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L’ÉMERGENCE DE LA BIOÉCONOMIE EST LIÉEAU PROGRÈS SCIENTIFIQUE

Qu’est-ce que la bioéconomie ? On peut sans doute ladéfinir comme étant un système dans lequel les bio-technologies contribuent à une part significative de laproduction économique.Les biotechnologies, suivant la définition de l’OCDE,correspondent à « l’application de la science et de latechnologie à des organismes vivants, de même qu’à

leurs composantes, produits et modélisations, pourmodifier les matériaux vivants ou non vivants à desfins de production de connaissance, de biens et de ser-vices » [1]. Elles ont pris leur essor à la suite desgrandes découvertes de la seconde moitié duXXe siècle dans les domaines de la biologie et de labiochimie. Avec la découverte du code génétique, puisdes outils permettant de lire et de manipuler l’ADN,ainsi qu’avec la compréhension des phénomènes liés àla reproduction, se sont ainsi développées de nom-breuses applications du génie génétique et de la trans-génèse.Mais ce sont les avancées scientifiques majeures desdécennies 1990 et 2000 qui ont permis d’envisager unsaut quantitatif dans l’influence des biotechnologies

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La bioéconomieaujourd’hui,et ses perspectivesde développement

Prenant racine dans les spectaculaires découvertes scientifiques surle vivant de ces cinquante dernières années, la bioéconomie consti-tue l’un des secteurs de croissance les plus prometteurs duXXIe siècle. La nécessaire transition de notre système économiquevers plus de durabilité, un plus grand souci pour l’environnement etune moindre dépendance vis-à-vis des ressources naturelles offrent aux bio-technologies, qui sont au cœur de la bioéconomie, de nombreuses opportu-nités. Mais la réalisation de leur potentiel nécessitera la mise en œuvre depolitiques volontaristes, de façon à aplanir les obstacles qui en limitentactuellement le plein développement.

Par Frédéric SGARD* et Yuko HARAYAMA*

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* Direction pour la Science, la Technologie et l’Industrie-OCDE.

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sur l’économie. Le séquençage du génome humain etles progrès spectaculaires en matière de décodage etd’analyse des génomes, les découvertes sur les cellulessouches et leur potentiel, les formidables capacitésd’analyse de la bioinformatique, l’essor de la protéo-mique, de la pharmacogénétique, et plus générale-ment de l’analyse du vivant par des méthodologiesutilisées pour les systèmes complexes ou encorel’émergence de la biologie de synthèse ont révolution-né les approches traditionnelles des biotechnologies.Initialement largement axées sur les applications de lagénétique, les biotechnologies relèvent désormais derecherches multidisciplinaires prenant en comptel’ensemble des processus du vivant et leurs interac-tions avec l’environnement, leur donnant ainsi unéventail d’applications beaucoup plus large.La bioéconomie d’aujourd’hui regroupe les applica-tions des biotechnologies dans trois grands secteurs :l’agriculture, la santé et l’industrie.

L’agriculture

Les biotechnologies sont ici utilisées pour produire(productions animale et végétale). Elles s’imposentnotamment dans la sélection animale et végétale afin de

mettre au point de nouvelles variétés ayant des carac-tères améliorés, de nouveaux outils de diagnostic, ainsique des produits thérapeutiques ou vaccins pour le trai-tement et la prévention des maladies animales. La miseau point et le développement de plantes génétiquementmodifiées en constituent l’application la plus connue,mais cela ne concerne en réalité qu’un nombre limitéde cultures (soja et coton, principalement, dont lesvariétés transgéniques devraient constituer respective-ment environ 75 % et 45 % des surfaces cultivées pources espèces en 2015 [2]). La technologie de sélectionassistée par marqueurs (SAM), qui permet une sélec-tion des variétés présentant les caractères désirés parcroisement génétique naturel, une technique beaucoupplus rapide et fiable que les méthodes plus anciennes,est désormais très répandue. Cette technique concernenon seulement la plus grande majorité des nouvellesespèces végétales cultivées, mais aussi un nombre crois-sant d’espèces animales.

