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H2O Asset Management LLP, 10 Old Burlington Street, London W1S 3AG, United Kingdom, Management Company n°529105 FCA 1 Lettre mensuelle n°6, 2013 Je t’aime moi non plus Les flux dans les actions passent par le filtre des gestions Des bénéfices sans résultats Des dividendes, toujours des dividendes Encore une source de convexité dans les marchés La « croissance défensive », et pourquoi pas « le feu qui mouille » Depuis plusieurs mois, les marchés d’actions des pays développés ont enregistré des flux entrants dont la persistance est le signe d’un changement structurel positif qui n’a pas été observé depuis l’éclatement de la bulle internet. Si une des motivations pour détenir les marchés d’actions des pays développés est leur caractère bon marché, il est surprenant de voir les secteurs les plus chers continuer à offrir la meilleure performance. Ainsi le secteur des valeurs dites « défensives » dont le PE est de 20 (contre 13 pour la moyenne du marché) affiche la plus forte performance. Certains pourraient y voir une forme de schizophrénie des investisseurs finaux. Il est plus vraisemblable que ce soit l’expression du style dominant des gérants actions. Comme investir sur les actions dans la bulle internet était synonyme d’investir sur les valeurs technologiques, investir sur les actions aujourd’hui reflète avant tout le caractère défensif de l’offre proposée par les gestionnaires actions. Depuis la crise financière de 2008, les entreprises ont embrassé une politique de maîtrise des coûts à l’inverse des stratégies de croissance de la période précédente. Les équipes managériales ont été remplacées par des réducteurs de coûts. Seuls les dirigeants les plus prudents ont survécu à cette vague de changement. Le résultat aura été une amélioration impressionnante des marges, l’accumulation d’une trésorerie pléthorique et l’augmentation des dividendes. La forte progression des bénéfices depuis 2008 est donc essentiellement le fait de la hausse des marges, la progression du chiffre d’affaire restant une considération tout à fait secondaire. Dans ce contexte, les marchés d’actions ont été dominés par deux grands thèmes favorisant les valeurs défensives : les dividendes élevés et la gestion minimum-variance. La volatilité des marchés d’actions et l’anticipation d’une longue période de faible croissance ont justifié l’inclination pour les valeurs offrant des dividendes juteux, en contrepartie d’une croissance certes faible mais régulière. D’une certaine manière, ces actions sont considérées avoir des caractéristiques assez proches d’une classe d’actif très en vogue : les obligations émises par les entreprises (flux de paiement réguliers et volatilité a priori faible). La prévalence de ce premier thème d’investissement a également ouvert la voie au second, à savoir la montée en puissance du style minimum-variance dans la gestion actions. Il s’agit d’investir dans les actions dont la volatilité a baissé et de désinvestir dans celles dont la volatilité a monté. Ce type de gestion est donc performant lorsque la volatilité passée est un bon indicateur de la volatilité future, c’est-à-dire lorsque la volatilité suit une tendance. Or le développement même de ce type de gestion accentue en retour la direction prise par la volatilité de chacune des actions. Ainsi, plus le style minimum-variance est répandu, plus il est efficace. Et comme plus il est efficace, plus il est populaire, on aura reconnu ici un facteur de convexité typique des dynamiques de bulle. Le moment arrive où la valorisation n’a plus aucune pertinence et seuls les flux de marchés permettent d’anticiper l’évolution future des prix, comme lors de la bulle du crédit à partir de 2006. La valorisation des actions dites « défensives » est aujourd’hui complètement déconnectée des fondamentaux. Pernod Ricard à 18 de PE est un exemple de valeur défensive parmi tant d’autres. A défaut d’imaginer que la terre entière devienne alcoolique, rien ne justifie une telle cherté. En suivant les conseils d’Audiard mis dans la bouche de Lino Ventura dans les Tontons Flingueurs, on reconnait les bulles au fait qu’elles osent tout. Ainsi, le concept de « croissance défensive » est aujourd’hui mis en avant pour justifier l’incroyable détention de valeurs défensives. La réalité est que le marché tout entier est surinvesti sur des actions ayant un PE de 20 et une croissance de seulement 5%. L’invention de nouveaux concepts fumeux n’y changera rien. Par définition, des actions sont « défensives » si la croissance de leurs résultats est stable et donc modérée. Mettre en avant la perspective d’une croissance plus forte demain disqualifie leur caractère défensif aujourd’hui.

