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EXTRAITS DE PRESSE La fabrique des monstres Les Etats-Unis et le freak show 1840-1940 Presse écrite Le Point références, janvier février 2014 Géants, hommes troncs, siamois ils font les belles heures des freakshows, ces exhibitions d'individus hors normes qui se développent dans la seconde moitié du XIXe siècle, et ou de supposés sauvages, Peaux-Rouges aussi bien que « derniers Aztèques », côtoient des « erreurs de la nature » dans des zoos humains ou des musées des horreurs ! L'historien et sociologue américain Robert Bogdan revient ici sur cette passion typiquement américaine ou l'art de bien vendre est primordial. « Sur autorisation spéciale du tsar de toutes les Russies, nous présentons pour la première fois dans le Nouveau Monde le plus prodigieux parangon de tous les prodiges : l'homme-chien, énigme suprême des contradictions de la nature. Ce paradoxe incarné, qui plonge la science dans la plus grande perplexité, a été découvert il y a une dizaine d'années aux côtés de son père, lui aussi à tête de chien. Ils vivaient reclus dans une caverne au plus profond de la forêt de Kostroma, en Russie », assure ainsi un tract de Phineas Taylor Barnum (1810-1891), l'un des grands artisans de l'explosion du freakshow, premier symptôme de l'ère du divertissement, avant quHollywood ne prenne le relais. Aujourd'hui devenu film culte, Freaks, de Ted Browning (1932), fut pourtant un échec commercial à sa sortie. Arrivé trop tard, peut-être le regard sur la différence était déjà en

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EXTRAITS DE PRESSE

La fabrique des monstres Les Etats-Unis et le freak show

1840-1940

Presse écrite

Le Point références, janvier février 2014

Géants, hommes troncs, siamois ils font les belles heures des freakshows, ces exhibitions

d'individus hors normes qui se développent dans la seconde moitié du XIXe siècle, et ou de

supposés sauvages, Peaux-Rouges aussi bien que « derniers Aztèques », côtoient des

« erreurs de la nature » dans des zoos humains ou des musées des horreurs !

L'historien et sociologue américain Robert Bogdan revient ici sur cette passion

typiquement américaine ou l'art de bien vendre est primordial. « Sur autorisation spéciale du

tsar de toutes les Russies, nous présentons pour la première fois dans le Nouveau Monde le plus

prodigieux parangon de tous les prodiges : l'homme-chien, énigme suprême des contradictions de

la nature. Ce paradoxe incarné, qui plonge la science dans la plus grande perplexité, a été

découvert il y a une dizaine d'années aux côtés de son père, lui aussi à tête de chien. Ils vivaient

reclus dans une caverne au plus profond de la forêt de Kostroma, en Russie », assure ainsi un

tract de Phineas Taylor Barnum (1810-1891), l'un des grands artisans de l'explosion du

freakshow, premier symptôme de l'ère du divertissement, avant qu’Hollywood ne prenne

le relais.

Aujourd'hui devenu film culte, Freaks, de Ted Browning (1932), fut pourtant un échec

commercial à sa sortie. Arrivé trop tard, peut-être le regard sur la différence était déjà en

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train de changer. Ceux qui étaient des monstres sont progressivement reconnus comme des

malades ou des handicapés. Pourtant, souligne Robert Bogdan, il serait injuste de lire

l'histoire des freaks comme celle d'une simple exploitation. Beaucoup firent le choix de ce

statut « d'artiste » et connurent, via le monde forain, une authentique chance d'ascension

sociale.

Ainsi Tom Pouce, nain devenu une immense vedette, dont l'épouse, naine elle aussi, sut

médiatiser son mariage aussi bien qu'une star du XXIe siècle. Et aujourd'hui ? Robert

Bogdan a rencontre dans les années 1980 un « homme grenouille » aux membres atrophies,

qui s'exposait encore dans des foires itinérantes. Et se montra fort irrite quand des bonnes

âmes militant pour la dignité humaine menacèrent lui faire perdre son gagne-pain.

Sophie Pujas

Bifrost, 27 janvier 2014

Le second ouvrage, La Fabrique des monstres, les Etats-Unis et le Freak Show, 1840-1940,

est un essai de Robert Bogdan sur le monde de la foire américaine et ses monstres.

Le monstre est une anomalie, qui vient perturber l'ordre apparemment naturel des choses.

Il rompt le cours ordinaire, fait exception, s'oppose à la normalité humaine, à condition

toutefois d'accepter que l'on puisse définir une norme « Le freak ne se définit pas par une

qualité intrinsèque, il renvoie plutôt à une représentions de soi, une manière de se mettre en

scène, un point de vue », affirme Robert Bogdan, qui montre combien le phénomène du

Freakshow est complexe il ne suffit pas d'être monstrueux, encore faut-il le devenir, vouloir

s'exhiber dans la peau d'un personnage « Ça vous dirait d'être un géant ? » demande un

imprésario à un type qui est seulement très grand.

Véritable attraction populaire qu'orchestrent Barnum, cirques itinérants et Dîme Muséums,

le monstre marque l'intrusion de l'imprévu dans le réel, nous renseigne sur notre propre

nature Bogdan détaille la pseudo-vocation éducative de l'attraction de foire, avant que la

science ne s en empare via la pathologie. Largement illustré, ce splendide volume évoque les

singulières histoires des « ambassadeurs de la planète Mars », en réalité des frères

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microcéphales, rappelle l'origine foraine du Geek, et présente l'inattendue dimension

érotique des Ballyhoo et autre Blow off. Arnaque, gogo, boniment, chacun y trouve son

compte. Un livre indispensable pour les admirateurs du film Freaks de Browning, ou du

Charlatan de William Lindsay Greshman (« Série noire »).

