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L. A. n° 4 : extrait du dernier chapitre de Pierre et Jean de Guy de Maupassant Corrigé du DS [Intro] [l’auteur et le mouvement littéraire] Guy de Maupassant est un écrivain réaliste et naturaliste. Ami de Gustave Flaubert et dÉmile Zola, il a publié six romans et plus de 300 nouvelles, souvent situés dans sa région natale la Normandie. Comme tous les auteurs de ces mouvements littéraires, cet écrivain dépeint la société de son temps en y exprimant sa vision personnelle des hommes, une vision sombre et pessimiste. C’est le cas de son roman Pierre et Jean , publié en 1888, dont l’intrigue a pour cadre la ville du Havre où vit la famille Roland. [Situation de l’extrait] Au terme d’une enquête qui lui a permis de percer un secret de famille douloureux pour lui, le personnage principal, Pierre Roland, s’apprête à embarquer en tant que médecin naval sur la Lorraine, un paquebot transatlantique qui relie la France à New York. Le navire, décrit dans le chapitre IX, évoque donc pour lui une sorte denferment puisque la traversée sera longue et une évasion puisqu’il quitte son milieu familial bourgeois pour vivre une aventure et découvrir d’autres horizons.③ [Présentation de l’extrait] Notre extrait propose une description du bateau visité par Pierre lors du départ au port du Havre. Il repose sur une antithèse car le narrateur évoque deux lieux très contrastés : le salon de la première classe où se reposent les gens riches, et l’entrepont où sont entassés des émigrants, en troisième classe. [Présentation de la question à traiter] Nous étudierons donc la manière dont Maupassant, dans ce roman réaliste, aborde la question de l’homme grâce à la description du paquebot, véritable microcosme de la société. [Annonce du plan] Nous verrons tout dabord comment le point de vue interne met en valeur la vision réaliste du paquebot ; puis nous montrerons que cette description prend finalement une dimension symbolique et propose une image contrastée de la condition humaine. II : Le point de vue interne de Pierre met en évidence sa découverte progressive du bateau (une description réaliste ) 1) La fébrilité du départ : une scène vivante, animée -> voyage dagrément pour certains (tourisme, affaires : « gens riches », « Anglais », « millionnaires ») ; émigration et misère/espoir dune vie meilleure pour dautres, les « émigrants », les « misérables ») => aspect documentaire du texte (à lépoque, forte vague migratoire : 34 millions d'Européens sont arrivés aux États-Unis au XIXe s., et ont voyagé dans des conditions très difficiles en 8 à 9 jours ; premier transatlantique parti du Havre, le Washington, en 1864 : voir doc ci-dessous) -> univers « cosmopolite » qui réunit toutes sortes de nationalités et de catégories sociales dans ce huis clos du bateau -> verbes daction à relever = mouvement qui traduit lagitation du départ -> gestes de salutation et préparatifs (participes présents : plusieurs actions simultanées) -> anxiété, peur inévitable liée au risques du voyage : « inquiets », « effarement », « cherchant leurs cabines »2) Le point de vue interne : un regard subjectif porté sur la réalité -> Pierre est un jeune médecin qui a quitté sa famille dans des conditions douloureuses, il fuit : sur la bateau, il se déplace, observe avec curiosité ce nouvel univers qui sera le sien => relever les verbes qui traduisent le fait que ses sens sont en éveil, et quil songe en observant, éprouve des sentiments = vision subjective du personnage et non pas neutre. 3) Le bouleversement progressif du personnage : une descente aux enfers -> au début du texte, aucun sentiment particulier de Pierre nest noté par la narrateur, mais à la ligne 13 il subit un choc, ce quexprime le verbe « il fut saisi » (voie passive) et à partir de là, des sentiments sont évoqués : lig 25, par ex. -> on peut employer limage dune descente en enfer en se référant à la ligne 12 : « descendit » et à la ligne 15 « souterrain obscur et bas pareil aux galeries de mines » -> on cache donc cette partie de lhumanité loin des lumières de la 1 re classe -> le réalisme est renforcé par lantithèse : « manger » (lig 8) / « faim » (lig 20), « maigre » (lig 19) TR : Le texte en effet est marqué par cette rupture qui oppose nettement deux mondes, celui des bourgeois et celui des miséreux, ici des migrants. II : Deux mondes s’opposent à bord du paquebot qui devient un symbole terrible de la société humaine (une description symbolique )

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L. A. n° 4 : extrait du dernier chapitre de Pierre et Jean de Guy de Maupassant

