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ISSN 1225-9101 A RTS ET C ULTURE DE C ORÉE Vol. 11, N° 4 Hiver 2010 Le Palais de Gyeongbokgung

Koreana Winter 2010 (French)

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ISSN 1225-9101

A r t s e t C u l t u r e d e C o r é e vol. 11, N° 4 Hiver 2010

Le Palais de Gyeongbokgung

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Beautés de Corée

Le « gyeyeongbae »

e terme « gyeyeongbae », qui désigne un récipient d’ordinaire destiné aux boissons, signifie littérale-ment « prévention d’un éventuel débordement »

et de fait, il suffit d’emplir cet objet à plus de soixante-dix pour cent de sa contenance pour que le liquide dont il s’emplit disparaisse comme par enchantement. Le secret de son fonctionnement réside dans l’emploi d’une colonne s’élevant à l’intérieur du récipient, à partir de son pied, et dissimulant un tube en U. Jusqu’à soixante-dix pour cent de sa capacité, le liquide se maintient au même niveau, mais au-delà, il est transféré dans le tube en U, en remon-tant tout d’abord à l’intérieur de celui-ci, puis en y descen-dant pour se déverser dans une partie formant réservoir, selon le principe du siphon, qui repose sur la pression hydrostatique.

C’est sous la dynastie Joseon (1392-1910) que Ha Baek-won, scientifique et philosophe de l’école Silhak, créa ce dispositif. Par la suite, l’artiste céramiste U Myeong-won allait en reprendre le procédé dans la fabri-cation de « gyeyeongbae » de sa conception. Selon les spécialistes du Musée traditionnel du vin de Jeonju, il se serait formé à cet artisanat dans les ateliers de poterie de Gwangju, cette ville de la province de Gyeonggi-do où était produite la vaisselle destinée à la cour du roi. C’est là qu’il aurait mis au point la fabrication du « seolbaekjagi », cet article bien particulier en porcelaine blanche qui allait remporter un tel succès qu’elle fit sa fortune, ainsi que sa

célébrité dans tout le pays. Cette réussite le précipitera malheureusement dans une vie de débauche qui le fera s’adonner à son goût pour la boisson et les femmes, mais il finira par reprendre le chemin des ateliers de poterie de Gwangju, où il créera ses fameux « gyeyeongbae ».

Ces récipients évoquent aussi la mémoire de cet autre personnage que fut Im Sang-ok, commerçant de son état, et qui parvint à s’enrichir considérablement, à cette même époque de Joseon, en s’astreignant à un style de vie aus-tère, mais qui avait à tout moment un « gyeyeongbae » à portée de main.

Si celui-ci a cessé d’être en usage, il fait figure de sym-bole d’une existence exempte de tout excès et obéissant à certaines règles, conformément aux préceptes qui régis-saient la société de l’époque. Lors de la cérémonie qui marquait le passage d’un adolescent à l’âge adulte, le père offrait symboliquement à boire à son fils dans ce récipient afin de lui inculquer le sens de la modération.

Composé de porcelaine blanche à décor de fleurs d’abricotier, le « gyeyeongbae » qui figure ici est une repro-duction, réalisée par les ateliers de poterie de Gwang ju en l’an 2000, d’une pièce conservée au Musée national de Corée. La colonne renfermant le tube en U s’y trouve en-dessous des motifs floraux. À l’époque contemporaine, l’artisanat de la céramique a produit une grande variété de « gyeyeongbae » en porcelaine blanche ou en céladon.

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arts et Culture de Corée Vol.11, N° 4 Hiver 2010

Après avoir subi de considérables dégradations au fil des années, le Palais de Gyeongbokgung a fait l’objet d’une importante restauration destinée à lui rendre la splendeur qui fut la sienne sous la dynastie Joseon (1392-1910), où il abritait la résidence principale des souverains.

© Suh Heun-gang

Le Palais de Gyeongbokgung

8 Gyeongbokgung et la vie dans les palais de Joseon Jang Jiyeon

16 Une odyssée de vingt années : la première étape de la reconstruction du Palais de Gyeongbokgung

Lee Kwang-Pyo

24 Shin Eung-soo, l’artisan de la restauration de Gyeongbokgung

Jung Chung-sin

30 Une flânerie au Palais de Gyeongbokgung Charles La Shure

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36 dossiers

Les villages de Hahoe et de Yangdong désormais inscrits au patrimoine mondial | Lee Sang-hae

42 entretien

Les romans pleins d’espoir et de compassion de Shin Kyong-sook Choi Jae-bong

46 artisan Lee Keun-bok

Le maître artisan couvreur Lee Keun-bok embellit les lignes des toits Park Hyun Sook

52 Chefs-d’œuvre

Un miroir de bronze qui reflète une technologie parfaite | Cho Hyun-jong

56 Chronique artistique

Le « Réalisme dans l’art d’Asie » a dressé un bilan du XXe siècle Kim Inhye

62 À La déCouverte de La Corée

La Corée tourne une page et fait son retour à l’international

Hosaka Yuji

66 sur La sCène internationaLe Park Ji-sung

Park Ji-Sung, une vedette du football au mieux de sa condition physique et mentale | Jeong Yoonsoo

70 esCaPade JeJudo

En cheminant sur les paisibles « olle » de Jejudo | Kim Hyungyoon

78 Cuisine

Le « tangpyeongchae », un plat symbolique et riche en couleur Lee Jong-Im

82 reGard eXtérieur

Images d’un voyageur – Arrêt sur la Corée | Christophe Piganiol

84 vie quotidienne

Le « golf sur écran » prend son envol en Corée | Chung Jewon

87 aPerçu de La Littérature Coréenne

Kwon Yeo-sun L’analyse esthétique du comportement pathologique chez Kwon Yeo-sun | Kim Youngchan

Au temps des rubans roses | Traduction : Kim Jeong-yeon et Suzanne Salinas

Publication trimestrielle de la Fondation de Corée2558 Nambusunhwanno, Seocho-gu, Séoul 137-863 Corée du Sudwww.kf.or.kr

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Koreana, revue trimestrielle enregistrée auprèsdu Ministère de la Culture et du Tourisme (Autorisation n° Ba-1033 du 8 août 1987), est aussi publiée en chinois, anglais, espagnol, arabe, russe, japonais et allemand.

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Le Palais de Gyeongbokgung

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Le Palais de GyeongbokgungVingt années de travaux faisant appel à divers intervenants ont permis de mener à bien la première étape du projet de restauration du Palais de Gyeongbokgung, qui consistait notamment à reconstruire la grande porte de Gwanghwamun à son emplacement d’origine. Pour bien prendre la mesure de son importance his-torique et culturelle, il convient de se remémorer les origines et péripéties en tout genre qui furent celles de cette demeure royale datant de la dynastie Joseon et constituant un élément capital du riche patrimoine historique coréen.

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Gyeongbokgung et la vie dans les palais de Joseon

Si plusieurs palais d’époque Joseon demeurent aujourd’hui encore en parfait état de conservation, celui de Gyeongbokgung présente la particularité d’avoir été le premier de cette dynastie et, à ce titre, de faire

figure d’emblème de celle-ci, mais aussi de représenter l’esprit dans lequel fut fondé le royaume par le biais des appellations de ses différents bâtiments.Jang Jiyeon Professeur et chercheur à l’Institut des études de Séoul de l’Université municipale de Séoul | Suh Heun-gang Photographe

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Lieu de résidence royal, le palais dépasse cette définition, dans les documents historiques datant de la dynastie Jo-

seon, pour s’étendre aux simples séjours qu’y effectuaient les monarques en voyage dans le pays, mais aussi au caractère de sanctuaire destiné au culte des ancêtres. On dénombre cinq palais qui abritèrent la résidence officielle des souverains de Jo-seon, ainsi que les lieux où ils conduisaient les affaires de l’État. Il s’agit de ceux de Gyeongbokgung, Changdeokgung, Chang-gyeonggung, Gyeonghuigung et Gyeongungung ou Deoksu-gung, mais leur coexistence à l’époque contemporaine ne date que des dix dernières années.

Les Palais de Gyeongbokgung, Changdeokgung et Chang-gyeonggung, lequel est une annexe de celui de Changdeokgung,

constituèrent les plus importants jusqu’à l’invasion menée par le Japonais Hideyoshi en 1592, après quoi leur succédèrent ceux de Changdeokgung, Changgyeonggung et Gyeonghui-gung. Le Palais de Gyeongungung, dit aussi de Deoksugung, n’en constituait pas un à part entière, car il fut édifié dans le cadre d’un agrandissement en vue de la proclamation de l’Empire coréen, en 1897. Si plusieurs palais d’époque Joseon demeurent aujourd’hui encore en parfait état de conservation, celui de Gyeongbokgung présente la particularité d’avoir été le premier de cette dynastie et, à ce titre, de faire figure d’emblè-me de celle-ci, mais aussi de représenter l’esprit dans lequel fut fondé le royaume par le biais des appellations de ses différents bâtiments.

Principal accès au Palais de Gyeongbokgung, la Porte de Gwang-hwamun se compose de trois arches que surmonte une tour à deux niveaux et elle surpasse toutes les constructions en son genre par ses dimensions et son aspect majestueux.

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L’avènement de la dynastie JoseonÀ l’été 1392, allait se refermer le dernier chapitre d’un

royaume de Goryeo vieux de quatre cent soixante-quinze an-nées, pour céder la place à celui de Joseon dont l’instauration résulta d’une alliance entre la nouvelle classe des lettrés adeptes du néo-confucianisme et l’officier militaire Yi Seong-gye. Ce dernier allait aussitôt délaisser la ville de Gaegyeong, l’actuelle Gaeseong située en Corée du Nord, afin d’en prendre une autre pour capitale. Nombreux étaient alors ceux qui s’opposaient à un tel changement de capitale, notamment parmi les pères fondateurs de la nouvelle nation, de sorte que s’ensuivit une polémique longue de presque deux années. Le monarque allait finalement porter son choix sur la ville de Hanyang, dont le royaume de Goryeo, au début du XIIe siècle, avait fait la capi-tale de sa partie méridionale.

Pas plus tôt avait-il annoncé le déplacement de la capi-tale que Yi Seong-gye partit s’y établir, avant même que les installations nécessaires y aient été construites. C’est en 1395, soit près d’une année après ce transfert, que furent achevés le

Palais royal de Gyeongbokgung, le sanctuaire royal ancestral de Jongmyo et l’autel national de Sajik, d’autres constructions ayant été réalisées au cours des années suivantes. En raison de la hâte avec laquelle se déroulèrent ces déplacements et chan-tiers, la ville de Hanyang, qui prendrait un an plus tard le nom de Hanseong, présenta finalement un aspect d’ensemble assez analogue à celui de Gaegyeong, la capitale méridionale de Go-ryeo, puisque le Palais de Gyeongbokgung se situait à un em-placement pratiquement identique à celui de la première, qui s’adossait au Mont Baegaksan, à la seule différence près que le second était orienté légèrement plus au sud.

Quand les monarques coréens de Goryeo et Joseon se dotaient d’une nouvelle capitale, ils opéraient avant tout leur choix selon des critères topographiques tels que la présence de montagnes environnantes. Il convenait que celles-ci forment l’axe principal le long duquel serait édifiée la capitale, dont les fortifications pourraient ainsi tirer parti du relief. C’est ce qui explique que, pour la plupart, les villes coréennes ne présen-tent pas autant de symétrie que celles de Chine ou du Japon,

1 Au Pavillon de Geunjeongjeon, le trône est mis en valeur par une peinture représentant le soleil, la lune et cinq cimes montagneuses symbolisant l’autorité du monarque.

2 Le Pavillon de Geunjeongjeon est une imposante construction à deux étages reposant sur des fondations en pierre comportant elles aussi deux niveaux ; outre qu’elle abritait la salle du trône, elle servait aussi à l’accueil des émissaires étrangers et à l’accomplissement de cérémonies officielles.

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Les monarques tiraient leur légitimité du respect de la morale et de l’impartialité avec lesquels ils gouvernaient le pays, et non du pouvoir dont ils étaient investis, de sorte que le palais où ils résidaient se devait d’inspirer un sentiment de dignité, sans pour autant paraître trop imposants, car ils auraient alors évoqué l’idée de l’oppression du peuple. C’est pour réaliser ce délicat équilibre que les constructions de la dynastie Joseon présentent un aspect plus austère que celles de pays voisins, ce qui en dit long sur l’âme et l’esprit des hommes de Joseon.

notamment Kyoto, où les châteaux s’implantaient selon une configuration en damier. Contrairement à ce qui se passait dans ces deux pays, où les palais se situaient le plus souvent au centre de la ville ou légèrement au nord, le premier palais de Joseon, qui fut celui de Gyeongbokgung, fut élevé à l’ouest d’une agglomération aux contours irréguliers, au pied du Mont Baegaksan, conformément aux principes de la géomancie, dite « pungsu » en coréen et « feng shui » en chinois, qui présidaient à la sélection d’emplacements propices. À l’inverse des autres palais joseoniens, celui de Gyeongbokgung fut édifié sur terrain plat pour assurer un parfait agencement des différents bâti-ments qui le composeraient.

Le sens historique de GyeongbokgungLe royaume de Joseon fit sien les préceptes néo-confu-

cianistes fondés sur le postulat de la bonté fondamentale de l’homme et de son harmonie avec la nature. Un aspect plus important encore de cette philosophie tenait à l’importance qu’elle accordait aux questions spirituelles telles que la valeur morale par opposition à l’apparence extérieure. Les monarques tiraient leur légitimité du respect de la morale et de l’impar-tialité avec lesquels ils gouvernaient le pays, et non du pouvoir

dont ils étaient investis, de sorte que le palais où ils résidaient se devait d’inspirer un sentiment de dignité, sans pour autant paraître trop imposants, car ils auraient alors évoqué l’idée de l’oppression du peuple. C’est pour réaliser ce délicat équilibre que les constructions de la dynastie Joseon présentent un as-pect plus austère que celles de pays voisins, ce qui en dit long sur l’âme et l’esprit des hommes de Joseon.

C’est dans cette plus grande simplicité qui les en distingue que résident l’esprit et la spécificité de Joseon. L’architecte du Palais de Gyeongbokgung fut Jeong Do-jeon, érudit néo-con-fucianiste et fonctionnaire à la cour, qui procéda à un choix minutieux des noms des palais et de tous leurs bâtiments constitutifs, afin de traduire les idéaux qu’il estimait devoir animer les futurs monarques de Joseon. Les trois constructions réalisées en premier lieu à Gyeongbokgung furent le Pavillon de Gangnyeongjeon, les quartiers du roi, Sajeongjeon, la salle du conseil et le Pavillon du trône du Geunjeongjeon. Dans le pre-mier, où se situait la chambre royale, Jeong Do-jeon souhaita créer une atmosphère propice à la sénérité et à la sincérité pro-pres à un souverain, le nom de Gangnyeong signifiant en effet la paix, qui figure parmi les cinq bienfaits s’offrant à l’homme, cette dénomination traduisant ainsi l’espoir que nourrissait

1 C’est au Pavillon de Sajeongjeon que le monarque se consacrait aux affaires du royaume et recevait les fonctionnaires royaux.

2 Si le Palais de Changdeokgung constitua à l’origine une annexe de celui de Gyeongbokgung, il fut le premier à être restauré, suite aux invasions japonaises de la fin du XVIe siècle.

3 Attenant à la chambre du roi dite Gangnyeongjeon, ce bâtiment s’orne, sur son avant-toit, de figurines censées éloigner les mauvais esprits.

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le concepteur que le roi les dispensât tous les cinq grâce à sa droiture, garante d’un comportement vertueux. Cette chambre à coucher, où il passait plus de temps seul que dans les autres pièces et avait donc la possibilité de se détendre, revêtait donc particulièrement d’importance pour assurer un climat de quié-tude favorable à la paix du royaume.

« Loyauté » et « sincérité » figuraient parmi les huit vertus qu’érigeait en principe le traité s’intitulant La grande érudition, aux côtés de « l’étude approfondie et de la compréhension des affaires matérielles », de « l’éthique », de « l’harmonie familiale », du « bon gouvernement de la nation » et du « maintien de la paix ». Si le souverain pouvait trouver dans sa chambre un cadre favorable à un état d’esprit sincère et loyal, alors il agirait en conséquence dans la salle du conseil de Sajeongjeon lorsqu’il se réunirait avec les fonctionnaires de la cour ou donnerait des audiences extraordinaires. Le pavillon abritant cette salle reçut le nom de Sajeongjeon, par lequel Jeong Do-jeon entendait encou-rager le monarque à se pencher sur les difficiles affaires de l’État et arrêter des décisions fondées sur la raison, puisque la pensée constitue l’essence même de l’acte de gouverner et d’enseigner.

Si le roi avait la possibilité de cultiver les qualités de loyauté et de sincérité entre les murs de Gangnyeongjeon pour les met-

tre en application au Pavillon de Sajeongjeon, il serait alors en mesure de règner en toute sérénité. Ainsi pourvu de sens mo-ral, il pourrait gouverner la nation avec compétence et œuvrer pour la paix dans le Pavillon du trône, dit de Geunjeongjeon, un nom qui signifie « régner avec zèle », mais qui n’exprime aucune exhortation à exercer son pouvoir dans tous les domai-nes. Dans ce cas précis, Jeong Do-jeon pensa qu’il incombait au monarque de s’entourer de fonctionnaires aussi vertueux que qualifiés, de sorte qu’il puisse leur déléguer des responsabilités administratives qui l’affranchiraient lui-même des considéra-tions d’intendance.

Les malheurs de GyeongbokgungPour ce qui est de Gyeongbokgung, Jeong Do-jeon en choisit

le nom en formant le vœu que le roi s’acquitte honorablement de sa charge et que sa succession soit assurée sans rupture de continuité. Peu de temps après l’achèvement du Palais, le souve-rain vit malheureusement son prestige se ternir et suite à deux soulèvements provoqués par l’affaire de la succession royale, la capitale fut à nouveau établie à Gaegyeong, qu’elle quitterait plus tard pour Hanseong. Dans cette effervescence, le royaume allait se doter d’un nouveau palais, dit de Changdeokgung et situé

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à l’est de celui de Gyeongbokgung, qui tout en conservant son statut de bâtiment officiel, demeura inhabité sous le règne du roi Taejong (r. 1400-1418) et perdit ainsi de sa grandeur.

À l’époque du roi Sejong (r. 1418-1450), une vive po-lémique éclata au sujet de l’interprétation des principes du « pungsu », d’aucuns affirmant que la première montagne de Hanseong devait se situer près de Changdeokgung, et qu’il ne devait pas s’agir du Mont Baegaksan. Toutefois, ce débat ne portait pas que sur l’implantation de la capitale, puisque le fait de choisir un autre relief pour montagne principale entraî-nerait le changement des méridiens utilisés dans les calculs, conformément aux stipulations du « pungsu », ce qui remet-trait aussi en cause le choix de l’emplacement destiné au Palais lui-même. Si le gouvernement parvint à faire taire les voix dis-cordantes sous le règne de Sejong, la question refit surface suite aux invasions japonaises de 1592.

Ces dernières, qui se produisaient ainsi deux siècles après la fondation de la nation, représentèrent un conflit sans précé-dent, par ses dimensions et les ravages dont il s’accompagna, puisque furent réduits en cendres Gyeongbokgung et tous les autres palais de Hanseong. La question se posa alors de savoir comment furent possibles d’aussi importantes destructions. Pour les sujets, qui s’étaient interrogés sur l’opportunité d’avoir

retenu le Mont Baegaksan en tant que montagne principale de la capitale et étaient parvenus à la conclusion que celui de Gyeongbokgung n’était guère convenable, c’étaient de « mauvais calculs » qui étaient à incriminer, de manière plus ou moins directe, dans les énormes destructions qu’avait causées la guerre. Quand le pays eut repoussé l’envahisseur japonais, il entreprit de restaurer les palais de Hanseong, sous le règne de Gwanghaegun (r. 1608-1623), à l’exception de celui de Gyeong-bokgung, que négligea la restauration et qui demeura ainsi en ruines, pour des raisons prétendument liées au mauvais choix de son emplacement, le roi n’ayant eu à aucun moment l’inten-tion de le remettre en état.

Le symbole éternel de JoseonIncendié par l’envahisseur japonais, Gyeongbokgung était

resté en l’état pendant plus de deux siècles quand, en 1860, vit le jour un projet visant à sa reconstruction. Quoique laissé à l’abandon, il n’en accueillit pas moins nombre de cérémonies que firent accomplir les monarques de Joseon, au XVIIIe siècle, en hommage aux fondateurs de la dynastie, mais aussi dans le but de rendre à ce Palais son caractère éminemment symboli-que de la monarchie de Joseon et de ses pères fondateurs.

Quand accéda au pouvoir le roi Gojong, son père, le prince

Après avoir franchi la Porte de Gwanghwamun, il faut aussi passer sous celles de Heungnyemun et Geunjeongmun pour atteindre la salle du trône de Geunjeongjeon. La sobriété de cet ensemble architectural est à l’image de cette modestie hautement appréciée sous la dynastie Joseon, par opposition à toute forme d’extravagance.

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régent Heungseon Daewongun, mit en œuvre un projet de grande envergure destiné à faire retrouver au trône royal, qu’avaient ébranlé différents événements au XIXe siècle, toute sa dignité et son autorité. Ainsi allait être restauré le Palais de Gyeongbokgung, sous le règne de Gojong (r. 1863-1910), en en conservant la disposition d’ensemble des origines, tout en lui conférant de plus vastes dimensions et en y adjoignant di-vers édifices. À la veille de la déclaration par laquelle Gojong, en 1870, nomma son père pour assurer la régence pendant sa minorité, il ordonna la construction de l’ensemble architectu-ral de Geoncheonggung, qui se situe à l’arrière du Palais. C’est dans ses murs qu’en 1895, alors que le couple royal y séjournait, eut malheureusement lieu l’assassinat de la souveraine par des agents japonais, un acte qui plongea le pays dans la tourmente et changea le cours de sa politique. Le roi Gojong trouva alors refuge à la légation russe, d’où il proclama l’instauration de l’Empire coréen et Gyeongbokgung cessa dès lors de figurer parmi les palais royaux de la dynastie.

Suite à la colonisation du pays, les autorités japonaises infligèrent d’importants dommages à ses édifices en guise de démonstration de force. Une affaire grave éclata en 1920, suite à la construction du siège du gouvernement général japonais en vis-à-vis direct du Pavillon du trône de Gyeongbokgung,

cet édifice faisant ainsi ombrage à un palais qui avait long-temps symbolisé le pouvoir monarchique de Joseon, même si ses sujets n’avaient jamais affectionné cet édifice. En dépit des analogies qu’il présente avec des constructions chinoises et japonaises de type équivalent, et en comparaison d’autres palais coréens d’époque Joseon ou Goryeo, il se distingue par une disposition ordonnée qui est unique en son genre. Pour-tant, il n’eut jamais vraiment la faveur du peuple coréen, et aujourd’hui encore, les visiteurs lui préfèrent celui de Chang-deokgung, alors en fin de compte, se pourrait-il que le choix de son emplacement ne lui ait pas été favorable ?

Quoi qu’il en soit, le Palais de Gyeonbokgung n’en demeure pas moins une incarnation de l’esprit des fondateurs de Joseon et, près de cinq siècles plus tard, le symbole éternel de cette même dynastie. À la Libération coréenne, qui eu lieu en 1945, d’aucuns allaient réclamer la démolition du siège du gouverne-ment général, qui rappelait douloureusement aux Coréens la domination coloniale dont ils venaient de s’affranchir. Si la réa-lisation de ce souhait, qui intervint au début des années quatre-vingt-dix en vue d’entreprendre la restauration de Gyeongbok-gung, a certes constitué une décision discutable, cela ne diminue en rien la valeur du travail qui a été accompli pour rendre au Palais de Gyeongbokgung sa gloire et sa splendeur d’antan.

Vue du Pavillon de Gyeonghoeru, de nuit. C’est dans cet édifice situé au centre d’un petit plan d’eau, non loin d’un îlot paysager, que le monarque divertissait ses invités étrangers ou donnait des banquets royaux.

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L’année 2010 a marqué le centenaire de l’annexion de la Corée par le Japon, ainsi que sa libération, le 15 août, mais

elle aura aussi revêtu une importance particulière en raison de l’inauguration de la porte de Gwanghwamun, cet accès prin-cipal au Palais de Gyeongbokgung, qui a été reconstitué à son emplacement d’origine. Nul doute que la restauration de cette porte aura représenté le poste le plus important de la première étape du projet entrepris en 1990 pour restaurer le Palais. Cette odyssée de vingt années participe d’un grand chantier de re-construction de Gyeongbokgung, le plus célèbre des palais de la dynastie Joseon (1392-1910) auquel on entend redonner sa splendeur d’antan.

Construit en l’an 1395, Gyeongbokgung constitua le pa-lais principal des monarques de Joseon. Face à l’avenue de Yukjogeori, l’actuelle Sejong-no, une première porte permet-tait d’accéder à cet ensemble architectural à l’arrière duquel se dressaient le Mont Bugaksan et, sur l’un de ces côtés, celui d’Inwangsan, ce qui faisait de lui un site idéal par sa conformité aux principes de la géomancie dite « pungsu » en coréen et « feng shui » en chinois, tout en l’insérant dans un pittoresque cadre naturel. Ce site allait être dévasté par un incendie lors de l’invasion japonaise de 1592 et il n’en subsista dès lors qu’un champ de ruines jusqu’en 1865, où le prince régent Heungseon Daewongun ordonna la mise en œuvre d’un vaste chantier de reconstruction qui prit fin en 1867. Sous la colonisation japo-naise, nombre de ses bâtisses et installations furent endomma-gées ou détruites, de sorte qu’à la libération, il était naturel que le pays souhaitât faire revivre son glorieux passé, une tâche ô combien ardue par son ampleur exigeant d’importants moyens financiers, le recours à une grande abondance de main-d’œu-vre qualifiée et de matériaux, sur une longue durée et au prix d’efforts considérables.

Une odyssée de vingt années : la première étape de la reconstruction du Palais de Gyeongbokgung

Lors de sa première étape, le projet de restauration du Palais de Gyeongbokgung s’est centré sur la porte de Gwanghwamun, qui au terme de sa rénovation, semble tout à la fois élégante et imposante, avec son avant-

toit aux douces courbes évocatrices d’un oiseau prenant son envol. On tombe aussi sous le charme de trois portes voûtées reposant sur des ouvrages en pierre et permettant d’apercevoir, au loin, celle de

Heungnyemun et le Mont Bugaksan. Enfin, l’ancien palais reprend forme, tel qu’il se présentait jadis.

Lee Kwang-Pyo Journaliste à la rubrique culturelle du Dong-A Ilbo | Suh Heun-gang Photographe

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Le siège du gouvernement général du JaponLes premières tentatives de réhabilitation du site datent

des années quatre-vingt-dix, époque à laquelle s’amorce une tendance à la « rectification historique » en vue d’acquérir une meilleure compréhension de la période coloniale japonaise et de consolider le sentiment de fierté nationale des Coréens. C’est dans ce cadre que s’inscrira aussi le projet de restauration de Gyeongbokgung, qui se propose notamment de redonner à cette demeure royale sa splendeur d’origine et de mieux faire apprécier les authentiques trésors du patrimoine culturel na-tional. Cette volonté de restaurer des lieux auxquels l’occupant japonais occasionna des dommages considérables représentait donc, à n’en pas douter, la plus importante et la plus embléma-tique des initiatives destinées à rectifier l’histoire du pays.

Cette entreprise allait se heurter à des écueils, puisque dès le début, s’est posée la question de la conservation de l’ancien siè-ge du gouvernement général japonais, que les autorités colonia-

les avaient fait édifier dans l’enceinte, en 1926, après avoir rasé la porte centrale, dite de Heungnyemun. En outre, au prétexte que la grande porte de Gwanghwamun dissimulait leur bâti-ment à la vue, elles allaient la déplacer jusqu’à l’emplacement de l’actuel Musée national folklorique. En 1948, la République de Corée installera ses administrations dans les locaux du gouver-nement général, ces vestiges de l’époque coloniale, et ce, jusqu’à l’année 1984, où ils accueilleront le Musée national de Corée.

Quant à la question cruciale du devenir de l’ancien siège du gouvernement général, elle divisa l’opinion entre partisans de la démolition ou de l’entretien. Tandis que les premiers arguaient qu’il convenait de faire disparaître ce symbole de la domination coloniale japonaise, les seconds soutenaient qu’en dépit des défaites et humiliations du passé qu’il rappelait en mémoire, il n’en faisait pas moins partie de l’histoire nationale et qu’à ce titre, il importait donc de le conserver après l’avoir reconstruit à un autre emplacement. La polémique ne cessant de s’enveni-

Située dans la partie sud du Palais de Gyeongbok-gung, la Porte de Geunjeongmun comporte des galeries de grande longueur.

