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C.L. c. J.Le. 2010 QCCA 2370 COUR D’APPEL CANADA PROVINCE DE QUÉBEC GREFFE DE MONTRÉAL N° : 500-09-018916-080 (500-17-019047-045) DATE : le 20 décembre 2010 CORAM : LES HONORABLES PIERRE J. DALPHOND, J.C.A. ALLAN R. HILTON, J.C.A. LISE CÔTÉ, J.C.A. C... L... APPELANTE – Demanderesse c. J... LE... INTIMÉ – Défendeur ARRÊT [1] LA COUR; -Statuant sur l'appel d'un jugement rendu le 21 juillet 2008 par la Cour supérieure, district de Montréal (l'honorable Sylvie Devito), qui a accueilli en partie la requête introductive d'instance de l'appelante et a condamné l'intimé à lui payer 13 892,88 $ avec les intérêts et l'indemnité additionnelle depuis l'assignation et les dépens; [2] Pour les motifs du juge Dalphond, auxquels souscrit la juge Côté, et ceux de la juge Côté, auxquels souscrit le juge Dalphond : [3] ACCUEILLE l'appel avec dépens, tant en Cour supérieure qu'en Cour d'appel; [4] INFIRME le jugement de la Cour supérieure;

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C.L. c. J.Le. 2010 QCCA 2370 COUR D’APPEL

CANADA PROVINCE DE QUÉBEC GREFFE DE

MONTRÉAL

N° : 500-09-018916-080 (500-17-019047-045)

DATE : le 20 décembre 2010 CORAM : LES HONORABLES PIERRE J. DALPHOND, J.C.A.

ALLAN R. HILTON, J.C.A. LISE CÔTÉ, J.C.A.

C... L...

APPELANTE – Demanderesse c. J... LE...

INTIMÉ – Défendeur

ARRÊT [1] LA COUR; -Statuant sur l'appel d'un jugement rendu le 21 juillet 2008 par la Cour supérieure, district de Montréal (l'honorable Sylvie Devito), qui a accueilli en partie la requête introductive d'instance de l'appelante et a condamné l'intimé à lui payer 13 892,88 $ avec les intérêts et l'indemnité additionnelle depuis l'assignation et les dépens;

[2] Pour les motifs du juge Dalphond, auxquels souscrit la juge Côté, et ceux de la juge Côté, auxquels souscrit le juge Dalphond :

[3] ACCUEILLE l'appel avec dépens, tant en Cour supérieure qu'en Cour d'appel;

[4] INFIRME le jugement de la Cour supérieure;

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[5] CONDAMNE l’intimé à payer à l’appelante la somme de 137 837,12 $, avec l'intérêt au taux légal majoré de l'indemnité additionnelle, et ce, depuis la date d'assignation;

[6] DÉCLARE la saisie avant jugement bonne et valable jusqu'à concurrence dudit montant.

[7] De son côté, pour d'autres motifs, le juge Hilton aurait accueilli l'appel pour partie, sans frais compte tenu du succès mitigé, et substituerait au paragraphe [156] du jugement de la Cour supérieure la somme de 45 330,01 $ à celle de 13 892,88 $, en plus de déclarer bonne et valable la saisie avant jugement jusqu'à concurrence de la somme de 31 437,13 $, avec intérêts et indemnité additionnelle à compter de la date de l'assignation en première instance.

PIERRE J. DALPHOND, J.C.A. ALLAN R. HILTON, J.C.A. LISE CÔTÉ, J.C.A. Me Chantal Desjardins Pour l’appelante Me Luc Tétreault TÉTREAULT, RENAUD, CIANNI, MARKARIAN, AVOCATS Pour l’intimé Date d’audience : le 11 février 2010

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MOTIFS DU JUGE DALPHOND

[8] Cette affaire est relative à l'application du concept de l'enrichissement injustifié entre des conjoints de fait de plus de 11 ans, période pendant laquelle est né un enfant et où le niveau de vie de la famille s'est constamment amélioré grâce aux apports financiers des deux. Selon le jugement attaqué, l'appelante se retrouve à la fin de la vie commune avec des pacotilles, elle qui avait une entreprise au début de la vie commune et a toujours eu des revenus, alors que l'intimé, arrivé en ménage avec rien ou presque, garde le produit de vente de la résidence familiale (plus de 303 000 $), les meubles et les deux véhicules utilisés pour les besoins de la famille, sans parler de ses REER et des comptes bancaires. L'injustice est flagrante!

I

[9] J'écris après avoir lu les motifs de mes collègues de formation. Comme eux, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi de l'appelante et de lui accorder, au lieu de la somme de 13 892,88 $ reconnue par l'intimé et retenue par la juge de première instance au titre du « remboursement du solde d'un prêt », une indemnité au titre de l'enrichissement injustifié de l'intimé. Contrairement à mon collègue le juge Hilton, je suis d'avis que l'analyse de la preuve doit être reprise, car elle a été faite en première instance à travers un prisme erroné (non-application des présomptions découlant du code civil et de la jurisprudence), et a omis, comme le démontre la revue fouillée de ma collègue la juge Côté, des pans de preuve. Pour les motifs ci-après, qui complètent ceux de la juge Côté auxquels je souscris, je crois qu'un montant de 151 730 $ au titre de l'enrichissement injustifié est de mise, proposition qu'elle partage.

II

[10] L'analyse pour déterminer s'il y a eu enrichissement injustifié entre des conjoints de fait et l'indemnité en résultant (art. 1493 C.c.Q.) doit se faire en appliquant une approche analogue à celle développée en matière de prestation compensatoire entre conjoints mariés (art. 427 C.c.Q.). En effet, cette analyse fait appel aux mêmes six critères juridiques (G.L. c. N.F., J.E. 2004-1189 (C.A.), par. 72) et poursuit une même finalité de justice et d'équité (S.S. c. D.C., 2010 QCCA 2309, par. 53).

[11] Dans G.L. c. N.F., je résume ainsi l'approche applicable à une demande de prestation compensatoire :

[72] La prestation compensatoire est une mesure de justice et d'équité qui repose sur les principes de l'enrichissement sans cause (P. (S.) c. R. (M.), [1996] 2 R.C.S. 842; M. (M.E.) c. L. (P.), [1992] 1 R.C.S. 183; Lacroix c. Valois, [1990] 2

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R.C.S. 1259; Droit de la famille – 2545, [1996] R.D.F. 745 (C.A.)). Pour décider s'il y a lieu d'accorder une telle prestation, la Cour supérieure doit se livrer à une analyse libérale et globale de la situation des parties, prenant en compte tous les apports des époux. Les éléments à établir par la personne qui la réclame sont : 1) l'apport de cette dernière, 2) l'enrichissement du patrimoine du conjoint (hors le patrimoine familial), 3) le lien de causalité entre les deux, 4) la proportion dans laquelle l'apport a permis l'enrichissement, 5) l'appauvrissement concomitant et 6) l'absence de justification à l'enrichissement. J'ajoute qu'elle n'a pas pour objet de rééquilibrer les patrimoines des ex-conjoints (Droit de la famille – 2095, [1995] R.D.F. 1 (C.A.)). [je souligne]

[12] Le/la juge saisi(e) d'une demande d'indemnité pour enrichissement injustifié par le/la conjoint(e) de fait donc se livrer à une analyse libérale et globale de la situation des parties, prenant en compte tous les apports des conjoints durant la vie commune. Il ne s'agit pas d'un exercice de juricomptabilité comme a tenté de le faire l'intimé en première instance.

[13] Au contraire, il faut adopter dans l'analyse des éléments factuels et juridiques une souplesse particulière qui sied à la nature des rapports entre des conjoints (Lacroix c. Valois, [1990] 2 R.C.S. 1259, p. 1279).

[14] De plus, la détermination de la satisfaction des six critères juridiques énoncés ci-haut est facilitée par des présomptions. Dans M.B. c. L.L., [2003] R.D.F. 539, j'écris avec l'accord des collègues François Pelletier et Pierrette Rayle :

[37] Je suis d'accord avec l'intimée lorsqu'elle énonce que deux présomptions peuvent découler d'une union de fait de longue durée, à savoir corrélation entre enrichissement et appauvrissement et absence de motifs à l'enrichissement. Plusieurs jugements de la Cour supérieure ont d'ailleurs retenu cette approche, qui tient plus de la preuve des critères de l'art. 1493 C.c.Q. que du droit substantif, s'inspirant de l'arrêt de la Cour suprême dans Peter c. Beblow, [1993] 1 R.C.S. 980. J'ajoute quant à l'absence de justification à l'enrichissement que notre Cour, dans Droit de la famille – 359, [1990] R.J.Q. 983 (C.A.), a énoncé que l'amour ne constitue pas une justification pour une situation qui se caractérise objectivement d'exploitation. [je souligne]

[15] Dans un arrêt récent, Barrette c. Falardeau, 2010 QCCA 989, commentant ces présomptions et plus particulièrement, celle de corrélation, la Cour (les juges Thibault, Rochon et Léger) déclare :

[26] Dans l'arrêt de principe M.B. c. L.L., la Cour, sous la plume du juge Dalphond, retient que deux présomptions peuvent découler d'une union de fait de longue durée. L'on peut présumer, d'une part, de l'existence d'une corrélation entre l'enrichissement et l'appauvrissement et, d'autre part, de l'absence de justification à cet enrichissement.

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[27] À cet égard, le juge Dalphond s’appuyait sur les propos du juge Cory dans l’affaire Peter c. Beblow, précité. Ce dernier s’exprimait en ces termes :

Plus particulièrement, dans un mariage ou dans une union de fait de longue durée, on devrait, en l’absence d’une preuve contraire forte, conclure que l’enrichissement d’une partie donnera lieu à l’appauvrissement de l’autre. [je souligne]

[16] La juge de première instance n'a pas reconnu et appliqué ces principes et présomptions favorables à l'appelante dans sa réclamation d'une indemnité pour enrichissement injustifié. Bien au contraire, elle a exigé qu'elle démontre de façon prépondérante quand et comment elle avait contribué à l'enrichissement indéniable de l'intimé pendant la vie commune. Cela constitue des erreurs de droit, lesquelles ont manifestement teinté son analyse de la preuve.

III

[17] En l'espèce, il n’y a pas de doute que l’appelante a fait des apports, que l’intimé s’est enrichi pendant la vie commune, que l’appelante sort appauvrie après la rupture, et que les présomptions établissent une corrélation entre l’enrichissement de l’un et l’appauvrissement de l’autre et une absence de justification à cet enrichissement. Reste à déterminer la proportion dans laquelle l’apport de l’appelante a permis l’enrichissement.

[18] La preuve démontre que l'appelante et l'intimé étaient copropriétaires indivis de la première résidence, acquise en juin 1995, soit pendant la vie commune, et payée essentiellement à même des remboursements hypothécaires tirés sur le compte conjoint des parties ouvert en mars 1995 et où les parties déposaient leurs revenus.

[19] Or, de 1992 à 1996, les liquidités de l'appelante étaient supérieures à celles de l'intimé, qui gagnait un revenu imposable variant entre 32 000 $ et 40 000 $ et qui devait payer une pension alimentaire à son ex-épouse (200 $/mois en 1995). L'analyse soigneuse de la preuve que fait la juge Côté confirme que pendant ces années, l'appelante s'occupait à temps plein de son école de danse fréquentée par une centaine d'élèves par trimestre et organisait deux spectacles par année, un dans le temps des fêtes et l'autre en juin, ces derniers rapportant des milliers de dollars en argent liquide. Tous ses revenus étaient utilisés selon les instructions de l'intimé. Ainsi, une fois le compte conjoint ouvert, elle y dépose les pensions alimentaires qu'elle reçoit pour ses deux enfants issus d'une union précédente (environ 8 000 $ par an), les soutiens étatiques, des revenus comptabilisés de son école et des revenus en liquide non comptabilisés.

[20] Il est vrai qu'à compter de 1996, les revenus d'emploi de l'intimé connaissent une croissance significative (1996 : 66 000 $; 1997 : 72 000 $; 1998 : 89 900 $; 1999 : 112 300 $; 2000 : 127 657 $; 2001 : 83 480 $; 2002 : 78 534 $, des montants imposés à

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la source). Dès lors, l'intimé entreprend de contribuer jusqu'en 1999 au maximum à des REER en son nom : 1996 : 4 943 $; 1997 : 5 020 $; 1998 : 8 343 $; 1999 : 15 901 $; cependant en 2000, il ne verse que 3 303 $ et en 2001, 3 355 $. Il continue de payer 200 $ par mois à son ex-conjointe et devient en mai 1998 le papa d'un fils issu de son union avec l'appelante, ce qui forcément entraîne de nouvelles dépenses pour lui.

[21] Pendant cette période, les revenus de l'appelante connaissent aussi une augmentation; ainsi en 1998, l'école doit déménager dans des locaux plus grands. Confirmation d'une augmentation de la partie des revenus déclarés, l'intimé met sur pied en septembre 1998 une structure parallèle (une deuxième école au nom de sa mère âgée, non impliquée), afin que les revenus déclarés des activités de danse de l'école au nom de l'appelante n'excèdent pas le seuil de 30 000 $ qui rend obligatoire l'inscription pour la TPS (Loi sur la taxe d'accise, L.R.C., ch. E-15, art. 148). De même, sa comptabilité des revenus et dépenses de l’école de danse fait en sorte que la ponction fiscale est faible ou inexistante. Bref, les revenus de l’école de danse sont pratiquement non imposés, contrairement à ceux de monsieur.

[22] Je retiens de la preuve que la contribution des parties à la richesse familiale est équivalente jusqu'en 1998. Ainsi, cette année, l'intimé a gagné près de 90 000 $; sa contribution aux besoins de la famille, après déduction des impôts fédéral et provincial, de la pension payée à son ex-épouse et ses contributions à son REER, ne peut excéder 43 000 $, et ce, en tenant compte du fait que les trois enfants sont déclarés à charge de l'intimé pour réduire ses impôts et en tenant pour acquis qu'il n'a pas mis de côté pour son avantage personnel une partie de ses revenus nets. Quant à l'appelante, elle déclare des revenus bruts d'entreprise de 22 000 $ et une pension alimentaire de 8 000 $ et ne paie pratiquement pas d'impôts après diverses déductions contre ses revenus d'entreprise. Comme indiqué plus haut, les agissements de l'intimé indiquent que les revenus réels d'entreprise auraient excédé les 30 000 $, sans parler des entrées liquides que confirment les relevés bancaires (voir l'analyse de ma collègue). La preuve, analysée avec souplesse, permet de conclure que l'appelante a contribué tout autant ou presque que l'intimé à la richesse familiale en 1998.

[23] Il est hautement possible qu'en 1999 et 2000, l'apport financier de l'intimé ait surpassé celui de l'appelante, la mère de son nouvel enfant. J'y vois un retour du pendule par rapport aux années 1992 à 1996.

[24] Bref, une analyse libérale et globale de la situation des parties, prenant en compte tous les apports des conjoints, fait voir que l'appelante a contribué de façon importante au compte conjoint jusqu'à la fermeture de l'école en juin 2000, après le spectacle de fin d'année. Par la suite, elle a continué à travailler à temps partiel quelques soirs par semaine pour d'autres écoles et a vu aux besoins de la famille.

[25] Pendant la période précédant la fermeture de l'école, non seulement les versements hypothécaires reliés à l'acquisition de la première résidence familiale acquise en juin 1995 sont acquittés régulièrement (123 $/semaine), mais sont aussi

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faits des remboursements de capital de plus de 30 000 $, dont 5 000 $ en 1996 et 7 500 $ en début 1997, tant et si bien que l'hypothèque est éteinte en début mai 2000. Il n'est alors que raisonnable de conclure que les coûts reliés à l'acquisition de la première résidence ont été supportés tout autant par l'appelante que l'intimé et que le produit de sa vente revient aux deux également.

