La consultation des oracles en Egypte, du Nouvel Empire à ...michael.chosson.free.fr/article-oracle.pdf · divinatoires qui ont cours dans le monde méditerranéen. ... que la consultation

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  • La consultation des oracles en Egypte, du Nouvel Empire

    lpoque chrtienne*

    Michal Chosson

    La tradition des oracles en Egypte est un phnomne inhrent la pratique

    religieuse sur la terre de Kemi. Pourtant, elle est trs diffrente des autres coutumes

    divinatoires qui ont cours dans le monde mditerranen. Sa spcificit et sa longvit

    la rendent particulirement utile pour tudier la religion et la religiosit gyptiennes au

    cours des millnaires qui composent leur histoire. Rarement une religion a t autant

    lie avec une pratique divinatoire aussi populaire. Pour dfinir loracle, il faut tout

    d'abord le diffrencier de la prophtie. La prophtie peut tre analyse comme un

    acte linstigation de la divinit qui "souhaite" transmettre un message aux hommes.

    Pour cela, elle utilise un prophte. La prophtie est une sorte de prdiction, la

    rvlation d'un futur parfois lointain. L'oracle participe du principe inverse. C'est le

    fidle qui souhaite s'adresser la divinit. C'est de lui que vient l'initiative du contact

    en quelque sorte. Et l o la prophtie peut avoir un caractre gnral, l'oracle est

    d'une porte beaucoup plus rduite et d'un intrt rsolument pratique. L'oracle

    gyptien est galement diffrencier de l'oracle grec en ce sens qu'il ne s'agit pas

    d'un phnomne attach un lieu et une divinit unique (comme la Pythie de

    Delphes) mais quil connat une diversit bien plus grande tant dans les lieux que

    dans les divinits invoques.

    L'intrt premier accord aux croyances gyptiennes et leurs

    manifestations a pu faire croire que ce champ de la connaissance tait depuis

    longtemps puis. Il n'en est rien. Jaroslav Cern, charg de l'exploitation des textes

    non littraires lors du chantier de fouilles Deir El-Medineh dans les annes 1930 et

    1940, a mis la main sur une srie de tessons de cramique tranges. L'tude et la

    traduction des signes hiratiques (criture cursive drive hiroglyphes

    monumentaux) inscrits sur les ostraca (les tessons de cramique utiliss comme

    1

  • support lcriture) a permis de conclure l'existence de pratiques oraculaires au

    sein de cette communaut : les ouvriers de Deir el-Mdineh en appelaient

    rgulirement leur dieu tutlaire pour rsoudre des conflits grce ses dcisions.

    C'est au moyen des tessons de cramique que les ouvriers s'adressaient cette

    divinit. La publication de ce corpus fut permise par le Bulletin de l'Institut Franais

    d'Archologie Orientale ds 1935 et jusqu'en 19721.

    De nombreuses publications ont permis de dvelopper cet aspect de la

    recherche. On ne peut viter de mentionner le travail exceptionnel de Lucia Papini2

    qui propose une liste de tous les billets oraculaires connus de lpoque ptolmaque

    et romaine jusquau VIIe-VIIIe sicles, et des demandes rdiges en langue copte. De

    la mme manire, un ouvrage a rcemment abord cette question, non seulement

    pour l'Egypte, mais galement pour toutes les grandes puissances du pourtour de la Mditerrane3. Peu de temps aprs la publication de ce rapport de colloque en 1995, un article de Genevive Husson et Dominique Valbelle4, tente de synthtiser l'tat de

    la recherche sur les questions oraculaires.

