de la nature.

Un des deux mille Français entièrement à part (suivant l’expression consacrée)depuis vingt-quatre mois; au nom du Peuple, je ne saurai oublier que dix-septmillions de bulletins lâchement soulagés, en avril 1962, ont fait de nous des parias,ainsi que des millions des nôtres, des exilés, des déportés, des asservis.

Bien que parmi les vainqueurs des vainqueurs, je suis prisonnier des vaincus parceque condamné à 5 ans d’emprisonnement pour avoir commandé un maquis enAlgérie, plus précisément dans la région de Bouira, en Kabylie. Par la suite, ayantrefusé de supporter toute atteinte à la dignité humaine, de prison en prison, parpunition, je suis arrivé à Valence.

Dans ces lignes, je n’ai pas la prétention de faire tout l’historique du problèmeAlgérien, ni le procès de ceux qui me tiennent dans leurs fers. De tous cesévénements, je ne connais actuellement qu’une partie. Celle que j’ai mesurée à lafatigue, à la soif de mes hommes, à la longueur des pistes, parmi les rocs, les chênes,les oliviers, les cèdres de Kabylie, au cours des nuits de marche ou d’embuscade,des aubes d’attaque, des soirs de deuil.

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Je veux exprimer la détresse qui m’étreint lorsque je me retourne sur une fractionde ma vie passée au milieu d’hommes, mes frères, que, pour raison d’état, le pouvoirm’a fait assassiner par complicité. De plus, il n’est pas de jour que des injures noussoient adressées par certains qui se veulent grands et généreux.

Quand les Français intelligents comprendront-ils que l’O.A.S.ne fut qu’un mythe ?

Quand voudront voir les plus partiaux d’entre eux, en ce sigle,le dernier espoir d’un million des nôtres acculé par le régime aucercueil ou à la valise ?

Quand aura-t’on fini de juger coupables ceux qui ne furent quevaincus ?

Cette histoire est aussi celle de centaines de capitaines.

Rentré d’Indochine en 1954 et affecté au 22è Bataillon de Chasseurs Alpins, à latête de la 2ème compagnie, je suis reparti vers l’A.F.N. en septembre 1955. Depuiscette date, d’abord au Maroc Oriental, puis en Kabylie jusqu’à ce que je sois faitprisonnier le 10 mai 1962, j’ai combattu pour que l’Algérie demeurât française.

Au journal de marche de mon commando : 24 morts, plus de 60 blessés, 5Médailles Militaires, plus de 150 citations, des centaines de H.L.L. mis hors decombat, illustrèrent plus de six ans de campagne.

Mon commando, fin 1961, composé pour moitié de Chasseurs du contingent, étaitcomplété avec des Harkis recrutés sur place. Dès 1957, réalisant que priverl’organisation rebelle de son ravitaillement, du renseignement, était le premierobjectif à atteindre, je regroupai à Tikjda tous les habitants des hameaux épars dansla montagne. Tikjda, station de sports d’hiver et estivale en plein Djurjura, à 30 kmde Bouira, et située sur le territoire des douars Haizer et Tighrempt, fut ainsi occupé,pavillons et hôtels appartenant aux Européens, par les familles de ceux chez qui jerecrutai mes premiers Harkis. Par parenthèse, je signale que ce regroupement pritspontanément le nom d’Ouled Gaston, ce qui signifie “les Enfants de Gaston”.

Lorsque, le 1er août 1958, mon unité devint entièrement opérationnelle, relevée detoute servitude territoriale, et que je changeai de cantonnement pour m’installer dansune ferme en ruines à 3 km au nord de Bouira, certains me suivirent et je les intégraiaux nouvelles harkas que je créai à partir d’éléments du Douar Errich.Inlassablement, au cours de mes missions, je recherchai, sur ordre, les anciensmilitaires de l’Armée d’Afrique, d’Indochine, les montagnards solides, afin que lesChasseurs voient à leurs côtés lutter leurs compatriotes Kabyles.