[26] Néanmoins, mon collègue le juge Hilton propose un partage inégal de ce produit en soulignant qu'une mise de fonds de 47 400 $ a été faite en début de 1995 par un chèque tiré sur le compte personnel de l'intimé. De ce fait, il lui reconnaît de facto une « récompense » de cette magnitude sur le prix de vente de la première résidence en 2001. Je ne suis pas d'accord. L'acte notarié d'achat, signé en 1995, ne pourvoit pas à une telle solution, ni ne mentionne un apport particulier de l'intimé. L'acte stipule plutôt que les deux parties sont les acheteurs, donc des copropriétaires indivis, présumés égaux (art. 1015 C.c.Q.). Il revenait à l'intimé de réfuter cette présomption par preuve contraire (art. 2847 C.c.Q.), règle de droit ignorée en première instance. Puisque l'intimé s'est contenté de rapporter uniquement la preuve du paiement de l'acompte à partir d'un compte personnel, il n'a pas réfuté la présomption (il est d'ailleurs difficile de comprendre comment l'intimé avec des revenus imposables de 36 000 $ en 1992, 32 000 $ en 1993, 35 000 $ en 1994 et 21 000 $ au 30 juin 1995, aurait pu accumuler 47 000 $) nets. Il lui fallait plutôt démontrer l'existence d'une entente entre les parties prévoyant qu'il aurait droit de recevoir plus qu'une moitié advenant la vente ou une séparation, ce qu’il n’a pas fait.

[27] Il s'ensuit que le produit net de la vente de la première résidence familiale en mai 2001 (110 274,16 $) appartenait en parts égales aux deux parties. Il est d'ailleurs significatif de constater que l'intimé l'a déposé en totalité dans le compte conjoint, lui qui contrôlait tous les comptes bancaires. Ce montant a été réinvesti en totalité dans les frais de construction de la nouvelle résidence au printemps 2001 et constitue une contribution égale des deux parties.

[28] Je suis aussi d'accord avec mes collègues pour conclure que rien dans la preuve ne permet de soutenir la thèse de l'intimé que l'appelante lui aurait alors fait don de sa part dans le produit net de la vente, elle qui a fermé en juin 2000 son école de danse et a vu ses revenus réduits en ne travaillant plus qu'à temps partiel pour des tiers. D'ailleurs, elle affirme le contraire et soutient que les parties avaient convenu que la nouvelle résidence serait au nom des deux parties, ce que confirme la logique et le fait qu'elle a encaissé en avril 2001, un des rares investissements en son nom personnel, de plus de 22 193 $, pour le déposer dans le compte conjoint où il a servi à payer des coûts de construction comme le reconnaît l'intimé.

[29] L'appelante a donc contribué en numéraire, au moins, 77 350 $ aux frais de la construction terminée en juin 2001 de la deuxième résidence, totalisant 220 000 $ selon la preuve très détaillée faite par l'intimé (il est dommage qu'il n'est pas été en mesure d'en faire autant pour les revenus de l'école de danse). Je souligne que ces frais ont été

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payés sans qu'aucun emprunt ne soit contracté. Donc avec des sommes accumulées avant juin 2001.

[30] Quant au coût du terrain : 34 400 $, il a été payé en début janvier 2001, à même le compte conjoint (jugement, par. 62). Puisqu'aucun emprunt n'a été contracté pour le projet, ce montant provenait forcément de sommes accumulées avant décembre 2000, c'est-à-dire pendant la période décrite plus haut où les deux conjoints ont globalement contribué de façon similaire. Il faut alors logiquement conclure que cette somme provenait de leurs contributions.

[31] L'appelante a donc contribué au moins 94 550 $ dans l'aventure commune, dont le coût total était de 254 400 $. Dans ces circonstances, elle a alors droit à au moins 37 % du produit net de la vente de la deuxième résidence. Celle-ci a été vendue en avril 2004 pour un montant net de 303 460,84 $ gardé par l'intimé.

IV

[32] Je dis au moins, car cela ne tient pas compte de la contribution autre que monétaire de l'appelante à l'enrichissement de l'intimé. Ainsi, la preuve indique que c'est madame qui a déniché le terrain où fut construit la nouvelle résidence familiale, qu'elle a participé activement à la supervision des travaux, ayant plus de disponibilité que l'intimé qui travaillait à temps plein [à la Compagnie A]depuis 1998, où il faisait visiblement en 1999 et 2000 beaucoup d'heures supplémentaires d'après son haut niveau de revenu durant ces deux années par rapport aux autres (voir le résumé de la preuve de ma collègue la juge Côté).

[33] Clairement, la nouvelle résidence était l'affaire commune ou « joint venture » des parties, et non l'affaire personnelle de l'intimé comme il le plaide de façon surprenante.

[34] Selon le jugement attaqué, l'appelante n'aurait droit à rien pour cette contribution en nature. Une forme de bénévolat! Pourtant dans M.B. c. L.L., précité, la Cour reconnaît qu'il y a là matière à compensation :

[39] Par conséquent, je suis d'avis que l'objectif d'une action en enrichissement injustifié ne doit pas tendre à un rééquilibrage des actifs ou à un partage des patrimoines de chacun accumulés pendant la vie commune, mais uniquement à compenser une partie pour un apport, en biens ou en services, qui a permis à l'autre de se trouver en une position supérieure à celle qui aurait été la sienne n'eût été de la vie commune, bref de l'enrichir. C'est le cas, notamment, de la femme qui entreprend la vie commune avec un homme et ses jeunes enfants et qui, par la suite, s'occupe de l'entretien et de l'éducation desdits enfants, entretient et améliore sa propriété et pourvoit aux besoins de la famille, le tout sans rémunération, pendant que cet homme se consacre pleinement à sa carrière, ce qui lui permet de générer des revenus, d'éviter des dépenses,

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notamment pour la garde de ses enfants, et d'accumuler des actifs, comme dans l'affaire Peter c. Beblow, précitée.

(…)

[43] De plus, la preuve établit que pendant les périodes de rénovations et d'améliorations à la résidence, et plus particulièrement de 1992 à 1995, l'intimée était sur place quotidiennement et non l'appelant qui travaillait à ville A et qu'elle a consacré énergie et temps à la supervision quotidienne des rénovations et améliorations, sans recevoir une quelconque compensation pour ses efforts qui bénéficiaient à l'appelant puisque seul propriétaire de la résidence. L'appauvrissement de l'intimée est à la hauteur de ces nombreuses heures non rémunérées consacrées à la gestion des travaux commandés par l'appelant et difficilement quantifiables.

[44] Dans ces circonstances, un montant de 25 000 $ apparaît adéquat pour compenser l'appauvrissement de l'intimée, correspondant à 13 % de la plus-value de la résidence pendant la vie commune, part attribuable à ses emprunts, et à sa contribution à la supervision des rénovations et aux travaux domestiques. [je souligne]

[35] J'y vois une autre erreur de droit.

V

[36] En réalité, je le répète, la nouvelle résidence était une aventure commune et si le titre publié n'indique que le nom de l'intimé, rien dans la preuve ne supporte la conclusion que telle était la véritable intention des parties. Il s'agit manifestement d'un projet exécuté en étapes, où l'appelante a fait entièrement confiance à l'intimé, comprenant qu'elle serait à la fin une copropriétaire indivise comme pour la première résidence familiale. Malheureusement, à la suite de la séparation, l'intimé a préféré tenter de profiter de la situation en gardant tout le produit de la vente de la deuxième résidence.

[37] L'intimé a aussi gardé les deux véhicules, dont celui utilisé par l'appelante et acheté de la sœur de l'intimé en décembre 1999 à même le compte conjoint et des revenus liquides de l'école (repris à la séparation par l'intimé, puis revendu par lui 5 500 $), les meubles (achetés neufs en 2001 et d'une valeur en octobre 2003 d'environ 20 000 $) et a vidé le compte conjoint (plus de 27 000 $ en octobre 2003), sans parler de ses comptes personnels.

[38] Finalement, je rappelle que l'analyse des éléments factuels et juridiques requiert une souplesse particulière en cette matière.

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[39] Dans ces circonstances, je suis d'avis que l'appelante a droit à 50 % du produit net de la deuxième résidence, soit 151 730 $, montant qui portera intérêt au taux légal majoré de l'indemnité additionnelle (majoration appropriée considérant les autres biens que l'intimé s'est réservés lors de la séparation) depuis l'assignation le 28 janvier 2004. Ce montant, ainsi majoré, correspond à l'indemnité résultant de l'appauvrissement de l'appelante et de l'enrichissement injustifié de l'intimé.

VI

[40] L'intimé a acquitté en cours d'appel le montant de la condamnation selon le jugement attaqué, soit 13 892,88 $, avec l'intérêt majoré. Il reste donc à payer en capital 137 837,12 $, ce qui représente au 10 décembre 2010 une somme de 207 000 $, laquelle pourra être acquittée en grande partie, sinon en totalité, à même le solde des investissements saisis auprès de Courtage à escompte Banque Nationale, si ceux-ci ont fructifié depuis leur saisie en août 2004.

VII

[41] Pour ces motifs, je propose d'accueillir l'appel avec dépens, tant en Cour supérieure qu'en Cour d'appel, d'infirmer le jugement de la Cour supérieure, de condamner l’intimé à payer à l’appelante un montant de 137 837,12 $, avec l'intérêt au taux légal majoré de l'indemnité additionnelle, et ce, depuis la date d'assignation et de déclarer la saisie bonne et valable jusqu'à concurrence de cette somme.

PIERRE J. DALPHOND, J.C.A.

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MOTIFS DE LA JUGE CÔTÉ

[42] Contrairement à mon collègue, le juge Hilton, je suis d'avis d'accueillir en partie le pourvoi de l'appelante et de lui accorder un montant de 151 730 $ au titre de l'enrichissement injustifié de l'intimé au lieu de la somme de 13 892,88 $ accordée par la juge de première instance au titre du remboursement du solde d'un prêt.

[43] Bien que je sois d'accord en partie avec l'analyse faite par mon collègue, mes motifs diffèrent des siens relativement à l'absence d'enrichissement injustifié de l'appelante et sa conclusion, à l'instar de la juge de première instance, que les critères énoncés aux articles 1493 C.p.c. et suivants ne sont pas remplis. À mon avis, la preuve n'étaye pas l'existence d'une libéralité consentie par l'intimé quant à la résidence de la rue A de laquelle mon collègue déduit l'apport de 47 400 $ versé par M. Le... lors de l'achat de cette maison.

[44] Je me réfère en grande partie aux faits relatés par mon collègue, mais j'estime nécessaire d'insister sur certains aspects de la preuve.

[45] L'appelante rencontre l'intimé en 1991 par le biais d'un ami commun. Elle exploite une école de danse et a besoin d'aide pour faire la tenue des livres et la comptabilité de son école, puisque son associée, qui s'occupait de cet aspect, vient de quitter.

[46] L'intimé commence dès janvier 1991 à vérifier la comptabilité. Il se rend à l'école trois à quatre fois pas mois et s'occupe de la tenue de livres. En août 1991, il devient l'ami de cœur de l'appelante. Cette dernière vit dans un logement avec ses deux jeunes enfants, âgés de huit et quatre ans, issus d'une union précédente. Elle reçoit pour les enfants une pension alimentaire de 153 $ par semaine de son ex-conjoint.

[47] En juillet 1992, l'intimé vient vivre chez l'appelante. Il a peu de biens meubles, outre ses effets personnels, puisqu'il vient de se séparer de son épouse avec laquelle il a eu un enfant, dont celle-ci a la garde. L'intimé paie sa part des dépenses de loyer et de nourriture à raison de 25 % des coûts, l'appelante payant sa part et celle de ses deux enfants mineurs.

[48] Au moment de leur cohabitation, l'appelante exploite son école depuis plus de deux ans et l'intimé travaille comme consultant pour un salaire annuel de 36 605,62 $.

[49] Selon l'appelante, l'intimé participe à la gestion de l'école et s'occupe entièrement de la comptabilité en lui disant comment procéder au paiement du salaire de ses employés et en réduisant certaines dépenses, notamment en diminuant le

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nombre d'employés. À sa suggestion, les professeurs sont payés en argent comptant, et le salaire de la mère de l'appelante est diminué.

[50] En juin 1995, les parties achètent en copropriété indivise une maison située à ville B (rue A) au prix de 99 435 $ pour laquelle l'intimé donne un dépôt de 47 400 $, cette somme provenant de sa part dans la propriété acquise avec son ex-épouse et de ses économies. Les parties ouvrent alors un compte conjoint pour leurs transactions bancaires à partir duquel l'hypothèque de la maison est payée. Selon l'appelante, plusieurs dépôts provenant de l'exploitation de son école sont effectués dans ce compte. Selon l'intimé, les dépôts au compte proviennent principalement, voire exclusivement, de son salaire et du remboursement de ses dépenses de travail par son employeur.

[51] En juin 1996, l'appelante ferme son école à ville A et ouvre une nouvelle école à ville B, près du quartier où elle demeure. Le quartier est résidentiel et plusieurs familles avec de jeunes enfants y vivent, ce qui constitue un bassin d'élèves potentiels. Selon l'appelante, les affaires sont si bonnes qu'elle doit emménager dans un local plus grand en 1998, toujours à ville B. Cet aspect est confirmé par son employée qui travaillait comme réceptionniste à partir de l'automne 1996 jusqu'en 2000.

[52] Devant cette situation, l'intimé lui suggère de créer une autre entité et il lui propose que sa mère soit inscrite à titre de propriétaire, et ce, pour fractionner les revenus, ce qui, selon ses explications, évitera à l'appelante d'obtenir un numéro pour les taxes TPS et TVQ. L'appelante, en août 1998, enregistre le Studio A au nom de la mère de l'intimé et un compte commercial est ouvert pour cette entité. Le compte de l'École B est alors fermé et une partie du solde au compte bancaire est transférée à ce nouveau compte.

[53] Le [...] 1998, les parties ont un fils. Malgré ce fait, l'appelante continue de donner des cours de danse. Elle travaille de 18 h à 22 h du lundi au vendredi et toute la journée du samedi. Finalement, en juin 2000, elle décide de fermer son école de danse. Pour les six mois d'opération en 2000, le revenu brut d'entreprise déclaré est de 21 951,64 $. Elle continue toutefois de travailler comme professeur de danse de trois à six jours par semaine, chez trois employeurs différents.

[54] En 2000, les parties conviennent de construire une maison. La première maison est entièrement payée et ils projettent d'avoir une maison unifamiliale au lieu de l'actuelle semi-détachée, dont l'autre moitié appartient à la mère de l'intimé. Comme elle ne travaille pas le jour, l'appelante part avec son jeune fils à la recherche de terrains disponibles pour la construction de leur maison. Elle trouve le terrain que l'intimé réserve à son nom en lui disant que, lors de la passation des titres chez le notaire, ils régleront le tout.

[55] En janvier 2001, l'intimé achète le terrain situé à ville B, devenue la paroisse de ville C, au prix de 34 392,48 $. Plusieurs transferts bancaires sont effectués du compte

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conjoint pour le paiement des fournisseurs et de l'entrepreneur. L'intimé reconnaît avoir emprunté 22 000 $ de l'appelante pour couvrir des dépenses de construction de la maison. Paraît d'ailleurs au compte conjoint un transfert de 22 192,88 $ provenant du compte de l'appelante. Toutefois, selon l'intimé, il s'agit d'un prêt sans intérêt, l'entente étant que l'appelante pouvait se rembourser ce prêt en effectuant des retraits à sa convenance au compte conjoint, ce qu'elle a fait à raison de 8 300 $ en virements bancaires, le solde étant de 13 892,88 $ que la juge de première instance ordonne à l'intimé de rembourser.