    Cependant, face une telle richesse de publications sur ce thme, on ne

    peut que regretter l'absence d'une grande tude de synthse qui permettrait de

    mettre en lumire la complexit et les diffrentes ralits du phnomne des oracles

    gyptiens dans la longue dure. La difficult de runir des spcialistes des

    diffrentes priodes (Nouvel Empire, poques ptolmaque, romaine et byzantine) na

    pas permis la ralisation dun ouvrage traitant le phnomne oraculaire dans sa

    complexit chronologique. Le sujet de notre matrise a donc t choisi en ce sens

    avec laide de Melle Anne-Emmanuelle Vesse. Le corpus sur lequel repose le

    mmoire est compos d'une part des 95 ostraca dits par Cern5 ; d'autre part de

    61 papyrus dits au cours du XXe sicle dans des revues spcialises et des

    collections de papyrus6. Les origines de ces papyrus sont diverses mais la majorit

    proviennent des ncropoles du Fayoum, grande rgion agricole de lEgypte

    ancienne, o les cartonnages de momies ont fourni une documentation

    exceptionnelle7. Les tessons de cramiques sont dats par Cern de la XIXe la XXe

    2

  • dynastie (vers 1300 av. JC) ; le corpus de papyrus comprend quant lui des

    documents dats du IIIe / IIe sicle avant JC (pour le plus ancien) au VIe / VIIe sicle

    (pour le plus rcent). Il sattache essentiellement des documents dmotiques et

    grecs, et ne comprend pas ltude des billets coptes pourtant recenss par Lucia

    Papini8.

    Au terme dune anne de travail sur le sujet, nous avons pu faire le jour

    sur certains aspects de la consultation oraculaire. Nous avons tudi notre corpus

    selon les indications contenues dans le document mme. A partir des diffrents

    tessons et billets, il a t possible de travailler selon trois axes de recherche :

    lidentit des ddicants et la nature des motifs invoqus dans le contexte oraculaire ;

    les dieux appels rendre des oracles et la perception quen avaient les fidles ;

    lorganisation matrielle de la pratique et la place du clerg dans cette procdure.

    Ddicants et motifs Sur certaines pices du corpus apparat le nom du ddicant. La forme la

    plus rpandue de texte oraculaire se prsente comme-ci : "Au dieu Soknopaios et

    Amon Soukou(peios), et aux dieux associs. Aphrodisios demande si tu permettras

    que jpouse la fille de Srapiakos. Dis-moi cela"9. A partir de tous les noms prsents

    sur les billets et les ostraca oraculaires, il a t possible de dresser une liste des

    ddicants. A partir de cette liste, plusieurs lments ont pu tre mis en lumire.

    La participation aux oracles est, semble-t-il, exclusivement rserves aux

    indignes gyptiens durant le Nouvel Empire : dans le corpus de Deir el-Mdineh,

    seuls les Egyptiens ont accs loracle. A partir de larrive des Grecs au IIIe sicle

    av. JC, nous pouvons constater que le phnomne touche une population plus large.

    Les Grecs, aussi bien que les Egyptiens, utilisent les oracles indignes pour rsoudre

    leurs problmes et leurs conflits. Nanmoins, il faut se montrer prudent quant

    lutilisation de lonomastique gyptienne de lpoque ptolmaque : il est trs difficile,

    la lecture du seul nom, de dterminer lorigine de la personne. De nombreuses

    unions entre Grecs et Egyptiennes rendent difficile lidentification certaine de lorigine

    des personnes. Les noms grecs peuvent galement tre donns des Egyptiens

    3

  • aiss qui veulent tre assimils llite. On sait galement que les individus peuvent

    avoir deux identits diffrentes selon le cadre dans lequel ils voluent. Une mme

    personne peut tre connue par un nom grec et par un nom gyptien, selon quil se

    trouve par exemple en rapport avec ladministration hellnistique ou quil offre une

    stle votive un dieu indigne. Il est parfois plus facile de trancher quand le ddicant

    mentionne le nom de ses anctres : "A Soknopaios et Sokonpieios, grands grands

    dieux, de la part de Stototis, fils dApyncheos, fils de Tesenouphis : si je serai sauv

    de cette maladie qui est en moi : rponds-moi cela"10. On peut cependant conclure

    que la consultation des oracles touche aussi bien les Egyptiens indignes que les

    Grecs colonisateurs mais il ne faut pas tomber dans lexcs inverse et simaginer une

    pratique usurpe par la nouvelle lite grecque. Simplement, les conqurants ont

    trouv un systme religieux efficace et le parallle avec les oracles rendus par la

    Pythie de Delphes a pu rendre plus aise une participation cette pratique.