Alors que mes Chasseurs du contingent métropolitain ne restaient que 18 mois auplus avec moi, ces hommes du Djurjura devinrent rapidement, du fait de leur

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stabilité, de leur connaissance du terrain et de l’ennemi, de leur courage, laprincipale force de mon commando. Certains, comme le Sergent Fedjki, le CaporalMeliani, vieux soldats dont la retraite assurait les modestes besoins , m’opposèrentbien longtemps leur peu d’exigence, leur aspiration au repos après bien des années àcourir l’Italie, la France, l’Allemagne, l’Indochine.

Manquant de cadres pour mes harkas, j’insistai, fort des promesses dont on nousabreuvait alors et dont le rappel serait d’une ironie trop amère. Bref, j’étalai lesavantages de la Paix Française après ce dernier coup de collier. Tous les argumentsfurent bons pour les arracher à leurs mechtas et les rejeter dans la tourmente. Ilsservirent d’exemple aux plus hésitants.

J’eus l’embarras du chois à partir de mai 1958.

Il ne fut pas rare de voir succéder dans mon commando le fils au père, le cadet àl’aîné, afin que reste dans la famille la place gardée, gagne-pain peut-être, mais aussiet surtout, fierté de servir comme Français dans une unité d’origine métropolitaine.

Confiants en mes paroles et en mes actes, reflets des ordres reçus, ils me suivirentdans toutes les opérations. Plus de 180.000 Harkis et Moghaznis, dans toutel’Algérie, furent ainsi de toutes les peines et de peu de joies. Ils étaient devenusirréversiblement Français à part entière par le sang versé, qu’il fut le leur ou celui del’ennemi. Aucun décret, ordre ou référendum ne pouvait infirmer cette véritéfondamentale née d’une lutte à mort entre deux conceptions de l’homme.

Rejetés, ils devaient mourir.

Après six ans de mensonge, de duplicité, de faux-fuyants, endécembre 1961, il devint flagrant que le pouvoir repoussaitl’Algérie avec plus de force encore que l’ennemi n’en employaità nous l’arracher.

J’eus mes premiers soupçons dès I959.

Fin août, le Président de la République passa, je ne sus jamais trop pourquoi, depopote en popote. Car il ne voulut rien entendre comme il ne voulut rien dire. Je fusinvité à sa table, lors de son passage à Tizi-Ouzou, par le Général Faure. Je compris,au cours de la conversation, par la façon brutale, même grossière avec laquelle ilinterrompit le plaidoyer pour l’Algérie Française du Général Faure, qu’il avait unearrière-pensée inavouable encore. Ma qualité d’ancien délégué à la propagande duR.P.F. dans les Basses-Alpes, m’aida beaucoup dans l’interprétation de cetteattitude. Ce ne furent pas les professions de foi de Mr Delouvrier, après que legénéral se fût retiré pour la nuit, qui me firent oublier la mine grave, le regard tristedes Généraux Challe, Massu, Faure, entre autres.

Déjà le malaise avait rongé la confiance.

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Au soulèvement du 22 avril 1961 contre l’abandon, j’étais en permission enMétropole.

En juillet 1961, au cours d‘une opération sur les crêtes du Djurjura, j’interceptaiun groupe de H.L.L. se rendant en Tunisie. Parmi les ennemis hors de combat,mortellement atteint, se trouvait Si Salah, ancien commandant de la Willaya IV, quidevait décéder une heure après sa récupération sur le terrain. Les quelques motsqu’il put prononcer sur la duplicité de De Gaulle, et l’amertume avec laquelle il lerendit responsable de sa mort, grandirent encore en moi la certitude que notre sortétait confié à un criminel.

