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W. Koch Comment l'empereur Julien tâcha de fonder une église païenne In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 7 fasc. 1, 1928. pp. 49-82. Citer ce document / Cite this document : Koch W. Comment l'empereur Julien tâcha de fonder une église païenne. In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 7 fasc. 1, 1928. pp. 49-82. doi : 10.3406/rbph.1928.6485 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rbph_0035-0818_1928_num_7_1_6485

Koch Comment l'Empereur Julien tâcha de fonder une Église Païenne

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Page 1: Koch Comment l'Empereur Julien tâcha de fonder une Église Païenne

W. Koch

Comment l'empereur Julien tâcha de fonder une église païenneIn: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 7 fasc. 1, 1928. pp. 49-82.

Citer ce document / Cite this document :

Koch W. Comment l'empereur Julien tâcha de fonder une église païenne. In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 7fasc. 1, 1928. pp. 49-82.

doi : 10.3406/rbph.1928.6485

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rbph_0035-0818_1928_num_7_1_6485

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COMMENT L'EMPEREUR JULIEN TACHA

DE FONDER UNE ÉGLISE PAÏENNE.

IL Les Lettres pastorales.

Comme M. Bidez a déjà si clairement décrit l'évolution de la politique de Julien en matière religieuse (x), je me bornerai ici à traiter une question beaucoup plus restreinte, à savoir sous quelle influence Julien fut amené à fonder une Église païenne (2). Sans aucun doute, ce fut là une entreprise assez hardie, car les religions païennes n'étaient nullement organisées comme Église, quand on excepte toutefois le culte impérial et l'essai de l'empereur Maximin (8), dont je parlerai plus loin. Ainsi, il eut à faire tout, et nous verrons dans le cours de cette étude, qu'il a fait maint emprunt à l'Église chrétienne toute organisée déjà, et qu'il a voulu donner à son Église une position tellement indépendante de l'État, que seuls les prêtres de l'Église chrétienne l'auraient pu rêver (4). En outre, il voulut introduire dans son Église la pratique des bonnes œuvres, dont cette Église s'était si heureusement chargée. Car, disons-le franchement, Julien, devenu païen fervent, ne s'est pas entièrement défait du christianisme qu'il abhorrait ; sa première éducation avait laissé en

O Bulletins de l'Acad. toy. de Belgique (Classe des Lettres, etc.) 1914, p. 406-461.

(2) Voyez J. Bidez, L'Évolution, p. 436 : « On voit... Julien préoccupé d'organiser une sorte d'Église, afin d'établir et de propager le dogme nouveau. »

(8) Voyez J. Bidez, Lettres, p. 103, note 2. (4) Voyez J. Bidez, L'Évolution, p. 432 : « (La loi scolaire)

renferme aussi une des premières manifestations des tendanceë théocratiques auxquelles l'empereur va se laisser aller de plus en plus. »

R. B. Ph. et H, — 4

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50 νΐ. Kócfi

lui une si forte empreinte, qu'il fut tout naturellement amené à imiter mainte institution qu'il avait appris à apprécier dans sa jeunesse.

Pour nous représenter ses idées et ses intentions, nous avons à consulter tout d'abord des lettres adressées à divers prêtres et qu'on a appelées « pastorales », puis les restes d'une autre lettre pastorale, maintenant perdue, mais dont on trouve la trace chez Grégoire de Nazianze et Sozomène ; comme nous le verrons plus tard, cette lettre perdue doit être identifiée avec l'Encyclique pour tous les prêtres païens, que l'empereur a annoncée si clairement dans sa lettre à Théodore (x).

Nous commencerons donc par les lettres dites pastorales. L'expression se trouve pour la première fois chez Gibbon (2). Celui-ci énumère les lettres 49, 62, 63, qui correspondent aux lettres 84a, 88, 89a de l'édition de Bidez et Cumont, et le Frag- mentum Epistulae, p. 288-305 Sp., qui dans l'édition de Bidez et Cumont a été adjointe, d'accord avec M. Asmus (3), comme Epistula 89ô à la lettre à Théodore (ep. 89a). Certes, M. Ensslin (4) a raison, en n'admettant dans la série des Lettres « pastorales » que l'Épître à Théodore, ep. 63 (maintenant ep. 89a), le Fragmentum Epistulae et la lettre à Arsace (ep. 49, maintenant ep. 84a), mais il y a lieu de prendre également en considération ici les lettres 86 à Théodore (ep. 2* de Pap.) et ep. 88 (= ep. 62 Hertleiri) ; elles aussi, elles donneront une idée des sentiments qui agitaient si profondément le cœur de Julien, ainsi que de la situation qu'il voulait faire aux prêtres de son

C) Epist. 89» (auparavant ep. 63) et 89b ( = Fragmentum Epistulae). Voyez R. Asmus, Eine Encyklika Julians und ihre Vorläufer, Zeitschrift für Kirchengeschichte, XVI, 1895, p. 45- 71, 220-252. L'expression, επιστολή εγκύκλιος, Epistula Ency- clica, était déjà en usage au temps de Julien, voyez Athanasii epistula encyclica, Migne, S. G. 25, p. 222 sq.

(2) Decline and Fall of the Roman Empire, reedited by Bury, chap, xxiii. Voyez aussi J. Bidez, L'Évolution, p. 435.

(3) L. 1. passim. (4) Kaiser Julians Gesetzgebungswerk und Reichsverwaltung,

Klio, Beitrage z. alten Gesch. XVIII, p. 192.

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L'EMPEREUR JULIEN 5l

Église.La valeur de ces lettres ne vient d'ailleurs pas seulement de ce qu'elles disent de ses propres projets, mais plus encore de ce qu'elle nous laissent entrevoir de l'Église et du christianisme. Rarement un ami de la religion nouvelle en a dit autant de bien que cet ennemi acharné, et ce n'est pas sans raison que Sozo- mène, dans son Histoire Ecclésiastique (*) a invoqué le témoignage de la lettre 84a (= ep.49 H.) (2). On pourrait la nommer un monumentum aère perennius de la valeur intrinsèque de l'Église du quatrième siècle.

Toutes les lettres, citées ci-dessus, ont été écrites, quand Julien se trouvait déjà à Antioche, par conséquent, lorsqu'il avait déjà lieu d'appréhender pour ses projets de restitution de l'hellénisme beaucoup de causes d'insuccès (8). En passant par l'Asie Mineure, pour se rendre à Antioche, le découragement l'a déjà pris (4), car alors il écrit à un philosophe, dont nous ne connaissons que le nom (6) : « Viens donc nous retrouver à Tyane, par Zeus, dieu de l'amitié ! Montre-nous chez les Cappadociens un pur Hellène. Jusqu'ici je ne vois que des gens qui refusent de sacrifier, ou bien un petit nombre qui voudrait le faire, mais qui ne sait comment s'y prendre » (e). De ce désenchantement, la meilleure preuve est donnée par le commencement de la

(1) V, 16, 5 sq. (2) On ne la trouve nulle part dans les Uvres ftianüscfits, et

Martinius le premier l'a insérée dans sa collection des lettres de Julien (Juliani imperatoris opera quae exstant omnia edd. P. Martinius et G. Canto clarus, Parisiis, 1583 ; voyez J. Bi- dèz et Fr. Cumont, Recherches sur la tradition manuscrite des lettres de l'empereur Julien, Bruxelles, 1898, p. 110.

(3) Voyez J. Bidez, L'Évolution, p. 453 et s. (4) Voyez J. Bidez, Lettres, p. 79 : « Partout, autour des au

tels des dieux, il cherche la ferveur qui l'anime lui-même, et déjà, au milieu des foules qui l'acclament, il commence à sentir que son enthousiasme fait de lui un isolé ».

(5) Aristoxéne, ep. 78 (auparavant ep. 4), p. 375 C. Voyez J. Bidez, L'Évolution, p. 456.

(e) En général, j'adopterai pour les lettres de Julien la traduction si bien fondée de M. Bidez, Lettres, excepté quelques cas bien rares, où je ne suis pas d'accord avec lui.

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§2'Ψ. Kôtte

première des lettres pastorales, ep. 84a (*) dont j'ai parlé déjà, celle à Arsace, grand-prêtre de la Galatie. C'est un cri du cœur, et nous comprenons aisément, pourquoi les païens n'ont pas voulu introduire dans le recueil de ses lettres une épître, qui décèle déjà les désillusions de Julien, et renferme aussi l'éloge bien involontaire des œuvres charitables de l'É glise : « Si l'hellénisme (2) ne fait pas encore les progrès que l'on devait attendre, nous en sommes cause, nous qui le professons. Car ce que les dieux ont fait, est éclatant et considérable, et a dépassé tous les vœux, tous les espoirs(8) (puisse, après ces paroles, Adra- stée nous demeurer propice ! (4) ). Personne, naguère, n'osait même souhaiter un changement si brusque, si complet, si important. Mais quoi ? Pensons-nous que cela suffise ? Ne voyons- nous pas que ce qui a le plus contribué à développer l'athéisme (5), c'est l'humanité envers les étrangers (e), la prévoyance pour l'enterrement des morts et une gravité (') simulée dans

(!) Auparavant ep. 49, voyez J. Bîdëz, Lettres, p. 98 s. (2) Ό 'Ελληνισμός. Voyez V Excursus I. (3) Ici il fait allusion à son avènement imprévu à l'empire,

et aux premiers succès de sa restauration du paganisme. (*) Témoignage de sa piété, qu'on trouve aussi ep. 9 ( = ep.

29 H.) p. 403b. Voir aussi ep. 82 («= ep. 49 H.) p. 445d, Miso- pogon, p. 370b. Voyez J. Bidez, Lettres p. 144, n. 2, Geffcken, Kaiser Julianus, p. 154 (Remarque sur S. 91 Z, 40).

(5) C'est-à-dire le christianisme. (β) ή περί τους ξένους φιλανθρωπία . C'est la paraphrase cy

nique de l'agape des Chrétiens,voyez Julien, epist. 98b (=Fragm. Epist.) p. 305d : a δια της λεγομένης παρ' αύτοΐς αγάπης καΐ υποδοχής καΐ διακονίας τραπεζών = α par ce qu'ils appellent agape, hospitalité et service des tables ». Cependant, il y a une grande différence entre la charité des chrétiens et ce que les philosophes anciens appellent humanité (φιλανθρωπία), voyez mon discours (Enkele opmerkingen over keizer Julianus' ethiek en denkwijze in zijn Herderlijke Brieven, Verslag Sectie- Vergaderingen Prov. Utrechtsch Genootschap, 1925, p. 36-55), dont je donnerai un résumé ci-dessous, en reprenant l'examen de ces questions.

(') σεμνότης. Il cite le N. T. cf. σεμνός : Phil. 4, 8, I Tim. 3, 8, 11, Tit. 2, 2. σεμνότης Ι Tim. 2, 2. 3, 4. Tit. 2, 7.