[56] La construction de la maison commence en février 2001 pour se terminer en juin 2001, sans que l'appelante passe chez le notaire pour régulariser la situation.

[57] Selon l'intimé, c'est sa sœur qui a trouvé le terrain et non l'appelante. Il reconnaît que le produit de la vente de la première maison a servi à payer la construction de la deuxième. Toutefois, même si la première maison était en copropriété indivise, il affirme qu'il l'a entièrement payée seul. Ainsi, la deuxième maison lui revient en pleine propriété.

[58] L'intimé a longuement témoigné à partir de tableaux qu'il a préparés pour expliquer la provenance des dépôts au compte conjoint et les retraits effectués au même compte pour payer les frais de construction de la maison. À cet égard, il importe de souligner qu'aucun emprunt n'a été fait pour couvrir les coûts de l'achat du terrain et de la construction de la maison.

[59] En 2003, la relation des parties se dégrade. D'une part, les deux enfants de l'appelante issus d'une union précédente connaissent leur lot de conflits avec l'intimé et ils demandent à retourner vivre chez leur père. En outre, depuis leur départ, l'intimé refuse qu'ils viennent voir leur mère à la maison. D'autre part, l'appelante trouve que l'intimé est contrôlant. Elle dira : « […] puis je ne pouvais même pas m'habiller, je ne pouvais même pas sortir, je ne pouvais même pas aller prendre un café […] ».

[60] Il convient de souligner que, pendant toutes ces années pendant lesquelles l'intimé a fait la comptabilité de l'école, l'appelante a demandé qu'un salaire lui soit payé, ce avec quoi l'intimé n'était pas d'accord. Comme elle l'indique, dès qu'elle abordait le sujet, l'intimé lui rétorquait que ce n'était pas nécessaire.

[61] En octobre 2003, l'appelante avise l'intimé qu'elle va le quitter. Le lendemain, il se rend avec elle à la Caisse populaire pour fermer le compte conjoint. Il lui demande de lui remettre les clés de la voiture qu'il avait mise à son nom. Elle quitte pour aller vivre avec son jeune fils chez sa mère en apportant avec elle quelques effets personnels. Elle mentionne :

[…] Avec quoi je suis partie, au mois d'octobre, c'était les vieux meubles qu'il voulait jeter, puis moi je disais «Bien non, on va le garder, on va le mettre dans le sous-sol, on ne sait jamais, on va le donner à quelqu'un. Un jour, mon gars il part

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en appartement, tout ça.» Et je suis partie avec mes vieilles affaires, encore, essayer de séparer des choses, bien c'était trois assiettes, trois cuillères, et c'est ça. […]

Ça fait que là, je suis partie avec mes sacs à vidanges et puis mes quelques effets que j'avais, qui étaient vieilles (sic) pour lui, mais voyez-vous, il y avait trois télévisions dans cette maison-là, les systèmes de son, moi mon travail, j'avais ramassé ça toutes ces années-là, je me retrouve avec rien. Alors, on se retrouve, je m'en vais chez ma mère, mes sacs à vidanges, je reste trois mois là, j'essaie de me trouver un appartement…

…et je me suis fait des dettes. J'ai fait…le frigidaire, poêle, je n'avais rien. C'est ça.

[62] En ce qui a trait aux documents et livres comptables, elle affirme :

Ç'a toujours été monsieur Le... qui faisait la comptabilité, je ne m'en occupais jamais. Jamais, je n'étais pas là. Je n'étais pas capable, et je faisais d'autre chose. Alors, j'avais, je faisais confiance, il s'est occupé de mes papiers, et puis, avant de partir, quand je l'ai….quand j'ai parti en deux mille (2000), bon, on a fermé l'école, et en deux mille un (2001), je me souviens, il ne retouche plus aux papiers. Et j'ai voulu les ravoir, parce que quand je suis partie, je me suis dit bon, peut-être qu'il les a encore, il n'y a rien qui existe. Ça fait que…rien qui n'existe. Même pas mes documents quand je n'étais pas avec lui, j'avais des cassettes de spectacles, des archives que j'avais depuis que j'ai commencé quand j'étais toute petite, des photos, tous les papiers, les certificats. Je n'ai plus rien.

[63] Il importe de souligner que, pendant ces 11 années de cohabitation, l'intimé a préparé et produit toutes les déclarations de revenus de l'appelante de même que celles de sa mère qui est désignée comme administratrice de l'école en 1998. Seules les déclarations de revenus des années 1995 à 2000 sont disponibles, les autres n'ayant pas été conservées par l'intimé, lequel affirme qu'il a remis tous les documents personnels à l'appelante, ce qu'elle nie. Bien que les revenus bruts et nets d'entreprise soient indiqués dans les déclarations d'impôt disponibles (1995 à 2000), aucun état des résultats ou bilan n'y est joint, sauf pour celle de 1997 (P-20), lequel bilan confirme qu'aucun salaire n'était payé ni déclaré aux livres.

[64] Le 21 novembre 2003, dans le cadre du dossier relatif à la garde de l'enfant des parties, la juge Hallée de la Cour supérieure ordonne à l'intimé de remettre à l'appelante divers documents personnels, dont ses déclarations de revenus. En janvier 2004, l'appelante intente son recours, soit une action pro socio (reconnaissance d'une société tacite) et/ou une action pour enrichissement injustifié dans laquelle elle réclame le paiement d'une somme de 216 169,57 $ représentant la moitié de l'actif net de la société ou la somme de 167 130,42 $ correspondant à la moitié de la valeur des biens suivants, soit la maison vendue en avril 2004, dont le produit net s'évalue à

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303 460,84 $, les meubles meublants, la voiture et la moitié du solde au compte conjoint lors de son départ.

[65] La juge de première instance conclut qu'il n'a pas, en l'espèce, existé de société tacite entre l'appelante et l'intimé. Tout comme mon collègue Hilton, je suis d'avis qu'il n'y a pas lieu d'intervenir à l'égard de cette conclusion, la preuve n'ayant pas établi l'intention réelle des parties de contribuer à leur actif et leur passif respectif, même si l'intimé s'est impliqué de façon active dans la gestion comptable de l'école.

[66] En ce qui a trait à l'enrichissement injustifié, l'appelante, n'ayant pas en sa possession ses documents comptables relatifs à la gestion de l'école, a tenté d'établir les revenus d'entreprise de l'école en évaluant les recettes à partir des cours et des spectacles organisés par l'école. Elle a fait témoigner sa mère et la réceptionniste qui a travaillé à l'école de 1996 à 2000. Ces témoins affirment qu'en sus des cours donnés du lundi au samedi, à la session d'automne et à celle du printemps, un spectacle organisé par les professeurs et les élèves généraient des revenus par la vente des billets d'entrée (14 $ par personne) et des cassettes d'enregistrement du spectacle vendues aux parents et amis des élèves. L'appelante a ainsi établi que plusieurs sommes en argent comptant avaient été déposées au compte conjoint, sans toutefois pouvoir préciser les sommes exactes.

[67] Comme elle l'affirme dans son témoignage, il y avait une liste des élèves inscrits au cours; certains payaient par chèques, d'autres en argent comptant. Elle se rendait donner son cours le soir et son adjointe lui remettait en fin de soirée les paiements reçus. Cet aspect de son témoignage est d'ailleurs confirmé par la réceptionniste travaillant à l'école. L'appelante remettait ces sommes à l'intimé à son retour à la maison en soirée. Dans les jours suivants, l'intimé préparait les dépôts avec les instructions s'y rattachant, soit d'effectuer un dépôt dans le compte bancaire de l'école, au compte conjoint ou à son compte personnel. L'appelante effectuait les dépôts sans poser de questions.

[68] À titre d'illustration, la liste des élèves inscrits au cours de la session d'automne 1994 comporte 80 noms. Le coût est de 98 $ par élève pour la session, à raison d'un soir par semaine. Pour deux cours par semaine, le coût est de 182 $ pour la session. Chaque élève doit également payer une carte de membre de 15 $. Certes, l'appelante ne peut identifier les élèves inscrits à deux cours par semaine, mais en prenant le moindre, soit un cours par semaine, la session génère des revenus de 9 040 $. Comme il y a trois sessions de cours par année (automne - hiver - printemps), le revenu moyen de l'école est de 27 120 $ par année. À ceci s'ajoutent les revenus générés par les spectacles et les commanditaires, lesquels paient des frais pour de la publicité à paraître au programme du spectacle. Par exemple, en 1994, le spectacle de Noël, à 14 $ le billet et 410 sièges, a généré des revenus de 5 740 $. Selon les témoins présentés en demande, il y a eu plus d'une représentation du même spectacle. Il pouvait y avoir jusqu'à trois représentations (5 740 $ x 3= 17 220 $). Même constat pour

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le spectacle de Noël en 1995, où il y a eu trois représentations, lesquelles affichaient «complet», ce qui représente des revenus importants en argent comptant, et ce, sans compter les revenus des commanditaires. L'appelante affirme d'ailleurs qu'elle a remis 17 000 $ en argent comptant à l'intimé à la suite du dernier spectacle tenu le 3 juin 2000 et que cet argent a été gardé à la maison dans un coffret de sûreté pour servir lors de la construction de la deuxième maison, ce que l'intimé a nié.

[69] Il est certes loisible pour un juge de procès d'accorder foi au témoignage de l'intimé et de ne pas croire l'appelante si le procès se résume à leurs témoignages respectifs. Toutefois, plusieurs faits relatés par l'appelante sont confirmés par des témoins indépendants. Mme B..., qui a agi comme réceptionniste de 1996 jusqu'à la fermeture de l'école en 2000, vendait les billets pour les spectacles. Elle affirme que, en 1999 - 2000, il y avait 140 élèves à l'école. Les spectacles de Noël et de la fin des cours se tenaient au début au Théâtre A. Devant le succès de ces spectacles, ils ont, dès 1999, donné les représentations au Théâtre B, situé au Cégep du secteur, car la salle contenait 750 sièges au lieu des 400 places disponibles dans l'autre local. Il y avait au moins deux représentations dans cette salle. Les billets étaient payés en argent comptant. Les revenus générés étaient donc au moins de 20 000$, et ce, sans compter les revenus provenant de la vente des cassettes du spectacle (enregistrement vidéo) aux parents venus voir leurs enfants à l'œuvre.

[70] Pour l'appelante, l'école génère des revenus, les finances sont saines même si elle reconnaît avoir signé des déclarations de revenus dans lesquelles un solde négatif de revenus d'entreprise est déclaré. En outre, le changement de local pour un plus grand en 1998, de même que la suggestion faite par l'intimé de fractionner les revenus en créant une école au nom de sa mère à lui (Mme Le... alors âgée de 76 ans et n'ayant aucune expérience pertinente en matière de danse de son propre aveu lors de son témoignage), toujours en 1998, appuient sa prétention que l'école de danse génère des revenus et non des pertes. Il convient également de rappeler que, pendant toutes ces années, l'appelante travaille six jours par semaine sans recevoir de salaire.

[71] Toute la thèse de l'intimé repose en grande partie sur le fait que l'école était déficitaire et que l'appelante ne faisait pas de dépôts en argent comptant au compte conjoint. Fort en comptabilité, il produit au procès un tableau des entrées et retraits au compte conjoint dans lequel son salaire était déposé directement par son employeur, ce qui n'est pas contesté par l'appelante. Il attribue toutefois les autres dépôts de sommes importantes à des remboursements de comptes de dépenses par son employeur. De fait, comme le conclut la juge de première instance, l'intimé s'attribue une très large part de contribution financière au compte conjoint et la totalité pour l'acquisition des immeubles acquis durant la vie commune.

[72] La preuve en première instance a été longue et fastidieuse. L'appelante se révèle une artiste peu intéressée ni au fait des questions financières alors que l'intimé est fort en chiffres et s'occupe de toute la comptabilité du couple et même de celle de

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sa mère. À titre d'illustration, cette dernière, au procès, ne comprend pas la source des revenus d'intérêts (1 108 $) déclarés dans sa déclaration de revenus de 1998. Comme elle le mentionne, c'est l'intimé qui s'occupe de produire ses déclarations.

[73] Dès 1995, l'intimé réclame la déduction fiscale pour personnes à charge pour les deux enfants de l'appelante issus d'une union précédente en lui expliquant que cela est préférable. De 1995 à 2002, selon les déclarations de revenus de l'intimé produites en preuve, il réclame 40 000 $ au titre de la déduction fiscale pour enfants.

[74] En mai 1998, il conseille à l'appelante de fractionner ses revenus et d'enregistrer une deuxième entreprise au nom de sa mère (P-9) en lui expliquant qu'elle pourrait ainsi éviter de devoir exiger la TPS. Un compte bancaire est donc ouvert au nom de la mère de l'intimé le 4 septembre 1998, lequel a été fermé le 15 avril 1999.

[75] L'intimé explique, au cours de son témoignage, le dépôt d'une somme importante au compte conjoint (20 300 $), somme que sa sœur lui a remise à la suite de la construction d'une autre maison pour sa mère et sa sœur, située à l'arrière de chez lui. Ayant avancé cette somme à l'entrepreneur pour leur bénéfice, sa sœur l'a remboursée le 9 octobre 2003. Si l'intimé a avancé la somme de 20 000 $ à sa sœur et à sa mère pour la construction de leur maison en 2001, on peut s'interroger sur la provenance de cette somme puisque aucun retrait important n'est consigné dans son compte personnel à cette époque (P-65).

[76] Si on analyse la situation financière de l'intimé, ce dernier s'est considérablement enrichi au cours des 11 années de vie commune avec l'appelante. En acceptant son scénario qu'il a entièrement payé les coûts reliés à l'entretien et à l'achat des immeubles au cours de la relation, il en coûte plus de 220 000 $ pour construire la deuxième maison, laquelle est entièrement payée lorsque les parties y emménagent en juin 2001. La maison est entièrement meublée avec des meubles neufs qu'il a également payés. Il a de plus contribué à un régime enregistré d'épargne-retraite (REER) pour un total de 45 520,74 $ selon ses déclarations de revenus disponibles entre 1995 et 2002, de même que contribué à un régime d'épargne-étude de 10 000 $ pour son fils alors qu'il avait un an, sommes qui ont été prélevées en grande partie à même le compte conjoint des parties. Il a également payé la pension alimentaire pour son enfant issu d'une union précédente.

[77] Il est vrai que les revenus de l'intimé ont fluctué au cours de la vie commune. En 1992, son revenu total est de 36 605,62 $, en 1993 de 32 331,47 $, en 1994 de 35 375,42 $. En 1995, ses revenus d'emploi sont de 40 999 $, en 1996 de 66 101 $, en 1997 de 72 172 $. En 1998, il commence un emploi [à la Compagnie A] et, pendant trois années consécutives, ses revenus augmentent substantiellement. En 1998, son revenu d'emploi est de 89 941 $, en 1999 de 112 329 $, en 2000 de 127 657 $, en 2001 de 83 480 $ et en 2002 de 78 534 $.