La santé

Les applications des biotechnologies apportent ici dessolutions à des problèmes majeurs dans trois domainesprincipaux : la thérapeutique, le diagnostic et la phar-

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« Les biotechnologies s’imposent notamment dans la sélection animale et végétale afin de mettre au point de nouvelles variétésayant des caractères améliorés, de nouveaux outils de diagnostic, ainsi que des produits thérapeutiques ou vaccins pour le traite-ment et la prévention des maladies animales. », arabette des dames, plante modèle pour l’étude de l’embryognèse et desmutations génétiques par le suivi des ARN messagers (marqueurs moléculaires).

© Edouard Golbin/Photothèque CNRS

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macogénétique. Dans le domaine thérapeutique, laproduction de produits biopharmaceutiques (vaccins,anticorps monoclonaux, hormones…) a connu uneprogression très importante ces vingt dernières années.La proportion de nouveaux composés biopharmaceu-tiques ayant reçu annuellement une autorisation demise sur le marché, par rapport à l’ensemble des nou-veaux produits, est passée de 2 % en 1989 à environ12 % depuis les années 2003-2005 [3]. En revanche,les biothérapies expérimentales (thérapies géniques, cel-lules souches, vaccins thérapeutiques, etc.) constituenttoujours une part très réduite des produits commercia-lisés. Par contre, dans le domaine du diagnostic, l’utili-sation de tests issus des biotechnologies, et notammentles tests génétiques, a connu une croissance très impor-tante ces dernières années. Celle-ci pourrait se pour-suivre avec le développement de la pharmacogénétique,qui s’intéresse aux interactions entre gènes et médica-ments et participe au développement d’une médecineplus personnalisée.

L’industrie

L’utilisation des biotechnologies pour la productionindustrielle de produits chimiques et de biomatériaux

s’envisage ici comme une technologie de substitutionaux procédés classiques. La production de composéschimiques (les biocarburants, bien sûr, mais aussi desspécialités chimiques, comme des enzymes, des sol-vants, etc.) par voie biotechnologique représentaitdans le milieu des années 2000 un peu moins de 2 %de la valeur de la production chimique mondiale(environ 1 200 milliards de dollars) [4]. Mais si cetteproportion ne s’accroît que lentement pour les com-posés chimiques de base, elle est en pleine croissancepour des produits plus spécifiques ou complexes, aupoint d’atteindre actuellement près d’un quart dumarché mondial [5]. La production de biocarburants(principalement l’éthanol) a aussi fortement augmen-té ces dernières années, mais elle demeure largementdépendante des politiques gouvernementales. Ledéveloppement de biomatériaux (biopolymères, bio-plastiques…), bien que représentant un marché glo-bal plus réduit, est, lui aussi, en forte croissance,notamment en raison des prix élevés des produitspétroliers depuis quelques années, mais ces biomaté-riaux ne représentent encore que moins de 1 % dumarché total des polymères.Bien que difficile à mesurer en raison de sa complexi-té et de l’absence d’indicateurs spécifiques pour cer-tains domaines, il est probable que le secteur biotech-nologies ne représentait dans le milieu des années

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« Les applications des biotechnologies, dans le domaine de la santé, apportent des solutions à des problèmes majeurs dans troisdomaines principaux : la thérapeutique, le diagnostic et la pharmacogénétique. », automate pipeteur-diluteur-distributeur uti-lisé pour la transfection automatisée de cellules (introduction d’ARN interférents), l’ensemencement de cellules et les testscellulaires et pharmacologiques.