    Il convient galement de relever la place des femmes au sein de notre

    corpus : la mre de Tausorapis11, celle de Phanias12, Arsino13 ou la riche Nik14,

    toutes ces femmes ont un jour eu besoin de rencontrer leur(s) dieu(x) pour lui poser

    une question ou savoir quelle attitude adopter face une situation problmatique.

    Lexistence de ces femmes dans notre corpus prouve que la pratique oraculaire ne

    leur tait pas interdite. Elles avaient apparemment le droit aussi bien que les

    hommes de poser leurs questions lors des sances oraculaires. Le premier texte

    dans lequel le ddicant apparat expressment comme tant une femme15 est lun

    des plus anciens papyrus de notre corpus. Labsence de femmes dans les

    documents antrieurs celui-ci nest pas ncessairement le signe dune volution de

    la pratique, dabord interdite aux femmes puis peu peu autorise au cours des

    sicles suivants, mais constitue la plus ancienne attestation de leur participation aux

    oracles.

    Pour connatre lidentit et lorigine sociale des ddicants, le seul nom ne

    suffit pas. Les informations sont trop lacunaires et imprcises pour permettre den

    tirer des lments consquents. Cest ce moment que ltude des motifs vient

    notre secours. Pour des raisons chronologiques, il nous a paru ncessaire de mettre

    4

  • en place deux typologies des motifs : tout dabord, nous nous sommes attachs

    construire une typologie des motifs pour la communaut dartisans de Deir el-

    Mdineh car on peut considrer ce corpus comme relativement reprsentatif. Toutes

    les pices ont t retrouves sur le mme site et appartiennent la mme priode

    (XIXe XXe dynastie). Une deuxime typologie a t dresse partir des billets sur

    papyrus. De la confrontation de ces deux listes, il nous est apparu plusieurs

    caractristiques de loracle gyptien : Pour les artisans de Deir el-Mdineh, cest surtout dans une perspective

    sociale que loracle est utilis. On sen sert pour rsoudre des affaires de vol et de

    litiges, rgler des questions de proprit et dappartenance ou justifier de sa journe

    de travail : "Est-ce que lon fera que je devienne chef ? "16 ; "Les gens de larme

    lont-il vol (ou : pris) ? "17. Les intrts sont avant tout lis lorganisation de la communaut qui vivait lcart des institutions gyptiennes. Loracle pouvait tre un

    moyen rapide et peu onreux de rgler les diffrents conflits qui pouvaient natre

    parmi les artisans.

    Lutilisation des oracles par le reste de lEgypte montre une certaine

    diffrence. Ce ne sont plus les vols ou les questions de proprit qui sont au centre

    des intrts mais en majorit des questions portant sur le mariage et les voyages.

    Ces deux lments permettent de considrer lorigine sociale des ddicants : le

    mariage constitue un vnement important pour une famille qui a du bien. Il faut

    pouvoir sassurer un bon parti et bon nombre de questions tournent autour de cette

    problmatique : "Au trs grand et puissant dieu Soknopaios, de la part dAsklepiads

    fils dAreios. Sil ne mest pas donn de vivre avec Tepatheus, fille de Marris, et

    est-ce quelle ne sera pas la femme dun autre ? Rponds-moi et ralise pour moi cet

    crit. Tapetheus tait jadis la femme de Horion, lan 35 de Csar, 1 Pachn"18.