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H2O Asset Management LLP, 10 Old Burlington Street, London W1S 3AG, United Kingdom, Management Company n°529105 FCA 1

Lettre mensuelle n°6, 2013

Je t’aime moi non plus

Les flux dans les

actions passent

par le filtre des

gestions

Des bénéfices

sans résultats

Des dividendes,

toujours des

dividendes

Encore une source

de convexité dans

les marchés

La « croissance

défensive », et

pourquoi pas « le

feu qui mouille »

Depuis plusieurs mois, les marchés d’actions des pays développés ont enregistré des flux

entrants dont la persistance est le signe d’un changement structurel positif qui n’a pas été

observé depuis l’éclatement de la bulle internet. Si une des motivations pour détenir les

marchés d’actions des pays développés est leur caractère bon marché, il est surprenant de

voir les secteurs les plus chers continuer à offrir la meilleure performance. Ainsi le secteur des

valeurs dites « défensives » dont le PE est de 20 (contre 13 pour la moyenne du marché)

affiche la plus forte performance. Certains pourraient y voir une forme de schizophrénie des

investisseurs finaux. Il est plus vraisemblable que ce soit l’expression du style dominant des

gérants actions. Comme investir sur les actions dans la bulle internet était synonyme

d’investir sur les valeurs technologiques, investir sur les actions aujourd’hui reflète avant tout

le caractère défensif de l’offre proposée par les gestionnaires actions.

Depuis la crise financière de 2008, les entreprises ont embrassé une politique de maîtrise

des coûts à l’inverse des stratégies de croissance de la période précédente. Les équipes

managériales ont été remplacées par des réducteurs de coûts. Seuls les dirigeants les plus

prudents ont survécu à cette vague de changement. Le résultat aura été une amélioration

impressionnante des marges, l’accumulation d’une trésorerie pléthorique et l’augmentation

des dividendes. La forte progression des bénéfices depuis 2008 est donc essentiellement le

fait de la hausse des marges, la progression du chiffre d’affaire restant une considération tout

à fait secondaire.

Dans ce contexte, les marchés d’actions ont été dominés par deux grands thèmes favorisant

les valeurs défensives : les dividendes élevés et la gestion minimum-variance. La volatilité des

marchés d’actions et l’anticipation d’une longue période de faible croissance ont justifié

l’inclination pour les valeurs offrant des dividendes juteux, en contrepartie d’une croissance

certes faible mais régulière. D’une certaine manière, ces actions sont considérées avoir des

caractéristiques assez proches d’une classe d’actif très en vogue : les obligations émises par

les entreprises (flux de paiement réguliers et volatilité a priori faible). La prévalence de ce

premier thème d’investissement a également ouvert la voie au second, à savoir la montée en

puissance du style minimum-variance dans la gestion actions.

Il s’agit d’investir dans les actions dont la volatilité a baissé et de désinvestir dans celles

dont la volatilité a monté. Ce type de gestion est donc performant lorsque la volatilité passée

est un bon indicateur de la volatilité future, c’est-à-dire lorsque la volatilité suit une tendance.

Or le développement même de ce type de gestion accentue en retour la direction prise par la

volatilité de chacune des actions. Ainsi, plus le style minimum-variance est répandu, plus il est

efficace. Et comme plus il est efficace, plus il est populaire, on aura reconnu ici un facteur de

convexité typique des dynamiques de bulle. Le moment arrive où la valorisation n’a plus

aucune pertinence et seuls les flux de marchés permettent d’anticiper l’évolution future des

prix, comme lors de la bulle du crédit à partir de 2006.

La valorisation des actions dites « défensives » est aujourd’hui complètement déconnectée

des fondamentaux. Pernod Ricard à 18 de PE est un exemple de valeur défensive parmi tant

d’autres. A défaut d’imaginer que la terre entière devienne alcoolique, rien ne justifie une

telle cherté. En suivant les conseils d’Audiard mis dans la bouche de Lino Ventura dans les

Tontons Flingueurs, on reconnait les bulles au fait qu’elles osent tout. Ainsi, le concept de

« croissance défensive » est aujourd’hui mis en avant pour justifier l’incroyable détention de

valeurs défensives. La réalité est que le marché tout entier est surinvesti sur des actions ayant

un PE de 20 et une croissance de seulement 5%. L’invention de nouveaux concepts fumeux

n’y changera rien. Par définition, des actions sont « défensives » si la croissance de leurs

résultats est stable et donc modérée. Mettre en avant la perspective d’une croissance plus

forte demain disqualifie leur caractère défensif aujourd’hui.

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H2O Asset Management LLP, 10 Old Burlington Street, London W1S 3AG, United Kingdom, Management Company n°529105 FCA 2

Edité à Londres le 19 juin 2013. Ce document est destiné à des clients professionnels. Il ne peut être utilisé dans un but autre que celui pour lequel il a été conçu et ne peut pas être reproduit, diffusé ou communiqué à des tiers en tout ou partie sans l'autorisation préalable et écrite de H2O Asset Management LLP. Ce document est produit à titre purement indicatif. Il constitue une présentation conçue et réalisée par H2O Asset Management LLP à partir de sources qu'elle estime fiables. H2O Asset Management LLP ne saurait être tenue responsable de tout décision prise ou non sur la base d'une information contenue dans ce document, ni de l'utilisation qui pourrait en être faite par un tiers.