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la vie? Voilà de quoi nous devons nous occuper, sans y mettre aucune feinte. Et ce n'est pas assez que toi seul tu t'y décides. Il faut que tous les prêtres de la Galatie, sans exception, agissent de même. Confonds-les ou persuade-les d'être zélés. Écarte- les de leur saint ministère (1), si, au lieu d'aller prier les dieux avec femmes, enfants et serviteurs, ils tolèrent que leurs domestiques ou leurs fils ou leurs épouses [galiléennes] commettent des impiétés à l'égard des dieux, et préfèrent l'athéisme à la religion. » (a).

Que les femmes — comme toujours en matière de foi et de cœur — se soient vouées les premières à la nouvelle religion, et en soient devenues les plus ferventes zélatrices, on peut le voir aussi dans le Misopogon (3). « Maintenant », dit-il aux habitants d'Antioche, « chacun de vous permet à son épouse de tout emporter de chez elle pour le donner aux Galiléens (*), et celles- ci, en nourrissant ainsi les pauvres avec votre bien, inspirent une grande admiration de l'athéisme à ceux qui ont besoin de ces secours » (5). Ainsi, les femmes, par leurs œuvres de charité, font de la propagande pour la religion chrétienne. En outre, elles enseignent leurs enfants dans la foi nouvelle. Julien s'en pleint amèrement (e) : « ensuite, vous avez abandonné à vos femmes l'éducation de vos enfants », et (7) : « Mais que font vos

(*) της Ιερατικής λειτουργίας. Sur l'usage d.U mot λειτουργία Voyez Excursus II.

(2) Sozomene (V, 16, 1) a résumé ces plaintes de Julien dans les mots suivants : « il s'irritait surtout en entendant que de beaucoup de prêtres les femmes, les enfants, les domestiques faisaient profession de christianisme. »

(3) P. 363a. (*) C'est le nom qu'il donne toujours aux chrétiens ; Grégoire

de Nazianze s'en plaint amèrement, voyez oral. IV, c. 74, 76, Migne, S. G., 35, p. 600, 601.

5) Voyez A. Rostagni, Giuliano VApostata, p. 279, notel. Voir aussi Jul. Misop. p. 363b : « Pas un indigent ne se présente aux temples ; c'est que,, je présume, ils n'y trouveraient pas de quoi se nourrir. »

(e) Misop, p, 356b. (7) Misop. p. 356ς.

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femmes? Elles les attirent vers les objets de leur adoration, en leur procurant du plaisir » (1).

Que les femmes aient été les plus ardentes zélatrices du nouveau culte, cela se comprend aisément : une cause d'infériorité de la secte persique était justement, comme dit M. Cumont (2) : « que Mithra interdisait aux femmes la participation à ses mystères et se privait ainsi du concours de ces propagandistes ». En outre, les mystères d'Isis avaient été éclipsés à partir du ine siècle par la religion solaire (3). Seuls les mystères de la Mère des Dieux restaient ouverts aux femmes qui n'avaient pas encore embrassé le christianisme (4).

Julien dans sa lettre à Arsace ajoute encore quelques lignes sur la conduite des prêtres ; il élaborera ce thème plus tard dans sa grande lettre à Théodore ; maintenant il ne dit que ceci : « Ensuite, engage les prêtres à ne point fréquenter le théâtre, à ne point boire dans une taverne, à ne point diriger un métier ou un travail honteux et mal famé. Honore ceux quit'écoutent ; destitue ceux qui te désobéissent ». La nécessité de pareilles recommandations prouve clairement la démoralisation du clergé païen (5). Mais interdire aux prêtres de fréquenter le théâtre, c'était une innovation provenant de sa répugnance pour toute . obscénité ; en effet, toutes les fêtes, même celles du théâtre, faisaient partie du culte (e). Mais pourquoi interdire cela, et célébrer lui-même des fêtes religieuses avec des prostituées (7) ? Quant à la fréquentation des tavernes, outre les exemples outra-

(x) επί τα σφέτερα σεβάοματα αγουοιν αυτά δι' ηδονής. Σεβάο- ματα, cf. Ν. Τ. Ada, 17, 23 : τα σεβάσματα υμών εϋρον.

(2) Les Mystères de Mithra, 3e, éd.. p. 183. (3) Cumont, l. l. p. 188, note 1. Toutefois ces mystères ne

s'étaient pas encore totalement perdus, voyez Libanius, orat. xviii, c. 171, Foerster II, p. 310, 15. R. I, p. 579.

(4) Voyez mon article : L'Apostasie de Julien, p. 130, note 6. (5) Voyez J. Bidez, Lettres, p. 95 s. (e) V. P.Stengel, Die griechischen Kultusaltertümer, 2e edit.,

WissowA, Religion und Kultus der Römer. (7) Voyez mon article dans Γ Archief poor Kerkgeschiedenis,

XIX, p. 177,

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geux qu'il a vus lui-même, il a peut-être en vue Isocrate (*), qui dans l'Aréopagitique (2) dit, en louant le vieux temps : « Manger ou boire dans une taverne, nulle personne honnête (8), même d'état servile, n'aurait osé cela». L'idéal d'honnêteté (επιείκεια) antique ne le permettait pas ; quand on le faisait, c'était un signe de dégénérescence. Ce qui frappe aussi dans ce que dit Julien, c'est qu'il n'était pas absolument défendu aux prêtres païens de diriger un métier ou de faire un travail quelconque ; les métiers honteux et mal famés étaient seuls interdits. On verra cependant que Julien, en définissant les devoirs et obligations des prêtres, se réglera sur les institutions de l'Église, qui séparent nettement et pour de bon le clergé des profanes (*). A la différence des cultes officiels de l'État, où la prêtrise n'est qu'un emploi accessoire, déjà dans les cultes orientaux nous voyons que les prêtres ont une profession qui ne leur permet point de se mêler aux affaires du monde (5).

C'est dans la grande lettre à Théodore (e), écrite vers le mois de janvier 363 (7), que Julien donne l'idée la plus claire des réformes qu'il voulait introduire dans la vie et les mœurs du clergé païen. Après une introduction que nous pouvons négliger, il écrit au prêtre, qu'il n'a jamais vu, mais qui lui est recommandé

(x) Julien le connaît très bien ; voyez Brambs, Studien zu den Werken Julians des Apostaten (Progr. d. Κ. Β. hum. Gymnasiums Eichstätt) II. 1899, p. 18-37.

(2) Isocrate, 7, c. 49. (3) επιεικής, honnête ; voyez J. Bidez, Lettres p. 156, qui

traduit ainsi les mots : τους επιεικείς φύσει και σπουδαίους : «ceux que leur nature porte à l'honnêteté et à la vertu. » Voyez ci-après, p. 62 note 6.

(4) Les mots κλήρος et λαός sont déjà régulièrement en usage. Voyez mon article dans Γ Archief, p. 168, note 1.

(5) Voyez Fr. Cumont, Die orientalischen Religionen im römischen Heidentum, 1910, p. 50 s., Les Mystères de Mithra, 3e édit., 1913, p. 171 s.

(6) Epist. 89 (auparavant ep. 63 avec le Fragmentum Epistu- lae, qui constituaient originellement une épître indivisée), voyez J. Bidez, Lettres, p. 102, note 9.

(7) V. J. Bidez, Lettres, p. 103.

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par Maxime (*), qu'il veut lui confier une mission qui lui est chère et« dont bénéficieront tous les hommes en tous lieux »(8). « Quelle est donc », dit-il (8), « la mission que je déclare te confier à présent? C'est l'autorité sur tous les cultes en Asie,avec la surveillance des prêtres de chaque cité et le soin d'assigner à chacun ce qui lui convient ». Ainsi, Julien le nomme grand- prêtre (άρχιερενς) d'Asie.

La fonction du grand-prêtre d'Asie est une institution qui remonte aux premiers temps de l'Empire (*). C'était la dignité la plus haute de l'Asie, qu'on n'occupait que durant un an ; c'était donc une charge tout à fait honorifique, et les diverses villes d'Asie se disputaient chaque année le droit de désigner le titulaire (s). Il était le prêtre du temple provincial de Rome et d'Auguste, et avait l'autorité sur tous les prêtres, tous les temples, tous les cultes de la province, c'est-à-dire tous les cultes officiels en l'honneur des empereurs ; en outre, il avait le pas sur les autres prêtres par sa dignité, ses vêtements, ses insignes (e). Quant à la question de la différence des αρχιερείς et des άσιάρχαι elle a été longtemps discutée, sans qu'on ait pu trouver une solution satisfaisante (T). Tous les grands-prêtres aussi bien que

0) "Voyez p. 452ab, avec les notes explicatives de M.Bidez, Lettres, p. 152.

(a) P. 452BC. Bidez, Lettres , p. 152, 13-15. (*) P. 452d. Bidez, Lettres, p. 153, 5 s. (4) Voyez J. Bidez, Lettres, p. 103, note 2. P. Monceaux,

De commuai Asiae provinciae, Paris, 1885, p. 47s, Mommsen, Römische Geschichte, V, p. 319-322 avec les notes.

(5) Cette désignation s'appelle άποδεικννναι, voyez P. Monceaux, 1. 1., p. 50 : άρχιερενς αποδεδειγμένος = sacerdos desi- gnatus. Le droit de nomination était dans les mains du proconsul, plus tard de l'empereur. Chez Julien, ep. 89b, p. 304d, le mot άποδεικνύειν a la signification de nommer (il parle là de la nomination des prêtres par l'ai chipr être, voyez J. Bidez, Lettres, p. 173, note 1).

(e) Voyez P. Monceaux, l. l. p. 51. (7) Voyez V. Chapot, La province romaine proconsulaire

d'Asie (Bibliothèque de l'école des hautes études, sciences historiques et philologiques, CXXV, Paris, 1904.) Chap, ν, ρ. 468- 8,9, surtout p. 479, note 2 et p. 480. ; « Jl est fâcheux de rester

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les asiarques gardent leurs titres après leur démission (*). Les grands-prêtres en outre présidaient aux séances de l'assemblée provinciale, le κοινον 'Ασίας (2). Éphèse étant la capitale de l'Asie, ils y séjournaient, et présidaient au grand temple de Diane (3). Au quatrième siècle de notre ère, ils n'avaient plus rien à faire avec les conciles ; néanmoins, quand le christianisme fut déclaré religion de l'État, la prêtrise n'a pas été supprimée ; les prêtres conservèrent la cura ludorum (4).On trouvait encore des asiarques au cinquième siècle. Naturellement, il en fut de même dans les autres provinces. Puisque le soin des divers jeux à donner était très coûteux, les prêtres étaient toujours des gens fort riches. L'empereur Maximin, qui environ quarante ans avant Julien, a tâché de ressusciter les anciens cultes, avait donc nommé comme prêtres des notables (6). Lactance (e) à

ainsi dans l'absolue incertitude en une matière qui touche de si près au culte des Empereurs et à l'administration romaine. Ce qu'on peut du moins affirmer présentement, c'est que le grand-prêtre d'Asie, identique ou non à l'asiarque, était le président de l'assemblée, qu'il était nommé un an à l'avance, et restait pendant cette année d'attente αποδεδειγμένος (designa- tus). Que les deux charges, supposées différentes, fussent très recherchées et très coûtenses, c'est ce dont il n'y a pas moyen de douter. Nous connaissons trop les habitudes du gouvernement provincial pour croire qu'il ne les avait pas réservées d'une manière ou d'une autre, à l'aristocratie financière. Au reste, les inscriptions qui nous font connaître ces dignitaires attestent le plus souvent pour chacun d'eux une carrière fort honorable».