Pour conclure, nous saluerons la cohésion éditoriale d'Alma, qui présente une

problématique identique dans ses deux parutions : chosification du corps devenu objet (de

désir et/ou de voyeurisme), qu'accompagne une vague caution scientifique et un

balancement entre attirance malsaine et répugnance morale.

Deux livres qui trouveront leur place dans votre bibliothèque interdite.

Xavier Mauméjean

L’Humanité, 17 janvier 2014

La monstrueuse parade

L’origine du terme français « monstre » (en anglais freak) renvoie à celui ou celle qu’on

montre, qui fascine et repousse à la fois. D’où le Freak Show américain, qu’analyse

l’historien américain Robert Bogdan dans un ouvrage saisissant. De 1840 aux années 1980,

géants, bicéphales, microcéphales, hommes troncs, siamois et autres anomalies humaines

furent exhibés aux États-Unis comme phénomènes de foire. Le grand film de Tod

Browning, Freaks, la monstrueuse parade, offrit en 1932 une puissante représentation de ce

« spectacle ». Comment expliquer la disparition de ce Freak Show ? Si on peut se féliciter de

cette disparition, l’ouvrage interroge la place contemporaine du handicap dans nos sociétés.

Quelles différences sommes-nous prêts à supporter parmi nous ? Qu’est devenue

l’anormalité ? Entre fausse pudeur et eugénisme, que devient ce qui n’est plus montré, mais

caché ?

Nicolas Mathey

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Obskure magazine, janvier 2014

Avec La Fabrique des Monstres, Robert Bogdan nous propose de pénétrer une institution

purement américaine qui a connu son heure de gloire entre 1840 et 1940, avec un pic à la

fin du XIXe siècle : le freak show. Initialement écrit en 1988, cet ouvrage, aujourd'hui

traduit en français aux éditions Alma, est considéré comme une œuvre fondatrice des

« disability studies », à présent enseignées dans de nombreuses universités américaines. Ici,

le handicap est envisagé dans le contexte social qui le définit et il nous permet ainsi de

mieux comprendre la construction du monstre en tant que mise en scène, à une époque où

l'industrie du divertissement était en plein essor. Selon Bogdan, un freak « ne se définit pas

par une qualité inhérente à la personne mais par un ensemble de pratiques, une façon

d'envisager et de mettre en scène la différence physique mentale ou comportementale, qu’elle soit

réelle ou simulée. »

Il retrace ainsi l'histoire de nombreux gens du spectacle qui ont été conscients du potentiel

lucratif de la difformité avant que ces exhibitions ne soient considérées comme dégradantes

au début du XXe siècle, certains parlant de « pornographie du handicap ». 1840 marque la

fondation de l'American Museum de PT Barnum (1810-1891), « le père de la publicité

moderne ». Avec ses grands étendards et ses fanfares de rue, il fera de son musée new-

yorkais un endroit ou les foules affluent. La frontière entre ethnologie et spectacle est alors

floue. On reconstitue des villages ethniques et on fabrique les freaks sur mesure.

Leurs portraits sont vendus par milliers pour approvisionner les collections des familles

bourgeoises notamment les cliches célèbres de Charles Eisenmann dans les années 1880-90,

parfois agrémentés de livrets autobiographiques, et retouchés au besoin.

L’exagération est de bon ton. Dans les années vingt et trente, les frères albinos Eko et Iko

sont présentés comme des extraterrestres de Mars. Et quand on ne se contente pas d'un

registre emphatique ou exotique, on va avancer des théories sur l’hybridation animale ou la

dégénérescence. Des « experts » témoignent La théorie de l’imagination maternelle n'est pas

écartée. La pilosité de Lionel, le garçon à tête de lion, serait la conséquence du traumatisme

ressenti par sa mère alors que son père se faisait dévorer par un lion. Les performances sont

diverses et inhabituelles. Un homme sans jambes marche, un autre peut faire entrer son

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poing dans sa bouche. L’inventivité est le mot d’ordre et celle-ci atteindra la surenchère au

fil des décennies. Au début du XXe siècle, face au nombre sans cesse grandissant d'hommes

et de femmes tatoués on finira par exposer des bébés, chiens ou vaches tatoués. Au bas de

l’échelle, des « sauvages » arracheront les têtes des rats et des poulets avec leurs dents,

d'autres avaleront des grenouilles vivantes. Car il y a bien une hiérarchie dans le milieu du

sideshow, et d'autres seront de véritables célébrités, comme Tom Pouce et sa folie des

grandeurs ou les siamoises Daisy et Violet Hilton, stars du music-hall que l’on retrouve

dans le film Freaks de Tod Browning. La Fabrique des Monstres explore toute cette

microsociété et confronte aussi la diversité des points de vue, comme entre Otis Jordan,

homme-grenouille qui se voyait comme un showman fier de son indépendance, et Robert

Wadlow, un géant de 2 m 72 qui refusait l’idée de mise en scène de soi. Une étude

passionnante qui décortique tout cet art du bluff, de l’imposture et du sensationnel.