    Plusieurs prtendants semblent ici se disputer un bon parti, peut-tre une riche

    veuve. On voit apparatre aussi le terme de contrat19, preuve quil sagit dun mariage

    o les deux parties doivent dclarer par crit leurs biens personnels. De la mme

    manire, la prdominance des questions sur le voyage et la scurit sur la route

    montre que les ddicants des pices notre disposition ne sont pas des paysans

    5

  • mais plutt des voyageurs et des commerants. Bien souvent, les commerants

    cherchent attirer lattention du dieu sur leur voyage et garantir ainsi leur scurit :

    "De Soknopaios et Amon, Soukonpieios, grands dieux, Pallous vous invoque. Si tu

    me permettras de me rendre Pisas, donne-moi cela"20. De nombreux autres

    oracles aux motifs plus rares tendent galement prouver lorigine aise des

    ddicants ; il sagit de questions portant sur un sacrifice21 ou lachat dun esclave22 :

    ces activits ne sont pas la porte de tous.

    La consultation des oracles semble tre une pratique prise par les classes

    moyennes de la socit, artisans, commerants, lite grecque ou hellnise, plus quelle ne serait le reflet dune superstition de paysans "arrirs". La nature des dieux

    invoqus et les relations entre le motif et leurs pouvoirs respectifs dmontre

    galement un rapport complexe entre les divinits et les hommes.

    Les dieux oraculaires Notre corpus de papyrus est constitu des billets rcuprs en grande

    majorit dans les ncropoles du Fayoum. De fait, ce sont surtout les avatars du dieu-

    crocodile Sobek qui sont invoqus. Dans cette rgion marcageuse, les crocodiles

    trs rpandus ont incit trs tt les hommes vnrer un dieu qui serait le matre des

    sauriens.

    La varit des autres dieux invoqus est limage du panthon gyptien :

    nous retrouvons des oracles destins Amon, Isis, Harpebekis, Harpocrate (divinits

    drives dHorus), et aux Dioscures, Zeus et Srapis. Car mme les dieux grecs

    se sont assimils la forme indigne du culte. Les colons ont amen avec eux leurs

    propres divinits mais ils ont organis leur culte limage du culte indigne. Et lon

    remarque quil ny a pas de diffrence de questions entre celles adresses aux dieux

    gyptiens et celles adresses aux dieux grecs.

    Devant une telle diversit, on peut se demande si les fidles choisissaient

    entre plusieurs dieux pour rsoudre leurs problmes. A cette question, deux

    rponses sont possibles.

    6

  • Il est des cas o, effectivement, cest bien le rle thologique du dieu ou de

    la desse qui dtermine le choix du ddicant. Pour une maladie, on en appelle ainsi

    plus facilement Isis23 ou Srapis24, connus pour leur puissance contre les venins

    et les maux. La seule invocation de Touris, desse protectrice des accouchements

    et de lenfance, apparat dans un billet concernant lavenir dun enfant25.

    Mais dans dautres cas, la nature de la question nest pas dterminante

    pour le choix de la divinit. Ainsi, tous les ouvriers de Deir el-Medineh sadressent

    leur patron divinis Amnophis Ier quelle que soit la nature du problme : vol, litige,

    sacerdoce De mme, les habitants de Soknopaiou Nesos, o est vnr Soknopaios (un avatar local de Sobek), invoquent de prfrence leur dieu local plutt que le dieu dorigine au culte trs institutionnalis.

    On peut en dduire que la relation qui sinstaure entre les dieux oraculaires

    et les ddicants est une relation de proximit. La pratique oraculaire entre dans le

    cadre dune religiosit personnelle et non pas prive car elle sexerce au temple et

    souvent en public. Cette relation quasi personnelle avec les dieux est peut-tre

    lorigine de la prennit du phnomne, mme aprs linterdiction des religions

    paennes.

