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ISSN 1225-9101 C ULTURE ET A RT DE C ORÉE Vol.12, N° 1 Printemps 2011 L’île de Ganghwa Une agréable vue sur l'histoire de Corée

Koreana Spring 2011 (French)

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ISSN 1225-9101

C u l t u r e e t A r t d e C o r é e Vol.12, N° 1 Printemps 2011

L’île de Ganghwa Une agréable vue sur l'histoire de Corée

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Beautés de Corée

Le « binyeo »Une épingle à cheveux traditionnelle

a danse traditionnelle du « salpuri » fait appel aux gracieux gestes de tous les jours qu’accomplissait une femme, notamment quand elle arrangeait son chignon devant le miroir.Sa chevelure ramassée derrière la tête y était fixée par un « binyeo », une épingle aux extrémités ornées sans

laquelle cette coiffure se rapproche un peu du chignon fétiche de la maison Chanel. Ce premier accessoire se complétait d’un second, le « dwikkoji », c’est-à-dire une épingle à cheveux arrière qui venait souvent enjoliver le chignon traditionnel. L’ensemble ainsi obtenu rehaussait la pureté des lignes de la nuque féminine.

Par le passé, les jeunes filles coréennes délaissaient la longue natte qui leur tombait dans le dos à la faveur du chignon et du « binyeo » pour marquer leur accession au statut de femme mariée. En outre, cette coiffure en disait long sur les orientations politiques d’une famille et sur le sens de la mode des élégantes, car l’appartenance à des factions politiques données dictait autant de styles d’ornementation du chignon.

Les divers modèles de « binyeo » allaient du plus simple, composé de bois, en usage chez les femmes du peuple, à des articles en or ou en argent. À la cour du roi, où les cérémonies se succédaient tout au long de l’année, ainsi que dans les familles de la classe dirigeante, cet accessoire se transformait en un extravagant bijou dans l’exécution duquel les arti-

sans témoignaient d’un grand sens artistique et de beaucoup d’inventivité.Pour la plupart, les femmes mariées portaient un « binyeo » dit simple , dont

la longueur pouvait être de dix à douze centimètres, tandis que reines et concu-bines royales employaient parfois plus de dix d’entre eux pour agrémenter leur chignon. La douzaine de « binyeo » royaux qui demeurent de ces lointaines épo-ques sont sertis de gemmes étincelantes et gravés de motifs raffinés qui devaient mettre en valeur le lustre des chevelures brunes. Ces articles se composent de diverses matières telles que l’or, l’argent, le corail, le jade et les perles, chacun d’entre eux mesurant trente-trois centimètres de long.

Dame Gyeongbin Kim (1831-1907), qu’avait prise pour concubine Heonjong, l’un des souverains de Joseon, légua un ensemble de prescriptions régissant la tenue vestimentaire d’apparat, « binyeo » et autres accessoires y compris, dont le port s’imposait à la cour. Les différents modèles d’épingle portaient un nom se référant à leurs motifs ornementaux, qui pouvaient être le dragon (« yongjam ») le phénix (« bongjam »), la pivoine (« moranjam »), la fleur de prunelier accompagnée de bambous (« maejukjam ») et la fleur de lotus (« yeonjam »). Le modèle particulier de « binyeo » que l’on appelait « tteoljam » comportait en outre de minuscules colifichets qui pendaient à de petits rouleaux de fils et se balançaient à chaque mouvement de celle qui les portait. Selon la nomenclature de Dame Gyeongbin Kim, les différents modèles pouvaient se classer dans des catégories telles que « brillant et magnifique », « sym-bole d’autorité » et « variant selon la saison ».

Lors d’un mariage, les gens du peuple arboraient plusieurs « binyeo » parmi lesquels se trouvaient souvent des pièces de grandes dimensions ornées de symboles royaux tels que le dragon. Les femmes d’aujourd’hui n’en fixent plus sur leur chignon que lors des occasions particulières où la tenue traditionnelle est de rigueur. Kim Yoo-kyung, Écrivain

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© Suh Heun-gang

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Culture et Art de Corée Vol.12, N° 1 Printemps 2011

Sur l’île de Ganghwa, au Temple de Jeongsu qui s’élève sur le Mont Mani, le Pavillon de Daeungbojeon s’orne d’un ouvrage à clairevoie traditionnel coréen aux couleurs bleue, orange, rouge et verte et aux motifs de fleurs de lotus et de pivoines.

© Ha Ji-kwon

L’île de Ganghwa

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6 Ile de Ganghwa au charme irrésistible Lee Dong-mi

14 L’île de Ganghwa, miroir de l’histoire coréenne Kim Hyung-yoon

24 La vie quotidienne sur l’île de Ganghwa Ham Min-bok

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30 Dossiers

La « Nouvelle vague coréenne » trouve un élan dans la musique pop Shin Hyun-joon

36 Chronique Artistique

Les chefs-d’œuvre de la peinture bouddhique de Goryeo, un bref retour, sept cents ans après | Bae Young-il

44 ArtisAn sim Yong-sik

Le travail d’un maître qui ravive le charme du « hanok » Park Hyun-sook

50 À lA DéCouverte De lA Corée

L’exposition « Cinq regards de l’Ouest », révélatrice d’influences coréennes dans l’art américain | Charles La Shure

56 entretien

Hesung Chun Koh Une super maman et une infatigable ambassadrice de la culture Shin Ye-ri

60 sur lA sCène internAtionAle

Kim Young-se : créateur et « imagineur » d’avenir | Jeon Eun-kyung

64 Chefs-D’Œuvre

Le voyage de rêve d’un prince de Joseon au paradis du verger aux pêchers | Ahn Hwi-joon

68 esCApADe onYAng Hier ville d’eau des têtes couronnées, aujourd’hui lieu de voyage de noces | Kim Ha

76 Cuisine

Le « pyeonyuk » Un émincé de bœuf | Lee Jong-Im

80 regArD eXtérieur

La Corée du Sud, cette belle inconnue | Guy Sorman

82 vie quotiDienne

Des musiciens amateurs d’âge mûr réalisent les rêves de leur jeunesse | Park Eun-kyung

87 AperÇu De lA littérAture Coréenne

Chung Han-ah Une alchimie des espoirs et désespoirs familiaux Shin Soo-jeong

Le goût du maté Traduction : Kim Jeong-yeon et Suzanne Salinas

Publication trimestrielle de la Fondation de Corée2558 Nambusunhwanno, Seocho-gu, Séoul 137-863 Corée du Sudwww.kf.or.kr

ÉITEUR Kim Byung-kook DIRECTEUR DE LA RÉDACTION Kim Sung-yupREDACTRICE EN CHEF Choi Jung-hwaRÉVISEUR Suzanne SalinasCOMITÉ DE RÉDACTION Cho Sung-taek,Han Kyung-koo, Han Myung-hee, Jung Joong-hun, Kim Hwa-young, Kim Moon-hwan, Kim YoungnaCONCEPTION ET MISE EN PAGE Kim’s Communication AssociatesRÉDACTEUR EN CHEF ADJOINT Lim Sun-kunDIRECTEUR PHOTOGRAPHIQUE Kim Sam DIRECTEUR ARTISTIQUE Lee Duk-limDESIGNER Kim Su-hye

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Koreana, revue trimestrielle enregistrée auprèsdu Ministère de la Culture et du Tourisme (Autorisation n° Ba-1033 du 8 août 1987), est aussi publiée en chinois, anglais, espagnol, arabe, russe, japonais et allemand.

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Un bateau partant d’Oepori, ce port de la côte ouest de l’île de Ganghwa, permet d’atteindre en dix minutes l’île de Seongmo et le Mont Nakga, au pied duquel le Temple de Bomun permet d’embrasser du regard la Mer de l’Ouest.

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Par ses curiosités d’une grande valeur historique allant des dolmens de la préhistoire aux églises anglicanes d’aujourd’hui, l’île de Ganghwa fait véritablement figure de « musée vivant » et son passé abonde en anecdotes de guerre riches d’enseignements sur l’histoire de toute la péninsule. Désireux

d’admirer les beautés de ses vastes marais côtiers, les touristes y accourent nombreux, notamment les citadins de la capitale venus y passer la journée.

L’île de Ganghwa

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Ile de Ganghwaau charme irrésistibleL’auteur de cet article a vécu plus de dix ans sur l’île de Ganghwa et à chaque fois qu’elle y retourne, aime à respirer son air salin qui se mêle dans le vent aux senteurs des marais côtiers et à l’odeur de la sueur des travailleurs de la mer, en un témoignage suave du charme irrésistible de Ganghwa.Lee Dong-mi Ecrivain spécialisée dans les voyages | Kwon Tae-kyun, Ha Ji-kwon Photographes

Des cinquante-trois petites hauteurs que compte l’île, celle de Yongdu com-prend un ouvrage fortifié qui tire partie de la topographie et domine la péninsule de Gimpo visible par-delà le Détroit de Ganghwa.

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À Gimpo, ville de la province de Gyeonggi, après avoir franchi un bras de mer pas plus large qu’une rivière où

s’égaillent des bateaux de pêche à la crevette, on accède à l’île de Ganghwa par le pont du même nom, sous lequel coule une eau dont on ne sait plus si c’est celle d’une rivière ou de la mer.

D’une certaine manière, elle appartient aux deux à la fois, puisque le cours d’eau en question est le Yeomha, dont le nom signifie « rivière de sel », alors que le nom officiel de son em-placement est le Détroit de Ganghwa, ce qui supposerait qu’il s’agit de la mer, quoique par son étroitesse particulière, elle s’apparente plutôt à la première. En remontant le Yeomha dans le sens contraire à partir de l’extrémité sud de l’île de Gang- hwa, il suffit de suivre le cours du fleuve Han pour parvenir à Séoul. Ceci explique la convoitise que suscita toujours cette voie d’eau chez des puissances étrangères ayant des visées sur Hanyang, l’actuelle Séoul alors capitale de Joseon. Les flots et la surface des plus paisibles que présente ce cours d’eau scintillant au soleil quand nous le franchissons cachent les remous de l’histoire d’un pays qui a pour porte cette île de Ganghwa vers laquelle nous nous dirigeons.

« Un autel voué au culte des étoiles » À partir de la route qui mène à Ganghwa, on peut bifurquer

sur sa gauche par une route qui longe le littoral et permet de découvrir les principales curiosités que sont le Mont Mani, Chamseongdan et la plage de Dongmak. Hwanung, le fils du Roi du Ciel, descendit un jour sur terre pour donner naissance à un fils nommé Dangun, personnage légendaire et bien aimé des Coréens. Tour à tour appelé Roi Dangun ou Grand-père Dangun, c’est lui qui, selon d’aucuns, fit édifier le Chamseong- dan, cet « Autel voué au culte des étoiles », à la cime du Mont Mani, pour y déposer des offrandes destinées aux puissances célestes. On situe son emplacement à mi-chemin entre le Mont Paektu (Baekdu) au nord et le Mont Halla au sud.

Par-delà la route du Mont Mani, s’étendent des rizières à perte de vue et en fermant un instant les yeux, on ressent l’impression de se trouver à bord d’un bateau. Au temps où Dangun escaladait la montagne pour apporter ses offrandes sur l’autel élevé à son sommet, cette partie de l’île de Ganghwa était entourée d’eau et le Mont Mani occupait une position insu-laire.

Un temple ancienSur la route du Mont Mani, se trouve un temple à l’histoire

millénaire dit de Jeondeungsa. Il était situé à l’origine dans l’enceinte de la Forteresse de Samnangseong, c’est-à-dire des Trois fils, qui constitue le Site historique n°130 et dont la lé-

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gende veut que Dangun en ordonna la construction à ses trois fils nommés Buso, Buu et Buyeo. Cet antique sanctuaire aux origines millénaires renferme des trésors qui ont été classés au patrimoine de l’État, dont le pavillon principal de Daeungjeon (Pavillon du Grand Héros) et celui de Yaksajeon (Pavillon du Bouddha médecin), ainsi qu’une cloche cultuelle.

L’histoire du Temple de Jeondeung est si riche que l’on ne sait où commencer pour la retracer, mais il est une anecdocte à retenir en ce qui concerne les curiosités qu’il abrite. Comme dans la plupart des temples bouddhiques, le bâtiment central dit Daeungjeon accueille les cérémonies et s’orne d’une icône enchâssée représentant Sakyamuni, le Bouddha historique. Si celui de Jeondeungsa se distingue par l’élégance de ses lignes et par l’impression de dignité qui en émane, il comporte des figu-res de femmes nues gravées aux quatre coins de son avant-toit. Que viennent faire ces représentations dans un lieu sacré, où est transmise la parole de Bouddha ? Comment s’explique leur présence ?

Il y a bien longtemps, une rénovation du pavillon principal s’avérant nécessaire, un maître charpentier chevronné fut ap-pelé au temple et comme il n’existait pas encore de pont, il y ve-nait à bord d’une embarcation et logeait seul dans une taverne située au bas de la montagne. La propriétaire des lieux doit avoir été d’une grande beauté car l’artisan en tomba amou-reux et lui remit tout l’argent qu’il avait gagné en s’engageant à l’épouser dès l’achèvement du chantier. Quand approcha la fin des travaux, le charpentier s’en vint à l’auberge et découvrit que la dame n’y était plus, pas plus bien sûr que la somme qu’il lui avait confiée !

Cédant à l’accablement, c’est alors qu’il aurait gravé ces images de femmes sous l’avant-toit du pavillon principal pour qu’elles y demeurent et supportent la lourde charge du toit pour se repentir de ses mauvaises actions.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là car si ces figurines semblent à première vue soutenir ce fardeau en guise de châtiment, elles ne jouent en fait aucun rôle dans la répartition des charges dans la structure. De ces quatre personnages féminins d’appa-

rence analogue, l’un d’eux, situé à l’arrière du toit, se distingue par la position abaissée d’une main. Le maître charpentier doit avoir été profondément épris de la dame ou alors, ce détail se-rait-il l’expression de la compassion témoignée par Bouddha aux êtres doués de sensation, puisqu’elle n’eut pas à subir le sévère châtiment qu’elle avait mérité ?

À l’arrière du temple, s’élève le Jangsagak, c’est-à-dire le Pavillon de l’Histoire cachée également dit des « Archives histo-riques de Jeongjoksan ». En effet, c’est là que se trouvaient leurs originaux sous la dynastie Joseon, alors que des reproductions des « Annales de la dynastie Joseon » étaient conservées dans différentes bibliothèques du pays. Ce bâtiment qui a fait voilà peu l’objet d’une restauration jouxte celui le Seonwonbogak, où sont entreposés les arbres généalogiques de la lignée royale de Joseon. De tels bâtiments attestent, à eux seuls, du prestige dont jouissait ce temple.

Un séjour au Centre de Méditation du templeDes temples coréens comme celui que Jeondeungsa four-

nissent des indications très précieuses sur les spécificités cultu-relles coréennes. De nombreux visiteurs, coréens comme étran-gers de nationalités diverses, ont fait part de la fascination qu’ils éprouvent pour les traditions et l’atmosphère qui sont celles des temples des montagnes. Celui de Jeondeungsa propose dif-férentes formules de séjour.

Il permet ainsi aux voyageurs étrangers d’y passer la nuit, mais on pourra préférer les possibilités qu’offre le Centre in-ternational de méditation aux lanternes en forme de fleur de lotus. Ayant une vocation centrée sur la méditation, il initie avant tout les visiteurs étrangers aux préceptes essentiels du bouddhisme Seon (Zen). Créé en 1997 par le défunt vénérable Wonmyeong, disciple du maître zen Seongcheol (1912-1993), il se consacre depuis lors à cette tâche, ainsi qu’à l’enseignement des techniques de méditation.

Ses locaux occupent une partie du pavillon principal ainsi que les logements d’une ferme d’une superficie de six mille mètres carrés. Ses chambres, aussi bien tenues que chauffées,

1 La construction du temple ancien de Jeondeung, en l’an 381, a suivi de peu l’introduction du bouddhisme en Corée et ses adeptes y puisèrent le désir de défendre la patrie à chaque fois qu’elle fut menacée par des agresseurs étrangers.

2 Une vue panoramique de l’île de Ganghwa, qui fut longtemps considérée point névralgique de l’histoire coréenne, fut prise pour capitale en temps de crise d’envergure nationale, en raison de son importance stratégique en tant que carrefour maritime.

3 À Jeondeungsa, le Pavillon de Daeungjeon comporte des figures de fem-mes nues gravées sur bois aux quatre coins de son avant-toit et semblant soutenir celui-ci, mais renfermant aussi un sens historique sur le passé mouvementé des lieux.

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possèdent une salle de bain individuelle pour offrir le confort moderne à leurs occupants. Aucune barrière de langue ne se fait sentir au sein du Centre malgré les origines nationales différentes de la plupart des moines et religieuses, russes ou suisses par exemple. J’y ai moi-même rencontré Danielle et Charlotte, qui venaient de Nouvelle Calédonie, ainsi qu’une jeune fille prénommée Isabelle, elle aussi française, qui étudiait à l’Institut de langues de l’Université Sogang.

Le dîner était suivi d’une cérémonie qui se déroulait au pavillon principal, lequel était tout à fait agréable en dépit de ses petites dimensions. S’est ensuivie une séance de méditation pendant laquelle les visiteurs assis en tailleur, poings fermés et yeux clos, oubliaient le bruit des klaxons, la lueur éblouissante des téléviseurs et le vacarme des jeux sur internet.

Une atmosphère plus pieuse encore régnait lors de la céré-monie du matin. Après un petit déjeuner, les visiteurs, suivis du chien Yeondeungi (« lanterne de lotus ») qui est la mascotte du Centre, sont allés pratiquer la méditation pédestre sur les che-mins bordant les rizières qui s’étendent entre les villages et les

sentiers qui parcourent les forêts de pins, ce qui leur a permis de découvrir au passage le tombeau d’une grande figure litté-raire de l’époque Goryeo, Yi Gyu-bo, tout en conversant avec les moines aux côtés desquels ils cheminaient.

L’inscription des sutras constituait également une activité intéressante. Il s’agit d’une copie manuscrite des textes sacrés exposant les enseignements de Bouddha par laquelle les moi-nes ont coutume de pratiquer l’ascèse. Les visiteurs du Centre international de méditation aux lanternes en forme de fleur de lotus sont invités à transcrire la parole de Bouddha en langue chinoise, coréenne et anglaise. Après s’êtres adonnés à cette tâche pendant une cinquantaine de minutes, il voient apposer sur le résultat de leurs travaux le sceau rouge du temple et en tirent autant de fierté que s’ils avaient remporté une médaille d’or. Une telle expérience favorise le rapprochement entre les êtres de toute nationalité, sexe, âge et profession.

Les marais côtiers et le plateauEn Corée, la Mer de l’Est baigne de ses eaux limpides des

Le promeneur qui retrousse ses pantalons pour s’aventurer à pied dans les marais côtiers sent bientôt glisser entre ses orteils une boue familière qui le chatouille agréablement et remarque le jeu de cache-cache des crabes et palourdes qu’elle recouvre de noir, tandis que les vieux pins sagement alignés le long des plages de sable blanc offrent un cadre tout à fait propice à la détente.

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falaises qui y plongent à pic, tandis que le littoral occidental se caractérise par d’importantes zones de marnage et un large cordon de marais côtiers. Ces derniers, dans le sud de l’île de Ganghwa, sont particulièrement remarquables par leur grande superficie, qui les situe parmi les cinq premiers au monde, après ceux des côtes orientales du Canada et des États-Unis, de la Mer du Nord et du bassin de l’Amazone.

Sur l’île de Ganghwa, le plus célèbre d’entre eux longe la plage de Dongmak. À marée haute, il recouvre les terres sur près de soixante millions de mètres carrés et s’avance sur quatre kilomètres dans la mer, son étendue à perte de vue empêchant alors d’apercevoir la mer de quelque point que ce soit à partir des rivages. Cependant, on ne saurait trop s’extasier sur ces merveilles au risque d’en omettre le principal intérêt. Le pro-meneur qui retrousse ses pantalons pour s’aventurer à pied dans les marais côtiers sent bientôt glisser entre ses orteils une boue familière qui le chatouille agréablement et remarque le jeu de cache-cache des crabes et palourdes qu’elle recouvre de noir, tandis que les vieux pins sagement alignés le long des

plages de sable blanc offrent un cadre tout à fait propice à la détente.

C’est du haut de la colline de Bunori que l’on obtient le meilleur point de vue sur ces vastes étendues marécageuses et le spectacle qui s’y offre au regard est grandiose. Les bateaux de pêche y composent des scènes d’une beauté saisissante, tantôt amarrés aux embarcadaires quand vient la marée haute, tantôt tragiquement abandonnés par le reflux sur d’immenses bancs de boue.

Les hauts lieux de l’histoireAprès avoir découvert l’extrémité sud de l’île de Ganghwa,

il est temps de remonter vers le nord. L’île de Ganghwa possède un passé si riche que pour d’aucuns, elle fait figure de micro-cosme de l’histoire coréenne. Différents points de son terri-toire y illustrent l’histoire coréenne tout entière de sorte qu’en parcourant celui-ci, le voyageur pourra se faire une idée des diverses périodes qui la composent, à savoir les six périodes de la préhistoire, des Trois Royaumes, du Royaume de Goryeo, de la dynastie Joseon, de l’ouverture des ports et de l’ère moderne.

Les dolmens constituent des vestiges d’origine préhistori-que et les spécimens qu’en offre la péninsule coréenne ont été inscrits sur la Liste du Patrimoine mondial lors de la 24ème ses-sion du comité du Patrimoine mondial de l’UNESCO qui s’est déroulée en l’an 2000 dans la ville australienne de Cairns. C’est sur l’île de Ganghwa que se trouvent les plus beaux que compte

1 La marée basse découvre les marais côtiers de la plage de Dongmak, qui s’étendent sur près de soixante millions de mètres carrés et ne permettent pas de distinguer la mer à l’horizon.

2 Situé au pied de la face sud du Mont Goryeo, le groupement de dolmens d’Osang-ri se compose de douze mégalithes de type septentrional.

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la Corée. Le site de Chamseongdan, qui se situe sur le Mont Mani, date également de la préhistoire, tandis que le temple de Jeondeung et ses sculptures de femmes nues remontent à la pé-riode des Trois Royaumes.

Trente-neuf années durant, l’île de Ganghwa fut capitale du royaume de Goryeo après que les invasions mongoles eurent poussé le roi et ses sujets à fuir la capitale de Gaegyeong, la Gae-seong d’aujourd’hui, pour trouver refuge au Palais de Gang- hwa, où ils combattirent l’envahisseur. Les vestiges de cet édi-fice d’époque Goryeo subsistent à ce jour. Également de cette période, le Temple de Seonwon acueillit, selon les historiens, les graveurs qui y réalisèrent les célèbres tablettes du Tripitaka Ko-reana, ces biens précieux étant classées au Patrimoine mondial et conservés au Temple de Haein qui se trouve à Hapcheon, dans la province de Gyeongsang du Sud.

L’île de Ganghwa occupait une place de premier plan dans l’imprimerie traditionnelle coréenne. Outre le Tripitaka Ko-reana, qui fut réalisé au Temple de Seonwon, elle abrita les « Annales de la dynastie Joseon » et leurs arbres généalogiques royaux qui y furent entreprosés. Autant dire que Ganghwa a joué un rôle de précurseur des technologies de l’information les plus récentes.

De la période de la dynastie Joseon, demeurent des vesti-ges plus nombreux encore. Le Palais de Yongheung, qui fut la

résidence du roi Cheoljong, vingt-cinquième monarque de Jo-seon, se situe ainsi dans la ville de Ganghwa, tandis que l’Église anglicane qui fut construite à l’époque de l’ouverture des ports possède un passé long de plus de cent dix ans. Cet impression-nant édifice allie des éléments architecturaux empruntant aux temples et palais traditionnels avec le style particulier des lieux de culte de cette confession.

Sa construction exigea des efforts considérables puisqu’à cet effet, un prêtre anglais entreprit un voyage au Mont Baekdu pour y trouver des pins centenaires destinés aux poutres. La sélection des arbres suivie de leur transport jusqu’à Ganghwa par la Mer Jaune nécessitèrent six mois, auxquels s’ajoutèrent six autres pour le séchage des madriers. Perchée sur une colline, l’église permet de voir sans obstacle jusqu’à la ville de Gang hwa.

Le marché traditionelLe marché de Pungmul résonne des sonorités caractéristi-

ques de l’île de Ganghwa. Dans les campagnes coréennes, ces manifestations se déroulent avec une périodicité de cinq jours, les marchands y apportant les produits et articles qu’ils ont fabriqués à la main pendant les quatre jours précédents pour les vendre ou les troquer le cinquième. Tandis que l’on échange les dernières nouvelles, on a le loisir d’entendre de la musique folklorique interprétée sur des instruments à percussion. Si l’on choisit de visiter Ganghwa un jour de marché, à savoir le 2 ou le 7 du mois, on aura l’occasion de découvrir des produits et aliments de l’île tout en apprenant à mieux connaître le mode de vie local.

1 À Ganghwa, le Centre du ginseng atteste de la longue tradition dont est riche cette île dans sa production de haute qualité.

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Le marché de Pungmul occupe le rez-de-chaussée et le pre-mier étage d’un grand bâtiment, ainsi que son annexe et une zone en plein air. Le rez-de-chaussée est réservé à des produits agricoles particuliers comme la patate douce jaune et le navet de Ganghwa, tandis que les étals du premier proposent des aliments divers tels que le harenguet de Ganghwa, la bouillie de haricot rouge et le « bibimbap » à l’orge, c’est-à-dire du riz et de l’orge mélangés avec de la viande assaisonnée et des légu-mes.

Spécialité de l’île, le harenguet est si petit que ses minuscu-les entrailles ne lui permettent plus de vivre dès qu’il est pêché, d’où l’expression ironique « entrailles de harenguet » en usage pour désigner une personne avare ou coléreuse.

Malgré ses faibles dimensions, il s’accommode soit sous forme d’un sashimi accomapagné de légumes et assaisonné, soit en boulettes que l’on fait cuire dans un bouillon épicé à base de fruits de mer. Si la saison de la pêche au harenguet se si-tue des mois de mai à juin, on peut en déguster tout au long de l’année, arrosé de « makgeolli », un vin de riz ici aromatisé au ginseng de Ganghwa, qui se marie parfaitement avec ce pois-son. L’île de Ganghwa est réputée pour ses racines de ginseng qui auraient le pouvoir de rendre la vie à un mourant et quand on en ajoute au vin de « makgeolli », on obtient une saveur cer-tes un peu amère, mais agréable.

L’annexe du marché est destinée à la vente de plantes mé-dicinales et de nattes tissées à fleurs typiques de Ganghwa, qui sont composées de carex et sont ornées de motifs fleuris et de symboles de bon augure. Ces ouvrages réalisés à l’aide du jonc à fleur poussant dans le village apportent à l’utilisateur fraî-

cheur en été et chaleur en hiver. Enfin, le marché en plein air offre des produits agricoles de

saison que de vieux paysans, hommes et femmes, apportent les jours de marché sur ce lieu servant en temps ordinaire de parc de stationnement pour les proposer à la vente à l’abri d’un pa-rasol. Ces visages ridés, cette verve et ces sourires radieux font véritablement chaud au cœur. Pour le visiteur, la possibilité de goûter aux innombrables mets qui sont proposés dans la rue au son d’une musique entraînante participera d’une passionnante découverte.

Les fêtes du TempleHormis les nombreuses curiosités évoquées plus haut, on ne

saurait omettre de cheminer sur la route de Bungmun où fleu-rissent les cerisiers au printemps, de visiter l’Observatoire de la paix de Ganghwa pour y apercevoir la Corée du Nord toute proche et de pousser jusqu’à l’île de Seongmo, qui offre un re-fuge naturel aux mouettes volant dans le sillage des bateaux et font l’admiration des passagers en saisissant prestement les bis-cuits que ceux-ci leur lancent. Précisons que l’Observatoire de la paix de Ganghwa ne se situe qu’à 2,8 kilomètres de la Corée du Nord.