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[78] Toutefois, l'analyse des comptes bancaires démontre que des dépôts d'argent comptant étaient non seulement effectués au compte commercial de l'école, mais également au compte conjoint. Selon la représentante de la Caisse, Mme Gagnon, plusieurs dépôts effectués au compte conjoint au comptoir étaient en numéraire puisque, lorsqu'il s'agit de dépôts de chèques, ceux-ci sont inscrits au titre du débit tant que le paiement du chèque n'est pas confirmé. Comme elle l'indique, le chèque est « gelé », sauf s'il s'agit de chèques émis par le gouvernement, de « chèques de voyage, des chèques visés, des traites, des mandats. Tout ce qui est, on est sûr que nous, en tant que Caisse, que ça ne reviendra pas impayé, finalement. » C'est donc dire que tous les chèques personnels, même s'il s'agit d'un dépôt auprès de la caissière, paraissent dans la colonne gauche du débit tout en étant calculé au titre du crédit.

[79] Tous les dépôts au compte conjoint sous les acronymes DEP et DSL correspondent à des dépôts effectués auprès d'une caissière, en grande partie par l'appelante de l'aveu même de l'intimé, puisque celle-ci travaillait en soirée et qu'elle était disponible le jour pour s'occuper des transactions bancaires. Quant aux dépôts effectués au guichet automatique, lesquels sont indiqués sous l'acronyme PGA, l'on ne peut pas distinguer à partir des relevés du compte conjoint les sommes en numéraire de celles provenant des chèques.

[80] La juge de première instance, après avoir énoncé les principes applicables en matière d'enrichissement injustifié, rejette la demande de l'appelante en concluant ainsi :

Application en l'espèce

[136] Lors de son interrogatoire hors cour tenu le 5 juillet 2004, le défendeur indique qu'une bonne partie des revenus de l'école ont été déposés dans le compte conjoint des parties entre 1995 et 1998. Devant le Tribunal, il se ravise, après avoir fait des vérifications plus poussées, dans les états de compte, après la tenue de cet interrogatoire.

[137] Il témoigne longuement à l'audience sur le résultat de ses vérifications, documents à l'appui. Sa démonstration permet de conclure que la plupart des dépôts que la demanderesse qualifie de revenus de l'école, sont en réalité des apports qui lui sont attribuables.

[138] Le Tribunal considère que la prétention de la demanderesse selon laquelle une certaine portion d'argent comptant provenant des activités de l'école a transité et été utilisée pour les différentes dépenses du ménage relève davantage de l'insinuation que d'une réalité concrète et prouvée de manière prépondérante. Et surtout, l'ensemble de la preuve ne permet aucunement de conclure quand et dans quelle proportion cela se serait produit.

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[139] Le Tribunal ne peut retenir les prétentions d'une partie que si une preuve probante et prépondérante lui est soumise. Il ne peut décider sur des inférences, des insinuations et des suppositions. C'est malheureusement ce que la demanderesse l'invite à faire ici.

[81] Selon la juge, la preuve présentée par l'intimé au moyen de son aide-mémoire ou tableau est convaincante et démontre que les apports au compte conjoint proviennent de l'intimé, ce qui l'amène à conclure que la maison sur la rue B a été entièrement payée par lui.

[82] Avec égards, je suis d'avis que l'analyse de la preuve faite par la juge du procès ne tient pas compte des entrées de fonds importantes au compte conjoint, lesquelles selon la thèse de l'intimé sont des remboursements d'impôt ou de ses comptes de dépenses. Or, si l'on tient compte du témoignage de l'ancien employeur de l'intimé, les dépenses de voyage étaient payées par l'employé et lui étaient ensuite remboursées par chèques. L'intimé devait débourser pour ensuite être remboursé, ce qui en principe ramène le solde du compte bancaire à zéro. De plus, l'intimé affirme que ces dépenses remboursées par son employeur valent également pour plusieurs dépenses payées au moyen de sa carte de crédit personnelle. Or, selon son employeur, la carte de crédit fournie par l'entreprise (American Express) devait servir à payer toutes les dépenses de voyage reliées au travail, et que ce n'est qu'exceptionnellement, voire rarement, que l'employé pouvait utiliser sa carte personnelle. Quant aux remboursements d'impôts, ceux-ci sont identifiables à partir des déclarations de revenus produites par l'intimé et des avis de cotisation.

[83] Tel que mentionné précédemment, l'exercice est fastidieux en ce que l'analyse des dépôts au compte conjoint, à partir de l'ouverture du compte en mars 1995 jusqu'à sa fermeture en octobre 2003, doit se faire selon les codes ou acronymes utilisés par la Caisse en départageant les retraits des dépôts. De plus, à même le compte conjoint se greffent des comptes satellites désignés par ES1 – ES2, représentant des comptes d'épargne stable dans lesquels l'argent est transféré et placé à meilleur taux. Il faut souligner que le compte est principalement géré par l'intimé qui choisit le mode d'épargne. Bien qu'un juge de procès n'ait pas à reprendre en détail toute la preuve, il faut s'assurer que celle-ci a été évaluée.

[84] À mon avis, plusieurs indices positifs corroboraient la version de l'appelante, lesquels ont été occultés par la juge de première instance. Il faut souligner que l'appelante a quitté la résidence familiale sans avoir accès à ses documents. Tous les bilans et états financiers de l'école ont disparu. L'appelante a dû présenter sa preuve par les témoins qui ont travaillé à l'école et confirmé les changements survenus dès 1991, dans la façon de tenir la comptabilité par l'intimé. De plus, des éléments de preuve confirment que l'intimé s'occupait de la tenue de livres, et que l'appelante lui vouait une confiance absolue, en acceptant de simuler une entité au nom de la mère de l'intimé, et ce, pour fractionner les revenus de l'école, lesquels ne devaient pas dépasser 30 000 $ selon ce dernier. Ces opérations ont été faites à la demande de

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l'intimé qui connaît bien les principes comptables. Pourquoi simuler l'existence d'une deuxième école si ce n'est pour éviter d'avoir à payer trop d'impôts vu l'augmentation des revenus. En outre, le total des revenus déclarés par les deux écoles en 1998 s'élève d'ailleurs à 35 213 $. Il s'agit ici des revenus déclarés, lesquels n'incluent pas les sommes d'argent payées en argent comptant.

[85] De plus, selon les déclarations de revenus de l'intimé produites pour les années de 1995 jusqu'à 2001, ce dernier demande la déduction pour les enfants à charge de 5 000 $ pour les enfants de l'appelante issus d'une union précédente. Cette dernière explique que l'intimé l'a informée qu'il était préférable qu'il prenne la déduction pour les enfants. Comme elle laissait l'intimé s'occuper des questions de comptabilité, elle lui a fait confiance à ce titre et n'a requis aucune explication.

[86] Durant leur cohabitation, les parties vivaient en situation maritale, chaque conjoint mettant ses avoirs disponibles pour l'autre dans un même compte. La pension alimentaire pour les enfants de l'appelante était déposée dans ce compte. Des transferts du compte de l'école au compte conjoint confirment l'apport de l'appelante. Un apport monétaire, lequel a servi à payer la deuxième maison construite à ville C sans qu'aucun emprunt soit nécessaire pour payer les fournisseurs, de même que les meubles neufs acquis après la construction de cette maison.

[87] Sans l'apport de l'appelante, l'intimé n'aurait pas été en mesure de payer en totalité la construction de la maison au coût de 219 930,78 $. Incidemment, l'intimé est très précis sur les coûts de la construction et il dépose même une facture de 3,45 $ de Rona l'Entrepôt alors que tous ses comptes de dépenses réclamés auprès de ses employeurs entre 1995 et 2001 ne sont pas disponibles pour confirmer les dépôts au compte conjoint du remboursement de ses dépenses. Même en acceptant que le document d'aide-mémoire de 323 pages, produit par l'intimé au cours du procès, sans divulgation préalable au procès, puisse servir en preuve, sa valeur probante doit être évaluée à partir de la preuve documentaire disponible au dossier. Séduisants à première vue, ces tableaux ne résistent pas à une analyse faite en corrélation avec les différents comptes, analyse qui devait être faite en première instance.

[88] Sans reprendre tous les aspects de la preuve démontrant l'apport monétaire de l'appelante au compte conjoint, certaines informations doivent être soulignées. Dès leur déménagement à ville B, dans la première maison acquise en copropriété indivise, les parties ouvrent un compte conjoint. Par la suite, l'appelante décide d'ouvrir une école de danse à ville B et de fermer celle de ville A. Elle ouvre donc un compte commercial à la caisse de ville B en juillet 1995, juste avant le début de la session d'automne. À titre d'illustration, le 28 août 1995, à 10 h 42, elle effectue un retrait au compte commercial de 1 200 $ et, à la même heure, elle effectue un dépôt de 3 360,15 $ au compte conjoint. Or, selon le témoignage de la représentante de la caisse, ce dépôt est en numéraire, sauf pour un chèque de 153 $, lequel correspond au chèque de pension alimentaire que l'appelante reçoit de façon hebdomadaire pour ses deux enfants, que

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l'on retrouve dans la colonne débit jusqu'à ce que le paiement soit certifié. Cela confirme la version de l'appelante d'autant qu'il s'agit de la période des paiements effectués lors de l'inscription des élèves au début de la session d'automne.

[89] On constate qu'il y a plusieurs dépôts au compte conjoint en sus du salaire de l'intimé, lequel est déposé directement au compte par son employeur, et du chèque hebdomadaire de pension alimentaire des enfants de l'appelante, lequel est déposé de façon récurrente. Il est utile de reproduire ces autres dépôts consignés au compte conjoint totalisant :

- En 1995 : 28 277,70 $;

- En 1996 : 42 449,84 $;

- En 1997 : 36 622,13 $;

- En 1998 : 29 292,39 $;

- En 1999 : 7 742 $;

- En 2000 : 10 761,54 $.

[90] L'appelante ne soutient pas que tous ces autres dépôts proviennent uniquement des revenus générés par l'école, mais elle plaide que les revenus en argent comptant étaient, soit déposés au compte conjoint ou conservés par l'intimé, ces sommes devant servir à la construction de la maison à ville C.

[91] L'appelante ne remet pas en cause les principes énoncés par la juge de première instance en ce qui a trait à l'enrichissement injustifié, mais plutôt l'application de ceux-ci. Ces critères bien connus sont repris par mon collègue dans ses motifs.

[92] Tout d'abord, la preuve établit l'apport véritable et appréciable de l'appelante. Cette dernière a travaillé pendant huit ans, sans recevoir de salaire et a contribué au compte conjoint en y faisant des dépôts substantiels de façon régulière. Elle s'est certainement appauvrie au cours de ces années alors que les revenus de l'école ont servi à contribuer aux dépenses courantes du couple et à l'acquisition de biens mobiliers et immobiliers. Il convient de souligner que l'hypothèque de la première maison a été entièrement payée à partir du compte conjoint. L'appelante a ainsi contribué à l'enrichissement du patrimoine de l'intimé qui, après une union de 11 années de vie commune, se retrouve seul propriétaire d'une maison luxueuse construite en 2001 au coût de 219 000 $, vendue en 2004, on ne sait pas à quel prix, mais, selon l'intimé, la vente a généré un produit net de 303 460,84 $. Il a également conservé les deux voitures du couple, puisque celle de l'appelante avait été enregistrée à son nom.

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[93] L'enrichissement injustifié ne constitue pas une redistribution des actifs et comme le rappelle le juge Dalphond de notre Cour dans l'arrêt B.(M.) c. L.(L.), [2003] R.D.F. 539, arrêt dont la juge de première instance s'est largement inspirée, l'objectif n'est pas de partager les patrimoines de chacun accumulés pendant la vie commune, mais vise « uniquement à compenser une partie pour un apport, en biens ou en services, qui a permis à l'autre de se trouver en une position supérieure à celle qui aurait été la sienne n'eût été de la vie commune, bref de l'enrichir. […] » (paragr. 39).

[94] Ce recours au caractère équitable vise à rétablir un équilibre entre la personne qui s'est appauvrie à la suite de son apport, et l'autre qui s'est enrichie, et ce, sans justification.

[95] Puisque aucun droit ou intérêt dans la résidence construite sur la rue B n'est reconnu à l'appelante alors que celle-ci a contribué à payer les sommes et dépenses encourues au cours de la construction, il s'agit d'une situation qui l'a manifestement et nécessairement appauvrie, laquelle a enrichi l'intimé d'autant, dont la corrélation entre l'appauvrissement et l'enrichissement est établie de même que l'absence de justification.

[96] Comme le rappelait le juge Gonthier, au nom de la Cour suprême, dans l'arrêt Lacroix c. Valois, [1990] 2 R.C.S. 1259, à la page 1278, en ce qui a trait à l'approche à suivre dans l'examen des critères :

D'une façon générale, l'analyse des éléments factuels et juridiques en matière de prestation compensatoire requiert donc une souplesse particulière. En cela, il m'apparaîtrait normal qu'elle diffère quelque peu de celle qui prévaut dans les autres domaines comme celui de la responsabilité civile, où l'exigence du lien de causalité, par exemple, est relativement stricte. Il est intéressant de noter à cet égard que le concept traditionnel de la causalité n'est pas appliqué en matière d'enrichissement sans cause: Banque canadienne nationale c. St-Germain, [1942] B.R. 496. Le demandeur doit certes démontrer une relation de cause à effet entre le fait appauvrissant ou l'appauvrissement d'une part et l'enrichissement d'autre part, mais l'exigence de cette relation est beaucoup moins rigoureuse que les standards évoqués par les notions de causa causans, de causa sine qua non ou de causa proxima: Jean-Louis Baudouin, Les Obligations (3e éd. 1989), no 553, à la p. 332. Posant les conditions d'ouverture de l'action de in rem verso dans l'arrêt Cie Immobilière Viger Ltée c. Lauréat Giguère Inc., [1977] 2 R.C.S. 67, notre Cour énonce l'exigence d'une simple "corrélation" entre l'appauvrissement et l'enrichissement. La souplesse est de rigueur et l'analyse hautement empirique. Or le lien de parenté très étroit unissant le recours pour enrichissement sans cause et celui de la prestation compensatoire n'a pas à être répété et je crois que sur ce point, l'approche retenue pour la première génération devrait prévaloir pour la seconde.

[Je souligne.]

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[97] Si l'on tient compte que, pendant les 11 années de vie commune, l'appelante a contribué au compte conjoint dans la mesure de ses moyens, qu'elle a travaillé pendant 8 ans sans percevoir de salaires, que la pension alimentaire qu'elle recevait pour le bénéfice de ses deux enfants était également déposée au compte conjoint, que les dépenses domestiques étaient payées à même ce compte de même que tous les coûts de construction de la maison familiale, j'estime que la moitié du produit net de la vente intervenue en avril 2004, soit la somme de 151 730 $, avec l'intérêt et l'indemnité additionnelle depuis l'assignation, lui revient.

[98] En conséquence, je suis d'avis de déclarer valide la saisie avant jugement jusqu'à concurrence de cette somme.

LISE CÔTÉ, J.C.A.

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MOTIFS DU JUGE HILTON

I INTRODUCTION ET MISE EN CONTEXTE

[99] Ce pourvoi remet en question les déterminations d'une juge de la Cour supérieure quant à l'existence d'une société tacite entre conjoints de fait ou, subsidiairement, d'un enrichissement injustifié d'un des conjoints au détriment de l'autre. À l'exception d'un élément du recours, la juge a rejeté la réclamation de l'appelante.

[100] C... L... et J... Le... ont fait vie commune pendant 11 ans. En juillet 1992, M. Le..., qui se décrit comme analyste-programmeur, emménage dans l'appartement meublé de Mme L... et ses deux enfants nés d'une autre union. À cette époque, M. Le... est le père d'une fille dont son épouse a la garde. En 1994, il obtient un divorce. Mme L... et M. Le... sont également les parents d'un fils, X, né le [...] 1998. La rupture des parties a lieu à la fin d'octobre 2003.