    Lorsque le christianisme remplace lancienne religion polythiste, la

    tradition des oracles se maintient. Ce ne sont plus les dieux qui sont alors invoqus

    mais les saints, en tant quintercesseurs auprs du Dieu unique : "O Dieu tout

    puissant, saint, vritable et misricordieux, Crateur, Pre de notre Seigneur et

    Sauveur Jsus Christ, rvle-moi la vrit qui est tienne, si ta volont est que jaille

    Chiout, et si je trouverai ton aide et indulgence. Quil en soit ainsi ; Amen"26 ; "Saint

    Cme et Saint Damien, si vous ordonnez [], fils de Gerontios de se laver, [que

    sorte ce billet]"27. Les modalits de la question oraculaire ne semblent pas connatre

    de bouleversements profonds : le support reste le mme (papyrus et, lextrme fin

    du VIIe sicle, un exemplaire sur parchemin), la forme de la question se maintient, le

    type de motif galement. L aussi, un saint connu pour ses gurisons miraculeuses

    sera plus souvent invoqu pour des questions mdicales : "O Dieu de notre

    protecteur Saint Philoxne, nous demandes-tu demmener Anoup lhpital ? Montre

    7

  • ton pouvoir et laisse cette prire tre accomplie"28. Notre corpus na pas intgr les

    questions oraculaires rdiges en copte ; lextension de ltude ces billets serait

    ncessaire pour pouvoir proposer avec plus de prcision une comparaison raisonne

    des questions oraculaires paennes et des questions oraculaires chrtiennes.

    La relation que le ddicant entretient avec les dieux peut tre qualifie de

    personnelle mais la mdiation du clerg nen est pas moins ncessaire : lui seul est

    capable de transmettre la question du fidle au dieu et, le cas chant, dinterprter

    sa rponse.

    La sance oraculaire, une institution sous le contrle du clerg Le billet oraculaire ne mentionne pas les rites pralables qui accompagnent

    sa prsentation au dieu. Ce nest pas le texte lui-mme qui peut apporter des

    informations. Pourtant, ces simples morceaux de papyrus ou tessons de cramique

    reclent de nombreuses indications qui permettent de comprendre ou du moins

    dapprhender le mode de fonctionnement de cette coutume, aussi bien lie au cadre

    dans lequel elle se pratique quau personnel charg de la mettre en place. La

    participation du clerg chaque tape est essentielle.

    Lorganisation de la consultation oraculaire prend vraisemblablement place

    au moment des processions de la statue du dieu29. Celle-ci, sortie

    exceptionnellement de son naos, est transporte sur une barque le long dun

    itinraire sacr. Le plus souvent, la procession suit le dromos, voie sacre qui mne

    au temple. Le trajet peut tre li la thologie du dieu et rejoindre le sanctuaire dun

    dieu associ. Des tapes sont tablies sur le parcours, matrialises par des

    reposoirs pour la barque. A chaque pause, les prtres pratiquent des rituels.

    Lexistence de ces pauses amne supposer que les demandes oraculaires du

    peuple qui venait trs nombreux assister ces rjouissances avaient lieu ce

    moment. La barque est immobile, les prtres brlent de lencens et font des offrandes

    limage du dieu. Les fidles masss en nombre autour du reposoir de la barque

    peuvent profiter de la halte pour poser leur question. Cette phase de la procession

    8

  • nest pas spontane mais entre dans le cadre du rituel tabli et contrl par les

    prtres. Les questions sur ostraca ou sur papyrus sont dposes au pied de la

    barque divine et les mouvements de celle-ci ressentis par les porteurs qui

    dterminent la rponse du dieu. Les questions sont poses de telle manire quun

    simple "oui" ou "non" suffit pour que la rponse soit intelligible. Un mouvement vers

    lavant signifierait "oui", un mouvement vers larrire, "non". Dans le cas de billets

    coupls (cest dire dont le texte prsente deux versions antithtiques dune mme

    proposition), il suffit la barque de pencher dun ct ou de lautre pour que le fidle

    sache quelle version est choisie par le dieu.