Au printemps, la Fête des azalées de Goryeosan se déroule sur le Mont Goryeo, où les azalées écarlates rougissent les ver-sants de cette hauteur, tandis qu’au cœur de l’été, lui succédera la Fête des fleurs de lotus face au Temple de Seonwon, suivie, à l’automne, du Concert du Temple des Montagnes donné au Temple de Jeondeun et de la Fête de la crevette salée qui bat son plein sur le quai de Oepori. Enfin, le 3 octobre est marqué par l’accomplissement du Rituel de la grande ouverture du ciel devant l’autel de pierre de Chamseongdan. L’hiver venu, les vastes étendues de rizières de l’île de Ganghwa se couvrent d’or et leurs tiges se balancent au gré du vent, tandis que les oiseaux migrateurs affluent vers les marais de la côte, à la pointe mé-riodionale de l’île. Autant de beautés qui font tout le charme de l’île de Ganghwa.

2 À Ganghwa, le marché de Pungmul offre ses produits en tout genre, dont le navet qui est l’une des productions de la région et s’exporte.

3 Sashimi de harenguet de Ganghwa (centre). Accompagné d’un verre de « makkeoli » au ginseng de Ganghwa, le harenguet est une spécialité locale à ne pas manquer. Il se pêche non loin de la côte, où on le trouve en abon-dance.

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L’île de Ganghwa,miroir de l’histoire coréenneSi l’île de Ganghwa se situe non loin du continent, la rapidité des courants et les violents remous des eaux qui l’entourent ont permis aux monarques des dynasties de Goryeo et Joseon d’y trouver refuge en temps de guerre, la capitale de la première y étant demeurée près de quarante ans. Dans un XIXe siècle en pleine turbulence, les puissances impérialis-tes tentèrent d’imposer l’ouverture du pays en déployant leur flotte au large de ses côtes. Mis à rude épreuve par les vagues d’invasion comme par le mouvement incessant des marées qui balaient leur littoral, les habitants de Gang- hwa possèdent un témpérament pragmatique et peu émotif qui se double d’une grande vitalité.

Kim Hyung-yoon Essayiste | Kwon Tae-kyun, Suh Heun-gang Photographes

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En partant de Chojijin, qui se situe sur la côte est de l’île de Ganghwa, le marcheur pourra gagner les marais côtiers de l’île de Donggeom, qui offrent un merveilleux spectacle quand le soleil se lève.

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Une voie d’eau étroite mais semée de périlsAvec ses vingt-deux îles aux dimensions variées qui s’égrè-

nent au large du littoral occidental coréen, dont la principale et cinq inhabitées, Ganghwa est la quatrième île coréenne par sa taille, mais contrairement aux trois premières, elle se caractérise par la proximité du continent.

En 1969, son extrémité nord a été reliée à la péninsule par le Pont de Ganghwa, d’une longueur de 780 mètres. L’île était autrefois d’un accès difficile, puisque les bacs, seuls moyens de transport disponibles, n’effectuaient la traversée qu’à marée haute. Ces antiques embarcations en bois et à rame allaient demeurer longtemps en usage, même après l’apparition des premiers bateaux à moteur.

Trois rivières se jettent dans la mer par la pointe septen-trionale de l’île. Celle qui longe la côte orientale jusqu’à la Mer Jaune ou Mer de l’Ouest et porte le nom de « Rivière de Sel » (Yeomha) est de longue date réputée dangereuse, malgré l’étroi-tesse de son lit, en raison de la rapidité et de la violence des courants qui la traversent, de sorte que seuls les passeurs les plus forts et expérimentés étaient à même de mener à bon port les passagers de leurs bateaux de bois d’une rive à l’autre du fleuve.

Terre de dolmensSur les soixante mille dolmens actuellement recensés dans le

monde entier, près de quarante mille s’élèvent sur la péninsule coréenne et, si le plus grand nombre d’entre eux ne se trouve pas à Ganghwa, les lieux offrent sans conteste un moyen aisé de découvrir le mégalithisme de l’Âge du bronze.

Partout, mais plus encore du nord-ouest au sud de l’île, se dressent ces imposants monuments funéraires qui bordaient toujours la mer jusqu’à la réalisation de travaux d’assainisse-ment qui ont fait passer Ganghwa du cinquième au quatrième rang des îles coréennes par sa superficie et ont permis la forma-tion d’un large cordon de marais côtiers à marée basse.

Les vastes marais côtiers de Ganghwa offrent un habitat idéal à de nombreuses espèces aquatiques telles qu’huîtres, palourdes et autres espèces marines qui fournissent une impor-

tante source d’alimentation aux habitants de l’île depuis l’épo-que paléolithique, cette généreuse manne leur ayant permis d’acquérir richesse et puissance au cours de l’Âge du bronze, comme en attestent les imposants mégalithes sous lesquels ils furent ensevelis.

L’autel de Chamseongdan du Vieux JoseonAux environs de l’an 2 300 avant J.-C., les constructreurs

de ces monuments funéraires fondèrent une nation qu’ils nommèrent Gojoseon (le Vieux Joseon) et qui fut le premier État de la péninsule coréenne. À sa tête se trouvait Dangun, qui avait coutume de faire deux fois l’an l’ascension du Mont Mani, lequel s’élève à 469 mètres d’altitude sur la côte ouest de l’île, entre le Mont Paektu (Baekdu) situé tout au nord et le Mont Halla, le plus au sud. Une fois parvenu au sommet de la mon-tagne, Dangun présentait des offrandes aux cieux sur l’autel de pierre de Chamseongdan, que l’île conserve à ce jour.

Aujourd’hui encore et sur ce même autel dont le nom signifie « autel pour la vénération des étoiles », les habitants accomplissent ce rituel voué aux puissances célestes, mais ils perpétuent une autre pratique ancestrale dont ils ont hérité, à savoir l’exploitation des marais côtiers pour y trouver de quoi se nourrir et subvenir à leurs besoins. Ils y récoltent en abon-dance les fruits de mer et espèces aquatiques provenant des rivières voisines, en particulier crabes et crevettes. Les sols leur fournissent en outre un riz de grande qualité et des légumes tels que la patate douce, ainsi que du ginseng, qui constituent autant de spécialités régionales.

Par l’opulence de cette production, ainsi que par son climat maritime caractérisé par des étés chauds et des hivers cléments, Ganghwa offre depuis toujours une douceur de vivre propice à l’implantation humaine.

Les invasions mongolesSi la péninsule coréenne a connu à plusieurs reprises la

tragédie de la guerre, l’île de Ganghwa en a toujours subi le contrecoup, comme en attestent des anecdotes qui sont riches

1 Le pont de Ganghwa, vu de la forteresse de Munsusan située à Wolgot-myeon, une commune de l’agglomération de Gimpo-si, dans la province de Gyeonggi-do. Cet ouvrage fut édifié en 1694 par le roi Sukjong, sous la dynastie Joseon, pour fournir un abri sûr à la famille royale en cas d’invasion. À l’autre bout du pont, s’étend le cap de Gapgotjin de l’île.

2 Ganghwa abrite nombre de dolmens tels que ce spécimen situé à Bugeun-ri, dans la commune de Hajeom-myeon, qui est du type septentrional en forme de table et date de l’Â ge du bronze. Il s’agit du plus grand dolmen de Corée du Sud, puisqu’il se dresse sur une hauteur de 2,6 mètres et que sa dalle de couverture mesure 7,1 mètres de longueur sur 5,5 mètres de largeur. En l’an 2000, les dolmens de Ganghwa ont été inscrits sur la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO.

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Les vastes marais côtiers de Ganghwa offrent un habitat idéal à de nombreuses espèces aquatiques telles qu'huîtres, palourdes et autres espèces marines qui fournissent une importante source d’alimentation aux habitants de l’île depuis l’époque paléolithique, cette généreuse manne leur ayant permis d’acquérir richesse et puissance au cours de l’Âge du bronze, comme en attestent les im-posants mégalithes sous lesquels ils furent ensevelis.

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d’enseignements sur l’histoire coréenne.C’est en juin 1950 que survint le plus dramatique de ces

conflits, à savoir la Guerre de Corée, qui allait voir s’affronter les forces du Sud et du Nord pendant trois années. Cette san-glante confrontation, qui se solda par près de trois millions de victimes dans les deux Corées et chez leurs alliés, donna lieu à des horreurs que l’on se refusera à évoquer ici.

En remontant plus loin dans l’histoire, il convient d’évo-quer les Mongols, qui fondèrent un immense empire dont prit la tête Genghis Khan et envahirent le royaume coréen de Go-ryeo, lors des conquêtes qu’ils entreprirent sur la plus grande partie du continent eurasiatique. Cette vague d’incursions débuta en 1231 et comporta six conflits qui s’étalèrent sur les vingt-neuf années qui suivirent. Le souverain coréen, dont la résidence se trouvait à Kaesong (Gaeseong), alors capitale du royaume, prit la fuite et établit sa capitale dans le sud de Gan-ghwa, où il allait demeurer pendant plus d’une décennie après la capitulation de Goryeo face aux forces mongoles. Plongés dans de telles turbulences, les habitants de Ganghwa eurent alors à subir de terribles épreuves, tout en se soumettant à l’autorité du pouvoir royal.

Les invasions japonaises et mandchouesÀ partir de 1592, soit trois cent vingt années après le départ

de Corée des Mongols, le Japon voisin allait envahir par deux fois la péninsule, et la seconde fois, se voir repousser en 1598. Le souverain de l’État de Joseon, qui succéda à celui de Goryeo, abandonna la capitale dans sa fuite vers le nord, en raison de la menace que représentait l’ennemi japonais par la mer.

En 1627, c’est-à-dire trois décennies après ces sept années de guerres coréano-japonaises, la dynastie chinoise des Qing allait à son tour envahir Joseon et le monarque de cette dynas-tie chercha alors refuge sur l’île de Ganghwa, comme l’avait fait celui de Goryeo quelques siècles auparavant. Au bout d’à peine un mois de conflit, l’assaillant appelait heureusement à la fin

1 L’autel de pierre de Chamseongdan aurait été élevé sur le Mont Mani par Dangun, qui fonda la première nation coréenne nommée Gojoseon, environ 2300 ans avant J.-C..

2 La forteresse de Ganghwa, dont l’enceinte s’étend sur tout le pourtour de l’agglomération de Ganghwa, fut le théâtre d’une série de conflits avec des envahisseurs étrangers, de l’époque de Goryeo à celle de Joseon.

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des hostilités, de sorte que la présence du personnage royal sur l’île fut de courte durée et ne perturba que très peu la vie de sa population.

Cependant, une nouvelle attaque de la dynastie Qing, en 1636, contraignit le roi à s’éloigner de la capitale et à regagner son abri attitré afin d’y demeurer en lieu sûr, mais l’agresseur progressait avec une rapidité telle que seuls parvinrent à des-tination la famille royale et les tablettes ancestrales de la lignée de Joseon et qu’il ne laissa pas le temps au monarque d’une évasion par la mer. Son abdication allait mettre prématurément fin à la guerre et interrompre son règne sur le peuple de Gan-ghwa.

L’isolationnisme de JoseonAu centre de la ville de Ganghwa, s’élève le palais de Goryeo,

un édifice bénéficiant d’un bon ensoleillement par son orien-tation au sud et constituant l’une des curiosités qui sont à ne pas manquer. Le palais royal de Goryeo y fut déplacé à l’inten-tion de la famille royale qui y demeura pendant la quarantaine d’années où se poursuivit la présence mongole, au début du XIIIe siècle. Composé à l’origine d’un plus grand nombre de

bâtiments, il en perdit une partie lors des destructions perpé-trées suite à la capitulation de Goryeo et au retour du roi sur le continent.

Quatre cents ans plus tard, la dynastie Joseon allait y réa-liser de nouvelles constructions et se doter d’un second palais royal qui soit utilisable à titre provisoire, pour y chercher asile en temps de guerre, mais ces édifices allaient peu après être dé-truits par le feu lors des incursions menées par les Qing. Quand les troupes chinoises se retirèrent, le roi Injo ordonna l’édifi-cation de locaux destinés à abriter un office gouvernemental nommé Yusubu, ainsi qu’un bureau spécial, et l’un des quatre avant-postes situés dans le nord, le sud, l’est et l’ouest de la ca-pitale.

Les bouleversements qui ébranlèrent le monde au XIXe siècle n’allaient pas épargner le royaume de Joseon, aussi dési-reux fût-il d’observer la neutralité. Le « Pays du matin calme » évitait tout conflit avec les puissances étrangères, exception faite de la Chine, avec laquelle il avait longtemps entretenu des liens d’amitié. Sa diplomatie se fondait alors sur le refus de toute re-lation avec l’Occident et le Japon et fit ainsi longtemps obstacle à l’introduction du christianisme, dont le dogme allait à l’en-

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1 Le Yusubu, ce bâtiment gouvernemental de la ville de Ganghwa, fut édifié sous la dynastie Joseon à l’emplacement de l’ancien palais où le roi avait cherché refuge.

2 Sur le site de Gwangseongbo, ces canons rappellent les combats qui firent rage entre les défenseurs coréens et la Flotte américaine d’Extrême-Orient qui, en 1871, s’avança jusqu’au Détroit de Ganghwa pour demander l’ouver-ture des ports de Joseon.

contre des préceptes traditionnels du confucianisme.Les puissances impérialistes allaient alors s’employer à

mettre à l’épreuve la résistance que leur opposait le « royaume ermite » par son isolationnisme. Au mois d’août 1866, un na-vire marchand américain, avec à son bord le général Sherman, franchit la Mer Jaune et remonta le cours du Taedong jusqu’à Pyongyang. Dans cette ville, fonctionnaires et administrés ré-servèrent tout d’abord un accueil courtois à ces étrangers venus de contrées lointaines, mais excédée par l’arrogance de leurs exigences en matière d’échanges commerciaux et par les tirs qui

s’ensuivirent, la population leur livra bataille et brûla leur vais-seau.

Les martyrs catholiques et l’incursion françaiseCet incident dit « du général Sherman » allait déclencher

une vague de persécutions à l’encontre des catholiques, dont plus de huit mille périrent sur tout le territoire, y compris neuf des douze missionnaires français qui se trouvaient alors sur le sol de Joseon et trois habitants de Ganghwa, qui furent trucidés au lieu dit « Gapgot ».

C’est en représaille à ces massacres que le contre-amiral français Roze dépêcha en Mer Jaune sept bâtiments de guerre transportant un millier d’hommes. Tenant le royaume pour responsable de l’extermination des prêtres français, ils s’empa-rèrent de la forteresse de Ganghwa le 16 octobre de la même année et pendant tout le mois où ils séjournèrent sur l’île, ils se

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Petit village de pêche situé près du Pont de Ganghwa, sur la rive occidentale du Yeomha, cette « Rivière de Sel », Gapgot vit l’empereur des Qing contraindre le prince héri-tier de Joseon à la capitulation après les invasions mandchoues de 1636, la décapitation de trois catholiques coréens en 1866 et le débarquement des troupes françaises venues assiéger la forteresse de Ganghwa. C’est aussi en ces lieux que fut conclu avec le Japon le traité d’amitié de 1876. En 1893, la dynastie Joseon y fonda en outre l’école navale nommée Académie de Tongjeyeong pour accroître ses capacités sur mer, quoique un peu tardive-ment. Le village permet aux visiteurs de découvrir sa tour de guet, ses hauteurs éponymes et de hauts lieux du catholicisme coréen voués à la commémoration des martyrs.

L’Académie de Tongjeyeong débuta sous de bons auspices, puisque cinquante officiers et trois cents matelots vinrent y suivre les enseignements d’officiers détachés par la marine britannique et de maîtres de navires, en dépit de quoi, elle dut fermer ses portes à peine quatre ans plus tard, en raison de l’instabilité politique qui régnait alors dans le royaume. De la présence passée des instructeurs de la marine britannique contraints à quitter le pays subsiste une congrégation du rite anglican qui fut introduite à cette époque sur l’île et parvint à bien s’y implanter.

C’est de 1893 que datent les premières missions entreprises par cette église anglicane sur l’île de Ganghwa. Près de cent dix ans après sa construction, en 1897, le premier lieu de culte anglican, qu’abrite un édifice d’une belle architecture, est aujourd’hui encore fréquenté par les fidèles. La deuxième église qui fut élevée trois ans plus tard à Onsu-ri présente des dimensions impo-santes et le style caractéristique de l’époque Joseon qui révèle le respect dont témoignèrent les missionnaires britanniques pour la culture autochtone. Si ces édifices sont d’une taille bien inférieure à celle de constructions bouddhiques des environs telles que le célèbre Temple de Jeondeung, il n’en demeure pas moins qu’ils représentent, aux côtés de l’église méthodiste de style Joseon qui fut construite à Seodo-myeon en 1923, un aspect important du patrimoine culturel de l’île, comme s’accordent à le reconnaî-tre ses visiteurs.

Un lieu de martyre catholique et des églises anglicanes

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livrèrent à une destruction systématique des bâtiments de l’État et à des pillages d’armes, de produits alimentaires et de biens de valeur. Dans la bibliothèque qu’avait créée l’État à Yusubu pour y entreposer près de quatre mille sept cents manuscrits et tré-sors royaux, les troupes françaises se saisirent de certains de ces documents et réduirent en cendres ceux qu’ils n’emportèrent pas.

Aujourd’hui encore, la France se trouve en possession de ces trois cent quarante ouvrages acquis lors de ces dépréda-tions, mais a rétrocédé l’un d’entre eux en 1993, puis au terme de longues négociations avec la Corée, a consenti dernièrement à restituter les volumes restants au titre d’un prêt permanent.

Le Japon force la porte de JoseonSuite à l’invasion qu’entreprirent les Qing au début du

XVIIe siècle, les monarques de Joseon prirent conscience du

rôle crucial que jouait l’île de Ganghwa dans la défense du royaume et ordonnèrent la consolidation des forteresses déjà existantes, ainsi que la construction de nouvelles et l’édification de petites bastilles le long du littoral, puis affecta cinq généraux à la défense de l’île.

En 1871, soit cinq années après l’Incident du général Sher-man, cinq navires de guerre américains partirent pour Gang- hwa avec à leur bord 1 230 hommes et quantité d’armements modernes. Le 10 juin, les troupes américaines firent main basse sur deux petites bastilles situées sur la côte orientale de l’île, mais se heurtèrent le lendemain à une forte résistance sur la forteresse de Gwangseongbo. Dans le camp américain, le bi-lan de ces hosilités s’éleva à dix blessés et trois morts, la Corée ayant eu quant à elle à déplorer cinquante-trois morts, dont deux généraux, et vingt-quatre blessés.

Si le dispositif défensif de l’île avait pour ainsi dire été

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anéanti et que ne subsistaient plus que des ruines de ses petites bastilles, l’armée américaine victorieuse n’était toujours pas parvenue à ouvrir les portes d’un royaume farouchement atta-ché à son isolement.

Exigeant cette ouverture par la menace, les États-Unis mi-rent alors en œuvre une puissance de feu plus considérable encore, comme l’avaient fait les Français en d’autres temps, mais cette tentative se solda une fois encore par un échec. Cinq années après le retrait des forces américaines, le Japon allait faire « œuvre historique » en imposant par la force ses menées impérialistes.

À cet effet, il entreprit une expédition au moyen de l’Unyo, un navire de guerre moderne qu’il avait importé d’Angleterre et d'où il fit tirer au canon sur l’île, dans une spectaculaire démonstration de force qui allait se traduire, dès le mois de fé-vrier 1876, soit cinq mois seulement après ces événements, par la signature d’un accord de commerce intitulé « Traité pour l’amitié entre le Japon et la Corée » et aussi connu sous le nom de « Traité de Ganghwa », qui allait ouvrir une première brè-che par laquelle le Japon allait s’engouffrer pour coloniser la Corée.

Le peuple de GanghwaTout au long de la dynastie Goryeo, de même que par la suite,

l’État ne sembla guère se soucier de la protection des agricul-teurs et pêcheurs de l’île, dans l’incapacité où il se trouvait d’as-surer une défense adéquate de la nation, pas plus que de faire preuve de sagesse et de compétence en matière diplomatique. Face à cet état de choses navrant, la population ne perdit pas courage et acquit tout au contraire une énergie vitale qu’elle puisait dans l’air pur de la mer. C’est de ces longues années de résistance tenace qu’elle tire la grande force de caractère qui est la sienne.

En outre, l’île a su perpétuer jusqu’à ce jour les traditions scientifiques attachées à l’École dite « de Ganghwa ». Ce groupe de lettrés, au nombre desquels figurait l’illustre Jeong Je-du et qui avait renoncé à ses fonctions au sein du gouvernement pour élire domicile à la campagne, acquit la notoriété en prô-nant la « prise de conscience individuelle et sa mise en appli-cation dans la vie de tous les jours ». Les premières années du XVIIIe siècle furent en revanche marquées par la montée en puissance du Sirhak, cette école d’« enseignement pratique », dont les fondateurs, qui préconisaient une démarche de pensée faite d’objectivité et d’empirisme, s’adonnaient à l’étude de l’histoire, de la géographie et des archives nationales, autant de domaines qu’avaient négligés les générations précédentes, et travaillaient à la formation d’une identité nationale. L’École de Ganghwa exerça une influence considérable sur la conception

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et la mise en œuvre des préceptes du Sirhak. Les habitants de Ganghwa sont réputés être d’un témpéra-

ment pragmatique et peu émotif qui se double d’une grande vitalité, un caractère qui pourrait bien provenir de ce principe « d’adaptation des choses aux faits et de recherche de la vérité » mis en avant par l’École de Ganghwa. À l’heure actuelle, l’île représente une « zone à haut risque », en raison de la proximité, de part et d’autre de son fleuve, de ces deux Corées qui se trou-vent aujourd’hui encore techniquement en guerre. Pourtant, les touristes n’en continuent pas moins d’apprécier la quiétude de ses montagnes et champs, tout comme les ravit l’expres-sion d’insouciance et de tranquillité qu’affichent ses habitants, témoignant peut-être ainsi d’un psychisme particulier né des vagues d’invasion auxquelles ils ont été confrontés et du mou-vement incessant des marées qui balaient leur littoral. 2

Au nombre des objets d’art anciens qu’apprécient tout particulièrement les Coréens, il convient de citer une aiguière de céladon en forme de gourde qui s’orne d’un décor réalisé au pigment de fer sous glaçure. Ce récipient, dont les lignes, l’ornementation et les couleurs sont révélatrices d’un grand sens esthétique, a été découvert dans la tombe

d’une figure de la vie militaire du XIIIe siècle, un certain Choe Hang. Celui-ci fut suzerain à la troisième géné-ration du régime militaire de la famille Choe, qui exerçait un pouvoir sur le roi et fit régner une dictature pendant une soixantaine d’années. Choe Hang orienta la politique du gouvernement lorsqu’il se réfugia sur l’île de Ganghwa pour fuir les invasions mongoles et c’est là que repose sa dépouille mortelle.

Ce chef-d’œuvre en céladon d’époque Goryeo atteste du niveau artistique qu’avait atteint le pays. Les potiers venus du continent à la suite du roi continuaient en effet d’exercer leur art en exil. Si la tradition du

céladon s’est perdue voilà déjà longtemps, les nattes de jonc à fleurs se fabriquent par contre toujours et conservent ainsi à l’île l’une de ses spécialités, ainsi qu’une forme d’expression artistique ancestrale.

Ce précieux patrimoine culturel fournit en outre des indications sur le luxe dont jouissaient les puis-sants de jadis, qui affirmaient combattre l’ennemi alors qu’ils restaient terrés sur l’île, livrant le petit peuple sans défense aux spoliations et à la brutalité de l’envahisseur. Ces tenants du pouvoir, dont la per-sonne royale elle-même, se prémunissaient de l’agresseur grâce à l’obstacle naturel que lui opposaient la mer et les rivières qui arrosent l’île. Les Mongols démontrant une certaine infériorité sur mer, ils per-

pétraient sur le continent les pires massacres à l’encontre de la population. Les sujets de Ganghwa furent aussi mis à contribution pour l’édification des forteresses et bâtiments

destinés à assurer une vie agréable à la famille royale et aux hauts fonctionnaires. Il leur fallait pour cela faire don à l’État de grandes quantités de produits agricoles et de biens, ainsi que de spécialités locales, ayant ainsi à

subir les extorsions des fonctionnaires du gouvernement alors qu’ils souffraient eux-mêmes de la faim.

L’aiguière de céladon et les nattes de jonc à fleurs

1 Cette église anglicane datant de l’année 1900 allie des éléments architectu-raux caractéristiques des temples bouddhiques, des palais coréens et des édifices traditionnels de ce culte chrétien, comme en atteste l’inscription « Eglise de Dieu » figurant sur son fronton et contrastant avec les panneaux verticaux de ses colonnes tels que l’on en voit souvent dans les temples bouddhiques.

2 Le carex permet la fabrication de divers articles d’usage courant, comme des nattes de jonc à fleurs de Ganghwa dont il constitue la principale matière.

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La vie quotidienne sur l’île de GanghwaPoète et pêcheur, l’auteur de cet article est tombé sous le charme de Ganghwa dès qu’il a découvert cette île, en 1996, et sans plus attendre, il a loué une ferme où reconstruire sa vie sur de nouvelles bases. De cette existence toute en simplicité et des réflexions qu’elle lui inspire, sont nés deux livres, l’un de poèmes intitulé « Pourquoi les larmes sont-elles salées ? », et l’autre, d’œuvres en prose, « Toutes les routes se rejoignent ».

Ham Min-bok Poète | Ahn Hong-beom Photographe

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Les bateaux de pêche longent le littoral de Ganghwa en un va-et-vient constant.

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V us des versants du Mont Mani, les marais côtiers qui s’étendent sur près de soixante millions de mètres carrés

offrent un spectacle des plus remarquables, avec leur réseau de voies d’eau striant la surface boueuse comme autant de veines dans le corps, ou encore comme les racines noueuses d’un ar-bre. À proximité du littoral, ces fines lignes vrillées s’élargissent peu à peu et se réunissent pour former d’immenses « arbres d’eau ».

Présence de la merLes habitants de l’île de Ganghwa aiment à consulter le ta-

bleau horaire des marées dont un exemplaire est accroché au mur, bien en évidence, dans toutes les maisons. Les pêcheurs en affichent aussi un dans leur cabine de pilotage pour mieux organiser leurs sorties en mer.

Sur ces tableaux, figurent pour chaque jour l’heure des marées hautes et basses, ainsi que leur cœfficient, afin que les pêcheurs sachent quand poser leurs filets et les femmes, ramas-ser les coquillages. Ainsi, ce document tient en quelque sorte lieu d’agenda pour la population. Voilà quelques années, une femme d’un certain âge s’est laissée surprendre par la marée montante et s’est noyée pour n’avoir pas assez tenu compte de ces horaires.

Flux et reflux font à ce point partie du quotidien qu’à ma-

rée haute par exemple, on s’abstient de préparer du concentré de piment rouge de crainte qu’il ne déborde des récipients et que l’on fait procéder aux enterrements en les avançant ou re-tardant selon les horaires.

Nul ne s’explique pourtant ces pratiques et, quand j’ai interrogé le directeur de la Maison du troisième âge, il m’a ré-pondu que les gens se contentaient d’imiter le comportement de leurs parents sans trop savoir pourquoi. Il se rappelait en revanche le dicton selon lequel : « Les veaux nés à la marée de quadrature (huitième et vingt-troisième jours du mois lunaire où la marée est à son niveau le plus bas) ne suivent pas bien leur mère », comme il a pu le constater par lui-même à plu-sieurs reprises.