[101] Entre 1989 et juin 1996, Mme L... exploite une école de danse à ville A, puis à ville C jusqu'à l'an 2000, date de sa fermeture. Au début, elle engage M. Le..., sans rémunération, pour quelques heures par mois afin qu'il s'occupe de la comptabilité et des déclarations de revenus. L'implication de M. Le... dans les affaires de l'école s'intensifie avec le temps. Au cours de la même période, il occupe divers emplois rémunérés, soit en tant qu'employé à temps plein, soit en tant que consultant.

[102] Tout au long de la vie commune, les parties détiennent chacun un compte bancaire personnel et, en mars 1995, s'ajoute un compte conjoint auprès de la Caisse populaire de ville B. En juillet 1999, M. Le... ouvre un compte bancaire au bénéfice de X et y dépose 10 000 $. Cette somme sera retirée en 2001 et utilisée pour la construction d'une nouvelle résidence familiale.

[103] Le 23 juin 1995, les deux parties acquièrent une résidence en leurs noms à ville B, sise rue A, pour 99 434,66 $. Selon le jugement et le mémoire de M. Le..., il verse alors un acompte par chèque de 47 400 $ tiré de son compte personnel. Un emprunt hypothécaire de 50 000 $ aux noms des deux parties est contracté auprès de la Caisse populaire de ville B. L'hypothèque sera remboursée à même le compte conjoint par versements hebdomadaires de 123,09 $. Le couple parvient à rembourser l'entièreté du prêt avant la vente éventuelle de leur résidence.

[104] Le 6 janvier 1999, Mme L... retire 20 000 $ de son compte personnel afin de placer cette somme dans une épargne à terme. Le 5 avril 2001, l'épargne à terme est

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encaissée et 22 192,88 $ sont déposés au compte conjoint. Selon Mme L..., cette somme devait servir à la construction d'une seconde résidence, comme on le verra au paragraphe [105]. Pour sa part, M. Le... soutient qu'il s'agit plutôt d'un prêt sans intérêts consenti par Mme L... et affirme que celle-ci s'est subséquemment remboursée à hauteur de 8 300 $ par virements bancaires du compte conjoint à son compte personnel. Reconnaissant avoir effectué certains retraits, Mme L... nie cependant s'être remboursée d'une quelconque manière.

[105] Le 17 janvier 2001, M. Le... achète en son seul nom un terrain vacant situé rue B à ville C pour 34 392,48 $. Subséquemment, le couple entreprend la construction d'une autre résidence commune. Dans l'intervalle, Mme L... et M. Le... procèdent le 18 mai 2001 à la vente de la résidence de la rue A pour 114 900 $, de laquelle somme un montant net de 110 274,26 $ est versé au compte conjoint.

[106] Le 15 octobre 2003, Mme L... informe M. Le... qu'elle le quitte. La même journée, celui-ci retire 25 686,62 $ du compte conjoint et dépose les fonds dans son compte personnel. Le 21 octobre suivant, le nom de Mme L... est retiré du compte conjoint et M. Le... conserve le solde de 1 603,66 $. Elle quitte définitivement la résidence commune le 31 octobre 2003 avec pour seul actif la somme de 595,37 $ à son compte bancaire personnel, ses effets personnels et quelques meubles. M. Le... vend la résidence de la rue B en avril 2004 pour un produit net de 303 460,84 $, qu'il conserve1.

[107] La requête introductive d'instance de Mme L... est amendée après l'interrogatoire au préalable de M. Le.... Ensuite, Mme L... obtient, ex parte, une saisie avant jugement en main tierce de 200 000 $. Son affidavit au soutien de la demande pour la saisie en main tierce fait état, entre autres, de la vente par M. Le... de la résidence située rue B. La requête de M. Le... en annulation de la saisie avant jugement, invoquant l'insuffisance des allégations, est rejetée par la juge Cohen et l'audition portant sur la véracité est quant à elle reportée sine die.

[108] Selon le jugement entrepris et le mémoire de Mme L..., cette dernière réclame de M. Le... 216 169,57 $ pour sa part de la société tacite que le couple aurait formée ou, subsidiairement, 167 130,42 $ pour cause d'enrichissement injustifié. Ces montants ont été modifiés lors de l'instruction du procès par rapport à ceux figurant à la requête introductive d'instance amendée du 26 juillet 2004. La Cour supérieure rejette les prétentions de Mme L... quant à l'existence de la société tacite et à l'enrichissement injustifié, mais lui accorde 13 892,88 $ à titre de remboursement de ce que la juge qualifie de prêt consenti à M. Le...2.

[109] La première juge omet de valider ou de casser la saisie avant jugement pratiquée par Mme L..., tout comme elle omet de statuer sur la demande verbale de

1 L'acte de vente n'est pas produit au dossier en appel. 2 La condamnation contre M. Le... a été déclarée exécutoire par une formation de la Cour

le 17 septembre 2008 à la suite d'une requête de Mme L... que M. Le... n'a pas contestée.

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cette dernière quant à l'exécution provisoire nonobstant appel du jugement à être rendu3.

[110] Je propose d'examiner les questions soulevées par le pourvoi en suivant la même séquence adoptée par la première juge, soit d'abord l'existence alléguée d'une société tacite et ensuite les prétentions au sujet de l'enrichissement injustifié.

II LA SOCIÉTÉ TACITE

[111] Bien qu'elle écarte toute possibilité de société tacite entre 1992 et 1995 vu les lacunes de la preuve, la juge retient néanmoins que la situation financière de l'école et, partant, de Mme L... au début de la vie commune demeure précaire. Après avoir analysé la preuve pertinente, la juge résume ensuite les prétentions des parties pour la période entre 1996 et 2003.

[112] Quant à Mme L..., elle écrit ceci :

[91] La demanderesse avance que les parties ont formé une société pour réaliser un projet commun qu'elle définit comme étant la vie en couple, la mise en commun des ressources financières et l'administration profitable de son école en vue de constituer des actifs bénéficiant aux deux parties. Ce projet s'est notamment concrétisé par l'achat puis la vente d'une première résidence, puis la construction d'une seconde avec le produit de la vente de la première.

[92] Elle y a contribué financièrement notamment en déposant, au compte conjoint des parties, les versements de pension alimentaire reçus de son ancien conjoint, ainsi que les revenus générés par son école. Cette contribution visait le bénéfice commun des parties dont l'achat des résidences familiales, des meubles et des véhicules automobiles, de même que la constitution de placements.

[93] Le défendeur, par son comportement, a confirmé son intention de s'associer à elle :

1) en prenant le contrôle de la gestion de l'école de la demanderesse, sans rémunération;

2) en déposant, avant 1995, dans son compte personnel, les revenus provenant des activités de l'école et de la pension alimentaire versée à la demanderesse;

3 Cette dernière omission est maintenant théorique à la lumière de l'arrêt de la Cour

du 17 septembre 2008.

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3) en achetant la résidence de la rue A en copropriété avec la demanderesse;

4) en ouvrant un compte conjoint en 1995 et en y déposant ses revenus d'emploi et ses remboursements de dépenses, les confondant avec les revenus provenant de l'école et de la pension alimentaire de la demanderesse;

5) en achetant le terrain de la rue B à même les fonds détenus au compte conjoint;

6) en déposant le produit de la vente de la résidence de la rue A dans le compte conjoint;

7) en payant les dépenses de la construction de la résidence de la rue B à même le compte conjoint;

8) en prenant à sa charge les deux enfants de la demanderesse, nés de son union précédente, pour des fins fiscales, à la condition de rembourser les impôts pouvant incomber en conséquence à la demanderesse;

9) en enregistrant l'école de danse de la demanderesse au nom de sa mère, Y... Le..., entre les mois d'août 1998 et avril 1999.

[94] Bien que le défendeur ait géré le budget familial, elle s'est pour sa part occupée des charges familiales, a décoré les résidences, a recherché et a trouvé le terrain pour la construction de la seconde résidence, a participé à la supervision de la construction, incluant des rencontres avec des sous-traitants pour divers travaux, et a largement participé à l'aménagement paysager du terrain.

[95] Elle allègue qu'à la séparation, le défendeur se retrouve avec un avoir qu'elle évalue à 432 339,15 $ et qui est composé de ce qui suit :

1) résidence de la rue B (produit de la vente survenue en avril 2004) : 303 460,84 $;

2) fonds accumulés à titre de REER par le défendeur entre 1995 et 2002 : 46 422,08 $;

3) meubles (valeur déclarée au formulaire de fixation des pensions alimentaire produit par le défendeur le 17 novembre 2003) : 20 000 $;

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4) véhicule automobile de la demanderesse vendue par le défendeur : 5 400 $;

5) comptes bancaires, y compris l'ancien compte conjoint : 57 056,23 $.

[96] Ainsi, elle prétend avoir droit à la moitié de cette somme, soit 216 169,57 $.

[Référence omise]

[113] M. Le... invoque son rôle limité dans l'administration de l'école de danse et nie toute intention des parties de s'associer dans un projet commun. Voici comment la juge décrit ses prétentions :

[97] À propos de l'école, le défendeur plaide que sa participation s'est limitée à aider la demanderesse pour la tenue des livres et la préparation des déclarations de revenus annuelles. En tout temps, il a maintenu un emploi régulier et à temps plein qui le retenait souvent à l'extérieur.

[98] Il n'a fait aucune mise de fonds dans l'entreprise de la demanderesse, pendant les huit années durant lesquelles l'école a été exploitée durant la vie commune.

[99] Même s'il s'est impliqué aux niveaux comptable et fiscal, il n'a pas participé à son exploitation comme telle, ni aux décisions concernant la programmation, les inscriptions, l'embauche des employés, l'organisation des cours et des spectacles, ni aux dépenses, aux pertes, ni même aux profits, si tant est qu'il y en ait eu.

[100] Il nie l'existence de toute intention commune ou décision arrêtée pour faire de l'école de danse, un projet commun, commercial et lucratif avec la demanderesse. Jamais, selon lui, les parties n'ont voulu être associées dans cette entreprise.

[101] En ce qui concerne les résidences, il nie également toute intention de s'associer avec la demanderesse. Il ne s'agissait pas d'un projet commun d'investissement immobilier dans le but de faire un profit, mais d'un projet commun résultant de la cohabitation.

[102] Il s'attribue la très large part, pour ne pas dire la totalité, de la contribution financière requise pour l'acquisition des immeubles et pour leur entretien durant la vie commune. Il allègue que le compte bancaire conjoint, les comptes de placements établis à partir du compte conjoint, et ses autres comptes bancaires personnels qui ont servi à ces fins, ont essentiellement été constitués à partir de

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ses seuls revenus d'emploi, comptes de dépenses ou placements, à la quasi exclusion de toute contribution de la demanderesse. Il n'y a donc pas eu d'apport commun justifiant l'existence d'une société.

[114] La juge débute son analyse par un rappel de la nécessité pour une partie qui prétend à l'existence d'une société tacite entre conjoints de fait d'établir par une prépondérance de preuve tous les éléments essentiels, le simple fait de cohabiter ne pouvant à lui seul satisfaire à ce fardeau. Elle cite également l'extrait suivant des motifs du juge Lamer, alors juge puîné, dans Beaudoin-Daigneault c. Richard au sujet des conditions qui doivent être réunies pour conclure à l'existence d'une telle société :

Tacite, elle ne se constate qu’à partir d’une situation de fait, d’un vécu des associés. De ce vécu le juge du fond doit se satisfaire, en premier lieu, que chaque associé a fait des apports au fonds commun soit en argent ou en biens, soit par son travail. Aussi il est clair que l’apport, lorsqu’il s’agit d’un concubin, ne doit pas être simplement sa contribution à la vie commune, tel le fait de fournir des meubles ou encore d’assumer le train de la maison.

Le vécu doit aussi, en second lieu, révéler un partage des pertes et des bénéfices. Dans le cas d’une société entre concubins, ce partage est effectué ordinairement par l’affectation des bénéfices à la subsistance des associés. De même, chacun des concubins contribue aux pertes dans la mesure où celles-ci affectent le niveau de vie du ménage.

Enfin, les deux associés, par leur comportement, doivent démontrer qu’ils étaient animés de l’affectio societatis […]

Il est de l’essence d’une société tacite que les associés n’ait (sic)* point stipulé relativement à la part de chaque associé. Il en découle que l’apport de chacun dans la détermination de savoir si le vécu justifie de conclure à l’existence d’une société prend une importance d’autant accrue que le partage se fera toujours à part égale.4

[115] La juge procède ensuite à appliquer les principes de base aux faits retenus.

[116] Même si M. Le... a assuré la gestion comptable et fiscale de l'école de danse et soutenu Mme L... par sa présence et ses conseils, la juge rejette la prétention de cette dernière selon laquelle son conjoint aurait pris en charge l'école.

[117] Elle conclut également que la preuve ne démontre pas que les parties ont eu l'intention de s'associer. À cet égard, à titre d'illustration, elle est d'avis que le versement sporadique de la pension alimentaire de Mme L... au compte de M. Le... en 1994 et

* Le mot « sic » a été ajouté par la première juge. 4 [1984] 1 R.C.S. 2, 15 et 16.

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1995 n'est pas plus significatif que le paiement, par M. Le..., du loyer du logement de Mme L... habité par les parties de 1993 à 1995.

[118] La juge mentionne qu’ « il faut se garder de confondre l'assistance fournie par le défendeur à la demanderesse dans l'exploitation de son école et le soutien financier dans le contexte de la cohabitation d'une part, avec une intention claire de s'associer d'autre part ». Son examen des éléments constitutifs de la société, abstraction faite de la cohabitation des parties, ne la convainc pas du bien-fondé des prétentions de Mme L....

[119] Celle-ci revient à la charge en appel.

[120] Elle soutient premièrement que la juge a erré en omettant d'apprécier l'essentiel de la preuve qu'elle a présentée afin de démontrer l'existence d'une société tacite entre les parties, notamment, au sujet de la gestion de l'école de danse, les témoignages de sa mère, Mme A... T..., employée de l'école depuis l'ouverture jusqu'au déménagement de 1996; de Mme S... B..., réceptionniste de 1996 à 2000; et de Mme Y... Le..., mère de M. Le..., qui a servi de prête-nom à l'école de danse en 1998 et 1999.

[121] Elle se plaint également du fait que la juge a écarté sa version des faits sans indiquer pourquoi elle remettait en doute sa crédibilité pour plutôt, sans justification, retenir le témoignage de M. Le... alors même que certains éléments de preuve le contredisaient.

[122] M. Le... défend l'analyse de la juge quant à l'inexistence d'une société tacite. Il affirme qu'aucune erreur n'a été commise dans l'interprétation de la preuve, qui fut examinée dans son ensemble. Si la juge n'a pas retenu la version des faits mise de l'avant par Mme L..., c'est selon lui parce que celle-ci était vague et hypothétique. En ce qui concerne les témoignages de Mmes L... et B..., il affirme qu'elles ont confirmé ne l'avoir vu à l'école que sporadiquement, sans jamais donner d'ordre à quiconque.

[123] Mme L... ne remet pas en question les critères applicables aux fins de déterminer l'existence d'une société tacite entre conjoints de fait, non plus qu'elle ne qualifie de manifestement déraisonnables les déterminations factuelles de la première juge. Le reproche qu'elle formule à l'encontre du jugement entrepris est plutôt d'avoir « écarté la plus grande partie de la preuve non contredite sans dire pourquoi ». Elle nous demande donc de retenir de l'ensemble de la preuve, sans nous limiter à l'appréciation qu'en fait la première juge, notamment en matière de crédibilité des témoins, qu'une société tacite a bel et bien existé entre les parties.