Maxime Lachaud

Obskure Magazine, janvier 2014

ROBERT BOGDAN

La Fabrique des Monstres : Les États-Unis et le Freak Show 1840-1940 (Alma)

Voici un livre à ranger aux côtés d'ouvrages comme Freaks : We who are not as Others

(1976) de Daniel P. Mannix, Freaks : Myths and Images of the secret Self (1978) de Leslie

Fiedler, Sideshow USA : Freaks and the American culturales Imagination (2001) de Rachel

Adams ou Les Monstres : Histoire encyclopédique des Phénomènes humains (2007) de Martin

Monestier En effet, La Fabrique des Monstres s'impose comme un véritable objet de

référence pour mieux comprendre le fonctionnement et les conventions scéniques de la

représentation de ceux que l'on a appelés les « phénomènes de foire ». On peut d'ailleurs

déjà trouver des traces de cette mise en scène du monstrueux dans les grandes foires

anglaises comme la Bartholomew Pair, avec leurs animaux bizarres. La tératologie,

classification « scientifique » des anomalies corporelles, s'est, quant à elle, développée dès le

XVIe siècle, avec un texte comme Des Monstres et Prodiges d’Ambroise Paré. Puis les bêtes

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étranges seront remplacées par des « curiosités humaines » dans des musées, alors lieux de

divertissement scientifique, comme celui fondé à Philadelphie par Charles William Peale en

1786. Mais c'est avec la création de l'American Museum par Barnum que cette industrie va

prendre un essor important.

Des dime museums apparaissent dans les années 1870, et les freak shows vont atteindre leur

zénith à la toute fin du XIXe siècle. Dans les campagnes, ce sont les fêtes foraines qui

remplacent les musées urbains. Les cirques présentent tous leur sideshow, souvent constitué

d'un tenin-one (dix attractions pour un seul tarif) ou de pit shows (les freaks y sont présentés

dans une fosse, comme dans la scène finale du film de Tod Browning). On part alors dans

les coins reculés des États-Unis pour faire la chasse aux freaks (ce que retranscrit très bien la

série télé La Caravane de l'Etrange). Des expositions universelles et foires mondiales sont

organisées dès 1876, avec des reconstitutions de villages de « sauvages ».

Coney Island devient un haut lieu pour ce genre de divertissements, avant que ceux-ci

soient jugés dégradants. Ces gens du spectacle sont alors considérés comme des infirmes - on

parle de « médicalisation du handicap » - et le public se détourne de ces institutions pour

aller remplir les salles de cinéma ou les théâtres. Ce que Bogdan met en avant c'est que les

freaks participaient à leur propre représentation, gagnant de très bons salaires. Il analyse

donc cette microsociété qui ne se limitait pas qu'à l'exhibition d'anomalies physiques. On

pouvait aussi s'y procurer de l'alcool illégal, voir des spectacles pornographiques ou se faire

lire l'avenir par une cartomancienne. Les pages ou il analyse la hiérarchie du freakshow

sont également passionnantes. Au final, l'ouvrage rend hommage à des personnes qui ont su

tirer le meilleur profit de leur différence avant que la médecine du XXe siècle n'en fasse des

« cas pathologiques ».

Max Lachaud 88%

24 heures, 15 décembre 2013

Des stars monstres

Un livre revient sur ces phénomènes de foire qui fascinaient les États-Unis

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Une des grandes vedettes américaines du XIXe siècle se faisait appeler Général Tom Pouce.

Avec sa taille de 88 cm, il se vantait d’être « le plus petit homme du monde », s’habillait

d’un uniforme de pacotille et s’est même fait inviter par la reine Victoria en Grande-

Bretagne. C’était l’âge d’or des phénomènes de foire, des freaks, que les cirques comme

Barnum transformaient en attractions, voire en people. Le sociologue Robert Bogdan s’est

plongé dans l’âge d’or de cet univers (1840-1940) pour en tirer un livre enfin traduit en

français. La fascination qu’exercent ces « monstres » a commencé bien plus tôt dans les

plaines américaines. Ceux qu’on brûlait encore pour sorcellerie il y a quelques siècles sont

devenus des attractions de foires agricoles.

Alors qu’on n’avait guère le droit aux distractions, religion oblige, on pouvait admirer ces

créatures sous le prétexte d’une étude scientifique. En 1841, Phineas T. Barnumrachète

l’American Museum, en plein cœur de Manhattan (New York), et il a l’idée de génie d’y

réunir des bizarreries de la nature, des albinos, des obèses, des géants et des nains. Il imagine

une publicité tapageuse, invente des histoires invraisemblables sur ses pensionnaires.

Surtout, il fait de son « musée » la principale attraction de New York, que visiteront

40 millions de personnes avant son incendie, en 1868. Après la guerre de Sécession, les

immigrants européens débarquent en nombre. De nombreux dime museums naissent à

travers les villes pour les distraire, tirant leur nom du prix de l’entrée : dix cents. Là aussi,

les freaks tiennent la vedette. La « femme à barbe suisse », Jo-Jo le « garçon à tête de chien »,

les patrons rivalisent d’imagination pour attirer le chaland. Au point, parfois, d’inventer de

faux phénomènes. Parallèlement, les premières expositions universelles, à Philadelphie

(1876) ou à Chicago (1893), attisent l’intérêt de ces organisateurs de spectacles, qui vont s’y

greffer, à la périphérie, présentant des « sauvages » exotiques, des représentants de Bornéo

ou d’Australie, des anthropophages des îles Fidji ou un village entier de guerriers du

Dahomey qui avaient affronté les colonisateurs français. Un phénomène qu’on a d’ailleurs

retrouvé dans les expositions universelles, avec ces « zoos humains » présentant des

Africains, en France, en Grande-Bretagne, en Espagne ou au Portugal. L’intérêt faiblit au

lendemain de la Première Guerre mondiale, même si les monstres gardent encore leur place

à la périphérie des grands cirques américains en tournée, dans des sideshows qui effraient les

enfants et font rire les parents. Ils disparaîtront au tournant de la Seconde Guerre mondiale.