Comme un ami venait de passer sa lune de miel sur la côte est de la péninsule, je lui ai demandé quelles avaient été ses impressions en la découvrant et il les a évoquées d’une manière très parlante :

« J’ai été tout à fait conquis. Je suis monté au Mont Seorak, j’ai fait bouger le Rocher basculant et je suis redescendu, mais la mer se trouvait toujours au même endroit. Puis je me suis couché et quand je me suis réveillé le lendemain, elle était en-core là. Même chose après le repas ».

Pour cette personne ayant vécu plus de trente ans au bord d’une mer qui en descendant, laisse à découvert des marais s’étendant sur quatre kilomètres, cette Mer de l’Est où seule change la profondeur de l’eau avait certes de quoi suprendre. Bien que n’habitant l’île que depuis une dizaine d’années, je suis quant à moi tout à fait habitué aux mouvements de la mer, alors que dire des gens qui y passent leur vie entière !

Les voies maritimesLe port est par excellence un lieu plein de vie et de tension,

aboutissement des voies terrestres et point de départ des liaisons maritimes. On y pénètre dans le monde de l’horizontal, loin de toute verticalité d’arbres et constructions humaines, si ce n’est celle de la station debout des personnes.

C’est par lui que s’ouvre l’île sur l’extérieur, à la jonction de la fin des terres et du début de la mer et vice versa. Toutes les routes du littoral y mènent, telles les branches d’un éventail, ainsi que les couloirs de navigation, dans l’entonnoir desquels pénètrent les navires.

Des possibilités de découverte de l’écosystème des marais côtiers de Janghwa-ri (1) et des marais côtiers de l’île de Hwangsan (2). Dans le sud de l’île de Ganghwa, les marais côtiers qui s’étendent, d’est en ouest, de Janghwa-ri à la petite île de Hwangsan se classent parmi les cinq premiers du monde.

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À l’instar de cette phrase de Gaudi : « Les lignes droites appartiennent à l’Homme ; les courbes à Dieu », les sentiers de l’île de Gang- hwa semblent être l’œuvre du créateur, car elles invitent l’automobiliste à délaisser son véhicule pour y cheminer et, si leurs dé-tours rendent parfois la progression plus ardue, on n’en apprécie que mieux le temps que l’on y passe en communion avec la nature et l’on en ressort spirituellement enrichi.

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Au matin, les pêcheurs le quittent pour aller accomplir leur labeur et y reviennent le soir venu, tantôt en spéculant sur l’abondance des prises, tantôt en se promettant des lendemains meilleurs. Les chiens les y regardent partir ou décharger leur cargaison. Une fois les nœuds des cordages défaits et les ancres levées, les embarcations s’y aventurent vers le large en fendant les flots et s’éloignent des côtes, puis arrivées en haute mer, se transforment à leur tour en îles.

Sur leur chemin, ils seront guidés par les repères que leur offrent le soleil, la lune, les étoiles, le vent, le sens des courants, le littoral et les montagnes qui se dressent à l’horizon des îles éparses. D’une aide plus précieuse encore leur seront les bouées signalant l’emplacement des filets qu’ils ont posés. Autant de signaux que le brouillard ou la neige réduisent à néant.

Parti un jour pêcher le calmar sans faire cas du vieil adage d’après lequel : « Le brouillard arrache les yeux du capitaine », j’ai soudain vu se lever une épaisse nappe de brouillard et se dérober à ma vue bouées et montagnes de l’île. Après avoir

navigué çà et là au hasard, le capitaine a demandé à ses quatre compagnons dans quel sens il fallait mettre le cap et ils lui ont tous fait des réponses différentes. Force était de reconnaître que nous étions malheureusement perdus ! Un brouillard si dense nous entourait que nous n’apercevions rien à deux pas.

Cédant presque à la panique, je me suis alors demandé quelle différence il y avait entre ma vie actuelle et ce sentiment d’être prisonnier de cette épaisse brume. En prenant une cer-taine distance, ma vie apparaissait-elle si différente de cet in-fime fragment de temps qu’était cette journée enveloppée par ce voile ? Le présent n’est qu’une île dans le temps.

Les sentiersL’île de Ganghwa est aujourd’hui dotée de chemins tout à

fait propices à la méditation qui ne sont pas de création récente, mais ont été remis en état. Ces voies nommées en coréen « na-deulgil », c’est-à-dire « allées », possèdent une vocation théma-tique. Tandis que certains se veulent par exemple évocateurs de

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1 Les habitants de l’île de Ganghwa tirent leur subsistance des produits de la mer.

2 La porte orientale de la Forteresse de Sam-nang, dite aussi de Jeongjoksan, dont la légende veut qu’elle fut édifiée par les trois fils de Dangun sur ordre de leur père et dans l’enceinte de laquelle fut mis au jour le Temple de Jeondeung.

la division coréenne, d’autres conduisent à des lieux historiques ou à des marais côtiers. Tout en y cheminant, le marcheur s’ab-sorbe dans des pensées diverses qu’il oublie tout aussitôt.

Sur tous ces parcours, le promeneur sent la présence de la nature et ses effets bienfaisants sur l’âme. Au gré de leur tracé, ces sentes fuient la ligne droite au profit de la courbe et recou-rent à bien d’autres procédés pour offrir la diversité. Elles invi-tent l’automobiliste à délaisser son véhicule pour continuer à pied. Si l’ascension rend parfois la progression pénible, on n’en apprécie que mieux le temps que l’on y passe en communion avec la nature et l’on en ressort spirituellement enrichi. Ces sen-tiers sont habités par la poésie.

À l’instar de cette phrase de Gaudi : « Les lignes droites ap-partiennent à l’Homme; les courbes à Dieu », les sentiers de l’île de Ganghwa semblent être l’œuvre du créateur.

Les sentiers de montagneLa route qui mène à la porte orientale du temple de Jeon-

deung est légèrement sinueuse, tout comme la voie d’eau qu’elle longe. Les feuilles mortes craquent sous les pas. Le vent ouvre en soufflant une voie appelée à se refermer bien vite. Sur mon chemin, je fais une halte et tend l’oreille vers un arbre pour en-tendre germer ses branches. La contemplation du vert tendre de son feuillage tremblant rend à mon cœur sa paix et sa gen-tillesse. Dans le ciel, vole un oiseau suivi de son ombre.

Sur le versant montagneux situé à ma droite, s’alignent sagement les rangées de pins des marais tandis que sur ma gau-che, les pins rouges sont baignés de soleil et de vent, aussi pen-chés que les premiers sont droits. Ils me tiendront compagnie pendant mon ascension.

Par-delà la rangée d’acacias qui borde la route, le pin des marais cède la place au hêtre blanc coréen et au chêne blanc. Ces robustes arbres sont dressés bien droit. Les feuilles mortes des chênes konara crépitent joyeusement. Un faisan prend son envol. Je regarde loin dans le ciel, imaginant les nombreuses routes qui ne se sont pas encore offertes à mon regard.

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DOSSIERS

KARA et Girls’ Generation, les deux premiers groupes féminins co-réens, et, de gauche à droitre, les membres étrangers des « groupes d’idoles » coréens : le Thaïlandais Nichkhun de 2PM, le Japonais TOMO de A’ST1, le Hongkongais Alexander Lee Eusebio de U-Kiss et le Chinois Hai Ming de A’ST1.

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ous ceux qui se trouvaient en 2010 dans de grandes villes japonaises comme Tokyo ou Osaka ont certainement remarqué les vidéos clips de KARA et Girls’ Generation qui étaient projetés sur écran géant dans les artères du centre. Dans ce pays, on

ne peut que constater le succès croissant de ces deux groupes féminins coréens qui caracolent en tête du hit-parade coréen depuis déjà trois ans et pour les Japonais, la réussite exceptionnelle de telles formations représente l’une des cinq plus grandes nouveautés de l’année 2010 dans leur industrie de la musique pop.

De BOA à KARAC’est le 7 janvier 2010 qu’a eu lieu le « premier concert japonais » de KARA à Tokyo,

dans l’immeuble Akasaka Blitz où avaient accouru pas moins de quatre mille person-nes. Au mois d’août, le groupe « Mister » produisait son premier 45 tours, qui allait très vite se classer parmi les dix premiers du hit-parade. Le 25 de ce même mois, Girls’ Gene-ration, suivait la voie de KARA et donnait au Ariake Colosseum de Tokyo un premier spe-tacle qui allait précéder de peu la sortie de son premier 45 tours intitulé « Gee ». Ce jour-là, plus de vingt mille spectateurs et mille professionnels du spectacle allaient être témoins de cet événement qui allait faire les grands titres des actualités télévisées du soir sur la chaîne NHK. En outre, nombreux sont les groupes féminins qui chantent dans des émissions de télévision ou sur d’autres supports audio-visuels et diffusent leurs albums chez de grands disquaires comme Tower Records.

Au cours des dix dernières années, le phénomène du « hallyu », c’est-à-dire la « vague coréenne » de la culture de masse coréenne, s’est surtout manifesté, au Japon, sous forme de feuilletons télévisés dont l’un des plus prisés a été Gyeoul Yeonga (Sonate d’hiver) et ce n’est qu’un peu plus tard que la musique pop y a fait irruption à son tour. Cette « vague coréenne » avait pour principaux représentants des acteurs de feuilletons avant tout appré-ciés de femmes d’âge mûr très friandes de ces productions. Des vedettes comme Ryu Shi-

Après de nombreuses tournées dans toute l’Asie, les « groupes d’idoles », ces jeunes interprè-tes à succès de musique pop, ont maintenant des visées sur le marché américain et se pose alors la question du rôle qu’ils peuvent jouer dans une industrie musicale en pleine évolution en raison de la fusion des arts des médias et du spectacle.

Shin Hyun-joon Professeur à l’Institut de culture et civilisation d’Exrême-Orient de l’Université Sungkonghoe

La « Nouvelle vague coréenne » trouve un élan dans la musique pop

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won et Park Yong-ha, aujourd’hui disparu, allaient ajouter une autre corde à leur arc en se lançant dans la chanson, quoique de manière occasionnelle.

Des chanteurs professionnels tels que BOA, en revanche, se tenaient prêts à s’imposer sur le marché japonais bien avant leurs débuts dans la première moitié de cette décennie. Les chanteurs en solo allaient eux aussi se faire connaître au Japon, à l’instar de Rain et Seven, suivis d’autres groupes masculins enco-re comme Dong Bang Shin Ki, qui est également connu sous le nom de Tohoshinki, SS501 ou Big Bang. En ce qui concerne BOA, elle est maintenant considérée faire partie de la pop japonaise et ne relève donc plus du phénomène « hallyu ». Enfin, il convient aussi de noter que les hommes n’ont pas fait autant sensation que les femmes dans ce pays.

De la télévision aux concertsLes inconditionnels de ces groupes féminins coréens ne sont

pas les mêmes que les premiers Japonais séduits par le « hallyu ». Pour la plupart, il s’agit d’adolescentes ou de jeunes femmes d’une vingtaine d’années formant le groupe ciblé par la culture de masse japonaise et les médias de ce pays ont créé à ce pro-pos les expressions de « Nouvelle vague coréenne » et « Néo-vague coréenne ». D’autres sont allés jusqu’à parler d’« invasion coréenne » en comparant l’engouement suscité par ces groupes

féminins coréens à celui qu’avaient provoqué des groupes de rock britanniques comme les Beatles et les Rolling Stones lorsqu’ils se lancèrent à la conquête de l’Amérique dans les années 1960. Ce parallèle est révélateur de l’exceptionnel succès des groupes féminins coréens.

S’il n’est guère aisé de savoir comment s’explique la réussite de ces artistes coréennes, beaucoup esti-ment qu’elle est due à certaines « qualités qui man-quent à leurs homologues japonaises ». En effet, outre qu’elles chantent et dansent, les premières se distinguent par leur beauté, leur élégance et leur charme, comme en atteste ce titre d’un repor-tage de NHK, « Le typhon des belles jambes », qui en dit un peu plus sur la clé de leur succès. En outre, les groupes féminins japonais ne se sont guère renouvelés depuis la formation de AKB 48 par seize jeunes fem-mes.

Cela étant, il ne s’agit pas tant de savoir « pourquoi » que « comment » s’est

Aujourd’hui, les groupes de musique pop coréens qui ambitionnent un succès international comprennent tous des artistes étrangers et se consacrent dès le départ à atteindre cet objectif, notamment Han Geng, un ancien membre chinois de Super Junior ou l’Américain d’origine tha landaise Nichkhun de 2PM.

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1 Composé de treize membres, le groupe Super Junior remporte un énorme succès à Taïwan.

2 Un immeuble du quartier de Shibuya, à Tokyo, dont l’écran géant présente, fin 2010, le groupe féminin coréen Girls’ Generation.

3 En août 2010, KARA se classait parmi les dix premiers du hit-parade avec son premier 45 tours « Mr. ».

produit ce raz-de-marée. Si la musique pop coréenne, glo-balement connue sous le nom de K-pop, est parvenue dans une certaine mesure à se frayer un chemin sur les marchés étrangers, c’est par des procédés très différents d’une époque à l’autre. En effet, on a cessé d’accorder la priorité à la vente de disques pour se consacrer surtout aux spectacles, c’est-à-dire aux concerts donnés à l’étranger. Une analyse globale du « hallyu » révèle ainsi que sa principale composante est passée du feuilleton télévisé à la musique « live ».

Rain en tournée mondialeSi la musique pop coréenne a su marquer des points en

se faisant une place au Japon, sa notoriété s’étend aujourd’hui Outre-Pacifique et plus précisément aux États-Unis. En 2006 et 2007, le chanteur Rain, qui se classait parmi les plus importants de la musique pop coréenne à la fin de la première moitié des années 2000, a donné un grand nombre de concerts dans cette région du monde, lors de sa tournée intitulée « Rain’s Coming ». Si l’organisation de ces spectacles n’a pas été sans heurts, notamment par l’annulation de certains d’entre eux, il demeure qu’il s’agissait de la première véritable tournée effectuée par un chanteur de cette nationalité.

On retrouve cette dimension internationale dans la « Tournée mondiale SM Town Live » mise sur pied en 2010 par SM Enter-tainment, qui organise les spectacles des meilleurs « groupes d’idoles », notamment Girls’ Generation, BOA, Super Junior, Shinee, Fx et Dong Bang Shin Ki. Cette série de concerts, partie de la capitale coréenne le 21 août 2010, allait se poursuivre avec succès le 4 septembre, devant plusieurs milliers de spectateurs

de Los Angeles puis le 11 à Shanghai. La réussite de ce concert américain allait lui valoir d’être classé par la revue Billboard, dans son numéro du 9 octobre, sur la liste Boxscore des spectacles ayant dégagé les plus importants bénéfices puisque la recette tirée de ses quinze mille entrées s’est élevée à 1,1 million de dol-lars.

Une industrie mondiale de la musique en pleine évolutionSi l’on s’interroge sur la place de premier plan qu’occupent

ces concerts dans la réuisste du « hallyu », il faut se souvenir que ce terme est apparu suite à des concerts au succès retentissant qui s’étaient déroulés à Pékin entre la fin des années quatre-vingt-dix et le début des années 2000 et avaient pour vedettes les premiers « groupes d’idoles », Clon, H.O.T., N.R.G et autres. Il faut alors s’intéresser aux changements qui sont intervenus depuis lors.

Une lecture attentive des statistiques peut permettre de mieux comprendre ces évolutions. À partir des années 2000, l’exporta-tion de musique coréenne a été fortement tributaire de ses débou-chés au Japon et en 2008, ce pays constituait la destination de 68 % de ces ventes à l’étranger, tandis que les États-Unis et la Chine, qui représentent un énorme marché, n’en avaient respectivement attiré que 11,2 % et 2,1 %. Ces chiffres permettent donc d’affir-mer que la musique pop coréenne a manifestement perdu de son influence sur le public dans les années 2000 et qu’elle se cherche

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encore un créneau Outre-Pacifique. Il s’avère en revanche, fait intéressant, que les ventes de musique pop coréenne ont repris à l’international voilà trois ans, alors qu’elles étaient en recul depuis 2005. Cette tendance s’explique par la multiplication des spectacles organisés à l’étranger, comme en témoignent les deux tournées mondiales évoquées plus haut.

Si l’on replace ce phénomène dans un contexte plus vaste, il est possible qu’il résulte de changements structurels dans l’in-dustrie de la musique. En effet, celle-ci a vu l’édition de disques perdre considérablement de son importance autrefois primordia-le pour ce secteur et dans le même temps, elle a évolué vers une industrie universelle du spectacle se consacrant non seulement à la distribution et à la vente d’enregistrements sonores, mais aussi à la promotion des concerts en tout genre dans le monde entier. Point n’est besoin d’aller plus avant dans cette analyse pour constater que les concerts pop et autres manifestations qui leur sont liées sont en progression constante en Corée depuis la fin de la première moitié des années 2000 et qu’il se produit une fusion des arts des médias avec ceux du spectacle.

Culture et industrie de la musique pop coréenne ont su s’adapter aux rapides mutations qui sont intervenues au cours des dix dernières années et sont les vecteurs de leur inter- nationalisation depuis la fin des années 2000, une raison de plus d’accorder une place plus grande aux concerts.

Les « groupes d’idoles » coréens actuelsLe nouvel environnement qui s’offre aujourd’hui à l’industrie de

la musique a aussi influé sur la formation des « groupes d’idoles ». Leur création en vue de l’exportation et leur composition inté-

gralement coréenne appartiennent désormais au passé. Dans les années quatre-vingt-dix, déjà, il n’était pas rare que de tels ensembles comptent parmi leurs membres des ressortissants étrangers d’origine coréenne, américains ou japonais par exem-ple. Aujourd’hui, cette présence ne fait que s’accroître puisque les formations qui sont apparues dernièrement et ambitionnent un succès international comprennent toutes des étrangers et se préparent très tôt à cet objectif. C’est notamment le cas de Han Geng, un ancien membre chinois de Super Junior ou l’Améri-cain d’origine thaïlandaise Nichkhun venu de 2PM, tandis que le groupe féminin Fx compte la présence de la Chinoise Victoria, Amber, celle d’un Américain d’origine taïwanaise et Miss A, celle des artistes Fei et Jia de nationalité chinoise.

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1 Après ses débuts au Japon, dans la première moitié des années 2000, BOA a su évoluer pour atteindre un haut niveau dans la chanson..

2 Rain a réalisé une importante avancée lors de sa tournée mondiale « Rain’s Coming »

3 Au Japon, la forte progression des groupes féminins coréens est consi-dérée comme l’une des tendances les plus marquantes de l’année 2010 dans le domaine de la pop.

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Quand on pense que les adolescents coréens se bousculent à l’entrée des grandes agences de spectacle, on serait tenté de se demander pourquoi celles-ci font appel à des musiciens étrangers et la réponse à cette question est simple. C’est délibé-rément que ces firmes musicales engagent ces artistes pour leur connaissance de la langue et de la culture de leur pays, qui est susceptible de favoriser l’accès des groupes coréens à leur mar-ché et leur succès auprès du public.

Si la Corée n’est pas la seule à procéder de la sorte, c’est elle qui a fait preuve du plus grand dynamisme en Asie dans la recherche de débouchés à ses exportations. Dans la mesure où il représentait le deuxième marché musical au monde, le Japon n’a pas éprouvé un besoin pressant d’expansion internationale, pas plus que la Chine, qui possède un énorme marché intérieur doté d’un très fort potentiel. À l’inverse, la taille assez limitée de celui de la Corée a incité les « groupes d’idoles » de ce pays à regarder par-delà les frontières nationales.

Désormais incapables de vivre de la seule exportation d’al-bums, les artistes coréens sont dans l’obligation de se produire à l’étranger et, si d’aucuns voient dans cette évolution le résultat de la bonne capacité d’adaptation de la musique pop coréenne aux grandes tendances actuelles, il s’en trouve aussi d’autres pour affirmer qu’il s’agit tout bonnement d’une question de survie dans un monde où règne une concurrence effrénée. Ces deux points de vue comprennent certes une part de vérité.

Des échanges mondiaux entre groupes indépendantsLes changements que traverse l’industrie de la musique ne

se limitent d’ailleurs pas au genre aujourd’hui dominant de la pop.

L’année passée, pendant la troisième semaine de novembre, des groupes de rock indépendants coréens et japonais se sont pro-duits ensemble dans le quartier de Shibuya, à Tokyo. Parmi les participants coréens, figuraient les formations Jang Kiha, Faces, Rock Tigers, Vodka Rain et Crying Nut. En outre, au mois d’août dernier, le groupe de rock alternatif Vidulgy Ooyoo a été invité à se joindre à une tournée qui allait le conduire dans cinq villes chinoi-ses et s’intitulait « Asian Echo 2010 ». La venue en Corée de grou-pes de rock indépendants d’autres pays d’Asie est aussi chose courante de nos jours et cette forme d’échanges internationaux s’étend à d’autres genres tels que le jazz ou le rap.

Autant d’exemples démontrant que l’essor des concerts que les artistes coréens donnent à l’étranger ne se cantonne pas à la musique qui « se vend bien ». À l’évidence, ce ne sont plus les frontières, mais les préférences musicales qui séparent les artis-tes ou les spectateurs.

À cet égard, le « hallyu », par ses fondements pop, tout comme les concerts de ce même genre, a permis d’établir des liens entre les artistes et le public par le biais des nouvelles ten-dances musicales d’aujourd’hui. La mondialisation a beau opérer une réduction spatio-temporelle, d’étroits contacts n’en demeu-rent pas moins indispensables pour unir les spectateurs dans l’émotion. L’évolution du « hallyu » à prédominance musicale, qu’il repose ou non en majorité sur les spectacles, vers un phéno-mène authentiquement culturel, ne se fera pas au moyen d’ana-lyses économiques et de statistiques portant sur « les strategies à adopter pour que l’industrie de la musique coréenne accède aux marchés étrangers », mais selon une démarche à caractère humaniste fondée sur des considérations culturelles.

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Manifestation de grande envergure, l’exposition « Chefs-d’œuvre de la peinture bouddhique de Goryeo » rassemblait soixante et une œu-vres datant de cette époque dynastique (918-1392), des pièces venues du monde entier et très appréciées en tant que spécimens de ce genre artistique en Corée. Cette présentation s’accompagnait d’une conférence internationale et toutes deux ont suscité l’enthousiasme du grand public, mais aussi de la communauté des arts.

Bae Young-il Conservateur du Musée national de Corée

Les chefs-d’œuvre de la peinture bouddhique de Goryeo,un bref retour, sept cents ans après

ChROnIquE aRtIStIquE

u 12 octobre au 21 novembre 2010 derniers, se déroulait à la Galerie des expositions temporaires du Musée national de Corée, à Séoul, l’exposition intitulée « Chefs-d’œuvre de la peinture bouddhique de Goryeo », dans le

cadre des festivités organisées à l’occasion du Sommet du G20 et du cinquiè-me anniversaire de l’ouverture de cet établissement situé sur le site de Yong-san. Cette manifestation présentait soixante et une œuvres en provenance du Japon (27), d’Amérique, d’Europe (15) et de Corée (19), mais aussi vingt autres d’origine chinoise et japonaise, afin de permettre au public d’établir des paral-lèles entre elles et de mieux comprendre l’art bouddhique de cette époque en Extrême-Orient. Enfin, elle comportait cinq peintures bouddhiques des premiers temps de la dynastie Joseon (1392-1910), qui témoignaient de l’in-fluence reçue en héritage des artistes de Goryeo, ainsi que vingt-deux autres objets d’art datant de cette époque, notamment des statues de Bouddha.

La dimension de l’expositionLa peinture bouddhique d’époque Goryeo constitue, de l’avis général, l’un

des plus fins styles d’art sacré au monde. Élégance et grâce des formes, super-bes couleurs primaires, éclat du pigment d’or et lignes tout à la fois puissan-tes et d’une délicate fluidité attestent tous d’une exceptionnelle vie artistique dans l’Extrême-Orient d’alors et participent d’une esthétique révélatrice

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1 L’« Avalokitesvara de l’eau et de la lune », qui est issu des collections du temple japonais de Danjan-jinja, repré-sente un bodhisattva saluant le jeune Sudhana avec grâce et solennité.

2 L’« Avalokitesvara de l’eau et de la lune », qui provient des collections du temple japonais de Sensoji, est aussi connu sous le nom de « Avalokitesvara aux larmes ».

Particulièrement remarquée entre toutes, la peinture inti-tulée « Avalokitesvara de l’eau et de la lune », qui provient du temple japonais de Sensoji, représente le Bodhisattva de la Compassion entouré d’une énorme auréole vert tendre en forme de goutte d’eau. Par la grâce de sa position comme par celle de l’expression qui se lit sur ses traits, cette figure se conforme aux canons de la beauté en vigueur à l’époque de Goryeo, tandis que son exécution est si délicate que le pigment d’or semble avoir été appliqué à l’aide d’un pinceau aussi fin qu’une mèche de che-veux.

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1 La « Triade de Bouddhas Amitabha », Musée de l’Ermitage.

2 La « Triade de Bouddhas Amitabha », Trésor national n°218, au Musée d’Art Leeum de Samsung. Quintessence de la peinture bouddhique de Goryeo, cette œuvre représente le Bouddha Amitabha souhaitant la bienvenue aux défunts à l’entrée du Paradis.

d’un grand raffinement dans les goûts. Par l’expression du haut niveau de spiritualité qui régnait non seulement dans le boud- dhisme, mais aussi dans la population, ces œuvres représen-tent la culture de Goryeo dans sa quintessence. Cette exposition temporaire présentait également des œuvres datant des dynas-ties chinoises des Song et des Yuan, ainsi que de l’époque dite Kamakura de l’histoire japonaise, afin de permettre aux visiteurs de mieux apprécier la splendeur de la production de Goryeo dans le contexte plus large de l’art bouddhique d’Extrême-Orient.

Il s’agissait là d’une initiative à l’ampleur exceptionnelle, par le grand nombre de peintures bouddhiques d’époque Goryeo qu’elle avait rassemblées en provenance du Japon, des États-Unis et d’Europe, au regard de la difficulté que présente déjà la réunion d’un petit nombre d’œuvres en un lieu donné. Une mani-festation d’une telle envergure offrait donc l’occasion rarissime de se faire une idée précise de ce genre artistique particulier. Pour la plupart, les œuvres exposées, notamment l’« Avalokites-vara de l’eau et de la lune », le « Ksitigarbha » et l’« Illustration du Sutra de visualisation » qu’abritent respectivement le tem-ple japonais de Sensoji, le Musée Nezu et le Temple d’Otakaji, n’avaient d’ailleurs jamais été présentées juqu’alors au public coréen. La première d’entre elles, aussi connue sous le nom d’ « Avalokitesvara à l’auréole en forme de goutte d’eau », avait en particulier été longtemps soustraite au regard du public.

Bouddhas, Bodhisattvas et ArhatsCette exposition se composait de cinq volets précédés d’une

entrée en matière fournissant des généralités sur la peinture bouddhique d’époque Goryeo. Sur le thème de « Bouddha : l’illu-miné », la première partie se centrait sur des réprésentations de Bouddha sous forme de différentes figures telles que Vairocana, Sakyamuni, Maitreya et Amitabha, ce dernier étant le plus repré-senté en peinture en raison des croyances qu’avaient les gens d’alors au sujet d’une Terre pure, c’est-à-dire le paradis. Som-met de la peinture bouddhique d’époque Goryeo, la « Triade de Bouddhas Amitabha », qui provient des collections du Musée d’art Leeum de Samsung, représente ce dernier en train d’accueillir les défunts au paradis. Cette composition évoque fortement une autre œuvre également consacrée à cette scène et conservée au Musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, ce qui atteste des influences croisées qui s’exercèrent jadis en Orient dans le domaine de l’art bouddhique.