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[124] L'exercice auquel Mme L... nous convie constitue précisément ce qu'une cour d'appel ne doit pas faire, comme l'a souvent rappelé la Cour suprême du Canada5. À cet égard, je fais miens les commentaires de mon collègue le juge Morissette6 :

[23] Lors de l’audition du pourvoi, la formation qui entendait l’appel a indiqué à l’avocat de l’appelante par les questions qu’elle lui adressait, qu’elle s’interrogeait sur l’impact en l’espèce de l’arrêt Housen c. Nicholaisen et de la jurisprudence inscrite dans le sillage de cet arrêt de principe. Concédant que la norme d’intervention est « plus complexe » (ou plus exigeante) en matière de questions de fait, l’avocat de l’appelante a répondu que le problème se situait ici au stade de l’application des principes pertinents. Il est impossible, a-t-il soutenu, de trancher de tels moyens d’appel « ab initio », sans avoir étudié le dossier et sans avoir entendu toute l'argumentation des parties.

[24] Cette réponse, qui n’est pas fausse, est cependant ambiguë et incomplète. « Étudier le dossier » ne signifie pas refaire le procès. Dans le domaine des faits, les rôles respectifs d’une juridiction de première instance et d’une juridiction d’appel sont dictés en grande partie par des considérations institutionnelles. Un juge de première instance, tout le monde le sait, a l’avantage de scruter la preuve documentaire ou matérielle, de voir et d’entendre les témoins, et d’assister au déroulement linéaire de la preuve, au rythme auquel les parties l’administrent. Un juge d’appel a l’avantage d’être saisi longtemps avant l’audience d’un dossier qui, en principe, contient déjà toute la preuve, ou du moins tout ce qui est pertinent au pourvoi. Il peut donc d’emblée demander aux avocats des éclaircissements sur le contenu du dossier et, comme il travaille avec les transcriptions des témoignages (ce qui est rarement le cas en première instance), il peut faire des recoupements pour confronter les informations contradictoires ou divergentes que contiennent presque tous les dossiers litigieux. Mais il ne voit ni n’entend les témoins et, surtout, les contraintes de temps que lui impose sa fonction ne lui permettent pas de refaire ce que l’on attend d’un juge de première instance, c’est-à-dire un examen minutieux de la preuve au rythme auquel elle fut présentée par les parties au procès. Hors les cas qui ne laissent pas de place au doute, il est donc mal placé pour réévaluer la crédibilité des témoins. Il lui faut par ailleurs compter sur l’assistance des avocats pour repérer et évaluer les prétendues erreurs de fait sur lesquelles se fonde une partie. D’où il suit qu’affirmer sans plus de précision qu’une conclusion de fait « est contraire à l’ensemble de la preuve » n’est d’aucune utilité en appel. Et prétendre qu’une chose est « manifeste » ne suffit pas à la rendre telle. À mon avis, c’est dans ce sens que doivent se comprendre les propos du juge Fish quand il écrivait ce qui suit dans l’arrêt H.L. c. Canada (Procureur général) :

5 Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254; Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33;

Prud'homme c. Prud'homme, [2002] 4 R.C.S. 663, 2002 CSC 85; H.L. c. Canada (procureur général), [2005] 1 R.C.S. 401, 2005 CSC 25.

6 P.L. c. Benchetrit, J.E. 2010-1600, 2010 QCCA 1505.

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… en plus de sa résonance, l'expression « erreur manifeste et dominante » contribue à faire ressortir la nécessité de pouvoir « montrer du doigt » la faille ou l'erreur fondamentale. Pour reprendre les termes employés par le juge Vancise, [TRADUCTION] « [l]a cour d'appel doit être certaine que le juge de première instance a commis une erreur et elle doit être en mesure de déterminer avec certitude l'erreur fatale » (Tanel, p. 223, motifs dissidents, mais pas sur ce point).

« Montrer du doigt » signifie autre chose qu’inviter la Cour à porter un regard panoramique sur l’ensemble de la preuve : il s’agit de diriger son attention vers un point déterminé où un élément de preuve univoque fait tout simplement obstacle à la conclusion de fait attaquée. Si cette conclusion de fait, dont on a ainsi démontré qu’elle était manifestement fausse, compromet suffisamment le dispositif du jugement, l’erreur sera qualifiée de déterminante et justifiera la réformation du jugement.

[Références omises. Je souligne]

[125] L'audience devant notre Cour à l'occasion d'un pourvoi ne constitue pas une seconde plaidoirie devant trois nouveaux juges agissant comme s'ils siégeaient en première instance et faisant abstraction des déterminations factuelles ayant mené au jugement entrepris. Elle ne saurait être envisagée de la sorte.

[126] Quant à l'implication grandissante de M. Le... au sein de l'école de danse au fil des années, elle ne saurait suffire à établir une intention commune de former une société tacite, surtout parce qu'un tel comportement est également compatible avec d'autres objectifs. Le simple fait que quelqu'un se rende disponible pour aider sa conjointe dans l'administration de son entreprise est insuffisant pour inférer l'existence d'une intention de s'associer.

[127] Certes, la preuve établit de manière irréfutable que M. Le... a assuré la gestion comptable de l'école, qu'il versait aux employés leur salaire en argent comptant et était présent sur les lieux à l'occasion, bien que son implication ne fût pas toujours sollicitée par Mme L....

[128] Au procès, S... B..., réceptionniste de l'école à compter de sa réouverture à ville C jusqu'à sa fermeture en 2000, a témoigné à cet effet. Évoquant les compétences très rudimentaires de Mme L... sur le plan informatique, elle déduit que les listes d'inscriptions et de comptes clients étaient préparées et mises à jour par M. Le.... Ce dernier aurait également été appelé à se rendre sur les lieux les samedis avec sa conjointe, et ce, jusque durant l'avant-dernière année d'opérations, Mme B... ayant elle-même assumé ce quart de travail par la suite.

[129] La mère de Mme L..., A... T..., a également témoigné au sujet du rôle de gestionnaire de M. Le.... C'est elle qui se chargeait de l'ensemble des tâches

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administratives jusqu'à l'arrivée de celui-ci, en plus d'assumer la confection des costumes. Selon Mme T..., c'est M. Le..., une fois que lui fut confiée la gestion comptable, qui déterminait le salaire qu'elle recevrait et voyait à le lui remettre, généralement en liquide. Elle le qualifie de gestionnaire, mais admet qu'il ne donnait pas d'ordre aux employés. À la suite du déménagement de l'école, son rôle s'est limité à la conception et à la vente des costumes, dont elle assumait entièrement la gestion.

[130] Enfin, Y... Le..., mère de M. Le..., a affirmé que c'est ce dernier qui préparait ses déclarations de revenus à l'époque où elle agissait à titre de prête-nom pour l'école, mais que c'est à Mme L... qu'elle fournissait les bordereaux de dépôts et les chèques en blanc pour la gestion quotidienne du compte bancaire de l'école.

[131] Cela dit, ces faits ne constituent pas une preuve suffisamment solide pour établir de manière prépondérante que M. Le... avait une intention claire de s'associer avec Mme L... dans l'exploitation d'une entreprise qui, selon la preuve, ne connaissait pas un succès florissant au moment de sa fermeture en 2000.

[132] Mme L... plaide que la juge aurait dû tenir compte des divers documents émanant de l'école de danse (calendriers, annonces publicitaires, programmes, photocopies de billets et plan des salles de spectacles) afin d'établir les revenus de l'entreprise. Il est certainement vrai que ces documents n'ont pas été contredits, mais leur utilité dans la détermination des revenus de l'école est nébuleuse. Rappelons que le tribunal n'a bénéficié d'aucune expertise comptable permettant de dresser le portrait financier réel de l'école de danse. Par ailleurs, il n'est pas possible d'affirmer, comme nous y invite Mme L..., que les données établies pour une année donnée sont représentatives des exercices financiers précédents et subséquents. Cela s'avérerait un exercice d'autant plus périlleux que le nombre d'élèves comme le coût des cours et des billets de spectacles variaient d'une année à l'autre.

[133] Mme L... prétend aussi que la juge a erré dans son appréciation des nombreux dépôts effectués aux différents comptes bancaires au cours des années 1995 à 2000. Le modus operandi des parties aurait été le suivant : alors que M. Le... préparait les bordereaux de dépôts des sommes générées par l'école, Mme L... se contentait de les déposer dans le compte choisi par son conjoint, soit le compte conjoint, soit le compte de l'école ou le compte personnel de Mme L....

[134] Il est difficile de tirer des inférences concluantes de la manière dont les parties se sont servies de leur compte conjoint à cette époque.

[135] Le salaire de M. Le... y est directement versé à compter du 30 juin 1995. Il y dépose de plus les remboursements des dépenses encourues dans le cadre de son travail, ses bonis, ses honoraires de consultation, ses retours d'impôts de même que certaines sommes provenant d'investissements personnels. La pension alimentaire que perçoit Mme L... y est généralement déposée jusqu'en juin 2000.

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[136] Les dépenses du ménage sont ordinairement effectuées à partir du compte conjoint, sans toutefois que cela exclue la possibilité qu'un paiement soit plutôt débité du compte personnel d'une des parties à l'occasion.

[137] De nombreux retraits, dépôts et virements sont effectués au compte conjoint par le couple entre 1995 et 2003. À titre d'exemple, Mme L... en tire des chèques afin de rembourser les dépenses engendrées par M. Le... dans le cadre de son travail, et celui-ci y dépose par la suite les montants obtenus en remboursement desdites dépenses. M. Le... prétend que Mme L... n'a pratiquement jamais contribué au compte conjoint, si ce n'est de sa pension alimentaire. Cette dernière soutient plutôt que des chèques ainsi que de l’argent comptant provenant de l’école de danse y ont été déposés.

[138] Le 6 janvier 1999, Mme L... retire un montant de 20 000 $ de son compte personnel afin de le placer dans une épargne à terme. Le 5 avril 2001, ce capital est encaissé et la somme de 22 192,88 $ est versée au compte conjoint. Mme L... prétend dans son témoignage que cet argent a été utilisé lors de la construction de la résidence sise rue B à ville C.

[139] Quant à M. Le..., il soutient que cette somme consiste plutôt en un prêt sans intérêts consenti par Mme L..., ajoutant que celle-ci s'est remboursée jusqu'à concurrence de 8 300 $ par virements bancaires du compte conjoint vers son compte personnel. Reconnaissant avoir effectué des retraits, Mme L... nie cependant que ladite somme constituait un prêt sans intérêts7.

[140] Certes, les dépôts en argent comptant au compte conjoint sont élevés, mais ce seul fait ne permet pas d'inférer l'existence d'une société tacite. D'ailleurs, la preuve ne démontre pas de façon claire l'apport au fonds commun des parties, non plus que la division des bénéfices et des pertes de l'entreprise.

[141] Mme L... ne me convainc pas que la juge a erré d'une manière manifeste et déterminante dans son appréciation de la preuve à ce sujet. Je rejetterais donc le moyen d'appel fondé sur l'existence d'une société tacite.

III ENRICHISSEMENT INJUSTIFIÉ

[142] Il y a plusieurs volets à l'argumentation de Mme L... sous cette rubrique.

[143] D'entrée de jeu, il y a lieu de rappeler les six critères qui doivent être établis afin qu'une partie qui prétend être victime d'enrichissement injustifié puisse avoir gain de cause8 :

7 Comme nous verrons plus loin, la juge a retenu en partie les prétentions de Mme L... à cet égard. 8 Cie Immobilière Viger c. L. Giguère inc., [1977] 2 R.C.S. 67, 77.

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1. un enrichissement;

2. un appauvrissement;

3. une corrélation entre l'enrichissement et l'appauvrissement;

4. l'absence de justification;

5. l'absence de fraude à la loi;

6. l'absence d'autre recours.

[144] De surcroît, l'objet d'un tel recours dans le contexte d'une union de fait ne doit pas avoir pour but de rééquilibrer les deux patrimoines à la fin de la relation, comme mon collège le juge Dalphond l'a signalé avec justesse dans M.B. c. L.L. :

[39] […] je suis d'avis que l'objectif d'une action en enrichissement injustifié ne doit pas tendre à un rééquilibrage des actifs ou à un partage des patrimoines de chacun accumulés pendant la vie commune, mais uniquement à compenser une partie pour un apport, en biens ou en services, qui a permis à l'autre de se trouver en une position supérieure à celle qui aurait été la sienne n'eût été de la vie commune, bref de l'enrichir. C'est le cas, notamment, de la femme qui entreprend la vie commune avec un homme et ses jeunes enfants et qui, par la suite, s'occupe de l'entretien et de l'éducation desdits enfants, entretient et améliore sa propriété et pourvoit aux besoins de la famille, le tout sans rémunération, pendant que cet homme se consacre pleinement à sa carrière, ce qui lui permet de générer des revenus, d'éviter des dépenses, notamment pour la garde de ses enfants, et d'accumuler des actifs, comme dans l'affaire Peter c. Beblow.9

[Je souligne]

[145] Comme c'était le cas dans le cadre de son argumentation portant sur la société tacite, Mme L... ne remet pas ici en question l'existence de ces critères, mais plaide plutôt que la juge les a mal appliqués. Elle se fonde en grande mesure, mais pas exclusivement, sur les mêmes éléments qui ont mené au rejet de ses prétentions quant à l'existence d'une société tacite.

[146] Replaçons-nous au début de la vie commune en 1992 : Mme L... louait alors un appartement où elle habitait avec ses deux enfants, lequel était garni de ses meubles. Elle possédait une voiture usagée et exploitait une école de danse générant des revenus nets modestes. M. Le... quant à lui possédait une certaine somme d'argent, produit de la vente d'un immeuble, et une voiture. Il occupait un emploi rémunérateur. 9 [2003] R.D.F. 539 (C.A.). Cet extrait est également cité par la première juge aux paragraphes [135]

et [144] de son jugement.

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C'est avec ses effets personnels pour seul apport qu'il a emménagé chez Mme L.... Cela dit, vu les disparités salariales au sein du couple10, il y a lieu de croire qu'il a substantiellement contribué au ménage au cours de la vie commune.

[147] Au soutien de sa prétention voulant qu'elle ait subi un appauvrissement durant la relation des parties, Mme L... insiste beaucoup sur ce qu'elle qualifie d'aveu judiciaire émanant de M. Le... à l'occasion de son interrogatoire après défense. Il aurait alors tenu des propos selon lesquels entre 1995 et 1998 une part appréciable des revenus de l'école ont été déposés dans le compte conjoint des parties. Voici les extraits de l'interrogatoire au préalable de M. Le... qui illustrent la prétention de Mme L... :

Q O.K. Dans ce compte conjoint là, là, l'argent de l'école de danse était déposé dans ça aussi?

R Euh, seulement… il y avait une partie seulement de quatre-vingt-quinze (95) à quatre-vingt-dix-huit (98), si je me trompe pas, une partie de quatre-vingt-dix-huit (98), et si vous regardez très bien dans le compte, tous les montants… les sorties et les entrées balancent.

[…]

R […] moi j'en ai pas fait des dépôts de l'école en tant que tels dans le compte conjoint, c'est madame qui l'a fait.

[…]

Q Mais en plus, là, tous les autres montants, ça, ça provenait de son école de danse à elle?

R Il y en a une bonne partie, comme j'avais dit tantôt, de quatre-vingt-quinze (95) à quatre-vingt-dix-huit (98), comme je vous ai dit; c'est que tout ce qui est débité a été crédité, donc vous pouvez les vérifier les montants, il y a aucun problème, et puis j'ai rien à cacher à ce sujet-là, j'ai gardé aucun montant de son argent à elle.

