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La crise de l’autorité Le slogan de mai 1968 « la barricade ferme la rue, mais ouvre la voie » illustre bien cette idée de crise de l’autorité. L’autorité vient du mot latin « augere » d’où provient également le terme « auctoritas » qui signifie augmenter. Il y a un certain nombre de qualités qui vont venir donner du poids à une personne, elles peuvent venir du passé comme pour le monarque, de vertus publiques ou de succès à la guerre ou électoraux. C’est le sens premier de ce verbe latin. Les manifestations de la contestation de l’autorité sont nombreuses dans nos sociétés comme l’illustrent les explosions de violence dans les banlieues, ou toute manifestation de rejet d’un système fondée sur une autorité. Jusqu’à une date assez récente, toute la logique de nos sociétés : vie politique, morale, scolaire, et religieuse, consistait à immerger l’individu dans des règles uniformes, c’est à dire extraire autant que possible de nos modes de raisonnement, toute expression singulière. Il s’agit de noyer les particularités dans un corpus de règles générales, de lois homogènes et qui se veulent universelles. Cela renvoie à la volonté générale, conventions collectives, à l’idée de soumission de l’individu à la loi. Dans nos sociétés, jusqu’à peu, toutes ces valeurs individualistes ont été encadrées par un certain nombre de systèmes d’organisation. Et puis, on a assisté à un ébranlement de la société, à une modification des mœurs, à la naissance d’un individu contemporain, à de nouveaux modes de socialisation qui, finalement, préfèrent penser que l’autorité est aujourd’hui en crise. Les signes existants manifestent d’un effacement de l’autorité en tant que productrice de sens social. C’est tout ce qui relève de la désaffection idéologique et politique. C’est ce phénomène d’érosion d’un certain nombre d’identités sociales, et cela va de pair avec la déstabilisation du corps social, et si l’on y est sensible, c’est aussi constater cette privatisation de l’intérêt public. 1

La crise de l'autorité

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M. Boulanger par Cécile Martin

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La crise de l’autorité

Le slogan de mai 1968 « la barricade ferme la rue, mais ouvre la voie » illustre bien cette idée de crise de l’autorité.

L’autorité vient du mot latin « augere » d’où provient également le terme « auctoritas » qui signifie augmenter. Il y a un certain nombre de qualités qui vont venir donner du poids à une personne, elles peuvent venir du passé comme pour le monarque, de vertus publiques ou de succès à la guerre ou électoraux. C’est le sens premier de ce verbe latin.

Les manifestations de la contestation de l’autorité sont nombreuses dans nos sociétés comme l’illustrent les explosions de violence dans les banlieues, ou toute manifestation de rejet d’un système fondée sur une autorité. Jusqu’à une date assez récente, toute la logique de nos sociétés : vie politique, morale, scolaire, et religieuse, consistait à immerger l’individu dans des règles uniformes, c’est à dire extraire autant que possible de nos modes de raisonnement, toute expression singulière. Il s’agit de noyer les particularités dans un corpus de règles générales, de lois homogènes et qui se veulent universelles. Cela renvoie à la volonté générale, conventions collectives, à l’idée de soumission de l’individu à la loi. Dans nos sociétés, jusqu’à peu, toutes ces valeurs individualistes ont été encadrées par un certain nombre de systèmes d’organisation.

Et puis, on a assisté à un ébranlement de la société, à une modification des mœurs, à la naissance d’un individu contemporain, à de nouveaux modes de socialisation qui, finalement, préfèrent penser que l’autorité est aujourd’hui en crise. Les signes existants manifestent d’un effacement de l’autorité en tant que productrice de sens social. C’est tout ce qui relève de la désaffection idéologique et politique. C’est ce phénomène d’érosion d’un certain nombre d’identités sociales, et cela va de pair avec la déstabilisation du corps social, et si l’on y est sensible, c’est aussi constater cette privatisation de l’intérêt public.

Il y a donc un espèce d’effondrement de la « civitas », ce sens de l’intérêt public, qui s’explique sans doute par une certaine déligitimation de l’autorité. On assiste à un décain des moyens institutionnels de régulation sociale qui, finalement, favorisent le recours à la force. On assiste également à un recentrage des individus sur des intérêts « miniaturisés » qui, évidemment est porteur d’un certain nombre de menaces notamment, pour la cohésion du lien social.

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Le déclin de l’autorité résulte de la prolifération de mécanismes collectifs qui sont inopérants à pacifier le corps social. Le recentrage sur les individus « miniaturisés », ciblés, qui s’effectue en réaction au déclin de l’autorité n’est pas sans danger pour la cohésion sociale.

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Le déclin de l’autorité résulte de la prolifération de mécanismes collectifs qui sont inopérants à pacifier le corps social.