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mer, l’État finira par prendre la décision de le faire détruire et le 15 août 1995, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la libération, fera symboliquement démonter la flèche qui se dressait au sommet du dôme situé en son centre, comme pour tourner définitivement la page de ce sombre épisode du passé. Au mois de décembre 1996, c’est l’ensemble du bâtiment qui disparaîtra, jeté à jamais aux oubliettes de l’histoire.

Le corps de bâtimentsLe projet de restauration du Palais de Gyeongbokgung a

pour objectif de reconstituer les différents bâtiments tels qu’ils se présentaient à l’époque de leur reconstruction, c’est-à-dire en 1867. Quelques chiffres suffisent à donner une idée de l’am-pleur de cette entreprise. Des quelque cinq cents bâtiments que comportait le site à l’issue de cette réhabilitation, seuls trente-six subsistaient en 1990, l’année de la mise en œuvre du nouveau chantier. Ce dernier portait sur les principaux édifices du site, à savoir les chambres royales, le Palais de Donggung, c’est-à-dire de l’est, la porte de Heungnyemun, le Pavillon de Taewonjeon et la porte de Gwanghwamun. D’une durée de dix ans, le chantier s’est achevé cette année et a exigé un budget d’environ 178,9 milliards de wons, soit 155 millions de dollars.

Entreprise en 1990, la restauration des chambres royales a pris fin cinq ans plus tard. Les quartiers du roi Gangnyeong-jeon et de la reine Gyotaejeon en constituent la partie la plus importante. Ces lieux n’avaient pas plus tôt été reconstruits, en 1867, qu’ils allaient être réduits en cendres par un grand incen-die qui se déclara en 1876, puis rebâtis en 1888. Lorsqu’en 1917, les Palais de Changdeokgung et de Gangnyeongjeon, ainsi que le Pavillon de Gyotaejeon seront à leur tour détruits par le feu, on procédera au démontage de plusieurs bâtiments de Gyeong-

bokgung pour en récupérer les matériaux de construction en vue de la rénovation des chambres royales de Changdeokgung. Douze bâtiments détruits à l’époque coloniale, dont les Pa-villons de Gangnyeongjeon et Gyotaejeon, allaient être réédifiés et ouverts au public en 1995.

En ce qui concerne la rénovation de Donggung, qui vit naître le prince héritier et la princesse, elle se déroulera de 1994 à 1999, et permettra la réhabilitation de dix-huit édifices, dont ceux de Jaseondang et Bihyeongak. Sous la dynastie Joseon, c’est dans ce dernier que le prince héritier étudia et fut formé à l’exercice du pouvoir royal. Quant au premier, qui abrita sa résidence, il fut voué à la démolition par l’occupant japonais, en 1914, aux côtés d’autres constructions du Palais, dans le seul but d’organiser une « exposition de produits coréens » à Gyeongbokgung.

Un an plus tard, l’entrepreneur japonais Okura Kihachiro s’empara de ses matériaux de constructions pour les emporter à Tokyo, où ils servirent à l’édification d’un musée dit « Cho-sen-kan », qui sera abattu à ras de terre, en 1923, par le grand tremblement de terre de Kanto et l’on n’en conservera plus, dès lors, qu’un lointain souvenir. Il faudra attendre l’année 1993 pour que le professeur Kim Chung-dong, ce spécialiste d’his-toire de l’architecture de l’Université de Mokwon, apprenne que les fondations de pierre se trouvaient sous le soubassement de l’Hôtel Okura de Tokyo et il n’aura alors de cesse qu’elles ne reviennent en Corée, ce qui sera chose faite en 1996. Si le mau-vais état de conservation de ces éléments n’a pas permis d’y recourir dans la restauration de Jaseondang, ils se trouvent à ce jour à Gyeongbokgung où est assurée leur conservation.

C’est en 1996 que débute le chantier de restauration de la porte de Heungnyemun, qui prendra fin cinq années plus tard.

1 Précieux espace vert situé dans la partie centrale du site de Gyeongbok-gung, le jardin d’Amisan, qui s’étend derrière le Pavillon de Gyeotaejeon, fut aménagé à l’intention des souveraines, qui étaient le plus souvent confinées à cette enceinte. Les cheminées hexagonales qui s’y élèvent sont ornées d’idéogrammes et de symboles de bon augure.

2 Le Pont de Yeongjegyo, qui relie les Portes de Heungnyemun et de Geun-jeongmun, fut construit dans l’espoir que le Geumcheon purifie l’âme du roi et de ses conseillers.

3 L’édifice de Jaseondang, où résidèrent les prince et princesse héritiers, a fait l’objet d’une restauration.

La première étape du chantier de restauration du Palais de Gyeongbokgung a exigé plus de 14 580 mètres cubes de bois de char-pente et près d’un million et demi de tuiles destinées à la couverture, mais elle a aussi mobilisé de nombreux charpentiers et autres artisans rompus aux techniques de construction traditionnelles. Ainsi, la réhabilitation du Palais de Gyeongbokgung est le fruit d’une authentique collaboration entre les divers corps de métier traditionnels du bâtiment et de l’artisanat.

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Située entre la grande porte de Gwanghwamun et la porte in-térieure de Geunjeongmun, c’est elle qui permet d’accéder à la partie centrale du Palais. Si cette porte, ainsi que les édifices avoisinants, échappa aux démontages et déplacements dont s’accompagna l’exposition de produits coréens de 1915, elle allait être démolie en 1916, de même que ses murailles atte-nantes, pour aménager un terrain destiné à la construction du siège du gouvernement général. La restauration entreprise allait permettre, en 2001, de restituer l’aspect d’origine de la porte de Heungnyemun, des murs qui la jouxtent et qui mènent au ruisseau tout proche, du pont franchissant celui-ci et des allées pavées, autant de réalisations propres à redonner au site sa splendeur de jadis.

Ce chantier allait également permettre la rénovation de la partie centrale du Palais, ce Trésor national n°223 que constitue la salle du trône de Geunjeongjeon, où se déroulaient de gran-des manifestations de la vie monarchique telles que couronne-ment, assemblées de fonctionnaires ou d’officiers de l’armée et cérémonies en l’honneur des émissaires étrangers. Le bâtiment qui l’abrite demeura longtemps la plus grande construction en bois à étage de Corée. Au mois de décembre de l’an 2000, son démontage et son remontage successifs permirent à l’Office du patrimoine culturel, l’actuelle Administration du patrimoine culturel, de déceler d’importantes dégradations sur un pilier si-

tué dans la partie sud-est du bâtiment, ainsi que sur l’avant-toit du rez-de-chaussée, qui n’était plus fixé que sur une longueur de trois à quatre centimètres, au lieu d’être solidement assis sur un pilier de soutènement. Faute d’avoir fait ces découvertes et d’avoir procédé à une analyse minutieuse de la section endom-magée, puis d’avoir pris les mesures correctives qui s’impo-saient, ce pilier se serait purement et simplement effondré.

Pour ce qui est du Pavillon de Taewonjeon, sa restauration allait intervenir dans le cadre d’un chantier qui, de 1997 à 2005, porta sur pas moins de vingt-cinq bâtiments. Cet édifice abrite une châsse renfermant le portrait du roi Taejo et accueille les différents rituels consacrés aux ancêtres. Situé à l’extrémité nord-ouest du palais, Taewonjeon et ses dépendances servirent de cantonnement aux forces armées qui étaient chargées d’as-surer la protection de la résidence et du brureau présidentiels de Cheongwadae lorsque des régimes militaires étaient au pou-voir, mais qui se retirèrent quand débuta le chantier de restau-ration.

Tout à l’est du corps de bâtiments de Taewonjeon, s’élève le Palais de Geoncheonggung, dont la remise en état s’échelonna entre les années 2004 et 2007. Première construction à avoir été éclairée à l’électricité en Corée, il fait figure de symbole de la modernisation qui s’amorça en 1887. Il fut aussi le théâtre du tragique événement que représenta pour le pays l’assassinat de

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l’impératrice Myeongseong par des agents japonais, le 8 octo-bre 1895. C’est l’empereur Gojong qui fit bâtir ce « palais dans le Palais », dont l’achèvement date de 1873. Pour affirmer son indépendance politique vis-à-vis de son père, le prince régent Heungseon Daewongun, Gojong voulut que les bâtisses soient situées dans un coin, à l’emplacement le plus septentrional du Palais. Dans le but de se prémunir de tout danger, suite à l’as-sassinat de l’impératrice Myeongseong, il quitta Geoncheong-gung en 1896 pour chercher refuge à la légation russe et le Pa-lais resta dès lors inoccupé, jusqu’à sa démolition par le pouvoir colonial japonais, en 1909. Trente-deux ans plus tard, ce même occupant allait faire édifier, à son emplacement, un musée d’art qui, après la libération, abrita le Musée d’artisanat traditionnel coréen, jusqu’à sa destruction en 1998.

À l’issue du chantier de reconstruction de Geoncheong-gung, en 2007, une vingtaine de bâtiments se dressent à nou-veau sur le site, dont ceux de Jangandang et Gonnyeonghap, qui furent les chambres respectives de l’empereur Gojong et de l’impératrice Myeongseong, ainsi que l’annexe Boksudang. Le principe retenu pour cette reconstitution a été de laisser les surfaces à nu, comme elles l’étaient à l’origine, de même que les demeures des lettrés d’alors. Shin Eung-soo, le maître incon-testé de la charpente traditionnelle qui était chargé de la super-vision de l’ensemble du chantier, fait part de son avis en ces ter-

mes : « Tous les bâtiments du palais sont splendides, mais celui de Geoncheonggung se distingue par sa finition simple, mais impeccable, car il est dépourvu de peinture », et d’ajouter : « Tout le travail a consisté à mettre en valeur la beauté naturelle du grain ».

Une première étapeRéalisé de 2001 à 2010, le volet le plus important de la res-

tauration de Gyeongbokgung a porté sur la réédification de Gwanghwamun et des bâtisses avoisinantes. La remise en état de cette grande porte, déjà reconstruite en 1865, allait inévi-tablement susciter un intérêt particulier. Durant les sombres années de la colonisation japonaise, elle fut déplacée pour per-mettre de mieux voir le siège du gouvernement général, puis c’est la Guerre de Corée qui allait provoquer la destruction de l’intégralité de sa superstructure de bois, qui repose sur des fondations en pierre. Si elle avait fait l’objet d’une restaura-tion en 1968, elle n’en demeurait pas moins en retrait de 14,5 mètres par rapport à son emplacement d’origine et déviée de 3,5 degrés de l’axe central du Palais, dans le sens contraire des aiguilles d’une montre. De plus, la superstructure prenant place sur les fondations en pierre avait été réalisée en béton et non en bois, ce qui nuisait à l’authenticité de l’effet produit.

La substitution du béton au bois dans une superstructure

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1 Le palais intérieur de Geoncheonggung fut construit par l’empereur Gojong, qui l’habita jusqu’à la chute de la dynastie Joseon. Contrairement à la plupart des autres bâtiments de Gyeongbokgung, il ne comporte pas de peintures extérieures.

2 Intérieur de la chambre de la reine dite Gyotaejeon.

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à étage constituait manifestement un choix erroné, tandis que l’orientation de la construction était dictée par des contraintes physiques. Lorsque l’occupant japonais fit démolir la Porte de Heungnyemun en vue de l’édification du siège de son gouver-nement général, c’est à dessein qu’il fit dévier cette construc-tion de 3,5 degrés par rapport à l’axe central. Alors que le Palais de Gyeongbokgung se trouvait à sa conception en vis-à-vis du Mont Gwanaksan, le régime colonial fit ménager un déca-lage de 3,5 degrés, pour qu’il se trouve en face du sanctuaire japonais Shinto qui avait été élevé sur le Mont Namsan, d’où l’impossibilité de redonner à Gwanghwamun son orientation première, au risque qu’elle ne s’aligne plus sur le siège du gou-vernement général.

C’est en 2001 que débutera le chantier de restauration de Gwanghwamun, en vue de lui restituer sa superstructure de bois, ainsi que son emplacement et son alignement d’origine. Il donnera lieu à une vive polémique portant sur l’inscription qui surmonte cette porte. En effet, tandis que certains réclamaient la dépose du panneau préexistant sur lequel elle avait été rédi-gée en alphabet coréen, dit « hangeul », par le président Park Chung Hee, en 1968, d’autres arguaient que cette revendication dissimulait une volonté « politique de faire disparaître toute trace du président Park Chung Hee ». Pour mettre fin au débat, l’Office du patrimoine culturel tranchera en prenant appui sur l’avis d’experts qui préconisent la réalisation d’une nouvelle inscription en idéogrammes chinois, plus proche de celle qui avait été exécutée lors de la reconstruction de 1865.

De nouvelles discussions vont alors s’ensuivre quant au choix de la personne la mieux à même de la calligraphier, à partir des multiples propositions recueillies et mises à l’étude. En outre, la découverte d’un panneau conservant en négatif la trace de l’inscription de 1865 révélera que le calligraphe fut alors un certain Im Tae-yeong, un officier d’armée responsable de la supervision du chantier de reconstruction. Cette image négative a fait l’objet d’une restauration au moyen de techni-

ques numériques, ce qui a permis d’en reproduire les caractères en écriture cursive dont l’élégante fluidité est particulièrement bien adaptée à une telle inscription. C’est l’artisan Oh Ok-jin, un spécialiste de la gravure des idéogrammes, qui a assuré celle-ci dans le cas présent.

Axée sur la grande porte, la restauration de Gwanghwamun s’est aussi étendue aux bâtisses et annexes environnantes, no-tamment cette allée royale menant à Heungnyemun et au socle en pierre de Gwanghwamun, qui crée un effet majestueux. L’ensemble du chantier ne s’achèvera toutefois qu’en novembre 2010, avec le raccordement des murs sud-est du Palais à la tour de guet dite Dongsipjagak.

La première étape du chantier de restauration du Palais de Gyeongbokgung a exigé plus de 14 580 mètres cubes de bois de charpente et près d’un million et demi de tuiles destinées à la couverture, mais elle a aussi mobilisé de nombreux charpen-tiers et artisans rompus aux techniques de construction tradi-tionnelles. Les artisans les plus habiles ont fait bénéficier cette entreprise de tout leur savoir-faire, à l’instar de Shin Eung-soo, ce maître charpentier travaillant dans la plus pure tradition co-réenne et admiré pour la compétence avec laquelle il dirige les chantiers de restauration, ainsi que Bak Mun-yeol, un spécia-liste du travail du laiton et Oh Ok-jin, un graveur-calligraphe de renom, sans oublier le célèbre tailleur de pierre Im Dong-jo, le peintre en bâtiment Yang Yongho, le tuilier Kim Ji-seung et le charpentier Kim Sun-gi, la plupart d’entre eux figurant au patrimoine culturel intangible coréen. Ainsi, la réhabilitation du Palais de Gyeongbokgung est le fruit d’une authentique collaboration entre les divers corps de métier traditionnels du bâtiment et de l’artisanat. Sa première étape, qui porte sur la reconstruction de quatre-vingt-neuf bâtiments, n’a pas encore permis au vieux Palais de retrouver son aspect d’antan, puisque les cent vingt-cinq édifices qui se dressent aujourd’hui dans son enceinte ne représentent que 25% des quelque cinq cents qui furent rebâtis en 1867. Ceci témoigne du véritable gâchis que

1 Le palais intérieur abrite la résidence des prince et princesse héritiers, nommée Donggung.

2 La restauration de la Porte de Gwan-ghwamun s’est accompagnée de recherches approfondies sur le protocole et les règles vestimentaires relatifs à la cérémonie de la relève de la garde royale, qui peut désormais être accomplie avec plus d’authenticité.

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représentèrent les si nombreuses déprédations perpétrées par le pouvoir colonial japonais à Gyeongbokgung, mais l’Adminis-tration du patrimoine culturel travaille déjà à la mise en œuvre d’une seconde étape, qui s’étendra de 2011 à 2030.

Ce second volet permettra la reconstitution de 253 autres édifices qui porteront le nombre des constructions sur pied à 378, soit près de 76% du dimensionnement réalisé en 1867. Bak Yeong-geun, le responsable chef du Bureau de promo-tion de l’Administration du patrimoine culturel, formule la remarque suivante : « La première étape peut être comparée à la construction du squelette, la seconde consistant à habiller celui-ci de chair ».

Lors de son premier volet, le projet de restauration du Palais de Gyeongbokgung s’est centré sur la porte de Gwang-

hwamun, qui au terme de sa rénovation, semble tout à la fois élégante et imposante, avec son avant-toit aux douces courbes évocatrices d’un oiseau prenant son envol. On tombe aussi sous le charme de trois portes voûtées reposant sur des ouvrages en pierre et permettant d’apercevoir, au loin, celle de Heung-nyemun et le Mont Bugaksan. Enfin, l’ancien palais reprend forme, tel qu’il se présentait jadis.

Quintessence de l’architecture traditionnelle et objet de fierté pour les Coréens, le Palais de Gyeongbokgung a ainsi bénéficié d’une restauration qui visait non seulement à lui ren-dre son aspect d’origine, mais aussi à redonner vie à six siècles d’histoire et de traditions coréennes réveillant cet orgueil na-tional et culturel que le colonisateur japonais s’était tant efforcé d’étouffer.

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Le 15 août 2010, dans le cadre des festivités qui marquaient le soixante-cinquième anniversaire de la libération co-

réenne, le président de la République Lee Myung-bak, le maire de Séoul, Oh Se-hoon, ainsi que plusieurs membres du gouver-nement et personnalités du monde de la culture, assistaient à la cérémonie d’inauguration du nouveau panneau calligraphié placé sur la grande Porte de Gwanghwamun, qui constitue le principal accès au Palais de Gyeongbokgung. Les participants allaient vivre des moments historiques, puisque cette construc-tion emblématique du centre de Séoul retrouvait enfin le ma-tériau, à savoir le bois, et l’aspect d’origine qui étaient les siens en 1865, suite à sa réédification par le prince régent Heungseon Daewonggun, qui fut aussi connu sous le nom de Lee Ha-eung et eut pour fils l’empereur Gojong. Cette cérémonie intervenait en point d’orgue à un ensemble de manifestations se dérou-lant à l’issue de la première étape de restauration du Palais de Gyeongbokgung, laquelle a exigé un chantier de neuf ans et deux mois, à compter de son lancement officiel, le 10 juillet 1991, face à la salle du trône de Geunjeongjeon, qui est la plus grande construction en bois de Corée.

La recherche d’un pin de qualité parfaiteQuand prend fin ce premier volet de la restauration du Pa-

lais, Shin Eung-soo, qui en avait assuré la maîtrise d’œuvre est âgé de soixante-huit ans, mais il n’hésitera pas à monter tout en haut de la tour de guet de la grande porte avant la cérémonie d’inauguration du nouveau panneau calligraphié. De la fenê-tre de cette construction, il embrasse du regard ces différents édifices auxquels il s’est consacré corps et âme, dont ceux de Heungnyemun et Geunjeongjeon, et le Mont Bugaksan qui se dresse en arrière-plan. Près de vingt années durant, l’homme a en effet recherché ce pin coréen de qualité exceptionnelle que l’on nomme « yuksong » en vue de la réalisation des madriers, jusque sur les cimes du massif du Mont Taebaek où il avait presque élu domicile. Son engouement n’allait pas se limiter

à la sélection du meilleur bois possible, tant il s’est montré in-transigeant dans son perfectionnisme et son engagement à édi-fier un palais capable de rester sur pied pendant un millénaire, ce qui allait devenir une cause de constante friction avec les autres intervenants du projet.

La chaîne BBC avait dépêché sur les lieux une équipe de production afin d’être témoin du déroulement de l’ensemble du chantier de la Porte de Gwanghwamun et ses membres n’al-laient pas hésiter à suivre le maître charpentier jusque sur les versants boisés des montagnes de Yangyang et Taebaek, qui se situent dans la province de Gangwon-do et où l’homme s’ap-provisionnait en bois de construction. L’artisan et ses apprentis s’étonneront de l’endurance dont font preuve les caméramen dans l’escalade de ces reliefs accidentés, dont l’ascension relève d’un défi pour les bûcherons les plus aguerris. D’aucuns ont alors affirmé que les efforts méritoires qu’ils accomplissaient pour filmer les différents travaux s’expliquaient par le vif inté-rêt qu’éprouve le prince Charles pour la conservation d’archi-ves sur le patrimoine culturel mondial. L’entreprise allait susci-ter non moins d’enthousiasme chez les producteurs de chaînes japonaises, notamment NHK, puisqu’ils en ont également suivi le déroulement à partir de son lancement, en 1991.

Il aura fallu attendre les années soixante-dix pour que la volonté de restaurer édifices et sites historiques du patrimoine national se traduise dans la réalité, et à cet effet, le maître char-pentier Shin Eung-soo aura joué un rôle décisif en consacrant les quarante dernières années de sa brillante carrière à la remise en état des œuvres architecturales anciennes telles que palais royaux, citadelles, temples anciens et habitations traditionnelles.

Une reconstruction historiqueClassé soixante-quatorzième au patrimoine culturel intan-

gible, depuis 1991, en récompense de son exceptionnel savoir-faire de charpentier, Shin Eung-soo est aujourd’hui considéré comme le maître incontesté de la charpente traditionnelle

Shin Eung-soo, l’artisan de la restauration de Gyeongbokgung

Le maître charpentier Shin Eung-soo, auquel a été confiée la maîtrise d’œuvre de la première étape du chantier de près de vingt ans qu’a exigé la restauration du Palais de Gyeongbokgung, peut à juste titre

s’enorgueillir de cette prouesse, qu’il qualifie lui-même de « reconstruction historique nationale ».

Jung Chung-sin Journaliste à la rubrique culturelle du Munhwa Daily Yi Gyeom, Ahn Hong-beom Photographes

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Hiver 2010 | Koreana 25Le maître charpentier Shin Eung-su a consacré trente-cinq années de sa carrière à la restauration de palais et constructions traditionnelles coréennes.

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coréenne. Son attachement aux traditions, son opiniâtreté dans l’emploi exclusif de pin coréen et son goût de la perfection, sont autant de qualités que lui ont léguées ses grands prédéces-seurs. Après s’être formé lui-même, il s’est engagé sur la voie du succès qu’il atteint par sa motivation personnelle et son respect du métier. Du canton de Cheongwon-gun dont il est natif, dans la province de Chungcheongbuk-do, Shin Eung-soo partira pour Séoul dès l’âge de dix-sept ans, n’ayant guère les moyens de poursuivre des études universitaires et devant aussitôt entrer dans le monde du travail, ce qu’il fera comme apprenti char-pentier, sous la houlette d’un cousin plus âgé qui exerçait cette profession dans la construction de type traditionnel.

Son parcours professionnel prendra une nouvelle orienta-tion lorsqu’il sera appelé à travailler sur le chantier de Bong-wonsa, le principal temple de l’Ordre bouddhiste coréen de Taego, dans le quartier séoulien de Sinchon, sous la direction de Lee Gwang-gyu, alors légataire des techniques de la char-pente traditionnelle de palais. Auprès de ce maître perfec-tionniste, il acquerra une formation tout aussi rigoureuse qu’enrichissante. Par la suite, maître et élève travailleront côte à côte à Yongin, cette ville de la province de Gyeonggi-do, à la construction de Hoamjang, la résidence privée du défunt Lee Byung-chul, qui créa le groupe Samsung. Plus tard encore, le chantier de rénovation du trésor national n°1 qu’est la porte de Sungnyemun (Namdaemun) donnant à son maître l’occasion de rencontrer Cho Won-jae, s’ensuivra un nouveau tournant dans la carrière du jeune artisan. Dès lors, se succéderont les chantiers de restauration tels que ceux de la résidence du pre-mier ministre, dans le quartier séoulien de Samcheong-dong,

de la Korea House de Pil-dong; du bassin Anapji de Gyeongju; du pavillon de Josajeon de Guinsa, du temple principal de l’Or-dre bouddhiste coréen de Cheontae, dans la ville de Danyang, qui se trouve dans la province de Chungcheongbuk-do et du Pavillon de Geungnakjeon situé au Temple de Muryangsa, à Buyeo, cette agglomération de la province de Chuncheon-gnam-do.

Parmi les différents bâtiments traditionnels coréens dont Shin Eung-soo a réalisé lui-même la restauration, figurent l’ancienne résidence, dite Seungjiwon, qui fut celle de Lee Byung-chul à Itaewon, un quartier de l’arrondissement séou-lien de Yongsan-gu, et la salle de réception de Sangchundae destinée aux réceptions organisées en l’honneur des person-nalités étrangères invitées à Cheongwadae. Il s’est également vu confier celle d’édifices situés dans d’importants ensembles architecturaux tels que ceux de Changgyeonggung et Chang-deokgung. Les chantiers ayant fait appel à sa participation comportent aussi ceux des temples de Hangnokjeongsa et de Simwonjeongsa, ainsi que du bâtiment de Damyeonjae que visita la reine Elizabeth d’Angleterre lors de sa venue au village folklorique de Hahoe, qui appartient à l’agglomération d’An-dong située dans la province de Gyeongsangbuk-do et a été classé au Patrimoine culturel mondial par l’UNESCO.

«La restauration de Gyeongbokgung, longue de deux décen-nies, aura représenté le plus important défi que j’aie eu à relever en cinquante-trois ans de carrière dans la charpente », souligne-t-il. « Ce sont mes deux maîtres qui m’ont transmis leur fer-vente passion de l’architecture ancienne, notamment des palais, et ce faisant, ils m’ont permis de surmonter tous les écueils que

1 Au cours des trente-cinq dernières années, Shin Eung-su a presque été amené à élire domicile dans plusieurs palais d’époque Joseon où il a acquis des connaissances sans pareil dans leur architecture et leur construction.

2 Pendant tout le déroulement du chantier de la Porte de Gwanghwamun, une structure et une façade se superposaient à cet édifice.

Le succès international qu’a remporté le feuilleton télévisé Dae Jang Geum (Le joyau du palais) attire en foule les visiteurs du Palais de Gyeongbokgung dans les cuisines royales dites « sojubang », mais nombreux sont ceux qui s’intéressent aussi à d’autres lieux de vie tels que les salles de bain, ce qu’il importera de prendre en compte dans la planification des futures restaurations.

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j’ai eu à affronter au cours de ces travaux. Tout spécialiste de la charpente de palais a forcément à se battre pour trouver un bois de qualité supérieure, ce que j’ai été en mesure de faire, sans trop de difficultés, grâce à l’expérience dont je disposais. »

Shin Eung-soo qualifie la restauration du Palais de Gyeong-bokgung de « reconstruction historique nationale ». « Nom-breux sont ceux qui ont critiqué la décision de démolir l’ancien siège du gouvernement général. Maintenant que la première étape de la restauration est arrivée à son terme, je suis toute-fois convaincu du bien-fondé de l’initiative prise par l’ancien président Kim Young-sam. Lorsque l’Etat a adopté le décret portant sur la démolition de cet édifice, ainsi que de la recons-truction des chambres royales du roi Gangnyeongjeon et de la reine Gyotaejeon, les touristes japonais ont accouru en foule et il était surprenant de voir les interminables files d’attente où se plaçaient des étudiants japonais désireux de prendre une photo, non sans quelque nostalgie, de ce vestige d’une époque coloniale révolue qui allait sous peu être jetée aux oubliettes de l’histoire. La décision de le faire aura été bénéfique pour l’or-gueil national coréen. »

Shin Eung-soo va alors mener une « vie de palais » durant les trente-cinq années suivantes de sa carrière, et ce, jusqu’au terme de celle-ci, pour superviser les travaux de charpente de ce chantier, qui succède pour lui à celui de Changgyeonggung, réalisé en 1985. Ce sont donc plus de trois décennies de sa vie qu’il aura passées, en grande partie, dans des palais de la

période Joseon, dont ceux de Gyeongbokgung, Deoksugung, Changdeokgung et Changgyeonggung, de sorte que l’homme fait figure d’encyclopédie vivante dans ce domaine, mais il se contente de confier avec modestie que, pour avoir travaillé aussi longtemps dans les palais, il a l’impression de porter une traverse sur les épaules.