Intitulé « Bodhisattva : le sauveur des êtres doués de sensa-tions », le deuxième volet exposait des représentations d’Avalo-kitesvara et de Ksitigarbha, ces figures bien connues du peuple

coréen, qu’il soit ou non de confession bouddhiste. Sur les vingt-quatre peintures d’Avalokitesvara qui sont parvenues à nos jours de l’époque Goryeo, pas moins de treize étaient présentes lors de l’exposition et permettaient aux visiteurs de comparer les diffé-rences de style auxquelles peut donner lieu la représentation d’un même sujet. Particulièrement remarquée entre toutes, la pein-ture intitulée « Avalokitesvara de l’eau et de la lune », qui provient du temple japonais de Sensoji, représente le Bodhisattva de la Compassion entouré d’une énorme auréole vert tendre en forme de goutte d’eau. Par la grâce de sa position comme par celle de l’expression qui se lit sur ses traits, cette figure se conforme aux

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1 « Ksitigarbha », Metropolitan Museum of Art.

2 « Avalokitesvara de l’eau et de la lune », Musée de l’Ermitage.

3 « Arhat n°329 : le vénérable Yuanshangzhou » de la collection du Musée d’art Iramgwan coréen. Cette œuvre se distingue par la position dynamique du corps et l’expression particulière du visage.

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canons de la beauté en vigueur à l’époque de Goryeo, tandis que son exécution est si délicate que le pigment d’or semble avoir été appliqué à l’aide d’un pinceau aussi fin qu’une mèche de cheveux.

Quant à l’ « Avalokitesvara de l’eau et de la lune » qui provient des collections du temple japonais de Danjan-jinja, il est présenté, conformément à l’archétype d’Avalokitesvara qui prédominait à cette époque, sous les traits d’un bodhisattva à la beauté grave qui, du rocher où il est assis au Mont Potalaka, salue Sudhana, un jeune garçon venu chercher l’Illumination. L’exposition pré-sentait également une œuvre du Musée de l’Ermitage consacrée à ce même personnage pour permettre une étude comparée de son traitement. D’un style très proche de la première par son chromatisme et sa composition d’ensemble, à quelques différen-ces près dans la disposition des objets cultuels, elle révèle donc l’ascendant qu’exerça le Xia de l’Ouest (1032-1227). Figuraient également à ce volet dix images de Ksitigarbha apparaissant tour à tour seul, en triade ou dans un groupe plus important, l’une d’entre elles ayant été empruntée aux collections du metropolitan Museum of Art et produisant une forte impression, dans sa repré-sentation d’un Ksitigarbha solitaire, par ses proportions réalistes, ses couleurs vives et ses motifs complexes de nuages, phénix et spirales réalisés au pigment d’or.

Sous le titre « Arhat : un modèle des praticiens spirituels », le troisième volet de l’exposition se distinguait par la série dite des « Cinq cents Arhats », qui fut réalisée de 1235 à 1236. Il permettait d’admirer dix des quatorze figures d’arhats de Goryeo célèbres dans le monde entier, dont les sept que conserve actuellement le Musée national de Corée. Il convient de signaler celle de l’« Arhat n°329 : le vénérable Yuanshangzhou »,qui appartient aux collections du musée d’art privé d’Iramgwan situé à Busan et tire sa notoriété de la posi-tion dynamique du personnage et de l’expression particulière de ses traits.

Des productions de Joseon et des pays voisins

Au quatrième volet dit des « Bouddhas et Bodhisattvas des

pays voisins », figuraient des œuvres originaires de Chine et du Japon, ainsi que des peintures bouddhiques de Goryeo, dont la mise en parallèle ouvrait de plus larges perspectives pour mieux comprendre la culture et les arts bouddhiques qui caractérisèrent l’Extrême-Orient à cette époque. Les œuvres chinoises compre-naient sept peintures des dynasties des Song du Sud (1127-1279) et des Yuan (1271-1368).

La « Triade de Bouddhas Sakyamuni », qui date de celle des Yuan et qu’abrite le Temple japonais de Nisonin, apporte une illustration de l’art bouddhique chinois d’alors. Par leurs étroits mentons et les motifs de leurs robes rouges, les sujets diffèrent de ceux que brossèrent les peintres de Goryeo. Trois peintures bouddhiques du Xia occidental qui remontent aux XIIe et XIIIe siè-cles et furent découvertes en 1909, à Khara Khoto, par les mem-bres de l’expédition de Pyotr Kozlov et sont aujourd’hui conser-vées au Musée de l’Ermitage, ont suscité chez les scientifiques un débat animé sur les analogies qu’elles présentent avec la « Triade de Bouddhas Amitabha » de Goryeo qui appartient aux collections du Musée d’Art Leeum de Samsung. Jusqu’à cette exposition, fort peu d’occasions s’étaient présentées de pouvoir admirer côte à côte les originaux de ces œuvres.

Ce volet présentait en outre dix œuvres bouddhiques fon-damentales du Japon de l’époque Kamakura (1185-1333) et au nombre de ces pièces aussi remarquables que bien conservées, figurait « La descente d’Amitabha et l’escorte céleste » qui pro-vient du Musée national de Tokyo et se distingue particulièrement par les différences fondamentales qui séparent son style de la « Descente d’Amitabha » de Goryeo, celle-ci constituant une

composition assez simple où le Bouddha Amitabha, le regard en général tourné vers la droite, est représenté seul ou flanqué des bodhisattvas et gardiens Avalo-kitesvara et Mahasthamaprapta. L’œuvre japonaise, d’une plus grande complexité, présente plusieurs personnages avec un paysage en arrière-plan, dont le Bouddha qui regarde à gauche et un certain nombre de gardiens

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célestes jouant de la musique. Les couleurs y sont plus éteintes que dans les œuvres de Goryeo et les motifs rehaussés de pig-ment d’or sont à peine perceptibles.

En guise d’épilogue, le cinquième volet consacré à la « Conti-nuité de la Tradition », s’intéressait aux peintures bouddhiques qui firent l’obet de commandes royales dans les premiers temps de la dynastie Joseon, en s’attachant à montrer comment l’héri-tage de la peinture bouddhique de Goryeo s’était transmis d’une dynastie à l’autre. Parmi les œuvres exposées, il convient de citer deux peintures de la « Triade de Bouddhas de la médecine » appartenant au Musée national de Corée et considérées faire partie intégrante des quatre cents œuvres d’inspiration boud- dhique qu’ordonna de réaliser la reine Munjeong, épouse du roi Jungjong, le onzième monarque de Joseon, pour commémorer la reconstruction du Temple de Hoeam, en l’an 1565. Quoique dépourvues de cette gracieuse fluidité des lignes, cette complexi-té des motifs et ces couleurs vives qui caractérisent la peinture bouddhique de Goryeo, ces œuvres n’en possèdent pas moins une autre esthétique propre à leur époque.

Un effort internationalPlus de cent cinquante peintures bouddhiques d’époque

Goryeo sont parvenues jusqu’à nos jours et sont disséminées en Corée, au Japon, aux États-Unis et en Europe. En dépit de leur petit nombre, cette répartition entre différents établissements coréens et étrangers a contraint les organisateurs à mener des négociations très intenses avec ceux-ci, qui étaient au nombre de quarante-quatre.

Les collectionneurs du Japon, où se trouve actuellement le plus grand nombre de peintures bouddhiques d’époque Goryeo, se montraient particulièrement réticents à consentir des prêts de crainte que les œuvres ne leur soient pas restituées au terme de la manifestation. Pour gagner leur confiance et obtenir leur consentement, les négociateurs ont dû faire preuve de persua-sion, sans que leurs efforts soient forcément couronnés de suc-cès. Certains des établissements concernés leur ont opposé une résistance jusqu’à la date prévue de l’enlèvement, d’autres allant juqu’à revenir sur leur décision au dernier moment et se refusant à céder les œuvres, alors que dans d’autres cas, des fonction-naires ont donné leur accord en arguant qu’elles [les peintures bouddhiques] « souhaitent certainement revoir leur pays natal au moins une fois ».

C’est cette importante action, doublée d’une soigneuse coor-

dination, qui a permis de rassembler en un même lieu ces pein-tures bouddhiques réalisées sous le royaume ancien de Goryeo, mais dispersées ultérieurement sur toute la planète, dans le cadre de cette exposition sous-titrée « Un bref retour, sept cents ans après », grâce à laquelle ces œuvres ont pu ainsi revenir au pays natal après de nombreuses années d’absence et le public, se voir offrir l’exceptionnelle occasion de les revoir pour la première et la dernière fois.

Cette manifestation d’envergure consacrée à la peinture bouddhique de Goryeo et destinée à un large public, devrait avoir pour effet de susciter plus d’intérêt et de recherches scientifiques dans ce domaine. Alors que les chercheurs devaient jusqu’alors se rendre dans des musées étrangers pour les étudier, ils ont eu la possibilité de se livrer à cette activité en un même lieu et sur des originaux. En outre, la conférence internationale sur la peinture bouddhique d’époque Goryeo a tout autant passionné le grand public que le monde de l’art et le succès global de l’exposi-tion a donné un nouvel élan à la réalisation de recherches appro-fondies sur ce sujet.

1 La « Triade de Bouddhas Sakyamuni » du temple japonais de Niso-nin, un spécimen de l’art bouddhique chinois antérieur à la dynastie Yuan.

2 « Descente d’Amitabha et l’escorte céleste ». Musée national de Tokyo.

3 « Triade de Bouddhas de la Médecine ». Musée national de Corée.

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Le travail d’un maître qui ravive le charme du « hanok »Dans une habitation traditionnelle coréenne dite « hanok », le bâti et les châssis de la construction sont réalisés par des maîtres charpentiers, tandis que les menus ouvrages sur bois sont l’œuvre de maîtres menuisiers tels que Sim Yong-sik, un spécialiste des portes et fenêtres destinées aux intérieurs de style ancien. Partout en Co-rée, palais royaux et temples bouddhiques s’ornent de ses magnifiques assemblages, mais aussi, depuis peu, des appartements modernes qui acquièrent une certaine originalité en alliant tradition et modernité sur leurs ouvertures.

Park Hyun-sook Rédactrice occasionnelle | Ahn Hong-beom Photographe

aRtISan

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i l’on regarde une maison comme si c’était un visage humain, alors le « hanok », la maison tra-ditionnelle coréenne, en est un exemple particulièrement expressif en raison de ses portes et fenêtres munies de jolies claires-voies. Dans ce type de construction, on ne fait parfois guère

de distinction entre portes et fenêtres, si ce n’est que la première, contrairement à la seconde, est en principe située au-dessus d’un seuil appelé « meoreumdae ». Dans l’architecture traditionnelle coréenne, ces deux ouvertures sont agrémentées de panneaux à claire-voie dont les motifs comple-xes font appel à des centaines d’éléments obéissant aux règles de l’art. Aujourd’hui âgé de cinquan-te-neuf ans, le maître menuisier Sim Yong-sik a été classé bien numéro 26 du patrimoine culturel immatériel par la Ville de Séoul pour avoir consacré le plus clair de son existence à la réalisation de portes et fenêtres à l’infinie variété de motifs ornementaux.

Le panneau à claire-voie allie l’élégance des lignes à des aspects fonctionnelsLe local dit Cheongwon Sanbang où Sim Yong-sik a son atelier se trouve à Gye-dong, un quartier de

S Selon le maître menuisier Sim Yong-sik : « Si l’on compare une maison à un visage humain, alors ce sont ses portes et fenêtres qui lui donnent un air expressif ».

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l’ancien faubourg de Bukchon qui est situé à Séoul et compte le plus grand nombre de maisons traditionnelles aujourd’hui encore habitées. Lieu de travail, il abrite aussi un musée consacré aux ouvrages traditionnels à claire-voie pour portes et fenêtres, ainsi qu’une école destinée à ses apprentis, outre le logement que le maître y partage avec son épouse. Dans cet espace polyvalent, qui a été aménagé en réunissant deux « hanok » voisins, le logement particulier de l’artisan et le musée se trouvent au centre, l’atelier à l’avant et l’école à l’arrière.

Ce local à l’excellent agencement est entièrement équipé de panneaux à claire-voie dont le lacis complexe produit un effet d’harmonie et d’authenticité. Sur certaines fenêtres, ce treillis épouse la forme des caractères chinois 亞 et 卍 qui en segmentent la surface à l’horizontale ou à la verticale d’une manière à la fois simple et abstraite digne d’un Mondrian. Ailleurs, il s’agrémente de délicats motifs de fleurs de prunelier ou d’abricotiers, ou encore de pivoines. C’est en 2006 que Sim Yong-sik s’est installé à Bukchon et il a aussitôt ouvert son atelier au public pour lui faire apprécier ses panneaux à claire-voie de type traditionnel. Son classement au patrimoine culturel immatériel par la Ville de Séoul, en 2006, allait pour la première fois consacrer l’œuvre d’un artisan de cette spécialité.

« Au printemps et à l’automne, quand les Coréens recom-menceront à sortir en famille, ce sont deux cents à trois cents personnes qui visiteront chaque jour l’atelier. Tout en étant sou-vent pris par mon activité d’artisan et de formateur, je m’efforce d’informer autant que possible les visiteurs sur la fabrication des portes et fenêtres traditionnelles. En le faisant, je constate sou-vent que mes auditeurs admirent la beauté, la complexité et la solidité des ouvrages à claire-voie, ce qui m’encourage à poursui-

vre dans la voie que j’ai choisie. Beaucoup de gens m’ont apporté une aide précieuse et je souhaite maintenant faire bénéficier les autres de mes acquis. Cela exige quelques efforts en plus, voilà tout ».

Son visage rayonnant se détache sur le superbe châssis d’une fenêtre ronde à travers laquelle se profile l’ombre d’une feuille de bambou doucement agitée par le vent. Les panneaux en papier de mûrier, en tamisant la lumière du soleil, créent une atmos-phère plus chaleureuse et agréable. Les ouvertures de l’atelier sont aussi bien conçues que belles. Elles se composent de petites fenêtres assurant ventilation et éclairage naturel, de type « bong-chang », « gyo-chang » ou « nunkkopjaegi-chang », c’est-à-dire respectivement scellées, horizontales larges et à petites fentes, le curieux nom coréen de ces dernières pouvant se traduire par « fenêtre aussi petite que des yeux ensommeillés ».

Quant aux « sabunhap-mun », ces portes coulissantes, elles comprennent quatre vantaux en général tendus de papier de mûrier sur leur surface extérieure et intérieure et percés en leur centre d’une petite fenêtre à claire-voie dite « bulbalgi-chang », c’est-à-dire « fenêtre d’éclairage », pour faire entrer davantage de lumière dans la salle. Cet ouvrage possède des formes allant des plus simples aux plus complexes, de type géométrique. Cette ouverture est placée de telle sorte qu’une personne assise par terre puisse y regarder, ce côté pratique étant caractéristique du style de mode de vie au « hanok ».

Le créateur de portes et fenêtres traditionnelles doit tenir compte de la corpulence de l’utilisateur auquel elles sont des-tinées, la chambre intérieure étant généralement pourvue d’un seuil de fenêtre assez haut, d’une part, pour qu’une personne puisse facilement s’y accouder quand elle regarde par cette

1 Les techniques employées pour la réalisation de la charpente du « hanok » peuvent servir à la fabrication des portes et fenêtres, qui fait appel à un procédé architectural complexe fondé sur l’exactitude des proportions et un bon ajustement des joints.

2 Le « bulbalgi-chang » est une fenêtre composée d’un unique panneau à claire-voie qui facilite l’entrée de la lumière naturelle.

« Si une maison est orientée au sud et donc bien ensoleillée, il convient de placer les claires-voies des fenêtres à une certaine hau-teur pour arrêter ou adoucir la lumière, et inversement, si elle est masquée par des feuillages, afin de faciliter l’entrée de la lumiè-re. Les dimensions des ouvertures sont aussi subordonnées à la luminosité et à l’aération par le vent »

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ouverture et d’autre part, pour ne pas être vue de l’extérieur lorsqu’elle est allongée au sol. En outre, les portes peuvent par-fois faire office de paravent pour préserver l’intimité et si l’on n’en a plus besoin, il est possible de les retirer et de les fixer au plafond à l’aide de crochets afin de réaliser un gain de place lors d’occasions familiales ou par temps de canicule.

« La réalisation de portes et fenêtres traditionnelles répond à des critères liés à la luminosité, à l’aération par le vent, aux dimensions de la maison et aux goûts des habitants en matière de mode de vie », explique Sim Yong-sik. « Si une maison est orientée au sud et donc bien ensoleillée, il convient de placer les claires-voies des fenêtres à une certaine hauteur pour arrêter ou adoucir la lumière, et inversement, si elle est masquée par des feuillages, afin de faciliter l’entrée de la lumière. Les dimensions des ouvertures sont aussi subordonnées à la luminosité et à l’aération par le vent. En ce qui concerne le choix des motifs des panneaux à claire-voie, j’ai pour habitude d’en parler longuement avec le propriétaire des lieux et il m’arrive alors de lui conseiller ceux qui conviennent le mieux à sa personnalité, de mon point de vue ».

« Pour mes portes et fenêtres, j’emploie le plus souvent le pin, mais aussi le noyer, le cèdre de Chine et le zelkova. J’inter-viens sur une dizaine de chantiers par an en moyenne, chacun d’eux comportant une douzaine d’ouvertures à équiper. Sur ce nombre important de portes et fenêtres, il n’en existe pas deux qui se ressemblent exactement, outre que des facteurs environ-nementaux et personnels différents entrent aussi en ligne de compte. Cette infinie diversité ne peut que rendre mon travail plus

agréable et j’en ai éprouvé beaucoup de satisfaction tout au long des mes quarante années de métier dans la menuiserie ».

La précision de l’architecture traditionnelleLes châssis d’un « hanok » se composent de multiples pièces qui

sont assemblées horizontalement, verticalement ou en diagonale, sans employer le moindre clou. Il existe différentes techniques qui permettent d’assurer une solidité maximale de la structure en recourant à une quantité minimale de matériaux, la plus rudimentaire d’entre elles, pour relier entre eux des éléments horizontaux et verticaux, étant un assemblage de type à queue d’aronde appelé en coréen « sagae matchum ». Cet ingénieux procédé consiste à réaliser un châssis composé d’un montant et de deux traverses.

Quoique totalement exempt de clous, cet assemblage s’ar-ticule avec une précision et une solidité telles que le châssis demeurerait en place si les murs disparaissaient. Ce type de pro-cédé est également adapté à la réalisation de portes et fenêtres exigeant une exécution particulièrement élaborée, notamment par leur haute précision et le fonctionnement parfait de leurs arti-culations.

Sim Yong-sik s’explique en ces termes : « Quand j’ai achevé la restauration des portes et fenêtres d’Injeongjeon, la salle du trône du Palais de Changdeok, j’en ai contemplé le minutieux assem-blage avec exaltation. Les ouvertures des habitations coréennes, si elles peuvent paraître simples à première vue, reposent sur des principes architecturaux très stricts. Toujours dans ce palais, la partie intérieure des châssis était d’une exécution parfaite et

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ne laissait pas la place à la moindre erreur, ce qui m’a permis de comprendre le secret de la solidité à toute épreuve de ces portes et fenêtres traditionnelles qui ont résisté au passage du temps ».

On peut affirmer sans exagération que Sim Yong-sik a apporté sa part de contribution à presque tous les grands chantiers de restauration d’édifices anciens et notamment des pavillons les plus importants du Palais de Changgyeong, du Pavillon de Vai-rocana dit Birojeon, du Temple de Haein, du Pavillon d’Avaloki-tesvara aussi connu sous le nom de Wontongbojeon et situé au Temple de Naksan, du Geumgang Gyedan, c’est-à-dire l’ « autel de diamant » du Temple de Tongdo, du Pavillon de Ksitigarbha qui s’élève au Temple de Jogye et s’appelle en coréen Jijangjeon, ainsi que du grand pavillon du Temple de Songgwang. Ce sont au total quelque cinq cents sites anciens sur lesquels l’artisan est intervenu dans le cadre de restaurations architecturales.

Il a en outre réalisé les fenêtres de la Galerie de la Fonda-tion coréenne aménagée au British Museum, sur le modèle

des chambres des érudits coréens d’antan, et a participé à la construction à Paris du Goam Seobang, une maison traditionnelle coréenne édifiée en hommage au peintre Yi Ung-no.

Des fenêtres ouvertes sur le mondeAujourd’hui, Sim Yong-sik aspire à faire aussi connaître à

l’étranger la beauté éternelle des portes et fenêtres traditionnelles coréennes, comme il l’a déjà fait par le biais d’expositions qui se sont tenues en Amérique du Nord et du Sud, ainsi qu’en Europe. L’accueil enthousiaste qu’elles y ont reçu l’a incité à programmer de nouvelles manifestations de ce type dans d’autres régions du monde. Il conserve notamment un souvenir ému de celle qu’il a organisée en Argentine il y a deux ans.

À cette occasion, il a fait une démonstration de son travail pendant laquelle les spectateurs l’observaient en retenant leur souffle tandis qu’il vaquait à ses activités. Il a aussitôt remarqué plusieurs personnes qui ramassaient des copeaux par terre et les

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Réalisé par Sim Yong-sik, cet ouvrage à claire-voie de type traditionnel, avec ses délicats motifs fleuris, apportera une touche de modernité au « hanok » pour accentuer son originalité.

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humaient comme s’il s’agissait de fleurs au parfum agréable. À l’âge de dix-sept ans, lui aussi avait apprécié la bonne odeur de ce bois pour lequel il allait se lancer dans le métier de menuisier en 1969.

L’homme se souvient : « Je suis né dans le village de Deok-san, qui appartient à l’agglomération de Yesan située dans la province de Chungcheong du Sud, et il y avait une menuiserie près de chez moi. Tous les jours, je passais devant en allant à l’école et en rentrant à la maison. Attiré par les senteurs du bois, je me suis mis à fureter partout et il m’est arrivé de trouver des morceaux de bois que je tripotais dans ma poche toute la journée.

Non loin de là, se trouvait le Temple de Sudeoksa, dont cha-cun sait qu’il est pourvu d’une charpente magnifique et réputée pour son exceptionnelle esthétique aux proportions parfaites. J’y passais beaucoup de temps et j’admirais vraiment sa beauté. Après l’école primaire, je suis allé au collège du village, où j’ai fini par me mettre à la menuiserie et où j’ai rencontré mon premier maître, Jo Chan-yeong, un maître menuisier classé en dix-hui-tième position au patrimoine culturel immatériel de la province de Chungcheong du Sud. »

Le talent ne garantit pas à lui seul l’obtention des meilleurs résultats sans amour du travail. C’est par sa passion du métier que Sim Yong-sik a entrepris, dans sa jeunesse, de travailler jour et nuit sur des garde-robes et des tables, tout en achevant son apprentissage de menuisier. En ce temps-là, la menuiserie ne permettait guère de faire fortune et son maître et mentor Jo Chan-yeong lui-même, malgré sa réputation d’artisan hors pair dans ce domaine, connut la pauvreté toute sa vie durant, sans pour autant cesser d’être fier de son travail.

Tandis que nombre d’artisans abandonnaient le métier pour en embrasser d’autres, le jeune apprenti, tout imprégné de la dignité et de la fierté qu’il avait apprises de son maître, ne songea pas un seul instant à changer de cap. Il n’eut à interrompre cette

activité qu’une seule fois, dans sa jeunesse, lors d’une parenthèse de deux années et demie où il travailla sur un chantier en Arabie Saoudite dans le but de gagner l’argent qui lui permettrait d’ache-ter du bois et de travailler dans des conditions moins précaires.

À son retour, il se formera auprès des meilleurs menuisiers et charpentiers que comptait le pays, notamment de Yi Gwang-gyu, un maître artisan menuisier et charpentier dont il acquerra les techniques de menuiserie et qui tenait en grande partie ses connaissances théoriques sur les « hanok » de Sin Yeong-hun, le directeur de l’Institut culturel du « hanok ». En 1996, Sim Yong-sik effectuera des études d’art bouddhique à l’École des études bouddhiques de l’Université Dongguk.

« Mes maîtres étaient des hommes fiers et droits. Ils me rappelaient toujours les pins, qui restent verts même en plein hiver, quand il neige. Tout en me dispensant leur enseignement, ils me traitaient avec dureté et me réprimandaient sévèrement pour mes fautes, mais au fond de moi, je sentais leur chaleu-reuse humanité. Comme l’Arbre donnant, mes maîtres se sont employés à me transmettre toute leur technique et leur connais-sance. Ils vouaient un amour sans borne à l’homme et avaient une vision optimiste du monde, méprisant les avantages matériels et ne redoutant nullement la pauvreté. Avant de mourir, certains m’ont fait venir pour me faire don de ces précieux outils qui leur avaient servi toute leur vie, et je chéris aujourd’hui encore cet héritage ».

À l’image de ses maîtres, Sim Yong-sik fait preuve de droiture et d’intransigeance dans l’exercice de son métier, mais il a aussi acquis un état d’esprit symbolisé par la fonction de la fenêtre, à savoir l’ouverture sur le monde extérieur, comme en témoignent notamment l’accueil du public dans son atelier, les réparations qu’il effectue à titre gracieux pour des familles à revenus modes-tes et l’aide aux orphelins dans laquelle il s’est engagé.

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A lA découverte de lA corée

L’exposition « Cinq regards de l’Ouest », révélatrice d’influences coréennes dans l’art américain

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Du 14 au 22 janvier 2011, la Fondation de Corée proposait, dans son Centre culturel de Séoul, une passionnante exposition intitulée « Cinq regards de l’Ouest ». Cette manifestation permettait de découvrir les œuvres de cinq artistes nord-californiens qui ont subi des influences coréennes dans leur art comme dans leur vie. Ces créa-teurs œuvrant dans des domaines aussi variés que la photographie, la sculpture, la céramique et la ficelle de papier ont pour dénominateur commun l’ascendant qu’exerce sur eux une culture et des traditions corénnes qui n’ont cessé d’inspirer leur production. L’occasion exceptionnelle m’a été donnée de rencontrer Lois Lan-caster, qui figurait parmi ces cinq exposants et assurait la direction de la manifestation.

Charles La Shure Professeur à l’École d’interprétation et de traduction de l’Université Hankuk des Études étrangères

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Charles La Shure : Qu’est-ce qui vous a réunis, tous les cinq, en vous inspirant l’idée de

cette exposition « Cinq regards de l’Ouest » ?

Lois Lancaster: À l’origine, il y a eu le projet de la Bibliothèque nationale britannique d’exposer des objets d’inspiration chinoise, coréenne et japonaise, y compris des « livres d’artiste » et rouleaux de manuscrits inspirés des traditions coréennes. Devant la diffi-culté de trouver des « livres d’artiste » occidentaux attestant d’une telle influence, elle a effectué des recherches qui l’ont amenée à découvrir mes livres et elle a fait l’acquisition de quatre d’entre eux. Ils ont figuré dans l’exposition « D’Est en Ouest » qui s’est dérou-lée en 2007 dans la grande galerie et a duré tout le printemps et tout l’été.

En décembre 2009, j’ai rencontré Yoon Keum-jin, la directrice du Centre culturel de la Fondation de Corée et lui ai présenté quelques-unes de mes œuvres et photographies, qu’avait exposées la Bibliothèque nationale britannique à cette occasion. L’idée que des artistes américains aient subi une influence coréenne l’a intéressée et elle a proposé de faire participer trois ou quatre autres artistes américains à une exposition. Il se trouvait que depuis quelques années, j’en connaissais justement quatre dont l’œuvre était d’ins-piration coréenne et qui étaient désireux d’en apprendre davantage sur l’art et la culture de ce pays par le biais de cette exposition où ils se sont joints à moi. J’ai beaucoup de respect pour leur œuvre, mais aussi pour leur sensibilité, leur soif de connaissances et leur ouverture d’esprit.