© Hubert Raguet/Photothèque CNRS

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2000 qu’à peine 1 % du PIB des pays de l’OCDE. Enrevanche, la production primaire, la santé et l’indus-trie utilisant soit la biomasse soit des applications bio-technologiques totalisaient entre 5 et 6 % du PIB del’Union européenne ou des Etats-Unis, à la mêmepériode [6]. La valeur économique potentielle desbiotechnologies est donc largement supérieure à leurpoids effectif, ce qui justifie l’intérêt porté à la bio -économie, comme potentiellement créatrice de crois-sance et de valeurs.

UN POTENTIEL DE CROISSANCE IMPORTANT

L’intérêt pour la bioéconomie s’est renforcé ces der-nières années, en raison de plusieurs facteurs. En plusdes découvertes scientifiques et technologiquesrécentes, ce secteur bénéficie en effet des préoccupa-tions croissantes des gouvernants et du public enfaveur du respect de l’environnement. De plus, lesbiotechnologies retrouvent une plus grande compéti-tivité face à des produits ou procédés technologiquesconcurrents qui sont impactés par la hausse des prixdes matières premières.Dans le secteur de la production primaire, l’impor-tance des biotechnologies est non seulement liée à lanécessité de nourrir une population toujours plusnombreuse, mais aussi aux changements en coursdans les habitudes alimentaires des habitants de paysen développement. Dans le même temps, les terrescultivables sont déjà très largement occupées et souf-frent de dégradations environnementales liées auxpratiques de l’agriculture intensive, auxquelles pour-raient s’ajouter à l’avenir l’impact de facteurs clima-tiques nouveaux. La nécessité d’accroître les rende-ments agricoles sans nuire de façon prononcée àl’environnement milite en faveur d’une utilisationaccrue des biotechnologies dans ce domaine. Les cul-tures transgéniques de coton, de maïs, de colza et desoja devraient voir leurs surfaces cultivées progresserencore un peu, mais elles se heurtent à des opposi-tions croissantes de la part des consommateurs. Enrevanche, les autres variétés, dont les capacités derésistance aux maladies et aux ravageurs ou auxconditions climatiques ont été améliorées sans faireappel à la transgénèse, mais par le recours à d’autresbiotechnologies comme la SAM, devraient voir leurimportance s’accroître de façon considérable. Cesaméliorations devraient concerner non seulement lesgrandes cultures traditionnelles, mais aussi la plupartdes cultures à marché étroit, ainsi qu’un nombrecroissant de variétés d’arbres, pour ce qui concerne lasylviculture.Dans le domaine animal, la nécessité d’améliorer lesespèces non seulement de bétail, mais aussi de pois-sons pour l’aquaculture, dont l’importance va devenircroissante au fur et à mesure de l’épuisement des res-