« Gyeongbokgung a connu une histoire tragique, car, contrairement à la plupart des autres palais de Séoul, qui ont été laissés en ruines par l’invasion japonaise de 1592, il a tout bonnement été laissé à l’abandon jusqu’à 1865, l’année où Heungseon Daewongun a entrepris un vaste projet de re-construction destiné à la remise en état de tous les bâtiments anciens. À l’époque coloniale, près de deux cents bâtiments seront livrés aux démolisseurs, de sorte que seuls subsisteront une douzaine d’édifices tels que ceux de Gyeonghoeru et Geu-njeongjeon. Non contentes d’avoir situé le siège de leur gou-vernement général exactement en vis-à-vis de Geunjeongjeon, les autorités japonaises iront jusqu’à vendre les matériaux issus des démolitions à des particuliers et industriels, se livrant sans vergogne à un véritable pillage de biens culturels et rapportant au Japon les plus précieux d’entre eux. »

L’Administration du Patrimoine culturel s’apprête à entre-prendre, l’année prochaine, la seconde étape du chantier, qui devrait toucher à sa fin en 2030 et exigera un budget de 540 milliards de wons, soit 470 millions de dollars. « En ce qui me concerne, j’avais surtout envie de m’occuper de la restauration

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des « sojubang », ces cuisines royales que montre le célèbre feuilleton télévisé Dae Jang Geum, lequel a largement participé de cette vague coréenne qui a déferlé sur l'Asie. Les fondations en ont déja été réalisées et nous disposons même des plans d’étages, mais les travaux de restauration ont dû être interr-rompus. Cependant, le succès du feuilleton est tel qu’il attire en foule les visiteurs du Palais de Gyeongbokgung dans les cui-sines royales dites « sojubang », mais nombreux sont ceux qui s’intéressent aussi à d’autres lieux de vie tels que les salles de bain, ce qu’il importera de prendre en compte dans la planifica-tion des futures restaurations.

Shin Eung-soo est d’avis que, de toutes les restaurations à effectuer au Palais de Gyeongbokgung, c’est celle de la Porte de Gwanghwamun qui s’est avérée la plus délicate, sur le plan tant esthétique que technique. « De toutes les constructions sur lesquelles j’ai travaillé, celle de Gwanghwamun est la plus ma-gnifique. Si les Pavillons de Gangyeongjeon et Gyotaejeon sont de plus grande envergure, il s’agissait avant tout de lieux de vie destinés aux rois et reines, alors malgré leurs avant-toits douce-ment incurvés et leur charme, ils n’égalent en rien la grandeur et la majesté de Gwanghwamun ».

Le maître charpentier évoque ainsi la survenue d’un inci-dent : « Nous avions pris une photographie de l’intérieur du niveau inférieur de Gwanghwamun, à partir de laquelle j’ai

réalisé des gravures de motifs, mais par la suite, j’ai découvert que ceux-ci se trouvaient à l’origine sur le trésor n°1, c’est-à-dire la Portre de Heuninjimun, aussi dite de Dongdaemun). Il fournit de plus amples explications à ce sujet : « À l’époque où nous travailliions sur les motifs intérieurs, c’est tardivement que nous avons eu connaissance de l’Inventaire illustré des sites historiques coréens, qu’avaient rédigé les services du gou-vernement général, ce qui nous a permis d’exécuter les motifs d’origine. Nous avons bien manqué commettre une erreur capitale. » C’est aussi à la demande instante de Shin Eung-soo que l’épaisseur des avant-toits de Gwanghwamun sera portée à vingt et un centimètres, tandis qu’elle était de quinze dans les re-levés établis par les scientifiques japonais, sous l’occupation, de sorte qu’aujourd’hui, cette épaisseur et cette hauteur supérieures confèrent un caractère encore plus grandiose à la Porte.

Le respect de l’arbreLa charpente du palais se centrant tout entière sur le travail

du bois, il incomnbe à l’homme de métier de rechercher les arbres de la meilleure qualité, de les abattre et de les façonner au moyen du rabot. Quels sont les principes que s’est fixé, dans ce domaine, un artisan qui a passé toute sa vie à parcourir les montagnes du pays à la recherche du bois de pin idéal ? « Il faut réfléchir à deux fois avant de couper un arbre ou d’en apprêter

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le bois. Pour ma part, je l’examine méticuleusement pour déci-der, en fonction de l’épaisseur de son tronc et du fléchissement de ses branches, s’il est bien adapté à une fonction donnée, ou s’il convient de le laisser vieillir pour l’employer ultérieure-ment. Il faut un an à un arbre pour prendre un à deux milli-mètres d’épaisseur, et en commettant la moindre erreur d’ap-préciation, il suffit d’un coup de rabot mal placé pour anéantir à jamais des années de croissance. Il arrive très souvent de voir des hommes politiques qui, sans la moindre hésitation, peuvent donner un coup de poignard dans le dos de leurs adversaires, formuler des remarques blessantes ou changer radicalement de discours selon les circonstances, mais il faut savoir qu’ils en paieront le prix plus tard. Si tout un chacun se comportait avec prudence, tel le charpentier travaillant le bois, personne n’aurait à regretter un tel comportement. »

Shin Eung-soo formule la remarque suivante : « J’ai si sou-vent parcouru les montagnes qu’en passant sous un arbre, je baisse instinctivement la tête. Lorsque je coupe un vieux pin, cela me fait mal au cœur », et d’ajouter : « Il ne faut pas oublier que les arbres sont aussi faits de chair et de sang ». En consé-quence, l’homme accomplit toujours un cérémonial qui lui est propre avant de mettre à bas un arbre adulte. « Je commence par faire une offrande, puis une prière destinée à apaiser l’esprit de l’arbre, après quoi je lève ma hache et prononce trois fois les mots : « Par ordre du roi ! » avant de le faire tomber, sans quit-ter des yeux la cime de l’arbre. Faute de s’être montré respec-tueux, des accidents peuvent arriver sur le chantier. J’éprouve un certain malaise à devoir planter ma hache dans un arbre plusieurs fois centenaire. C’est le moine supérieur d’un temple où je bâtissais une annexe qui m’a appris ce rituel, en m’affir-mant qu’il permettait de prévenir les accidents ».

« Il m’a en effet expliqué que les arbres étaient aussi des êtres vivants et que je ne pouvais pas les abattre sans le moin-dre cérémonial destiné à leur témoigner mon respect. Dans mon cas particulier, l’expression « Par ordre royal » convenait d’autant mieux que je travaillais au palais. Peut-être est-ce grâce à ce rituel que, fort heureusement, aucun accident d’im-portance ne s’est produit sur le chantier de restauration de Gyeongbokgung et des autres édifices du palais, ce qui nous a permis de mener à bien la remise en état de Gwanghwamun ». Shin Eung-soo avoue également : « Je suis très fier d’avoir pu me procurer du bois pendant vingt ans sans avoir été victime d’un accident grave, que ce soit dans les montagnes ou sur les chantiers. »

L’artisan supervise actuellement les travaux de restauration

de la Porte de Sungnyemun, qui fut détruite par un incendie en 2008, en parallèle avec la construction d’une annexe de style traditionnel coréen à l’Assemblée nationale située sur l’île de Yeouido, le bois destiné à ce premier chantier étant en cours de séchage sur le site de Gwanghwamun. Entamée au mois de septembre dernier, la restauration de la porte doit arriver à son terme d’ici à la fin de l’année 2012. Shin Eung-soo conclut en ces termes : « L’annexe de l’Assemblée nationale, dont l’achève-ment est prévu pour la fin 2010, apportera un exemple patent du haut degré d’évolution de l’architecture traditionnelle co-réenne, comme pourront s’en assurer eux-mêmes les dirigeants politiques étrangers de passage. »

1 Quand venaient à mourir un roi ou une reine de Joseon, leur dépouille mor-telle reposait pendant quelque temps au sanctuaire de Taewonjeon, jusqu’à l’inhumation dans la sépulture royale.

2 Piliers en bois supportant les galeries de Geunjeongmun.

3 Les vestiges de Nogeumjeong, ce spécimen de l’architecture traditionnelle coréenne, furent découverts sur le terrain du célèbre restaurant de Séoul Korea House.

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Notre promenade commence tout au sud de l’esplanade de Gwanghwamun, au croisement des avenues de Sejongno

et de Jongno. Le moyen le plus rapide et direct de s’y rendre est d’emprunter la ligne numéro trois du métro, aussi dite orange, en descendant à la station Gyeongbokgung, puis en prenant la sortie numéro cinq, ou encore le Seoul City Tour Bus, qui laisse les touristes devant l’entrée principale du palais, mais on peut aussi préférer, comme l’auteur, d’effectuer ce trajet à pied afin de prendre le temps de contempler le paysage environnant.

L’esplanade de Gwanghwamun ouvre la voie au PalaisEntourée de nombreuses fontaines, la statue de l’amiral Yi

Sun-shin domine l’extrémité sud de l’esplanade de Gwang-hwamun. Ce militaire, qui figure parmi les plus grands héros nationaux, défendit son pays contre les incursions de la flotte japonaise, à la fin du XVIe siècle. Par-delà cette sculpture, se trouve l’entrée de Haechi Madang, une place souter-raine donnant sur la station de métro de Gwangwhamun et par où l’on sort de celle-ci, si l’on arrive par la ligne violette numéro cinq. C’est là que se trouve le centre intégré d’information et de billeterie dénommé « Sejong Belt », qui permet d’acheter des places pour une trentaine de salles de concerts, musées d’art et autres établissements situés dans le quartier, dont le Mu-sée national des palais de Corée et le Musée national folklorique de Corée, tous deux situés auprès du Palais de Gyeongbokgung.

En continuant plus au nord, on

se trouve face à l’un des plus grands personnages du pays en matière culturelle, à savoir le Grand roi Sejong, qui est repré-senté ici assis en toute sérénité sur son trône, un livre ouvert à la main. Il s’agit du Hunminjeongeum (« Sons corrects pour instruire le peuple »), un traité décrivant le système d’écriture sur lequel repose l’alphabet coréen moderne dit « hangeul ». Devant la statue, s’élève une stèle sur laquelle est gravée l’in-troduction de cet ouvrage, que le roi rédigea en personne, ainsi que sa traduction moderne. D’autres inventions coréennes d’importance s’y trouvent également, qui sont le cadran solaire concave, le pluviomètre et l’horloge astronomique sphérique.

Si l’on poursuit vers le nord, en longeant des massifs de fleurs, on parvient à l’extrémité de la place. De l’autre côté de la rue, se dresse sous nos yeux l’imposante porte d’entrée du Palais, qui se nomme Gwanghwamun et comporte trois arcs

construits sur des fondations de pierre et au sommet desquels se trouve un logement de gardien à deux étages en bois. La porte est flanquée, de part et d’autre, d’une statue en pierre de « haetae », cette créature mythologique à moitié lion, à moitié licorne qui mal-gré son aspect inquiétant, n’avait pas pour but de menacer, mais de protéger l’enceinte d’éventuels incendies, qui re-présentent la plus grande menace pour les constructions de bois que sont les palais coréens.

Le palais extérieur et l’épicentre du pouvoir

Après avoir franchi cette porte mo-numentale, on se trouve dans une vaste

Une flânerie au Palais de Gyeongbokgung

Une fois parvenu dans l’enceinte du Palais de Gyeongbokgung, après avoir franchi la porte de Gwanghwamun, puis passé l’esplanade de Gwanghwamun et ses statues de l’amiral Yi Sun-shin et du roi Sejong, le prome-

neur oublie complètement qu’il y a peu de temps encore, il se trouvait au cœur de la forêt d’immeubles du centre-ville et se sent transporté au temps de la dynastie Joseon, comme le montreront les lignes

qui suivent.

Charles La Shure Professeur à l’École d’Interprétation et de Traduction de l’Université Hankuk des Etudes étrangèresSuh Heun-gang, Ahn Hong-beom Photographes

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1 Ces bornes de pierre placées devant Geun-jeongjeon indiquent la place où se tenaient les fonctionnaires royaux, selon leur rang, lors des audiences accordées par le roi.

2 Située en plein cœur de Séoul, la Porte de Gwanghwamun nous transporte au temps de la dynastie Joseon.

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cour dotée d’un chemin dallé qui mène droit à une seconde porte. Au sortir des arcades obscures de Gwanghwamun, en dé-bouchant sur cet ample espace à ciel ouvert, on a l’impression de s’avancer sur un long sentier de forêt au long duquel s’offre à la vue un manifique panorama, alors on ne peut s’empêcher de faire une halte pour reprendre sa respiration et contempler sa beauté. Si la seconde porte, dite de Heungnyemun, est de plus petites dimensions que celle de Gwanghwamun, la vaste cour vide et les cimes du Bugaksan qui s’élèvent à l’horizon ne font qu’accentuer cette impression de grandeur.

Par-delà la porte de Heungnyemun, une symphonie de couleurs rouge, bleue et jaune attend le promeneur. En s’appro-chant un peu plus, il découvre que ces teintes vives proviennent des gardes du palais qui se tiennent devant la porte avec leurs bannières et leurs hallebardes. Comme tous les gardes royaux du monde, ils ne sont plus là aujourd’hui pour empêcher d’ac-céder aux lieux, et pourtant, ils n’en continuent pas moins de monter imperturbablement la garde sous l’objectif des touristes.

Par-delà la porte de Heungnyemun, on se trouve à l’inté-rieur du palais proprement dit. Sur la droite se trouve un gui-chet, où moyennant la modique somme de trois mille wons, on pourra visiter l’ensemble des lieux à sa guise, les enfants et adolescents de sept à dix-huit ans bénéficiant d’une réduction de 50 % et l’entrée étant libre avant cet âge. Le guichet est aussi le lieu de départ d’une visite guidée d’une heure, des visites en langue anglaise étant proposées tous les jours à 11h00, 13h30, et 15h30.

Un premier détail attire d’emblée l’attention du visiteur, à savoir la division du chemin dallé en trois parties composées de deux allées creuses de chaque côté, pour les vassaux et d’une al-lée centrale surélevée, pour le roi. En continuant plus au nord, on découvre une étroite voie d’eau dénommée Geumcheon. Il est courant de voir des ruisseaux dans les temples coréens, puisqu’ils symbolisent un passage entre les mondes profane et sacré. Dans les palais coréens, ils servent aussi à délimiter l’es-pace, mais cette distinction est d’ordre plus politique que spi-

1 À l’entrée de l’enceinte, les visiteurs coréens et étrangers qui se pressent pour découvrir les différentes constructions créent une animation permanente.

2 Une imposante statue du roi Sejong s’élève non loin de la Porte de Gwanghwamun.

3 C’est à la Porte de Heungnyemun que s’est tenue la Dixième exposition rassemblant les artisans classés biens culturels coréens.

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rituel, car durant les réunions se déroulant en présence du roi, les hauts fonctionnaires se tenaient au nord du ruisseau, tandis que ceux de bas rang se cantonnaient au sud.

Sur l’autre rive du ruisseau, on parvient à une autre porte, dite Geunjeongmun, qui s’ouvre sur la cour principale du pa-lais, à son extrémité nord, où s’élève le Geunjeongjeon, c’est-à-dire le pavillon du trône, qui constitue naturellement le bâtiment le plus imposant du palais. Des rangées de bornes en pierre s’alignent sur les deux bords de l’allée centrale pour si-gnaler l’emplacement où devaient se tenir les fonctionnaires de tout rang lors des audiences royales, ceux de haut rang s’appro-chant au plus près du trône. Les visiteurs aiment tout particu-lièrement à se prendre en photographie à cet endroit du palais.

Le pavillon du trône constitue un magnifique spécimen d’architecture, avec ses deux étages reposant sur des fondations en pierre à deux niveaux. En gravissant le perron, on aperçoit des statues d’animaux du zodiaque qui semblent nous observer sur la main courante en pierre. Du faîte du pavillon du trône, on découvre que celui-ci se compose d’une unique et vaste salle au plafond voûté. C’est là que se dresse le trône royal, derrière lequel le mur s’orne d’une peinture du soleil, de la lune et de cinq sommets montagneux, tous emblématiques du roi, seul en droit de posséder de telles représentations. En se penchant un peu sur la main courante et en levant les yeux, on aperçoit tout en haut du plafond deux dragons dorés qui sont difficilement visibles de l’extérieur. De même que les deux astres mentionnés plus haut, le dragon symbolise aussi la personne du roi.

Derrière le pavillon du trône, se trouve une petite porte par laquelle on accède à un lieu moins solennel où règne le calme, puisqu’il s’agit du Sajeongjeon, où le roi se tenait d’ordinaire pour traiter des affaires quotidiennes du pays qu’il gouvernait,

en compagnie de ses ministres. L’appellation de Geunjeon-gjeon, qui désigne le pavillon du trône, convient bien à cet en-droit si grandiose car elle signifie « Pavillon du règne diligent », tandis qu’ici, celle de Sajeongjeon signifie « Pavillon du règne réfléchi », pour que le roi pénètre son esprit du sérieux de ses attributions. À l’ouest, deux bâtiments de plus petite taille, le Manchunjeon, à l’est, et le Cheonchujeon, à l’ouest, étaient pourvus de planchers chauffés et vraisemblablement destinés à servir durant les mois les plus froids de l’année.

Avant de quitter le Palais extérieur, le visiteur, en exami-nant un peu les alentours, peut admirer l’un des caractères les plus distinctifs de l’architecture coréenne, à savoir ces larges avant-toits d’où l’on a une vue imprenable sur les pignons. Sur celui du Sajeongjeon, une rangée de petites statues attire notre attention car, si ces figurines sont présentes sur les avant-toits de la plupart des grandes constructions du Palais, y compris à Gwanghwamun, elles sont ici visibles de plus près. Cependant, à si courte distance, on ne parvient guère à distinguer les unes des autres ces représentations du moine Tripitaka (ou Xuan-zang) et de son entourage, dont le Roi Singe (ou Sun Wukong), évoqués dans l’ouvrage classique chinois Voyage à l’ouest. Le Palais en a été pourvu dans le seul but de chasser les mauvais esprits.

Le palais intérieur et les jardins arrièreLe visiteur s’éloigne alors du palais extérieur, ainsi appelé

car c’est là que le roi se trouvait au contact du monde extérieur, pour passer dans celui dit intérieur, dans lequel prenait ses quartiers la famille royale. Tout à l’est du Sajeongjeon, s’étend une petite enceinte, dénommée Donggung, c’est-à-dire « Palais de l’est », où vivait le prince héritier, et son emplacement à l’est

Les visiteurs aiment à se photographier devant ces deux rangées de bornes en pierre qui bordent l’allée centrale, de part et d’autre, pour signaler l’emplacement où se tenaient les fonctionnaires de tout rang lors des audiences royales, les plus importants d’entre eux étant bien sûr placés plus près du trône, et à côté de ces bornes, qui jadis leur avaient été destinées.

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n’est pas dépourvu de sens, puisque l’enfant était appelé plus tard à monter sur le trône, d’où il éclairerait le pays tel le soleil levant.

Au nord du Sajeongjeon, se dresse le Gangnyeongjeon, qui abrite la résidence royale et derrière lequel se trouve le Gyotae-jeon réservé à la reine. Il est intéressant de constater, à propos de ces deux bâtiments, qu’ils sont les seuls à être dépourvus de faîte. Or, le terme coréen « yongmaru », qui désigne le faîte, comporte le vocable « yong », qui signifie « dragon », d’aucuns affirmant que cette absence s’explique par le fait que le dragon symbolise le roi. Selon leur dire, il n’y aurait pas de place pour deux souverains dans un même bâtiment, et si cette idée ne semble pas dénuée de bon sens, son bien-fondé reste à prouver.

En cheminant jusqu’aux quartiers de la reine, le promeneur découvre le seul espace vert de la partie centrale du palais sous forme d’un jardin mitoyen dit d’Amisan, qui s’orne de petits arbustes, d’ouvrages de pierre et de belles fleurs qui ouvrent leurs corolles roses et blanches au printemps. Tout à l’ouest, un vieux pin penche sa ramure sur la cour. Amisan possède l’ori-ginalité d’être pourvu de ces cheminées en brique rouge orangé qui s’alignent à son sommet et dont le côté purement fonction-nel se double de qualités décoratives, puisqu’elles s’agrémen-

tent de gravures de plantes et d'animaux.En continuant plus au nord, on quitte l’ensemble archi-

tectural du palais principal et sur la droite, on aperçoit alors les quartiers de la reine douairière, devant lesquels se dressent deux bâtiments qui furent jadis destinés aux concubines du roi. Derrière ceux-ci, dans la partie la plus septentrionale du Palais, s’élève le Geoncheonggung, que fit construire le roi Gojong afin d’y rechercher paix et recueillement lors des périodes de troubles. Un bassin couvert de fleurs de lotus, au milieu duquel se dresse un petit pavillon, produit en effet une impression de quiétude, et les visiteurs pourront s’y détendre sur les bancs disposés sur son pourtour. Les bâtiments de Geoncheonggung présentent toutefois l’exceptionnelle particularité, qui les diffé-rencie de la plupart des autres bâtiments du palais, de la grâce de leurs courbes partout admirables, car le bois n’y est pas peint en rouge foncé ou avec d’autres couleurs vives, comme on le constate ailleurs. S’ils ne sont pas particulièrement impo-sants, ils distillent un charme tout aussi subtil qu’irrésistible et l’on a peine à croire, en les observant aujourd’hui, que ces lieux paisibles dissimulent un sombre passé historique, puisqu’ils fu-rent le théâtre de l’assassinat de l’impératrice Myeongseong.

Tout à l’est, se dresse la grande pagode du Musée national

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folklorique, mais l’auteur choisira de bifurquer à l’ouest, en di-rection de Jibokjae, qui à n’en pas douter, consitue le bâtiment le plus impressionnant du Palais, par ses éléments architectu-raux que l’on retrouve nulle part ailleurs à Gyeongbokgung. De prime abord, on remarque les briques dont sont construits ses murs, puis ses deux niveaux reliés entre eux par des escaliers in-térieurs. En s’approchant, on découvre l’intérieur du bâtiment, qui comporte, au fond de sa salle principale, une surprenante porte ronde de style chinois. Cette ouverture permet d’accé-der à un couloir fermé aboutissant, à l’ouest, à un pavillon à deux étages et, à l’est, à une construction plus traditionnelle. Il convient de noter que ces couloirs sont non seulement clos, contrairement à la plupart des autres bâtiments coréens tra-ditionnels, mais aussi bordés de fenêtres à vitre. Si le reste du Palais a retenu les principes de l’architecture traditionnelle, le Jibokjae et ses environs témoignent de l’influence que com-

mençaient à exercer sur l’architecture coréenne des conceptions étrangères et modernes.

Un peu plus à l’ouest, dans la partie nord-ouest du Palais, se trouvent les bâtiments d’un sanctuaire, où la dépouille mortelle des membres défunts de la famille royale était déposée pour un certain temps aux côtés de leurs tablettes ancestrales, avant que ces dernières ne soient transférées au sanctuaire royal de Jongmyo. C’est là, également, qu’étaient consacrés les portraits royaux. Il était donc logique que ce corps de bâtiments se situe dans la partie la plus isolée et la plus calme du palais, où il est agréable de s’attarder pour en goûter la quiétude.

Il est temps de se diriger vers le sud et de rebrousser chemin vers la grande porte de Gwanghwamun. Auparavant, une der-nière vue s’offre à nos regards sous forme du pavillon flottant de Gyeonghoeru, qui s’élève sur un îlot situé à l’extrémité est du bassin carré et dont le reflet est visible sur l’eau immobile par un observateur se tenant au nord, au sud ou à l’ouest. Sur la gauche de ce bâtiment, se trouvent deux îlots plus petits plantés d’élégants pins. Les visiteurs pourront s’accorder un moment de détente sur les bancs qui entourent le bassin, sans pour autant perdre leur temps, car ils pourront aussi, ce faisant, apprécier la sérénité qui imprègne ces lieux.

Pour finir, il convient de s’arrêter à l’extrémité sud du bassin pour admirer le Sujeongjeon. Lors de la restauration dont fit l’objet en 1867 le Palais de Gyeongbokgung, sa reconstruction reposa sur le principe des quartiers d’habitation, tandis qu’à l’origine, il était destiné à servir de Jiphyeonjeon, c’est-à-dire de Pavillon des Mérites où vit le jour l’alphabet « hangeul ». Le visiteur effectuera donc une halte sur ces lieux historiques avant de quitter définitivement le Palais. Bientôt, portes mo-numentales et constructions de l’ancienne résidence royale céderont la place aux rues animées du centre-ville de Séoul, mais Gyeongbokgung demeurera dans les cœurs et les esprits du promeneur, de sorte qu’il verra la métropole moderne sous un jour nouveau, désormais conscient des six siècles d’histoire dont elle est riche.

1 L’aménagement de Hyangwonjeong, ce lieu idyllique où la famille royale pou-vait s’accorder quelques moments de tranquillité dans un agréable paysage, fut réalisé en parallèle avec l’édification de Geoncheonggung.

2 La main courante en pierre de l’escalier de Geunjeongjeon est agrémentée de sculptures de pierre représentant les douze animaux du zodiaque oriental.

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Les villages de Hahoe et de Yangdong désormais inscrits au patrimoine mondial

Dossiers

Tous deux situés dans la province de Gyeongsangbuk-do, les villages traditionnels de Hahoe et Yangdong figurent désormais sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, une distinction qui les classe parmi les ressources culturelles communes à toute l’humanité et justifie ainsi l’action de conservation qu’a entreprise la Corée.

Lee Sang-hae Professeur au Département d’architecture de l’Université Sungkyunkwan, Président d’ICOMOS-Korea

Suh Heun-gang Photographe

Vue panoramique du village de Hahoe situé dans un méandre du Nakdonggang, comme l’indique son nom signifiant « fleuve encerclant un village ».

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ors de sa trente-quatrième session, qui se déroulait du 26 juin au 3 août derniers, le Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO a voté favorablement en vue de l’inscription

sur la Liste du Patrimoine mondial de deux villages coréens se trouvant dans la province de Gyeongsangbuk-do, à savoir Hahoe et Yangdong, qui appartiennent respectivement aux aggloméra-tions d’Andong et de Gyeongju. C’est le 1er juillet dernier qu’il a été procédé à leur inscription, qui fait mention des appellations de « Villages historiques de Corée : Hahoe et Yangdong ».

Hahoe et Yangdong Le premier d’entre eux appartient à Pungcheon, qui est l’un

des arrondissements de l’agglomération d’Andong, et le second de l’arrondissement de Gangdong appartenant à la ville de Gyeong ju. Tous deux font partie d’une province située dans le sud-

est de la Corée, celle de Gyeongsangbuk-do. Ils tirent leur grande valeur de leur caractère particulièrement représentatif des villa-ges claniques aristocratiques d’époque Joseon (1392-1910). C’est dans les derniers temps du royaume de Goryeo (918-1392) que celui de Hahoe fut fondé par le clan des Ryu de Pungsan, tandis que Yangdong constitua le fief du clan des Son de Wolseong et des Yi de Yeogang sous la dynastie Joseon ultérieure. En Corée, on désigne de tels villages par les termes de « jipseong chon » ou de « dongseongmaeul », c’est-à-dire, respectivement, un village clanique et un village de familles de même nom.

Un village clanique peut apparaître de deux manières diffé-rentes, selon les circonstances dans lesquelles le géniteur du clan dit « iphyangjo », une expression qui signifie littéralement « ancêtre entrant au village », s’y est établie. En effet, le fondateur du village peut soit avoir quitté un lieu pour s’installer dans une

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nouvelle région, ce qui fut le cas à Hahoe, soit élire domicile dans le village où habitait sa belle-famille et ses descendants et où ils étaient appelés à demeurer pour toujours, comme cela se produi-sit, semble-t-il, à Yangdong.

En ce qui concerne le clan des Ryu de Hahoe, il était en effet originaire de Pungsan, une ville située dans la région d’Andong. Cependant, voilà près de six siècles, alors que prenait fin la dynastie Goryeo, son géniteur Ryu Jong-hye, séduit par les mer-veilleux paysages de cette région qui deviendrait celle de Hahoe, résolut de quitter sa ville natale pour habiter ces nouveaux lieux, comme le ferait d’ailleurs toute sa descendance. Quant au village de Yangdong, il fut établi par un certain Son So (1433-1484), qui, après avoir épousé l’une des filles de Ryu Bok-ha, un habitant de Yangdong, s’y installa en 1457. En ce temps-là, il était peu com-mun de voir un homme partir vivre dans le village de sa belle-famille. Par la suite, Yi Beon (1463-1500), l’un des ancêtres du clan des Yi de Yangdong, prit pour épouse l’une des filles de Son So dans le but d’habiter Yangdong, où sa descendance se trouve

aujourd’hui encore. Le clan des Ryu de Hahoe, ainsi que ceux des Son et des Yi de Yangdong, seront par la suite anoblis et nombre de leurs membres s’illustreront en acquérant diverses distinc-tions sous la dynastie Joseon.