Le dernier d’entre eux, Otis Jordan, connu sous le nom d’« homme grenouille » en raison

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de ses membres atrophiés, se verra interdit de se présenter à une foire de l’Etat de New

York en 1984. Le politiquement correct est arrivé.

David Moginier

Libération, 5 décembre 2013

Les freaks fantômes Robert Bogdan analyse le goût des monstres de foire aux Etats

Unis, jusqu'à leur disparition après-guerre.

L’exhibition dans des cirques de personnes présentant des anomalies physiques ou mentales,

réelles ou simulées, ferait aujourd'hui scandale. Les freak shows, dont l'origine remonte aux

foires anglaises de la Renaissance, font pourtant partie intégrante de la culture américaine

entre 1840 et 1940 et sont alors considérés comme tout à fait fréquentables, même par les

classes supérieures. Si New York s'impose après la guerre de Sécession comme la capitale de

ce genre de divertissements, ces derniers se diffusent à travers tout le pays avec les dimes

museums, les cirques – principal divertissement de l'Amérique populaire jusqu'en 1920 – ou

ces précurseurs de Disneyland que sont les parcs d'attraction comme celui de Coney Island.

Homme-otarie. Le goût du public pour ces spécimens s'explique d'abord, bien sûr, par

l'attirance pour la bizarrerie et la différence, comme celle des deux sœurs siamoises Daisy et

Violet Hilton, de l'homme tronc Johnny Eck ou du nain Tom Pouce, dont le mariage avec

la naine Lavinia Warren est spectaculairement mis en scène a des fins publicitaires. II y a

aussi un engouement pour des questions scientifiques alors dans l'air du temps, ce qui

donne aux freak shows un air plus crédible et respectable.

Les débats sur la race et l'hybridation attribuent ainsi certaines malformations à un

croisement entre l'homme et l'animal, justifiant les appellations d'homme-grenouille ou

d'homme-otarie. Les Américains s'interrogent également sur la place des Noirs dans la

grande chaîne du vivant, certains considérant qu'ils sont plus proches du singe que de

l'homme blanc, d'autres qu'ils sont inférieurs du fait d'une dégénérescence sous l’influence

du climat. L'Afro-Américain Henry Johnson, souffrant de microcéphalie, fait ainsi carrière

dans le freak show entre 1860 et 1926 car il apparaît comme le chaînon manquant entre le

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singe et l'homme. Des centaines d'Africains - des Pygmées d’Afrique centrale aux

cannibales des îles Fidji sont également donnes en spectacle a des Américains désireux de

contempler des êtres primitifs dans ce que Robert Bogdan appelle une « farce

anthropologique ».

Les choses commencent à changer au début du XXe siècle quand l'exploitation du

handicap, qu'il soit physique ou mental, est remise en cause, dans le monde du spectacle et

bien au-delà. D'abord, sous l’influence de l’eugénisme, si puissant aux Etats Unis, un certain

nombre d'handicapés sont mis à l’écart dans des asiles publics afin qu'ils ne risquent pas de

transmettre leurs tares aux générations suivantes. Ensuite, et surtout, « sous l'œil du

médecin, les différences, humaines deviennent des pathologies ». Ce sont des infirmes qui

doivent être placés sous le contrôle de l'autorité médicale. Ils méritent désormais la

compassion, pas la curiosité amusée.

Refus. C'est en somme parce qu'ils ne font plus rire mais pitié que les freaks show vont

disparaître à la fin des années 30. Cette rupture est importante pour l'auteur qui y voit en

fait le signe d'une mise à l'écart des handicapés, une forme de refus d accepter la différence

peut être plus radicale et discriminante que celle ayant cours au XIXe siècle.

La biographie d'un certain nombre de freaks démontre ainsi que si certains ont subi une

honteuse exploitation dans les cirques et parcs d'attraction, ce n'est pas le cas de la majorité

d'entre eux, qui étaient reconnus comme des gens du spectacle et avaient le sentiment

d'appartenir au monde du show-business. « Pour comprendre le processus par lequel la

différence physique ou mentale se normalise, conclut Robert Bogdan avec un certain goût du

paradoxe, l'étude des freaks en tant que personnes est un bon point de départ ».