sources halieutiques, devrait entraîner une utilisationaccrue des techniques de sélection améliorées.L’utilisation de systèmes de diagnostic plus perfor-mants dérivés des biotechnologies devrait aussi pro-gresser, parallèlement aux besoins d’accroissement desrendements aussi bien animaux que végétaux. À plus long terme, les biotechnologies pourraient per-mettre l’émergence de nouveaux produits, comme lesnutraceptiques, qui sont des aliments adaptés à despopulations spécifiques (par exemple, pour réduire lesrisques d’allergies alimentaires) ou ayant des effetsbénéfiques pour la santé. L’intégration de la produc-tion primaire dans la fabrication de composés chi-miques directement à partir de la biomasse, par l’in-termédiaire de procédés industriels intégrés, pourraitaussi constituer de nouveaux marchés importants.Le secteur de la santé demeure le premier secteur d’in-vestissement des biotechnologies en raison de la fortevaleur ajoutée de ses produits. Grâce aux progrès desconnaissances dans ce secteur porteur, la quasi-totali-té des produits thérapeutiques et une part importantedes dispositifs médicaux mis sur le marché dans lesprochaines années auront inclus les biotechnologiesdans leur phase de développement et utiliseront desprocédés de fabrication faisant appel aux biotechnolo-gies. Les perspectives de croissance de ce secteur sonttirées par le vieillissement de la population dans lespays développés (en 2020, les dépenses de santé dansles pays de l’OCDE hors Etats-Unis devraientatteindre 16 % du PIB, 21 % aux Etats-Unis [7]) etpar la demande des pays émergents.L’évolution des produits biopharmaceutiques, quisont technologiquement plus difficiles à produire queles petites molécules chimiques classiques, a étéencouragée par la nécessité de protéger de la copie lesnouveaux médicaments. Ces produits biotechnolo-giques sont aussi plus nombreux à proposer des amé-liorations thérapeutiques réelles, bien que leur misesur le marché soit ralentie par la complexité des essaiscliniques nécessaires à leur validation. Cette com-plexité est aussi à l’origine du retard pris par les bio-thérapies expérimentales dans leur mise sur le marché.Néanmoins, leur potentiel à répondre à des patholo-gies complexes leur ouvre des perspectives intéres-santes, et elles font l’objet de politiques publiques desoutien très importantes dans certains pays.Le développement de la médecine personnalisée, danslaquelle les traitements sont adaptés au profil géné-tique des patients, ce qui permet de réduire les échecsdans le développement des médicaments et dans leurutilisation, constitue un facteur de croissance impor-tant pour le diagnostic et la pharmacogénétique. Déjàlargement utilisé pour des maladies complexes commele cancer, ce type d’outils est appelé à se développerfortement s’il peut être démontré qu’un ratiocoût/bénéfice (entre le coût des tests et l’améliorationde l’efficacité des traitements et leur coût) est favo-rable pour les systèmes de santé.

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La production industrielle de composés par voie bio-technologique est encouragée par des préoccupationsenvironnementales, de durabilité et de réduction denotre dépendance vis-à-vis des ressources non renou-velables. Le développement de biocarburants à grandeéchelle, déjà dépendant du niveau des subventionspubliques, repose aussi sur de nouvelles avancées tech-nologiques (comme, par exemple, la conversion ligno-cellulosique) devant permettre l’utilisation de biomas-se à caractère non alimentaire. La production decomposés chimiques et de biomatériaux par voie bio-technologique présente, par contre, un potentiel decroissance plus élevé. Le caractère plus « propre » desprocédés de fabrication par rapport à la pétrochimie,le caractère renouvelable desdits composés et bioma-tériaux, le développement de nouvelles technologiesissues de la biologie de synthèse permettant la synthè-se de composés complexes, combinés à la hausse duprix des matières premières, constituent des facteursporteurs. Les prédictions américaines de croissancedes différents types de bioproduits dans le secteur dela chimie suggèrent un doublement de la part de ceux-ci dans le marché mondial d’ici à 2025 (voir letableau 1). À l’horizon 2030, les biotechnologies pourraient assu-rer de façon directe de 2,5 à 3 % du PIB des écono-mies de l’OCDE (contre à peine 1 % actuellement)[8]. Mais cette hypothèse est dépendante d’un certainnombre de facteurs décrits ci-dessous, qui peuventfortement influer sur le développement de la bioéco-nomie.

DES FREINS ENCORE TROP NOMBREUX

Un des obstacles au développement de la bioécono-mie est lié aux difficultés scientifiques et technolo-giques du travail sur le vivant. Comparées à d’autrestechnologies (comme celles de l’information et descommunications), les biotechnologies sont infini-ment plus chronophages. Ainsi, il a fallu attendre plusd’une vingtaine d’années avant de voir aboutir les pre-miers résultats concrets des thérapies géniques, etencore, celles-ci sont toujours restreintes à un nombrelimité de pathologies, et sont mises en œuvre quasi-ment uniquement par le secteur public. De la mêmefaçon, les espoirs mis dans le développement de thé-