(x) V. P. Monceaux, p. 54. C'est pourquoi il est question d'asiarques dans les Actes des Apôtres, 19, 31. Cf. aussi Dion Chrysostome, orat. xxxv, c. 10, éd. J. de Armin I, p. 334, 14-18 éd. Reiske, II, p. 66 : τους ιερέας των παρ' ύμϊν · τους μακάριους λέγω, τους απάντων άρχοντας των Ιερέων, τους επωνύμους των δύο ηπείρων της εσπέρας όλης = « les prêtres de chez vous, je veux dire les riches, qui ont l'autorité sur tous les prêtres, qui tirent leur nom des deux continents de tout l'occident ».

(2) Voyez V. Chapot, l. /., p. 455. (3) Voyez P. Monceaux, p. 62, note 5. (4) Voyez P. Monceaux, p. 108. (5) Voyez Lactance, de mortibus persecutorum, 36 : ex pri-

moribus fecit ; Eusèbe Pamphile, Hist, Eccl. VIII, 14, 9, I2Ç, 4, (6) L' U

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tort a dit, que c'était une nouveauté. La nouveauté consista en ce que Maximin nomma lui-même les grands-prêtres, tandis qu'auparavant ils étaient désignés par les votes des décurions des diverses villes (x). En outre, tandis que les anciens αρχιερείς avaient la surveillance seulement des prêtres officiels de la province (2), appelés flammes, Maximin leur donna la charge de surveiller aussi les autres prêtres de la province (3). Cette réforme, toutefois, avait été comme préparée ; peu à peu en effet tous les dieux du pays s'étaient associé, dans le culte, l'un ou l'autre des empereurs, et d'une part le culte de Rome et d'Auguste, de l'autre le culte municipal des empereurs divinisés (divi) comprenait tous les autres cultes, surtout en Asie. Cela avait eu lieu plus tôt déjà en Egypte et à Chypre (4). En outre, ces grands-prêtres, sacerdotes, n'étaient plus créés annuellement, comme auparavant (ce qui n'excluait pourtant pas la réélection), mais ils étaient nommés pour la vie. Pour le reste, il n'y eut rien de changé. Eusèbe écrit (B) : « Comme prêtres des idoles dans chaque ville, et en tête de ceux-ci comme grands-prêtres étaient institués par Maximin lui-même ceux qui avaient figuré avec éclat dans l'administration de leur ville », et ailleurs (e) : « (il nomma) des prêtres des idoles en chaque lieu et chaque ville, et en tête de ceux-ci comme grands-prêtres pour chaque pro-

O Cf. Valesius ad Eusebii Pamphili Hist. Eccl. IX, 4, ad v. αρχιερείς προς αύτοΰ Μαξιμίνου, p. 184 de l'édition de Paris de 1659 : « Sacerdos provinciae suffragiis Decurionum creaba- tur... ld ergo ut novum et inusitatum notât Eusebius quod Maximinus ipse sacerdotes provinciae designaverit ».

(2) Voyez ci-devant, p. 56. (3) Voyez W. Otto, Priester und Tempel im hellenistischen

Aegypten I, p. 72 : « bekanntlich haben erst zur Zeit des ausgehenden Heidentums, als es zu Reformen schon zu spät war, Kaiser wie Maximinus... und Julian (Ep. 49 u. 63) daran gedacht — vielleicht ist hier die aegyptische Einrichtung vorbildlich gewesen — die sacerdotes provinciae vor Allem, als Oberaufsichtsbehörden der provincialen Priesterschaft zu verwenden»,

(4) Voyez P. Monceaux, I I., p. 113 sq, (5) Hist. Eccl. IX, 4. (6) Hist, Eccl. VIII, 14, 9,

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vince quelqu'un qui, dans le gouvernement des villes, avait rempli chaque fonction publique avec le plus d'éclat, et de plus il leur attribua des troupes de soldats et des gardes du corps ».

Ici tout respire encore le vieux temps ; chez Julien, c'est tout, autre chose. Ce que celui-ci veut, est tout-à-fait emprunté au Christianisme (x). A la fin de la Lettre à Théodore (2), chargeant les grands-prêtres du souci de nommer les prêtres (8),voici comment il s'exprime à ce sujet : « Je déclare que l'on doit choisir dans les villes les meilleurs, avant tout ceux qui ont le plus d'amour pour les dieux d'abord, ensuite pour les hommes, peu importe qu'ils soient pauvres ou qu'ils soient riches. Que l'on n'établisse, à cet égard, absolument aucune distinction entre l'homme obscur et l'homme en vue. Celui que sa mansuétude a laissé dans l'effacement (4), ne mérite point d'être exclu à cause de l'obscurité de son rang. Fût-il pauvre, fût-il du bas peuple, du moment qu'il réunit en lui ces deux conditions, aimer les dieux et aimer les hommes, qu'on le fasse prêtre ». L'idée que l'homme du bas peuple ne doit pas être exclu du sacerdoce, Julien l'a empruntée à Thucydide (8), où Périclès dans le discours en l'honneur de ceux qui sont morts pour la patrie, exalte la démocratie, mais Julien n'aurait pas eu cette idée démocratique concernant le recrutement du clergé, s'il n'avait pas vu, lorsqu'il était encore chrétien, le bon résultat de cette pratique (e). Chez Julien, par

0) Voyez J. Bidez, L'Évolution, p. 436. (2) Epist. 89b ( = Fragm. Ep.) p. 304d-305a, Bidez, Lettres,

p. 173, 7-14. (3) Voyez Ep. 89a (auparavant ep. 63) p. 452d, J. Bidez, Lett

res, p. 153, 1. 173, 1. (4) M. J. Bidez, Lettres, p. 97, 3 a remarqué à juste titre le

contraste qu'il y a entre les vertus chrétiennes que Julien fait ressortir ici, et les allures prétentieuses et hautaines de Maxi- me(cf. Eunape, Vit. Soph. p. 477, 28 sq.).

(5) II 37, 1 ; voyez : Bidez et Cumont, Epistulae p. 145, Bidez, Lettres, p. 173.

(6) Voyez P. Allard, Julien l'Apostat, II, 196 : « Julien y substitue le principe chrétien, qui, effaçant les distinctions sociales, va chercher le plus digne pour lui confier les fonctions sacrées. »

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conséquent, il n'est plus question de position sociale, comme chez Maximin ; il ne faut avoir égard qu'à la moralité des prêtres à nommer. On aperçoit aussi l'influence du Christianisme dans la combinaison du φιλόθεον et du φιλάνθρωπον — bien que sa philanthropie ne soit pas chrétienne, mais humanitaire, — : cela fait penser aux deux commandements de l'Évangile (l). Aussi les mots suivants de Julien (2) font-ils connaître le milieu chrétien, dont il est sorti : « On aura la preuve d'abord de son amour pour les dieux, s'il inculque à tous ceux de sa maison la piété envers les dieux (3) ; ensuite de son amour pour les hommes, s'il met de bonne grâce le peu qu'il possède à la disposition des indigents, s'il le partage volontiers avec eux et s'il cherche à faire du bien au plus grand nombre possible (4). C'est le point en effet que nous devons considérer surtout, et c'est de ce côté qu'il faut chercher un remède à la situation (5). En effet, la négligence et l'incurie de nos prêtres à l'égard des pauvres a suggéré aux impies Galiléens la pensée de s'appliquer à ces œuvres de bienfaisance, et ils ont consolidé la pire des entreprises grâce aux dehors séduisants de leurs pratiques. »

Voilà une des différences essentielles entre le paganisme et le christianisme : la charité pour l'amour de Dieu (ou des dieux), la miséricorde, et spécialement la charité des prêtres sont totalement inconnues dans le monde antique (e). Parce que Julien

0) S. Matthieu 22, 37 et 39, S. Marc 12, 30 et 31, S. Luc 10, 27, qui sont dérivés de Deuteronomium 6, 5 et Léviticus 19, 18, 2e partie.

(2) P. 305AB, Bidez, Lettres, p. 173, 14-24. (3) Voyez ep. 84a (auparavant ep. 49) p. 430a (ci-dessus p. 53)

et ep. 86 (auparavant ep. 2*), Bidez, Lettres, p. 148, 19-21, p. 149, 4-6. J'en reparlerai ci-après.

(4) Julien n'a pas vu que ce qu'il veut ici ne s'accorde pas avec ses idées de philanthropie, qu'il a développées dans la même lettre, p. 289a : άσκητέα τοίννν προ πάντων ή φιλανθρωπία, dont je traiterai ci-après. Ses exigences ici ont un caractère tout à fait chrétien, tandis que sa philanthropie est toute humanitaire.

(5) C'est-à-dire : chercher à renouveler les anciens cultes. (6) Voyez J, E)sser, De pauperuiji cura apud Romanos,

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a été chrétien, il a vu les défauts du paganisme, et il veut y remédier, mais, comme dit l'Évangile (x) : « Personne ne coud un morceau d'étoffe neuve (de drap écru) à un vieux vêtement : autrement le morceau neuf emporte une partie du vieux vêtement qu'il recouvre et fait une plus grande déchirure. »

Ce n'est que chez les chrétiens que le prêtre se préoccupe de la religion de tous ceux qui sont dans sa maison ; les anciens ne se souciaient guère de la religion de leurs esclaves ; toutefois, la manière dont l'Empereur justifie cette sorte de propagande dans sa lettre à Theodora, est, comme nous le verrons plus tard, un des signes de l'intolérance païenne.

Même les idées qu'il développe au commencement de la lettre à Théodore, auquel je dois revenir à présent, sont si non toutes, en tout cas pour la plupart, chrétiennes. Il écrit (2) : « Quelle est donc la mission que je déclare te confier à présent? C'est l'autorité sur tous les cultes en Asie, avec la surveillance des prêtres de chaque cité et le soin d'assigner à chacun ce qui lui convient. Un chef doit avoir pour première qualité la modération (douceur, clémence), puis la bonté et l'humanité envers ceux qui en sont dignes (3). Chaque fois qu'un prêtre (4) se montre injuste envers les hommes, impie envers les dieux et insolent envers tous, il faut le reprendre avec franchise, ou le châtier- avec sévérité. »

Quoique les mots et les expressions soient tous empruntés aux auteurs anciens (5), l'idée que Julien a en vue ici, est tout

Kampen. (Hollande), 1902, p. 8 : α Notatu dignissimum mihi videtur, quod, quidem ego sciam nullum vestigium apparere curae, quam sacerdotes habuerint pauperiorum », et p. 79-81.

(*) S. Marc 2, 21 (Traduction de Edm. Stapf er, Paris, 1889). Voyez aussi S. Luc 5, 36.