La liste du patrimoine mondialConformément aux directives opérationnelles de l’UNESCO

relatives à la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, l’inscription d’un bien culturel sur la Liste du patrimoine mondial exige que ce bien présente une « valeur universelle exceptionnelle » et remplisse des critères d’« authenticité » et/ou d’«intégrité ». Par valeur universelle exceptionnelle, cette organisation entend le caractère remarquable que doit présen-ter un site sur les plans culturel ou naturel, un tel intérêt devant s’étendre par-delà les frontières nationales et appelant ainsi à sa conservation à l’intention des générations actuelles et futures de l’humanité entière. La sélection d’un bien ou d’un site en vue de son classement sur cette Liste doit être opérée en fonction

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1 Ce zelkova six fois centenaire est une curiosité célèbre du village.

2 Pavillon principal d’Anrakjeong, dans le village de Yangdong.

3 Depuis son inscription sur la Liste du patrimoine mondial, le village de Hahoe enregistre une fréquentation touristique croissante qui a exigé l’adoption de certaines mesures de protection renforcée.

4 Ensemble d’œuvres composées par Ryu Seong-ryong (1542-1607), aussi connu sous le nom de plume de Seoae. Le clan des Ryu de Hahoe est renommé pour les nombreux hauts fonctionnaires qui en étaient issus sous la dynastie Joseon.

de sa conformité à au moins l’un des dix critères stipulés par la Directive opérationnelle. Dans le cas de Hahoe et Yangdong, c’est aux critères n°3 et n°4 que ces deux agglomérations ont été jugées correspondre, à savoir, respectivement, le fait de « porter un témoignage unique ou du moins exceptionnel d’une tradition culturelle ou d’une civilisation vivante ou qui a disparu » et celui « d’offrir un exemple éminent d’un type de construction ou d’en-semble architectural ou technologique ou de paysage illustrant une ou des étapes significative(s) de l’histoire de l’humanité ».

En fonction de son type particulier et du contexte culturel dans lequel il s’inscrit, un bien ou un site culturel est apte à répondre à l’exigence « d’authenticité », si ses valeurs culturelles s’expriment de manière véritable et crédible par un ensemble de particularités. Le Comité du Patrimoine mondial répertorie ces spécificités comme suit : forme et conception, matériaux et matières, utilisation et fonction, traditions, techniques et systè-mes de gestion, emplacement et décors, langue et autres formes de patrimoine immatériel, esprit et sentiment, ainsi que d’autres facteurs internes et externes. L’évaluation porte en outre sur des critères à caractère artistique, historique, social et scientifique. La condition d’« authenticité » est le plus souvent d’une importance décisive en vue du classement sur la Liste du patrimoine mondial.

Après avoir été jugés conformes aux différents critères d’éva-luation, les villages de Hahoe et Yangdong ont donc reçu l’aval de l’organisation en vue de leur inscription. Il convient de souligner que, par le passé, le Patrimoine mondial auquel pouvaient être inscrits des sites se divisait en Patrimoine culturel et Patrimoine naturel, six critères ayant été pris en considération, jusqu’à la fin de l’année 2004, en vue du classement dans l’un ou dans l’autre. Par la suite, il allait être tenu compte d’un ensemble de dix critè-res afin d’évaluer les biens tombant dans ces deux catégories. À l’heure actuelle, tout bien inscrit sur la Liste de l’UNESCO est en général dit appartenir au « Patrimoine mondial », sous réserve qu’il n’ait pas fait l’objet d’un classement préalable en tant que site culturel ou naturel. C’est en qualité de sites du patrimoine culturel que les villages de Hahoe et Yangdong ont été inscrits sur la Liste du patrimoine mondial.

Pour ce qui est du critère d’évalutation dit d’« intégrité », celui-ci porte sur la question de savoir si le bien concerné pré-

sente des éléments susceptibles d’être considérés d’« une valeur universelle exceptionnelle », si ces éléments sont d’une envergu-re suffisante qui les rend aptes à représenter les particularités et étapes d’une époque et confèrent ainsi une plus grande importan-ce au bien concerné, et s’il existe d’autres facteurs risquant d’af-fecter la dimension culturelle de ce bien. Dans le cas de Hahoe et Yangdong, l’organisation a estimé que ces agglomérations avaient su conserver leur organisation clanique et familiale tradi-tionnelle en quatre zones correspondant à la vie quotidienne, aux cérémonies officielles, notamment par l’existence d’un sanctuaire consacré aux ancêtres, le « sadang », de salles d’assemblée et de lieux de recueillement destinés aux érudits confucianistes, les « seowon », et de pavillons, l’ensemble se situant dans un cadre naturel pourvu de montagnes et rivières et s’accompagnant de rizières et champs assurant la subsistance des villageois.

La sélection des deux villagesL’inscription de Hahoe et Yangdong sur la Liste du Patrimoine

mondial a été décidée au vu de leur conservation de l’intégralité du patrimoine caractéristique des sociétés confucianistes d’Asie de l’Est. En effet, l’apparition et l’essor de ces deux villages claniques se sont produits sous l’influence conjuguée du néo-confucianisme qui dominait chez les aristocrates dits « yangban » de l’époque Joseon et des préceptes de la géomancie, que l’on nommait « pung su » en coréen et « feng shui » en chinois. Tant par leur implantation que par leurs caractéristiques, ces villages se distin-guent des autres villages traditionnels de Corée et d’autres pays d’Asie. Ils ont bénéficié d’une très bonne évaluation eu égard à plusieurs critères, notamment le fait qu’ils figurent parmi les plus anciens de Corée et qu’ils ont su conserver les vestiges du mode de vie aristocratique de la dynastie Joseon, tout en demeurant d’authentiques communautés claniques coréennes et en proté-geant leur architecture traditionnelle spécifiquement coréenne.

Le village clanique se caractérise par une implantation liée au rang social des habitants. Les logis du chef de famille et de ses parents éloignés se situent en un point central ou culminant du village autour duquel se répartissent les demeures aristo-cratiques, tandis que celles des petites gens se situent tout à fait en périphérie. En revanche, les villages claniques traditionnels

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chinois ou japonais ne font jamais coexister des habitations aris-tocratiques et populaires au sein d’une même agglomération.

Élite de la population du village clanique, les « yangban » possédaient, auprès de leur demeure familiale ou de celle de leur parenté, un sanctuaire qu’ils consacraient à leurs ancêtres com-muns afin de leur rendre hommage. Le village comportait aussi un sanctuaire associé à une académie, tous deux étant d’inspira-tion confucéenne et cette dernière étant dénommée « seowon », ainsi qu’une école confucéenne appelée « seodang », qui se com-posait d’instituts assurant la préparation des « yangban » aux concours de la fonction publique et leur permettant de se main-tenir au rang qui était le leur, auxquels s’ajoutaient un bâtiment séparé et un pavillon où les érudits confucéens poursuivaient des études scientifiques ou culturelles.

Pour tirer le meilleur parti de l’environnement naturel, les fondateurs du village se conformaient aux principes de la géo-mancie afin de choisir l’emplacement le plus adéquat des diffé-rentes constructions et habitations et, ce faisant, accordaient une importance symbolique à la présence de rivières et montagnes, dont ils prenaient en considération l’éventuelle influence sur le vil-lage. En Chine, le « feng shui » met l’accent sur l’orientation selon les quatre points cardinaux, mais aussi sur la position d’éléments

naturels à l’avant ou à l’arrière, à droite ou à gauche, ce qui expli-que la présence d’un bassin ou d’un ruisseau à l’orée du village ou sur son terrain. En revanche, l’équivalent coréen du « feng shui », dit « pungsujiri », procède à une étude au cas par cas de l’environ-nement naturel, en se fixant pour objectif de conserver aux lieux leurs particularités géographiques préexistantes.

Les résidences des « yangban » présentent le style caracté-ristique de l’habitat traditionnel coréen fondé sur le « hanok », qui a pour particularité un plancher dit « maru », qui s’étend dans les salles ouvertes sur l’extérieur et le chauffage par le sol, appelé « ondol », dont sont dotées les pièces entièrement fermées. Les bâtiments individuels sont aménagés selon leur objectif fonction-nel et pourvus de jardins entourés de murs, ainsi que de terrains destinés aux activités de plein air, l’ensemble de ces aspects dis-tinguant la maison traditionnelle coréenne de l’habitation chinoise correspondante dite « sahapwon » en coréen et « siheyuan » en chinois. Par la spécialisation fonctionnelle de ses différents bâtiments, elle se différencie également de l’habitat traditionnel japonais, lequel comprend, en règle générale, une construction unique abritant des pièces à usages multiples. Enfin, la maison coréenne de style ancien se caractérise par sa forme reprodui-sant celle des caractères ㄱ, ㄷ ou ㅁ.

D’ordinaire, un village coréen se compose de nombreuses habitations et bâtiments individuels qu’entourent deux ceintures de murs concentriques. Tous les chemins longeant les murs des habitations mènent naturellement à l’entrée du village en décri-vant une courbe, et non selon un trajet rectiligne, contrairement à ceux des agglomérations chinoises dont l’aménagement quadrillé place les habitations selon un alignement parfait.

Dans un village traditionnel coréen, la résidence du chef de clan est dotée d’un sanctuaire destiné au culte des ancêtres et se conforme rigoureusement aux conventions en usage en fonction du sexe ou du rang social dans l’attribution de ses bâtiments et pièces, témoignant par là d’une fidèle observation des préceptes du confucianisme. Tandis qu’au Japon, chaque maison tradition-nelle possédait un sanctuaire destiné aux culte des ancêtres, en Chine, c’est dans un bâtiment collectif que prenait place le sanc-tuaire commun du village.

Les villages de Hahoe et Yangdong ont soigneusement conservé le précieux héritage architectural traditionnel qui leur a été légué, en effectuant l’entretien régulier des bâtiments rési-dentiels, pavillons, académies confucéennes et salles d’études. En outre, les habitants y accomplissent toujours offices et rituels confucéens par lesquels ils vénèrent érudits et hommes d’État éminents, et ce, avec une périodicité plus grande que dans aucun autre village, tout en assurant la préservation des importantes

Les villages de Hahoe et Yangdong ont bénéficié d’une très bonne évaluation eu égard à plusieurs critères, notamment le fait qu’ils figurent parmi les plus anciens de Corée et qu’ils ont su conserver les vestiges du mode de vie aristocrati-que de la dynastie Joseon, tout en demeurant d’authentiques communautés claniques coréennes et en protégeant leur architecture traditionnelle spécifiquement coréenne.

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collections d’œuvres littéraires et d’objets dont ils ont hérité de leurs aïeux. Ils perpétuent également l’accomplissement de rituels initiatiques traditionnels et de nombreux jeux populaires jadis considérés très importants dans une société de Joseon régie par les préceptes du confucianisme.

Hahoe et Yangdong se détachent nettement des autres villages coréens par le niveau véritablement remarquable de leur valeur historique, culturelle, scientifique et esthétique. Ils bénéficient en outre d’un splendide cadre naturel, puisqu’ils se situent sur les rives d’un cours d’eau coulant au creux d’une riche vallée. Enfin, ils constituent l’illustration des deux cas de fondation du village clani-que, à savoir par un homme faisant œuvre de pionnier ou contrac-tant une union maritale. Autant de caractéristiques qui en font d’authentiques exemples du village clanique traditionnel coréen.

Les missions à venirTout site ou bien culturel répertorié par la Liste du patrimoine

mondial de l’UNESCO doit faire l’objet de mesures adéquates en vue de sa conservation, notamment par la mise en application de lois et règlements, la création d’institutions et la mise en œuvre de procédés de gestion visant au maintien et à l’amélioration de leur exceptionnelle valeur universelle, de leur authenticité et de leur intégrité. Afin d’assurer une telle protection du patrimoine mondial, le pays concerné doit délimiter le pourtour du site dont il est propriétaire en le dotant d’une frontière et d’une zone tampon. Cette démarcation correspondra à l’emplacement du site culturel en question, tandis que la zone tampon qui l’entoure assurera une meilleure protection de celui-ci et des ressources qu’il comporte. En règle générale, une bonne protection du site exigera de limiter l’urbanisation au sein de la zone tampon correspondante.

L’inscription des villages de Hahoe et Yangdong sur la Liste du patrimoine mondial a résulté d’une décision commune por-tant sur ces deux sites culturels pris dans leur ensemble et non à titre individuel. En conséquence, il convient de mettre en place un dispositif de gestion de type coopératif qui englobe ces deux villages, même s’ils appartiennent à des divisions administratives différentes. C’est en vue de coordonner de la sorte les opérations de gestion des deux sites que, le 30 avril dernier, les municipalités d’Andong et de Gyeongju, ainsi que la province de Gyeonsangbuk-do, en association avec l’Administration nationale du patrimoine culturel, ont créé un organisme dit Entité consultative pour la pré-servation des villages de Hahoe-Yangdong.

En outre, afin de conserver à ces deux villages toute leur authenticité, il importe aussi que soient adoptées de nouvelles directives visant à assurer la qualité des actions de restauration et d’utilisation matérielle. Quant à l’intégrité des villages, elle exigera de veiller à l’entretien régulier du paysage naturel des environs. À cet égard, il est impératif de renoncer à l’aménage-ment du bassin de retenue de Buyongdae sur le fleuve qui coule à Hahoe, au niveau de la falaise située sur l’autre rive de ce cours d’eau, dans le cadre du « Projet de développement des quatre fleuves » que les pouvoirs publics entendent mettre en œuvre.

Enfin et avant tout, il est indispensable de se préparer à une importante fréquentation touristique, puisque la région devrait attirer un nombre croissant de visiteurs dans un proche avenir, en faisant appel à la participation active de la population en vue d’une planification efficace et de la mise en œuvre d’initiatives, tout pro-jet d’aménagement touristique se devant de maintenir un équili-bre adéquat entre l’augmentation des capacités d’hébergement et le respect de la vie privée des villageois.

1 Ryu Un-ryong (1539-1601) se consacra à ses travaux d’érudit au pavillon de Binyeonjeongsa, qui se situe dans un splendide cadre naturel, près du village de Hahoe.

2 Des cérémoniaux confucéens sont régulièrement accomplis en hommage à des lettrés et hommes politiques.

3 En raison de son caractère clanique, le village de Yangdong est aménagé en fonction du rang social de ses habitants, la maison du chef de clan se trouvant au centre ou dans la haute ville.

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Les romans pleins d’espoir et de compassion de Shin Kyung-sook Shin Kyung-sook, qui figure au nombre des plus grands auteurs de la Corée contemporaine, a connu un nouveau succès de librairie, l’année dernière, grâce à sa livraison intitulée Eommareul butakhae (Prends soin de maman), dont les droits d’édition ont été rachetés dans dix-neuf pays. Aux Etats-Unis, Alfred A. Knopf, une filiale de Random House, travaille actuellement à la parution, le 8 avril 2011, d’une traduction en langue anglaise de cette œuvre qui devrait être suivie de versions française, allemande, espagnole, italienne, néerlandaise et norvégienne à para tre dans les pays concernés. Cette année encore, Le téléphone sonne pour moi quelque part, sorti au mois de mai, allait se classer parmi les meilleures ventes, témoignant ainsi d’un engouement qui ne se dément pas.

Choi Jae-bong Journaliste au Hankyoreh Shinmun

entretien

« Je continue d’écrire des romans dans l’espoir de nourrir de caresses maternelles tous les êtres qui en sont privés et de leur redonner vie. »

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ublié en 1993 par Shin Kyung-sook, le recueil de nouvelles intitulé Poonggeumi itdeon jari (Là où se trouvait l’har-monium) a produit une forte impression sur les milieux

littéraires coréens et placé son auteur au premier rang du roman esthétique des années quatre-vingt-dix, tout en remportant un important succès commercial, ce qui relevait d’une véritable

prouesse dans ce genre. Sa production ultérieure allait être tout aussi ovationnée par la critique qu’appréciée du grand public et occuper, de ce

fait, une place de premier plan dans la littérature coréenne.

Des évocations pleines d’émotionC’est en 1985 que Shin Kyung-sook

fait ses débuts d’écrivain en publiant dans une revue spécialisée une nouvelle

qui prendra place, cinq ans plus tard, dans un premier recueil intitulé Gyeoul

uhwa (Fables d’hiver). Ainsi avait donc commencé sa carrière littéraire dans ces

années quatre-vingts où la Corée allait voir se succéder plusieurs régimes militaires dictatoriaux dont le caractère répressif allait provoquer une forte contestation dans l’ensemble du pays, au nom du respect de la démocratie. Au milieu de pareils bouleverse-ments, les écrivains allaient souvent se rallier à ces mouvements en mettant en avant la responsabilité politique dont ils estimaient être les dépositaires. En mettant trop l’accent sur la lutte pour la réforme sociale, ils allaient cependant s’éloigner de l’objectif pre-mier qui est celui de la littérature et compromettre l’indépendance de la création, ce qui allait conduire leurs héritiers de la décennie suivante à remettre sérieusement en question l’influence qu’ils avaient subie. Dans un tel contexte, on imagine sans mal l’extrême rigorisme qui pesa alors sur la sensibilité de l’auteure. Celle-ci s’en ouvrira plus tard dans un essai, en affirmant « voir dans la lit-térature le pouvoir de susciter l’émotion, plutôt que celui d’inviter au changement social ».

Elle se démarquait ainsi des tendances dominantes de la lit-térature coréenne des années quatre-vingts et les cercles littérai-res accordèrent un accueil peu favorable à ce qu’ils nommèrent le « style Shin Kyung-sook » lorsque parurent dans des revues les nouvelles qu’allait par la suite regrouper le recueil Gyeoul uhwa, dont livrent la clé les rêves qu’elle revendique dans son essai inti-tulé Malhaejilsu eomneun geotdeul (Choses indescriptibles).

« Les adieux, provoqués par le refus de mon cœur, les tris-tesses, les beautés, les choses qui ont disparu, un monde au-delà de toute logique, inaccessible au raisonnement scientifique, les choses indescriptibles. Toutes ces choses. Un désir de créer la vie chez ceux que l’on a écrasés pour la leur retirer ou chez ces êtres anonymes auxquels personne ne s’intéresse. L’ombre de la mort qui plane sur tout. Un amour impuissant à résister au temps. La crainte de l’irréalisable. L’aspiration à ce qui n’est plus… Le rêve de représenter l’indescriptible dans mes écrits. Le rêve de

faire revenir ce qui a disparu, en l’invitant à atteindre son essence, et de le plonger dans le parfum de la nature. Le rêve irréalisa-ble d’encadrer, au bout du compte, ce moment, pour qu’il dure pour l’éternité ».

Quoique ce texte recoure à des termes philosophiques tels que « représentation » ou « essence », il s’apparente plus à une expression à caractère émotionnel qu’à un constat objectif ou à un argument logique. Au gré de ses romans, Shin Kyung-sook s’attache à formuler la vérité des émotions qui l’habitent, et non une dialectique ou une apologie des grandes causes sociales. Ce faisant, elle fait preuve de tout l’intérêt et de toute la compassion que lui inspirent les faiblesses et limites d’un homme condamné à l’impuissance face aux épreuves de la séparation ou de la mort vers lesquelles l’entraîne inexorablement le temps qui passe. Tout en reconnaissant que ses nouvelles ne peuvent guère remédier aux outrages du temps, elle ne pert pas confiance, mais garde espoir qu’elles seront d’un certain réconfort pour les personnes en détresse. Caractérisée par l’extrême minutie avec laquelle s’enchaînent mots et phrases, tels de délicats points de broderie, son écriture exprime la nature tout aussi fragile des êtres humains et de leur quotidien dont les aspects les plus tristement dérisoires acquièrent sous sa plume une poétique luminosité.

Une rapide notoriétéEngagés dans une réfle-

xion critique sur la décennie précédente, les milieux littérai-res coréens des années quatre-vingt-dix feront bon accueil à une œuvre où s’exprime une vision bien équilibrée du temps. Dès lors, Shin Kyung-sook se verra décerner les plus prestigieuses distinctions littéraires tel-les que le Prix de l’écrivain d’aujourd’hui, ainsi les Prix littéraires Hankook Ilbo, Hyundae, Manhae, Dong-in et Isu, et ce, en l’espace des trois ou quatre années qui vont suivre son entrée en littérature. Pareil exploit témoigne du haut degré d’appréciation de ses œuvres par le public comme par la critique, laquelle dira tout le bien qu’elle pense de ses qualités littéraires, par-delà les divergences d’idéologie qui peuvent l’y opposer. Un éditeur à tendance progressiste, Changbi Publishers, Inc., attri-buera à l’auteure le Prix littéraire Manhae en récompense de son roman intitulé Oettan bang (Chambre à part), qui évoque l’époque où elle travaillait à l’usine pour payer les cours du soir qu’elle suivait dans un lycée. Par la suite, cette maison réaffirmera sa confiance dans la qualité de ce « style Shin Kyung-sook » carac-téristique en éditant un troisième recueil de nouvelles intitulé Orejeon jibeul tteonal ttae (Il y a longtemps, quand j’ai quitté mon

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logis), puis, dernièrement encore, Prends soin de maman.

Succédant à Gipeun seulpeum (Un profond chagrin) et à Une cham-bre à part, son troisième roman, paru sous le titre Gichaneun ilgopsie tteonane (Le train part à sept heures), a pour toile de fond la lutte pour la démocratie qui fait rage dans les années quatre-vingts. On se gardera cependant d’y voir un témoignage de reconnaissance de l’auteure envers Changbi Publishers pour l’édition de ses ouvrages et la remise du Prix littéraire Manhae. En réalité, la rai-son en est que Shin Kyung-sook ne s’est pas tout à fait affranchie de l’influence qu’exercèrent sur l’étudiante qu’elle était alors ces luttes estudiantines pour la démocratie et la réforme sociale qui secouèrent la Corée des années quatre-vingts, comme vient d’en apporter une nouvelle preuve la thématique de son dernier roman intitulé Le téléphone sonne pour moi quelque part. Dans ses nou-velles, le traitement de ces questions politiques et sociales pro-cède en revanche d’une sublimation des blessures et souvenirs personnels que l’auteur allie par une savante alchimie, car pas plus qu’elle ne dénonce l’ordre établi, l’auteure n’appelle pas à se battre pour un monde meilleur. « Par le biais des personnages de mes nouvelles, je me suis toujours efforcée d’évoquer le climat social qui régnait à une époque donnée. À ma manière, je pense avoir montré une dure réalité, qui représente une importante composante de mon œuvre. J’aimerais que la lecture de mes romans aident ceux qui ont connu l’échec, qui vivent dans l’om-bre, à surmonter leurs épreuves », confie-t-elle.

Après une décennie marquée par une production particuliè-rement féconde, celle des années quatre-vingt-dix, l’auteure ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Au recueil de nouvelles Ttalgibat (Le champ de fraises), qui paraît en l’an 2000, feront suite, un an plus tard, une nouvelle version du roman Violette, puis un nou-veau recueil de nouvelles intitulé Jongsori (Le son d’une cloche), en 2003, et le roman historique en deux tomes Lee Jin, qu’elle achèvera en 2007.

Prends soin de mamanAprès s’être brièvement essayée au roman historique avec

Lee Jin, Shin Kyung-sook reviendra à son genre de prédilection, celui de la chronique familiale, en livrant, en novembre 2008, une œuvre intitulée Prends soin de maman qui ne fera qu’asseoir plus solidement encore son succès commercial. Ce récit narre les

derniers jours d’une femme âgée pré-sentant des symptômes de démence sénile, tandis que ses proches s’aper-çoivent trop tard de l’amour précieux que leur a voué cette mère qui occupa une grande place dans leur vie. Com-

posé de quatre chapitres suivis d’un épilogue, le roman y donne la parole à chacun d’eux, à savoir la fille et le fils aîné, le père, mais aussi la mourante, par un original système d’énonciation employant « toi », « ton frère », « ton père » et « ta mère » et per-mettant au lecteur, par l’adoption de ces quatre points de vue dif-férents, de mieux comprendre les personnages et leur situation selon plusieurs perspectives.

Dans le premier chapitre, la narration à la deuxième per-sonne que réalisent le fils aîné, la mère analphabète et la cadette, romancière, s’opposent en un criant contraste par certains détails. À l’annonce de l’édition d’une version en braille, à l’in-tention des non-voyants, des écrits de sa fille, la mère déclare : « Eux, au moins, pourront lire tes livres. », ce commentaire lapi-daire indiquant par là qu’elle déplore de ne pouvoir le faire elle-même, en dépit de sa vue normale. En effet, c’est parce qu’elle a toujours souffert de ne savoir ni lire ni écrire qu’elle a encouragé sa fille à s’instruire pour devenir écrivain. Quant à cette dernière, qui se trouve brutalement confrontée au décès maternel, c’est grâce à sa maîtrise de l’écriture qu’elle parviendra à lui redon-ner vie, en rédigeant des avis de recherche, sortes d’appels au secours qu’elle remettra à son voisinage, tout en s’interrogeant en ces termes : « Au moins une de tes phrases te permettra-t-el-le de retrouver la mère perdue ? » De quelle utilité peut, en effet, lui être son talent narratif en vue de la rédaction d’un tel avis, qui ne comportera que la photographie la plus récente de sa mère, ainsi qu’un certain nombre d’éléments factuels tels que son nom, son âge, son apparence physique et le lieu où elle se trouvait la dernière fois qu’elle a été aperçue.

Mais alors, cette introspection ne porterait-elle pas, par-delà ce simple avis, sur le roman lui-même, qui constitue à lui seul un compte rendu de recherche de cette mère portée disparue, ainsi que la révélation de son Moi véritable, tel qu’il apparaît au fil des pensées de son entourage ? Si la vieille dame ne reviendra jamais parmi les siens, l’évocation de sa mémoire et la réflexion auxquelles se livrent ces derniers à son souvenir leur apportent un nouvel éclairage sur sa personnalité. La famille prend ainsi conscience de ce qu’elle n’a jamais vraiment fait l’effort de la

« Le rêve de représenter l’indescriptible dans mes écrits. Le rêve de faire revenir ce qui a disparu, en l’invitant à atteindre son es-sence, et de le plonger dans le parfum de la nature. Le rêve irréalisable d’encadrer, au bout du compte, ce moment, pour qu’il dure pour l’éternité ». (Extrait de l’essai de Shin Kyung-sook Choses indescriptibles)

Selon l’un de ses éditeurs : « À chaque séance, Shin Kyung-suk consacre en général plus de trois heures à signer ses livres pour ses lecteurs, car elle aime les contacts directs avec eux ».

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connaître, ou en tout cas, qu’elle a inconsciemment refusé de voir la réalité, à savoir qu’avant d’avoir été cette généreuse mère et cette épouse dévouée, elle était aussi un individu doté d’une vie intérieure complexe. En dernier lieu, Prends soin de maman traite également de la soif d’affection et de l’espoir qui renaissent après la tragédie et les moments de tristesse qui lui font immé-diatement suite.

Quant au roman le plus récent de Shin Kyung-sook, Le télé-phone sonne pour moi quelque part, il retrace le rituel initiatique auquel sont soumis la protagoniste, nommée Yun, et ses trois amis Myeong-seo, Miru et Dan, lors des vingt années durant les-quelles ils se débattent en faisant face aux conflits de l’amitié et de l’amour, à la mort ou à la séparation. Le fait que ce roman ait été rebaptisé « Prends soin de la jeunesse » est révélateur de l’énor-me ascendant dont jouit cette ancienne romancière à succès.

Quoique l’auteur exprime clairement son désir que ce roman se lise comme un récit coupé de tout contexte spatio-temporel, il est, comme la plus grande partie de sa production, fortement ancré dans ces années quatre-vingts qu’évoquent la mention qui est faite des manifestations estudiantines quotidiennes de Séoul, la cathédrale de Myeongdong, la place de l’Hôtel de Ville noyée dans les brumes des gaz lacrymogènes et des objets de la vie quotidienne tels que machines à écrire ou cabines téléphoniques aujourd’hui supplantées par les ordinateurs et téléphones porta-bles, autant d’éléments qui composent un tableau d’une saisis-sante réalité de ce que fut cette décennie.

Éprise d’un milititant étudiant recherché par les autorités, la sœur de Miru, prénommée Mirae, s’immole par le feu et se précipite du haut d’un immeuble après avoir appris le décès de son bien-aimé. Sa sœur se cloîtrera alors dans sa chambrette et tandis que ses chers amis Myeong-seo et Yun descendent dans la rue pour manifester en chantant, Miru esseulée se laisse mourir de faim. Le thème du remords, qui hante son compagnon errant à la suite d’un cortège, pour l’avoir ainsi abandonnée à son triste sort, apparaissait déjà dans une nouvelle des débuts intitulée Meolli kkeudeomneun gil wie (Loin sur cette route infinie) et dans laquelle, Dan, cet autre ami, trouve lui aussi la mort lors d’un mystérieux incident, une fusillade censément accidentelle qui se produit alors qu’il effectue son service militaire.