Le système social est aujourd’hui en crise au regard de l’institutionnalisation de la solidarité et de cette miniaturisation des intérêts.

Depuis 30 à 40 ans, nos sociétés, pour mieux protéger l’individu, l’ont de plus en plus encadré dans des dispositifs collectifs. On reconnaît là, notamment tout ce qui relève de l’interventionnisme économique de l’Etat et tout ce que l’on va regrouper sous l’idée de socialisation des risques. Cette institutionnalisation de la solidarité au travers de la fiscalité notamment, a abouti à la mise en place de filets de protection de plus en plus élaborés, qui sont insuffisants à résoudre les phénomènes de paupérisation et d’exclusion que l’on connaît dans nos sociétés. Parallèlement, les individus se voient dépossédés de plus en plus d’une part croissante de leurs revenus.

Au delà de ce constat, ce qui est important, c’est que ces solutions sont de plus en plus standardisées. On aboutit à ce que la plupart du temps, les dispositifs sociaux se réduisent à un assistanat, qui est sans doute un gage de bonne conscience pour la société, mais qui aboutir à une déresponsabilisation des individus. On s’adresse au consommateur, à l’exclu, à l’assuré social… Alors qu’on est dans des sociétés où s’imposent de plus en plus la nécessité de gérer l’avenir pour prévenir un certain nombre de périls (chômage, crise économique), on assiste à la fin de l’élan mobilisateur vers l’avenir. On assiste à une désaffection devant la maîtrise des problèmes collectifs. En résumé, on peut dire que le narcissisme qui prédomine dans nos sociétés a étouffé toutes les préoccupations qui relèvent de la Res Publica.

Cet individualisme forcené explique très largement pourquoi la crise de l’autorité se développe, parce qu’il s’incarne dans une multiplication des intérêts « miniaturisés ». On peut constater un paradoxe. Très régulièrement, on assiste à des campagnes de solidarité nationales, mais on constate que ce qui prédomine aujourd’hui, c’est une solidarité corporatiste, de micro groupes. L’exemple, c’est cette concurrence des relais institutionnels classiques (syndicats, partis politiques) de la part d’un certain nombre de collectifs ou de membres de la société civile. A chaque fois qu’on est en présence de mécanismes de participation directe, chacun va essayer de prendre en main son environnement proche sans véritable visée universelle ou d’avenir. Dans nos sociétés, on se méfie des intermédiaires. Cette personnalisation de la vie politique correspond, elle aussi, à ce besoin qu’ont les citoyens de savoir qui est l’homme ou la femme à qui, ils vont donner leur suffrage. Il s’agit d’élire un individu et non le représentant d’un parti.

Et donc, progressivement, les relations sociales se fondent sur l’indifférence, cette désaffection pour les constituants traditionnels de l’organisation sociale que sont le savoir, le pouvoir, le travail, la famille, l’armée et l’Eglise.

Le corps social est désormais « dépacifié »Il y a incontestablement, un refus, aujourd’hui, de l’ordre politique, économique

qui fragilise toute la légitimité de l’organisation sociale.Au plan politique, la violence, les incivilités sont là, bien souvent comme un

exutoire au refus d’encadrement par la puissance publique. Plus qu’une remise en cause du pouvoir politique en place, c’est souvent l’incapacité de l’Etat à effectuer une synthèse de l’intérêt général et des intérêts catégoriels. La violence sociale se substitue au dialogue social, ce qui est se perçoit par les nombreuses manifestations des routiers et des agriculteurs, par exemple. On voit bien que toutes les fonctions traditionnelles de régulation sociale opèrent moins bien que par le passé. Il y a une crise des valeurs et une dérégularisation de l’appareil d’Etat. La loi n’est plus aujourd’hui perçue comme l’expression de la volonté générale, mais comme l’expression d’une espèce d’oppression majoritaire. De fait la légitimité de la norme

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juridique paraît contestable, précaire, transgressable, puisque la puissance publique faillit. C’est par exemple, le développement des actes d’autodéfense. Petit à petit se met en place un processus où l’autorité et la légitimité des institutions sont de plus en plus contestées. C’est le déclin syndical qui est à l’origine de coordinations peu contrôlables, ou le déclin des partis parlementaires, ou encore le vote de lois d’amnisties.

Au plan économique, il y a une logique de tension, de conflit, qui est due finalement, notamment à la recrudescence de phénomènes d’exclusion et de paupérisation au sein même du monde du travail. Tout ceci va aboutir à une logique de conflits, de tension. C’est l’aspect de l’internationalisation des rapports économiques qui détériorent la souveraineté de l’Etat et tout cela va se répercuter sur la légitimité des institutions elles-même. Prenons l’exemple de la législation, où le législateur est parfois écarté par les législations internationales. L’action du pouvoir exécutif, elle même, est contrainte, car le droit est élaboré dans des instances internationales. On assiste à une dilution du lien entre les individus et leur communauté étatique. Cela renforce un peu plus cette volonté du particularisme.