(2) Epist. 89a ( = ep. 63Hertl.) p. 452d-453a, Bidez, Lettres, p. 153, 5-12.

(8) Bidez, Lettres, p. 153, 8-10. Voyez la « Note sur le sens du mot επιείκεια de Julien (Excursus III) à la fin de l'article.

(*) Jamais il n'est question que des prêtres. (5) Voyez φιλανθρωπία προς τους άξιους αυτών τυγχάνειν =

Diod. Sic.V, 34, 1 : προς δέ τους ξένους επιεικείς καΐ φιλάνθρω-

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à fait chrétienne : nulle part, chez les anciens, il n'est question de surveiller les prêtres et de les châtier au besoin. En outre, le lajiguage de la partie de l'Évangile, où Julien a pris ses idées sur les prêtres (les épîtres de Paul à Tite et à Timothée), est purement classique. Bien que la morale mithriaque soit très rigoureuse Q-), on n'y trouve pas de préceptes spéciaux pour les prêtres ; le clergé païen n'a jamais été séparé du peuple, comme cela se voit chez les chrétiens.

On retrouve la même idée d'une séparation à faire entre le clergé et les profanes et des devoirs particuliers au clergé, dans la deuxième partie de la lettre à Théodore (2), où nous lisons : « Évidemment ce sont les administrateurs des cités (8) qui veilleront à faire régner la justice conformément aux lois civiles. Toutefois il convient que vous aussi (4), vous prêchiez d'exemple en respectant des lois consacrées par leur provenance divine. Et comme la vie sacerdotale requiert plus de sainteté que la vie civile, c'est vers celle-là qu'il faut conduire les prêtres (8) par votre enseignement. Les meilleurs, vraisemblablement, vous suivront. Autant je souhaite que tous le fassent, autant je l'espère pour ceux que leur nature porte à l'honnêteté et à la vertu (e), car ils reconnaîtront que vos discours s'appliquent spécialement à eux. »

noi, et les mots αδικεΐν, παρρησία, κολάζειν. Pour la signification de κολάζειν voyez le prochain numéro.

C1) Voyez Fr. Cumont, Les Mystères de Mythra, 3e edit.* p. 141-144, Die orientalischen Religionen, p. 235, (2e édit. p. 229 sq.).

(2) Ëpist. 89b (î= Fragm. Êp.) p. 289a, Bidez, Lettres, p. 156, M 5.

(3) τοις επιτρόποις των πόλεων, en opposition avec les prêtres, qu'il appelle άρχοντες, voyez Y Excursus III.

(4) C'est-à-dire : Toi et les autres prêtres. (δ) ΈπεΙ δε ταν Ιερατικον βίον είναι χρή του πολιτικού σεμνό-

τερον, ακτέον ènl τοϋτον καΐ διδακτέον.Μ BiOEZ,Lettres, p. 156, 11 s. traduit : « c'est vers celle-là qu'il faut conduire les hommes par votre enseignement. » Comme il s'agit ici exclusivement des prêtres à instruire, il vaut mieux insérer le mot : prêtres, qui n'est pas dans le texte, pas plus que le mot : hommes.

(β) Τους επιεικείς φύσει καί σπουδαίους. Pour επιεικής,

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Ainsi Julien veut que les prêtres s'appliquent à mener une vie vertueuse et honnête ; c'est là un précepte, qu'on ne trouverait guère dans le monde antique ; toutefois, il ne faut pas croire qu'il y ait ici une allusion à la pratique chrétienne. Julien a en vue les vertus hiératiques plutôt que sacerdotales des néoplatoniciens. Olympiodore le Jeune (vie s.) dans son Commentaire sur le Phédon, dit, qu'il y a aussi des vertus hiératiques (*). Celles-ci cependant ne s'opposent pas aux vertus du laïc, mais à des vertus d'un degré inférieur. Tous les sacerdoces orientaux d'ailleurs (mithriastes, manichéens,etc.) prêtent à leurs prêtres des vertus spéciales.

Il est encore question plus loin (p. 292d-293a) (8) de réglementer la vie des prêtres, mais en cet endroit les prescriptions sont conformes à la tradition antique, et surtout au néo platonisme. D'après Julien, les anciens ont démontré que l'homme est de sa nature un animal fait pour la vie commune (8), et il ajoute : « Et nous qui avons énoncé et constitué tout ce système, nous refuserions de rien mettre en commun avec le prochain ? (4). Après avoir commencé par faire siennes de telles dispositions et observances — vénération pour les dieux, bonté pour les

honnête, voyez Platon, Apol. 36b in fine, Crit. 44c ; voyez aussi Iso crate, 7, 49 (ci-dessus, p. 55, note 3). 'Επιεικής a. chez Julien le sens antique, qu'on ne trouve pas dans l'Évangile, où il a toujours le sens du mot επιείκεια (I Tim. 3, 3, Tit. 3, 2, Jacques, 3, 17. I Pierre, 2, 18) voyez VExcursus III. Julien aime à se servir du mot επιεικής, voyez Ep. 89b (= Fragm. Ep.) p. 290d (voyez le prochain numéro), Epist. ad Athen. p. 276c : άνθρωπος ôè είναι βονλόμενος... των επιεικών χαι μετρίων = « du nombre des gens honnêtes et justes. » Ο Ed. Norvin, Teubner, 1913, II 142 : δτι είσΐ και ίερα-

τικαΐ άρεταί. Voyez Zeller, III, 2. 4e ed. p. 770, η. 2. (2) BiDEz, Lettres, p. 160, 15-23.

'

(8) Φναει κοινωνικόν είναι ζφον τον ανθρωπον, voyez Aris- τοτΕ, Eth. Eudem. 1245 a 25. Julien, orat. VI p. 201b. Voyez ci-après dans le numéro suivant.

(4)/7ρός τους πλησίον. Ici seulement Julien a fait usage du mot qu'on trouve toujours dans l'Évangile, S. Matth. 22, 39 et à plusieurs reprises. Voyez mon Discours, Prov. Utr. Gen. p. 47, p. 50 (p. 12, 15 du tiré-à-part).

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hommes, pureté à l'égard du corps (*) — que chacun de nous accomplisse les œuvres de la piété en s'efforçant,en toute occasion, de faire des dieux l'objet de méditations pieuses et en considérant leurs temples et leurs images avec déférence et dévotion, plein de respect comme s'il voyait les dieux présents » (2).

Les mots « chacun de nous » prouvent clairement, que Julien ne se soucie guère que des prêtres. Que ces prêtres doivent avoir une situation tout indépendante des gouverneurs et des autres autorités civiles de l'État, cela est démontré par un passage de la lettre à Arsace (3) : « Visite rarement les gouverneurs chez eux (4) ; envoie-leur le plus possible tes communications par écrit. Qu'aucun prêtre n'aille à leur rencontre lorsqu'ils entrent dans la ville, mais seulement quand ils pénètrent dans les temples des dieux, toutefois sans sortir des vestibules. A l'intérieur, que pas un soldat ne les précède ; les suive qui voudra. Car, aussitôt qu'ils ont passé le seuil de l'enceinte sacrée, ils deviennent de simples particuliers. C'est toi, tu le sais, qui commandes au dedans : ainsi l'exige la loi divine. »

Ici, il ne resta guère trace de l'esprit du monde antique (5) ; nous nous trouvons devant ce qui a été toujours l'idéal des prêtres de l'Église : occuper une position tout indépendante et au dessus du pouvoir séculier. Je suis même enclin à dire qu'on peut conclure des mots de Julien des sentiments qui agitaient les prêtres de son temps. Lui, qui dans sa jeunesse avait été membre du clergé inférieur (e), savait au juste ce que ces prê-

(*) *ΑγνεΙας της rteqi τα σώμα ; sur Υάγνεία voyez ci-après Excursus V.

(2) Pour ce qui suit sur les images des dieux, et sur les autels, Voyez p. 67 s.

(3) Epist. 84 ( = ep.49Hertl.) p.431cD, Bidez, Let tres, p. 146, 12-19. "Voyez H.-A. Naville, Julien l'Apostat p. 158 s.

(4) Cf Epist. 89b (= Fragm. Ep.) p. 303ab, Bidez, Lettres, p. 170, 26 - 171, 8.

(5) Même en Egypte, le gouvernement central a toujours été assez fort pour empêcher les prêtres d'entraver le pouvoir civil.

(e) Voyez Grégoire de Ναζιανζέ, orat. IV, c. 97, Migne S. G. 35 p. 632b : α lui qui autrefois faisait la lecture des saints

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tres pensaient et voulaient, et il a voulu réaliser leurs vœux dans son église païenne. Cependant, non seulement les chrétiens, mais aussi les néoplatoniciens veulent donner au prêtre (non pas aux prêtres, car il n'y a pas d'organisation dans le paganisme) une situation à part ; on peut le voir dans le passage suivant de la lettre à Théodore (*) : « II convient d'adorer non seulement les images des dieux (2), mais aussi leurs temples, leurs enceintes sacrées et leurs autels. La raison veut de plus que l'on honore les prêtres comme ministres (3) et serviteurs des dieux ; ils accomplissent pour nous les devoirs envers les dieux et contribuent puissamment à attirer sur nous leurs bienfaits. En effet, ils sacrifient et prient pour nous tous». Les prêtres sont ici,com- me dans tous les cultes orientaux les intermédiaires entre les hommes et les dieux (4), par conséquent il faut les respecter, ce qu'il exprime ainsi : « II est donc juste de leur rendre à tous les mêmes honneurs, si non de plus grands encore qu'aux magistrats civils. Et si l'on estime que les magistrats civils ont droit

écrits au peuple et fut estimé digne de l'honneur de la prêtrise. » (Voyez Chap, ι, L' Apostasie de Julien R. B. vi 1-2 p. 127, note 3).

0) Epist. 89b (« Frdgm. Ep.) p. 296b-d, Bidez, Lettres, p» 163, 26 - 164, 14. Voyez Geffcken, Der Ausgang des griechisch* römischen Altertums p. 130 et p. 290, note 78. Il cite là le liber de my ster Us p. 246, 15 ed. Parthey (VI, 6), mais il y a une différence entre Julien et l'auteur du livre de mysteriis, qui parle du θεουργός et non pas du prêtre. Sur le livre de myst. VoyeiS ci-après, p. 68.