La Shure : Qu’entendez-vous exactement par « livre d’artiste » ?

Lancaster: C’est une forme d’expression artistique centrée sur l’aspect et la conception d’un ouvrage. Cet aspect peut se définir par sa reliure, notamment celle du manuscrit, où le procédé consiste à assembler les feuillets de papier sur le côté. Aupara-vant, c’étaient des feuilles composées par exemple de palme, d’écorce d’arbre, de bois, d’ivoire ou de papyrus que l’on atta-chait ensemble au moyen de cordelettes que l’on enfilait dans un ou deux trous. Il existait des ouvrages non reliés tels que les dépliants asiatiques, les feuilles superposées et enveloppées de toile du Tibet et les porte-documents. Les roches peintes et gravées que l’on entassait dans les tumulus sont aussi considérées comme des livres, de même que les rouleaux de manuscrits, qu’ils soient hori-zontaux ou verticaux.

Le livre peut recourir à des matières et techniques artistiques en tout genre, et comporter ou non textes ou illustrations. Il peut être édité en un exemplaire unique ou en série limitée, que ce soit en impri-merie, sur ordinateur, au moyen d’autres machines ou entièrement à la main. On constate de nombreux cas de restauration de livres imprimés endommagés ou mis au rebut qui trouvent ainsi un nouvel emploi sous forme d’objets artisanaux, comme ces vieux livres dans lesquels les artisans coréens déchiraient des bandes qu’ils roulaient pour obtenir de la corde qui leur servait à tresser des paniers ou à construire de petits meubles. La reconversion d’un objet abandonné inutile pour en faire un objet nouveau et désiré est un bon principe de travail.

1 Œuvre de Lois Lancaster, cette « Théorie de la ficelle de papier » constitue un exceptionnel spécimen de l’art du livre et se compose de ficelles de papier collées sur une reliure.

2 Dans ses créations, Lois Lancaster fait usage d’articles de papeterie coréens.

3 L’une des « Figures gardiennes » de Linus Lancaster, qui s’inspirent des « jangseung », ces mâts totémiques coréens.

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La Shure : Quel est l’objectif que souhaitent atteindre les artistes des « Cinq regards de l'Ouest » ?

Lancaster: Lorsque ce projet a été mis sur pied, nous nous sommes réunis tous les cinq pour parler de notre art et comprendre en quoi la Corée nous avait influencés. Nous espérons que le dialogue se poursuivra entre d’autres artistes vivant en Corée ou à l’étranger. Certains disent que l’Asie a aujourd’hui moins d’influence sur l’art américain. Nous pensons qu’il n’en est rien pour le moment et que son effet d’entraînement continuera de favoriser le dialogue des cultures. Tous les pays du monde sont producteurs d’informations qui circulent et s’échangent, et notre manifestation participe tout à fait de ces mouvements qui s’exercent aussi bien d’Est en Ouest que vice versa. Nous espérons aussi que la redécouverte de ces traditions qui nous ont inspirés changera la vision que les Coréens ont d’elles après les avoir parfois délaissées dans leur soif de modernité. »

La Shure : Puisque vous évoquez cette recherche d’une vie moderne, quelle est d’après vous la

place que les traditions peuvent y occuper ?

Lancaster: Dans mes œuvres d’art, je m’efforce de concilier innovation et tradition de manière har-monieuse. Je pense que les traditions sont les piliers sur lesquels repose la culture. Watson et Crick, qui ont reçu le Prix Nobel pour avoir découvert l’ADN, ont dit que l’étude de la conscience serait le principal domaine d’étude scientifique du XXIe siècle. La tradition vivace de la méditation héritée du

bouddhisme et du chamanisme coréens a beaucoup à offrir. Aux côtés de scientifiques, le Dalaï-Lama réalise des recher-ches sur des pratiques spirituelles tibétaines plusieurs fois centenaires pour remonter aux sources de la conscience.

La Shure : Vous avez beaucoup voyagé en Asie, notamment

en Corée, mais de quand date votre arrivée en Corée et

qu’est-ce qu’elle a changé pour vous ?

Lancaster: C’est en 1970 que j’y suis venu pour la première fois. À cette époque, j’ai surtout eu l’impression de me trou-ver devant une culture et une société qui se reconstruisaient intégralement sur les ruines de la guerre. Deux ans plus tard, j’y suis revenu et j’ai constaté des progrès impression-nants dans cette reconstruction et dans la réparation des dommages occasionnés à la culture. À ce moment-là, j’ai

1 Dans l’œuvre de céramique « Trois lignes brisées », que Chris Sarley a réalisée au moyen d’un four coréen de type traditionnel, les trois lignes correspondent au trigramme I Ching.

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commencé à photographier différents temples bouddhistes. Comme je m’intéressais plus particuliè-rement à celui de Tongdosa, qui se trouve sur le Mont Yeongchuk, dans la province de Gyeongsang du Sud, et que j’ai visité jusque dans ses recoins les plus obscurs, j’ai fait par hasard la découverte d’une peinture de l’art populaire qui représentait un tigre blanc et elle m’a paru si merveilleuse que j’en ai pris plusieurs photos. Je n’avais jamais rien vu de tel et j’avais conscience de vivre un grand moment.

La Shure : Parmi les influences que vous citez, se trouvent aussi les aspects spirituels de la culture

coréenne. Pouvez-vous en dire plus sur ce sujet ?

Lancaster: J’éprouve un grand intérêt pour le bouddhisme depuis que j’ai suivi un cours de théologie comparée à l’Université de Stanford, dans le cadre de mon cursus d’anthropologie. Aujourd’hui, cette religion continue d’exercer un grand ascendant sur moi. Les influences tao stes et bouddhistes, qui ont fortement marqué les artistes américains du XXe siècle, sont toujours vivantes et en Corée, l’ac-cès que l’on peut avoir à ces traditions spirituelles, ainsi que la proximité que l’on peut ressentir avec elles, n’ont pas leur pareil dans le monde.

J’ai également eu la chance de rencontrer le Professeur Zo Zayong (Jo Ja-yong) et d’admirer sa splendide collection d’art populaire coréen, qu’il expose au Musée Emille. C’est aujourd’hui un ami et il m’a rendu visite à Berkeley. J’ai organisé la conférence qu’il a prononcée sur l’art populaire coréen à l’Université de Californie. C’est un homme qui œuvre à la préservation de formes d’art menacées de disparition totale. À son contact, que ce soit aux États-Unis ou en Corée, par la suite, j’ai conservé tout l’intérêt que j’éprouvais pour l’art populaire coréen sous toutes ses formes. C’est Zo Zayong qui m’a initié au symbolisme de cette peinture, à sa dimension métaphorique qui ne cesse de me pas-sionner.

La Shure : Dans une présentation de votre art, vous avez écrit : « La figure du « trickster » du

mythe me suit partout». Pouvez-vous apporter des précisions sur cette « figure du trickster » et

expliquer en quoi elle s’applique à votre art ?

Lancaster: Je m’intéresse toujours plus au chamanisme et de ce fait, j’ai suivi à la Fondation des études chamaniques (www.shamanism.org) une formation que dispensait le professeur Michael Har-ner pour apprendre à mettre en pratique ce qu’il appelle le « noyau du chamanisme », c’est-à-dire une expérience enrichissante de l’évolution de la conscience où n’intervient aucun autre élément lié aux mythes ou à d’autres notions culturelles. Suite à cette initiation, j’ai entrepris un travail de plu-sieurs années en compagnie de mes clients et me suis plus ou moins familiarisé avec l’invocation des

« Certains disent que l’Asie a aujourd’hui moins d’influence sur l’art américain. Nous pensons qu’il n’en est rien pour le moment et que son effet d’entraînement continuera de favoriser le dia-logue des cultures. Tous les pays du monde sont producteurs d’informations qui circulent et s’échangent, et notre manifesta-tion participe tout à fait de ces mouvements qui s’exercent aussi bien d’Est en Ouest que vice versa. Nous espérons aussi que la redécouverte de ces traditions qui nous ont inspirés changera la vision que les Coréens ont d’elles après les avoir parfois délais-sées dans leur soif de modernité. »

2 L’exposition « Cinq regards de l’Ouest » s’est déroulée au Centre culturel de la Fondation de Corée.

3 « Étourneaux », de Mary Pettis-Sarley

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esprits.Pour l’artiste que je suis, la figure du « trickster » consiste en une forme d’énergie qui surgit

lorsque je produis de l’art. Elle est tout à la fois enjouée, perturbatrice et coquine. Lorsque je ne m’y attends pas, elle me fournit les idées et solutions nécessaires à la création. S’il est parfois exaspérant de travailler avec elle, le résultat obtenu est le plus souvent positif et je sais que c’est le cas quand elle me fait rire.

La Shure : Parmi les œuvres que vous exposez et que nous évoquerons rapidement, « Le Sutra du

cœur » est particulièrement intéressant. Pourquoi l’avoir choisi, plutôt qu’un autre texte bouddhi-

que ?

Lancaster: J’ai fait le choix du Sutra du cœur, dans lequel le mot « essence » pourrait d’ailleurs parfaitement se substituer à celui de « cœur », parce qu’il représente l’essence même des enseigne-ments du bouddhisme Mahayana. Au verso de cette pièce, se trouve l’intégralité de ce sutra tel qu’il a été imprimé au moyen des blocs de bois conservés au Temple de Haeinsa. Sa reproduction intégrale

sur cette pièce a aussi son importance. Dans l’ancien temps, ce sutra rédigé sur une unique feuille servait de talisman. Mon expérience de la méditation bouddhique et mes voyages chamaniques n’avaient d’autre objet que la réalisation de l’essence du Sutra du cœur, selon l’adage qui dit que « tout chemin véritable mène à l’Un ».

Il n’est pas facile de comprendre cette essence. Essayez donc d’aligner sur une table cent huit balles de ping-pong pour faire se succéder ce qui est écrit sur chacune d’entre elles et lire l’ensemble, sans qu’elles tombent par terre et rebondissent joyeu-sement en tout sens. Cela tient du défi ! Dans tout mon travail, il y a des niveaux de signification et des dimensions plus profondes dont je fais présent à ceux qui savent les découvrir à leur manière.

1 « Chronologie », de Linus Lancaster

2 « Flacon d’huile pour lampe de Onggi », de Chris Sarley

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La Shure : Vous avez fait mention de l’art coréen du rouleau de

papier et nombre de vos œuvres s’inspirent de cette technique.

Qui vous a convié à adopter cette forme d’art ?

Lancaster: C’est Zo Zayong qui m’a présenté un maître de cet art. Cette dame m’a indiqué comment tordre les pages de livres mis au rebut pour obtenir des rouleaux. Ses paniers et petits élé-ments de mobilier m’ont fait forte impression. Le papier fait main d’autrefois et la calligraphie magnifiquement exécutée me sem-blaient trop précieux pour ne pas les reconvertir, d’une manière ou d’une autre, en d’autres sortes d’objets d’art.

La découverte d’œuvres faisant appel dans leur création à la culture, à l’art et à l’âme coréens s’est avérée fascinante. Marilyn Hulbert, qui participait à cette manifestation en exposant un ensemble de charmantes photographies, a formulé la remarque suivante : « Lorsque j’ai découvert l’art populaire traditionnel coréen, je l’ai trouvé vraiment beau et reposant. C’était comme une discrète invitation. Nous vivons dans un monde où tout va si vite que cela m’enchantait de devoir m’arrêter un instant, pour admirer l’art populaire et m’imprégner de son essence. Dans mon œuvre, j’ai voulu susciter le même sentiment ».

Pour sa part, Linus Lancaster affirme avoir été profondément influencé par des sculptures de l’art populaire coréen telles que le « jangseung » et le « sotdae », qui sont des mâts totémiques. « Quand j’ai vu un « jangseung » à Séoul, je me suis senti, pour la première fois dans ma vie d’adulte, confronté personnellement à la manifestation concrète d’un esprit sous forme d’un objet. Bien que spécialiste de l’illustration, j’ai alors décidé de me lancer dans la sculpture ». Surveillant en silence l’exposition du coin où elle se tenait, l’une de ces figures de gardiens semblait s’être emparée de toute la jovialité légèrement menançante des « jangseung » coréens.

Au vu de cette manifestation qui a fourni une occasion supplémentaire de promouvoir des échan-ges culturels coréano-américains déjà importants, au titre du dialogue entre Orient et Occident, je me joins aux artistes qui l’animaient pour souhaiter qu’elle ait une suite.

3 « Envol vers la Corée », de Ma-rilyn Hulbert

4 Marilyn Hulbert présente ses œuvres photographiques aux visiteurs de l’exposition.

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En mai 2010, Barack Obama signait un décret visant à améliorer la situa-tion des ressortissants de pays asiatiques aux États-Unis et la photographie immortalisant ce moment historique allait faire beaucoup parler d’elle dans

ce pays, mais aussi en Corée du Sud, en raison de la présence, juste derrière le président Obama, de deux frères américains d’origine coréenne qui font depuis peu partie de son gouvernement.

C’est il y a deux ans qu’y ont fait leur entrée ces deux frères appelés Howard Kyong-ju Koh et Harold Hong-ju Koh. Le premier, qui occupait jusque-là le poste

de vice-doyen de la Harvard School of Public Health, s’est vu nommer secrétaire adjoint à la Santé et le second, son cadet lui-même doyen de la Yale Law School, conseiller juridique auprès du Département d’État.

Des parents qui voient deux de leurs enfants accéder ensemble à ces pos-tes de hauts fonctionnaires peuvent légitimement se sentir fiers d’eux et leur

mère, le professeur Chun He-sung (Hesung Chun Koh) a réagi à ces nominations avec particulièrement d’émotion.

« C’était en avril 2009, juste avant l’audience devant le Sénat de mon fils Harold (Hong-ju) et tous les sénateurs, sans aucune exception, ont traversé la salle pour venir

nous saluer et m’ont serré la main. Les journalistes, sur-tout les Coréens, nous prenaient sans cesse en photo et

l’événement a fait la une en Corée, ainsi que dans les journaux de la communauté coréenne aux États-Unis », se souvient le pro-

fesseur Chun. « Indéniablement, cela a été l’un des moments les plus satisfaisants de ma vie ».

Une mère pas comme les autres Spécialisée dans la recherche interculturelle, Hesung Chun Koh s’est

employée, pendant des dizaines d’années, à mieux faire connaître la Corée aux

entretien

Hesung Chun Koh Une super maman et une infatigable ambassadrice de la culture Le professeur Chun He-sung (Hesung Chun Koh), célèbre pour ses recherches en cultures comparées, a consacré sa carrière au rapprochement culturel de l’Orient et de l’Occident, ainsi qu’à la mise en place de cursus d’études consacrés à la culture et à la civilisation coréennes aux Etats-Unis. Aujourd’hui retraitée après plus de cinquante ans d’enseignement et d’études scientifiques, dont vingt-quatre passés à l’Université de Yale, elle se dévoue encore pour ce qui l’a passionnée toute sa vie durant, tout en s’intéressant depuis quelque temps à la recherche d’une « manière valable de vieillir » dans un monde où les limites de l’âge sont toujours repoussées.

Shin Ye-ri Editorialiste au JoongAng Ilbo

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Le professeur Hesung Chun Go est persuadée que la communauté coréano-américaine doit produire plus de dirigeants capables de susciter le respect chez la plupart des Américains.

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États-Unis, aux côtés de son mari aujourd’hui disparu, le professeur Koh Kwang-lim (Kwang Lim Koh), qui représenta ce premier pays dans le second en tant que ministre plénipotentiaire. À ses yeux, par-delà la réus-site qu'elle représente, la nomination de ses deux fils atteste surtout que les États-Unis jugent la Corée et sa population capables d’im-portants apports. Pour que

la Corée joue un rôle plus important dans ce pays, il faut, selon elle, que « la communauté coréenne produise plus d’éléments aptes à assumer de hautes responsabilités et à s’attirer l’estime des dirigeants américains ».

« Après avoir vécu soixante ans dans ce pays, j’ai eu la chance de voir des membres de ma famille mener des acti-vités d’une portée plus large que celles de la plupart de nos compatriotes » confie le professeur Chun. « En fin de compte, la façon dont les États-Unis perçoivent la Corée influe sur l'idée que se fait d’elle-même la jeunesse coréenne habitant ce pre-mier pays et favorisera ainsi l’apparition de dirigeants de haut niveau dans la communauté coréano-américaine. Si les Jeux Olympiques de Séoul de 1988 ont revalorisé l’image de la Corée en témoignant de ses capacités remarquables dans le domaine technologique, le boycottage commercial des épiceries coréen-nes de New York, en 1990 et 1991, ainsi que les émeutes qui ont éclaté à Los Angeles en 1992, ont terni l’image des Coréano-Améri-cains que les médias présentaient comme « des immigrés grippe-sous et armés jusqu’aux dents ».

« Quand la Corée du Nord a été classée parmi les pays de « l’Axe du mal », après les attentats terroristes du 11 septembre, les Coréano-Américains, comme les Coréens, ont été perçus d’un point de vue empreint de racis-me. Le Sommet du G20 a eu beau avoir lieu à Séoul, la Corée fait toujours figure de simple allié géopolitique et de partenaire commercial, et non d’interlocuteur culturel à part entière ».

Hesung Chun Koh a élevé ses six enfants, tous nés aux États-Unis, en leur inculquant la volonté de jouer un rôle dans leur pays d’accueil, sans pour autant oublier leurs racines coréen-nes, et continue de prodiguer ces sages ensei-gnements à ses fils et filles aujourd’hui adultes. S’il lui arrive de lire dans le journal que ses fils se heurtent à des obstacles dans l’exercice

de leurs fonctions, elle leur cite les propos de sa mère : « Votre grand-mère maternelle disait souvent que plus l’arbre grandit, plus il est agité par le vent. Si une très lourde charge pèse sur vos épaules, vous rencontrerez forcément plus de difficultés que les autres. Alors, tenez bon et continuez à faire de votre mieux ». Son fils Howard aurait déjà fait profiter ses confrères américains de ce principe plein de bon sens.

Dans un contexte exceptionnel par son multiculturalisme, Chun He-sung a élevé tous ses enfants pour qu'ils accèdent à de hautes fonctions dans leurs domaines respectifs et leur succès a suscité beaucoup d’intérêt quant à sa manière de procéder. Ses six enfants ont tous poursuivi des études dans les meilleures uni-versités américaines, notamment celles de Harvard et Yale, et ce sont onze doctorats que l’ensemble de la famille a obtenus, outre que certains de ses membres ont été sélectionés pour participer à un projet de recherche mis en œuvre par le Ministère américain de l’Éducation pour évaluer les méthodes employées dans l’en-seignement. Quel est donc le secret de la famille Koh ?

« C’est aux parents de montrer l’exemple par leurs actes, plutôt que de se contenter de paroles », conseille-t-elle. À la veille de la Guerre de Corée, elle est partie pour les États-Unis en nourrissant le rêve d’aider son pays et c’est là qu’elle a rencontré et épousé Koh Kwang-lim, lui aussi étudiant. Menant en parallèle ses activités d’épouse, de mère et d’étudiante, elle obtiendra à l’Université de Boston, en à peine sept ans, un doctorat d’an-thropologie et un autre de sociologie. Son mari se verra lui aussi décerner ces diplômes, mais en sciences politiques et en droit, au terme d’études menées respectivement à l’Université Rutgers et à la Harvard Law School.

Les enfants du couple, habitués qu’ils sont à voir leurs parents toujours à l’étude, les suivent dans cette voie et point n’est besoin de les faire étudier pour les voir un livre à la main. Dans la petite bibliothèque familiale où s’alignaient neuf bureaux contre les murs, ils mettaient un point d’honneur à toujours étudier au retour de l’école et jamais ils ne jouaient avant d’avoir fait leurs devoirs, jusqu’aux enfants venus s'amuser avec eux qui finissaient par prendre place aux tables laissées libres. Peu à peu, circula dans le voisinage une rumeur selon laquelle il fallait envoyer les enfants paresseux chez les Koh.

La fondation de l’Institut de CoréeKwang Lim et Hesung Chun Koh renonceront

à pousser leurs enfants à opter pour l' identité coréenne, comme ils avaient d’abord tenté de le faire en imposant l’emploi de la langue maternelle à la maison et celui de l’anglais ailleurs afin qu’ils deviennent totalement bilin-gues, car ils constateront qu’ils mélangent

1 La couverture du livre Un vieillis-sement de valeur, paru l’année dernière

2 L’affiche de la manifestation « La poupée : un relais culturel », qui comportait un séminaire et une exposition organisés par le profes-seur Hesung Chun Koh

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ces deux langues et ont du mal à communiquer avec leurs amis américains.

Au lieu de cela, le couple estimera que mieux vaut susciter en eux l’amour de leur patrie et de sa culture plutôt que de les forcer à apprendre sa langue et que la meilleure manière de le faire est de leur montrer comment se surpasser à tout moment pour vivre aux États-Unis tout en étant fier d’être coréen.

Pour parvenir à cet objectif, ils commenceront par créer, dans les années cinquante, l’Institut de Corée, qui est un organisme à but non lucratif, et encourageront l’Université de Harvard à y proposer un cursus de langue coréenne. Les Américains d’alors ignoraient jusqu’à l’existence de la Corée, certains pensant même qu’il s’agissait d’une île du Pacifique Sud. En revanche, il existait déjà nombre de spécialistes des civilisations chinoise et japonaise dans la plupart des universités, lesquelles n’étaient le plus sou-vent pas en possession d’un seul livre de qualité acceptable sur la Corée. Pour que soit mis en place un enseignement de langue et d’histoire coréennes, les Koh ont eu a persuader les dirigeants de Harvard de s’engager dans cette voie.

Alors qu’ils étaient encore étudiants, mari et femme ont joué un rôle important dans l’organisation de conférences traitant d’un large éventail de sujets liés à la Corée. L’accueil favorable qui allait être réservé à ces différents séminaires et le nombre croissant de spécialistes qui allaient y participer allaient peu à peu inciter l’Institut de Corée, l’actuel East Rock Institute, à redoubler d’activité. Les Koh inviteront alors scientifiques, diplomates et missionnaires coréens ou américains à leurs conférences désor-mais mensuelles.

L’Institut de Corée, dont les dix années d’existence prendront fin lorsque le professeur Koh sera nommé à l’ambassade de Corée aux États-Unis, aura été le premier résultat d’une action soutenue visant à promouvoir le dialogue interculturel coréano-américain.

Le tremplin des valeurs orientales à l’OuestLe professeur Chun a œuvré sans relâche à la promotion de

la culture coréenne à l’étranger, y compris à Washington où elle avait accompagné son mari diplomate, et les réunions qui se tenaient à l’ambassade lui en fournissaient autant d’occasions qu’elle mettait pleinement à profit. Pour animer l’ambiance des réceptions officielles où participaient généralement des invités masculins, elle aura l’idée de prendre contact avec d’autres fem-mes d’ambassadeurs en poste à Washington pour les inviter aux réunions de l’Ambassade de Corée. Les photographies d’épouses de diplomates coréens qui les accueillaient, vêtues de leur élégant « hanbok », feront alors leur apparition dans la presse américaine.

Quand prendra fin l'affectation de son époux et qu'il repren-dra ses activités d’enseignant à l’Université centrale de l’État du Connecticut, Chun s’installera à New Haven pour exercer au sein d’un institut de culture comparée de l’Université de Yale, mais tous deux s’emploieront en parallèle à remettre sur pied l’Institut de Corée sous forme de l’East Rock Institute qui verra le jour en

1985. Cet établissement tient son nom de celui d’une haute mon-

tagne de New Haven qui symbolisait la volonté du couple de jeter les bases de la promotion des valeurs de l’Orient en Occident, « des fondements solides comme un roc ». Aujourd’hui octo-génaire, sa fondatrice Hesung Chun Koh continue de présider à ses destinées tout en s’engageant à réaliser des rêves qui furent aussi ceux de son défunt mari. Sa façon particulière de parler de l’East Rock Institute comme de son « dernier enfant » révèle son grand attachement à cet organisme.

C’est dans son cadre que se sont déroulés séminaires et conférences internationales destinés à permettre une meilleure compréhension de la culture et de l’histoire coréennes, en paral-lèle avec une activité de publication de revues et livres consacrés à la Corée. Les projets les plus importants qu’il a réalisés ont comporté l’édition et la diffusion de manuels scolaires américains à l’intention de l’enseignement secondaire et de la formation des enseignants américains.

C’est en 1982, lors d’une conférence scientifique organisée à l’occasion du centième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques coréano-américaines, que l’intervention d’un professeur américain pour souligner l’absence de manuels scolaires traitant de la Corée donna lieu à l’initiative d’un projet visant à y remédier. Dans les textes qui existaient à cette épo-que, la Corée était systématiquement présentée comme un pays ravagé par la guerre et subissant encore les conséquences de ce conflit où les soldats américains s’étaient battus pour en sauver les habitants.

Face à cet état de choses, Hesung Chun Koh en conclut qu’il faut agir d’urgence, et ce, d’autant plus que le nombre de ressor-tissants coréens de la seconde génération ne cesse de progres-ser. Elle va alors mettre sur pied un comité d’experts composé de trente chercheurs spécialistes de culture et civilisation coréennes auprès desquels recueillir les informations propres à figurer dans de nouveaux manuels, ce dont se chargera l’East Rock Institute qui travaille aujourd’hui encore à ce projet.

« J’ai toujours plus à cœur de voir accourir les participants à notre projet, notamment des bailleurs de fonds, des bénévoles ou des intérimaires », déclare le professeur Chun, convaincue que l’Institut est la propriété des Coréens, mais aussi de tous ceux qui sont en relation avec la Corée. En ce qui concerne la mise en valeur de « l’image de marque » coréenne sur la scène interna-tionale, qui préoccupe vivement le pays à l’heure actuelle, Hesung Chun Koh s’est exprimée en ces termes dans le discours pro-gramme qu’elle prononçait au gala annuel de la Société coréano-américaine qui se tenait dernièrement à New York:

« Nous en serons capables moyennant de savoir tirer parti de cette valeur culturelle coréenne que je qualifierais de « syncré-tisme créatif », à savoir l’aptitude à réconcilier des forces antago-nistes pour conna tre bonnes fortunes et bonheur. Le symbole par excellence de cette valeur est celui de la triple spirale du yin et du yang que l’on trouve dans l’art populaire coréen. Imaginez ce qui

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arriverait s’il n’y avait plus un seul Américain d’origine coréenne à New York. À qui manquerions-nous et pourquoi ? Quel héritage laisserions-nous ? Quel aurait été notre apport ? C’est en répon-dant à ces questions que nous saurons comment coopérer et vivre ensemble en paix auprès de tous ceux que lient à notre pays leur naissance, leur mariage, leur adoption ou leurs choix personnels. J’entends par là non seulement ceux qui vivent sur la péninsule coréenne, tant au nord qu’au sud, mais aussi les sept millions de Coréens habitant plus de cent soixante-quinze pays du monde. Nos meilleurs alliés sont souvent nos voisins non coréens ».

Et d’ajouter : « Dans une société de plus en plus multicultu-relle, il importe d’être conscient de son identité et de ses origines culturelles, à défaut de quoi, il manque cet équilibre qui permet de mieux accepter les autres et de cœxister avec eux, et plus encore de les diriger. Faute de confiance en soi ou d’une vision claire de ce que l’on est, il est impossible d’acquérir un esprit cosmopolite ».

Une « diplomate officieuse » au Whitney CenterChun He-sung n’a pas cessé ses activités au service du public et

mène de front celles de l’East Rock Institute avec le travail auquel elle se dévoue avec ardeur au Whitney Center, un organisme à but non lucratif qui fournit des soins médicaux aux personnes du troi-sième âge et dont le siège, où elle réside elle-même aujourd’hui, se situe dans le Connecticut. C’est en 2009, dans sa quatre-ving-tième année, qu’elle s’y est installée suite au décès de son mari et qu’elle allait se découvrir une nouvelle mission de « diplomate officieuse », en tant qu’unique représentante de la Corée dans ce centre.