    La pratique stant rvle trs populaire, les processions nont pas t

    suffisantes et il a fallu mettre en place un systme permettant au dieu de rpondre

    aux questions plus souvent. Cest ainsi que sest dvelopp le systme de lorale du

    temple organis autour de billets coupls. Les deux versions taient dposes dans

    le naos du temple et y passaient vraisemblablement la nuit. Le lendemain, la version

    approuve pouvait tre remise au fidle par le prtre. La prsence de billets coupls

    remettre au prtre peut tre dduite du modle de formulation du billet : "Untel, si tu

    es daccord avec cette proposition, fais sortir ce billet". On pense galement que les

    structures de chapelles adosses larrire des temples pouvaient avoir des

    fonctions oraculaires30.

    La mission archologique qui travaille depuis 1994 Tebtynis et plus

    particulirement sur le dpotoir prs du sanctuaire de Soknebtynis a mis au jour un

    corpus indit de papyrus vraisemblablement issus des archives du temple31. 350

    papyrus crits en dmotique et en grec ont t retirs des gravats et parmi eux, plus

    de 250 papyrus oraculaires. La pratique des billets coupls est confirme par la

    dcouverte de plusieurs paires encore unies mais des formes moins traditionnelles

    de questionnement de la divinit sont apparues. Il peut arriver que trois ou quatre

    papyrus interviennent dans le cas dune affaire de vol, par exemple. Le texte des papyrus prsents par une seule personne ne diffre que sur un seul point : le nom

    des suspects. Dans le cas o plusieurs individus sont souponns davoir commis un

    9

  • dlit, la victime du vol peut donc amener devant le dieu un nombre de billets

    quivalent au nombre des individus incrimins.

    Sur dautres billets, en lieu et place de la traditionnelle forme tripartite du

    billet oraculaire se trouve uniquement la mention dun objet vol et le nom du

    suspect. Ou encore, certains billets ne font apparatre que le nom du suspect. Ces

    textes trs courts parlent en faveur dune rdaction payante, dont le prix varie au

    prorata de la longueur de la demande. Des documents encore plus significatifs

    existent dans ce lot. Des individus aux moyens limits peuvent mme renoncer au

    texte crit : des papyrus rouls et scells ont t retrouvs vierges de toute criture.

    Parfois, un simple trait dencre ou une croix marquait le papyrus. Ces billets ont t

    retrouvs avec les autres documents du temple. Bien que non crits, ils sont

    cachets et ficels comme les autres demandes, ce qui indique quil sagit de

    demandes doracle. Ils apportent la preuve que lon peut adresser au dieu un doublon

    de billets compos dun papyrus vierge et dun papyrus marqu dun symbole simple

    et convenu. Le ddicant accorde chacun des documents la signification quil veut.

    Malgr la forme trs concise des documents et le peu de renseignements

    directs quils apportent sur les ddicants, la quantit dostraca et billets retrouvs

    depuis une soixantaine dannes permet de dvoiler un pan entier des pratiques

    religieuses du peuple gyptien, mme aux poques grecque, romaine ou chrtienne.

    Llment essentiel de cette analyse reste la perptuation de la pratique dans les

    formes quelle utilise et la fonction quelle maintient au cur de la socit : les motifs

    invoqus dans les demandes oraculaires sont toujours les mmes, quelles que soient

    les poques ou lidentit des ddicants. Cette caractristique nest pas lie

    uniquement la culture gyptienne puisque les Grecs ont adopt trs facilement ce

    systme de communication avec le divin. Ce rapprochement nest-il d qu la

    proximit entre les deux religions polythistes dont lassimilation de certains dieux est

    tablie par Hrodote ds le Ve sicle avant JC ? La pratique oraculaire a perdur

    chez les partisans du christianisme naissant qui, en respectant les donnes

    10

  • thologiques essentielles du monothisme, ont intgr dans leurs pratiques rituelles

    les plus essentielles cette particularit hrite des temps paens.