[…]

R J'ai aucune..., ça, j'assume effectivement, c'est des dépôts qui ont été déposés de ses revenus de son école, mais que, comme je vous ai dit tantôt, vous allez prendre les crédits et puis les débits, vous allez déduire ces montants-là et vous allez balancer sans aucun problème.

10 En 2000, dernière année d'exploitation de l'école de danse, le revenu imposable de M. Le... était

de 122 323,25 $, tandis que celui de Mme L... était de 20 809,38 $. En 2002, dernière année complète de vie commune, le revenu imposable de M. Le... était de 71 653,22 $. Mme L... avait alors cessé l'exploitation de son entreprise et n'occupait pas d'emploi rémunérateur.

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Q Oui, mais là, quand vous me dites…; dans ces états de compte là, dans le fond ce que je prends, je prends ce qui était votre paie à vous et puis j'enlève ça, et puis le reste va me dire que ça venait de l'école de danse de madame?

R Mais pas nécessairement; c'est ça, là, comme je vous dis, j'avais des bonus aussi, O.K.? Il y avait une bonne partie dans ces années-là, effectivement, que c'est les revenus de l'école; mais comme je vous ai dit aussi, c'est que fin quatre-vingt-quinze (95) début… jusqu'en quatre-vingt-dix-huit (98), j'étais énormément sur la route, donc je veux dire madame, si elle faisait des transactions, j'en ai aucune espèce d'idée, c'est elle qui faisait la transaction, c'est pas moi qui faisais la sortie et l'entrée de ses fonds à elle.

[…]

Q Donc, vous me dites que les montants qui ne seraient pas… qui proviennent pas de votre employeur pour les années quatre-vingt-quinze (95), quatre-vingt-seize (96), quatre-vingt-dix-sept (97) et quatre-vingt-dix-huit (98), ça provient de l'école de danse?

R Une bonne partie, oui.

Q L'autre partie?

R Bien, c'est comme je vous dis… (interrompu)

Q Si ça vient pas de votre employeur?

R Ça peut être des bonus, là, ces choses-là en tant que tel, mais c'est peut-être pas ma paie, mais c'est un cadeau que la compagnie me faisait.

[…]

Q Je regarde quatre-vingt-dix-neuf, là, dans les crédits.

R Oui, tous les DI, la plupart c'est toute ma paie, effectivement.

Q O.K. Les autres montants, c'est encore l'école de danse?

R Euh, non, les autres montants, cent cinquante-trois dollars (153 $) qu'on voit, O.K., donc ça veut dire que c'est la pension qui était… la pension à madame qui était déposée dans le compte conjoint.

Q O.K.

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R Parce que l'autre côté, si vous regardez côté débit, c'est tout ce qui a été sorti.

Q Mille six cent quarante-sept et cinquante-neuf (1 647,59 $), dépôt guichet automatique le vingt (20) mai; ça, ça vient pas de votre paie parce qu'on voit DI en dessous?

[…]

R Vingt (20) mai? Bien, ça, de mémoire de même, je veux dire, je pourrais pas vous le dire en tant que tel. Je peux pas parler non plus au nom de mon ex, donc je veux dire…, je peux pas commenter sur ce montant-là.

[148] Sans l'avoir explicité dans ses motifs, il est évident que la juge n'a pu déceler d'aveu judiciaire quelconque dans ces extraits. Je souscris à cette façon de voir. Les propos de M. Le... ne sont pas aussi clairs que Mme L... le prétend. S'il est exact que celui-ci confirme que certains dépôts peuvent avoir inclus des revenus de l'école de danse, ces affirmations sont nuancées à plusieurs reprises par le témoin, soit qu'il évoque la possibilité que les sommes constituent plutôt ses bonis, soit qu'il affirme qu'elles ont été débitées du compte par la suite. Or, selon le professeur Ducharme, « pour qu'il y ait aveu, il suffit qu'une personne affirme sa conviction en l'existence d'un fait contraire à ses intérêts […] »11 – ce qui n'était pas le cas ici. M. Le... lui-même admet le caractère hypothétique de ses affirmations à ce stade :

Q O.K. Sur les états de compte de la banque que vous receviez, on avait les détails de ça, n'est-ce pas?

R Oui, et puis c'est pour ça que…, je vous dis sincèrement et honnêtement que je suis… j'aurais aimé ça les avoir, et puis je l'ai demandé quand je suis allé chercher ceci, mais c'était pas quand même disponible; c'est drôle à dire, hein ?

Q Oui.

R Oui, je vous le dis carrément. Comme ça on aurait peut-être pu régler les choses plus clairement et puis c'aurait été plus simple pour tout le monde.

[149] Mme L... soulève une autre erreur de la juge à l'égard du témoignage de M. Le... lors de son interrogatoire au préalable. Au procès, ce dernier a tenté de démontrer à l'aide de plusieurs documents, qualifiés d' « aide-mémoire », la source des dépôts au compte conjoint : il arrive à la conclusion que lesdits dépôts lui étaient en fait attribuables, dans le but évident de mitiger la teneur de son précédent témoignage attribuant certaines contributions à l'entreprise de Mme L....

11 Léo Ducharme, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2005, no 668, p. 270.

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[150] Au début du témoignage de M. Le..., la juge avait précisé qu'elle ne considérait pas ces documents comme faisant partie de la preuve, mais uniquement à titre d'outil devant l'aider à suivre les propos du témoin. Plus tard durant l'interrogatoire en chef, l'avocate de Mme L... s'est objectée à l'utilisation de ces documents sur la base de la règle de la meilleure preuve. Après un long échange entre la juge et les avocats, le tribunal prend l'objection sous réserve.

[151] Ni avant l'audition des plaidoiries ni dans son jugement rendu subséquemment la juge n’a pas tranché l’objection. Dans ses motifs, elle écrit ce qui suit quant à l'impact du témoignage de M. Le... au procès et des soi-disant aveux émanant de l'interrogatoire au préalable :

[136] Lors de son interrogatoire hors cour tenu le 5 juillet 2004, le défendeur indique qu'une bonne partie des revenus de l'école ont été déposés dans le compte conjoint des parties entre 1995 et 1998. Devant le Tribunal, il se ravise, après avoir fait des vérifications plus poussées, dans les états de compte, après la tenue de cet interrogatoire.

[137] Il témoigne longuement à l'audience sur le résultat de ses vérifications, documents à l'appui. Sa démonstration permet de conclure que la plupart des dépôts que la demanderesse qualifie de revenus de l'école, sont en réalité des apports qui lui sont attribuables.

[Je souligne]

[152] D'entrée de jeu, je n'ai aucune hésitation à conclure, en accord avec la position soutenue par Mme L..., que la juge a erré en omettant de trancher l'objection soulevée par son avocate. Il est essentiel que les parties à un procès sachent quelle preuve figure valablement au dossier avant le début des plaidoiries. Négliger de trancher des objections pose un risque important : une telle erreur de la part d'un juge expose potentiellement les justiciables aux frais additionnels qu'implique le renvoi du dossier au tribunal de première instance.

[153] L'arrêt de notre Cour dans CHSLD juif de Montréal c. Entreprises Francer inc.12 est un exemple frappant de la nécessité pour les juges d'instance de trancher les objections prises sous réserve sans tarder ni feindre qu'elles n'ont jamais été soulevées. Dans cette affaire, l'appelante, défenderesse en première instance, avait formulé une objection quant à la production d'états financiers non vérifiés dont le but était d'établir les dommages subis par l'intimé. Comme ce fut le cas avec la juge d'instance dans le présent pourvoi, la première juge dans CHSLD juif de Montréal n'avait pas tranché l'objection ni avant les plaidoiries ni dans son jugement sur le fond. De surcroît, elle avait condamné l'appelante à des dommages en se fondant sur les données figurant aux états non vérifiés qui faisaient l'objet de l'objection. 12 J.E. 2009-100, 2008 QCCA 2402.

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[154] S'exprimant au nom de la Cour, et après avoir établi l'absence de fiabilité d'états financiers non vérifiés, le juge en chef Robert écrivait ceci :

[47] Ainsi, j'estime que l'objection formulée par l'appelant relativement à la production des états financiers, mentionnée au paragraphe [29], doit être accueillie. De plus, il m'apparaît que M. Guilbault n'était pas le témoin compétent pour les produire. Par souci de justice et d'équité, eu égard au fait que l'intimée n'a pu défendre la validité de ses états financiers puisque l'objection à cet égard est restée lettre morte dans le jugement de première instance, je suis d'avis de renvoyer le dossier en première instance afin de permettre la preuve légale pour établir le montant des dommages. […]

[Je souligne]

[155] Dans le présent cas, non seulement la juge n'a-t-elle jamais tranché l'objection, mais il semble au surplus qu'elle ait considéré les documents qui constituaient l'aide-mémoire de M. Le... comme valablement produits en preuve, et ce, sans pour autant que celui-ci ait présenté de requête pour la production de pièces additionnelles en application de l'article 17 du Règlement de procédure civile (Cour supérieure)13. C'est là la seule interprétation qu'autorise l'analyse du paragraphe [137] du jugement entrepris, reproduit ci-devant au paragraphe [151].

[156] Le sort de l'objection aurait dû être décidé, dans un sens ou l'autre, avant même le début des plaidoiries. Il était déjà trop tard pour ce faire lorsque la cause fut prise en délibéré. À supposer que la juge ait accueilli l'objection à même son jugement sur le mérite de l'affaire, elle aurait alors dû écarter les pans du témoignage de M. Le... portant sur les documents en question.

[157] Or, ce faisant, elle aurait indûment privé ce dernier du choix stratégique qui s'offre normalement face au maintien d'une objection à la preuve durant le procès : soit, d'une part, déposer une requête pour permission d’appeler de ce jugement interlocutoire en application du deuxième paragraphe de l'article 29 C.p.c.; soit, d'autre part, renoncer à cette solution pour plutôt poursuivre la présentation de sa preuve sans recours aux documents exclus, avec la possibilité de faire entendre d'autres témoins au besoin. Peu importe la voie qu'aurait empruntée l'avocat de M. Le... si l'objection avait été accueillie en temps utile, il n'était pas souhaitable pour lui de devoir plaider sans savoir ce qu'il adviendrait de certains éléments de preuve, comme ce fut le cas. De tels résultats doivent être évités.

[158] Malgré que cette erreur commise dans le traitement de l'objection prise sous réserve soit regrettable, je ne crois pas qu'elle se soit avérée déterminante à la lumière

13 L'avocate de Mme L... ne s'est pas objectée à l'utilisation des documents constituant l'aide-mémoire

sur cette base.

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de la conclusion de la première juge quant à la valeur probante de la preuve administrée par Mme L... :

[138] Le Tribunal considère que la prétention de la demanderesse selon laquelle une certaine portion d'argent comptant provenant des activités de l'école a transité et été utilisée pour les différentes dépenses du ménage relève davantage de l'insinuation que d'une réalité concrète et prouvée de manière prépondérante. Et surtout, l'ensemble de la preuve ne permet aucunement de conclure quand et dans quelle proportion cela se serait produit.

[139] Le Tribunal ne peut retenir les prétentions d'une partie que si une preuve probante et prépondérante lui est soumise. Il ne peut décider sur des inférences, des insinuations et des suppositions. C'est malheureusement ce que la demanderesse l'invite à faire ici.

[159] Manifestement, la juge n'a pas considéré prépondérante la preuve offerte par Mme L.... Étant donné que celle-ci n'a pas réussi à se décharger du fardeau qui était le sien d'établir les faits autorisant la juge à lui donner raison, les erreurs concernant la preuve présentée en défense n'ont pu avoir d'impact sur l'issue du litige.

[160] Je n'ai aucun mal à me rallier à la première juge lorsque celle-ci rejette les prétentions de Mme L... voulant que M. Le... se soit enrichi de 167 130,42 $ à son détriment au cours de la vie commune. La preuve ne révèle aucun déséquilibre dans la manière dont les parties contribuaient au bien-être de la famille au quotidien : si M. Le... occupait un emploi générant davantage de revenus que Mme L..., mais le retenant souvent à l'extérieur, cette dernière, dont l'occupation principale était moins bien rémunérée, était par ailleurs plus sollicitée dans le cadre de l'éducation des enfants et de l'entretien ménager. Il ne s'agit pas ici d'une situation où une partie met en veilleuse sa propre carrière au bénéfice de celle de son conjoint. Bien au contraire, Mme L... a pu compter sur l'appui de M. Le... dans l'administration de sa propre entreprise. Il est difficile de déceler un appauvrissement face à de telles circonstances. Je qualifierais plutôt les apports respectifs des parties de comportement légitime au sein d'un couple – ce qui ne donne pas lieu à un partage des patrimoines en présence de conjoints de fait, comme l'indiquait le juge en chef Bisson pour la majorité dans Droit de la famille – 359 :

[…] un recours ne saurait être accueilli du seul fait d'une vie en commun au cours de laquelle la partie réclamante n'aurait fourni que les prestations que s'échangent des conjoints de fait dont l'activité de l'un ─ rémunératrice ─ s'exerce à l'extérieur du foyer alors que l'activité de l'autre s'exerce au foyer.

[…]

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Cohabitant désormais en permanence avec l'appelant, l'intimée, pendant ces dernières sept ou huit années, n'a fait que fournir les prestations normales d'un conjoint qui vit à la maison et en assume la direction, sans exercer de tâches reliées à l'activité rémunératrice de l'autre conjoint alors que le support financier est fourni par ce dernier qui assume les nécessités de la vie, les frais de loisirs et de vacances ainsi que les autres aménités d'usage.

Étant absent le lien du mariage, une telle situation entre conjoints de fait ne saurait en aucune circonstance donner ouverture au recours de in rem verso, car il n'y a ni enrichissement ni appauvrissement, ni encore moins absence de justification.14

[Je souligne]

[161] Cela étant dit, je crois qu'il y avait lieu d'accueillir la réclamation de Mme L... en ce qui a trait aux transactions immobilières. Je décris les faits pertinents à ce sujet aux paragraphes [103] à [105]. En bref, rappelons que c'est M. Le... qui a versé l'acompte de 47 400 $ nécessaire à l'achat de la première résidence, mais que les parties étaient copropriétaires indivis de l'immeuble et se sont engagées à titre de codébiteurs hypothécaires auprès d'une institution financière pour le solde de 50 000 $. L'hypothèque remboursée, la résidence fut vendue pour 114 900 $, dont une somme nette de 110 274,26 $ fut versée au compte conjoint.

[162] Selon Mme L..., ce montant a servi à la construction de la deuxième résidence des parties, située à ville C sur un terrain dont M. Le... était seul propriétaire. Cette affirmation n'est pas remise en question par M. Le.... Il affirme pour sa part que l'ajout du nom de Mme L... aux actes d'achat et d'hypothèque relatifs à la première résidence ne visait qu'à rétablir le dossier de crédit de celle-ci, étant entendu qu'à la vente de la résidence, le produit lui serait entièrement remis.

[163] L'analyse de la juge se trouve aux paragraphes suivants de son jugement :

[130] Quant à la part que revendique la demanderesse dans le produit de la vente de la résidence de la rue A, [M. Le...] souligne que cet aspect doit être examiné strictement dans le cadre de la réclamation en enrichissement sans cause, telle que formulée par la demanderesse en l'instance. Il soutient que le contexte juridique en cause ici n'est pas celui d'une action en partage.