Depuis qu’elle s’y est établie, elle assure des cours de culture coréenne à l’université du troisème âge qu’abrite le centre et dernièrement, elle y organisait un défilé de mode présentant les costumes traditionnels coréens aux résidents, avec l’aide de l’Université féminine Sungshin. Quand elle a fait la rencontre d’un fabricant de poupées coréennes dont les élégants spécimens étaient à l’effigie de femmes de la dynastie Joseon, Hesung Chun Koh a eu l’idée d’organiser une exposition qui ferait découvrir les poupées du monde entier. Après avoir fait part de cette idée à ses voisins, ce sont près de quatre-vingts figurines en provenance de dix-huit cultures différentes qui ont été rassemblées, dont une poupée chanteuse d’opéra venue de Sicile, une poupée de paille servant de talisman à une tribu américaine indigène et une pou-pée inuit d’Alaska.

Si Chun He-sung a été à l’origine de cette initiative, jamais celle-ci ne se serait concrétisée sans l’aide des nombreuses per-

sonnes qui ont accepté de prêter leurs précieuses poupées, ce qui a permis à l’organisatrice de prendre une fois de plus conscience, quoique dans un tout autre contexte, de la force qui est celle d’une communauté.

Un « vieillissement de valeur»Aujourd’hui, Hesung Chun Koh chérit un autre rêve, celui de

créer en Corée un centre du troisième âge où les seniors puissent partager avec autrui leur expérience de la vie et leur sagesse, mais aussi vivre une vieillesse heureuse. Sachant qu’elle même était toujours parvenue à accomplir ses objectifs, je l’ai interrogée sur la manière dont elle entendait atteindre celui-ci.

« J’ai déjà signé un protocole d’accord avec le Whitney Cen-ter, l’East Rock Institute et l’Université de Yale. Notre objectif commun est de réaliser plusieurs études et projets portant sur les questions liées au vieillissement. J’aimerais convier des cher-

cheurs et experts gouvernementaux coréens à se joindre à nous au Whitney Center pour qu’ils tirent des enseignements de ce tra-vail. Je souhaite aussi inviter des médecins coréens à venir obser-ver les programmes gériatriques de Yale. En outre, j’entends faire bénéficier de mon savoir-faire toute personne liée aux organis-mes à but non lucratif qui se consacrent aux personnes âgées ».

Dans son livre intitulé Un vieillissement de valeur qu’a édité JoongAng Books l’année dernière, Hesung Chun Koh écrit : « Le mieux que l’on puisse faire est d’essayer de « vieillir de manière valable », ce qui est chose possible « en apportant ne serait-ce qu'un minimum d'aide aux autres, et pas seulement à soi-même ».

Enfin, elle souligne qu’il est impératif d’adopter des mesures apportant des réponses aux problèmes actuels du vieillisse-ment. « D’ores et déjà, la Corée figure parmi les pays du monde où le vieillissement s’accélère le plus, ce qui pose la question de savoir qui prendra soin des personnes âgées et avec quels moyens ? Il est du devoir des responsables politiques, quelque soit le niveau auquel ils se situent, mais aussi de tout un chacun, de prévoir et organiser avec dynamisme ce qui sera leur âge d’or et celui de leurs bien-aimés. La recherche interculturelle et une coopération internationale se consacrant pleinement à mettre sur pied une politique du vieillissement peuvent donner lieu à d’étonnants résultats, selon l’adage coréen « jeonhwa wibok », qui veut que de toute crise puissent na tre des opportunités. Je serais comblée si mes réflexions pouvaient provoquer une prise de conscience du caractère urgent de cette question en Corée et ailleurs dans le monde pour amorcer un changement constructif».

« Dans une société de plus en plus multiculturelle, il importe d’être conscient de son identité et de ses origines culturelles, à défaut de quoi, il manque cet équilibre qui permet de mieux accepter les autres et de coexister avec eux, et plus encore de les diriger. Faute de confiance en soi ou d’une vision claire de ce que l’on est, il est impossible d’acquérir un esprit cosmopolite ».

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Sur lA Scène internAtionAle

Kim Young-se, qui a fondé et dirige le groupe de conseil interna-tional en design INNODESIGN, dont le siège social se situe dans la Silicon Valley, est aussi titulaire d’une chaire à l’Université Sangmyung, où il s’emploie à encourager les jeunes talents du design coréen. Il exprime sa créativité dans de multiples objets du quotidien allant du téléphone portable au poudrier.

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n créateur doit être capable de concevoir en pensant comme un entrepreneur et de même, un entrepreneur se doit de conduire ses affaires en pensant comme un

créateur ; c’est indispensable dans le domaine du design en tant que secteur d’activité», affirme Kim Young-se. À ses yeux, il ne fait aucun doute que la création se nourrit des idées nouvelles qui proviennent du marché, et non de l’industrie.

Selon lui, la création ne représente pas seulement une orientation possible des technologies et du marketing, car le design, s’il résulte d’un sentiment d’amour et de compréhension à l’égard du consommateur, peut faire rêver d’avenir et changer la vie. Si un créateur axe son travail sur cette compréhension, le produit résultant ne pourra que recevoir un bon accueil auprès des consommateurs. Ceci est à la fois l’idée force d’INNODESIGN et le fondement de sa stratégie clé (www.innodesign.com).

« La création, c’est l’amour »Le principe dit de « Priorité à la création » qu’a adopté INNODE-

SIGN, avec un succès qui ne se dément pas, est plus pertinent que jamais à l’époque actuelle, où la création joue un rôle crois-sant. Kim Young-se déclare que sa démar-che de concepteur se fonde avant tout sur l’humain et l’amour d’autrui.

« Quand notre fils était enfant, il nous a écrit une très jolie carte jointe à des bons en échange desquels il offrait de faire la vais-selle ou la lessive, ou encore des massages quand nous avions des douleurs muscu-

laires. À la fin, il y avait ces mots : « Je vous aimerai toujours ». Ma femme en avait les larmes aux yeux », se rappelle-t-il, et lui-même a été très touché par ce cadeau, dont il a tiré la leçon que « la création repose sur l’amour d’autrui ».

« J’ai compris que les bonnes idées qui plaisent au consom-mateur sont celles que l’on a eues en le regardant avec amour », confie-t-il. « À l’origine d’une création, il y a l’amour. La seule façon d’émouvoir le consommateur est d’aller très au-delà de ses seuls désirs. Alors, si toute activité créative a pour objet d’at-teindre cette émotion, elle doit partir d’un sentiment d’amour se manifestant dans la création. »

C’est à l’âge de seize ans que naît chez lui cette vocation. Il étudiera alors l’esthétique industrielle à l’Université nationale de Séoul, puis à l’Université d’Illinois, où il enseignera à son tour après l’obtention de son diplôme. Par la suite, il travaillera dans différentes agences de design de Chicago où il acquerra un solide savoir-faire qu’il mettra à profit dans la suite de sa carrière. En 1986, il crée le cabinet INNODESIGN dans la Silicon Valley, où il

emménagera en 1997 dans de nouveaux locaux situés à Palo Alto.

Fondé en 1999, le cabinet de Séoul possède aujourd’hui une présence interna-tionale puisqu’il a ouvert des succursales à Beijing et Tokyo. Par-delà la conception de produits, il a étendu le champ de ses activités à des prestations de consultation en design, notamment dans le domaine du design visuel, des interfaces utilisateurs et du conseil financier.

Kim Young-se, qui a mis sur pied et dirige INNODESIGN, figure parmi les plus grands créateurs coréens et en 2005, lors du salon International Consumer Electronics Show (CES), Bill Gates a fait l’éloge de son lecteur MP3 iriver H10 en décla-rant que sa conception le situait parmi les produits les plus évolués de l’ère numérique. Ainsi, les innovations réalisées par ce créateur dans sa gamme de produits font connaître son esprit inventif à l’étranger.

Jeon Eun-kyung Rédactrice en chef de Monthly Design

Kim Young-se : créateur et « imagineur » d’avenir

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Il y a peu, Kim Young-se s’est vu décerner des distinctions internationales de prestige dans le domaine du design, entre autres l’IDEA, l’iF, et le red dot, ainsi que le Good Design Award japonais. Le quotidien économique japonais Nikkei a classé INNODESIGN parmi les dix premiers cabinets de design du monde, après l’Américain IDEO et le Britannique Seymourpowell. Le combiné portable qu’a réalisé INNODESIGN pour LG a été nommé Meilleur Produit de l’an 2000 par Business Week et a fait la couverture de la revue Design qu’édite le Conseil du design bri-tannique.

Indépendamment de ses nombreux et importants succès, Kim Young-se fait figure de maître du design novateur, non en raison de ses nombreux prix et des projets qu’il a menés à bien, mais aussi par son talent d’« imagineur » qui enrichit constam-ment le sens et la portée du design.

ProTech et William SaueyPar le biais d’INNODESIGN, qui a marqué l’histoire du design

coréen, Kim Young-se est fier d’avoir contribué à la mondialisa-tion de l’industrie coréenne du design en proposant des ser-vices de conseil aux grandes sociétés coréennes lorsqu’il travaillait dans la Silicon Valley. À la question de savoir quel a été le moment le plus difficile de sa car-rière, il répond que c’est maintenant, tout en affirmant ne pas se souvenir avoir un seul instant été à l’abri des problèmes ».

C’est il y a environ vingt-cinq ans qu’il allait se heurter à un premier écueil de taille. Comme il ne trouve pas de sac de golf à son goût pour un

voyage de longue durée, il décide d’en concevoir un lui-même et pour ce faire, de créer une entreprise nommée ProTech. Après avoir emprunté plusieurs centaines de milliers de dollars, il se lance dans la fabrication, mais des problèmes surviennent car il ignore tout des techniques de vente, de l’amortissement des coûts de marketing et d’autres aspects. Un beau jour, il s’aven-ture pourtant à exposer ses produits dans un salon d’Orlando consacré au golf où il a loué un petit stand pour limiter ses dépen-ses.

Kim Young-se se souvient encore de cette époque : « Aux débuts d’INNODESIGN, j’étais désorienté par la gestion commer-ciale, car je manquais tout autant d’expérience que mon person-nel. J’ai heureusement fait la rencontre d’une personne qui allait me sauver : William Sauey, le président de Flambeau, un gros fabricant américain d’articles en matière plastique. « Vous me semblez être un jeune créateur plein de génie. Que diriez-vous

de vous consacrer exclusivement au design et de me confier la production et la vente ? », me propose

l’homme et le lendemain, nous signons un contrat de licence portant sur le design

par lequel Flambeau obtient les droits de production et de vente sur les modè-

les INNODESIGN, ainsi que 8% des royal-ties.Quelques années plus tard, cet avantageux

partenariat permettra à INNODESIGN d’installer ses bureaux dans l’immeuble dont il est propriétaire à Palo

Alto. Quant à ProTech, il lui vaudra de recevoir son premier prix IDEA.

« Je ne serais pas passé par des moments si difficiles, si je

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« À l’origine d’une création, il y a l’amour. La seule façon d’émouvoir le consommateur est d’aller très au-delà de ses seuls désirs. Alors, si toute activité créative a pour objet d’atteindre cette émotion, elle doit partir d’un sentiment d’amour se manifestant dans la création. »

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n’avais pas cher-ché à innover. Je n’aurais pas eu à traverser toutes ces épreuves pour emprunter de l’argent, à dormir dans une petite voiture de location sur le bord de l’autoroute qui menait à l’usine et à me confiner dans le minuscule stand d’un salon. Mais il faut toujours se sou-venir que « Qui ne risque rien n’a rien ». La seule manière de sur-monter ses difficultés est de travailler en y mettant tout son cœur, comme l’a appris Kim Young-se, à ses dires, du vieux dicton qui dit que la sincérité émeut le ciel.

Après des débuts plutôt mouvementés, INNODESIGN s’est imposé dans le domaine du design auprès des entreprises coréennes en créant des produits comme Lobster, la cuisinière à gaz de marque Tong Yang Magic, le lecteur MP3 iriver, le petit poudrier à glissière de marque La Neige, le réfrigérateur Dios de LG et le téléphone portable Anycall de Samsung. Il y a quelque temps, il fournissait des services de conseil à CT&T, un construc-teur coréen spécialiste de voitures électriques, en vue de la pro-duction de petits modèles deux portes et de monospaces. Actuel-lement, il travaille aussi à la création d’une usine CT&T à Hawaii.

Aujourd’hui, Kim Young-se s’intéresse particulièrement à la création d’une image de marque coréenne, préoccupé qu’il est de la médiocrité de celle dont souffre encore le pays à l’étranger, où nombreux sont ceux qui n’y voient surtout qu’une nation divi-sée en dépit des progrès économiques remarquables qu’elle a réalisés en quelques décennies. Face à ce constat, Kim Young-se s’est lancé dans le projet T-line, qui porte sur un ensemble de créations inspirées du symbole du yin et du yang qui figure sur le « taegeuk » du drapeau national coréen. Différents produits

arborant ce motif sont nés de cette initative mise en œuvre avec la participation de la Fondation culturelle

du Musée national de Corée.

Un « imagineur » stratégiqueLeonard de Vinci et le roi Sejong, Steve Jobs et James Came-

ron sont pour Kim Young-se autant d’« imagineurs » d’hier et d’aujourd’hui qui, selon lui, ont changé le monde. Lors d’en-tretiens et de colloques, il a expliqué qu’un « imagineur » était pour lui un individu capable de représenter un modèle pour les dirigeants de demain. Un « imagineur » est doué de créativité et son pouvoir d’imagination lui permet de voir dans le présent ce qui présentera de la valeur à l’avenir. Les « imagineurs » d’aujourd’hui sont des créateurs, notamment, dans le domaine du design, de tendances susceptibles de se poursuivre par-delà l’ère de l’information.

De manière très précise, Kim Young-se a exposé sa vision du design dans les ouvrages intitulés Les innovateurs sont les créa-teurs de tendances et Les imagineurs maîtrisent l’avenir, qu’il a tous deux fait paraître en 2005. Il y décrit aussi les méthodes de formation qu’il préconise pour développer la créativité et la sensi-bilité.

Interrogé sur le meilleur des produits qu’il a conçus, il répond invariablement : « Ma meilleure création va bientôt sortir ! » car sa façon de penser est révélatrice d’une « avidité » que rien ne peut jamais combler et d’un constant désir de réaliser de meilleu-res créations. C’est la volonté de faire réussir ce qu’il crée qui l’in-cite à toujours rechercher de nouvelles idées et c’est pourquoi sa meilleure conception est toujours à venir, suscitant les attentes de ses adeptes.

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Bateau mouche, réfrigérateur, lecteur MP3, voiture électrique et sac de golf sont autant de réalisations d’avant-garde et réussies de l’esthétique industrielle.

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chefS-d’œuvre

Le voyage de rêve d’un prince de Joseon au paradis du verger aux pêchers Le prince Anpyeong, qui figurait parmi les plus illustres personnages sous le règne du roi Sejong, se distinguait par son exceptionnelle maîtrise de la calligraphie et se passionnait pour la collection d’œuvres de ce type, ainsi que de peinture chinoise, outre qu’il était le protecteur des arts et une personnalité à l’esprit ouvert sans préjugés fondés sur l’origine sociale. Ceci lui permit de s’entourer d’hommes de talent issus de différents milieux sociaux et exer-çant dans des domaines variés. En l’an 1447, il se vit une nuit en rêve dans un jardin de pêchers paradisiaque qui allait lui inspirer l’un des plus grands chefs-d’œuvre de la peinture coréenne.

Ahn Hwi-joon Professeur émérite d’histoire de l’art à l’Université nationale de Séoul

« Voyage en songe au pays des pêchers en fleur ». Ahn Gyeon, 1447, dynastie Joseon ; encre et couleur sur soie, 38,6 x 106,2 cm; Bibliothèque centrale de l’Université de Tenri, Tenri, Préfecture de Nara, Japon

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endant la nuit du vingtième jour du quatrième mois de l’an 1447, le Prince Anpyeong, aussi connu sous le nom de Yi Yong (1418-1453), troisième des fils du roi Sejong qui régna

sous la dynastie Joseon (r. 1418-1450), sombra dans un profond sommeil. Il fit alors un rêve très agréable au cours duquel il par-vint, en compagnie de son ami intime Bak Paeng-nyeon (1417-1456), jusqu’à une montagne où s’offrit à leur regard un magnifi-que paysage composé de falaises rocheuses, pêchers et sentiers forestiers.

À l’orée des bois, comme le chemin bifurquait dans plu-sieurs directions et que le prince se demandait lequel d’entre eux emprunter, il vit venir vers lui un homme en haillons qui désigna le sentier menant à un verger de pêchers. Ses compagnons et lui s’avancèrent alors entre des falaises montagneuses, d’épaisses frondaisons et un ruisseau au cours sinueux.

Un verger de pêchers de vastes dimensions semblait s’étendre sur plusieurs kilomètres et s’entourait d’une imposante muraille montagneuse voilées de nuages et vapeurs et, entre bosquets de bambous et chaumières, il se couvrait à foison de pêchers en fleur. Pas une seule poule ou vache n’était en vue, pas plus

qu’un quelconque autre animal et seule une frêle embarcation naviguait lentement sur l’onde. L’ensemble composait une scène à la fois charmante et désolée, tel un village d’ermites tao s- tes immortels.

Voilà, résumée en quelques phrases, la description du jardin aux pêchers tel que le Prince Anpyeong le vit en songe. À son réveil, il fit aussitôt appeler An Gyeon, un grand artiste de l’époque et, après lui avoir conté son rêve, lui demanda de peindre cette merveilleuse contrée. En à peine trois jours, An Gyeon exécuta ce tableau qui allait être son chef-d’œuvre et qui s’intitulait Mongyu dowon do, c’est-à-dire le « Voyage en songe au pays des pêchers en fleur ».

Cette œuvre comporte quatre dimensions qui sont le verger de pêchers, le prince Anpyeong, An Gyeon et l’œuvre d’art elle-même. La première d’entre elles constitue l’idée sur laquelle elle repose, la deuxième, c’est-à-dire la personne dont la vision a inspiré sa réalisation, représente sa complexité culturelle, la troisième, un artiste et un créateur, traduit son caractère artistique, tandis que le tableau-lui même possède un style qui lui est propre et occupe une place importante dans l’histoire de l’art coréen.

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L’idée qui fut à l’origine du tableauQuiconque pourrait légitimement s’interroger, à propos de ce

jardin de pêchers que le prince Anpyeong vit en songe, sur l’idée qu’il représente et le rêve qu’il a inspiré. Il s’avère en premier lieu que cette image d’arbres couverts de fleurs figure également dans une œuvre en prose intitulée Taohua yuan ji, c’est-à-dire « Printemps aux pêchers en fleur » et due à un poète chinois ancien du nom de Tao Yuanming ou Qian (365-427). Ce pay-sage enchanteur composé d’arbres fleuris, de la haute barrière montagneuse qui le sépare du reste du monde, de chaumières parmi les bambous et d’un bateau emportant au fil de l’eau des pêcheurs qui vont eux-mêmes découvrir le verger sont autant d’éléments qui témoignent de l’influence de Tao Qian. Il s’en démarque par l’absence des paysans, poules et chiens qui figu-rent dans l’œuvre de Tao, mais n’apparaissent ni sur cette toile ni dans le rêve du prince.

Le sens qu’a revêtu ce tableau pour le prince Anpyeong comme pour An Gyeon est d’une grande importance, notamment dans le contexte des menées répressives qui s’exercèrent à l’encontre du bouddhisme dès les premiers temps de la dynastie Joseon afin de favoriser l’allégeance au confucianisme. Il en res-sort que, sous des dehors fortement confucianistes qui se mani-festèrent par l’adoption du néo-confucianisme en tant qu’idéo-logie dominante et norme morale de la vie en société, l’État de Joseon reposait sur un taoïsme plus tolérant. C’est la persistance de ce dualisme idéologique qui a permis à la peinture paysagère, dont le « Voyage en songe au pays des pêchers en fleur » est un exemple, de prendre à ce point son essor et de séduire le public dans un régime aux fondements idéologiques pourtant confucia-nistes.

L’inscription qui figure sur le tableau fait état des interroga-tions du prince Anpyeong : « Je suis une personne qui se consa-cre corps et âme au palais et s’occupe jour et nuit des affaires de l’État, alors comment se peut-il que je sois allé en songe dans les montagnes et forêts ? » ll poursuit ainsi son monologue : « Puis-que j’aime tant m’isoler dans la nature, c’est que je dois dès le début avoir souhaité le faire » et atteste ainsi de ce paradoxe idéo-logique. Pour ce dirigeant accaparé par la gravité des affaires de l’État, conformément aux préceptes du confucianisme, la vision onirique de l’univers taoïste représenté par le jardin de pêchers est évidemment révélatrice de son dilemme intérieur. Tourmenté par les conflits politiques qui l’opposaient à son frère, le prince Suyang, il doit avoir vu dans le verger de pêchers une sorte d’uto-pie affranchie de toute surveillance et de toute contrainte.

L’ascendant spirituel qu’exerça le « Printemps aux pêchers en fleur » sur le prince Anpyeong est révélateur de l’apparition d’une tendance au classicisme sous le règne du roi Sejong. Elle peut s’expliquer par les orientations littéraires qui se manifestè-rent à son époque par le dynamisme de la recherche portant non seulement sur les huit maîtres des dynasties Song et Tang, mais aussi sur la littérature, la calligraphie et les systèmes des pério-des antérieures de l’histoire chinoise.

Le prince Anpyeong, inspirateur du tableauLe prince Anpyeong, qui figurait parmi les plus illustres person-

nages sous le règne du roi Sejong, se distinguait par son excep-tionnelle maîtrise de la calligraphie et se passionnait pour la col-lection d’œuvres de ce type, ainsi que de peinture chinoise, outre qu’il était le protecteur des arts et une personnalité à l’esprit ouvert sans préjugés fondés sur l’origine sociale. Il avait aussi pris la tête d’une faction politique qui l’affrontait à son frère, le prince Suyang. Ces activités lui permirent ainsi de côtoyer des hommes talentueux issus de différents milieux sociaux et exerçant dans des domaines variés, dont des érudits du « Jiphyeonjeon » (Salle des Notables) comme Seong Sam-mun, Bak Paeng-nyeon et Shin Suk-ju, des hauts fonctionnaires tels que Kim Jong-seo et Jeong In-ji, mais aussi des artistes, parmi lesquels An Gyeon prenait régulièrement part aux activités culturelles auxquelles s’adonnait le prince. Ce dynamisme culturel transparaît dans les œuvres en vers composées et rédigées de leur propre main par vingt et un poètes et écrivains pour le « Voyage en songe au pays des pêchers en fleur ».

En l’an 1447, soit cinq ans avant la réalisation du tableau, un fait analogue apporta une autre illustration de la synergie qui régnait en matière culturelle. C’est après s’être procuré un exemplaire des « Poèmes des huits vues des rivières Xiao et Xiang » dues à Ningzong, empereur des Song du Sud, que le prince fit représenter les huits vues par An Gyeon et composer des dithyrambes par de grands hommes de lettres de l’époque, autant de preuves du rôle décisif que joua le prince Anpyeong dans la création d’une importante œuvre d'art associant peinture, poésie et calligraphie et considérée figurer parmi les plus grands chefs-d’œuvre de son temps. Sans cet engagement personnel du prince, pareil projet n’aurait jamais vu le jour, et de fait, il n’en existe aucun autre qui lui ait été comparable par la suite.

An Gyeon, le peintreCe « Voyage en songe au pays des pêchers en fleur » est la plus

magistrale représentation de pêchers en fleur de toute la pein-ture asiatique et sa création résulte du haut degré de maîtrise qu’avait atteint An Gyeon dans son art pour différentes raisons, dont son talent et son extraordinaire créativité, sa passion pour l’art, l’étude approfondie qu’il consacra à différents chefs-d’œuvre et ses liens constants avec des personnalités qui n’avaient d’yeux que pour l’art.

À cet égard, un remarquable hommage allait lui être rendu par Shin Suk-ju (1417-1475) dans les « Relations sur la peinture » qui figurent dans son ouvrage Bohanjae jip (Œuvres choisies de Shin Suk-ju) et qui comporte le passage suivant :

« Il y a un artiste célèbre à la cour, nommé An Gyeon. Très intelligent et possédant des connaissances étendues, il a étudié de nombreuses peintures anciennes et en a assimilé les princi-paux éléments en retenant leurs meilleurs aspects pour parvenir à un équilibre. Il n’est rien qui ne puisse se peindre, mais ses paysages sont réellement exceptionnels. Ils n’ont pas leur pareil,

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De vastes dimensions, le verger de pêchers semble s’étendre sur plusieurs kilomètres et s’entoure d’une imposante muraille montagneuse voilée de nuages et vapeurs et, entre bosquets de bambous et chaumières, il se couvre à foison de pêchers en fleur, l’ensemble composant une scène à la fois charmante et désolée, tel un village d'ermites tao stes immortels.

Ce lointain et charmant verger de pêchers qui apparaît à la fin du « voyage en songe » représenterait l’utopie qu’auraitent inspirée à un prince de Joseon les remous politiques de son époque.

même dans la peinture ancienne. Il a longtemps fréquenté le Bihaedang [Prince Anpyeong] et ses œuvres figu-rent en grand nombre dans la collec-tion privée du prince ».

Cette relation, qui fut rédigée en l’an 1445, fait état de plusieurs faits intéressants à propos de An Gyeon. Au sujet de la formation de son style artistique, il fait mention des facteurs suivants. L’homme était avant tout d’une grande intelligence et possédait des connaissances étendues. De plus, il avait su se créer un style distinctif par l’étude de nombreuses peintures anciennes dont il avait dégagé les qualités principales en les associant de manière équilibrée. Troisième-ment, vers 1445, il a été très lié au prince Anpyeong et s’est particulière-ment distingué en peinture paysagère. En cette même année, la collection particulière de ce prince était riche d’une trentaine de ses œuvres, notamment de peintures à l’encre de bambou repré-sentant pruniers, grands pins et oies parmi des roseaux, outre les paysages eux-mêmes.

Les poèmes qui accompagnent le « Voyage en songe au pays des pêchers en fleur », dus à des écrivains contemporains d’An Gyeon, ainsi que d'autres d’époques postérieures, font l’éloge de cet artiste qu’ils présentent comme le plus raffiné de leur temps qui fut pourtant celui de Gu Kaizhi, l’un des trois grands maîtres des Six dynasties chinoises, de Wu Daozi et de Wang Wei, les plus illustres peintres de la dynastie Tang. Des propos aussi élogieux pourraient avoir joué un rôle dans l’influence qu’exerça An Gyeon sur le monde des arts de la dynastie Joseon, dans ses premiers temps (1392-1550) et à la fin de sa première moitié (1550-1700), mais aussi sur la peinture à l’encre de la période japonaise dite Muromachi.

Un style sans pareilSeule œuvre authentique d’An Gyeon à être parvenue jusqu’à

nos jours, le « Voyage en songe au pays des pêchers en fleur » présente plusieurs particularités dont la première est son agen-cement de part et d’autre d’un axe oblique imperceptible allant de l’angle inférieur gauche à l’angle supérieur droit. Par compa-

raison aux pratiques en usage dans la peinture d’Asie, qui s’orientent en sens opposé, c’est-à-dire de haut en bas et de droite à gauche, le mouvement adopté ici semble peu orthodoxe pour l’époque et, de fait, ne s’y retrouve nulle part. La présentation en biais de ce panorama produit un effet d’im-mensité.