Le texte comporte un prologue constitué par l’appel télépho-nique qu’adresse Myeong-seo à Yun et qui rompt un silence de huit années, puisque la première s’était peu à peu détachée de la seconde suite à la mort tragique de leurs meilleurs amis. A cette introduction s’intitulant « Puis-je aller vers toi? » fait pendant l’épilogue appelé « Je vais vers toi », selon un procédé symétrique par lequel cette phrase finale de Yun apporte une réponse à la question initiale de Myeong-seo. Autant Prends soin de maman s’employait à retrouver affection et espoir dans le tragique contexte de la disparition maternelle, autant Le téléphone sonne pour moi quelque part loue les efforts de dialogue et de compré-hension qu’accomplissent les êtres confrontés à la mort ou à la séparation.

Les lecteurs étrangersDepuis le mois de juillet dernier, Shin Kyung-sook vit à New

York aux côtés de son mari Nam Jin-woo, poète et critique litté-raire, dans le cadre du congé sabbatique d’une année que lui a accordé son université. À l’Université Columbia, qui l’a invitée en qualité de spécialiste, elle participe à des débats sur ses œuvres avec les étudiants et suit les cours qui l’intéressent.

« En lisant et en suivant les cours, je me sens redevenir étu-diante. On voit des personnes d’origine si différente dans les rues de New York que l’on croirait voir une représentation en miniature de toute la planète. Je marche deux ou trois heures par jour, je visite des musées et des galeries, je vais au théâtre et au concert », confie-t-elle.

Depuis le mois de juillet, l’œuvre Prends soin de maman fait l’objet d’une diffusion en reliure temporaire destinée aux critiques littéraires et aux libraires, mais est déjà disponible en prévente sur le site Amazon.com. Pour elle, le fait de pouvoir suivre les éta-pes successives de l’édition, qui, aux Etats-Unis, sont différentes de celles de la Corée, s’est avéré particulièrement instructif.

« Je suis ravie de pouvoir me trouver aux Etats-Unis, pour voir comment les lecteurs américains réagiront à mon livre. Peu à peu, les choses font leur chemin, car Robin Desser, la directrice d’éditorial de Knopf, manifeste un intérêt particulier pour mon livre. Nous avons échangé beaucoup de courriels et elle paraît sensible au pouvoir d’attraction qu’exerce cette personne appelée « maman », ainsi qu’aux sentiments tout aussi universels qu’elle suscite. »

L’accueil que réservera le public américain à cette œuvre fournira de précieuses indications sur les attraits qu’offre le roman coréen pour des lecteurs anglophones connus pour être assez exigeants et son auteure ne sera donc pas la seule à atten-dre avec impatience sa parution en langue anglaise.

« J’ai entendu dire que les œuvres traduites ne représentent que trois à quatre pour cent de la production dans l’industrie de l’édition américaine. Peut-être les Américains n’éprouvent-ils pas le besoin de réaliser des traductions en raison de la situation prédominante de leur langue dans le monde. Selon le professeur Ted Hughes, qui enseigne à Columbia, la qualité des traductions anglaises d’œuvres littéraires coréennes s’améliore considéra-blement depuis peu, ce dont il se réjouit, car il peut désormais se référer à celles du plus haut niveau dans le cadre de ses cours. Il m’a déclaré que l’Université Columbia prévoyait de recruter sept professeurs spécialisés en langue et culture coréennes dans le courant de l’année. J’ai quant à moi pu constater que les milieux scientifiques américains s’intéressent toujours plus à notre pays ».

Après la parution de son livre, Shin Kyung-sook prévoit d’ef-fectuer, entre les mois d’avril et de mai, une tournée littéraire qui la conduira aux États-Unis et au Canada, avant d’en entreprendre une seconde à destination de l’Europe, pour une durée d’un mois. Tout en appréhendant ce voyage éprouvant sur le plan physique, l’écrivain ne dissimule pas l’impatience avec laquelle elle attend de découvrir les réactions des lecteurs américains et européens.

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ArtisAn

embellit les lignes des toitsLe maître artisan couvreur Lee Keun-bok

Le maître artisan Lee Keun-bok, qui participe actuellement à la reconstruction de la Porte de Sungnyemun, a consacré quarante années de sa carrière à se perfectionner dans la pose des couvertures en tuiles des bâtiments coréens de style traditionnel et il définit lui-même son art par la création de « toits aux ondula-tions rythmiques comme le dos arrondi d’une baleine joueuse qui fend les flots ».

Park Hyun Sook Rédactrice occasionnelle | Ahn Hong-beom, Kim Young-gwang Photographes

Pour le maître couvreur Lee Keun-bok, un toit tradi-tionnel coréen doit allier beauté et fonctionnalité.

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n Corée, l’expression « C’est comme si le ciel nous tombait sur la tête » sert à exprimer une grande détresse et c’est exactement ce sentiment qu’éprouva dans son enfance Lee

Keun-bok, un maître couvreur de constructions traditionnelles coréennes aujourd’hui âgé de soixante et un ans, à la vue de l’un de ces toits effondrés. Le souvenir qui en demeura profondément gravé dans sa mémoire allait l’inciter à embrasser le métier d’artisan couvreur et s’il n’a pas choisi, ce faisant, la voie de la facilité, les progrès qu’il a peu à peu accomplis lui ont permis de découvrir à quel point cet autre dicton coréen est plein de vérité et d’espoir : « Même si le ciel nous tombe sur la tête, il y a toujours un moyen de nous en sortir ».

Révélatrice de la représentation de l’univers et du sens esthé-tique du peuple coréen, l’architecture traditionnelle met en œuvre les notions fondamentales de la cosmologie coréenne, notam-ment celle du « taegeuk », c’est-à-dire la grandeur absolue, le principe du yin et du yang et des cinq éléments constitutifs de l’univers, le Ciel de forme circulaire et la Terre carrée, auxquels s’ajoutent les trois éléments de la Nature. Ces caractéristiques sont visibles dans l’architecture des toits de type traditionnel, tan-dis que l’emploi des matériaux naturels tels que bois, terre, paille et papier procède d’une volonté d’assurer une coexistence har-monieuse entre l’homme et la nature. Composée de chaume ou de tuiles, la couverture des habitations traditionnelles coréennes dites « hanok» évoque par sa forme, dans le premier cas, le dos arrondi d’une paisible vache et, dans le second, rappelle la pente montagneuse à laquelle a été adossée la maison, mais aussi cette grâce et cette agilité avec lesquelles la grue s’apprête à s’élancer vers le ciel. Par leurs courbes tout aussi naturelles qu’élégantes, les toits traditionnels, qu’ils soient à gâble ou à double égout, pro-duisent un effet de douceur et de stabilité.

Dans l’architecture traditionnelle coréenne, le toit joue un rôle décisif dans la réalisation d’une gracieuse esthétique. La philosophie ancienne voulait que les « samjae », ces trois élé-ments fondamentaux de l’univers, soient composés du Ciel, de la Terre et de l’Homme. En architecture traditionnelle, le premier

se retrouve ainsi sous la forme du toit et le deuxième, des fon-dations, l’espace qui les sépare abritant le troisième. Dans une habitation traditionnelle, où le toit a pour fonction de relier l’es-pace imparti aux humains au ciel qui le surplombe, il doit reposer sur la partie la plus attrayante de toute la charpente, sa beauté dépendant ainsi de l’habileté de l’artisan qui y posera les tuiles et c’est précisément en récompense du grand savoir-faire dont il fait preuve dans cette opération que, le 21 octobre 2008, Lee Keun-bok s’est vu classer Bien n°121 du patrimoine culturel intangible, une distinction qu’il est le seul à pouvoir revendiquer en Corée dans ce domaine.

Beauté éternelle du « hanok »Certaines choses ne s’apprennent que par l’expérience acqui-

se au fil du temps, car c’est par le vécu personnel que l’on parvient à la vérité, et non par la seule intelligence, pas plus que par la seule lecture, dévorerait-on des dizaines de milliers d’ouvrages. De son père, ouvrier du bâtiment qu’il accompagnait sur les chan-tiers, il a hérité une bonne connaissance des constructions, ce qui lui a permis de découvrir que la beauté et la solidité d’un bâtiment découlaient de la pose convenable de sa couverture en tuiles.

« Aujourd’hui, il y a une division des tâches, mais autre-fois, un charpentier, par exemple, se devait de connaître dix autres métiers différents, outre le sien. Ainsi, je suis capable de construire entièrement une maison. Mon père travaillait dans le bâtiment dans ma ville natale d’Imsil, qui se trouve dans la pro-vince de Jeollabuk-do. Quand j’étais petit, je l’aidais de temps à autre et c’est ce qui m’a permis de tout apprendre du bâtiment à ses côtés. Dans ma jeunesse, je me souviens avoir souvent vu des maisons aux chevrons pourris à cause de l’eau que laissait passer le toit quand il pleuvait et quand ces éléments se détériorent, il n’y a plus rien à faire pour empêcher le toit de s’effondrer. Cela me démoralisait de voir des toits en pareil état, comme si j’allais soudain voir le ciel me tomber sur la tête. Certes, la construc-tion d’une maison n’est pas chose aisée, mais je me suis rendu compte du grand rôle que joue la couverture en tuiles, alors j’ai

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décidé de me consacrer à sa pose ». Le jeune homme va dès lors se mettre en quête des meilleurs maîtres artisans en vue de son apprentissage, qu’il effectuera auprès du défunt maître couvreur Gi Seon-gil, puis le perfectionnement lui apportera ses premières satisfactions.

Aussi belle puisse-t-elle paraître, une maison traditionnelle ne pourra résister au passage du temps si sa toiture n’a pas été posée comme il se doit et il n’est pas rare de voir des construc-tions céder aux intempéries en à peine deux ou trois ans parce que leur toit fuyait. Les différentes bâtisses composant les palais et temples, mais aussi les élégantes demeures d’autrefois, figu-rent aujourd’hui encore au patrimoine culturel parce que leur construction a fait appel aux matériaux de la plus grande qualité. On employait ainsi la chaux vive naturelle, dont la durée de vie peut atteindre un millénaire, tandis que celle du béton qui la rem-place aujourd’hui n’est que d’une centaine d’années, ainsi que le bois, que l’on veillait à prélever sur des arbres adultes. En dépit de tout le soin apporté au choix de ces matériaux et dans les opé-rations de construction, la pose inadéquate d’une couverture en tuile peut conduire au même résultat que si l’on édifiait une tour sur un sol sablonneux. À partir de l’année 1970, Lee Keun-bok va suivre son maître Gi Seon-gil sur des chantiers situés aux quatre coins du pays. Ce périple de dix années lui permettra d’acquérir peu à peu son savoir-faire technique auprès de celui qui était alors le meilleur maître artisan couvreur de son temps et auquel les clients exigeant des couvertures de qualité confiaient la maî-trise d’œuvre de leurs travaux, acceptant sans hésiter le montant qu’il leur demandait.

Quant à Lee Keun-bok, résolu qu’il était à suivre la voie tracée par son maître, dont le seul nom suffisait à garantir la fiabilité d’une couverture en tuiles, il sera en mesure de se spécialiser dans ce métier, ainsi que d’acquérir la connaissance de tous les autres corps de métier traditionnels du bâtiment. En plus de quarante années de travail dans ce domaine, il a été amené à restaurer ou à reconstituer la toiture d’un grand nombre de bâti-ments historiques situés en divers points du pays, notamment celle de la porte de Sungnyemun, qui constitue le Trésor national n°1 et permettait d’entrer dans la capitale par le sud au temps où celle-ci comportait des fortifications. Il a également participé aux chantiers portant sur d’importantes constructions des cinq palais de Joseon, notamment les Pavillons de Sejoengjeon et de Gyeonghoeru, au Palais de Gyeongbokgung, ainsi que la Porte de Donhwamun, qui fournissait l’accès principal au Palais de Changdeokgung, mais aussi à près de deux cents autres projets de restauration concernant en particulier le Pavillon de Geuk-nakjeon, au Temple de Bongjeongsa, ou le pavillon principal du Temple de Beopjusa.

Une grâce fonctionnelleSi l’on ignore l’époque exacte à laquelle les premiers toits de

tuile firent leur apparition en Corée, les fouilles réalisées sur cer-tains sites révèlent qu’ils étaient déjà largement répandus à celle

1 Pose du mortier à base de terre glaise en vue de la fixation des tuiles.

2 Durant son travail, le couvreur doit toujours avoir à portée de main un couteau spécialement conçu pour la couverture en tuiles.

3 Chacune des tuiles d’extrémité exige la plus grande attention.

4 Les tuiles d’extrémité de l’avant-toit s’ornent souvent de symboles de bon augure ou d’idéogrammes chinois.

5 Avant de poser les tuiles, Lee Keun-bok contrôle soigneusement la structure et les matières de remplissage.

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des Trois Royaumes (57 av. J.-C.-668). Composée d’argile et pré-sentant une forme incurvée, la tuile offre une exceptionnelle résis-tance lorsqu’elle s’obtient par cuisson à très haute température, c’est-à-dire entre 1 000 et 1 200 degrés Celsius, seules les pièces entièrement exemptes de fêlures ou déformations étant retenues pour la couverture des toits.

Conformément à la symbologie du yin et du yang, la tuile est dite à encastrement mâle ou femelle lorsqu’elle est respecti-vement de forme convexe ou concave, ces deux catégories s’ap-pliquant aussi aux tuiles d’extrémité. C’est par la pose des tuiles concaves que commence le couvreur, en procédant du centre jusqu’à l’avant-toit. En règle générale, trois tuiles encastrées l’une dans l’autre forment un tout solidaire de sorte que, même si deux d’entre elles se fendent, l’ensemble continuera d’assurer l’échanchéité du toit. Quant aux tuiles convexes, qui sont jointes aux concaves par un mortier à base de terre glaise, elles sont alignées en ligne droite à partir de l’extrémité des chevrons et en remontant jusqu’au faîte. Ces rangées se terminent par les tuiles d’extrémité, qui sont aussi posées sur un mortier en terre glaise afin d’éviter tout glissement des tuiles par rapport à leur position d’origine. Par sa forme voûtée, la tuile participe aussi de la gra-

cieuse architecture d’une toiture.« L’architecture traditionnelle coréenne présente, entre

autres caractères distinctifs, celui de ses agréables courbes qui ressortent tout particulièrement au niveau de la toiture. Même à distance, on aperçoit plus de soixante-dix pour cent des tuiles. Celles qui se situent à l’extrémité, comme celles qui recouvrent le faîte, sont les plus importantes et possèdent un poids élevé que viennent encore accroître la terre et les matières de remplissage supportant la charge. La reconstitution du toit de Sungnyemun a exigé l’emploi de dix-huit mille tuiles concaves et sept mille deux cents convexes, ainsi que les cinq cents jeux de deux tuiles d’extrémité correspondantes. Si la charpente ne supporte pas convenablement la charge des tuiles qui la recouvrent, le toit peut s’affaisser et présenter des contours moins gracieux, c’est pourquoi un couvreur se doit d’assurer tout à la fois leur qualité fonctionnelle et esthétique », souligne l’artisan.

Si la construction d’une maison représente un an de travail pour un charpentier, elle ne demande qu’une vingtaine de jours pour le couvreur. Celui-ci doit tout d’abord installer la structure en bois qui supportera la couverture en tuiles. Il placera ensuite des lattes de bois ou des branches enchevêtrées sur les chevrons,

« La reconstitution du toit de Sungnyemun a exigé l’emploi de dix-huit mille tuiles concaves et sept mille deux cents convexes, ainsi que les cinq cents jeux de deux tuiles d’extrémité correspondantes. Si la charpente ne supporte pas convenablement la charge des tuiles qui la recouvrent, le toit peut s’affaisser et présenter des contours moins gracieux, c’est pourquoi un couvreur se doit d’assurer tout à la fois leur qualité fonctionnelle et esthétique. »

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1 Ce fragment de tuile d’extrémité d’avant-toit est gravé d’un double motif de dragon.

2 La pose des tuiles sur un bâtiment tradi-tionnel coréen exige un travail intensif et ne laisse aucune place à l’improvisation.

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puis colmatera les interstices entre ces éléments avec de la terre et des chutes de bois diverses pour façonner la pente du toit. Suite à la réalisation de cette structure, le couvreur effectue l’entaillage des pièces de bois qui solidariseront entre elles les tuiles incur-vées et joueront de ce fait un rôle décisif dans le maintien de la stabilité d’ensemble de la couverture, ainsi que dans son esthé-tique. En vue de la pose des tuiles de petite taille, il exécute cet entaillage en superficie, avec un faible espacement, tandis que sur celles de plus grandes dimensions, les pièces de bois doivent pré-senter plus d’épaisseur et les tuiles doivent être fixées au moyen de clous spéciaux pour toiture que l’on appelle « wajeong ». Une épaisseur trop importante de la couche de remplissage peut diminuer la courbure du toit, tandis que si le remplissage s’avère insuffisant, des fêlures sont susceptibles de se produire. Pour réaliser le mortier sur lequel seront posées les tuiles, il importe de mélanger terre glaise et chaux vive selon des proportions adé-quates qui garantiront sa résistance et empêcheront donc tout glissement ou déplacement des tuiles. L’ensemble de ces opé-rations exigeant une exécution d’une grande précision, le savoir-faire et l’expérience y joueront un rôle décisif.

« Pour le toit du Pavillon de Gyeongheoru, qui occupe une superficie d’environ six cents « pyeong », soit environ 1 980 mètres carrés, une équipe de vingt couvreurs est intervenue pen-dant un mois entier pour achever les travaux. Entre les chevrons, ils ont dû parfois colmater des interstices de soixante centimè-tres. Le dosage de la terre glaise et des matières de remplissage a exigé des calculs très précis, pour parvenir à l’équilibre idéal. Peu de travaux peuvent éprouver la patience humaine autant que la pose d’une couverture. En été, la tuile chauffe et peut atteindre les soixante à soixante-dix degrés Celsius, alors l’artisan a la respiration oppressée et se meut avec difficulté, mais il ne doit jamais perdre de vue la courbe de l’alignement de tuiles afin de la rectifier si besoin est. On se croirait dans un sauna. Au contraire, l’hiver, il faut affronter un vent cinglant et glacial, auquel s’ajou-tent le risque constat de faire une chute car les tuiles sont glis-santes et le mal de dos provoqué par la tension des muscles. Quand ce dur labeur parvient à son terme, la vue des tuiles lui-santes décrivant leurs agréables courbes est pour moi source de grande satisfaction », confie-t-il.

Les acquis du vécuLee Keun-bok affirme que ces nombreuses années passées

à travailler sur les toits lui ont appris plusieurs vérités en ce qui concerne la vie. Tout d’abord, par l’entaillage de la structure en bois et le remplissage des interstices situés entre les chevrons au moyen de terre glaise et de diverses matières, préalablement à la pose proprement dite, il s’est rendu compte de l’importance que revêt souvent ce que l’on ne voit pas. Il a aussi pris conscience de ce que, quel que soit le niveau de maîtrise technique dont dispose un artisan couvreur, celle-ci ne lui sera d’aucune aide s’il ne tra-vaille pas en étroite collaboration avec les charpentiers, ce qui l’incite à une certaine humilité. L’homme affirme inlassablement

que les métiers de couvreur et de charpentier sont complémen-taires, le second devant planter un à un ces clous qui permettront à la construction de supporter une charge de cinq cents kilo-grammes, tandis que le premier doit placer les tuiles pour faire en sorte que cette construction dure un millénaire. Le couvreur ne gagnera vraiment ses lettres de noblesse dans le métier qu’en assumant la responsabilité de répondre à cette condition de cinq cents kilogrammes et un millénaire.

Le soleil de plomb estival qu’il ne pouvait jamais fuir en se mettant à l’ombre, lui a appris la persévérance, tandis que les hivers rigoureux l’ont armé de patience et aujourd’hui, il trans-met à son tour à ses apprentis les enseignements qu’il a tirés de son expérience. Sur ses deniers, il a créé un centre de formation situé à Susaek, dans la province de Gyeonggi-do, où il forme vingt apprentis. Hiver comme été, il leur fait réaliser des armatures de serres agricoles afin qu’ils puissent mettre en application les techniques qu’ils ont étudiées. « Je voudrais leur apprendre tout ce que je sais, avant de devenir trop vieux », confie-t-il, en ajoutant : « J’ai la conviction que cela vaut la peine, pour un homme qui est appelé à vivre cent ans pour le moins, de consacrer sa vie à la création de beaux bâtiments de bois capables de durer un millier d’années. Quand j’aperçois les lignes de « toits aux ondulations rythmiques comme le dos arrondi d’une baleine joueuse qui fend les flots », tout mon corps tressallit d’un bonheur indescriptible ».

Lee Keun-bok recherche sans cesse la compagnie de cou-vreurs plus expérimentés auprès desquels obtenir des conseils et poursuivre son apprentissage, alors, chaque fois qu’il rencontre l’un de ces hommes d’ordinaire âgés de soixante-dix à quatre-vingts ans et plus, il le supplie de lui « enseigner tout son savoir » et devant tant d’engouement, ces vieux artisans qui ont consa-cré toute une vie au travail lui révèlent avec plaisir leur énorme savoir-faire. Lee Keun-bok s’empressera de mettre aussitôt en pratique ces précieux enseignements afin de maîtriser de nouvelle techniques qu’il pourra lui-même faire connaître à ses apprentis, et à cet égard, son seul regret est de toujours manquer de temps.

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ux côtés de poignards et d’autres types d’armes, les miroirs dits « danyugyeong » constituent les principaux objets datant de l’âge du bronze coréen. Dans le nord-est de la Chine et sur l’île japonaise de Kyushu, les spécimens que l’on retrouve seraient

issus des boutons en bronze de la région d’Ordos ou des miroirs à poignées de la dynastie Yin-Shang.

Ces derniers peuvent être de deux types différents, selon qu’ils s’ornent de gravures fines ou grossières. Elles sont de ce premier type, sous forme de motifs linéraires minces, sur l’ob-jet décrit dans les paragraphes qui suivent. Cet important vestige de l’âge du bronze coréen constitue le Trésor national n°141, que conserve au sein de sa collection le Musée chrétien de Corée de l’Université Soongsil. La face arrière de la surface réflectrice se divise en trois par-ties décorées de délicates frises géométriques en dents de scie qui s’entrecroisent selon des formes complexes, aux côtés de cercles concentriques.

Au deuxième et troisième siècles avant J.-C., ce type de miroir en bronze était particu-lièrement répandu au sud du Daedonggang, un fleuve qui se trouve dans l’actuelle Corée du Nord. À ce jour, cette région a livré près de vingt-cinq objets consistant, pour la plupart, en poignards, lances ou cloches en bronze et découverts le plus souvent dans des tombes à chambres funéraires en bois surmontées de tumulus en pierre, des fosses ou des cercueils en bois. Ces sépultures se situent sur les sites archéologiques de Daegok-ri, dans l’agglomé-ration de Hwasun, et de Chopo-ri, dans celle de Hampyeong, qui appartient à la province de Jeollanam-do. Sur l’île voisine de Kyushu, d’autres objets de ce type ont aussi été mis au jour.

Le plus beau des miroirs coréens à poignéesSitué dans les locaux de l’Université Soongsil, le Musée chrétien de Corée possède dans

sa collection le spécimen de miroir en bronze le plus finement ouvré de tous ceux que compte la Corée. D’un diamètre de 21,2 centimètres, il présente une surface lisse au recto et façon-née au verso, où viennent se fixer les deux poignées. Le métal a été travaillé différemment sur le pourtour, la partie intérieure et le centre. Le premier s’orne de frises aux triangles compo-

Chefs-D’œuvre

Un miroir de bronze qui reflète une technologie parfaiteLes miroirs anciens coréens se répartissent en trois catégories selon qu’ils sont composés de pierre, de fer ou de bronze, et dans ce dernier cas, les modèles les plus célèbres sont de forme ronde et munis de deux ou trois poignées, d’où leur appellation de « danyugyeong », qui peut se traduire littéralement par « miroir à plusieurs poignées ».

Cho Hyun-jong Conservateur en chef du Musée national de Corée

Photographie Musée chrétien de Corée de l’Université Soongsil

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Miroir à poignées en bronze gravé de délicats motifs linéaires.Âge du bronze, IIe et IIIe siècle avant J.-C. ; diamètre : 21,2 cm, Epaisseur : 1 cm, Trésor national n°141, Musée chrétien de Corée de l’Université Soongsil

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sés de lignes très fines et représentés verticalement, avec lesquels s’intercalent deux cercles concentriques, en quatre points du motif. Ce décor à triangles figure aussi sur la partie inté-rieure, ainsi que sur les quatre subdivisions du centre, ce dernier étant de plus forte épaisseur que la deuxième et donc légèrement bombé.

Composé de treize mille lignes très finement gravées avec un espacement de 0,3 milli-mètre, le décor qui fait la particularité de ce miroir relève d’une véritable énigme technique, car voilà deux mille deux cents ou trois cents ans de cela, aucun autre pays au monde ne maî-trisait de tels procédés d’exécution, dont la complexité équivalait, pour l’époque, à celles des technologies ultramodernes d’aujourd’hui.

En Corée, la découverte de moules semblerait avoir corroboré l’hypothèse selon laquelle les hommes de l’âge du bronze fabriquaient leurs miroirs en coulant le métal dans une empreinte creusée dans la chaux vive, mais alors, qu’en était-il de ces lignes si minces et rap-prochées les unes des autres ? Même pour un technicien qualifié de notre époque, il ne serait guère aisé de découper une bande de métal circulaire en carrés d’un centimètre de côté, puis de diviser ceux-ci en deux triangles pour graver sur chacun d’eux plus de vingt lignes aussi fines que celles qui se trouvent sur le spécimen étudié dans le cas présent. Que dire des deux séries de vingt cercles concentriques qui s’insèrent les uns dans les autres sur un diamètre inférieur à deux centimètres, dans la partie extérieure du décor, sinon que leur exécution a de quoi surprendre plus encore ? En outre, étant donné les faibles dimensions de l’objet, notam-ment son épaisseur réduite à quelques millimètres, sa réalisation par moulage doit avoir été d’une extrême difficulté. Il n’en demeure pas moins qu’il est bel et bien composé d’un excel-lent alliage à base de bronze dont la réalisation faisait appel à un savoir-faire acquis de longue date dans la métallurgie, notamment la fabrication du bronze, ainsi qu’aux procédés de mou-lage les plus précis qui soient.

Une dimension magiqueTandis que les miroirs en bronze chinois s’ornent le plus souvent de motifs de bon augure,

de dragons ou de figures humaines, ceux de Corée présentent la particularité d’être striés de lignes très minces composant des formes triangulaires, dans un style qui allait atteindre son apogée au troisième siècle avant notre ère.

Les principaux motifs figurant sur les miroirs finement ouvrés de style linéaire sont les éclairs, les dents de scie, les étoiles et les cercles concentriques. Les frises constituées d’une série de triangles striés de nombreuses droites parallèles sont d’un style géométrique uni-versellement en usage. Quant aux étoiles et dents de scie qui composent ces triangles suc-cessifs, il s’agit essentiellement de représentations de rayons de soleil, comme cela est donc aussi le cas des miroirs en bronze coréens à motifs linéaires fins des deuxième et troisième siècles avant Jésus-Christ.

Les motifs à dents de scie rayonnants dont sont décorés ces miroirs participent aussi d’un ingénieux procédé qui visait à intensifier l’éclat de la lumière naturelle qui s’y reflétait, comme se doit de le faire un miroir. Outre qu’il constitue en soi une représentation de ce rayonnement lumineux, ce décor triangulaire passe aussi pour un symbole d’autorité par analogie avec le soleil. Ce travail d’une grande finesse revêt donc une grande importance sur le plan archéolo-gique en apportant des indications sur la structure des sociétés humaines à l’âge du bronze.

En effet, la réflexion en un point précis de cette lumière du soleil, de même que le fait de renvoyer à l’homme sa propre image, relevaient alors de phénomènes extraordinaires. La première prenait même la dimension d’une apparition mystique et nul doute que ceux qui la découvraient en étaient stupéfaits ou apeurés, voire terrifiés, autant d’émotions dont devaient

Composé de treize mille lignes très finement gravées avec un espacement de 0,3 millimètre, le décor qui fait la particularité de ce miroir relève d’une véritable énigme technique, car voilà deux mille deux cents ou trois cents ans de cela, aucun autre pays au monde ne maîtrisait des procédés d’exécution aussi élaborés.

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Sur sa face arrière, ce miroir comporte un motif décoratif et deux poignées destinées à fixer une cordelette et le polissage de sa surface réfléchissante permettait d’ob-tenir un reflet net. Il aurait été enveloppé dans de la soie et conservé dans un boîtier conçu à cet effet.

tirer parti les détenteurs du pouvoir en possession d’un miroir finement ouvragé pour s’assu-rer l’obéissance du peuple et parvenir à leurs fins.