Jean-Yves Grenier

Le Monde, 27 novembre 2013

Le Goût des monstres

Dans le studio de photographie de Mathew Brady, célèbre pour ses portraits d'Abraham

Lincoln, défilent d'étranges clients. L'atelier de Broadway est, en ces années 1870, le rendez-

vous des grands écrivains, des personnalités politiques, des vedettes de tout poil. Certaines

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l'ont très particulier, telle Annie Jones, femme à barbe. Elle vient accompagnée d'autres

clients, comme Henry « Tête d'épingle » Johnson, microcéphale, Charles Tripp, l'homme

sans bras, Tom Pouce et sa femme, les frères siamois Chang et Eng ou les « cannibales » des

îles Fidji. Ce sont les freaks (« monstres ») de Barnum et ils sont célèbres. Leurs

photographies se diffusent à des dizaines de milliers d'exemplaires. Les êtres difformes

fascinent ; ils sont admis dans la culture du temps, du moins s'ils restent confinés aux

albums d'images ou aux entre-sorts de la foire. En dévoilant, dans un livre pionnier écrit il

y a vingt-cinq ans, ce goût des freaks dans l'Amérique de la Belle Époque, grâce à une

faramineuse plongée dans les archives de Barnum, l'historien Robert Bogdan choqua :

l'exhibition des difformités paraissait relever d'un voyeurisme obscène. Et pourtant son

ouvrage, La Fabrique des monstres, traduit aujourd'hui en français, a engendré un nouveau

courant de recherches, les « disability studies », l'histoire du handicap, si typique du

renouvellement par « identité minoritaire » de l'historiographie outre-Atlantique, dont les

premiers effets touchent désormais les historiens français.

Phineas Taylor Barnum inaugure en 1841 son American Museum en plein cœur de New

York, qui devient l'attraction la plus fréquentée du pays : en trente ans, plus de 40 millions

de visiteurs s'y succèdent. L'immense immeuble de la maison-mère, sur Broadway, est

prolongé par des succursales et des tournées qui promènent cette « galerie des horreurs

vivantes » à travers tout le pays.

DIVERTISSEMENT DE MASSE

Barnum a l'idée de proposer une forme de synthèse des monstres, réunissant les trois types

existants. D'une part, les « curiosités scientifiques » des collections d'histoire naturelle,

exposées depuis le début du XIXe siècle dans un but d'éducation populaire. Il s'agit

d'apprendre le corps humain par la vision de ses difformités. D'autre part, les numéros des

forains et des Circassiens, où les anomalies du corps métamorphosent la vie banale en un

spectacle exceptionnel : une manchotte prenant le thé en se servant avec les pieds, des

géants ou des nains multipliant les tours d'adresse, une femme à barbe dansant une valse au

bras de son compagnon, lui-même hyperpileux… Il existe enfin les monstres « exotiques »

ou « sauvages », représentants des peuples primitifs. Ils fascinent par leurs mœurs barbares

(les cannibales, les coupeurs de têtes…), par leur primitivisme (les enfants sauvages, les

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femmes callipyges, les hommes-singes…), ou parce que leur corps et leurs coutumes disent

de la prétendue supériorité occidentale et coloniale (les Indiens, les zoos nègres…). Tous

confortent la bonne conscience d'une Amérique sûre de sa civilisation. Barnum invente le

divertissement de masse, organisé, promu, diffusé comme une industrie du spectacle. Non

pas louche ou dévergondé : on visite en s'amusant et en famille, les monstres apprennent à

tous que le corps relève d'un ordre certes immuable, mais pouvant être perturbé et que la

vie, même mal engagée, vaut d'être vécue pourvu qu'on respecte les valeurs de l'Amérique.

Barnum est une sorte de Disney tératologue.

Au lendemain de la Grande Guerre, on assiste à un bouleversement de la culture du

divertissement. Les campagnes contre l'exhibition des corps difformes, jusqu'alors rares

mais surtout inefficaces, soudain touchent juste. La fête foraine change et ses frissons sont

moins voyeuristes que mécaniques : grand-huit et autos tamponneuses remplacent les

baraques de monstres. Pour la bonne conscience américaine, regarder la misère humaine

devient obscène. Surtout, le public retrouve l'horreur ailleurs, moins proche de lui, moins

gênante, plus fantastique, mise à distance provoquant la peur et le rire.

Car les films hollywoodiens inventent des monstres autrement fascinants, King Kong,

Frankenstein, Dracula, créatures les plus diverses. C'est ainsi que le cinéma représente tout

à la fois le prolongement des freak shows et leur chant du cygne, une nouvelle séance et

leur dernière. Freaks, de Tod Browning, en 1932, est un chef-d’œuvre du cinéma mais un

très sévère échec public : les monstres de Barnum ne font plus recette

Antoine de Baecque

La Marseillaise, 10 novembre 2013

Toutes les bizarreries humaines y sont exhibées pour satisfaire notre voyeurisme :

l'incontournable femme à barbe, le mariage de l'homme squelette et de la femme obèse, et

tous les autres phénomènes de foire tournés en dérision pour la plus grande joie des

portefeuilles, boulimiques et jamais rassasiés, des organisateurs. Deux livres pour lesquels

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les lecteurs se passionneront.

Anne-Marie Mitchell

L’Express, 11 octobre 2013

Bêtes humaines

La Fabrique des monstres, par Robert Bogdan ou quand l'Amérique exhibait la femme

éléphant, l'homme grenouille... Un classique des sciences du handicap.