Je ne parlai jamais de ces révélations.Le Général Simon, alors commandant de la Z.E.A. m’ayant paru très agité par la

mort de Si Salah sur son territoire. Il me dit, m’ayant convoqué au P.C. de laDivision, qu’il craignait que l’opinion publique y voit un assassinat déguisé enopération, par le fait qu’il participa aux pourparlers de Lugrin en 1960... et que nousétions en pleine période d’arrêt unilatéral des opérations offensives. J’avoue qu’àl’époque, je ne compris rien aux réactions du Général Simon, mais depuis, depuis,j’ai rencontré, en concentration à Fresnes lui aussi, le lieutenant musulman qui fut leguide et l’interprète de Si Salah au cours des prises de contact puis de son voyageincognito à Paris, venant offrir la reddition de deux Willayas.

Toujours est-il que, pour montrer sa bonne foi, le Général Simon monta uneopération héliportée, quarante-huit heures plus tard, afin que je récupère le corps deSi Salah. Après l’avoir fait mettre dans un cercueil (!) il le fit enterrer à Bouira aucimetière du Fort Turc.

Les semaines passant, la suspicion s’installa en maîtresse au sein de l’Armée. Lesréunions de Corps devinrent silencieuses, chacun n’osant exprimer sa pensée parcrainte qu’elle ne fut mal interprétée. Sur le terrain, mes commandos, avec une sortede frénésie, multipliaient sorties, embuscades, raids, obtenant des résultatsmagnifiques malgré la raréfaction de l’ennemi. Je couvris de mines et d’actionsoffensives une surface de plus en plus grande du secteur, à la recherche d’un ennemipratiquement détruit, dont les rares survivants se terraient aux abois.

Mes Harkis m’interrogeaient sans relâche, étonnés des bruitsqui couraient d’accord avec le F.L.N. Que pouvais-je leurrépondre ? Je souffrais déjà physiquement de cette trahison,recherchant la consolation précaire dans la pensée, après chaquecombat, que tout fellagha tué était un interlocuteur valable enmoins.

Un jour de décembre 1961, je reçus l’ordre de renvoyer chez eux, par fractions,ces éléments de mon commando. J’ai vu pleurer des soldats qui, en Tunisie, enItalie, en Indochine, et avec moi en Kabylie, certains depuis six ans, cités, blessés,héroïquement avaient combattu pour l’honneur de nos armes et pour rester mesenfants. Et j’ai pleuré aussi, car pour beaucoup d’entre eux, j’avais usé de motsronflants, de grands gestes, de toute mon influence pour les amener à reprendre lesarmes encore une fois pour la même cause, celle de la plus grande France.

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Alors ma décision fut prise.Je savais qu’il ne nous restait plus une chance sur mille de sauver l’Algérie. Je

décidais de rester parmi eux, vivant leur vie, partageant leur sort, acceptant demourir, tant j’étais dégoûté et las de mon pays, et pour ne pas être parjure.

Pressentant que je n’accepterais pas la politique d’abandon, le commandementcivil gaulliste de Bouira (Sous-préfet Salmon et Administrateur Ossola) monta alorsun complot de toutes pièces en accord avec mon Chef de Corps le CommandantBley (sortant tout droit du cabinet de Mesmer). Le Général Simon, trompé ou non, jen’en sais rien encore, m’ordonna de choisir le 22 Février 1962 entre les arrêts deforteresse et le “rapatriement” immédiat sur ma demande.

Je choisis le maquis

Après une première et courte période au cours de laquelle je connus un demi-échec, par manque d’organisation, ayant été pris de court par mon nouvel ennemi, jereformai mon maquis sur de nouvelles bases. Durant deux mois, mes anciens Harkisme cachèrent, me ravitaillèrent et me renseignèrent. Eux attendaient de moi unmiracle que j’attendais de Dieu. Mais, comme dit “l’autre”, l’heureuse issue dudrame algérien m’enchaîna et précipita leurs souffrances.

Aux dernières nouvelles, 31 d’entre eux ont été éventrés, égorgés, fusillés, bouillisou brûlés entre le 1er juin et le 1er août 1962. (La liste de ces martyrs n’estcertainement pas close, hélas.)