[131] Par conséquent, même si le Tribunal concluait qu'elle a droit à une part de la résidence, la dette qu'aurait le défendeur à son endroit est [selon lui] largement compensée par la contribution presque exclusive que celui-ci a eu aux diverses dépenses découlant de la vie commune.

14 Droit de la famille – 359, [1990] R.J.Q. 983, 984 (C.A.), autorisation de pourvoi à la Cour suprême

refusée, [1990] 2 R.C.S. ix.

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[…]

[141] La preuve est claire que l'achat de la première résidence a été financée par un acompte provenant exclusivement du défendeur. Puisque la preuve prépondérante favorise la version de ce dernier quant à la provenance des apports au compte conjoint, la conclusion s'impose que la résidence a été entièrement achetée par lui.

[142] La portion attribuée à l'acte d'acquisition de 1995 peut constituer une libéralité de la part du défendeur, à laquelle la demanderesse avait le loisir de renoncer. Le Tribunal estime que c'est ce qu'elle a fait lorsqu'elle a permis que cette part serve à la construction de la seconde résidence. On ne peut parler ici d'appauvrissement aux dépens du défendeur.

[143] Le Tribunal considère que la contribution de la demanderesse a été largement compensée par la contribution du défendeur à la vie commune et dont elle a bénéficié pendant un peu plus de dix ans.

[164] Pour arriver à cette conclusion, la juge s'explique de la façon suivante :

[144] Il convient d'insister sur le passage susmentionné de l'opinion du juge Dalphond dans l'arrêt M. c. L. lorsqu'il indique que « l'objectif d'une action en enrichissement injustifié ne doit pas tendre à un rééquilibrage des actifs ou à un partage des patrimoines de chacun accumulés pendant la vie commune, mais uniquement à compenser une partie pour un apport, en biens ou en services, qui a permis à l'autre de se trouver en une position supérieure à celle qui aurait été la sienne n'eût été la vie commune, bref de l'enrichir ».

[165] À mon avis, la véritable question ici consiste à se demander si c'est à bon droit que la juge a conclu que Mme L... aurait renoncé à cette libéralité consentie auparavant par M. Le... en lui abdiquant sa part du produit de la vente de la première résidence, à ville B.

[166] D'abord, il me semble difficile d'accepter la thèse de M. Le... voulant que l'entente intervenue au moment de l'acquisition de la résidence de la rue A en 1995 prévoyait que le produit de la vente éventuelle lui serait entièrement remis, alors même que, c'est admis, le produit net de 110 274,26 $ fut en fait versé au compte conjoint, sans compter que Mme L... y a indéniablement ajouté 22 192,88 $ de son argent dans le but que cette somme contribue aux coûts de la construction de la nouvelle résidence, rue B à ville C.

[167] Je ne vois pas dans ces faits la possibilité, et encore moins la preuve, que Mme L... a pu consentir à céder à M. Le... sa part du produit net de la vente de la résidence de ville B, surtout considérant que cette somme était manifestement destinée à la construction de la deuxième résidence commune, à ville C. L'argument de M. Le...

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en droit quant à une donation par renonciation n'est soutenu par aucun des documents notariés signés par les parties en vue de l'acquisition de la première résidence, notamment l'acte par lequel Mme L... s'est rendue personnellement responsable du prêt hypothécaire. En cela, la thèse de M. Le..., dans la mesure où il s'agirait d'une renonciation transmissive, n'est pas conforme aux formalités prévues au premier paragraphe de l'article 1824 C.c.Q.

[168] À vrai dire, j'ai la nette impression que M. Le... a construit une théorie ex post facto qui ne concorde pas avec la réalité vécue par les parties. La première juge a erré en imputant à Mme L... un esprit de libéralité que rien dans la preuve ne soutenait.

[169] Par ailleurs, il n'en demeure pas moins que M. Le... a payé à même ses deniers personnels l'acompte de 47 400 $ nécessaire à l'acquisition de la première résidence. En soustrayant ce montant du produit de vente net de 110 274,26 $, on obtient une somme de 62 874,26 $, laquelle doit être partagée en parts égales, pour un résultat de 31 437,13 $ chacun. Ainsi, en récupérant le tout, M. Le... se serait enrichi, alors que Mme L... se serait appauvrie, de ce dernier montant. Il n'y a aucune autre explication plausible à la situation telle qu'elle se présente à la lumière de l'encaissement du produit net de la vente de la première résidence au compte conjoint, lequel a par la suite servi à la construction de la seconde résidence, propriété exclusive de M. Le....

[170] M. Le... soumet à titre subsidiaire que sa contribution quasi exclusive aux dépenses du ménage compense largement tout appauvrissement qu'aurait pu subir Mme L.... S'il est indéniable que cette dernière a effectivement bénéficié du train de vie confortable qu'autorisait le salaire de son conjoint, je considère néanmoins que les apports des deux parties, tel qu'indiqué plus haut, s'inscrivaient dans le cadre d'un partage sinon égalitaire, à tout le moins équitable, des responsabilités au sein du couple. C'est une formule à laquelle M. Le... a consenti durant les onze années qu'a duré la vie commune, et qu'il ne saurait invoquer aujourd'hui pour priver Mme L... de sa part du produit de la vente d'un immeuble dont elle était copropriétaire.

* * *

[171] Depuis la rédaction de mes motifs portant sur la société tacite et l'enrichissement injustifié, j'ai eu l'opportunité de prendre connaissance de ceux de mes deux collègues. Ils proposent de faire droit à la prétention de Mme L... voulant que M. Le... se soit enrichi à ses dépens tout au long de leur union, entraînant du coup un appauvrissement important qu'ils compensent en lui accordant 151 730 $, soit 137 837,12 $ de plus que les 13 892,88 $ octroyés au jugement dont appel et déjà acquittés. Leur analyse s'appuie notamment sur les propos que tenait le juge Gonthier dans l'affaire

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Lacroix c. Valois15 au sujet de la souplesse dont il convient de faire preuve en la matière.

[172] Or, le passage sur lequel se fondent mes collègues ne peut, à mon avis, être transposé en l'espèce sans distinction. D'abord, cet arrêt traite de la prestation compensatoire entre époux. Il ne traite pas de l'enrichissement injustifié – notion certes voisine, mais dont l'application entre conjoints de fait n'était pas encore répandue en droit québécois16. Il s'agissait de surcroît de la première décision de la Cour suprême à se pencher sur le nouvel article 559 du Code civil du Québec de 198017, le juge Gonthier indiquant d'entrée de jeu qu' « en raison [des] questions ayant trait aux circonstances particulières de l'espèce, […] la Cour ne pourra se pencher sur les principaux éléments des débats actuels sur les règles devant régir l'octroi d'une prestation compensatoire, bien qu'il s'agisse du premier pourvoi dont elle soit saisie sur le sujet »18. Bref, je serais réticent à ériger en principes applicables au recours de in rem verso les propos du juge Gonthier sur lesquels mes collègues assoient leurs motifs.

[173] Par ailleurs, même si je peux être disposé à me montrer souple au moment d'examiner le critère de la corrélation en matière d'enrichissement injustifié, il n'en demeure pas moins que l'existence d'un apport du conjoint qui intente le recours doit être prouvée de manière prépondérante. L'appauvrissement doit également pouvoir être l'objet, sinon d'un calcul mathématique exact, à tout le moins d'une estimation fiable et concluante. Il ne saurait être question ici d'octroyer à Mme L... une somme aussi importante que 137 837,12 $, s'élevant à 207 000 $ en date du 10 décembre 2010 selon mon collègue le juge Dalphond. En effet, mes collègues reconnaissent que l'amélioration de la situation financière de M. Le... est en partie attribuable à l'augmentation de son salaire.

[174] En l'espèce, faut-il le rappeler, la première juge n'a pas jugé satisfaisante la démonstration de Mme L... au sujet de ses apports. Or, c'était en première instance que cette dernière devait faire valoir sa version des faits, un principe que le juge Gonthier a d'ailleurs eu l'opportunité de rappeler en termes non équivoques dans cette même affaire Lacroix c. Valois19 :

15 [1990] 2 R.C.S. 1259. Voir le paragraphe [96] des motifs de la juge Côté, avec lesquels le juge

Dalphond est d’accord. 16 Voir les motifs dissidents de la juge Mailhot dans Droit de la famille – 359, supra, note 14, 989, citant

Riel c. Beaudet, C.A. Montréal, no 500-09-001041-813, 16 mai 1986. 17 Loi instituant un nouveau Code civil et portant réforme du droit de la famille, L.Q. 1980, c. 39, art. 1.

Cette disposition a été abrogée par la Loi modifiant le Code civil du Québec et d'autres dispositions législatives afin de favoriser l'égalité économique des époux, L.Q. 1989, c. 55, art. 23. Cette dernière loi, art. 8, édictait du même coup les articles 462.14 à 462.17 (aujourd'hui articles 427 à 430 C.c.Q.) au sujet de la prestation compensatoire.

18 Lacroix c. Valois, supra, note 15, 1264. 19 Lacroix c. Valois, supra, note 15, 1275.

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L'attribution d'une prestation compensatoire ou d'une somme globale relève d'une décision faisant dans une large mesure appel à la faculté d'appréciation du juge des faits. Dans la réalisation de ce difficile exercice judiciaire, nombreux sont les facteurs susceptibles de considération légitime par le juge de première instance car le législateur a, tant en matière de prestation compensatoire qu'en matière de somme globale, reconnu la nécessité d'une large discrétion par l'adoption de dispositions habilitantes dont la texture se veut essentiellement ouverte. Dans un tel contexte, le rôle d'un tribunal d'appel est de corriger les erreurs de droit commises en première instance dans l'exercice de la discrétion conférée par la loi. Il va sans dire que l'appréciation des faits est de la prérogative du juge de première instance et qu'à moins d'être en mesure de relever une erreur d'appréciation à ce point marquée qu'elle témoigne d'une erreur touchant aux principes juridiques, la Cour d'appel n'est pas justifiée d'intervenir.

[Je souligne]

[175] Notons que la Cour suprême avait alors accueilli le pourvoi à l'encontre de l'arrêt de notre Cour, rétablissant le jugement de première instance. Ces enseignements rejoignent manifestement les préoccupations qui animaient le juge Morissette dans P.L. c. Benchetrit20, dont j'ai fait état au paragraphe [124], et constituent à mon avis une mise en garde importante contre l'intervention d'une cour d'appel sur des questions purement factuelles. La solution que proposent mes collègues ne constitue une issue légitime qu'à la condition de prêter foi à la preuve présentée par Mme L..., ce que la première juge n'a pas fait. En l'absence d'erreur manifeste et dominante de sa part, que Mme L... n'identifie même pas, ce n'est pas là un motif justifiant de substituer leur appréciation de la preuve à celle, tout à fait raisonnable, d'une juge d'instance ayant eu le bénéfice d'entendre les témoins de vive voix.

[176] Que le jugement d'instance ne fasse pas état du fait que le travail qu'effectuait Mme L... au sein de l'école de danse n'était pas rémunéré – élément sur lequel ma collègue la juge Côté insiste beaucoup – ne me paraît aucunement déterminant. Rappelons que c'est pour son propre compte que Mme L... travaillait, et non pour l'entreprise de M. Le.... Le salaire qu'elle aurait pu toucher n'aurait fait que réduire d'autant les bénéfices qu'elle attribue à l'entreprise et aurait sans doute abouti au compte conjoint, ce qui n'aurait aucunement changé la position financière des parties l'une par rapport à l'autre.

[177] De même, ce n'est pas parce qu'une preuve n'est pas contredite ni parce qu'un témoignage est partiellement corroboré qu'un tribunal d'instance est tenu de les adopter sans réserve. Le fait pour la première juge d'avoir retenu la version de M. Le... au sujet des apports respectifs des conjoints ne peut être qualifié d'erreur manifeste et dominante. Cela est d'autant plus vrai que le fardeau de démontrer l'existence d'un 20 Supra, note 6.

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enrichissement injustifié reposait sur les épaules de la demanderesse en première instance, soit Mme L....

[178] À la lumière de ce qui précède, peut-on vraiment prétendre que, n'eût été l'union de fait des parties, Mme L... disposerait aujourd'hui de plus de 200 000 $, alors que M. Le..., de son côté, se serait appauvri d'une telle somme? Poser la question, c'est y répondre.

IV LA SAISIE AVANT JUGEMENT

[179] Le jugement frappé d’appel a été rendu le 21 juillet 2008. L'avocate de Mme L..., dès sa réception, a dû constater l'omission de la juge d'y valider la saisie avant jugement pratiquée en main tierce. Or, plutôt que de demander à cette dernière de rectifier son jugement en application du premier paragraphe de l'article 475 C.p.c., l'avocate a déposé son inscription en appel au greffe de la Cour supérieure huit jours plus tard, soit le 29 juillet 2008. En procédant de la sorte, Mme L... a privé la première juge de sa compétence pour rectifier le jugement, conformément au deuxième paragraphe du même article.

[180] J'ignore quelle aurait été la décision de la juge si une telle demande lui avait été soumise. Cela dit, je crois que la requête en rectification du jugement, présentée à la juge de la Cour supérieure, constituait le recours approprié et, partant, la voie à privilégier, comme l'indiquait le juge Fish, au nom de notre Cour, dans l'arrêt Allstate du Canada, Cie d'assurance c. Tapis Roger Papillon Inc. :

As mentioned at the outset, Allstate was condemned at trial to pay Papillon $71,761.55, though it was conclusively established by formal admission of the parties that the loss was $45,000. The award must therefore be reduced accordingly.

In respondent's view, this error, evidently a matter of oversight, could have been corrected on a motion by Allstate under art. 475 C.C.P. No costs should therefore be awarded, says respondent, if the appeal is maintained for the sole purpose of correcting the quantum.

As will later be seen, I am in substantial agreement. On a motion under art. 475, in the circumstance of this case, Allstate would have received no costs. Respondent would at the same time have been spared the expense of this appeal

[181] Mme L... ne fournit aucune explication justifiant sa décision d'inscrire en appel au moins trois semaines avant l'expiration du délai pour ce faire, au lieu d'immédiatement saisir la juge d'une requête visant à corriger son erreur. Reconnaissant que la juge de la Cour supérieure n'avait plus la compétence requise pour rectifier le jugement, elle s'est

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adressée à un juge unique de la Cour afin d'obtenir l'exécution du jugement entrepris et la validation de la saisie avant jugement. Le juge Chamberland a déféré la requête à une formation de trois juges, et M. Le... ne l'a pas contestée. Par un arrêt du 17 septembre 2008, la Cour a donc fait droit à la requête; ordonné l'exécution du jugement accordant à Mme L..., une fois comptabilisés les intérêts et l'indemnité additionnelle, la somme de 18 995,94 $; validé la saisie avant jugement jusqu'à concurrence dudit montant; ordonné au tiers-saisi de lui verser ledit montant à même les sommes saisies; et maintenu, pour le solde, la saisie avant jugement pendant l'instance en appel.

[182] Face à ces circonstances particulières, et vu l'absence de contestation de M. Le... quant au maintien de ladite saisie pendant l'instance en appel, je suis d'avis de déclarer bonne et valable la saisie jusqu'à concurrence de 31 437,13 $, avec intérêts et indemnité additionnelle à compter de la date de l'assignation en première instance.

V CONCLUSION

[183] J'accueillerais donc l'appel de Mme L... pour partie, sans frais compte tenu de son succès mitigé, et substituerais au paragraphe [156] du jugement de la Cour supérieure la somme de 45 330,01 $ à celle de 13 892,88 $, en plus de déclarer bonne et valable la saisie telle que mentionnée au paragraphe [182].

ALLAN R. HILTON, J.C.A.