Face à tous ces phénomènes, l’individu se replie sur lui-même, se recentre sur sa vie privée, qui a pour conséquence, de rejeter l’autorité. Il présente un certain nombre de dangers notamment pour la préservation du lien social.

Le recentrage sur ces intérêts particuliers provoque certains risques

La crise économique, sociale et morale des sociétés contemporaines se traduit par un recentrage de l’individu sur son environnement immédiat.

Cet individualisme a été à l’origine de la structuration d’une culture hédoniste. Il y a donc sans doute, de la part de l’individu, un hyper-investissement de l’espace privé qui se traduit par un désengagement de l’espace collectif. C’est ce qu’illustre cette montée en puissance de la psychologie, de l’introspection. On est dans une société qui fonctionne au plaisir, au bien être, à la déstandardisation. On ne doit pas être comme les autres. Tout concourt à la promotion de l’individualisme pur débarrassé de tous les encadrements de masse.

La conscience de soir a contribué à ce que l’individu surinvestisse dans le corps qui est devenu un objet de culte. Il faut être soi-même. Paradoxalement, cela aboutit à une nouvelle standardisation qui passe par l’intermédiaire des impératifs sociaux (avoir la ligne par exemple). C’est donc ce que D RIESMAN appelle « la foule solitaire » en 1950, en disant que de plus en plus se développe des réflexes frileux de sécurité, de repli sur soi (cocooning, xénophobie).

Cet investissement de la sphère privée se traduit par une espèce de surdité sociale qui se traduit en pratique par cette façon de s’isoler du monde. C’est le phénomène de celui qui va se promener avec ses écouteurs sur les oreilles, ou de sonorisation excessive. Il y a une perte de la capacité auditive dans tous les sens du terme : on n’entend plus et l’on n’écoute plus. C’est aussi ce refuge autarcique dans un sport solitaire. La surdité sociale n’est pas incompatible avec une solitarisme dans la structure familiale et le couple. C’est cette volonté de développer une indépendance nécessaire.

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Finalement, cette hypertrophie d’intérêts catégoriels doit être canaliséeCe sentiment d’appartenance à la cité, la solidarité nationale ou l’identité que va

donner la qualité de citoyen apparaissent comme des abstractions qui ne sont pas très protectrices. Cette montée des particularismes peut parfois être une revendication démocratique, de la reconnaissance des spécificités qui peuvent déboucher sur la promotion du communautarisme. L’exemple, c’est le débat sur la reconnaissance légale des couples homosexuels. L’Etat a du réguler des intérêts divergents. La réponse qui a été apportée à cette question a été la création du PACS. Elle a été pertinente parce qu’on voit bien que derrière elle se pose la question du droit à la reconnaissance par un statut à part qui risque de devenir un droit au ghetto. Le remède est donc parfois pire que le mal pour lutter contre ces phénomènes. Cela a permis à ces couples d’exercer un certain nombre de droits sans distinction.

De même, le thème des identités culturelles parallèlement à la cohésion de la société, est très présent dans le débat public, avec la question de la conciliation des exigences démocratiques et de la diversité culturelle. Cette notion peut poser des questions si l’on considère que notre Etat nation a été fondé sur une logique d’homogénéité identitaire et culturelle. C’est par exemple, le renouveau du régionalisme qui a amené à une réflexion sur les réponses publiques les plus appropriées. On sait que l’on a une distinction qui s’est opérée entre une société dite « assimilationistes » comme la France, et les sociétés « pluralistes » de type anglo-saxonnes, où il y a des degrés de cultures qui va être accepté. Le mode « assimilationiste » considère qu’il existe le risque de dérive du multiculturalisme, on va donc assimiler pour protéger le lien sociale et que l’Etat nation ne soit pas remis en question. Le respect des différences est des minorités peut amener à une espèce d’enfermement culturel de l’individu, et surtout à une conception exclusive de l’appartenance culturelle. La contradiction entre démocratie égalitaire et la reconnaissance des particularismes, notamment, n’est pas surmontée, de fait, elle aboutir régulièrement, à une remise en cause de l’autorité qui est fondée sur la notion de peuple français.

Parfois la crise de l’autorité est mise au crédit du discrédit des élites qui sont réputées inefficaces face aux défis que nos sociétés ont à affronter. La sphère publique semble très largement surinvestie au profit de la sphère privée ou de ce « souci de soi » dont nous parle M FOUCAULT. On peut prétendre qu’il faut essayer de réinventer les formes de démocratie, de participation des citoyens, de créer du débat public pour recrédibiliser tous les liens qu’ils soient publics ou privés, qui sont dépositaires de cette autorité nécessaire.

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