Corrigé du DS

[Intro] ① [l’auteur et le mouvement littéraire] Guy de Maupassant est un écrivain réaliste et naturaliste. Ami de Gustave Flaubert et d’Émile Zola, il a publié six romans et plus de 300 nouvelles, souvent situés dans sa région natale la Normandie. Comme tous les auteurs de ces mouvements littéraires, cet écrivain dépeint la société de son temps en y exprimant sa vision personnelle des hommes, une vision sombre et pessimiste. C’est le cas de son roman Pierre et Jean, publié en 1888, dont l’intrigue a pour cadre la ville du Havre où vit la famille Roland. ② [Situation de l’extrait] Au terme d’une enquête qui lui a permis de percer un secret de famille douloureux pour lui, le personnage principal, Pierre Roland, s’apprête à embarquer en tant que médecin naval sur la Lorraine, un paquebot transatlantique qui relie la France à New York. Le navire, décrit dans le chapitre IX, évoque donc pour lui une sorte d’enferment puisque la traversée sera longue et une évasion puisqu’il quitte son milieu familial bourgeois pour vivre une aventure et découvrir d’autres horizons.③ [Présentation de l’extrait] Notre extrait propose une description du bateau visité par Pierre lors du départ au port du Havre. Il repose sur une antithèse car le narrateur évoque deux lieux très contrastés : le salon de la première classe où se reposent les gens riches, et l’entrepont où sont entassés des émigrants, en troisième classe. ④ [Présentation de la question à traiter] Nous étudierons donc la manière dont Maupassant, dans ce roman réaliste, aborde la question de l’homme grâce à la description du paquebot, véritable

microcosme de la société. ⑤ [Annonce du plan] Nous verrons tout d’abord comment le point de vue interne met

en valeur la vision réaliste du paquebot ; puis nous montrerons que cette description prend finalement une

dimension symbolique et propose une image contrastée de la condition humaine. II : Le point de vue interne de Pierre met en évidence sa découverte progressive du bateau (une description réaliste) 1) La fébrilité du départ : une scène vivante, animée -> voyage d’agrément pour certains (tourisme, affaires : « gens riches », « Anglais », « millionnaires ») ; émigration et misère/espoir d’une vie meilleure pour d’autres, les « émigrants », les « misérables ») => aspect documentaire du texte (à l’époque, forte vague migratoire : 34 millions d'Européens sont arrivés aux États-Unis au XIXe s., et ont voyagé dans des

conditions très difficiles en 8 à 9 jours ; premier transatlantique parti du Havre, le Washington, en 1864 : voir doc ci-dessous) -> univers « cosmopolite » qui réunit toutes sortes de nationalités et de catégories sociales dans ce huis clos du bateau

-> verbes d’action à relever = mouvement qui traduit l’agitation du départ -> gestes de salutation et préparatifs (participes présents : plusieurs actions simultanées) -> anxiété, peur inévitable liée au risques du voyage : « inquiets », « effarement », « cherchant leurs cabines »… 2) Le point de vue interne : un regard subjectif porté sur la réalité -> Pierre est un jeune médecin qui a quitté sa famille dans des conditions douloureuses, il fuit : sur la bateau, il se déplace, observe avec curiosité ce nouvel univers qui sera le sien => relever les verbes qui traduisent le fait que ses sens sont en éveil, et qu’il songe en observant, éprouve des sentiments = vision subjective du personnage et non pas neutre. 3) Le bouleversement progressif du personnage : une descente aux enfers -> au début du texte, aucun sentiment particulier de Pierre n’est noté par la narrateur, mais à la ligne 13 il subit un choc, ce qu’exprime le verbe « il fut saisi » (voie passive) et à partir de là, des sentiments sont évoqués : lig 25, par ex. -> on peut employer l’image d’une descente en enfer en se référant à la ligne 12 : « descendit » et à la ligne 15 « souterrain obscur et bas pareil aux galeries de mines » -> on cache donc cette partie de l’humanité loin des lumières de la 1re classe -> le réalisme est renforcé par l’antithèse : « manger » (lig 8) / « faim » (lig 20), « maigre » (lig 19) TR : Le texte en effet est marqué par cette rupture qui oppose nettement deux mondes, celui des bourgeois et celui des miséreux, ici des migrants. II : Deux mondes s’opposent à bord du paquebot qui devient un symbole terrible de la société humaine (une description symbolique)