Il se présentait comme l'homme le plus petit du monde et rivalisait avec les plus grandes

stars du XIXe siècle. Fils d'un charpentier du Connecticut, "Général Tom Pouce" mesurait

88 centimètres, paradait en costume militaire dans les fêtes foraines et se vantait

d'appartenir à la franc-maçonnerie. Freak, monstre, erreur de la nature, le plus célèbre des

lilliputiens n'en fut pas moins l'invité de la reine Victoria à Westminster. Le roman

glamour d'une bête de scène devenue businessman, très loin de la créature mise en scène par

David Lynch dans Elephant Man. Comme d'autres freaks de son temps, Tom Pouce

incarnait une version baroque de l'American dream. Snob, polyglotte, le showman était

admiré pour avoir su tirer profit de son handicap. À l'aube de la culture de masse, la

difformité physique n'inspirait pas la même compassion qu'aujourd'hui. La médecine

n'avait pas encore décrété la mise hors espace public des curiosités anatomiques. Il y avait

des monstres heureux et fiers de leur différence, affirme le sociologue américain Robert

Bogdan dans cette étude pionnière sur la grande époque du freak show (1840-1940).

Imposture et mise en scène

Aux côtés de Jack le géant, de la femme éléphant ou de l'homme grenouille, les

bonimenteurs de fête foraine exploitent aussi la fascination du public pour l'exotisme. À

l'heure du triomphe de la pensée raciale, c'est le début des "zoos humains", qui inaugurent

la présentation d'indigènes comme phénomènes de foire. Mais toute exhibition est, par

définition, une imposture. La mise en scène des freaks est presque toujours trompeuse. Sous

ses fanfreluches et son ombrelle, "Mlle Fany", présentée comme le "chaînon manquant"

entre l'homme et l'animal, n'était qu'une guenon costumée... Traduite en français vingt-

cinq ans après sa parution aux États-Unis, La Fabrique des monstres est aujourd'hui

considérée comme un classique des disability studies ("sciences du handicap").Un regard

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dérangeant sur la différence physique, qui redonne au freak son humanité, loin de toute

commisération. Grégoire Kauffmann

Books, octobre 2013

LES ANNEES FREAK

Dans l’Amérique de la fin du XIXème siècle, il est de bon ton d'aller observer la famille

d'albinos, l’« homme-squelette » ou la « femme à barbe suisse », toutes ces « curiosités

humaines » que la science ne s'explique pas, et de s'instruire ainsi en s'amusant, puisque le

théâtre est réprouvé. Le freak show posera les bases de la civilisation du spectacle.

Bonnes feuilles

Livres Hebdo, 11 octobre 2013

Le showbiz de la différence

Le sociologue américain Robert Bogdan présente une histoire sociale des « freak shows »

aux États-Unis.

Sociologue de l'éducation et de la pédagogie, professeur émérite à l'université de Syracuse

(État de New York), l'Américain Robert Bogdan est le principal représentant des

« disability statues », une discipline consacrée à l'histoire du handicap et de ses

représentations dont La fabrique des monstres, paru aux États-Unis à la fin des années 1980,

est l'un des ouvrages fondateurs, ici traduit accompagné d'une bibliographie actualisée.

Exhumant les archives peu fréquentées des cirques, des « muséums », des parcs d'attraction

et des fêtes foraines aux États-Unis entre 1840 et 1940, il s’est intéressé au « freak show »,

l'exhibition publique de « monstres », une véritable institution dans la culture populaire

américaine.

« Il me semble que le freak show nous permet de mieux comprendre certaines pratiques sociales,

de retracer l'évolution du concept d'anormalité et de théoriser le regard que nous portons sur la

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différence », avance Bodgan en introduction. Et si le livre revient sur des cas de freaks

célèbres, son propos n'est pas d'établir un catalogue mais bien d'étudier le « processus de

fabrication sociale des freaks », terme qui désignait aussi bien des personnes affligées de

malformations physiques, de curiosités anatomiques (« freaks naturels »), des indigènes

exposés dans des ménagères humaines (« sideshow ») que les saltimbanques aux corps

tatoués, avaleurs de sabre et autres charmeuses de serpents (« freaks artificiels »). Produisant

des documents photographiques issus du matériel promotionnel des freaks shows, comme

ces portraits au format de carte de visite vendus à plusieurs millions d'exemplaires dans les

années 1860, Bogdan montre une emblématique entreprise de divertissement à but lucratif

dont l'histoire révèle des enseignements pleins de paradoxes quand la pensée sociologique

actuelle insiste sur la stigmatisation et l'exclusion, « à son apogée, le freak show était un lieu

ou la différence était monnayable et donc valorisée ». Constatation qui incite, selon lui, à

« orienter la sociologie de la différence vers une sociologie de l’acceptation ».

Véronique Rossignol

Page des libraires, octobre 2013

Les éditions Alma publient l’ouvrage d'un sociologue qui a modifié le regard sur le

handicap et les marginaux en racontant l’histoire de leur exhibition dans les foires

américaines pendant un siècle. Un monde sans pitié.

Par BERTRAND MORIZUR - Librairie L’Arbre du voyageur (Paris 5e)

DANS CETTE HISTOIRE du freak show publiée aux États-Unis à la fin des années 1980,

Robert Bogdan sociologue de l’éducation et de la pédagogie s’intéresse à un sujet jusqu’ici

peu étudié parce que sans doute tabou, l’exhibition des « phénomènes de foires ». En effet,

de 1840 à 1940, les freaks ont occupé une place de choix dans l'industrie du divertissement

outre-Atlantique et ont contribué au succès des musées, des cirques ou encore des fêtes

foraines qui se sont développés dans l’ensemble du pays.