Le symbolisme du miroirDans la pratique du chamanisme, qui se poursuit aujourd’hui encore en Corée, les prin-

cipaux objets du culte sont l’épée, le miroir et les cloches, lesquels pourraient s’inscrire dans la continuité des trois accessoires magiques qui furent découverts dans une tombe datant des deuxième et troisième siècles avant J.-C. et ayant abrité la dépouille mortelle d’un grand prêtre chaman, puisqu’il s’agissait d’une épée, d’un miroir et d’une crécelle en bronze. Ils sont également issus de l’épée, du miroir et du jade auxquels fait appel la mythologie japonaise.

Ainsi, les adeptes du chamanisme attribuent au miroir une valeur symbolique et lui prê-tent des pouvoirs magiques, et ce, non seulement en Corée, mais aussi en Sibérie. Sachant que que les miroirs à poignées de l’âge du bronze ont été le plus souvent retrouvés sur la poi-trine des défunts et que leurs motifs étaient étroitement liés au soleil, on peut en conclure que ces objets possédaient un sens symbolique pour un chef chaman ou un chef de tribu en des temps où les croyances assimilaient le monarque à un dieu.

Qu’en est-il de la signification des objets cultuels ? Pour ce qui est de l’épée, celle-ci était censée apporter le bien-être à l’individu comme au groupe, en éloignant le mal, tandis que l’on invoquait les dieux au son de la crécelle. L’un comme l’autre servant à l’accomplissement du culte, ils étaient naturellement la propriété du chaman, qui faisait office d’intermédiaire pour que se rapprochent le Ciel de la Terre. Les objets que les fouilles archéologiques ont permis de découvrir à l’intérieur de tombes nous renseignent ainsi sur l’identité de leurs occupants, qui pouvaient être ces chefs chamans qui accomplissaient des rituels aptes à atti-rer les dieux du soleil et de la nature au moyen du miroir et de la crécelle.

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Fruit d’une coopération entre la Galerie d’art nationale de Singapour et le Musée national d’art contem-porain coréen, l’exposition consacrée au « Réalisme dans l’art d’Asie » s’est déroulée consécutivement dans ces deux pays, où elle présentait cent quatre tableaux réalisés par des artistes originaires de dix pays d’Asie pour évoquer les bouleversements historiques qui y ont eu lieu entre la fin du XIXe siècle et les années quatre-vingts, dans le but d’offrir un panorama de l’art moderne de cette région.

Kim Inhye Conservatrice du Musée national d’art contemporain

Photographie Musée national des Arts contemporains de Corée

Le « Réalisme dans l’art d’Asie » a dressé un bilan du XXe siècle

Chronique Artistique

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ans différents pays, le monde de l’art témoigne un intérêt croissant pour l’art d’Asie, notamment la production contemporaine réalisée à partir de ces années quatre-vingt-dix où l’influence de la mondialisation s’est partout accrue. Jusque là,

cette création régionale n’avait pas reçu l’accueil qu’elle méritait auprès du public ou des milieux scientifiques. En dépit de la notoriété dont ils jouissaient dans leurs pays respec-tifs, les plus brillants artistes de l’époque prémoderne n’avaient pas remporté de succès international. Tout au long du siècle dernier, l’histoire des pays d’Asie a été marquée par des événements analogues tels que la colonisation et les deux guerres mondiales. L’im-périalisme qui étendait alors sa domination dans le monde et les guerres qui s’y dérou-laient partout incitèrent les nations à acquérir un pouvoir concurrentiel à l’échelle interna-tionale.

L’art contemporain d’AsieDans le domaine de l’art et de la culture, les conflits idéologiques dont fut secouée la

Corée sous la colonisation, notamment sous forme de rivalités régionales et d’antago-nismes entre arts nationaliste et prolétaire, allaient en même temps s’étendre aux Phi-lippines et à l’Indonésie. À la fin de la seconde Guerre Mondiale, des pays socialistes tels que la Chine et le Vietnam allaient s’engager sur une voie radicalement différente de celle qu’avaient choisie les Philippines, la Corée ou la Thaïlande, ainsi que d’autres pays du continent très liés aux Etats-Unis, à savoir que les nations alliées à ces derniers allaient subir l’influence de leur courant expressionniste dans les années cinquante. En réaction à cet état de choses, un mouvement de type néo-réaliste teinté d’une certaine couleur politique allait faire des adeptes dans le milieu estudiantin de différents pays d’Asie, dans les années soixante et quatre-vingts. En outre, le débat sur la dichotomie modernisme-réalisme allait se faire plus vif dans nombre de pays.

La prise de conscience collective des artistes et les tendances qui en résultèrent dans leur art se manifestent à des degrés divers dans leur création. En outre, la fin de la Guer-

1 Raja Ravi Varma, Inde, Dame au clair de lune, 1889

2 Takahashi Yuichi, Japon, Courti-sane, 1872

3 Raden Saleh, Indonésie, Le col de Puncak, 1871

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re froide et le changement de paradigme de la mondialisation allaient inciter les uns et les autres à une vision plus objective du passé. Il convient donc de procéder à une analyse plus approfondie du fort intérêt que suscite depuis peu l’art contemporain d’Asie.

Il n’est guère aisé de définir avec exactitude ce qu’est le réalisme. Dans les débats portant sur l’histoire de l’art occidental, il est souvent attribué à des artistes du XIXe siècle tels que Gustave Courbet, Honoré Daumier ou Jean-Francois Millet, mais aussi à de nou-velles formes d’expression artistique qui apparurent au cours des années trente, notam-ment le réalisme social américain ou le réalisme socialiste de l’ex-Union Soviétique. En conséquence, il n’importe pas tant, à propos du réalisme, de le « définir » que d’en cerner les « aspects » susceptibles de s’incarner dans une œuvre particulière, puisqu’il est le plus souvent présenté comme un point de vue ou une manière d’être, et non en tant que style caractéristique.

Dans cette optique, l’exposition portant sur ce thème ne se proposait donc pas de tenter de définir le réalisme ou d’en dresser une rétrospective, mais avait pris le parti de le présenter en cinq volets évoquant ses différents domaines d’expression par le biais de cent quatre œuvres réalisées par des artistes originaires de dix pays d’Asie, à savoir la Corée, la Chine, le Japon, l’Inde, Singapour, la Malaisie, le Vietnam, la Thaïlande, l’Indo-nésie et les Philippines.

Les thèmes de l’expositionDans son premier volet, l’exposition du Musée national d’art contemporain rappelait

la manière dont les artistes d’Asie ont été confrontés à la peinture occidentale et l’assimi-

En répartissant les œuvres selon cinq thèmes différents, l’exposition visait à mettre en lumière l’évolution du genre réaliste en Asie, dont l’importance y a été reconnue sur le plan technique dès son apparition et qui s’est attaché à représenter la réalité historique de chaque pays, les artistes entreprenant par la suite de décrire leur situation particulière et d’exprimer leurs sentiments.

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lation de celle-ci en tant que technique figurative. Quand les premières œuvres occiden-tales ont fait leur apparition en Asie, elle ont été perçues comme relevant d’une technique d’expression réaliste visant à représenter les objets en trois dimensions sur une toile qui en comporte deux. À cet égard, cette manifestation permettait de faire découvrir au public coréen des huiles réalisées par la première génération de peintres asiatiques parmi les-quels figuraient l’Indien Raja Ravi Varma, l’Indonésien Raden Saleh et le Japonais Taka-hashi Yuichi. Nombreux sont les artistes qui réalisèrent une fusion de cette technique importée avec la peinture traditionnelle de leurs pays respectifs. Tel est le cas de ce Pay-sage du Vietnam de Nguyen Gia Tri, qui allie le genre paysager occidental à l’art des pein-tures à la laque vietnamiennes, tandis que le tableau intitulé Une famille nombreuse, de Pai Un-Soung, recourt à la technique du dessin traditionnel coréen dit « baengmyobeop » pour réaliser un portrait de famille.

Les second et troisième volets de l’exposition se centraient respectivement sur « la ruralité » et « les travailleurs », deux thèmes apparemment liés, mais qui, dans nombre d’œuvres du passé, ont été présentés comme diamétralement opposés. Pour ce qui est du premier d’entre eux, les œuvres choisies exprimaient la vision qu’avait l’artiste de la campagne, la plupart du temps sous forme d’un décor champêtre évoquant une percep-tion idéalisée de la nature en tant que mère nourricière. Quand aux œuvres abordant le second thème, elles dépeignaient la détresse et la misère des travailleurs et autres lais-sés pour compte de la population des villes.

Dans Le repiquage du riz, le Philippin Amorsolo représente des femmes occupées au dur labeur des champs sous un soleil de plomb, mais celles-ci semblent curieusement assez épanouies, comme si elles s’adonnaient à de gracieuses danses et non à ces péni-bles travaux. À ce titre, le tableau allait être la cible d’une critique acerbe qui lui repro-chait d’avoir déformé la dure réalité qui fut celle des petites gens de l’époque coloniale, tandis que les toiles d’autres artistes représentaient mendiants, paysans et personnes de basse condition devant se battre pour vivre dans la cité, avec une énergie considérable

1 Nguyen Gia Tri, Vietnam, Paysage du Vietnam, 1940

2 Pai Un-Soung, Corée, Une famille nombreuse, 1930-35

3 Fernando Amorsolo, Philippines, Le repiquage du riz, 1924

4 Shindudarsono Sudjojono, Indonésie, Joueur d’angklung, 1956

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dans la misère qui était la leur.Le peintre indonésien Shindudarsono Sudjojono s’est interrogé en ces termes sur

l’élégante tradition de la peinture paysagère de son pays (« mooi indie ») : « Les peintres ne courent pas les montagnes à la recherche de l’esthétique, mais exposent les réalités de la vie citadine. Les bouteilles, les marmites et casseroles, les chaussures, les bureaux, les chaises, les enfants, les dames, les cités, les ponts délabrés, les fossés, les rues, les travailleurs pauvres leur tiennent lieu de sujet ». En Asie, c’est dans les années vingt et trente que l’art prolétaire s’est développé en apportant un fort soutien aux mouvements indépendantistes, puis il allait refleurir après la seconde Guerre Mondiale.

Une conscience socialeLe quatrième volet de cette exposition s’intitulait « Guerre et réalisme ». En temps de

guerre, l’art de la peinture fournit opportunément un moyen de communication qui sert de vecteur aux reportages et véhicule la propagande. Celle du genre réaliste permit aussi de dépeindre la douloureuse réalité que connurent la plupart des nations d’Asie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, puis lors des guerres d’indépendance. Au cours de tels conflits, l’art assure un rôle politique particulier dans la mesure où l’on s’en sert indiffé-remment pour justifier une agression, défendre des victimes ou appeler à la solidarité.

Enfin, par son dernier volet intitulé « Commentaire et critique », l’exposition révé-lait l’existence d’un mouvement néoréaliste coréen que représente notamment l’art dit « minjung », c’est-à-dire « du peuple », qui a vu le jour dans les années soixante-dix, qu’avaient précédées deux décennies dominées par l’expresionnisme. Souvent animé par des groupes de militants étudiants, ce mouvement prônait l’action politique fondée sur une prise de conscience de la réalité sociale. Parfois, les œuvres qui en sont issues pos-sèdent, dans leur signification, une dimension surréaliste qui convie le visiteur à regarder en face la réalité de l’époque contemporaine sous ses aspects les plus incroyables et pourtant on ne peut plus réels.

1 Lai Foong Moi, Malaisie, Travailleur de Sun Sui, 1967

2 Phan Ke An, Vietnam, Bombardement à Hanoï, Noël 1972, 1985

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En répartissant les œuvres selon cinq thèmes différents, l’exposition visait à mettre en lumière l’évolution du genre réaliste en Asie, dont l’importance y a été reconnue sur le plan technique dès son apparition et qui s’est attaché à représenter la réalité historique de chaque pays, les artistes entreprenant par la suite de décrire leur situation particulière et d’exprimer leurs sentiments.

Une courageuse lutteLa définition de la réalité s’avère être une tâche tout aussi ardue que celle du réa-

lisme, puisqu’une vision tout à fait objective de la réalité est impossible, dans la mesure où elle est toujours altérée par des manières d’être et points de vue personnels. En tout état de cause, cette problématique n’a jamais échappé aux artistes d’Asie, témoins qu’ils ont été de toute une série d’affrontements idéologiques, même si certains sont parve-nus à y apporter individuellement des réponses. Aujourd’hui, il serait toutefois futile de juger leurs prises de position bien fondées ou non et il importe plutôt de s’intéresser à la somme de micro-histoires qu’ils représentent et de leur rendre hommage pour leur cou-rage et leurs combats personnels qui transparaissent dans des œuvres qui ont su émou-voir le public et le convier à une réflexion sur les points de vue qui s’y expriment.

Tout au long du siècle dernier, l’histoire des pays d’Asie a été marquée par des événe-ments analogues tels que la colonisation et les deux guerres mondiales. L’impérialisme qui étendait alors sa domination dans le monde et les guerres qui s’y déroulaient partout incitèrent les nations à acquérir un pouvoir concurrentiel à l’échelle internationale. C’est cette réalité nationale, telle que la percevaient et représentaient les artistes, qu’entendait montrer l’exposition intitulée « Réalisme dans l’art d’Asie », tout en mettant en exergue les analogies et différences qui existent dans le vécu des différentes nations. Sa fréquen-tation par plus de cent vingt mille visiteurs démontre l’important succès de cette mani-festation qui a, en outre, ouvert de nouvelles perspectives au public coréen, notamment par son émancipation d’une conception du monde souvent façonnée par des influences

3 Shin Hak-chul, Corée, Histoire de la Corée moderne 4, 1982

3 Dede Eri Supria, Indonésie, Classe urbaine, 1977

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À la découverte de la corée

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Aux derniers Jeux olympiques d’hiver de Vancouver, la Coréenne Kim Yuna a ravi la distinction mondiale dans sa discipline, tandis qu’en vitesse et sur piste courte, ses compatriotes créaient la surprise en remportant dif-férentes médailles, ces excellents résultats permettant à la Corée de se hausser au rang des meilleurs dans le domaine du sport.

Hosaka Yuji Professeur de langue et culture japonaises à l’Université Sejong | Ahn Hong-beom Photographe

l’époque du lycée, j’ai découvert dans la presse et au fil de mes lectures que nombre de spor-tifs japonais de haut niveau étaient en réalité originaires de Corée, ce qui était d’ailleurs le cas de la plupart de mes chanteurs et acteurs favoris, alors était-ce que les Coréens possédaient

plus de dispositions pour le sport et les spectacles que les Japonais ?

Des souvenirs d’enfanceAu Japon, le célèbre lutteur professionnel de sumo Rikidozan, qui faisait figure de héros national

en son temps, s’appelait de son vrai nom Kim Sin-rak. De même, le champion de karate Kyokushin Masutatsu Oyama se dénommait Choi Bae-dal, le joueur de baseball professionnel Isao Harimoto, que l’on surnommait « la machine à frapper », Jang Hun, et le lanceur aux quatre cents victoires de légende Masaichi Kaneda, Kim Kyung-Hong : autant de sportifs que j’adulais avec une égale ferveur dans mon enfance. Les trois mille quatre-vingt-cinq lancers de balle réussis que possédait Jang Hun à son actif représentaient un record inégalé en vingt-huit années de championnats professionnels au Japon, juqu’à ce que le surpasse en 2009 Ichiro, ce joueur aujourd’hui classé en première ligue du baseball américain. Jang Hun fut aussi un grand batteur qui intercepta avec succès cinq cent quatre coups de circuit. Quant à Kim Kyung-Hong, en remportant pas moins de quatre cents victoires, il accomplit un exploit sans pareil dans l’histoire du baseball japonais, puisque le lanceur se plaçant en deuxième position n’en avait à son actif que trois cent treize et se trouvait donc loin derrière lui. Le seul autre joueur qui arriva au niveau de ces champions d’origine coréenne fut le Japonais d’ori-gine taïwanaise Sadaharu Oh, qui portait en réalité le nom de Wang Chen-chu et totalisa un nombre record de huit cent soixante-huit coups de circuit. Il n’a toujours pas son pareil aujourd’hui.

Les joueurs japonais d’origine coréenne ou taïwanaise s’avèrent posséder un talent et une puis-sance supérieurs à ceux qui sont japonais de souche. Le baseball japonais a pour plus grand héros Nagashima Shigeo, qui a été nommé entraîneur honoraire à vie de l’équipe des Yomiuri Giants, mais dont les performances n’atteignent pas la qualité de celles d’un Jang Hun ou d’un Sadaharu Oh. Ce n’est pas seulement dans ce sport que s’imposent les joueurs coréano-japonais, car il s’avèrent sou-vent tout aussi brillants en football et en volleyball, entre autres sports.

À quelques exceptions près, ce constat s’applique également au monde du spectacle, puisque dans mes jeunes années, des chanteurs et acteurs aussi beaux que talentueux s’y distinguaient parti-culièrement et par la suite, ils allaient d’ailleurs mener tous sans exception une longue carrière cou-ronnée de succès. Je n’en réagissais qu’avec plus de stupeur et de colère au traitement outrageant qu’ils avaient à subir.

Dans un match de baseball auquel j’assistais un jour, une bagarre éclata entre les joueurs après qu’un lanceur eut frappé un batteur et j’entendis alors à plusieurs reprises des spectateurs crier à Jang Hun : « Va-t-en, Josenji ! », ce dernier mot désignant les Coréens de manière péjorative en japo-nais. Cette violence verbale dont j’avais été témoin m’a révolté, non seulement parce que je compte

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Le professeur Hosaka Yuji, de l’Université Sejong, a complété ses études à l’Université de Tokyo d’un doctorat en sciences politiques de l’Université Koryo. Après avoir acquis la nationalité coréenne, en 2003, il a publié plusieurs ouvra-ges qui traitent de la souveraineté territoriale coréenne sur l’île de Dokdo en se fondant sur des do-cuments d’archives et des cartes géographiques.

À

La Corée tourne une page et fait son retour à l’international

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parmi mes amis beaucoup de personnes d’origine coréenne, mais aussi parce que j’étais furieux que des gens puissent en injurier d’autres ou leur manquer de respect sans motif valable. Fort heu-reusement, le reste du public a d’ailleurs réagi défavorablement à ce grossier comportement et a sommé ses responsables de ces-ser de hurler ces abominations, à mon grand soulagement, car il semblait que certains faisaient enfin preuve de bon sens.

Depuis ces faits, j’ai eu connaissance par la presse de nom-breux cas d’incidents liés à une attitude excessive de ce type. J’y ai ainsi lu que l’un des joueurs des Yomiuri Giants avait traité son entraîneur, Sadaharu Oh, de « wangkoro », ce qui équivaut en japonais à l’insulte « fils de p... ». Dans l’article en question, il était dit que ce joueur tenait Sadaharu Oh pour responsable des mauvais résultats qu’avait obtenus l’équipe, comme il le lui avait successivement crié en ces termes : « Si nous n’avons pas été à la hauteur, c’est que vous êtes un vrai « wangkoro » et « Tout est de la faute de ce « wangkoro » », ce qui m’avait évidemment consterné. Il me semblait tout bonnement impensable qu’un joueur puisse injurier ainsi son entraîneur ! Quand on pense que ce joueur est aujourd’hui commentateur de baseball... Je ne com-prends toujours pas qu’un comportement aussi irrespecteux n’ait fait l’objet d’aucune sanction disciplinaire, de la part des Yomiuri Giants ou d’une institution japonaise. Un tel incident traduit l’ani-mosité cachée qu’éprouvent les Japonais à l’encontre des per-sonnes de cette origine et qui remonte à la surface dans certaines circonstances. Par la suite, j’ai dénoncé les injustices et discri-minations que font subir les Japonais à des personnes pourtant pleines de talent en raison de leur appartenance à des groupes ethniques issus d’anciennes colonies de leur pays.

La « Vague coréenne »Cette impression que m’avaient fait les Coréens, dans mon

enfance, de posséder de meilleures dispositions pour le sport et le spectacle que les Japonais, allait s’avérer bien fondée par la suite, comme on peut le constater à l’occasion des nombreuses compétitions qui opposent les deux pays, d’autant que les Japo-nais exercent aujourd’hui moins de discriminations à l’encontre des personnes d’origine éthnique différente. C’est une idée que viennent corroborer le phénomène du « hallyu », c’est-à-dire la « vague » de la culture de masse coréenne et les rencontres sportives que disputent les deux pays. C’est sur l’industrie japo-naise du spectacle qu’a déferlé en premier lieu cette « vague » prenant surtout la forme de films, feuilletons télévisés et musi-ques de variétés. Depuis l’an 2000, des chanteurs tels que BoA

et des acteurs et actrices, en particulier le célèbre Bae Yong Joon, figurent parmi les vedettes favorites des Japonais. Si après avoir connu un succès explosif, la « Vague coréenne » semble aujourd’hui marquer le pas, voire toucher à sa fin, comme cer-tains l’affirment, elle n’en aura pas moins eu pour effet de susci-ter un vif intérêt pour la Corée chez ses plus fervents adeptes.

Voilà peu, la jeunesse japonaise s’enthousiasmait pour un groupe musical composé de cinq jeunes chanteurs et nommé tantôt Dong Bang Shin Gi, tantôt TVXQ, c’est-à-dire Tong Vfang Xien Qi, tandis qu’au début de l’année, c’était un ensemble de neuf jeunes filles appelé Girls’ Generation qui faisait sensation. Quoique le groupe TVXQ vienne de disparaître, ses chansons conservent tout leur succès, comme en atteste leur classement en tête de l’Oricon Chart, ce « hit-parade » japonais des plus fia-bles en musique pop. Quant au groupe Girls’ Generation, qui fai-sait cette année ses débuts au Japon, il a aussi été ovationné par les jeunes, en particulier les adolescentes. Dans cette génération, les amateurs de musique japonais manifestent une préférence pour les interprètes de sexe féminin, que ce soit dans la chanson ou au cinéma, ce qui explique que le groupe Girls’ Generation ait aujourd’hui la faveur de ces jeunes, comme cela avait été déjà le cas de l’actrice coréenne Jeon Ji-hyun. Girls’ Generation a séduit les jeunes filles japonaises en mal d’idoles féminines, contraire-ment aux célébrités de la précédente « Vague coréenne » qu’ad-miraient surtout des femmes au foyer d’âge moyen, et cela est aussi vrai du groupe masculin TVXQ.

Une super-puissance dans le sportCette année aura aussi vu la Corée faire son entrée dans

l’univers du sport puisque, après être parvenue en demi-finale de la Coupe du Monde en 2002, l’équipe nationale coréenne a mul-tiplié les prouesses dans les compétitions internationales. C’est d’abord l’équipe masculine qui disputait le match de huitième de finale de la Coupe du Monde qui avait lieu cette année en Afrique du Sud, puis l’équipe féminine, qui s’est classée troisième du championnat U-20 dans la catégorie féminine, avant de remporter la victoire, dans la même série, à celui de l’U-17. À l’inverse, les équipes japonaises ont eu à essuyer plusieurs défaites au cours de rencontres décisives, en raison d’erreurs qui sont, à mes yeux, parfaitement incontestables.

Alors que seuls soixante lycées coréens possèdent leur équi-pe de football féminin, le Japon en compte au moins mille quatre cents, d’où une longue sélection à laquelle peuvent s’épuiser les joueurs aspirant à entrer dans l’équipe nationale. On constate une

Je me rappelle avoir veillé pour suivre ce tournoi de golf au cours duquel Pak Se Ri s’est avancée dans l’eau d’un bassin servant d’obstacle pour frapper la balle qui y était tombée. Par la suite, elle allait accomplir de nouvelles prouesses et remporter le plus prestigieux championnat de sa discipline, ouvrant ainsi la voie sur laquelle allait suivre ses traces la « Brigade de Pak Se Ri ». Pour ma part, si l’on me demande de citer quel est mon compétiteur favori, de la Corée ou du Japon, lorsque ces deux pays s’affrontent, j’affirme m’efforcer de rester neutre; mais finis toujours par soutenir la Corée en raison de la qualité supérieure de ses sportifs.

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situation analogue dans le domaine du baseball. Si une soixantai-ne d’équipes de lycées disputent différentes rencontres en Corée, il y en a plus de quatre mille cinq cents qui, au Japon, participent à des compétitions nationales bisannuelles. Quoique la présence d’une infrastructure aussi vaste soit globalement positive, il peut arriver qu’un tel nombre de matchs vienne à bout des forces des joueurs, notamment les lanceurs, dont on affirme souvent qu’ils mettent prématurément fin à leur carrière suite à l’effort intense qu’ils ont fourni dans ces rencontres entre lycées.

En revanche, le WBC (World Baseball Classic) ne fait pas apparaître de grandes différences de niveau entre joueurs coréens et japonais. À certains égards, la Corée pâtit en fait d’un environnement assez défavorable, même si elle se trouve

mieux placée pour gagner. En 2008, l’équipe nationale coréenne a remporté la médaille d’or aux Jeux Olympiques de Beijing, et l’année suivante, elle s’est classée en deuxième position au WBC 2009. Lim Chang-Yong, qui figure parmi les meilleurs lanceurs participant au Championnat de baseball japonais, se situe depuis quelques années au plus haut niveau pour cette place. En outre, l’équipe nationale japonaise a recruté plusieurs joueurs d’origine coréenne ayant acquis la nationalité japonaise, de sorte que cer-tains matchs où s’affrontent les deux pays se disputent pour l’es-sentiel entre Coréens et Coréano-Japonais.

Au cours de cette année 2010, la Corée a fait résolument son entrée sur la scène internationale dans différentes disciplines sportives. Aux derniers Jeux olympiques d’hiver de Vancouver, la Coréenne Kim Yuna a ravi la distinction mondiale dans sa disci-pline, tandis qu’en vitesse et sur piste courte, ses compatriotes créaient la surprise en remportant différentes médailles, ces excellents résultats permettant à la Corée de se hausser au rang des meilleurs dans le domaine du sport.

Dans le domaine du golf, les Coréens qui participent aux tour-nois professionnels se déroulant au Japon et aux Etats-Unis se classent invariablement parmi les premiers dans les épreuves ultimes. Si le Japon comme la Corée sont représentés dans les compétitions américaines, ce sont les joueurs de ce dernier pays qui produisent la plus forte impression. Je me rappelle avoir veillé pour suivre ce tournoi de golf au cours duquel Pak Se Ri s’est avancée dans l’eau d’un bassin servant d’obstacle pour frapper la balle qui y était tombée. Par la suite, elle allait accomplir de nou-velles prouesses et remporter le plus prestigieux championnat de sa discipline, ouvrant ainsi la voie sur laquelle allait suivre ses tra-ces la « Brigade de Pak Se Ri ». Pour ma part, si l’on me demande de citer quel est mon compétiteur favori, de la Corée ou du Japon, lorsque ces deux pays s’affrontent, j’affirme m’efforcer de rester neutre; mais finis toujours par soutenir la Corée en raison de la qualité supérieure de ses sportifs.

Tant la Corée que Taïwan, ces deux anciennes colonies japo-naises, mais aussi l’île d’Okinawa, qui fut annexée par le Japon et demeure sous son autorité, ont produit des générations entières de joueurs aux talents exceptionnels surpassant largement ceux de leurs rivaux de souche japonaise. Dans notre monde actuel, qui a vu un noir américain se faire élire président des Etats-Unis, la discrimination fondée sur l’origine ethnique semble fort heureuse-ment en passe d’appartenir à un passé révolu. Dans ce contexte, la Corée, après avoir surmonté les épreuves de son histoire, se hausse ainsi au rang des plus grandes nations du monde.

Afin de mieux comprendre la Corée, le professeur étudie aussi la littérature de ce pays.

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ark Ji-Sung représente une figure emblématique du football coréen, de sorte que le transfert dont il a fait l’objet, à l’été 2005, entre les équipes néerlandaise du PSV Eindhoven et de Manchester United, a confronté

ses supporteurs coréens à un dilemme. Quoique désireux d’assister aux retransmissions télévisées en direct de ses matches au Royaume-Uni, il leur a fallu tenir compte d’un décalage horaire qui les contraignait à veiller, ce qui ne découragea pas les plus fervents, qui se comptent en nombre croissant et se résignèrent à attendre le lendemain pour mieux dormir. En outre, une rumeur absolument infondée prétendait que la célèbre équipe de Manchester United ne l’avait recruté qu’à la perspective de son potentiel commercial dans les pays d’Asie de l’Est, ce qui avait donné lieu à de vifs échanges en ligne conduisant au démenti de cette absurde hypothèse.