1) La description de la première classe : un luxe presque indécent -> un espace vaste : « grande », « indéfiniment », « longues », « illimitées », « vaste », « grands », « imposant » => par ces adjectifs et ces hyperboles, le narrateur insiste sur la démesure de cet univers bourgeois. -> des matériaux luxueux : « marbre blanc », « filets d’or », « luxe opulent », « velours grenat » => couleurs, confort, abondance + insistance sur la lumière -> une apparence qui évoque le château de Versailles avec sa Galerie des Glaces => le monde terrestre des riches est reproduit à l’identique sur ce bateau (lig 9-10) ; rien ne manque pour satisfaire leurs désirs ; les glaces soulignent le narcissisme de ce monde satisfait de lui-même. 2) Le comportement des nantis -> regard narquois du narrateur -> Les hyperboles soulignent un faste exagéré (d’ailleurs plus tard les compagnies maritimes feront faillite à cause de cette

surenchère de luxe -> et on pense en lisant ce texte au naufrage du très luxueux Titanic)

-> L’ironie du narrateur introduit une visée critique : « opulent et banal » + « satisfait l’œil » -> ces « gens riches » sont tellement habitués au luxe qu’ils n’y prêtent même plus attention ; peut-être Maupassant suggère-t-il également que ce luxe est un raffinement sans originalité, qui n’a rien à voir avec l’art (l’art dérange et n’a rien de banal, comme l’art des réalistes par exemple qui ont beaucoup choqué les critiques à leur époque) -> Par ce détail : des Anglais somnolent (lig 4), Maupassant montre qu’ils sont comme blasés par tant de luxe, ils s’ennuient. (contraste avec toute l’énergie déployée par les émigrants (début du 2

e §)

-> Le monde des riches est sans frontières : ligne 8-9 : l’auteur suggère que les clivages sociaux sont parfois plus marqués que les frontières entre États.

3) La misère des émigrants -> explosion de la douleur et de la révolte à la fin du texte -> Les émigrants sont animalisés (preuves à citer) : déshumanisation et humiliation (au sens propre ce mot signifie que l’on est rabaissé plus bas que terre) -> Leurs conditions de vie et d’hygiène sont lamentables (puanteur, faim…) mais les « gens riches », en haut, ne semblent pas touchés par la présence de cet autre monde que découvre Pierre, mais qu’eux ignorent. -> C’est une vision pathétique et tragique de l’humanité qui apparaît au fil du texte, vision insupportable pour Pierre (il fuit à la fin) => sentiment de désespoir et d’impuissance qui éclate dans ce monologue intérieur choquant = révolte du médecin incapable de sauver cette humanité déshéritée, ces « gueux ». => les souffrances intimes de Pierre, liées à l’héritage de son frère et au secret de sa mère, paraissent bien dérisoires comparées à celles des émigrants qui partent pour essayer de survivre à la misère qu’ils ont connue en Europe.

[Conclusion] ① [Bilan] Grâce à ce texte, nous voyons à quel point le roman réaliste est porteur d’un regard subjectif sur la société et suscite notre réflexion sur la condition humaine. Maupassant ne se contente pas de décrire simplement l’organisation d’un bateau transatlantique reliant à son époque Le Havre à New York. En mêlant le point de vue interne de son personnage et le point de vue omniscient, surplombant, du narrateur, il peint une scène vivante et réaliste du départ du navire, mais il présente aussi une image symbolique des clivages sociaux, sans pour autant donner une leçon au lecteur. Comme son personnage, le narrateur observe les hommes, il ausculte la société tel un médecin au chevet de son patient, et transmet cette vision avec son style personnel. Ici le lecteur ne peut qu’être touché par la révolte de Pierre saisi par le contraste violent entre ces deux humanités, contraste encore vivace aujourd’hui. ② [Ouverture 1] Ces mêmes sujets, les inégalités sociales, la misère des migrants, seront abordés plus tard au cinéma, sur le mode burlesque dans des films de Chaplin, comme La Ruée vers l’Or, The immigrant ou The Kid ou plus récemment sur le mode tragique, dans Rêves d'or (La jaula de oro) un film dramatique hispano-mexicain de Diego Quemada-Diez, sorti en 2013 qui retrace l’épopée malheureuse de trois jeunes migrants guatémaltèques rêvant eux aussi de gagner les États-Unis pour y trouver une vie meilleure. [Ouverture 2] On retrouve de nombreux points communs entre ce texte et celui de Le Clézio tiré de son roman Désert, qui figure dans notre corpus : la gare de Marseille est aussi un lieu symbolique, un microcosme, le rêve des migrants y est évoqué de la manière la plus tragique, et le point de vue interne se mêle également au point de vue du narrateur. Cependant le contraste n’est pas le même : chez Le Clézio, la noirceur des villes s’oppose au personnage lumineux de Lalla qui représente le désert, une nature éloignée de la civilisation urbaine, corruptrice et mortifère.

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