Comment pourrais-je pardonner pareils crimes, fussent-ils perpétrés pour la raisond’état ? Comment pourrais-je retrouver la paix, arracher de ma mémoire les millesouvenirs qui me lient à ceux que j’ai abandonnés ? Comment regarderais-jel’avenir, bien que légalement innocent du crime de génocide dont l’Histoire me feraporter le poids comme officier français ?

En prenant le maquis le 25 février I962, j’ai dénoncé ce crime monstrueux dontune nation prenait, par omission, la responsabilité. L’information dirigée m’a traitéed’officier félon (ô ironie), de bandit, d’assassin, de fasciste, moi, résistant etmaquisard de 1943. Je n’ai de sang français sur les mains que le mien et celui demes hommes, versé sous bien des cieux du monde sans autre esprit que de le bienfaire payer à l’ennemi.

La liberté ne me rendra pas l’Algérie.

L’amnistie ne me rendra pas mes morts, mes blessés, certains atrocement.Inlassablement, mon esprit erre à travers la Kabylie. Par lui, je vais de croix encroix, où ils sont tombés, suivant un terrible chemin d’amertume, de doute et deregret.

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La grâce présidentielle ne me rendra pas l’honneur de la France, pas l’oubli, pas lesourire, en moi, de ceux qui torturés après le 1er juin par les Fels, dans leur dernierhurlement m’ont maudit.

Car j’étais la France pour eux,non pas du fait du prince dont se sert certain,mais par leur foi en un capitaine de l’Armée Française, leur chef duranttant d’années, parmi eux pour le meilleur et pour le pire.

Caché, à partir du 1er avril, j’ai vu les autorités civiles et militaires dans le secteurde Bouira, imposer le F.L.N. aux populations déroutées. J’ai mesuré le temps qui merestait avant d’être pris par la pénétration ennemie dans un secteur où ne survivaientpas 50 H.L.L. en armes sur plus de trois mille, avant que la peur ne changea decamp.

J’ai vu effectuer le désarmement des autodéfenses pour assurer plus facilementcette pénétration dans les zones réfractaires. J’ai écouté des discours du sous-préfetde Bouira menaçant ceux qui ne pavoisaient pas aux couleurs blanches et vertesavant le 1er mai.

J’ai assisté, clandestin, au regroupement des forces françaises abandonnant auxtueurs revenant de Tunisie, en une demi-journée, des douars entiers.

J’ai soigné un partisan M.N.A. (Mouvement Nationaliste Algérien tendancenationaliste modérée), ayant réussi à s’échapper d’un ancien poste au nord d’ElAdjiba, transféré intact aux rebelles. Ce partisan me dit que ce fut devant un gradéde gendarmerie qu’il fut torturé (4 dents et un doigt brisés) pour lui faire avouer laposition de mon refuge.

Pourchassé de cache en cache, vivant comme ceux que j’avais tant poursuivis,traqué par les forces régulières et fellagha réunies, j’ai contemplé, désespéré,l’écroulement de six ans de pacification et le déchaînement en haines, envengeances, en instincts grégaires d’une minorité, qui, par le couteau, trancha 130ans de civilisation.

Parce que cohéritier de cette civilisation, j’ai défendu la France de 1955 au IO mai1962 avec la même passion, pour les mêmes raisons que de 1939 au 8 mai 1945.

A vingt ans, je me suis battu, j’ai pris le maquis pour libérer le sol national, libérerl’Alsace Lorraine qu’on voulait nous voler.

A quarante ans, j’ai lutté pour libérer l’Algérie de la peur, du racisme, dupanarabisme et de leurs collaborateurs blancs et autres, et garder 15 départementsqu’on voulait nous voler. Sans famille et sans biens là-bas, j’ai défendu l’intégrité duterritoire, l’honneur de la Patrie et le mien.