Le point de vue d’un entraîneurL’un de ceux qui ont alors dénoncé ces spéculations avec le plus de

vigueur est Sir Alex Ferguson, l’illustre entraîneur de Manchester United. Lors de l’émission « Séries de pre-mière division britanniques » diffusée au mois de mars 2010, les chaînes Euro Sports News et Sky Sports avaient classé Park Ji-Sung parmi les onze meilleurs milieux de terrain du pays. Présent sur le plateau de l’émission, Sir Alex Ferguson va alors déclarer que le joueur coréen avait été engagé exclusivement en raison de ses capacités, et non en vue d’inonder le marché coréen de maillots à son nom. Quelque temps plus tard, dans un article de l’Associated Press, il allait réaffirmer que ce n’était nullement sa valeur commerciale, mais son talent de milieu

offensif, qui était entré en ligne de compte dans la décision de l’embaucher. Il allait d’ailleurs s’étendre sur la forte impression qu’il produisait sur ses coéquipiers par sa maîtrise technique incontestée, son mental et son intelligence. L’entraîneur allait ainsi confier : « La première idée qui m’est venue à l’esprit, en le regardant jouer au PSV Eindhoven en demi-finale de la Ligue des Champions de 2005, c’est qu’il possédait une remarquable capacité d’analyse du jeu ».

Cet avis ne présentait en soi aucune nouveauté pour les admirateurs coréens de ce joueur qui a multiplié les prouesses. Né en 1981, c’est dès le cours primaire, à l’école Seryu de Suwon, que Park Ji-Sung va faire ses premiers pas dans ce sport. Aujourd’hui, une rue à son nom existe d’ailleurs dans cette ville, qui a aussi entrepris de nommer ainsi les locaux du club qu’elle est en train de mettre en place pour former la prochaine génération de footballeurs coréens. Le jeune

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En Asie, le célèbre joueur Park Ji-Sung a déjà fait son entrée dans la légende du football et son transfert dans l’équipe Manchester United fait la fierté de ses admirateurs coréens. Ces sup-porteurs espèrent que, fort de ses six années d’expérience en première division, il sera à même d’adopter un jeu encore plus dynamique lors de la prochaine saison. Aux yeux de son entraîneur, Sir Alex Ferguson, comme de ses coéquipiers, il devrait ainsi faire la démonstration de son effica-cité, sans pareille dans le monde, à la place de milieu offensif.

Jeong Yoonsoo Chroniqueur sportif et professeur au Département médias et communication de l’Université Sungkonghoe

Sur la Scène internationale

Park Ji-Sung, une vedette du football au mieux de sa condition physique et mentale

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1 Park Ji-Sung effectue une manœuvre, en dépassant John Pantsil, du Fulham FC, dans la deuxième série de matchs de la « Premier League » anglaise, lors de la saison 2010-2011.

2 Après avoir été nommé capitaine de l’équipe nationale coréenne pour la Coupe du monde de football de 2010, Park Ji-Sung s’est exprimé en son nom lors d’une conférence de presse qui se déroulait au Stade Nelson Mandela Bay.

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homme fera ses débuts dans l’équippe nationale coréenne en l’an 2000, alors qu’il étudie à l’Université Myongji. À ce propos, il est intéressant de noter les circonstances dans lesquelles il y fit son entrée. Ce joueur qui faisait alors figure de « tableau inachevé », dont ne voulaient ni les équipes professionnelles ni celles des uni-versités les plus prestigieuses, va un beau jour être remarqué par Huh Jung-Moo, qui entraînait alors l’équipe nationale en vue des Jeux olympiques de Sydney 2000. Outre son caractère travailleur et l’esprit de compétition qui l’anime, l’homme s’apercevra de sa capacité hors pair à briser les lignes de la défense, ce qui fera de lui le premier aspirant à la place d’ailier qui soit doté d’un mental d’attaquant.

Le corps et l’espritPark Ji-Sung fait l’admiration de tous par son endurance hors

du commun, qui lui a valu le surnom d’« homme aux deux cœurs », en raison de l’énergie inlassable avec laquelle il parcourt la pelouse pendant les quatre-vingt-dix minutes réglementaires, sans s’accorder le moindre répit. Lors d’examens réalisés, en février 2009, par l’Institut coréen des sciences sportives, il s’est avéré que ce footballeur possédait un rythme cardiaque de qua-rante battements par minute, que le marathonien Lee Bong-Ju est le seul à égaler en Corée, tandis qu’il varie entre soixante et quatre-vingts par minute chez le commun des mortels. Park Ji-Sung est ainsi en mesure d’atteindre une condition physique exceptionnelle qui lui permet de courir très rapidement sans s’épuiser. Quant à sa capacité vitale (VC) elle atteint un niveau supérieur à 5000 cc et dépasse donc largement les 3000 à 4000 cc que l’on rencontre habituellement. Toutefois, le football ne se résume pas à une course sur cent mètres ou à une épreuve de natation, car les joueurs peuvent à tout moment y affronter des situations très variées auxquelles la capacité physique ne permet pas à elle seule de réagir. Ainsi, la réussite d’une simple passe est subordonnée à une bonne coordination entre coéquipiers et à l’aptitude à esquiver les défenseurs qui, dans le camp adverse, manœuvrent constamment pour se placer en position avanta-geuse.

Avec son mètre soixante-dix-huit et son tour de torse de cent un centimètres, Park Ji-Sung possède indéniablement le physique du métier, mais la maîtrise du ballon rond n’en exige pas moins de perfectionner au mieux sa technique et de réaliser des manœuvres offensives à l’encontre de la défense. Lorsque

les supporteurs coréens ovationnent le joueur dès qu’il fait son entrée sur le terrain, muni de son brassard jaune de capitaine, ce ne sont pas seulement les qualités physiques qu’ils saluent en lui, mais aussi l’exceptionnelle capacité qu’il a de briser la défense de l’adversaire en raison de son analyse perspicace de l’évolution du jeu. Huh Jung-Moo, qui sélectionna voilà une dizaine d’années ce joueur encore méconnu pour l’intégrer à l’équipe nationale coréenne, et Sir Alex Ferguson, qui l’engagea dans l’équipe la plus prestigieuse au monde il y a cinq ans, ont l’un comme l’autre été impressionnés par l’étonnante capacité du joueur à déstabili-ser la défense par des incursions offensives.

Au mois de juin 2000, la remarquable qualité de son jeu allait d’ailleurs lui valoir d’être recruté par un club de football profes-sionnel japonais, le Kyoto Purple Sanga et par son travail au sein de cette équipe, alors reléguée en deuxième division de la J Lea-gue, lui permettre de se hausser en première division dès l’an-née suivante. Peu après, Park Ji-Sung connaîtra des moments d’euphorie bien mérités à l’annonce de sa qualification au sein de l’équipe nationale coréenne, au poste de centre, pour la demi-finale de la Coupe du monde de football de 2002. Guus Hiddink, qui entraîne alors cette formation, saura le convaincre d’entrer au club néerlandais du PSV Eindhoven.

Les liens étroits qui unissent ces deux sportifs sortiront renforcés de la rencontre qui opposera la Corée à l’Espagne, en quart de finale, où un tir réussi propulsera la Corée en demi-fina-le de cette grande compétition. Avant de marquer ce but décisif, Park Ji-Sung sera pourtant réticent à se charger de cette pénali-té, comme il le confiera à Hiddink, car cela ne lui était jamais arri-vé depuis ses débuts au lycée, ce à quoi l’entraîneur répondra : « C’est justement pour cela qu’il faut le faire. Si tu marques, tu auras un succès maximum !» et encouragé par ce défi, le joueur placera le ballon dans les filets.

Lors des matchs de la Ligue des Champions de l’UEFA, en 2005, Park Ji-Sung et ses coéquipiers du PSV Eindhoven fourni-ront l’une des prestations les plus mémorables de l’histoire du football néerlandais. À l’issue du match que cette équipe avait disputé à l’extérieur contre l’AC Milan, en demi-finale, elle avait eu à essuyer un échec en subissant le score de deux à zéro. Seul un miracle pouvait donc lui permettre de se qualifier en finale, à savoir une victoire lors du match suivant qu’elle allait jouer à domicile. Avant cette rencontre, le célèbre footballeur Johan Cruyff, aujourd’hui analyste sportif, avait prédit que si un tel revi-

Huh Jung-Moo, qui sélectionna voilà une dizaine d’années ce joueur encore méconnu pour l’intégrer à l’équipe nationale coréenne, et Sir Alex Ferguson, qui l’engagea dans l’équipe la plus prestigieuse au monde il y a cinq ans, ont l’un comme l’autre été impres-sionnés par l’étonnante capacité du joueur à déstabiliser la défense par des incursions offensives.

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rement devait se produire, il serait dû à Park Ji-Sung et celui-ci donnera raison à l’auteur de cet audacieux pronostic, tout au long de la première mi-temps de ce match décisif. Avant la fin de l’été, Sir Alex Ferguson, qui y a assisté, proposera au joueur d’entrer à Manchester United.

Manchester UnitedJoueur hors pair, Park Ji-Sung est renommé pour sa mobi-

lité incessante sur le terrain et autant ses mains ont une finesse et une grâce toutes féminines, autant ses pieds sont déformés, comme s’il avait travaillé des années sur un chantier. Sur la pho-tographie qu’en prendra Jo Seon-hee pour Elle Korea, en novem-bre 2002, on constate d’ailleurs qu’il ne leur reste plus d’ongles et que les métatarses sont décalés. La peau y présente en outre les traces de nombreuses blessures, tant anciennes que plus récen-tes, de petite ou de grande taille. Si les footballeurs souffrent pour la plupart des mêmes maux après des années de pratique de ce sport, Park Ji-Sung a su faire preuve de ténacité dans l’effort et d’une force de caractère indomptable avant de parvenir à la noto-riété, comme en apporte le témoignage cette photographie.

Cette évolution, du joueur inconnu qu’il était à l’occupant d’un poste clé au sein de Manchester United, revêt une dimen-sion symbolique d’une histoire coréenne moderne marquée par l’avènement simultané du développement économique et de la démocratisation. En effet, un tel parcours n’est pas sans évoquer l’extraordinaire essor qu’amorça le pays dans le domaine du bâti-ment et de l’industrie lourde, avant de se faire une place dans des secteurs de pointe tels que les TIC. Il est aussi une réminiscence de l’instauration de cette démocratie qui allait permettre à tout le pays de faire la démonstration de ses capacités.

Avant de jouer un rôle clé au sein du Manchester United, Park Ji-Sung a occupé le poste de capitaine de l’équipe nationale

coréenne. Il y a démontré un tel dynamisme pour repousser les offensives de l’adversaire et monter inexorablement au cré-neau que ses coéquipiers de la défense n’ont guère eu le loisir d’apercevoir son visage durant les rencontres. Au lendemain de la Coupe du monde de football de 2002, le nombre de terrains de football répondant aux normes internationales allait enregistrer une augmentation remarquable en Corée, grâce à la création de clubs en province et à la mise en place d’une gestion simplifiée des équipes professionnelles de division, ainsi que de l’équipe nationale. Tandis que nombre de joueurs coréens à l’avenir pro-metteur décidaient de poursuivre leur carrière à l’étranger pour y bénéficier de plus d’occasions à cet effet, tels Park Joo Young et Ki Sung-Yong respectivement partis pour le Brésil et l’Australie, il en était d’autres, comme Lee Cheong-Yong, qui n’allaient pas hésiter à arrêter leurs études pour se consacrer à ce sport.

Enfin, il convient de rappeler le premier succès qu’a rem-porté voilà peu l’équipe de football féminine, dans la catégorie des moins de dix-sept ans, lors du Championnat de la Coupe du Monde de la FIFA. Qu’ils soient hommes ou femmes, des champions en herbe prennent ainsi la relève de la génération représentée par Park Ji-Sung et ne pourront que bénéficier de l’amélioration des infrastructures et des facilités d’accès qui sont aujourd’hui une réalité en Corée, tout en prenant pour modèle le cas exemplaire de Park Ji-Sung, sachant que l’influence posi-tive qu’il exerce à ce titre s’est d’ores et déjà largement étendue à d’autres secteurs d’activités, par-delà la seule pratique de ce sport.

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Park Ji-Sung marquant un but pendant le match Corée-Grèce, le premier du Groupe B, lors de la Coupe du monde de football de 2010, au stade Nelson Man-dela Bay de Port Elizabeth.

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eScapade

Sur l’île de Jejudo, dont l’UNESCO a classé une réserve de biomasse, un site du patrimoine naturel et un parc géogra-phique mondial comportant neuf zones, notamment au Mont Halla et au Mont Seongsan Ilchulbong, c’est-à-dire du soleil levant, les touristes coréens accourent en nombre pour goûter aux joies d’excursions pédestres sur d’étroits sentiers de randonnée nommés « olle » qui parcourent la région.

Kim Hyungyoon Essayiste | Ahn Hong-beom Photographe

En cheminant sur les paisibles « olle » de Jejudo

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En cheminant sur les paisibles « olle » de Jejudo

n ce début d’automne, je pars pour l’île de Jejudo afin de la parcourir sans me presser, à pied, et à mon arrivée, je suis accueilli par un splendide ciel uniformément bleu, comme il

est courant d’en admirer à cette époque. Cependant, le soleil darde encore ses rayons avec force, comme en attestent les rochers brûlants qui ourlent le littoral, sans pour autant dissuader les pro-meneurs d’en parcourir les formations aux formes et dimensions aussi variées les unes que les autres. En y passant à mon tour, je me sens apaisé par la caresse de la brise sur mes joues et par le rythme entêtant du ressac, tout en cédant au charme d’un paysage toujours varié sous un ciel d’une beauté envoûtante, autant d’at-traits qui ne pourront que me séduire. Première île coréenne par ses dimensions, Jejudo constitue l’une des principales destinations touristiques du pays. Située au large de l’extrêmité méridionale de la péninsule, cette étendue de terre de forme ovale offre de multi-ples curiosités et activités de loisir qui bénéficient de ses origines géologiques à caractère volcanique et de son régime subtropical. Partout, elle offre à la vue un paysage changeant et réserve d’in-nombrables surprises qui éveillent le goût de l’aventure.

L’apparition des « olle »Voilà trois ans de cela, une native de cette île, que les Coréens

qualifient de mythique, allait entreprendre d’y faire aménager des sentiers de randonnée en bordure du littoral. Dans la plupart des cas, il s’agira en réalité d’une remise en état de pistes anciennes à l’abandon, balayées par les vents et envahies par la végétation. En compagnie de quelques amis, Suh Myung Sook va se lancer à la recherche de ces chemins oubliés dont elle rétablira les tracés pour les relier entre eux, ainsi qu’aux nouveaux tronçons qu’elle fera aménager. Cette idée de génie lui est venue en parcourant des chemins de France et d’Espagne lors d’un pèlerinage d’un mois jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle qui lui avait soudain fait retrouver l’envie de respirer les parfums et la brise de son pays natal. De retour en Corée, elle abandonnera la profession de journaliste pour entamer une vie nouvelle en redécouvrant les vieux sentiers d’autrefois.

C’est elle encore qui, après en avoir révélé le tracé, fera la première usage du vocable « olle », qui signifie « chemin étroit » ou « allée » dans le dialecte de Jejudo. Avec l’aide de ses compa-

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Randonneurs redescendant du Mont Songaksan par le sentier « olle » n°10 qui mène au port de Moseulpo.(Photographie : Jejuolle).

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1 Sur un tronçon de deux kilomètres, le sentier « olle » n°8 longe les abruptes falaises bordant la côte entre Jungmun-dong et Daepo-dong, deux quartiers de Seogwipo.

2 Le sentier n°7 permet de découvrir la colonne rocheuse naturelle de Woe-dolgae émergeant de l’eau sur la côte (Photographie : Jejuolle).

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gnons, elle commencera par dévoiler le tracé d’une piste de seize kilomètres de long, à laquelle succéderont bientôt deux autres qui porteront la distance de l’ensemble à quarante-six kilomètres. Plusieurs années d’activité sans relâche lui permettront d’en faire apparaître de nouvelles, qui composent aujourd’hui vingt-deux parcours différents d’une distance totale supérieure à trois cent cinquante-sept kilomètres. Longeant le plus souvent le littoral, les « olle » serpentent aussi au hasard de leur tracé dans les vil-lages, forêts ou montagnes, mais mènent invariablement en un point où s’unissent la mer et la terre, alors, tout en y cheminant, le marcheur se laisse envahir par cette douceur océanique si par-ticulière et bercer par le rythme régulier des brisants qui viennent heurter la côte sous le souffle incessant du vent.

Au premier jour de mon excursion, je vais parcourir treize kilomètres du sentier n°7 qui relie Woedolgae au port de Gajeong. Sur cette partie du littoral, tel un pilier de soutènement, la colon-ne rocheuse de Woedolgae émerge de l’eau, témoin discret du passage du temps, car vestige de l’éruption volcanique qui, voilà un million d’années, conféra à l’ensemble de l’île son apparence actuelle. Déjà intenses en cours de matinée, les rayons de soleil ajoutent encore à la chaleur qui règne sur cette côte rocheuse, sans parvenir pour autant à me décourager, pas plus que mes compagnons de route, car je ne peux détacher mon regard du paysage qui s’étend devant moi.

Sous l’objectif photographiqueJ’ai pris soin de me munir d’un appareil photo, car mes

activités de rédaction dans plusieurs magazines m’ont permis d’apprécier la beauté de la photographie, quoique n’ayant jamais pris l’initiative de la pratiquer moi-même. Il me semblait toujours que le maniement d’un appareil exigeait un degré de dextérité dont je me sentais dépourvu. C’est en prenant de l’âge que j’ai ressenti le besoin de relever le défi, comme nombre de person-

nes qui font l’acquisition d’un appareil. La facilité d’emploi des modèles numériques et l’absence de développement à réaliser n’ont fait que m’encourager sur cette voie. L’objectif transforme le simple fait de regarder en un acte plus réfléchi qui nous incite à une observation plus attentive, tout comme le mangeur prend le temps de bien mâcher les aliments. En présence de cette lumière qui se répand sur le paysage environnant, mes sens et ma sensi-bilité s’éveillent, ce qui a pour effet d’exacerber l’émotion, comme cela se produit d’ailleurs en l’absence de lumière, et je me réjouis d’avoir accompli cette première découverte grâce à l’objectif.

Le littoral méridional de l’île est bordé de formations rocheu-ses d’origine volcanique qui semblent autant de sculptures façon-nées par des bouleversements naturels. Ces blocs rectangulaires ou hexagonaux portant le nom de « jusangjeolli » furent créés par la lave d’une éruption qui, en se solidifiant, donna aussi naissance à une magnifique falaise. En observant celle-ci à partir d’une hau-teur, je suis frappé par l’étrangeté de ses différentes formes, qui m’incitent à en capter l’image par d’innombrables vues saisies à travers l’objectif.

Tout absorbé par la réalisation de ces nombreux clichés, je ne verrai pas le temps passer et prendrai du retard sur l’itinéraire que je me suis fixé. Assoiffé et harassé de fatigue, je ne progresse plus suffisamment vite et suis condamné à manquer la navette que je devais emprunter au terme de mon parcours. Je vais alors me résoudre à quitter le sentier pour me rendre au village le plus proche et prendre un taxi. Contrairement à ce qui se passe au Tibet ou à Saint-Jacques de Compostelle, il est toujours possible, où que l’on se trouve sur l’île de Jejudo, de revenir rapidement à la vie civilisée, car il suffit pour cela de téléphoner à une société de taxis radio qui enverra l’un d’entre eux retrouver le client en moins de trente minutes, sauf évidemment si l’on se lance à la conquête du sommet du Mont Hallasan. Pour les Coréens épris d’aventure, cette facilité peut évidemment paraître risible, mais

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les randonneurs les plus audacieux n’en sont pas moins incapa-bles de résister au charme des sentiers qui parcourent cette île volcanique.

Le Néerlandais HamelMa deuxième journée sera consacrée à une marche sur le

sentier n°10 qui longe lui aussi le littoral sud, mais cette fois-ci, entre la plage de Hwasun et le port de Moseulpo, son tracé quit-tant parfois la côte pour escalader de petites hauteurs ou traver-ser de vastes plaines. Je m’y accorderai un moment de détente à Yongmeori, un nom signifiant « tête de dragon », où s’étend un agréable paysage au pied du Mont Sanbangsan. Les lieux tirent leur nom de leur relief évoquant cet animal mythologique à la tête redressée, comme s’il allait plonger dans les eaux, ce dont je ne pourrai malheureusement m’assurer moi-même de visu. L’abrupte falaise de grès attire en revanche mon regard, avec son socle de dalles rocheuses et l’écume que produisent les vagues en s’écrasant infatigablement sur elles.

Sur la côte de Yongmeori, est amarré un vaisseau qui ne navigue plus, puisqu’il est destiné à commémorer le souvenir du Néerlandais Hendrik Hamel, dont le navire baptisé De Sperwer, c’est-à-dire l’épervier, se perdit corps et biens en mer au large de cette côte méridionale de Jejudo pendant sa traversée de Taïwan à Nagasaki, en 1653. Des soixante-quatre personnes qui se trou-vaient à son bord, trente-cinq survécurent en nageant jusqu’à l’île, dont Hamel, qui aux côtés de membres de l’équipage, allait être retenu en Corée et condamné aux travaux forcés. Parvenant à prendre la fuite en 1666, en compagnie de sept de ses compa-gnons d’infortune, il gagnera Nagasaki d’où il finira par repartir pour les Pays-Bas. À son retour, il retracera les treize années de sa vie en Corée dans un récit intitulé Hamel Pyorugi, qui appor-tera aux Européens un premier témoignage sur cette contrée

jusqu’alors inconnue.En cheminant par les « olle », le marcheur constate la pré-

sence régulière de traits bleus ou oranges, à différents inter-valles, ainsi que de flèches de la même couleur, qui constituent autant de repères indiquant le sens à suivre sur le sentier. De loin en loin, se dressent aussi des panneaux indicateurs où figure un petit carré blanc placé dans un rectangle plus grand, lequel sur-monte deux pieds bleus. D’aucuns y voient la représentation sym-bolique des chevaux qui se trouvent à Jeju, alors que j’avais cru y reconnaître un chien, mais le nom qui lui est donné est « ganse », qui signifie « paresse ».

Les rêves de Miramar

Enfant, aussitôt revenu de l’école, je m’empressais de lais-ser mon cartable à la maison pour descendre dans la vallée qui s’étendait derrière notre village. Dans l’eau du ruisseau, j’attra-pais les écrevisses qui se réfugiaient entre les cailloux, ainsi que d’autres espèces aquatiques, puis, au printemps, je cueillais des azalées que je rapportais fièrement à la maison. Un matin que la pluie venait de cesser, j’ai trouvé par terre une châtaigne dont l’écorce toute luisante à la lumière du soleil m’a semblé belle, mais jamais il ne m’arrivait alors de cheminer pour le seul plaisir de la marche.

Ce n’est que plus tard que j’ai vu en celle-ci un objectif et un sens, peut-être tout bonnement parce qu’elle me fournissait

Longeant le plus souvent le littoral, les « olle » serpentent aussi au hasard de leur tracé dans les villages, forêts ou montagnes, mais mènent invariablement en un point où s’unissent la mer et la terre, alors, tout en y cheminant, le marcheur se laisse envahir par cette douceur océanique si particulière et bercer par le rythme régulier des brisants qui viennent heurter la côte sous le souffle incessant du vent.

1 Les marchands proposent toute une variété de fruits récoltés dans la région, notamment ananas, fruits du dragon et mandarines.

2 Le Musée mémorial de Hamel rend hommage au capitaine néerlandais Hendrik Hamel, qui posa le pied sur le territoire coréen en 1653, après que son navire eut fait naufrage sur les côtes de Jejudo. De retour dans son pays, il rédigea une chronique qui permit aux Européens de découvrir la Corée.

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un exercice physique ou était bénéfique à ma santé, mais alors, en marchant dans un tel but, on s’éloigne de cette paresse que désigne le « ganse ». Si l’on chemine avec entrain, on en vient iné-vitablement à rechercher la vitesse, tandis qu’en le faisant avec lenteur, voire avec paresse, on tire moins bien parti des bienfaits de cette activité, sur le plan physique. Qui plus est, une vive allure ne diminue pas pour autant le plaisir que l’on ressent, car si l’on se déplace prestement, tout en se concentrant sur les mouve-ments de son corps et faisant aller les bras d’avant en arrière, on éprouve une impression agréable qui n’a rien de commun avec la paresse.

Voilà bien longtemps de cela, j’ai lu un livre intitulé Bea-chcombing at Miramar dont l’auteur, un New-Yorkais nommé Richard Bode, raconte qu’il a mis subitement un terme à sa vie mouvementée de journaliste de magazines pour partir sur la côte ouest des Etats-Unis. Il s’est alors exclusivement consacré à des marches sur la plage de Miramar, dont il a passé le sable au crible pour y découvrir des objets enfouis, non pas durant une

semaine ou un mois, mais tout au long d’une année, et corres-pond ainsi tout à fait à ce paresseux que désigne le dialecte de Jejudo par le terme « ganse dari ». En lisant ce récit, je me suis pris à rêver d’en devenir un moi aussi, un beau jour, pour flâner paisiblement sur la plage et ramasser des coquillages. Cette pensée qui m’a remis en mémoire mon enfance, où je poursuivais l’écrevisse entre les cailloux en oubliant tout des devoirs qui m’at-tendaient. Tout en ayant bien sûr conscience que cela n’est guère facile à réaliser, je n’en décide pas moins, en prêtant l’oreille à la rumeur du vent et des vagues, de prolonger mon séjour sur l’île d’au moins un mois pour y errer sans but sur ses plages.

De petites hauteurs bordant d’opulentes valléesL’un des itinéraires du sentier n°8 mène à une partie du litto-

ral bordée de collines entre lesquelles s’étalent des plaines aux vastes prairies où paissent les chevaux, jusqu’au pied des mon-tagnes plus hautes les plus proches. Au centre de l’ le, le Mont Hallasan, dont la base occupe une surface de 1 850 kilomètres

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Un groupe de randonneurs se détendant sur la plage de Hwasun, située à l’extrémité du sentier « olle » n°9 (Photographie : Jejuolle).

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carrés, culmine à 1 950 mètres d’altitude. Il s’agit d’un volcan relativement jeune, puisqu’il était toujours en activité il y a vingt-cinq mille ans, époque à laquelle il donna naissance à près de trois cent soixante volcans parasites qui se dressent aujourd’hui encore sur l’île. Ceux-ci comportent notamment le Mont Son-gaksan, que longe le sentier n°8 et qui, malgré sa faible altitude de cent quatre mètres, s’ouvre à son sommet sur un profond cratère. Trois mois auparavant, j’y avais déjà effectué une halte dans les brumes du petit jour, sans oser m’avancer jusqu’à ce trou béant. Du fond de sa vallée particulièrement encaissée, s’ étaient levées des nappes de brouillard pareilles à des nuages de cendre volcanique. Lors de la présente excursion, le temps s’avérera plus clément, ce qui me permettra d’atteindre le som-met pour mieux en obsever le cratère. Ce faisant, je remarque la terre rougeâtre qui compose celui-ci et les quelques arbustes qui émergent d’entre les rochers. Je n’aurai toutefois pas le courage de m’approcher de son bord, de crainte d’y être précipité.

Sur ce site, je ferai la rencontre de nombreux jeunes gens, de policiers arpentant les versants et de quelques citadines pourvues de sacs à dos de couleurs vives évoquant de minuscules fleurs sauvages, soleil radieux et vent dominant ne faisant qu’embellir le physique de ces personnes. Tandis que j’amorce ma descente, un vent fort commence à agiter la ramure des arbres, ainsi que les herbages émaillés de fleurettes jaunes et rouges qui se penchent en cadence sous son souffle, alors je les imiterai en me laissant

aller au gré de celui-ci. Mon parcours mène aux plaines situées en contre-bas, puis, par-delà un champ de pommes de terre, s’étend la mer, sur laquelle navigue lentement un grand bateau de plaisance, tandis que le soleil descend à l’horizon.

La « Forêt sacrée » de SaryeoniParvenu au troisième jour de mon périple, je quitterai le litto-

ral et m’enfoncerai dans l’arriere-pays pour y découvrir les forêts. Durant les deux journées précédentes, je me suis trouvé en com-pagnie d’une enseignante de collège et de sa fille de treize ans qui étaient venues de Séoul pour leurs vacances, mais avaient l’in-tention d’aller visiter la Forêt de Saryeoni le lendemain. Enchanté à la perspective de cette merveilleuse découverte des lieux dont avaient eu l’idée cette mère et fille aimant à marcher et parcourir la forêt ensemble tout en chantant, je décide alors de me joindre à elles. Le vieux bus dans lequel nous sommes presque les seuls à monter, à la gare routière de Jeju, nous conduira sur les lieux après avoir lentement traversé collines, villages et fermes, ainsi qu’à cette authentique forêt vierge de « Saryeoni » dont le nom signifierait « forêt sacrée » et qui recouvre les versants du Mont Hallasan, à près de cinq cents mètres d’altitude.