Robert Bogdan raconte également dans cet ouvrage très illustre la vie de quelques freaks :

géants ou nains femmes à barbe ou encore pseudo représentants d'un peuple sauvage, voire

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cannibale ou d’une civilisation disparue. À travers des mises en scène outrancières reposant

sur une emphase mensongère, des handicapés physiques ou mentaux, des marginaux, des

individus hors normes ont ainsi fait prospérer pendant un siècle une industrie qui nous

paraît aujourd’hui révoltante. Bogdan insiste sur le fait que les freaks ne devinrent des

monstres que par le regard qui était porté sur leur différence. Certes, ils furent souvent

exploités par des impresarios sans scrupule, mais nombre d'entre eux revendiquèrent aussi

un statut d’artiste a part entière, c’est-à-dire une véritable fonction sociale. Cet essai original

qui ne manque pas d'humour malgré son sujet difficile est un excellent travail de

documentation sur la part obscure des États-Unis, il se présente également comme une

étude passionnante sur les paradoxes de l’évolution des mentalités. Les progrès de la science

ont participé au déclin des freaks shows. Un sentiment de pitié jusqu’alors inconnu a gagné

la population qui a préféré médicaliser, isoler physiquement cette partie d’elle-même qu'elle

ne voulait pas voir.

Internet

La cause littéraire, 13 janvier 2014

Les monstres humains ont toujours été un objet de fascination. Dès l’Antiquité, Pline

l’Ancien, dans son livre VII des Histoires naturelles, consacrait à la tératologie (étude

scientifique des malformations congénitales) une partie importante, en répertoriant tous les

cas recensés dans les écrits grecs et latins.

Robert Bogdan n’est pas un amateur. Sociologue de formation, il s’est imposé comme l’un

des pionniers des « disability studies » c’est-à-dire les sciences du handicap. Son ouvrage ici

présenté ne se veut pas être un catalogue des difformités humaines existantes ou ayant

existé, mais plutôt une analyse sociale complète du phénomène appelé Freak Show aux

Etats-Unis.

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Pour certains, le Freak Show s’assimile à une « pornographie du handicap », un spectacle

dégradant, mais qui a permis de « comprendre certaines pratiques sociales, de retracer

l’évolution du concept d’anormalité et de théoriser le regard que nous portons sur la

différence ». Pour les autres, le phénomène ne renvoie pas à un individu mais à une

fonction qui lui est assignée dans le contexte de sa monstration. En bref, le Freak est un

individu portant une anormalité physique et qui s’en sert pour vivre en l’exhibant

publiquement.

Avec la fondation de l’American Museum en 1840, le Freak Show va devenir petit à petit

une véritable institution. Il a même droit à une définition : « Mise en scène d’individus

présentant des anomalies physiques, mentales ou comportementales, qu’elles soient réelles ou

simulées, en vue du divertissement ou du profit ».

Désigné d’abord comme un spectacle de raretés, ou un cabinet de curiosités, il exhibe trois

types de monstres : le monstre dit naturel, le monstre artificiel, et enfin le monstre factice.

Parfois, la mise en place d’un artifice est nécessaire pour rendre crédible la monstruosité. Ce

genre de spectacles doit aussi son succès à l’essor de la photographie. En effet, les Freaks

étaient représentés sur cartes postales. Les prises de vue étaient réalisées par un photographe

officiel, Charles Eisenman, qui recourait très souvent à la mise en scène pour donner de la

dimension au Freak qu’il photographiait… Au 19ème siècle, le Freak Show était un

spectacle tout à fait fréquentable. Bon marché, il permettait aux gens de classe moyenne de

se divertir et de découvrir des curiosités, mais au début du 20ème

siècle, l’exploitation du

handicap physique ou mental est remis en cause. En effet, les individus exhibés ne sont-ils

pas exploités finalement à leur insu ? Sont-ils vraiment d’accord de la mise en scène qui se

joue autour d’eux ?

Robert Bogdan reprend une expression usitée par les spectateurs, à cette époque, sur ce

divertissement :

« La promesse du dehors surpasse la performance du dedans ». Car force est de constater

que le bluff est devenu une culture : on invente de fausses biographies, de fausses identités.

On ajoute de l’exotisme à l’ensemble pour attirer le client, on invente même des causes à la

monstruosité : un choc traumatique durant la grossesse par exemple. Ainsi, les idiots

microcéphales deviennent des sauvages de Bornéo, les hommes atteints d’hypertrichose

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sont qualifiés d’homme à tête de chien, ou les individus souffrant d’acromégalie deviennent

des géants.

Robert Bogdan ponctue son analyse d’exemples célèbres et de photographies, permettant

ainsi au lecteur de se faire une idée de la dimension pathologique et sociale du phénomène.

Acquérant une réputation de plus en plus sordide, le Freak Show « contre-attaqua » en

donnant une respectabilité à leurs salariés. Il fallait à tout prix chasser l’idée selon laquelle le

Freak était une victime potentielle, une personne exploitée dans l’intérêt de banquistes peu

scrupuleux. Dès lors, certains monstres célèbres firent parti du bottin mondain. Ce fut le

cas du général Tom Pouce, ou des soeurs siamoises Daisy et Violet, stars du Music Hall.

Parfois, même, ils gagnaient en respectabilité, tels les siamois Chang et Eng, véritables

bourgeois, ou bien ils étaient photographiés en costume d’apparat dans un véritable décor

victorien, avec leur famille. Seulement, cette riposte n’eut pas complètement l’effet

escompté. Les progrès de la médecine, l’évolution des mœurs, mais aussi, les nouvelles

revendications des Freaks demandant légitimement à être reconnus comme artistes,

accélérèrent le déclin du Freak show. Les Freaks factices comme les hommes tatoués, les

charmeuses de serpents ou les faux-sauvageons ne réussirent guère à inverser la tendance.