Sur le tableau, s’étendent donc, de droite à gauche, quatre reliefs montagneux bien distincts composés des petites montagnes du monde réel, des monts qui se dressent à l’entrée du jardin aux pêchers, au centre et au fond de celui-ci. Quoique apparem-ment dissociés, ces éléments partici-pent de l’harmonie d’ensemble sur le plan visuel. Le sentier de montagne qui commence en bas et à gauche de

la toile représente le lien qui assure l’unité visuelle d’ensemble en menant aux deuxième et troisième montagnes. Hormis les petites hauteurs situées à l’extérieur du verger, l’ensemble du relief s’étendant autour du verger et dans son enceinte dresse ses fascinants versants rocheux escarpés évocateurs de l’univers oni-rique.

Ces montagnes sont représentées selon trois perspectives et trois points de vue, à savoir une perspective haute, lorsque les montagnes sont présentées de bas en haut, une perspective plane, quand les plus lointaines sont présentées de près, et une perspective profonde, quand celles qui se situent à l’arrière sont présentées de face. En dépit des quatre groupes de montagnes qui l’entourent, le jardin semble vaste et ouvert, un effet qui résulte de sa représentation sur un versant auquel la hauteur des monts a été adaptée pour créer un panorama. Si cette œuvre traduit une influence manifeste de Guo Xi, le maître de la peinture chinoise d’époque Song, les coups de pinceaux y sont uniques en leur genre et caractéristiques d’An Gyeon.

Réalisation grandiose mettant en œuvre la peinture d’An Gyeon, la calligraphie du prince Anpyeong et les textes en vers et en prose de vingt et un grands écrivains, le « Voyage en songe au pays des pêchers en fleur » revêt, sur les plans historique et culturel, une importante signification qui en fait l’un des trésors artistiques de l’époque du roi Sejong.

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eScApAde

Après avoir été, jusque dans les années soixante-dix, l’une des destinations favorites des Coréens pour leur voyage de noces, Onyang fournit aujourd'hui aux Séouliens l’occasion d’une agréable escapade d’un jour grâce au métro qui la met à moins d’une heure de la capitale. Cette petite ville de province au charme désuet, mais réputée pour ses eaux thermales et son marché traditionnel, vit naître l’amiral Yi Sun-sin, le célèbre commandant des forces navales vénéré par les Coréens pour la brillante victoire qu’il remporta contre le puissant envahisseur japonais (1592-1598).

Kim Ha Essayiste | Ahn Hong-beom Photographe

OnyangHier ville d’eau des têtes couronnées, aujourd’hui lieu de voyage de noces

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es idéogrammes chinois par lesquels est transcrit le nom d’Onyang désignent la chaleur et, voilà deux millénaires, ce toponyme fut précédé par celui de Tangjeong, qui signifiait « eaux thermales brûlantes ». Charmante localité se rattachant à Asan, une ville de la province de

Chungcheong du Sud située dans le centre-ouest coréen, Onyang figure depuis longtemps parmi les villes d’eau les plus réputées du pays et en l’an 1443, un roi s’y rendit même en villégiature.

Jadis, l’usage voulait que jamais un souverain ne partît en voyage à plus de trois ou quatre jours du palais, hormis lors de troubles politiques ou d’invasions, et le premier à se rendre à Onyang fut Sejong, monarque de la dynastie Joseon et le plus admiré de tous ceux de Corée par ses réalisations aussi importantes qu’innombrables. Accompagné de son épouse et de ses concubines, ainsi que d’une nombreuse suite de vassaux, il partit soigner une affection oculaire dans cette ville qui allait dès lors devenir le lieu de thermalisme favori de la royauté. Afin de s’y détendre loin de la capitale, les rois séjournaient pendant près d’un mois au Palais d’Ongung, dont le nom signifie « Palais chaud » et figure dans les chroniques royales.

La renaissance de l’ancienne ville d’eauC’est à la fin des années vingt que la ville d’Onyang s’est dotée d’installations modernes de therma-

lisme non loin de l’ancien emplacement du palais et elle est alors devenue la destination de prédilec-tion des voyages de noces pendant près de cinquante ans. Par la suite, sa fréquentation allait subir un déclin en raison de l’essor de moyens de transport tels que l’avion et du développement du tourisme dans d’autres régions du pays.

Il faudra attendre le deuxième millénaire pour que ce haut lieu de la « chaleur » exerce à nouveau ses attraits car la ville se trouve à une heure de métro de la capitale et de ses dix millions et quelque d’habitants qui peuvent emprunter différentes stations au départ et bénéficient d’une politique sociale

L

La pittoresque baie d’Asan à marée basse, à la douce lueur du soir tombant.

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permettant notamment aux personnes âgées de plus de 65 ans de voyager gratuitement. Tandis que les jeunes y partent en quête de divertissements, les moins jeunes s’y rendent pour retrouver les impressions du bon vieux temps de leur voyage de noces. Lieu de pèlerinage et de tendres souvenirs pour les uns, il offre aux autres la possibilité d’une escapade d’un jour, notamment aux familles.

Les sources thermales d’Onyang fournissent une eau dont la température peut varier de quarante-quatre à cinquante-sept degrés Celsius et dont la légère alcalinité est réputée agir contre la sécheresse cutanée, les douleurs névralgiques et gastriques,

ainsi que l’anémie, l’artériosclérose et diverses maladies fémini-nes. À la dizaine de bains publics du quartier de la gare d’Onyang, s’ajoutent ceux qu’offrent la plupart des hôtels de la ville. Dans les premiers, où il est permis de se dévêtir complètement, on appré-ciera en compagnie les plaisirs de l’eau chaude dégageant sa vapeur, ce qui permettra de faire soi-même l’expérience du mode de vie coréen.

Si l’on passe la nuit dans des « jjimjilbang », ces grands éta-blissements ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre et com-portant des bains, un sauna sec et d’autres installations de loisir, on appréciera d’y prendre du repos, bien au chaud, ce que seule

1, 2 L’atmosphère animée des ther-mes d’Onyang, qui sont nombreux à offrir des bains en plein air.

3 Le sanctuaire de Hyeonchungsa fut édifié à la mémoire de l’amiral Yi, ce grand homme aux exploits légendaires qui naquit à Onyang

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À la dizaine de bains publics du quartier de la gare d’Onyang, s’ajoutent ceux qu’offrent la plupart des hôtels de la ville. Dans les pre-miers, où il est permis de se dévêtir complètement, on appréciera en compagnie les plaisirs de l’eau chaude dégageant sa vapeur, ce qui permettra de faire soi-même l’expérience du mode de vie coréen.

peut-être la Corée permet de faire dans ces conditions. Nom-breux sont les touristes chinois et japonais qu’a enchantés cette découverte d’un thermalisme spécifiquement coréen.

Onyang se trouve à quinze kilomètres de la station thermale de Dogo et de celle d’Asan, qui se trouvent respectivement à l’ouest et au sud-est. Appréciées pour la haute teneur en sulfure de l’eau, dans le cas de la première, et pour ses agréables pro-priétés alcalines, dans la deuxième, ces deux villes sont aussi très prisées pour les différentes activités récréatives qu’elles propo-sent, notamment piscines et manèges, ces installations de loisirs pouvant accueillir près de mille cinq cents personnes à Asan.

Au pays natal de l’amiral Yi Sun-sinSur l’esplanade de Gwanghwamun, au centre de Séoul, l’im-

posante statue du célèbre amiral Yi Sun-sin monte la garde sur l’artère principale qui mène à l’entrée du palais royal. L’un des personnages historiques les plus admirés de Corée est ce mili-taire et fin stratège qui s’illustra lors de grandes batailles navales célèbres dans le monde.

L’invasion japonaise de 1592 et les sept années de conflit qui s’ensuivirent allaient profondément troubler la paix de ce « pays du matin calme » qu’était la Corée, mais l’amiral Yi allait porter secours au pays à cette étape critique de son histoire. Alliant ruse et courage, il fit preuve d’un grand patriotisme qui suscita l’admi-ration de ses concitoyens et lui valut d’être connu sous le nom de « seonggun », c’est-à-dire le « héros sacré ».

C’est à Onyang que naquit et vécut l’amiral Yi et, à environ quatre kilomètres à l’ouest du quartier des bains, le sanctuaire de Hyeonchungsa fut élevé à sa mémoire, en 1706, à l’emplacement de la maison où il vit le jour et demeura jusqu’à sa nomination au rang de sous-officier, à l’issue du concours national de l’armée. Beaucoup plus tard, en 1967, ce site allait être agrandi et planté de nombreux pins afin d’en rehausser la grandeur. Le général Park Chung-hee qui s’empara du pouvoir républicain par un coup d’état, en 1961, en étendra encore les dimensions et y ajoutera différentes installations pour en faire en faiñe un des hauts lieux de l’histoire coréenne.

Le site de Hyeonchungsa, dont le nom signifie « sanctuaire

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de la loyauté remarquable », comprend une reconstitution de la maison natale de l’amiral Yi, un musée et différentes annexes commémoratives, ainsi que les tombes de son troisième fils et de ses descendants, tandis que sa sépulture se trouve au Mont Eora, dans l’arrondissement d’Eumbong. Le musée abrite des documents ayant trait à sa personne, ainsi que certains de ses objets personnels, dont des armes. À la vue du Nanjung Ilgi, la chronique de guerre que tenait ce militaire, les visiteurs prennent souvent une expression empreinte de gravité.

Rédigée à l’origine en langue sino-coréenne, ce document est bien connu des Coréens, qui en ont lu des traductions dans leur enfance, et, en le parcourant, on comprend aussitôt pourquoi Yi Sun-sin suscite un respect et une vénération tels en Corée. Entre-pris un mois après le début de la guerre et ininterrompu jusqu’au mois qui précéda la mort de son auteur, il relate le déroulement et l’issue des nombreuses batailles que livra ce militaire sept années durant, en s’en tenant strictement aux faits et en four-nissant une multitude de détails. Il expose en outre avec minutie la stratégie qu’il adopta à ces différentes occasions, la vie au campement, les honneurs qu’il rendit à ses hommes comme les punitions qu’il leur infligea, le spectacle déchirant des affres de la guerre qu’eurent à subir les Coréens et son avis sincère sur la politique menée par le gouvernement.

Ces chroniques révèlent en Yi Sun-sin le chef militaire s’as-treignant à une discipline inflexible et faisant preuve d’innom-brables qualités, mais aussi l’homme comme les autres à qui sa

mère manquait et qui s’inquiétait du sort de son épouse et de ses enfants. À la nouvelle de la mort au combat de l’un d’eux, à l’âge de vingt-trois ans, il épanchera son cœur meurtri de père en ces termes : « C’est moi qui aurais dû mourir, et toi vivre ! Mais tu es mort et je vis ! Le Ciel a-t-il envié ta jeunesse et ton grand talent, pour t’emporter ainsi ? Quelle insupportable souffrance, ô mon fils ! Où es-tu parti en me laissant seul ? »

D’autres grands hommesSi les habitants d’Onyang sont fiers de cet amiral qui fut un fils

du pays et dont le sanctuaire se dresse sur leur sol, ils le sont aussi, quoique à un degré moindre, d’autres grands hommes tels que Maeng Sa-seong et Yi Ji-ham.

C’est entre la fin du XIVe siècle et le début du XVe que vécut le premier, qui après avoir exercé en tant que fonctionnaire de haut rang au royaume de Goryeo, fut nommé à plusieurs postes-clés du gouvernement sous la dynastie Joseon, dont celui de conseiller d’État, lequel figure parmi les trois plus importants de la nation. Au cours de sa carrière, il élabora et fit éditer un traité de géographie intitulé Paldo Jiriji, c’est-à-dire la géographie des huit provinces. Homme de lettres et musicien, il se distingua par son apport à l’essor culturel des premiers temps de la dynastie, notamment par la transcription de morceaux de musique popu-laire et la fabrication d’instruments de musique.

C’est à Onyang que se trouve sa maison familiale qui porte le nom de Maengssi Haengdan, à savoir la « Maison familiale des Maeng aux ginkgos », et dont l’entretien lui a permis de traverser les siècles pour parvenir à nos jours en bon état de conservation. Cette habitation qui figure parmi l’une des plus anciennes de Corée possède encore son allée longeant le mur de pierre qui entoure la maison, comme au temps jadis.

Elle fut, à l’origine, la demeure du général Choe Yeong, ce sujet qui resta fidèle au royaume jusque dans ses derniers temps et s’attira le respect de tous par ses faits d’armes. C’est lui qui découvrit les aptitudes du jeune fils des Maeng, ses voisins, et c’est après lui avoir fait prendre pour épouse sa petite-fille qu’il lui légua sa maison familiale.

Quant à Yi Ji-ham, cet érudit du XVIe siècle, il était féru d’art divinatoire, de médecine, de mathématiques, d’astronomie et de

1 « Maengsi Haengdan », la demeure familiale de Maeng Sa-seong, un illustre érudit des premiers temps de la dynastie Joseon, et deux ginkgos six fois centenaires.

2 Le Jardin botanique mondial d’Asan comprend plus de cinq mille espèces végétales provenant du monde entier, aux côtés de fleurs qui restent écloses toute l’année.

3 Cette maison traditionnelle du XVIIe siècle fut reconstruite par l’érudit Geon-jae, qui vivait sous la dynastie Joseon dans le village d’Oeamli situé à Asan. Elle s’imprègne encore de l’atmosphère qui fut celle de ce village vieux de cinq siècles.

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géographie, mais aussi renommé pour ses idées remarquable-ment progressistes et en avance sur leur temps. Ayant su très tôt voir une complémentarité dans l’agriculture et la finance, il souli-gna aussi l’importance de l’essor du secteur minier et des échan-ges commerciaux avec d’autres pays.

Natif de la ville voisine de Boryeong, il fut nommé en 1578 à la mairie d’Onyang pour succéder à un magistrat impopulaire et à la carrière entachée de corruption. À ce poste, il allait créer un office chargé d’assurer des œuvres charitables pour les mendiants, d’apporter une aide aux personnes âgées ou en difficulté et de permettre à la population de mieux subvenir à ses besoins, autant d’actions bienveillantes qui perpétuèrent son souvenir dans le cœur des habitants de la ville.

Aujourd’hui, ceux-ci voient avant tout en lui, de même que

l’ensemble des Coréens, l’auteur de l’ouvrage intitulé Tojeong Bigyeol (Les secrets de Maître Tojeong), du nom de plume qu’il s’était choisi, et au fil des siècles, il est devenu d’usage de consulter cette œuvre, au Jour de l’An, pour tenter d’y deviner les bonnes fortunes que réservent les douze mois à venir. S’il est vraisemblable que Yi Ji-ham n’en fut pas l’auteur, sa paternité lui en est attribuée du fait de la notoriété qu’il acquit en tant qu’érudit très versé dans l’art de la divination.

La douceur des montagnes et champsOnyang est bien connue pour l’aspect paisible de son cadre

naturel aux vastes champs et aux hauteurs d’altitude moyenne qui composent un agréable paysage. Le Mont Yeongin est parti-culièrement apprécié des gens de la région car cette montagne

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1 Paysage de neige et mur de pierre au village d’Oeamli.

2 Le Musée des traditions populaires d’Onyang permet de se faire une idée très précise des besoins quotidiens, coutumes et croyances des Coréens de jadis. .

3 Au marché traditionnel, qui se tient au village tous les cinq jours, une vieille femme attend le chaland avec ses sacs de grains en tout genre.

d’une altitude de 364 mètres est encore ceinte en son sommet des murailles d’un ancien ouvrage fortifié qui fut édifié à des fins défensives du troisième au quatrième siècles, sous le royaume de Baekje. Là, s’offre au regard le spectacle magnifique du coucher de soleil sur la Mer de l’Ouest (ou Mer Jaune) et du Sapgyo dérou-lant son cours dans la vaste plaine alluviale jusqu’à la baie d’Asan, où prend fin le long périple de ce cours d’eau.

À 699 mètres d’altitude, le Mont Gwangdeok est le point culminant de la région et si son ascension ne représente pas autant l’aventure que celle de l’Everest, elle comprend sur son parcours quelques chemins assez escarpés et quantité de ravins aux profondeurs mystérieuses. Une légende de la région veut qu’aux abords des épaisses forêts et des ruisseaux limpides de ces gorges, on entendait les montagnes pleurer quand survenait une crise dans le pays, lors d’une invasion par exemple.

Dans la vallée qui borde le Mont Guksa au nord, non loin du Mont Gwangdeok, s’écoule un ruisseau qui s’élargit à travers champs plus à l’ouest, près d’Onyang. De sa confluence en ce point avec d’autres cours d’eau, naît le Gokgyo, dont le cours pai-sible traverse Onyang et s’unit au Sapgyo, dans la ville voisine, en une rivière d’une longueur d’environ cinquante kilomètres. Ses flots recèlent en abondance des poissons tels que la carpe, tandis que nombre d’oiseaux en survolent la surface, notamment canards et hérons.

Les survivances de la Corée d’autrefoisFace à la gare d’Onyang, se trouve un vieux marché traditionnel

qui fut créé jadis pour approvisionner les cuisines du palais royal et fut par la suite ouvert au public. En dépit des installations modernes dont il est aujourd’hui doté, produits alimentaires et plantes médi-

cinales ne semblent guère différents de ceux d'autrefois. Outre ce marché permanent, celui qui se tient tous les cinq

jours, à compter du quatre de chaque mois, trahit davantage son origine ancienne et les touristes étrangers qui découvriront ce lieu typique des petites villes coréennes auront ainsi l’occasion d’y observer les survivances de la Corée d’antan.

La Corée compte encore beaucoup de villages claniques où les familles portant le même nom s’associent en communauté selon la tradition, à l’image de la localité d’Oeamli, qui est voisine d’Onyang et s’étend près du Mont Seolhwa. Le clan des Yi de Yean s’y installa voilà cinq siècles et ses descendants constituent aujourd’hui encore la plus grande partie de sa population. Vieilles habitations aux murets moussus, mâts totémiques dits « jang-seung » qui montent la garde à l’entrée du village, chaumières, trépigneuses ou meules tirées par des bœufs et moulins à eau sont autant de réminiscences populaires du bon vieux temps de la Corée rurale. Les maisons à toit de tuiles des nobles apportent une touche de raffinement à ce tableau.

À ceux qu’intéresse la vie quotidienne que menait autrefois le peuple, le Musée des traditions populaires d’Onyang fournira la mine d’informations instructives que recèlent ses collections. Dans les cinq salles qui le composent, ils pourront admirer une vingtaine de pièces qui fournissent un aperçu complet de la vie des gens de la région, de leurs coutumes, de leurs croyances, de leurs moyens de subsistance, de leur production artisanale et de leur création artistique sous des formes très diverses. En fin de semaine, ils pourront en outre assister à un mariage tradition-nel dont ils partageront l’atmosphère heureuse et chaleureuse, comme dans nombre d’autres occasions qui s’offriront à eux à Onyang.

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cuiSine

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Le «pyeonyuk » est un émincé de bœuf goûteux doté de qualités diététiques et une belle assiette garnie de ses fines tranches est toujours appétissante dans un dîner ou une réception, une sauce de soja au vinaigre ou du kimchi se mariant parfaitement avec sa saveur, mais il se consomme aussi sous forme de simples sandwiches.

Lee Jong-im Directrice du Centre de recherche sur la cuisine et la culture coréennes

Ahn Hong-beom Photographe

e « pyeonyuk », cet émincé de bœuf qui se consomme cuit à point, est caractéristique de la manière d’accommoder les viandes dans la gastronomie coréenne. C’est après

la cuisson que la pièce de bœuf est découpée en fines tran-ches, tout comme le rosbif dont il est souvent considéré être l’équivalent oriental, à cette différence de taille près qu’il se fait cuire à la vapeur tandis que le second est rôti.

Le choix de la viande et de l’accompagnement de légumes

Le « pyeonyuk » peut en réalité se composer de bœuf ou de porc et dans le premier cas, le meilleur morceau en sera la poitrine, tandis que dans l’autre, on pourra aussi employer le collet. Dans la poitrine de bœuf, le goût est moins fort et la consistance, plus tendre, car la viande est persillée d’une graisse fine. D’autres morceaux conviennent aussi à ce plat, à savoir le jarret, le mou et autres abats, la tête, la langue ou les parties génitales, les testicules par exemple.

Après avoir fait bouillir la pièce entière, on l’enveloppe de toile de chanvre et on pose un objet lourd sur l’ensemble pour que la viande forme un rectangle dans lequel on découpera, à l’aide d’un couteau tranchant, de fines lanières qui se serviront avec une sauce au soja vinai-grée ou du concentré de crevettes au sel.

Dans les restaurants coréens, cette préparation est souvent accompagnée d’une sorte de kimchi frais appelé « geotjeori » auquel peut se substituer du radis séché additionné d’une grande quantité de piment rouge en poudre, le « mumallaengi », et que vient encore relever une sauce au poisson fermenté appelée « aekjeot ». Pour rehausser encore les saveurs, le « pyeonyuk » se mange alors enveloppé dans une feuille de kimchi de chou entièrement fer-menté.

Ce plat figure souvent au menu quand vient l’époque très importante du « gimjang », qui s’étend de la fin de l’automne au début de l’hiver et voit les Coréens préparer et mettre en conserve quantité de kimchi à l’approche de cette longue saison froide. Dans de nombreux foyers, on fait alors cuire de gros morceaux de viande destinés à la préparation de « pyeonyuk »

Ce « pyeonyuk » accompagné de légumes et sauce de soja vinaigrée se consomme enveloppé dans une feuille de laitue pour le plus grand plaisir des gourmands.

Le « pyeonyuk » Un émincé de bœuf

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que le kimchi tout frais viendra épicer au dîner, les jours de « gimjang ».

La viande tendre du « pyeonyuk » est d’un goût déli-cieux lorsqu’elle s’accompagne de « saengchae muchim », une salade de crudités assaisonnée au piment rouge en poudre, vinaigre, sel et sucre, ainsi que de kimchi, mais dans la recette qui suit, cette préparation cède la place à une salade au ginseng relevée d’une sauce au miel dite « susam kkulchae ».

Pour plus de simplicité, on pourra préférer une sauce de soja additionnée de vinaigre et saupoudrée de pignons émincés et il suffira, pour rehausser la saveur de l’en-semble, de consommer les morceaux de viande dans des

feuilles de laitue ou de périlla.

La cuissonDe nos jours, les impératifs diététiques font délaisser

fritures, sautés ou rôtis à la faveur de plats étuvés tels que le « pyeonyuk ». Par ses qualités visuelles, celui-ci impres-sionnera toujours les convives, dans une belle assiette où ses fines tranches auront été soigneusement disposées. Il est aussi très apprécié dans les repas où tout le monde mange dans le même plat. Dans tous les cas, pour conser-ver toute sa tendreté à la viande, il conviendra de ne la découper qu’au moment de servir et pour en accentuer le plus possible la saveur, quelques minutes avant de l’émin-

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Faire cuire le bœuf et l’envelopper d’une toile de chanvre. Poser un objet lourd sur l’ensemble pour que la viande forme un rectangle. Découper le bœuf en lanières minces avec un couteau tranchant et servir avec une sauce de soja au vinaigre ou une sauce aux crevettes accompagnées de condiments.

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« Pyeonyuk »

Ingrédients• « Pyeonyuk »600 grammes de poitrine de bœuf, 6 gousses d’ail,1 poireau (environ 80g), 1/2 oignon (environ 60g), 20 grammes de gin-gembre émincé, 10 graines de poivre, 10 verres d’eau • « Susam kkulchae » (Salade de crudités au ginseng en sauce au miel) 1 racine de ginseng frais, 10 jujubes, 5 châtaignes,2 cuillerées à soupe de miel, 2 cuillerées à soupe de pignons• Sauce à la moutarde 2 cuillerées à soupe de moutarde en poudre (à mélanger à de l’eau pour obtenir une pâte), 2 cuillerées à soupe de sucre, 3 cuillerées à soupe de vinaigre, 1/2 cuillerée à café de sel,1 cuillerée à soupe de pignons émincés,1 cuillerée à café de sauce de soja• Sauce de soja vinaigrée 3 cuillerées à soupe de sauce de soja noire, 3 cuillerées à soupe de vinaigre, 2 cuillerées à soupe d’eau fraîche, 1 cuillerée à café de pignons émincés

Préparation1. Dégraisser la poitrine de bœuf et tremper dans l’eau froide pendant environ une heure, afin de drainer le sang.2. Ficeler la poitrine de bœuf. Cette opération est facultative, mais elle permet le maintien de la viande et facilitera ainsi son découpage après la cuisson.3. Scinder poireau et oignon en gros morceaux ; découper finement le gingembre. Peler l’ail et le laisser entier. 4. Dans une grande casserole couverte, porter l’eau à ébullition. Ajouter viande et légumes. Faire mijoter pendant environ une demi-heure. 5. Écumer, ajouter le sel, couvrir et faire encore mijoter pendant 40 à 50 minutes. 6. Quand la viande est cuite, la retirer de la casserole. Envelopper la viande de toile de chanvre propre et poser dessus un objet lourd, une brique par exemple, que l’on laissera pendant plusieurs heures pour obtenir une forme régulière. Découper la viande en fines tranches.7. Nettoyer soigneusement le ginseng avec un pinceau et découper en tronçons de 3 cm de long. Peler et émincer les châtaignes. 8. Bien nettoyer les jujubes et égoutter. Scincer les jujubes en biais pour obtenir des anneaux. 9. Pour préparer la salade de ginseng frais en sauce au miel, mélanger le ginseng, les châtaignes et les pignons, puis ajouter le miel à l’ensem-ble. 10. Mélanger la pâte de moutarde, le sucre, le vinaigre, les pignons émincés, la sauce de soja et le sel pour obtenir la sauce moutarde. 11. Disposer avec soin le bœuf émincé et la salade de ginseng sur un plateau. Servir avec la sauce moutarde.12. Prendre un morceau de « pyeonyuk », recouvrir de salade de gin-seng et ajouter la sauce moutarde. Plier ou enrouler le morceau de viande et... bon appétit !

cer, on y exercera une pression avec un ustensile après l’avoir laissée baigner dans son jus.

Le « pyeonyuk » est une préparation de la cuisine familiale qui comporte de multiples variantes et à laquelle chacun peut apporter sa touche personnelle. Tout cui-sinier a son secret pour atténuer l’odeur et le goût forts de la viande, notamment en ajoutant à l’eau de cuisson une cuillerée à soupe de concentré de soja fermenté dit « doenjang », une goutte de « soju », de vin, ou de sake, des graines de poivre, une pincée de café moulu et bien d’autres ingrédients encore. En matière de cuisson, les procédés peuvent aussi varier d’une personne à l’autre, mais le plus efficace consiste à vérifier le degré de cuisson en piquant la viande avec un couteau et, si le jus qui en sort n’est absolument pas rouge, c’est qu’elle est cuite à point.

Pour obtenir un « pyeonyuk » encore plus goûteux, on ajoutera une pincée de sel à l’eau de cuisson et on pour-suivra celle-ci à feu doux quelques instants avant d’y plon-ger la viande, qui s’imprégnera ainsi de sel. Il faut aussi éviter une cuisson excessive, qui priverait le plat du jus et des éléments nutritifs de la viande.

Un exemple d’emploi du « pyeonyuk »Le « pyeonyuk » sert souvent de garniture aux « naeng-

myeon », ces nouilles froides au sarrasin servies dans un bouillon de bœuf froid, en retirant la viande qui a cuit dans celui-ci pour le relever et en l’éminçant par-dessus les nouilles.

Le « pyeonyuk » entre aussi dans la composition du « seolleongtang », cette soupe où l’os de bœuf mijote doucement, tandis que divers morceaux de viande cuisent dans une grande marmite pendant le temps nécessaire à l’obtention d’une consistance tendre. Cette viande, une fois cuite, sera découpée en fines tranches qui garniront une soupe à l’aspect laiteux. Adapté à de multiples usages, le « pyeonyuk » convient aussi à des préparations moins traditionnelles, notamment des sandwiches pour lesquels on découpera des tranches encore plus fines afin d'obtenir une garniture tout aussi savoureuse que facile à utiliser.