Comment

échapper à la

tyrannie

sectorielle

Le vilain petit

canard des

« défensives »

Dividende, marges

et croissance : la

Sainte Trinité des

actions

La rédemption

des banques

européennes

Pas facile

d’abandonner les

vieilles recettes

Cette situation pose un véritable dilemme pour les gérants actions qui refusent de

participer à cette bulle thématique. S’ils n’investissent pas les flux qu’ils reçoivent selon les

standards dominants du marché, ils risquent fort de sous-performer leurs concurrents. S’ils

s’inclinent devant la tyrannie sectorielle du moment, ils contreviennent à l’esprit de leurs

obligations fiduciaires vis-à-vis des investisseurs finaux. Heureusement, les excès de marché

sont aussi une source d’opportunités, sans d’ailleurs devoir s’opposer frontalement au style

en vogue. On en trouve au sein même de la bulle avec les télécoms européennes, à sa

périphérie avec les techs américaines, et enfin en dehors avec les banques européennes.

Elles ressemblent à des défensives, mais elles sont délaissées car leurs marges ont été

rognées par un environnement réglementaire de plus en plus contraignant. Il s’agit des valeurs

de téléphonie européennes. Pour le reste, ces valeurs offrent des dividendes élevés et des

ventes stables. La bonne nouvelle est que le régulateur européen a enfin compris les bénéfices

de son effacement pour l’industrie, en décidant en juin 2012 de ne pas règlementer le secteur

de la fibre optique en Europe afin de permettre de rattraper le retard pris sur l’Asie et les

Etats-Unis. Les stratégies des entreprises européennes du secteur sortent également de leur

stratégie ultra-défensive de restructuration interne pour une approche plus proactive avec la

multiplication des joint-ventures. Avec un PE de 9, les télécoms européennes sont des

défensives très peu chères, dont le rendement des capitaux propres devrait être soutenu par

une amélioration des marges opérationnelles.

Les valeurs technologiques américaines partagent également certains attributs donnés aux

défensives. Leur rentabilité économique élevée leur a permis d’accumuler un véritable trésor

de guerre de trésorerie. La décision récente d’en distribuer une partie aux actionnaires par

versement de dividendes et rachats d’actions devrait contribuer à soutenir le rendement des

capitaux propres. Ce secteur n’est pas particulièrement bon marché (PE de 15), mais la volonté

de re-leverager leur bilan est un signe supplémentaire du passage à une stratégie offensive de

la part des équipes dirigeantes. Les techs américaines paient des dividendes, rachètent leurs

actions et sont exposées à la croissance. Si l’on ajoute qu’elles sont peu sensibles au risque de

hausse des taux, il ne manque presque rien à la check-list type de l’investisseur actions.

Avec un retour sur capitaux propres de 15% avant la crise de 2008 et de seulement 8%

aujourd’hui, les banques européennes ont subi de plein fouet le durcissement de la

réglementation et la crise de la zone euro. La baisse des tensions dans l’UEM et l’étalement

dans le temps de l’application des nouvelles règles de Bâle 3 constituent un environnement

nettement moins défavorable pour le secteur. Mais c’est surtout les actions du management

pour améliorer la rentabilité dans ce nouveau cadre règlementaire par une allocation plus

efficace du capital (fermeture de certaines activités, réorientation sur les points forts les plus

rentables) qui n’est pas encore pleinement reconnue par le marché. Ces valeurs ont une

valorisation attractive, sont faiblement détenues et ont la perspective de voir leur rentabilité

remonter autour de 12%. Elles ont enfin le précieux avantage d’être indépendantes des

grands thèmes sectoriels qui ont dominé ad nauseum les marchés d’actions ces dernières

années.

L’optimisme nouveau que révèlent les flux entrants sur les actions des pays développés est

aujourd’hui incohérent avec le scepticisme de l’industrie de la gestion actions. Cette

contradiction pourrait bien être le signe d’un changement structurel de l’allocation optimale

du capital dans l’économie mondiale. En effet, par inertie et par convexité, les intervenants de

marché continuent à appliquer le filtre du passé d’un monde de croissance atone dans les pays

développés dominé par la prudence des managements, la contrainte règlementaire et

l’aversion pour le risque des investisseurs. Cette lecture est de plus en plus décalée de la

réalité sous-jacente à l’appétit pour les marchés d’actions du G3. Celle-ci reflète, en effet, la

confiance retrouvée des investisseurs finaux dans le rendement du capital productif des

entreprises des pays développés. Une telle anticipation est rabaissée par le pessimisme sous-

jacent à la gestion actions à la mode en ce moment. Cette situation est malsaine, voire

dangereuse, car les flux entrants nourrissent malgré eux une bulle sectorielle contraire aux

attentes des investisseurs. Il faut s’attendre à ce que l’échec des vieilles recettes soit cuisant et

source d’une profonde désillusion.