(2) Sur l'adoration des images, voyez ci-après p. 67 s* (3) λειτουργοί. (4) V. Fr. Cumont, Les Mystères de Mithra, 3e éd., p. 171, Diê

orientalischen Religionen, p. 50 s. et p. 112, Steinleitner, Dié Beicht im Zusammenhange mit der sakralen Rechtspflege in der Antike, Leipzig, 1913, p. 82, p. e. les mots suivants : « Ist der Gott der einzige Gebieter und Herrscher auf jedem Lebensgebiete, so ist der Priester nicht mehr bloss der Hüter heiliger Ueberlieferungen, auch nicht bloss der berufsmässige Mittler zwischen dem Menschen und der Gottheit, sondern er ist ihr Stellvertreter, der in ihrem Namen befiehlt und alle Lebensäusserungen der Gläubigen beherrscht, u. s. w. »

H. B. Pb. et Η. — δ

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à tout autant de considération, vu qu'en leur qualité de gar* diens des lois, ils exercent pour les dieux une espèce de sacerdoce (*), il faut cependant témoigner aux premiers une bien plus grande bienveillance. » A l'appui de ce qu'il dit, il renvoie le lecteur à l'Iliade A 23 ; tous ses exemples sont pris dans sa Bible, c'est à dire dans Homère. «Nous voyons», dit-il, «les Achéens presser leur roi de traiter avec respect un prêtre, quoique ennemi (2), et nous refuserions de respecter des amis qui prient et sacrifient pour nous ? »

La question des honneurs que l'on doit rendre au prêtre est encore plus largement développée dans le sens néoplatonique dans le passage qui suit. Ces néoplatoniciens ne connaissent pas la puissante organisation de l'Église, mais tout de même ils réclament pour le prêtre une position tout à fait prééminente ; « étant », comme dit Julien, « la propriété la plus précieuse des dieux », il faut le regarder « avec une pieuse vénération », et s'il est pervers, il faut que nous lui enlevions le sacerdoce. Mais citons le texte même, qui offre tant de difficultés (3) : « Aussi longtemps qu'un homme porte le nom de prêtre, nous devons l'honorer et l'entourer d'égards. S'il est pervers, enlevons-lui le sacerdoce et méprisons-le, comme convaincu d'indignité (4). Par contre, aussi longtemps qu'il sacrifie pour nous, qu'il accomplit les cérémonies préparatoires du sacrifice (6), qu'il s'ap-

(!) "Ιερατεύουσι τοις θεοΐς, voyez Ν. T. S. Luc. 1, 83 : εν τφ Ιερατενειν αυτόν... έναντι τον θεοΰ = « remplir devant Dieu les fonctions sacerdotales. »

(2) Καίπερ πολέμιον ο'ντα. Le mot πολέμιος ne se trouve pas dans le N. T., voyez mon discours, Prov. Utr. Gen., sur la différence entre πολέμιος et εχθρός ρ. 51 s. (p. 16 s. du tiré-à-part).

(3) P. 297AB, Bidez, Lettres, p. 164, 18 - 165, 4. (4) Ei ôè εϊη πονηρός, αφαιρεθέντα την Ιερωαννην,ώς ανάξιον

άποφανθέντα περιοράν. Voyez sur la traduction si juste de M. Bidez, mon compte-rendu des Lettres de Julien, par J. Bidez, Museum, Maandblad voor Philologie en Geschiedenis, XXXIII, n° 10, p. 259.

(6) Κατάρχεται. M.BiDEz, Lettres, p. 164, traduit : « qu'il officie», mais le mot κατάρχεται n'est en usage que dans les cultes païens, voyez Stengel, Die griechischen Kultusaltertümer, p. 99, tandis que : « officier » est un mot tout à fait chrétien.

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L EMPEREUR JULIEN 67

proche des dieux, regardons-le avec une pieuse vénération comme la propriété la plus précieuse des dieux (*). Car, si nous aimons les pierres, dont sont faits les autels (2) parce qu'elles sont consacrées aux dieux (3) et qu'elles ont une forme et une figure appropriée au culte auquel on les destine, par quelle i

nconséquence refuserions-nous d'honorer un homme voué aux dieux? » (4)

C'est là l'idéal du prêtre néoplatonicien, selon les vœux de Jamblique, comme M. Geffcken l'a si bien vu (5). Aussi, tout ce que Julien dit sur les autels et les statues des dieux est-il emprunté aux écrits de Jamblique. Par exemple, il écrit (e) : « En effet, les statues, les autels, la garde du feu inextinguible, et en un mot tous les symboles de ce genre, nos pères les ont établis comme des signes de la présence des dieux ,ηοη pas afin que nous les tenions pour des dieux, mais pour nous faire adorer

Ο V. J. Bidez, Lettres, p. 164 n. 3. Voyez aussi Platon, Phaedt 62b-d, Leges, X, 902b, 906a, Julien, Epist. ad Ath. p. 276bc.

(2) V. epist.88 (= ep.62 Hertl.),p.450B.Voyez ci-après.p.74 n.l. (8) Δια τό καθιερώσθαι τοις θεοΐς. (^Καθωσιωμένον τοις θεοΐς (Voyez Excursus IV à la im)i

P. 300c (Bidez, Lettres, ρ 168, 14) Julien appelle le prêtre : ιερωμένος = qui a été consacré (aux dieux). Mrs Wright, II, p. 325, traduit : let no one who has been consecrated a priest. » V. aussi p. 301b : καθάπερ γαρ ουδέ δδος näöa τοις Ιερωμένοις άρμόττει~==«Όβ même que tous les chemins ne conviennent pas à ceux qui sont consacrés (aux dieux). » Sur la consécration des prêtres, v. Schoemann II2, p. 412, Stengel2, p. 42. On trouve les expressions όσιοϋσθαι (Lucien, Lex., 10 : ώσιώθησαν) et àva- τίθεσθαι (cf. Dittenberger, Sylloge N° 369, p. 534, note 15 : « Vocabuli usus inde fortasse repetendus, quod sacerdos sellae cuidam in delubro positae imponebatur similiter atque in epis- scoporum inauguratione fieri solet»). Néanmoins le mot 'ιερωμένος est aussi en usage chez les chrétiens, voyez Theodoret, Kirchengeschichte, ed. Parmentier, II, 24, 3, p. 153, 9.

(5) J. Geffcken, Kaiser Julianus, p. 91, 16 ss., Der Ausgang, p. 130, 3 ss. Voyez sur Jamblique aussi : Kaiser Julianus p. 130 S. 14. Z. 14 ff., Der Ausgang, p. 106-114 et p. 283-286.

(e) Ep. 89b (= Fragm. Ep.) p. 293ab, Bidez, Lettres, p. 160, 22 - 161, 3.

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les dieux par leur intermédiaire. » Et encore (x) : « II convient d'adorer non seulement les images des dieux, mais aussi leurs temples, leurs enceintes sacrées et leurs autels (2).

Toutefois, il ne faut pas croire que Julien, bien qu'il admire Jamblique et le révère à l'égal de Platon et d'Aristote (8), l'ait copié ; il n'emploie même pas son vocabulaire. Pour prouver que Julien a fait usage des écrits de Jamblique, J. Geffcken (*) cite le livre de mysteriis II, 11 et VI, 6 (6), et dans son livre : Der Ausgang des Griechisch-römischen Heidentums (β), il compare Julien, éd. Hertlein, p. 380, 17 ss. (= Sp. p. 296b) avec de mysteriis p. 246, 15 ss. ed. Parthey (7), mais je ne vois pas

(*) P. 296, B, Bidez, Lettres, p. 163, 26 - 164, 1. (2) Voyez ci-dessus, p. 65. (8) Voyez orat. IV, 146a, 157c et d, et surtout orat. VII, p.

217c, 222b. Julien appelle Jamblique Ιεροφάντωρ, cf. Julien, Epistulae edd. Β. et C. n° 161, ρ 214, 19 s. =t Hertl. fragm. 6, p. 609, 11 s, un fragment des Κρόνια perdus, voyez J Bidez, Le philosophe Jamblique, Revue d. Études Grecques XXXII, 1919, p. 37.

(4) Kaiser Julianus, ρ 154, S 91, Ζ. 16. ( ) Dans sa thèse : De Iamblicho Libri qui inscribitur de my-

ëteriis auctore, Münster,1911, M.Rasche envient à cette conclusion que Jamblique est le véritable auteur de ce livre mystique, voyez p. 79. et M. Asmus, Wochenschrift für klassische Philologie XXIX, 1912, p. 373 s., est de son avis. Geffcken aussi, Der Ausgang, p. 283 s., s'arrête longtemps sur cette question et revendique ce traité insipide pour Jamblique lui-même. M. Bidez, Vie de Porphyre, p. 81, n. 4, se met à l'écart, mais il a vu que le livre des mystères, qui est une réponse tardive à la lettre de Porphyre à Anebon (V. Parthey, p. xxix-xlv, J. Bidez, Vie de Porphyre, VIII, p. 80-87) n'a été écrit qu'après la mort de Porphyre, l. l. p. 87. Un bon résumé du livre est donné par Zeller, III, 24, p. 774-783. Hopfner l'a traduit en allemand avec des notes ( Ueber die Geheimlehren von Jamblichus, aus dem griechischen übersetzt, eingeleitet und erklärt von Th. Hopfner, Theo- sophisches Verlagshaus, Leipzig).

C) P. 290, note 78. (7) C'est le même passage qu'il avait cité dans son livre :

Kaiser Julianus, p. 154, S. 91, Z. 16, c'est-à-dire : VI, 6.

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l'accord. Julien parle des prêtres (*), l'auteur du livre de my- steriis du théurge : « Le théurge par la force des mystères ne gouverne plus comme homme ni comme ayant une âme humaine les pouvoirs de l'univers, mais étant le premier dans l'ordre des dieux, il s'élève plus haut que sa propre essence ne le lui permettrait. » Et 1. II chap. 11 il est question, il est vrai, de l'art efficace des prêtres (2), mais dans ce qui suit, l'auteur insiste plutôt sur l'art du théurge pour arriver à l'union mystique avec les dieux. Julien loue extrêmement les théurges (8), mais on ne retrouve pas trace des raisonnements compliqués de l'auteur du livre de mysteriis dans les Lettres pastorales de Julien. Rien ne prouve que Julien ait connu cet ouvrage (4), car, en ce cas, il se serait sans doute procuré aussi la lettre de Porphyre à Anebon ; or, Julien nous dit qu'il n'a jamais lu les écrits de Porphyre (5), et nous savons que la philosophie de Porphyre est tout autre que celle de Julien et de Jamblique (e). Julien ne copie pas non plus Jamblique, et il garde son indépendance envers son cher maître ; on peut le voir dans ce qui suit. Jamblique appelle les images des dieux είδωλα (7), et l'auteur du livre de mysteriis, quoique il connaisse aussi le mot άγαλμα (*), en fait usage seulement quand il veut parler des apparitions des dieux, tandis que, quand il veut indiquer les images pour ainsi dire matérielles des

(x) Εϋλογον δε καΐ τους Ιερέας τιμαν. (2) II, 11, ρ. 96, 8 ed. Parthey : κατά τήν ενεργον των Ι

ερέων τέχνην. (3) V. OTttt. V, ρ. 178d : τοις ύπεράγνοις.,ί των θεονργών. (4) Voyez V Excursus IV. (5) Voyez Julien, orat. V, p. 161 c. (e) P. e. Porphyre a écrit sur l'abstinence de la chair des an

imaux (V. Bidez, Vie de Porphyre, p. 98-102) ; Julien connaît ces théories (voyez orat. V, p. 174ab), mais il ne les approuve pas.