1 Une belle assiette de « pyeonyuk » et de « susam kkulchae » servis avec une sauce moutarde.

2 Faire bouillir le morceau de viande et recouvrir de toile de chanvre. Placer un objet lourd sur la viande pour la comprimer et obtenir une forme en rectangle.

3 Émincer la viande à l’aide d’un couteau tranchant.

4 Pour préparer le « susam kkulchae », mélanger ginseng, châtai-gnes et pignons puis ajouter du miel.

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Depuis vingt-cinq ans, j’essaie, sans succès, de persuader les gouverne-ments successifs à Séoul de mener une diplomatie culturelle active, comparable par exemple à celle de la France ou du Japon. Lorsque je me trouve à Paris ou à New York, les deux villes entre lesquelles je me partage, je constate de manière concrète mon absence totale d’influence. Les Instituts culturels coréens dans ces deux villes, sont inconnus ou ils ne s’adressent qu’aux Sud-Coréens vivant à l’étranger. Les campagnes de promotion de la Corée du Sud y sont invisibles ou incompréhensibles : elles ne tiennent pas compte de l’ignorance des occidentaux ni des attentes des publics occidentaux : un véritable anti-marketing.

Malgré cette inaction des pouvoirs publics, j’ai constaté avec satisfaction, depuis vingt-cinq ans, une mutation positive considérable du statut international de la Corée du Sud. J’y vois six raisons :

1) Le passage sans trop de brutalité à la démocratie qui a inscrit la Corée du Sud dans la grande famille des nations libres.

2) L’ émergence des femmes coréennes : longtemps maintenues dans un rôle mineur par des normes dites traditionnelles, grâce à leur éducation et leur travail , elles ont modernisé et civilisé la société coréenne .

3) Le succès des marques sud-coréennes sur le marché mondial change l’image de l’économie sud-coréenne. Avec quelque ambigu té cependant car le consommateur occidental ne relie pas toujours ces marques à leur terre d’ori-gine. Il est connu par exemple, que Samsung ne souhaite pas être vendu comme une marque coréenne.

4) Le dynamisme des artistes sud-coréens a ébloui les amateurs de cinéma, d’art plastique, de littérature, de musique populaire. Il reste à nous faire découvrir le design, la mode ou la cuisine et à mieux soutenir ces créateurs indépendants qui expriment l’âme coréenne en un vocabulaire contemporain.

5) Le comportement responsable des autorités sud-coréennes dans les conflits internationaux et dans sa relation avec la Corée du Nord impressionne favorablement la communauté internationale.

6) La capacité d’organiser des grands événements – Jeux Olympiques, Coupe

Guy Sorman Écrivain

La Corée du Sud, cette belle inconnue

reGArd eXtérieur

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du Monde de football, G20 – a contribué à mieux situer la Corée du Sud sur la carte du monde : ces événements n’ont malheureusement pas été accompagnés des campagnes de communication adéquates.

Si une diplomatie culturelle cohérente et dynamique existait, elle apporterait à la Corée du Sud quatre avantages considérables :

1) tout ce qui est « Made in Korea » bénéficierait d’une valeur ajoutée cultu-relle et serait plus recherché sur le marché mondial.

2) Plus la Corée du Sud serait connue et respectée, plus la solidarité interna-tionale garantirait sa sécurité.

3) Le rayonnement culturel bénéficierait à de nouveaux secteurs d’activité comme le tourisme et l’art de vivre.

4) Plus d’étudiants et d’enseignants étrangers seraient attirés par l’étude de la Corée du Sud et des études en Corée du Sud : ceci contribuerait à la nécessaire internationalisation des Universités sud-coréennes.

Après mes vingt-cinq ans d’échec, je conclus qu’il faut prendre acte de la mauvaise volonté de l’État dont les raisons m’échappent. Mieux vaudrait par conséquent, que les entreprises privées créent une Fondation internationale pour la connaissance de la civilisation coréenne telle que la Corée du Sud l’incarne.

Mais attention à ne pas verser dans le nationalisme ! Internationaliser la Corée du Sud exigerait que les Sud-Coréens acceptent les critiques : ce n’est pas tou-jours le cas. Je constate que les médias sud-coréens publient volontiers les élo-ges venant des étrangers, mais s’abstiennent de publier les critiques. Nous disons en français “Qui aime bien châtie bien”. Les amis véritables ne sont pas ceux qui vous couvrent de fleurs, mais ceux qui parfois vous approuvent et parfois vous contestent.

* Extrait du message adressé à l’occasion de la réception du prix ‹ Korea Image Stepping Stone Bridge Award › descerné par CICI, Corea Image Communication Institute en 2011

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vie quotidienne

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Des musiciens amateurs d’âge mûr réalisent les rêves

de leur jeunesseDe plus en plus souvent, on voit depuis quelques années des Coréens d’âge mûr qui ont la nostalgie de leur vie d’étudiants des années quatre-vingts monter des groupes de musique amateurs pour chasser le stress

de la vie quotidienne. Leurs activités ne cessent de prendre de l’essor et se diversifier grâce aux possibilités offertes par internet et à la place croissante qu’occupent les arts du spectacle.

Park Eun-kyung Rédactrice occasionnelle | Ahn Hong-beom Photographe

année dernière, à la mi-décembre, a eu lieu une série de concerts donnés par des groupes musicaux amateurs dans un club du quartier de l’université Hongik où se produisent des groupes et qui est considéré comme le plus grand centre de musique

indépendante en son genre. Les spectacteurs avaient pris d’assaut sa cinquantaine de places et dans leur enthousiasme et leur fièvre avivés par cette atmosphère de fin d’année, ils en oubliaient jusqu’au froid de l’hiver.

Des spectacles communs pour la fin de l’annéeCes représentations se déroulaient dans le cadre d’une manifestation qu’organise à chaque fin

d’année le Groupe amateur 7080, qui appartient à un site internet de clubs et se compose de onze membres. L’homme d’affaires de quarante-sept ans Cho Young-min dirige ce club dont la création remonte à sept ans et il fait partie du groupe Jeongdeun. « Nous proposons ces spectacles en fin d’année non seulement à nos membres, mais aussi à ceux d’autres sites internet de clubs afin de favoriser les rencontres et de partager notre amour de la musique ».

Lors de son édition de l’année dernière, qui a donné lieu à une compétition, six groupes se sont produits dont Giant, Sunday Seoul, Dream et TripleA. C’est ce dernier, dont les membres sont assez jeunes, puisqu’ils ont une trentaine d’années, qui a remporté le premier prix en livrant une prestation tout à fait plaisante. Le second est allé à Sunday Seoul pour son interprétation fidèle et de qualité de morceaux de jazz et de blues, des genres qui sont en principe d’un accès difficile pour un groupe amateur. Enfin, le groupe Dream, qui rassemble des musiciens de cinquante-cinq ans et plus, a joué avec autant de passion que les groupes plus jeunes, ce qui lui a valu de ravir le troisième prix.

« Je jouais du tambour au club du lycée. Je pensais que c’était un instrument dynamique, dont il était facile de jouer, mais ce n’était pas le cas », confie Yoon Jung-won, ce salarié de trente-sept ans batteur de Sunday Seoul, un groupe créé en 2009 qu’il dirige également. « Je suis entré à Sunday

1 Fin 2010, des spectacles de grou-pes amateurs ont été régulière-ment organisés par l’intermé-diaire de sites Internet.

2 Un groupe amateur se produit dans un café musical.

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Seoul pour me sentir moins stressé et m’évader du train-train quotidien ».

Les musiciens qui le composent possèdent des activités aussi variées que celles de professeur, doctorant, travailleur social, employé d’une grande entreprise et homme d’affaires et leurs débuts n’ont pas été sans poser des problèmes de com-patibilité. Toutefois, en éliminant les sources de tension et en se cherchant des points commun, ils ont forgé un lien étroit entre eux. « Contrairement à des collègues de travail, c’est notre goût commun pour la musique qui nous réunit. Elle crée un lien unique entre nous et notre amitié a quelque chose de spécial », explique Yoon.

Choi Hyo-keel, un producteur de logiciel musical âgé de quarante-sept ans, est à la basse dans le groupe Jeongdeun. Il a exercé un temps dans une formation célèbre de professionnels, puis a changé d’activité, mais a repris la musique sur les conseils de son épouse. « Ma femme doit être aussi malheureuse que moi, car je subissais un stress énorme dans mon travail. Elle m’a encouragé à retrouver mon énergie grâce à la musique », racon-te-t-il.

« Je ne me sentais pas à mon aise dans un groupe d’ama-teurs », se souvient-il, avant d’ajouter : « Mais peu à peu, j’ai apprécié de jouer avec eux. C’est différent de la musique profes-sionnelle. Pourtant, chacun doit fournir une interprétation tou-jours correcte et s’entraîne beaucoup pour mieux assumer cette responsabilité ». Choi Hyo-keel donne aussi des conseils à diffé-rents groupes d’amateurs, car il apprécie de pouvoir les aider à s’améliorer.

La génération des « concours universitaires de la chan-son »

L’immense succès dont ont bénéficié les groupes d’amateurs dans les années 2000 s’explique par des pratiques en vigueur à la fin des années soixante-dix. À cette époque, le Concours de chansons de Gangbyeon (berge de rivière) et le Concours uni-versitaire de la chanson venaient juste de faire leur apparition à l’université où ils étaient déjà très appréciés. Beaucoup de grou-

pes allaient alors être montés par des étudiants dans le seul but de partiticiper à ces manifestations.

Les Coréens qui ont aujourd’hui atteint l’âge mûr ont com-mencé leurs études dans les années soixante-dix et quatre-vingts et ils conservent tous de vifs souvenirs de cette époque où ils nourrissaient souvent des rêves sans pouvoir les réaliser. En enfouissant au fond d’eux-mêmes ces passions musicales, ils se sont lancés dans la vie en trouvant un emploi, en se mariant et en travaillant dur pour soutenir leur famille. Le temps a passé et ils sont bien vite arrivés à l’âge mûr où certains d’entre eux tirent de l’oubli les rêves de leur jeunesse en entrant dans des groupes de musique amateurs.

Dans les salles de karaoke, les morceaux favoris des hom-mes d’âge moyen sont « Que dois-je faire? » de Sand&Pebbles, « Allongé sur la mer » de G Clef et « Dialogues en rêve » de Kim Beom-yong et Han Myeong-hun, tous récompensés par des prix dans des Concours universitaires de la chanson. Où que ce soit en Corée, ceux qui ont joué un rôle moteur dans la création de grou-pes amateurs auront bientôt cinquante ans et appartiennent à cette génération qui s’identifie à celle des concours universitaires de la chanson et des groupes musicaux amateurs. Certains d’en-tre eux ont autrefois joué dans des groupes aux côtés d’autres étudiants, mais pour la plupart, ils ont soit pratiqué la musique dans leurs loisirs, quand ils étaient jeunes, soit appris celle-ci à l’âge adulte.

« Notre groupe est connu maintenant et on nous a demandé de venir jouer pour les fêtes de fin d’année organisées par les associa-tions de dentistes. Bien que nous soyons très pris sur le plan professionnel à cette époque, cela nous amuse de jouer sur une scène et, en même temps, cela nous donne l’énergie nécessaire à la vie quotidienne. Je suis très satisfait de voir l’entente qui règne entre les musiciens et le plus grand succès qu’ils remportent dans le public », déclare le joueur de clavier de Xylitol, un groupe composé de dentistes.

1 Ce concours où s’affrontent des groupes amateurs a été organisé par un journal économique

2 En Corée, le nombre de groupes amateurs se situerait entre deux mille et trois mille, les salles qui leur sont destinées se multipliant aussi à un rythme rapide.

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Les groupes pionniers Xylitol et GapgeunseLes membres du groupe Xylitol, qui a dix ans d’existence,

arrivent tous à la quarantaine ou la cinquantaine et sont en outre dentistes de profession, à l’exception de Kim Yeong-jun, ce nouvel arrivant qui est PDG. Le joueur de clavier Lee Seung-taek et le guitariste Park Gyu-tae, respectivement âgés de quarante-sept et quarante et un ans, avaient déjà joué dans le groupe universitaire Molars, lorsqu’ils étudiaient à l’Université Kyung Hee, tandis que le contrebassiste Ki Se-ho, qui a lui aussi quarante-sept ans, a joué dans une autre formation nommée Sarangni, c’est-à-dire « dent de sagesse » quand il était étudiant en médecine à l’Univer-sité Dankook. Le chanteur Shin Yong-jun a quant à lui quarante-six ans.

Au mois de novembre de l’année dernière, Xylitol a donné des représentations à Séoul aux côtés de quatre autres groupes de dentistes. « Nous sommes connus maintenant. L’Association des Dentistes, ainsi que d’autres organisations, nous ont demandé de venir jouer pour les fêtes de fin d’année organisées par les asso-ciations de dentistes. Bien que nous soyons très pris sur le plan professionnel à cette époque, cela nous amuse de jouer sur une scène et, en même temps, cela nous donne l’énergie nécessaire à la vie quotidienne. Je suis très satisfait de voir l’entente qui règne entre les musiciens et le plus grand succès qu’ils remportent

dans le public », déclare le Docteur Lee, le joueur de clavier de Xylitol, un groupe composé de dentistes.

Depuis maintenant neuf ans, Xylitol joue souvent pour les SDF et ses membres jugent l’expérience très enrichissante. L’initiative en revient au Docteur Ki, qui dispense depuis longtemps des soins gratuits aux sans-abri. « Nous voulions créer un groupe et jouer pour les SDF. La dernière fois, nous avons même joué devant plus de cent cinquante d’entre eux. C’est passionnant et nous sommes heureux de pouvoir le faire » se réjouit le Docteur Ki.

Quant à Choi Hun, le guitarise de Waikiki Brothers, il est intervenu en tant que conseiller musical auprès de Xylitol. Après trente-cinq ans de carrière musicale, il s’est lié d’amitié avec le Docteur Ki voilà dix ans de cela et depuis peu, il prodigue ses conseils au groupe en vue de ses spectacles. Lorsqu’il dispose de temps libre, il se rend au studio de Xylitol pour donner son opinion sur l’effet harmonique d’ensemble, apporter des suggestions aux musiciens et les guider dans l’interprétation des passages les plus ardus. En réalité, il est plus qu’un conseiller pour Xylitol, puisqu’il procède à des arrangements sur ces morceaux difficiles pour en faciliter l’interprétation. De temps en temps, il lui arrive même de jouer avec les musiciens.

« Certes, ce ne sont pas des professionnels, mais leur passion et leur enthousiasme sont tangibles et me font chaud au cœur »,

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affirme Choi Hun. « En outre, contrairement aux musiciens professionels, ils viennent d’horizons professionnels différents. Quand je joue avec eux, j’ai l’impression d’être en prise avec la réalité. En tant que guitariste professionel, cela m’apporte beau-coup, outre que je suis heureux de pouvoir apporter une aide à des gens qui aiment la musique. J’apprécie vraiment de jouer avec des personnes qui sont venues à la musique sur le tard. »

L’un des premiers groupes de musique amateurs a été Gapgeunse Band, qui est apparu en 1998. Son nom original, formé des vocables « band » et « gapgeunse », qui désigne en coréen l’impôt sur le revenu de catégorie A, a attiré l’attention des « cols blancs ». Le succès grandissant de cet ensemble allait aussi inciter d’autres passionnés de musique à créer à leur tour des groupes. Dans les années 2000, les créations de formations

musicales sur le lieu de travail étaient très à la mode partout en Corée. Certains ont même ouvert des sites internet fournissant des liens, tandis que se multipliaient les sites internet de loisirs et de clubs consacrés aux groupes musicaux, les plus appréciés de cette seconde catégorie totalisant souvent plusieurs milliers d’ad-hérents, voire plus d’une dizaine de milliers.

Des spectacles amateurs toujours plus nombreuxLe nombre de groupes existant à l’échelle nationale serait com-

pris entre deux mille et trois mille et, comme pour répondre à cet essor, ont fleuri partout des agences spécialisées dans les concours et festivals destinés à ces groupes. Par ailleurs, on enregistrait dernièrement une forte hausse du nombre de studios loués par des groupes musicaux amateurs. Ces studios disponi-bles au prix approximatif de vingt mille wons de l’heure sont tou-jours complets après les heures de travail, dans la plage horaire de dix-neuf à vingt-trois heures.

Dans les premiers temps, les formations d’amateurs étaient montées par des collègues, amis ou connaissances proches, mais la multiplication des sites internet de clubs a permis à de nom-

breux internautes de se joindre à ces formations après avoir lu sur le réseau une annonce recherchant de nouveaux membres. En outre, comme il existe de tels ensembles sur tout le territoire, ceux-ci sont en mesure de fournir leurs prestations dans des manifestations locales. Tout au long de l’année, se déroulent des festivals organisés par les collectivités locales, outre que de plus en plus de sociétés font appel à des groupes amateurs pour se produire dans des manifestations à vocation promotionnelle.

Si les ensembles d’amateurs sont particulièrement disponi-bles dans toutes les régions en raison de leur grand nombre, ils sont aussi recherchés pour l’adéquation de leur répertoire avec les préférences d’un public très varié. Jeunes et moins jeunes, hommes et femmes, célibataires et familles trouvent toujours musique à leur goût dans cette diversité.

Chaque année, ce sont plus de dix concours auxquels parti-cipent des groupes musicaux amateurs sur l’ensemble du ter-ritoire, notamment le Company Bands Festival dont la première édition avait lieu l’année dernière. La lauréate en était la chorale Men Qualified, qui tient son nom de celui d’une célèbre émission de télévision de la chaîne KBS. Selon Kim Neung-su, le directeur d’Ice Agency, l’organisatrice de cette manifestation, il s’agissait du premier concours où les candidats étaient invités à interpréter des œuvres de leur composition.

Kim Neung-su déclare avec enthousiasme : « Nous avons exigé que les groupes amateurs jouent des morceaux qu’ils ont composés, dans l’espoir qu’ils soient de plus en plus nombreux à se doter d’un style propre et de techniques musicales, au lieu de jouer les morceaux des autres. Nous avions cinquante for-mations dans nos épreuves préliminaires, qui sont sans com-mune mesure avec les concours où n’existe pas de contrainte

musicale. Toutefois, le fait que nous puissions encore organiser ce concours prouve que ces amateurs sont déjà d’un meilleur niveau ».

Ces temps-ci, Kim Neung-su travaille à la préparation du Festival des groupes de salariés d’Asie, auquel pourra participer tout ensemble amateur de ce continent. La faisabilité de cette manifestation tient au dynamisme et au succès de ces formations dans d’autres pays d’Asie tels que le Japon et la Chine. Selon Kim Neung-su, on dénombre aujourd’hui au Japon près de quatre mille groupes de musique amateurs qui participent à de nom-breux concours et concerts. En Chine, de telles formations com-mencent à faire leur apparition.

« Nous sommes actuellement en négociation avec des agen-ces japonaises et chinoises », précise Kim Neung-su. « Au mois de mai, nous devrions être en mesure de proposer la première édition du Festival des groupes de salariés d’Asie».

Le succès grandissant des groupes musicaux amateurs peut être interprété comme un signe d’évolution des pratiques culturelles en Corée et grâce à ces formations, des hommes qui avaient perdu tout sens de leur « moi », à force de travailler dur pour subvenir aux besoins de leur famille, retrouvent confiance et joie de vivre.

Pour les musiciens évoluant au sein de groupes amateurs, le local de répétition le plus modeste permet de fuir la routine du quotidien.

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Agée d’une vingtaine d’années,

Chung Han-ah est l’auteur d’un

roman qui a reçu un accueil

enthousiaste, Dal-eui bada (La mer

de la Lune). Cette étoile qui monte au

firmament de la production littéraire

coréenne présente la rare particularité

de s’intéresser au thème de

l’optimisme et de son pouvoir. Sa

nouvelle intitulée Mate-eui mat

(Le goût du maté) ouvre de nouvelles

perspectives au traitement de la

thématique familiale dans la fiction

littéraire coréenne.

Aperçu de la littérature coréenne

Chung Han-ah

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critique

Chung Han-ah était déjà en passe de réussir dans la carrière de romancière, puisqu’elle s’était vu décerner le Prix littéraire Daesan des étudiants en 2005, suivi du Prix de l’écrivain de Mun-hakdongne (Communauté littéraire) deux ans plus tard, alors qu’elle se trouvait encore à l’université. Née en 1982, elle n’a qu’une vingtaine d’années, ce qui fait d’elle une jeune femme et un écrivain précoce, à l’égal d’autres auteurs tels que Yun Go-eun, Han Yu-ju, Yeom Seung-suk et Kim Sa-gwa. Ces nouveaux romanciers ayant déjà livré un ou deux recueils de nouvelles ou romans ont quelque chose du marathonien qui se tient prêt sur

la ligne de départ. On ne saurait toutefois sous-estimer leur valeur car, en dépit de leur jeune âge, ils démontrent un talent exceptionnel dans la conduite de l’intrigue, ainsi qu’une grande originalité de style et une analyse lucide de la réalité, autant de qualités qui leur ont valu de se trouver au centre de l’actualité littéraire.

Chung Han-ah occupe une place de premier plan parmi eux. C’est en 2007 qu’elle se fait un nom grâce au roman La mer de la Lune où l’énonciation à la première personne est réalisée par une jeune diplômée au chômage qui tente sans succès tous les concours de journalisme. Le récit se centre en outre sur les personnages de Min, cet ami qui vit dans l’espoir de changer de sexe, et des parents et grands-parents de la jeune femme, qui tiennent un restaurant de la chaîne « Deux Générations BBQ Galbi ». Derrière ce charmant tableau de la vie de famille, se dissimule une chronique des déboires du quotidien.

Des États-Unis, parviennent à la protagoniste les lettres que lui envoie régulièrement sa tante, une cosmonaute de la NASA qui s’avérera être restauratrice quand sa nièce lui rendra visite dans ce pays. Il se produit alors un intéressant revirement car la jeune femme, au lieu de reprocher à sa tante son imposture, voit dans celle-ci le brin de fantaisie qui permet de mieux supporter les petites décon-venues de l’existence. De manière convaincante, l’auteur cherche à montrer que si l’on observe la Lune avec un télescope, on n’y voit qu’une masse de sable gris, alors que si l’on y imagine des mers aussi étincelantes que des diamants, la véritable histoire, c’est-à-dire la vraie vie, se révèle peu à peu. Chung Han-ah présente en effet la rare particularité de s’intéresser au thème de l’optimisme et de son pouvoir.

Le recueil de nouvelles Nareul wihae utta (Un sourire pour moi-même), qu’elle publie au mois d’avril 2009, rassemble huit œuvres où se manifeste encore le point de vue optimiste du premier roman. Tous les récits n’y parlent en fin de compte que d’une seule et même chose, l’espoir, par le biais de personages divers évoluant dans des décors différents.

Ces figures sont toutes blessées dans leur être et en souffrent, que ce soit cette femme atteinte de gigantisme et sans cesse déçue par les autres (Un sourire pour moi-même), la jeune prostituée du quartier des plaisirs condamné à la disparition par des projets d’aménagement urbain (Afrique), la jeune femme partie travailler durement dans un kibboutz pour oublier sa déception sentimentale (Ferme de violoncelles), un garçon de six ans qui ne dit plus un mot depuis la mort de sa mère (La chaise) et un lycéen tenu à l’écart pas ses camarades (Danse, Danse). Le ton du récit révèle que l’auteur ne cède jamais au pessimisme ou à la tristesse car si les difficultés de ces êtres ne cessent de s’aggraver, ils n’en nourrissent que plus d’espoir et n’en acquièrent que plus de résistance à la douleur. Ils « ne se rappellent rien de mal qui leur soit arrivé » et « la sensation de quelque chose

Shin Soo-jeong Professeur au Département d’écri-ture créative de l’Université Myongji

Une alchimie des espoirs et désespoirs familiaux

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de tendre et doux, de léger et parfumé » leur donne la force d’échapper au désespoir (Un sourire pour moi-même).

De même, dans Le goût du maté, il est toujours permis d’espérer. Après avoir été licencié pour la quatorzième fois, le père de la protagoniste se rase le crâne et se résout à émigrer en Argentine avec sa famille. Ce pays sud-américain qui connaît un rapide essor de son économie représente pour cette famille un nouveau départ plein de promesses. Son bonheur sera de courte durée car la récession où s’enfonce le pays et la mort du fils cadet qui survient dans ce contexte feront empirer de jour en jour sa situation, mais elle se trouvera alors à un point de non-retour.

L’auteur réalise un traitement très habile de cette thématique qui lui est chère, à savoir l’abîme qui sépare l’idéal de la réalité ou le rêve de celle-ci. Face à la dichotomie de ces valeurs ou de ces états, Chung Han-ah n’opère aucun choix. L’idéal n’a de sens que s’il se maintient à une certaine dis-tance de la réalité, tandis que le rêve est désir, puisqu’il offre ce qui est impossible dans la réalité.

Une fois ses rêves anéantis, la famille s’en revient dans ce Séoul qu’elle avait si désespéré-ment fui et il va sans dire qu’elle se heurte alors à de grandes difficultés. Sa vie se transforme en un combat où le père doit conduire un vieux taxi, tandis que la mère travaille de nuit comme caissière dans un supermarché ouvert 24 heures sur 24 et que la fille enseigne à mi-temps dans un institut privé tout en tenant la réception d’un centre sportif pour gagner l’argent nécessaire à ses études. Constamment anxieuse, celle-ci est sujette à des rêves récurrents où elle ne cesse de pédaler et souffre de courbatures au matin.

Malgré les péripéties qu’a à affronter cette famille, elle ne se laisse pas pour autant aller au désespoir. Les plats argentins que prépare le père à l’aide des meilleurs ingrédients qui soient, dont il s’approvisionne lui-même, font naître en elle la promesse de bonheurs à venir en faisant revivre leur richesse passée ainsi qu’une lueur d’espoir. Lorsqu’elles les mangent avec appétit, mère et fille oublient l’anxiété qui les tenaillait. Dans cette nouvelle, l’odeur du thé argentin appelé maté symbo-lise de manière synthétique ce passage de l’anxiété à l’espoir. C’est dans l’effet de cette stimulation sensorielle que réside l’explication des paroles adressées par la jeune femme à son père dans le taxi où ils s’en retournent, à la fin de la nouvelle : « À Séoul, la nuit a quelque chose de bizarre… Les lumières ne s’éteignent jamais, alors on ne peut renoncer à rien. »

Ce message d’espoir formulé par l’auteur est tout aussi touchant que désespéré, car les aspi-rations qu’il exprime sont une émanation de la souffrance et d’un terrible désespoir. C’est sur ce sentiment poignant que se fonde tout le sens des nouvelles de Chung Han-ah, qui a conscience du rôle que jouent famille et amis dans la conversion du désespoir en espoir. Contrairement aux jeunes romanciers qui ont pour personnages de prédilection des êtres solitaires dépourvus de tout entoura-ge familial, Chung Han-ah voit un réconfort dans cette tendresse propre à la cellule familiale, qu’elle dépeint puissamment dans ses œuvres, comme le bon pain sortant du four ou une tasse odorante de maté où le familier s’unit à l’inconnu.

La famille dont Chung Han-ah brosse le portrait dans ses œuvres constitue une communauté capable d’une solidarité totale et en cela, se différencie résolument des représentations habituelles de la littérature coréenne. Pour l’auteur, la famille tient du rêve, comme dans La Mer de la Lune, et peut-être aussi d’une mine de précieux souvenirs enfouis, comme dans Le goût du maté. À ce titre, ses nouvelles ouvrent de nouvelles perspectives au traitement de la thématique familiale dans la fic-tion littéraire coréenne.

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