La fabrique des monstres est un livre passionnant à plus d’un titre, car il pointe du doigt

l’hypocrisie généralisée de l’époque concernant l’opinion à porter sur ce phénomène.

Même la médecine ne savait pas trop quelle attitude adopter. Surtout, et Robert Bogdan

insiste plusieurs fois sur ce point, il ne faut pas considérer le Freak en tant qu’individu mais

en tant qu’institutionnalisation mise en scène dans les Freak Show. En effet, il ne faut pas

oublier que quantités de personnes atteintes de malformation ou autre difformité ont mené

une vie normale et ont fondé une famille. Enfin, la lecture de cet essai permet de mieux

saisir le contexte social de l’époque. Le Freak Show renvoyait à une « représentation de soi,

une manière de se mettre en scène, un point de vue » face à ce qui n’est pas normal et qui se

voit. L’hypocrisie était peut-être moins présente.

Pour conclure, une anecdote : Otis Jordan surnommé « l’homme grenouille » par le Sutton

Sideshow qui l’emploie en 1984, est interdit de spectacle suite à la plainte déposée par une

militante qui a dénoncé son exploitation, sans pour autant avoir pris la peine d’en discuter

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avec lui. A cela, il explique à l’auteur : « Ça me sidère. Comment peut-elle dire que je suis

exploité ? Bon sang ! Elle préférait peut-être que je vive des allocations ? »

Alors, le Freak est-il un métier finalement ?

Virginie Neufville

Salon Littéraire, 31 décembre 2013

La fabrique des monstres : Robert Bogdan nous plonge au cœur du freak show américain

Pourquoi cela ne m’étonne qu’à moitié que le cirque Barnum vit le jour aux États-Unis ?

S’il y eut bien une exposition coloniale à Paris, en 1931, qui témoigne de la piètre opinion

que l’on avait à l’époque vis-à-vis du sauvage, cet Autre forcément mauvais car différent,

donc à coloniser, éduquer, former… il n’en demeure pas moins que les difformités et autres

maladies mentales n’étaient pas exposées à la vue de tous, dans le seul but de s’enrichir sur

le malheur d’autrui. Cette idée nauséabonde est apparue dans cette société dégénérée, vouée

à tous les vices et toutes les violences, dans cette conquête génocidaire de l’Ouest américain

de la fin du XIXe siècle, période sombre de la toute petite histoire moderne des États-Unis

d’Amérique.

Et comme l’être humain demeurera toujours égal à lui-même, on rappellera, dans un souci

d’honnêteté, les fameux lancés de nains qui se déroulaient dans les années 1980 dans

certaines boîtes de nuit françaises, avant que le législateur n’y mette fin.

Oui, l’Homme n’a que peu de considération pour ses semblables, surtout lorsqu’ils

n’entrent pas dans la norme. D’ailleurs, en 1984, il fallut l’intervention d’une militante

pour qu’une exhibition d’un homme grenouille soit annulée dans une foire subventionnée

par l’État de New York. Il faudra attendre 1986 pour que ce type de spectacle soit

définitivement supprimé. Non par une loi, mais tout simplement car… cela n’est plus

rentable (sic).

Quel que soit le nom et la pirouette linguistique – bizarrerie, étrangeté, rareté, prodige – le

commerce de l’exhibition de ces êtres humains considérés comme de simples animaux,

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différents donc impropres à la vie quotidienne, est tout bonnement insupportable. Autant

le dire : les quatre-vingts photographies, stupéfiantes, à plus d’un titre, participent au

malaise que laisse la lecture de cet ouvrage. Dès le XVIIIe siècle, les forains firent commerce

de ces êtres arrachés à leur pays, arguant de la différence des races, évoquant les caprices de

la nature. Ainsi transplantés aux USA, les indigènes arboraient tout l’accoutrement propre

à leur culture, confortant les croyances populaires en des races de lilliputiens, de colosses ou

d’hommes bicéphales ; le candide spectateur pouvait ainsi se complaire dans des parallèles

douteux avec les monstres de la mythologie.

Impostures que ces exhibitions qui s’habillaient d’une aura pédagogique pour cacher

l’énorme machine à profits qu’elles généraient. Alors si le sujet ne vous chamboule pas trop

l’estomac, vous plongerez dans cette étude érudite composée de deux grandes parties. Une

première approche de l’histoire institutionnelle du freak show et sa mise en scène, des

premiers cirques itinérants aux présentations en grande pompe dans les museums ; d’où

découlera la constitution du monde du divertissement tel qu’on le subit encore aujourd’hui.

La seconde partie complète le panorama général avec les registres exotique et emphatique

qui modulèrent la présentation des freaks.

Déroutant.

François Xavier

Mollat.com, 3 décembre 2013

De 1840 à 1940, le spectacle des freaks, personnes difformes considérées comme des erreurs

de la nature, connut une vogue particulière aux Etats-Unis. Outre les nains, les siamois, les

femmes à barbe et autres curiosités, des représentants de peuples "exotiques" étaient

présentés. L'ouvrage se plonge dans les archives du cirque américain pour décrire son

économie et son imaginaire.