rapies à partir de cellules souches sont encore loin des’être pleinement concrétisés.Dans le domaine des biocarburants, la recherche n’atoujours pas permis de trouver des solutions efficaceset rentables pour transformer en carburant les partiesligneuses et cellulosiques des plantes, ce qui limitesérieusement leur rôle potentiel dans le remplacementdes dérivés du pétrole. La durée moyenne entre unedécouverte et sa mise sur le marché, dans les biotech-nologies (notamment dans le domaine de la santé),varie entre 5 et 15 années, et elle va en s’accroissant[9]. Cela a un impact négatif sur le retour sur inves-tissement et explique la faiblesse relative de l’investis-sement privé dans ces secteurs (sauf dans le domainede la santé, où la forte valeur ajoutée des produits peutcompenser ces durées très longues). Un autre facteur important à prendre en considéra-tion est l’existence de produits ou de procédés concur-rents des biotechnologies. C’est particulièrement vraidans le domaine des productions industrielles, danslequel les biotechnologies doivent faire face à la chi-mie et à la pétrochimie classique, qui forment un sec-teur mature dominé par de très grandes entreprisesbien établies. Dans ce secteur, la capacité des biotech-nologies à se substituer à la chimie classique est limi-tée par leur capacité à investir dans des sites de pro-duction à grande échelle et à affronter la puissancefinancière de leurs concurrents.Pour ces raisons, le développement de secteurs clés dela bioéconomie est largement tributaire de l’environ-nement fiscal et régulateur dans lequel ils évoluent. Lacomplexité des mesures d’enregistrement ou de misesur le marché, les orientations plus ou moins rigou-reuses en matière de régulation environnementale,l’application de principes de précaution, l’existence derabais ou de surtaxes fiscales sont autant d’élémentsqui peuvent favoriser ou, au contraire, défavoriser lesproduits biotechnologiques. Or, non seulement cesenvironnements s’avèrent souvent différents d’un paysà l’autre, mais ils évoluent aussi rapidement dans letemps au sein de ces mêmes pays, voire des régions.Les biotechnologies ayant des temps de développe-ment longs, elles sont donc plus sensibles à ces varia-tions.Un dernier facteur à souligner est celui de l’acceptabi-lité sociétale des biotechnologies. Les technologiestouchant au vivant ont toujours suscité un question-nement de nature éthique et/ou sécuritaire. À ce ques-

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Tableau 1 : Parts de marché mondial des bioproduits chimiques 2010-2025.Source: USDA (2008) US Bio-based products market potential and projections through 2025.

Secteur chimique 2010 (% du marché) 2025 (% du marché)Commodités 1-2 6-10Chimie de spécialités 20-25 45-50Chimie fine 20-25 45-50Polymères 5-10 10-20

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tionnement se sont ajoutées, plus récemment, desconsidérations sur leur impact environnementalpotentiel. Ces questions d’acceptabilité sont très pré-sentes dans le domaine de la production alimentaire(OGM, clonage…) : les incertitudes concernant lesbiotechnologies portent sur l’impact potentiel desnouvelles technologies sur l’environnement et sur lasanté, mais se posent aussi des questions quant à l’ap-propriation de variétés ou d’espèces par un petitnombre d’acteurs économiques. Ces dernières années, ces incertitudes ont aussi affec-té le domaine de la santé. Dans ce secteur, des ques-tions éthiques se posent pour certaines technologies(notamment celles liées à la reproduction et à l’utili-sation des cellules souches). Mais, globalement, lasociété demeure très favorable au progrès technolo-gique pour le traitement des maladies. En revanche,l’utilisation de données génétiques en dehors dudomaine de la santé, et surtout les questionnementssur l’effet bénéfique réel de certains produits par rap-port à leurs effets secondaires et à leur coût élevé sontsusceptibles d’avoir un impact négatif sur l’innovationbiomédicale faute d’un contrôle plus efficient. Dans le domaine de la production industrielle, enfin,si le caractère « soutenable » des productions biotech-nologiques est un facteur très favorable par rapportaux concurrents chimiques traditionnels, l’éventuellecompétition entre production de nourriture et pro-duction de biocarburants, et le bilan énergétique réelde ces derniers entraînent actuellement une révisionprofonde des politiques et un retournement de l’opi-nion.En raison de ces différents facteurs et par rapport àd’autres nouvelles technologies, les produits issus desbiotechnologies se doivent de présenter une réellevaleur ajoutée sociétale (environnementale, parexemple) pour être acceptés, ce qui constitue une dif-ficulté supplémentaire pour le développement de labioéconomie.