(7) V. Johannes Philoponus chez Photius, n° 215, p. 173, 6 s. éd. Bekker : εστί μέν ό σκοπός Ίαμβλίχω θεία τε δείξαι τα είδωλα (ταντα γαρ υποβάλλει τω ονόματι τον αγάλματος) : « c'est le nom qu'il substitue au mot άγαλμα ».

(8) Voyez, I, 9 p. 32, 7 : των θεών εμφανές... άγαλμα, II, 4, p. 76, 13 : το των αύτοφανών αγαλμάτων, II, 10, ρ. 91, 10 ; τα αύτοπτικά αγάλματ<%.

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dieux, il ne fait usage que du mot εϊδωλον (*), et des mots qui en sont dérivés (a). Au contraire, Julien appelle toujours les images des dieux αγάλματα, celles des hommes εικόνες (8). Ju- line a l'esprit très indépendant, prompt, mais léger ; en écrivant, il ne prend pas le temps de rien vérifier ; on pourrait le considérer comme une sorte de publiciste : ce qu'il a lu, il se l'assimile, mais il ne va pas jusqu'à relire les écrits où il a pris ses idées ; il n'en a pas le temps ; il écrit en laissant courir sa main au gré de ses improvisations. C'est pourquoi il a souvent des redites (4). On en peut s'en faire une idée par la fin de son hymne à la Mère des Dieux (8) : « Qu'ajouterai-je à ce discours, moi, qui n'ai eu qu'une faible partie de la nuit pour enchaîner tout d'une haleine les idées que je viens d'exposer, sans avoir auparavant rien lu, rien médité sur ce sujet, sans avoir même eu l'intention de rien écrire avant d'avoir demandé mes tablettes? » (e). Et dans son discours contre le Cynique Héraclius (7), il s'excuse de ce que son métier de soldat ne lui ait pas laissé le temps de tout étudier : « Telles sont, si je ne me trompe, les parties intégrantes de la philosophie, et il ne serait pas étonnant qu'un soldat, comme moi, ne les sût pas exactement et qu'il ne connût pas sur le bout du doigt des matières dont je parle moins par la pratique des Uvres que d'après ce que m'en a montré l'expérience » (8).

0) Voyez e. g. III, 29, p. 172,16 : ει ôè καΐ ώς θεοΐς προσέχει τοις είδώλοις τούτοις.

(2) είδωλοποιητική τέχνη : III, 28, ρ. 168, 13, είδωλοποιία : II, 10 ρ. 95, 1, III, 28 ρ. 170, 1, είδωλοποιός : III, 28, ρ. 170, .6. Le traité de Porphyre : Sur les images des dieux s'intitule : περί αγαλμάτων (V. Bidez, Vie de Porphyre, p. 21-28, Fragments p. l*-23*).

(3) Cf. e. g. Jul. orat. IV, p. 139c : ov μην άγαλμα ovÔè εΐκών ; άγαλμα = simulacrum, είκών = imago. Cf. Plin. Sec. Epist. X, 96, 5.

(*) V. Bidez, Lettres, p. 105 et note 1. (6) Orat. V p. 178d-179a. (e ) Voir aussi orat. IV p. 157bc, orat. VI p. 203c. O Orat. VII p. 216a. (8) Sur la manière d'écrire de Julien, voyez : Jt Geffcken,

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C'est de la même manière qu'a été composée la lettre à Théodore : une vraie improvisation ; Julien saute capricieusement d'un sujet à l'autre et il se répète souvent ; il a le caractère impulsif (x), et on ne trauve dans cette lettre que les idées de Julien lui-même, telles qu'elles se sont formées chez lui, dans le cours des ans, sous l'influence du christianisme et de son entourage chrétien, de son éducation partiellement païenne (2), et de ses accointances avec un néoplatonisme mourant, de la théosophie, de la théurgie et de la magie, enfin de son initiation aux mystères de Mithra, et surtout à ceux de la Mère des Dieux. Il donne couramment son opinion, sans réfléchir, sous l'inspiration du moment, et quand il suit consciemment Jamblique, comme dans les discours IV et V (3), il a son propre vocabulaire ; il écrit d'ailleurs le grec beaucoup mieux et beaucoup plus clairement que son cher maître (4).

Julien continue comme il suit son exposé de la situation du prêtre dans sa Lettre à Théodore (») ; « Mais, objectera-t-on peut-

Kaiser Julianus und die Streitschriften seiner Gegner, Neue Jahr· bûcher f. d. klass. Altertum XI, 1908, p. 164, note 1.

(*) V. A. RosTAGNi, Giuliano l'Apostata. Cap. Il, p. 17. (2) Je pense ici à son pédagogue Mardonius, qui était païen,

comme je crois l'avoir prouvé dans mon article sur l'apostasie. (8) Voyez Julien, orat. IV p. 157d : « Aussi longtemps que le

Dieu » (Helios) « nous le permet, honorons en commun Jamblique, l'ami des dieux, chez qui j'ai puisé maintenant entre mille richesses, quelques détails qui se sont offert à mon esprit » (ênt νουν ελθόντά) ; il suit de là, qu'il ne cite pas textuellement Jamblique ; en écrivant il ne l'a pas sous la main (V. J. Geffcken, Neue Jahrbücher XI, 1908, p. 166, à la fin de la page). Dans sa manière d'écrire il n'y a qu'une exception. Dans son epitre à Themistius, p. 257d-258d, il transcrit littéralement un passage des Lois de Platon IV 713c-714a, mais il l'avoue p. 258d : « Je t'ai transcrit à dessein ce passage tout entier pour que tu ne m,'accuses point de vol ou de mauvaise foi », et p. 260d-261c, ilcite Aristote (Polit. III, 15, p. 1286b), mais c'est pour démontrer qu'il a profité des leçons du destinataire de l'épître. Il ne 1§ fait nulle part ailleurs. Geffcken n'a pas vu la différence.

(4) Voyez J. Geffcken, l. L, p. 167. (B) P. 297b, voyez ci-dessus, p. 66 sf

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être, faut-il l'honorer, s'il commet des injustices et s'il manque fréquemment à ses devoirs envers les dieux? A cela je réponds que l'on doit faire la preuve des fautes d'un tel prêtre, pour l'en> pêcher de troubler les dieux par sa perversité (*), mais que, jusqu'à ce que cette preuve soit faite, on ne peut pas lui refuser le respect. Car il serait déraisonnable de s'attacher à de tels griefs pour priver de leurs honneurs non seulement les coupables, mais aussi des hommes dignes d'être honorés. Ainsi donc, que tout prêtre, comme tout magistrat, soit entouré de considération. »

Ainsi, il faut que les prêtres constituent un corps privilégié, protégé par l'autorité publique, comme nous le verrons plus tard. Mais ces pensées ne sont pas du tout exclusivement propres à l'Église de ces temps-là ; Julien les a empruntées au néoplatonisme, car il les justifie en citant un oracle d'Apollon (?), où le dieu menace d'un châtiment sévère les agresseurs des prêtres, et un autre (8), où il veut que l'on protège ses serviteurs contre tout mal funeste, et Julien ajoute (4) : « (le dieu) affirme que, par égard pour eux, il infligera un châtiment à leurs agresseurs. Le dieu a fait entendre maintes paroles semblables qui nous mettent à même de savoir comment il faut honorer les prêtres et les servir, Mais j'en parlerai ailleurs plus longue-

(*) ίνα μή πονηρός ών ενοχλτ} τους θεούς, cf. epist.88 (auparavant ep. 62), p. 451c, Bidez, Lettres, p. 151, 7-9 : απαγορεύω σοι... μήτοι των είς Ιερέα μηδέν ενοχλεΐν=]ε t'interdis... de troubler par ta présence l'exercice des fonctions sacerdotales. » L'idée qu'on peut gêner les dieux porte la marque de la théurgie néoplatonicienne, ou plutôt de Jamblique. Voyez ce que j'ai dit dans VExcursus IV sur le mot χραίνεσθαι, être souillé, et surtout Julien, ep. 89b, p. 304a, Bidez, Lettres, p. 172, 4 s. : πολλοί πελάζονβιν ημίν ου καθαροί, και δια τοΰτο χραίνεται τα των θεών σύμβολα= « beaucoup de gens impurs s'approchent de nous et infligent une souillure aux symboles des dieux » (V. J. Bidez, L'Evolution, Bulletins de l'Acad. roy. de Belg. Cl. de Lettres, 1914, p. 440 note 2).

(a) P. 297cd, Bidez, Lettres, p. 165, 13 - 18. (■) P. 298a, Bidez, Lettres, p. 165, 20. {ή P. 298AB, Bidez, Lettres, p. 165, 21 - 166, 4.

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ment (*). Je me contente de montrer maintenant que je n'avance rien à la légère (2), et j'estime que la prédiction du dieu et son ordre formel suffisent pour le faire voir. Ainsi donc, si l'on n'accorde que peu de confiance à mes leçons, que l'on s'incline devant le dieu, qu'on lui obéisse et qu'on rende les plus grands honneurs aux prêtres des dieux. »

Que les prêtres futurs de l'église païenne doivent constituer un corps privilégié, protégé par l'autorité publique, Julien l'a démontré dans la lettre 88 (= ep. 62 H.) (8), où il inflige un blâme officiel à un juge, le gouverneur de la Carie, un de ses coreligionnaires — tous les hauts fonctionnaires sous Julien étaient des païens — , parce qu'il avait fait fustiger un prêtre qui s'était, semble-t-il, mal conduit. Le grand-prêtre de la ville de Milet (*) avait adressé à ce sujet une plainte à l'empereur. En sa qualité de souverain pontife et de prophète de l'oracle de Didymes, Julien frappe le gouverneur d'une peine spirituelle ; il lui défend d'assister pendant trois mois lunaires aux offices du culte païen. Si, passé ce délai, il en paraît digne, Julien lèvera la pénitence (8). Dans cette lettre, dont le commencement est mutilé, nous retiendrons surtout le passage suivant :

(*) C'est une allusion à l'encyclique perdue. V. J. BiDEZ,Le/- tres, p. 152, n. 1. La lettre à Théodore n'est qu'une ébauche sommaire, cf. p. 304b : vvvi ôè ώς τύπψ προς σε (1. προς σέ) γράφω περί αυτών.

(2) Julien appréhendait, comme dit M. Bidez, Lettres, p. 165, note 6, de paraître introduire de son propre chef des innovations dans le culte païen. Ces innovations sont pourtant évidentes, mais elles ne sont pas empruntées à l'Église, mais ont été ébauchées dans les cercles néoplatoniciens, ce qui est prouvé nettement par le contexte même de Julien ; il parle, p. 298a, de la prédiction du dieu et de son ordre formel (την τε εκ τον θεοϋ πρόρρησιν και το επίταγμα των αύτον λόγων).

(3) P. 450b -451b. V. sur cette lettre J. Bidez, Lettres, p. 101, W. Ensslin, Kaiser Julians Gesetzgebungswerk und Reichsverwaltung, Klio XVIII, 1922, p. 193 s.