Outre une multitude de petits chemins tapissés de feuilles mortes, il existe, pour se rendre jusqu’à cette forêt, une route carrossable parsemée de scories rouges d’origine volcanique qui la font paraître plus accidentée encore. Sous la ramure, un par-fum agréable émane de différentes essences telles que le chêne Konara, le charme à feuilles rouges, le Styrax du Japon, le cor-nouillier à fleurs, le cyprès Hinoki et le cèdre du Japon. Vu dans le clair-obscur des bois, le ciel immense donne tout à la fois une sensation de vertige et une irrépressible envie de se plonger tout entier dans les merveilles de la nature. Sous l’entrelacs des plus hautes branches des cèdres, seule parvient la clarté éblouissante du ciel.

En quittant ces lieux au terme d’une balade de trois heures, je regretterais presque de n’avoir pas davantage pressé le pas, car, déjà, voilà le moment venu de remplir les estomacs vides. Pour ce faire, il me faudra patienter encore un peu, étant donné l’absence quasi totale d’installations, hormis des toilettes publiques et un parc de stationnement situé à proximité de l’entrée. Voilà qu’il me faut maintenant repartir, non sans m’être au préalable juré de revenir dans cette forêt sacrée, pour prendre un peu plus le temps d’y cheminer encore et point n’est besoin de poser la ques-tion pour savoir que mère et fille en pensent tout autant.

1 Le sentier n°8 aboutit à des hauteurs où paissent des chevaux d’une espèce propre à l’île, qui a été classée Monument naturel n°347 en vue de sa pro-tection.

2 Les statues dites « Dol-harubang », c’est-à-dire de grands-pères en pierre, constituent un véritable symbole de l’ le et représentent la principale curio-sité du du Parc de Pierre de Jeju.

3 Le sentier « olle » n°10 serpente le long d’une pittoresque falaise située au pied du Mont Songaksan (Photographie : Jejuolle).

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Par la diversité de ses couleurs et consistances, le « tangpyeongchae » symbolise cette harmonie politique à laquelle aspira un monarque de la dynastie Joseon, Yeongjo, car le mot « tangpyeong » désigne l’impartialité à laquelle il s’astreignit dans le choix des membres de son gouvernement.

Lee Jong-Im Directrice du Centre coréen de recherche alimentaire et culturelle

Ahn Hong-beom Photographe

utre le « tangpyeongchae », nombre de plats coréens comportent dans leur désignation le vocable « chae » qui signifie « légume », tels le « japchae », le « juksunchae » et le « gyeojachae », qui sont respec-

tivement des nouilles sautées aux légumes, des racines de bambou assaison-nées et des légumes frais à la moutarde accompagnés de bœuf et fruits de mer. Par extension, celui de « chaechida » désigne le fait d’émincer légumes ou fruits constituant les principaux ingrédients qui entrent dans la composi-tion de ces différents plats.

Aux sources du « tangpyeongchae »Le Dongguk sesigi, cet ouvrage de la dynastie Joseon qui répertorie des

informations relatives aux grandes fêtes de l’année, coutumes nationales et traditions alimentaires, associe l’origine du « tangpyeongchae » à la politique d’impartialité, dite « tangpyeong » adoptée par Yeongjo. Ce souverain qui régna à la fin de la première moitié de cette période dynastique procédait en effet à la sélection des membres de son gouvernement en se fondant exclu-sivement sur leurs compétences respectives, et non sur telle ou telle couleur politique. Par la mise en œuvre de ce principe, le monarque entendait faire régner l’harmonie entre ses conseillers et mettre fin ainsi aux conflits qui opposaient souvent les factions existant au sein de la cour, comme s’attacha lui aussi à le faire le roi Jeongjo, qui lui succéda sur le trône. Par sa composition rassem-blant des ingrédients aux couleurs, consistances et saveurs très diver-ses, à savoir une gelée légèrement sucrée de graine de soja, le « muk

Le « cheongpomuk », cette gelée de graine de soja, constitue le principal ingrédient du « tangpyeongchae » aux couleurs et consistances variées.

Le « tangpyeongchae », un plat symbolique et riches en couleur

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Le « tangpyeongchae » présente la particularité de se composer d’ingrédients aux couleurs, consistances et saveurs très diverses, à savoir d’une tendre gelée de graine de soja, le « muk », d’une goûteuse viande de bœuf, de pousses de soja qui craquent sous la dent, de persil au parfum agréable, et d’un assaisonnement à base de sauce de soja, auxquels s’ajouteront, au moment de servir, des feuilles d’algues séchées et grillées, les « gim », ainsi que de fines tranches de blanc et de jaune d’œuf frit appelées « jidan ». Particulièrement équilibrée sur le plan diététique, cette préparation peut aussi se consommer avec des boissons alcoolisées.

», une goûteuse viande de bœuf, des pousses de soja et du persil, la préparation culinaire dite « tangpyeon-gchae » évoque tout à fait ce principe du « tangpyeong » qui permit une coexistence pacifique entre les qua-tre groupes factieux en perpétuel affrontement pour s’assurer l’hégémonie du pouvoir.

La gelée de graine de soja ou « muk » Aliment spécifiquement coréen, le « muk » est

confectionné en faisant bouillir dans l’eau les gra-nules d’amidon présents dans les graines de soja, le sarrasin, les glands ou les grains de maïs, le jus obtenu se coagulant en une gelée en se refroidissant. Au « cheongpomuk » de graine de soja, caractérisé par sa tendreté et sa translucidité, s’oppose le savou-reux « memilmuk » de sarrasin, tandis que le « doto-rimuk » au gland présente une certaine amertume et que l’« oksusumuk » de maïs glisse dans la bouche comme les nouilles. Ces différentes gelées se servent découpées en cubes et assaisonnées de sauce de soja ou associées à d’autres ingrédients pour réaliser dif-férentes préparations.

Autrefois, leur consommation était fonction de la saison, c’est-à-dire que le « cheongpomuk » se mangeait habituellement au printemps, l’ « oksu-sumuk » en été, le « dotorimuk » en automne et le

« memilmuk » en hiver. La fabrication d’extraits en poudre réalisés à partir des végétaux frais en vue de leur conservation permet aujourd’hui d’en disposer à tout moment de l’année, le consommateur pouvant aussi se procurer ces préparations toutes faites au marché, y compris dans des pays étrangers où rési-dent de nombreux Coréens, de sorte que cela n’a plus vraiment de sens de parler aujourd’hui de « muk » de saison. Dans la recette du « tangpyeongchae » qui sera expliquée plus loin, le « cheongpomuk » aura été préparé à l’avance, comme suit.

Le « cheongpomuk »La graine de soja provient d’une plante annuelle

qui appartient à la famille des légumineuses et pré-sente un aspect comparable à celui du haricot rouge. De petite taille et de couleur verdâtre, elle renferme des acides aminés essentiels et un acide gras non saturé aux excellentes propriétés. Sa bonne digestibi-lité la rend bien adaptée à l’alimentation des person-nes souffrant d’hypertension, ainsi qu’à une meilleure assimilation de l’alcool.

Pour préparer le « cheongpomuk », remplir une casserole de cinq ou six verres d’eau pour un d’amidon de graine de soja et porter l’ensemble à ébullition, tout en remuant avec une cuillère en bois,

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Le « tangpyeongchae »

Ingrédients-250 grammes de « cheongpomuk », 80 grammes de culotte de

bœuf, 80 grammes de pousses de soja, 100 grammes de persil, 1

feuille d’algue (« gim »), ¼ de poivron rouge, 1 œuf, 1 cuillerée à café

d’huile et de sel

-Assaisonnement du « muk » : ½ cuillerée à café de sel, ½ cuillerée à

café d’huile de sésame

-Sauce pour l’assaisonnement du bœuf : 2/3

de cuillerée à soupe de sauce de soja, ½

cuillerée à soupe de sucre, 1 cuillerée

à café de rocambole émincée, ½

cuillerée à café d’ail émincé,

½ cuillerée à café de sel de

sésame, ½ cuillerée à café

d’huile de sésame, poivre

-sauce de soja et vinaigre :

1 cuillerée à soupe de

sauce de soja, 1 cuillerée à

soupe de vinaigre, 1 cuillerée

à soupe de sucre, 1 cuillerée à

soupe de sel de sésame

Préparation1 Séparer le jaune d’œuf du blanc, faire

frire les deux séparément en une couche fine que

l’on émincera.

2 Scinder le « cheongpomuk » en morceaux de 0,5 centimètre de lar-

geur sur 6 à 7 centimètres de longueur.

3 Faire bouillir les morceaux de « cheongpomuk ». Les retirer de

l’eau, arroser d’huile de sésame et saler.

4 Emincer le bœuf et assaisonner avec la sauce.

5 Faire sauter le poivron rouge émincé et le bœuf assaisonné à

l’huile.

6 Couper les pousses de soja. Blanchir deux minutes à l’eau salée,

puis rincer à l’eau claire.

7 Découper le persil sur une longueur de cinq centimètres. Blanchir

une minute à l’eau, puis rincer à l’eau claire.

8 Découper la feuille d’algue grillée en petits morceaux.

9 Placer le « cheongpomuk », le bœuf, les pousses de soja, le persil

et les poivrons rouges émincés dans un bol en assaisonnant avec

la sauce de soja et vinaigre. Ajouter l’algue grillée et les lanières

d’œuf. Prévoir un petit supplément de sauce de soja et vinaigre

dans un récipient pour plus d’assaisonnement.

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et continuer éventuellement de le faire cinq minutes encore jusqu’à obtention d’un jus d’amidon transpa-rent.

Dans certaines régions coréennes, le « cheong-pomuk » entre, pour une large part, dans la compo-sition du « bibimbap », ce plat de riz et légumes dont Michael Jackson fit l’éloge lorsqu’il visita la Corée et qui, aujourd’hui, représente avantageusement la gas-tronomie coréenne dans le monde grâce à ses hautes vertus diététiques.

Le « tangpyeongchae » représente une délicieuse alliance d’ingrédients aux couleurs, consistances et saveurs très diverses, à savoir d’une tendre gelée de graine de soja, le « muk », d’une goûteuse viande de bœuf, de pousses de soja qui craquent sous la dent, de persil au parfum agréable et d’un assaisonnement à base de sauce de soja, auxquels s’ajouteront, au moment de servir, des feuilles d’algues séchées et grillées, les « gim », ainsi que de fines tranches de blanc et de jaune d’œuf frit appelées « jidan ». Par-ticulièrement équilibrée sur le plan diététique, cette préparation peut aussi se consommer avec des bois-sons alcoolisées. Il convient d’ajouter qu’au persil, peuvent se substituer d’autres légumes tels que le poivron vert, le céleri, le poireau, le concombre ou la courgette.

1 Blanchir le persil à l’eau bouillante.

2 Faire sauter le bœuf assaisonné.

3 Pour simplifier, les ingrédients peuvent être mélangés dans un bol avant de servir.

3

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reGard eXtérieur

Reykjavik, le 4 Avril 2010, j’ouvre cette enveloppe que j’attends impatiemment et mon coeur stoppe quelques instants. J’ai en effet mon nouveau contrat sous les yeux signé de

mon nouvel employeur, nous partons donc en Corée pour un minimum de 5 ans.Tout le processus de négociation me revient à l’esprit mais aussi les discussions que

j’ai eues avec Susan, mon épouse, depuis les 5 derniers mois. L’école pour les enfants a été notre première préoccupation mais aussi le coût du logement, de l’électricité, le coût de la vie, la facilité de communication, l’aide pour la maison, les endroits pour se promener avec les enfants, les horaires de travail, le fameux ‘work life balance’, les déplacements et oppor-tunités de faire des WE intéressants. Puis sont venues les questions sur les clubs sociaux ou semi-sociaux, Rotary, y a-t-il de vrais clubs à l’anglaise, toast masters, clubs de dégustation de vin, et pour le squash comment faire ?

Ces questions s’étaient superposées et après une classification nécessaire j’avais appelé mon ami Shin Wook, qui vit à Ulsan car il a vécu a Séoul. Son amitié, typique de la fidélité coréenne, ressort dès mon appel et il m’informe rapidement sur les premières questions que nous nous posons. Agathe, une résidente française de plus de deux années, nous permet de finir la préparation à distance.

Ce sera donc une villa, pas de maison, trop chères, surtout en facture énergétique. Proche du quartier français, les enfants pourront aller à l’école française à pied. Les coûts de location sur les sites web ne sont pas à jour et il faut donc se fier à l’agence de location pour toutes les informations ce qui ne nous pla t pas. Avec une deuxième agence, nous pouvons faire levier et rapidement signer notre logement. Préciser tous les termes du contrat est pénible mais nécessaire nous prévient-on et bien nous en prend car il y a quelques surprises.

Je redécouvre les temps de trajets variables en fonction de l’heure d’arrivée ou de départ du bureau, du simple au double… les embouteillages sont en effet terribles !

Cependant la vie est agréable mais très chargée côté professionnel, assez typique de grande mégalopole. C’est exacerbé par les habitudes du pays où les sorties nocturnes sont très fréquentes et souvent bien arrosées. Nous avions ajusté le niveau de nos attentes person-nelles avant de partir d’Islande. Bien planifier son temps et garder des plages horaires pour pouvoir discuter spontanément avec ses équipes et résoudre les différents problèmes est un acte difficile. Il faut en plus que la famille s’accommode de ces changements et devienne plus flexible, même si cela implique l’annulation d’activités personnelles programmées.

Je compte déjà une annulation de concert, de belle dégustation de vin... Nous nous som-mes rattrapés depuis mais ça peut être stressant dans une relation de couple et c’est à gérer délicatement.

En revanche, quel plaisir de pouvoir choisir entre tous ces très bons concerts. Nous avions déjà apprécié les artistes coréens évoluant dans le domaine de la musique classique : Jo Sumi, Kathleen Kim, Kim Dong Gyu… Ils nous avaient donné envie de découvrir la richesse

Christophe Piganiol Directeur gênêral de Zuellig Pharma Korea Ltd

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Images d’un voyageur – Arrêt sur la Corée

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culturelle du pays. Après ces quatre premiers mois la qualité musicale et artistique que nous avons rencontrée est superbe : concert du G20, productions locales comme Nanta ou Jump. La créativité artistique explose nous dit-on et la qualité des productions permettrait sûrement une exportation facile non sponsorisée. J’imagine bientôt Jump à Paris, Londres ou New York sur Broadway !

Mes collègues m’étonnent par leur connaissance sur la France, nos célébrités musicales ou cinématographiques. Il y a certainement un lien secret avec l’Hexagone : est-ce les grands projets communs, KTX, Renault Samsung, Thales Samsung… les idoles sportives comme Park Joo-Young à Monaco pour le football, le talk show et la médiatisation de certains Fran-çais parfaitement intégrés localement ? Les intérêts économiques ont certes rapproché les peuples… mais après réflexions, je crois que mes collègues ont révisé leurs classiques ayant appris ma nationalité.

Ces derniers m’emmènent voir clients et fournisseurs qui ne parlent pas tous anglais mais acceptent de discuter et d’échanger même si je ne parle pas encore la langue. Ils osent faire le pas au prix de grands efforts ce qui était impensable lors de mes visites précédentes lorsque j’étais membre de l’équipe AP basée à Singapour (2002-2006)

Nous nous faisons souvent aider : dans le métro, au supermarché, sur la route… par des inconnus qui nous voient en difficulté, ce qui était aussi impensable il y a quelques années où l’on nous évitait.

Bien sûr il n’est pas toujours facile de faire ses courses, de trouver la marque à laquelle nous sommes habitués ou même les poissons que nous aimons manger, les légumes, les fruits. Il nous faut apprendre, donc on goûte, on fait des essais avec ces champignons faits à la vapeur sans beaucoup de goût ou ces poissons pas assez cuits. Cela fait partie du plaisir que l’on a lors de toute découverte de nouveau pays et on change ses habitudes de consommation pour s’adapter à son nouvel environnement.

Seorak-San, la merveilleuse, nous a servi de première escapade découverte à deux en octobre. Même si la peur des embouteillages a écourté le séjour et limité notre émerveille-ment, nous aimons fortement cette nature si belle pendant l’automne qu’on a envie de revenir pour voir si chaque saison sera aussi magnifique. Le site est bien préservé avec des vues époustouflantes pour les plus courageux. On sent le désir d’organisation et la volonté de don-ner du plaisir à tous quelle que soit la condition physique des visiteurs, un vrai régal !

Le pays s’est beaucoup ouvert par rapport à notre souvenir d’il y a un peu plus de 5 années. Cela a bien facilité notre arrivée et nous attendons avec impatience de mieux com-prendre la langue que nous étudions tous les deux pour encore mieux profiter de tous les aspects de ce beau pays accueillant. Les arts, la nature, la culture… tout un programme pour un voyageur qui a posé ses valises !

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vie quotidienne

Le « golf sur écran » prend son envol en CoréeLe « golf sur écran » remporte un succès considérable en Corée en raison du coût exorbitant de la pratique classi-que de ce sport, sans parler des difficultés de réservation des terrains, les Coréens étant toujours plus nombreux à adopter cette nouvelle activité virtuelle à la fois pratique et capable d’offrir des simulations de jeu sur quelques-uns des parcours les plus connus du monde.

Chung Jewon Journaliste au Joong Ang Daily

Ahn Hong-beom Photographe

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ites, chef, que diriez-vous d’une partie de golf virtuel, ce soir ? ». « Bonne idée ! Allons-y donc après le dîner officiel de l’entreprise ! Vous pourriez nous réserver les places...

». Aujourd’hui, il n’est pas rare d’entendre de tels dialogues entre des collègues de bureau, en raison de l’engouement que suscite la pratique du « golf sur écran ». Si salles de billard et de tennis de table voient actuellement leur nombre baisser, après avoir été les lieux de divertissement favoris des Coréens, les installations de golf virtuel connaissent au contraire un essor important.

Des applications technologiquesLe « golf sur écran » consiste en une simulation du golf clas-

sique dans l’univers virtuel, de sorte qu’il serait plus exact de parler à son propos de « simulation du golf », mais c’est sous cette première appellation qu’il est le plus connu, en raison de la manière dont on y joue, c’est-à-dire par envoi de la balle en direction d’un écran où des images représentent les trous. C’est au début des années 1990 qu’il a fait son apparition, grâce à l’ap-plication des techniques de la vidéo de simulation. Dans les pre-miers temps, il n’a toutefois pas séduit les golfeurs amateurs, car les techniques encore rudimentaires d’alors ne permettaient pas de reconstituer avec assez de précision le déroulement réel du jeu. À partir de l’an 2000, les technologies de simulation allaient enregistrer de tels progrès que les joueurs affirment aujourd’hui que le jeu virtuel est pour ainsi dire identique à la réalité, d’où son accueil enthousiaste dans le pays.

Âgé de quarante et un ans et travaillant dans une société d’investissement public, Shin Yong-hun est un adepte de cette activité, qu’il pratique à raison de trois ou quatre parties par mois et il formule l’avis suivant à ce sujet : « Le principal avantage de ce sport virtuel est son prix abordable. Le prix d’un parcours vir-tuel de dix-huit trous ne représente qu’environ un dixième de son équivalent réel. De plus, on trouve souvent un établissement où le pratiquer à proximité de son domicile ou de son lieu de travail, ce qui évite une perte de temps dans les transports. Si l’on joue au golf sur terrain en fin de semaine, il faut compter jusqu’à dix heures de disponibilité, trajets compris, tandis que l’on en passe moitié moins sur écran. ».

En conséquence, M. Shin joue maintenant une fois par mois, et non plus deux, sur un parcours classique, et pratique plus souvent cette activité dans des établissements de jeu virtuel. Il a même eu l’idée de rassembler d’anciens élèves du lycée, en par-tant du principe que l’atmosphère y était autrement plus saine et agréable que dans un restaurant ou un bar. Cette pratique permet de jouer en groupe, sans avoir à attendre les retardataires et tout

en consommant cuisine chinoise ou poulet frit livrés sur place et accompagnés de bière. De l’avis de M. Shin, pour chasser le stress, rien ne vaut une partie arrosée de cette boisson en com-pagnie de vieux amis.

« En Corée, bien des obstacles s’opposent à la pratique du golf classique, notamment son prix onéreux et le manque d’amabilité fréquent du personnel des parcours, ainsi que le petit nombre de parcours disponibles par comparaison avec celui des joueurs. Les jeunes comme moi ne sont guère prêts à débour-ser autant d’argent pour un accueil aussi peu chaleureux. Ces différents facteurs ont fortement contribué au succès du golf sur écran, où, en outre, point n’est besoin de porter une tenue de sport particulière, contrairement à ce qui se passe sur les par-cours réels. Il m’est arrivé de me voir refuser l’entrée à l’un d’en-tre eux, au motif que je portais des pantalons courts. En revanche, dans un établissement de golf sur écran, personne ne se soucie de la tenue vestimentaire. Toutefois, le plus intéressant est de pouvoir jouer à tout moment, que ce soit de bon matin ou à minuit passé. De plus, il n’y a pas à s’inquiéter des intempéries, des tem-pératures très hautes ou très basses, qui rendent peu praticable le jeu en plein air, mais ne limitent en rien les possibilités virtuel-les. C’est pour ces différentes raisons que j’aime beaucoup jouer au golf sur écran ».

De nouvelles habitudesLe « golf sur écran » s’accompagne d’un changement d’habi-

tudes chez les joueurs amateurs, tels les hommes d’affaires qui prennent leur pause-déjeuner dans les établissements spéciali-sés, où à l’issue d’une partie de six ou neuf trous, c’est le perdant qui invite les autres. Les installations situées dans les quartiers d’affaires du centre de Séoul proposent aujourd’hui des menus adaptés à cette clientèle qu’ils souhaitent attirer en plus grand nombre aux heures des repas. Ces derniers temps, on constate aussi que le personnel des bureaux a tendance à déjeuner en dix minutes d’un plat de nouilles ou d’un sandwich pour pouvoir jouer une partie de six ou neuf trous avant de retourner au travail, et ce pour la modique somme de quinze dollars.

Âgé de trente-sept ans, Kim Beom-su déclare ainsi : « Autrefois, le golf était réservé aux personnes fortunées, tandis qu’aujourd’hui, je peux y jouer aussi souvent qu’au billard. Il est inutile de s’équiper, car l’installation fournit les cannes, les gants et les chaussures. Il y a encore peu, le golf se regardait à la télé-vision, mais il est accessible à tous de nos jours. Si l’on joue une partie de six trous et que le perdant paie le repas, cela ne nuit en rien au travail et n’entraîne pas de gros frais.»

Aux heures de forte fréquentation, les réservations sont également indispensables pour pratiquer cette nouvelle acti-vité, comme cela est le cas à dix-neuf heures dans le quartier de Yeouido, ce « Wall Street » coréen, et il faut alors s’y prendre au moins une journée à l’avance pour espérer pouvoir jouer. La pratique de ce sport virtuel se répand aussi dans les résidences

Le golf virtuel, appelé en Corée « Golf sur écran », est particulièrement apprécié des travailleurs du tertiaire, qui le pratiquent souvent à l’heure du déjeuner.

«D

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en multipropriété et les stations balnéaires situées dans d’autres régions du pays, telle Haevichi, cette ville côtière de la commune de Pyoseon-myeon situé à Seoguipo, sur l’île touristique de Jejudo. Pour jouer en fin de semaine sur son terrain de « golf sur écran » à trois parcours, il est impératif d’effectuer une réserva-tion.

Dernièrement, les gérants d’établissements virtuels se sont employés à y apporter certaines améliorations susceptibles d’at-tirer les joueuses. Si les hommes jeunes forment incontestable-ment le gros de leur clientèle, les femmes se font aussi toujours plus présentes et c’est à leur intention que des établissements du centre de Séoul complètent leurs installations de salons de beauté et de manucure. Conformément à cette évolution, des quadragénaires ou quinquagénaires tiennent aujourd’hui dans ces lieux leurs réunions d’anciennes élèves, délaissant le cadre des restaurants. Après avoir joué une partie de dix-huit trous, elles peuvent, par exemple, s’offrir une séance de massage sans avoir à sortir de l’établissement. Kim Myeong-seon, une femme au foyer de quarante-six ans, confie ainsi : « Après une partie de « golf sur écran », je m’arrête chez la manucure pour un soin des ongles. Pour un prix modique, on peut ainsi jouer au golf, passer des moments agréables avec des amis et aller au salon de beau-té, de sorte que l’on fait d’une pierre, trois coups ».

Des installations accessiblesEn 2007, on comptait quelque neuf cents établissements de

« golf sur écran » en Corée, un chiffre qui a enregistré une forte progression puisqu’il atteignait trois mille en 2008, et plus de cinq mille en 2009. Aujourd’hui, ce sont près de six mille installations qui mènent des activités prospères dans tout le pays, les spé-cialistes estimant qu’environ quinze mille terrains de « golf sur écran » sont actuellement en exploitation. Qu’en est-il du nombre exact des adeptes ? Selon une enquête réalisée par Gallup Korea, au mois de mars dernier, il s’élèverait à neuf cent soixante mille personnes.

Selon la société Golfzon, qui figure parmi les plus importan-tes dans ce domaine, ce chiffre serait en réalité beaucoup plus élevé, puisque à ses dires, c’est en 2008 qu’il aurait atteint celui de neuf cent soixante mille, après quoi il serait passé à 1,27 million dès 2009, ce qui représenterait une croissance annuelle de 32%. Cette même entreprise prévoit en outre que le nombre de joueurs dépassera 1,72 million dès la fin de l’année en cours et, si cette tendance se poursuit, qu’il franchira le cap des vingt millions dans un proche avenir, supplantant ainsi le baseball professionnel en

popularité.En se fondant sur les montants versés par les joueurs aux

établissements de « golf sur écran », les recettes annuelles de ces derniers sont estimées à plus de six cent millions de dollars par an, ce chiffre passant même à un milliard si l’on y ajoute le prix des accessoires de golf et les frais divers. On constate en outre certains écarts en fonction de l’âge et du sexe. En effet, hommes et femmes représentent respectivement 74% et 26% de la clien-tèle, tandis qu’en matière d’âge, les quadragénaires sont les plus « mordus », puisqu’ils représentent 40% des joueurs, suivis des trentenaires, des jeunes gens d’une vingtaine d’années et des quincagénaires, dont les effectifs s’élèvent respectivement à 26 %, 16 % et 14%.

Parmi ceux qui se sont initiés à ce sport cette année, 58% ont réalisé un résultat moyen de plus de cent coups pour dix-huit trous, et 31%, une moyenne située entre quatre-vingt-onze et cent coups, de tels chiffres démontrant que les joueurs sont pour la plupart encore débutants. Il convient aussi de noter que 45% des personnes interrogées par Golfzon se disent tout aussi prêtes à jouer en semaine que les samedis et dimanches, seules 14% d’entre elles affirmant ne jouer que ces deux deniers jours, ainsi qu’en congé.

L’avenir du « golf sur écran »Le grand fabricant d’installations de « golf sur écran » Golfzon

organise et parraine le Golfzon Light Tournament (GLT), une sorte de tournoi qui oppose chaque mois les joueurs et leur permet de se faire un nom. Cette entreprise entend promouvoir cette mani-fesation dans le but de parvenir à attirer aussi les joueurs profes-sionnels, en proposant des trophées d’un montant aussi impor-tant que ceux du golf réel. Selon leurs prévisions, d’ici dix à vingt ans, les tournois virtuels coexisteront avec ceux de type classique et, détail non négligeable, offriront comme prix des sommes allant jusqu’à un million de dollars.

Kim Young-chan, qui dirige cette société et prévoit de réaliser cette année environ vingt milliards de dollars de chiffre d’affaires, se dit très optimiste quant aux perspectives qui s’ouvrent au « golf sur écran » : « L’évolution considérable des technologies vidéo permet aux joueurs d’aujourd’hui de pratiquer leur sport favori dans la réalité virtuelle, tout comme ils le feraient dans la réalité. Si l’Ecosse est le berceau du golf, la Corée sera un jour célèbre dans le domaine du « golf sur écran » pour lui avoir donné nais-sance, c’est pourquoi nous nous attachons à promouvoir cette forme de sport dans le monde entier. »

« Le prix d’un parcours virtuel de dix-huit trous ne représente qu’environ un dixième de son équivalent réel pour lequel, si l’on joue en fin de semaine, il faut en outre compter jusqu’à dix heures de disponibilité, trajets compris, tandis que l’on en passe moitié moins sur écran ».