Qu’un jour, les couteaux définitivement oubliés au vestiaire, aurait dû être mise enplace une autonomie partielle puis complète, possible. Que cette autonomie auraitdébouché sur une totale indépendance en garantissant effectivement les droits detoutes les minorités, qu’elles fussent raciales ou confessionnelles, si l’intégration ne

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pouvait être effectuée, possible encore ? Pour ma part, j’ai cru, je crois, je croiraitoujours que l’Algérie Française pouvait vivre.

Mais pas ça !

Par ce que les générations à venir, des deux côtés de laMéditerranée nous reprocheront lorsque les égoïsmes, leslâches soulagements, les appétits du pouvoir, auront étéoblitérés par le temps.

Pas de ces Pâques sanglantes souillant une armée passive,une nation démissionnaire, après une capitulationdéshonorante.

Pas cette prime à la violence, justification du terrorisme leplus atroce, le plus bestial, le plus fort parce que le plusprimitif.

Pas ce racisme fanatique arabe dédouané par le racismegaullien.

Pas ces tribunaux d’exception, créé par le même décretd’élargissement des tortionnaires et égorgeurs fellaghas, afinque certains d’entre eux y siègent, déshonorant la justice.

Pas ces cimetières désertés qu’aucun Pied-Noirn’approchera plus jamais, qu’aucune main blanche jamais plusn’entretiendra.

Pas ces prisons où les hurlements de nos disparus sontétouffés par la surdité du régime.

Et plus tard, en métropole,

pas de ces geôles politiques où De Gaulle cherche à arracherleur personnalité à ceux qui y sont jetés par quatre, voire six,même sept, 23 heures sur 24, dans des taudis, véritablesbasses-fosses de 3,60 sur 3,10 sans table ni siège.

Pas des réponses désabusées ou ironiques de la Croix-Rouge, Ligue des Droits de l’Homme, et autres organismesaux appels à la conscience humaine.

On a appelé à la raison d’état, au bon plaisir, au fait du prince, au racismenationaliste, aux révisions déchirantes, au bon sens, à l’intérêt financier, aucrépuscule d’un peuple pour motiver cet abandon.

Mille masques pour une seule honte.

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On a détruit en moi ce qu’il y avait de plus beau dans l’esprit d’un soldat, lerespect à la parole donnée, sa foi en son combat de toujours pour repousser l’horizonautour de son pavillon, et le refus d’amener ce pavillon, si ce n’est pour en faire unlinceul.

Il peut être fait usage de ces lignes.Elles peuvent être divulguées en témoignage, comme jetées à l’oubli. Je les ai

vécues avant de les écrire, je n’ai pas plus peur de l’avenir que honte de mon passé.Je me regarde toujours en face, sans rougir, ce que ne peuvent faire tous les officiersayant encore leur nom dans l’annuaire.

Il faut avoir au front commencé sa carrière et pleuré chaque pas d’abandon derizière, de djebel; il faut avoir souffert dans sa propre chair la mort de chacun de sessoldats; il faut avoir de faux dieux tenté de tenir les serments, avoir donné son cœur,sans le monnayer, pour comprendre pourquoi nous avons essayé ce qu’un peuplevaincu nous enviera demain. Jusqu’à ma mort, et joint à d’autres combatssemblables que l’avenir nous réserve, à l’aube desquels nos prisons s’ouvriront, jegarderai indéfectiblement unis le sens de la guerre victorieuse d’avant-hier et celuide la bataille perdue d’hier. S’il plaît à Dieu que cette bataille perdue soit une guerremorte, les youyou d’Alger sont le glas de la France.

Oui, je sais.

C’est de la littérature sentimentale pour midinette, avec des mots de quatre sous,comme me l’a dit mon juge le 4 janvier I963.

Mais,C’est avec des mots comme ceux là que l’on m’a recruté

pour défendre la France, comme en 1914, en 1870, en1789 le furent nos ancêtres.

C’est avec des mots comme ceux-là que j’ai, durantVingt ans, recruté des cœurs, des tripes et des bras pourservir la France.

C’est avec des mots comme ceux-là que j’ai tué mesChasseurs et assassiné mes Harkis.

Valence, le 30 avril 1964