(*) ό παρ' ύμίν αρχιερεύς, Julien, ρ. 450 D. (5) Pour plus de détails voyez J. Bidez, Lettres, p. }QJ,

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«les égards dus à des morceaux de bois (*), n'est-il pas juste de les avoir pour les hommes? Supposons qu'un homme (2) se soit emparé d'un sacerdoce peut-être sans en être digne : ne faut-il pas l'épargner jusqu'à ce que sa perversité soit reconnue, et alors seulement l'écarter de son ministère, le dépouiller du titre de prêtre qui lui aurait été accordé à la légère,et le livrer enfin à l'outrage, au châtiment et à la peine méritée? » II suit de là », dit M. Bidez (8) « que le prêtre jouira d'une immunité complète en matière pénale aussi longtemps que l'autorité religieuse ne l'aura pas destitué ». C'est là une faveur, dont les prêtres païens, ce me semble, n'ont jamais rêvé (4), et à laquelle seuls les prêtres chrétiens ont souvent aspiré. Néanmoins, il n'est pas nécessaire que son éducation chrétienne l'ait influencé à cet égard, ni même dans ce qui suit, car toute la tirade est appuyée par la citation de l'oracle néoplatonicien, dont j'ai fait mention ci-dessus. Julien dit (5) : « Pourignorer cela, il faudrait que tu n'aies pas la moindre notion de la juste mesure. Quelle peut être ton expérience du droit, si tu ne sais pas ce qu'est un prêtre, ce qu'est un simple particulier ? Quelle peut être ta modération, si tu maltraites celui devant qui tu devrais te lever de ton sieget »

La question de la peine spirituelle dont Julien a frappé le destinataire de la lettre, est beaucoup plus difficile à résoudre. M, Bidez croit (e), qu'il y ait ici une imitation de la tradition

(!) Les ξόανα, ν. J. Bidez, Lettres, p. 149, n. 2. Voyez aussi ci-dessus, p. 67.

(2) άνθρωπος. Ce mot est souvent employé avec un sens de mépris, cf. Platon, Phaed.lllA.--E, Protag. 314e, Démosthène, 21, 91, 48, 37, Hérodote, 9, 39, où il se dit des esclaves.

(3) Lettres, p. 150, n. 1. (4) Chez les Romains le prêtre est puni avant d'être destitué

et remplacé par un autre, voyez Plutarque, Quaest. Rom. 99. Seul Yaugur ne peut pas être destitué.

(5) P. 450BC, Bidez, Lettres, p. 150, 5-9, (6) Lettres, p. 101.

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chrétienne^) ; il nous renvoie au texte de Soxomène (2), où nous lisons que Julien « songea à imiter la tradition chrétienne en prescrivant — dans le culte païen — une gradation de pénitences pour les péchés volontaires et involontaires suivis de repentir », et dit que « la lettre 88 nous présente un exemple curieux d'une de ces pénitences... Il engage vivement le fonctionnaire sacrilège à reconnaître son erreur, à s'en repentir, et à prier les dieux de lui accorder l'absolution ». Certainement, il y a ici un certain degré d'adaptation aux usages de l'Église ; il a connu, étant jeune, les pénitences que celle-là imposait aux pécheurs, mais cela n'explique pas tout. Pour commencer, la lettre 88 a été écrite pendant les premiers mois du séjour de Julien à An- tioche (3), et les renseignements que nous donne Sozomène, sont tous empruntés à l'encyclique, qui apparu peu avant ou peu après la mort de Julien, et il y a une certaine évolution des idées dans le cours des mois à venir, qu'il ne faut pas négliger dans la critique de ce qu'il a fait ou voulu. Au reste, quoique je doive réserver la solution de cette question pour l'article suivant, je ne crois pas que ces mots non plus renferment tout à fait une idée chrétienne, au moins les mots « les péchés volontaires et involontaires » me semblent provenir plutôt du cercle des païens

Q) M. Bidez m'écrit : « J'ai encore été frappé par cette ressemblance, en lisant récemment un article du P. Delehaye, Sur les indulgences, Analecta Bollandiana, t. 44 (1926), p. 344, 5 s. : « A l'origine, ία pénitence consistait principalement dans l'exclusion prononcée contre le coupable : c'était au moins la privation de l'Eucharistie. Elle comportait d'ailleurs des œuvres satisfactoires et prenait fin par la réconciliation du pénitent. Les canons reconnaissaient à l'évêque le droit de réduire la peine et la durée de l'expiation, en raison des bonnes dispositions manifestées par le pénitent. Mais ces réductions ne portent pas le nom d'indulgence, etc. » C'est tout à fait ce que Julien applique ici. »

(2) V, 16, 2, 3 : διενοεΐτο (se. ό 'Ιουλιανός)... εκουσίων τε κ ai ακουσίων αμαρτημάτων κατά την των Χριστιανών πα$ά$οοιν εκ μεταμέλειας σύμμετρον τάξαι σωφρονισμόν,

(3) ΒίρΕζ, Lettres, p. 101,

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que d'un autre milieu (*). En outre, dans la lettre 88, il n'est question ni du repentir (μεταμέλεια), ni de la correction (σωφρονισμός), dont parle Sozomène.

Mieux vaut donc chercher l'explication dans le texte même de notre lettre. Le crime d'avoir fait frapper un prêtre est un sacrilège. Pour démontrer cela, Julien citerait de préférence les premiers vers de l'Iliade, dont il a parlé aussi dans la lettre 89 (a), c'est-à-dire A vs. 23 et 93-94 (3), où nous lisons que le dieu s'est irrité, parce qu 'Agamemnon avait traité avec dédain son prêtre. Mais, le destinataire de la lettre regardant comme des fables ce qu'il y a chez Homère (*), Julien cite l'oracle de Didymes, et à la fin de sa lettre il désapprouve les malédictions des dieux (5), c'est-à-dire les imprécations que les prêtres prononcent en invoquant les dieux (e) ; or, chez Homère le prêtre est appelé αρητήρ, celui qui adresse les prières au dieu, et il prie le dieu de le venger de l'insulte (7), c'est-à-dire il invoque le dieu pour réaliser son imprécation, mais Julien ne croit pas que les dieux réalisent les malédictions des prêtres, et dit : « je pense d'ailleurs que nous sommes des ministres de prières », ce que

0) Voyez Steinleitner, Die Beicht im Zusammenhange mit der sakralen Rechtspflege in der Antike, Leipzig, 1913, p. 92 : « Die sittliche Schuld oder Nichtschuld des Täters bleibt unbeachtet. Und deshalb sündigt der Mensch oft, ohne es zu wissen oder zu wollen », et p. 93 : « Diese Vorstellung, nach welcher ein Frevel dem Menschen unbedingt zugerechnet wird, auch wenn er ohne dessen Wissen und Willen begangen worden, ist altes Glaubensgut der orientalischen Völker. » Sur les petits monuments de la Méonie et de la Phrygie, dont M. Steinleitner a puisé les inscriptions qui lui ont servi de texte pour sa théorie de la « Beicht », voyez V. Chapot, La province romaine proconsulaire d'Asie (Bibliothèque de V École des Hautes Études, Sciences historiques et philologiques, CXXV, 1904), p. 509 s.

(2) P. 296d, Bidez, Lettres, p. 164, 11 s. (3) V. aussi II. A vs. 11.

• (4) P. 450d, Bidez, Lettres, p. 150, 15 s. (δ) τ ας εκ των θεών αράς, ρ. 451 c, Bidez, Lettres, p. 151, 12. (β) V. p. 451d, Bidez, Lettres, p. 151, 15 s : ευχών είναι δια

κόνους ημάς οΐμαι. (7) Hom. II. A, vs. 35 : ήράθ' δ γεραιός et ysf 42 ;

4<xvaoi εμα, δάκρυα σοϊσι βέλεσσι.

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M. Bidez explique de cette manière : « en d'autres termes : c'est à transmettre des prières (et non des malédictions) que nous, prêtres, nous devons servir. » Julien pensait sans doute à son Plutarque, Atcibiade, XXII à la fin — il le connaît très bien (x) — où la prêtresse Theano dit qu'elle est une prêtresse de prières et non pas d'imprécations (2), car c'est le seul texte ancien, où, à notre connaissance, l'imprécation soit réprouvée (8). Mais que la malédiction n'aurait pas eu d'effet (4), cela ne se trouve nulle part (5)

(x) Julien le cite souvent, p. 200b, 227a, 359a, et il a lu les Vies ; voyez F. Cumont, Revue de l'Instruction publique en Belgique, XXXII (1889), p. 84, et surtout E. Sonneville, Un passage de Plutarque utilisé par Julien dans le Discours VIII, même revue XL II (1899) p. 97-101. Julien fait aussi des citations d'après Plutarque, sans le nommer, p. e. ep. 60 (= ep.10 H.), p. 378D,voyez Bidez, Lettres, p. 69, n. 4 et ep. 111 (= ep. 51 H.), p. 433d, voyez Bidez, Lettres, p. 189, n. 5.

(2) Plutarque, AlcWiade, XXII à la fin : φάακουααν ευχών, ου κατάρων Ιέρειαν γεγονέναι.

(3) Pour les imprécations au moyen de prêtres et de prêtresses, voyez : [Lys.] orat. VI 51 p. 107, éd. v. Herwerden : καΐ έπι τούτοις Ιέρειαι και ιερείς στ άντ ες κατηρήσαντ' αύτώ. Sur toutes sortes d'imprécations voyez Stengel, Die griechischen Kultusaltertümer, 2e éd. p. 75-77. Même dans la Bible nous trouvons des malédictions, v. N. T. S. Marc, 11, 21 (v.aussi 11, 13 et 14), Galat. 3, 10 (Deuteron. 27, 26), Septuaginta, Genesis 12, 3. Seul S. Paul blâme les malédictions, Rom. 12, 14 : « bénissez vos persécuteurs, oui, bénissez, ne maudissez pas », et dans quelques manuscrits du N. T. nous trouvons : S. Matth. 5, 44, après les mots : αγαπάτε τους εχθρούς υμών : ευλογείτε τους καταραμένους υμάς κτλ.

(4) Julien, ep. 88, p. 451d, Bidez, Lettres, p. 151, 14 s. : ού- δαμοϋ γαρ αυτό πεποιηκότες ol Θεοί φαίνονται.