    Les oracles nont pas fini de servir de futures tudes. La recherche a

    encore de nombreux aspects auxquels sattacher : comment est ne une telle

    pratique ? quelles en sont les premires et les dernires occurrences ? Un corpus

    plus consquent permettrait en outre de vrifier sil existe une dichotomie entre la

    ville et la campagne, si les motifs peuvent nous renseigner davantage sur lorigine

    sociale des ddicants Il faut esprer que la publication des papyrus de Tebtynis

    trouvs rcemment permettra de complter grandement les connaissances

    existantes. Runir autour de ce thme une quipe interdisciplinaire serait sans doute

    la cl dune comprhension plus fine du phnomne de la consultation des oracles.

    Marne la Valle

    Michal Chosson

    * Lintgralit de notre mmoire de matrise peut tre consulte ladresse suivante :

    http://oracle.egyptien.free.fr/ 1 Cern, J., "Questions adresses aux oracles", BIFAO 35, 1935, p. 41-58, "Nouvelles srie de questions adresse aux oracles", BIFAO 41, 1942, p. 13-24 et "Troisime srie de questions adresse aux oracles", BIFAO 72, 1972, p. 46-69. 2 Papini, L., "Domande oraculari : elenco delle attestazioni en greco ed in copto", Analecta Papyrologica 4, 1992, p. 21-27. 3 Oracles et Prophties dans l'Antiquit, Actes du Colloque de Strasbourg, 15-17 juin 1995, Universit des Sciences Humaines de Strasbourg, Paris, 1997. 4 Husson, G. et Valbelle, D., "Les questions oraculaires d'Egypte. Histoire de la recherche, nouveauts et perspectives", Egyptian Religion, The last thousand years. Studies dedicated to the Memory of Jan Quaegebeur, Orientalia Lovaniensia Analecta 85, Louvain, 1998, p. 1055-1071. 5Cern, J., op. cit. 6 Voir bibliographie sur Internet 7 Si la plupart des textes sont de nature administrative ou marchande, comme il peut s'agir de lettres prives, on a parfois la chance de tomber sur les archives d'un temple rcupres par les embaumeurs. On peut aussi bien, lors de fouilles proximit d'un sanctuaire, dcouvrir les textes liturgiques et les papyrus sacrs mis au rebut lors de la fermeture du temple. 8 Papini, L., op. cit. 9 P. Kln IV 201 10 BGU I 229 11 PSI Congr XVII 14, 3 12 P. Oxy. VIII 1148 13 P. Oxy. XXXI 2613 14 P. Oxy. VIII 1149 15 PSI Congr XVII 14, n3 (IIe-Ier sicle avant JC)

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  • 16 O. IFAO 720 17 O. Bruxelles Muses Royaux du Cinquantenaire inv. E 317 18 W. Chr. I,. 122 19 P. Oxy. VIII 1148 20 P. Stras 352 21 P. Oxy. VI 923 22 P. Oxy. VIII 1149 23 P. Mich inv. 1258 24 P. Mnch III 117, P. Oxy. VI 923, P. Oxy. VIII 1148 et 1149, P. Oxy. IX 1213, P. Oxy. XXXI 2613, P. Oxy. XLII 3078 25 PSI XVII Congr. 14, n3 26 P. Oxy VI 925 27 P. Amster inv. 88 28 P. Oxy VIII 1150 29 Sauneron, S., Les prtres de lancienne Egypte, 2me d., Persa, 1988 30 Quaegebeur, J., "Tithoes, dieu oraculaire", Enchoria 7, 1977, p. 103-108a 31 Gallazzi, C., "Umm el Breigt (Tebtynis) : campagne de fouilles de 1997", Annales du service des Antiquits de lEgypte LXXVI, 2000-2001, Imprimeries du C. S. A., Le Caire, 2001, p. 31-44

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