RÉALISER TOUT LE POTENTIELDE LA BIOÉCONOMIE

Malgré les obstacles cités plus haut, le développementdes biotechnologies et l’émergence d’une véritablebioéconomie demeurent une ambition clé pour denombreux pays en raison des nombreuses potentiali-tés qu’offre cette dernière. Les solutions à de nom-breux défis liés à la dégradation de l’environnement, àl’épuisement des matières premières et à la santépublique reposent sur des innovations technologiquespermettant de créer de nouvelles ressources et unemeilleure utilisation des ressources existantes. Les bio-technologies peuvent contribuer aux solutions pources grands problèmes globaux, mais cela passe par despolitiques adaptées, à l’échelon national et global, afin

de permettre leur développement et leur mise enapplication.Un premier enjeu est celui du développement desinnovations biotechnologiques elles-mêmes. Les bio-technologies sont des technologies complexes, large-ment multidisciplinaires, qui s’accommodent mal demécanismes traditionnels de soutien public trop cloi-sonnés. Leur développement est devenu dépendant detechnologies convergentes (bio-, nano-, modélisation,etc.) qui nécessitent des programmes de financementet des ressources humaines appropriés. Les biotechno-logies constituent l’exemple type de recherches trans-lationnelles dans lesquelles l’ensemble du systèmed’innovation doit être intégré plutôt qu’éclaté entre demultiples acteurs, et ce afin de raccourcir les délais(actuellement très longs) qui existent aujourd’huientre une découverte scientifique et son applicationconcrète.En raison de la longueur de ces délais et de la com-plexité intrinsèque de ces technologies, les modèlesde développement (business models) traditionnels serévèlent eux aussi souvent insuffisants pour assurer ledéveloppement des biotechnologies. De nouveauxmodèles, comme ceux axés sur la gestion de porte-feuilles de titres de propriété intellectuelle, sur ledéveloppement de procédés intégrés ou sur l’identifi-cation du potentiel commercial des produits, pour-raient permettre un développement accéléré des bio-technologies en facilitant la diffusion des innovationset un étalement des risques et des besoins de finance-ment. Les commandes publiques, lorsqu’elles accom-pagnent ou promeuvent des exigences environne-mentales ou de soutenabilité par exemple, sont ellesaussi susceptibles de compenser les difficultés desentreprises de biotechnologie dans leur recherche definancements.Enfin, la réduction des incertitudes réglementaires etfiscales est une nécessité absolue pour le développe-ment de la bioéconomie. Il est également importantde veiller à ce que les systèmes d’incitation et deréglementation soient propices aux innovations radi-cales, même si celles-ci sont susceptibles de remettreen cause des technologies existantes, dès lors qu’ellesapportent un bénéfice sociétal important. C’est par-ticulièrement le cas dans le domaine de la produc-tion industrielle, mais ça l’est aussi dans le secteur dela santé (par exemple, en permettant un basculementdu financement vers la médecine préventive, plutôtqu’exclusivement vers la médecine thérapeutique).La bioéconomie ne réalisera pas automatiquementson potentiel dans les années à venir. Son succèsdépendra de politiques adaptées, d’aide à la rechercheintégrée, de soutien aux marchés, d’incitation auxinvestissements. La collaboration internationale seradéterminante dans le domaine réglementaire. Et undialogue mieux organisé doit être mis en place avec lasociété civile sur l’impact potentiel d’innovations dis-ruptives.

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BIBLIOGRAPHIE

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