(5) Que l'on croyait dans l'antiquité à l'efficacité des malédictions, on le voit clairement chez Steinleiter, l. l. p. 108 : « Es ist ein alter und weitverbreiteter Glaube, dass die im Fluche angerufene oder damit in Beziehung gebrachte Gottheit den Fluch auch erfüllt. Die zahlreichen Verwünschungstäfelchen, die diesem Glauben ihre Entstehung verdanken, beweisen dies zur Genüge. » Selon Platon, Leges XI p. 931b, les malédictions prononcées par les parents contre les fils sont toujours effica-

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Julien ne veut pas de ces malédictions qui doivent contraindre le malfaiteur à expier le crime (x). Il dit (a) : « Quant aux malédictions des dieux (3), jadis les anciens avaient coutume de les prononcer et de les écrire, Mais cet usage ne me paraît pas bon à suivre. » Comment s'est-il fait que Julien à cet égard a tellement devancé son siècle, qui était pleine de superstitions ? Je crois en pouvoir trouver la cause dans sa conversion . La vraie religion, la religion du cœur, on ne l'apprend que dans son enfance, oralement, de la bouche de ses parents, de son entourage, du ministre ou du prêtre ; la nouvelle religion a toujours quelque chose de forcé : cela ne peut être qu'une religion pour ainsi dire intellectuelle. Et tandis que Julien, quoi qu'il en dise, n'a jamais oublié les beaux préceptes de l'Évangile, il n'a appris de la nouvelle religion que ce que les philosophes, comme Maxime, et surtout les écrits des auteurs anciens, pouvaient lui en enseigner. Or, ces auteurs anciens, qui ont tous écrit en grec et qui sont de grand style, n'ont écrit que pour les classes intellectuelles et de haute culture ; par conséquent, on ne trouve chez eux

ces , et il approuve cela : αραιός γαρ γονεύς έκγόνοις, ώς οΰ- δείς ërsQoç άλλοις, δικαιότατα (p. 931c). Voyez Schmidt, Vete- res philosophi quomodo iudicaverint de precibus (Religionsge~ schichtliche Versuche und Vorarbeiten, IV, 1907-1908), Giessen, p. 12, note 7. Voyez surtout Ν. T. S. Marc, 11, 21 : ραββεΐ, ϊδε ή σνκή ην κατηράσω,εξήρανται.Υ. aussi Steinleitner, I.I., p. 85, note 2 : « Diese Idee vom Fluche als einem Gebete, das die Götter erhören und dessen Inhalt sie vollstrecken, ist echt griechisch. S. Naegelsbach, Die nachhomerische Theologie S. 350. »

(x) Steinleitner, l. L, p. 103 : « Der Angabe des Klagegrundes und der Bitte an die Gottheit schliesst sich der Fluch an, den diese an den Uebeltäter vollziehen soll. Diese Verfluchung der betreffenden Person bildet die Hauptsache ; denn durch den Fluch soll ja der Missetäter zur Sühne gezwungen werden. »

(2) P. 451cd, Bidez, Lettres, p. 151, 12-14 : Τας ôè εκ των θεών αράς πάλαι μεν εΐώθεσαν ol παλαιοί λέγειν και γράφειν, οΰ μην εμοιγε φαίνεται καλώς εχειν,

(3) C'est à dire les malédictions que les prêtres prononcent en invoquant les dieux (voyez ci-dessus p. 76). Le dieu exécute la malédiction, mais ne la prononce pas.

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que peu de traces de ces superstitions du bas peuple, que les écrits de MM. Steinleitner et Chapot nous ont fait connaître. La religion des classes supérieures est toujours beaucoup plus épurée que celle du bas peuple, et quand il n'est pas question de mystères chez Julien, sa conception de la religion et de la divinité est beaucoup plus à louer qu'on ne serait enclin à le faire. En outre, Julien a le cœur généreux, et, quoique souvent emporté, quand sa belle religion surannée est en danger, il n'a rien de haineux, et je ne le crois pas en état de maudire qui que ce soit. Il est de ceux qui avec Antigone (x) pourraient dire : ούτοι συνεχθειν, άλλα αυμφιλεΐν εφυν. Il aura pris à cœur les beaux préceptes humanitaires du Portique qu'il avait appris chez Dion Chrysostome. C'est là, je pense, la raison, pourquoi il a rejeté la malédiction comme devant faire comprendre au gouverneur, qu'il a commis une faute et qu'il faut se repentir, et qu'il a puni cette faute par une peine, qu'on pourrait dire spirituelle : il lui défend d'assister aux offices du culte païen. Mais qu'il y ait ici une imitation de la tradition chrétienne, je ne le crois pas. Julien n'exige pas que le destinataire de la lettre se repente de la faute commise, il veut qu'il supplie les dieux de lui en accorder le pardon (2). En outre, pas un mot de tout ce passage n'est en usage chez les auteurs chrétiens (3), et les termes dans lesquels l'interdit est conçu, sont de nature à faire horreur aux chrétiens : « je t'interdis pour la durée de

0) Sophocle, Antig., 523. (2) Voyez la fin de la lettre : « C'est pourquoi je joins mes VœUX

aux tiens afin que tes instantes supplications obtiennent des dieux le pardon de tes fautes. » (όθεν και συνεύχομαΐ σοι πολλά λιπ ρήσαντι τους θεούς αδείας τυχείν ών έπλημμ&λησας).

(3) Les mots προπέτεια, témérité (ν. Isocrate, Philippus, 90), λιπαρείν, άδεια, πλημμελεϊν ne se trouvent que chez les auteurs anciens ; même διάκονοι au sens employé (ευχών διάκονοι) est antique, v. Platon, Gorg., 517b : ούδ' εγώ ψέγω τούτους ώς γε διακόνους είναι πόλεως. Προπέτης se trouve dans le N. T. (Act. 19, 36, II Tim. 3, 4), mais sans rapport avec la question qui nous intéresse, πλημμελεϊν aussi Julien, orat. VI, p. 182b : και γαρ ουδέ των κυνιδίων ήμΐν μέλει τα τοιαύτα πλημμελούν- των.

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trois révolutions lunaires de troubler par ta présence l'exercice des fonctions sacerdotales » (x). Il faut donc chercher une analogie chez les auteurs païens,et je crois en avoir trouvé une dans le roman d'Héliodore (2). Ici, le prophète Calasiris, en contant les aventures de sa vie en des termes tout à fait néoplatoniciens ou néopythagoriciens (3), dit que, parce qu'il s'était épris de la courtisane Rhodopis, qui... « parcourait l'Egypte et faisait aussi en grande procession son entrée à Memphis », il s'était infligé à lui-même, comme punition, l'exil. (4). J'en donnerai tout le contexte : « Elle venait bien souvent au temple d'Isis, de laquelle j'étais le grandPontife,et honorait la déesse par des sacrifices et des offrandes coûteuses. Je rougis de le dire, mais néanmoins je le ferai : elle me gagna, moi aussi, et surmonta la continence à laquelle je m'étais soigneusement accoutumé, et que j'avais pratiquée durant toute ma, vie. Car après que j'eus longtemps opposé les yeux de l'âme et de la raison à ceux du corps, à la fin finale, je me trouvai vaincu, et je compris que le temps ne m'avait servi que de surcharger et d'augmenter ma passion amoureuse, par où je découvris que c'était le commencement des maux qui me surviendraient, et que les dieux et les astres m'avaient prédits. Et voyant que c'était le destin qui s'annonçait, et que le démon qui m'était échu alors (6), s'était vêtu et

Sur le Mot ενοχλεΐν voyez ci-dessus, p. 72, note 1. Les mots : περιόδους σελήνης sentent l'adoration de la lune, que les

chrétiens ont en horreur. (a) Aethiopica II, c. 25, ed. Hirschig, Paris, Didot, 1856,

p. 262. (8) Voyez p. e. II, c. 24, p. 261 : ούρανία φωστήρων ειμαρ

μένη περίοδος τρέπει το καθ' ημάς και δμμα Κρόνιον εις τον οίκον ενέσκηψε.

(*) την άρμόζουσαν έπιβαλών ζημίαν (Voyez HÉRODOTE, 7,3 ". φυγήν έπιβαλών έαυτω εκ Λακεδαίμονος) φνγϋ κολάζω την επι,θυμίαν.

(5)ό τότ είληχώς δαίμων.\ογ&ζ ce que Julien dit des démons pervers qui châtient les athées (les chrétiens), ep.89b (=Fragm. Ep.) p. 288ab, Bidez, Lettres, p. 155, 12 - 156, 1 : « Quant à ceux qui refusent d'invoquer les dieux, ils sont soumis à la tribu des démons pervers. Ceux-ci jettent la plupart de ces athées

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L* EMPEREUR JULIEN &ί

déguisé de son corps, comme d'un masque, je résolus de ne pas déshonorer le sacerdoce, auquel j'étais dévoué dès mon enfance, et de ne pas profaner les temples et les enceintes sacrées des dieux. Et pour les péchés commis non en réalité (les dieux m'en préservent), mais en désir, je m'infligeai la peine convenable, et en prenant la raison pour juge, je châtiai ma passion par l'exil (x) ; et moi, le malheureux, je quittai le pays qui m'avait fait naître, en quoi je cédais à la fois au destin des Parques, et leur faisais faire ce qu'elles voulaient de moi, et échappai à Rhodopis, dont je me détournai avec horreur » (2).

Je ne prétends pas que Julien ait lu ou connu ce roman, mais dans cet ouvrage on peut voir nettement, quelles étaient les idées, en vogue dans les cercles néopythagoriciens, qui ne se distinguent pas trop des cercles néoplatoniciens dont Julien a emprunté la religiosité. Les peines spirituelles ne sont donc pas tout à fait inconnues aux païens de cette époque, et il n'est pas nécessaire de voir dans ce que Julien a fait, une simple imitation de la tradition chrétienne. Comme nous le verrons plus tard (8), les chrétiens font usage de termes et de mots tout autres que ceux de Julien.

Mais il y a encore une autre solution de cette question, qui sera peut-être plus satisfaisante. Que Julien ait fait mention des malédictions des dieux dont il ne veut pas, c'est un indice, ce me semble — · quoiqu'il n'en dise rien — qu'il a connu, non pas naturellement les inscriptions, dont traitent MM. Chapot et Stein- leitner, mais la coutume de maudire le malfaiteur afin de le

dans un accès de délire qui leur fait souhaiter de mourir, en leur donnant l'idée qu'ils s'envoleront vers le ciel après s'être arraché violemment la vie», et un peu plus loin : « les démons pervers auxquels ils sont livrés les poussent à cette misanthropie. »

(x) των ό' ήμαρτημένων ουκ έργω (μη γένοιτο) άλλ' εφέσει μό- νϊ1> τνν αρμόζουσαν επιβαλών ζημίαν, δικαστήν εμαυτώ τον λογισμον άναδείξας, φνγΫ\ κολάζω την επιθνμίαν ; cf. Julien, ep. 88 p. 451c, Bidez, Lettres p. 151, 11 s. : ταντην εγώ σοι της προπετείας επιτίθημι ζημίαν.

(2) την άποτρόπαιον f Ρόδωπιν άποφενγων. (8) dans l'article suivant. Π. Β. Ph. et H. — 6

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contraindre à confesser et à expier sa faute. Pourquoi alors Julien ne veut-il pas suivre l'exemple de ses coreligionnaires ? L'institution comme telle :de contraindre le coupable à confesser sa faute, sans le maudire auparavant, est une conception chrétienne. Ainsi nous voyons que Julien, tout en citant des exemples pris dans l'antiquité, a conservé, pour ainsi dire, dans l'inconscient, sans en rien savoir lui-même, cette idée toute chrétienne, et n'a pas voulu des malédictions. Chez les anciens, la punition, suite d'une malédiction, devance le repentir ou le sentiment de malaise ; chez les Chrétiens, c'est tout à fait le contraire. J'en reparlerai plus longuement dans l'article suivant.

(à suivre). W. Koch.