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La Fondation Joan Miró. Centre pour l‘étude de l'art contemporain à Barcelone

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La Fondation Joan Miró. Centre pour M u d e de lár t contemporain àBarcelone

José Luis Sert

I ?

La Fondation Joan MirÓ. Centre pour l'étude de l'art contemporain à Barcelone 2 4 7

L'idée de créer un tel centre à Barcelone remonte assez loin dans le passé. Après la proclamation de la République espagnole le 14 avril 19 3 1 et l'établissement d'un gouvernement autonome local en Catalogne, les groupements de jeunes s'intéressant à l'étude et à la diffusion de la connaissance artistique connurent un regain d'activités. Les conditions locales étaient très propices à un tel développe- ment. Le chapelier Joan Prats, protecteur des arts, et ami de longue date de Joan Miró fonda l'un de ces groupes dans les années trente. Ce groupe, qui s'est donné le nom d ' A m b del Art Notl ( A m i s des arts nouveaux), fit preuve d'un grand dynamisme, organisant des expositions des œuvres de quelques-uns des artistes les plus célèbres de l'époque, ainsi que des conférences et des soirées de débats. La guerre civile et la fin du gouvernement local en Catalogne mirent un terme à ces activités dans les années trente.

Après la seconde guerre mondiale, l'art contemporain entra dans une ère nou- velle. I1 se forma, dans tous les pays d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord, de nombreux groupes qui s'intéressèrent aux arts et aux artistes de notre temps. Joan MirÓ, déja connu sur le plan international depuis le milieu des années vingt, devint une célébrité mondiale. Par l'intermédiaire de son ami Sabartès, Picasso fit don à la ville de Barcelone d'une importante collection de ses premières œuvres, et le Musée Picasso fut inauguré dans les années soixante.

Joan Prats encouragea Joan MirÓ à faire à la ville une donation analogue et à créer un centre vivant consacré à l'étude de l'art contemporain. Ce centre abrite- rait sa collection. En 196fi, MirÓ décida de faire don à la nouvelle fondation d'un tiers de sa production annuelle. L'idée de Prats et l'initiative de Miró reçu- rent un accueil enthousiaste de tous leurs amis barcelonais épris d'art. La donation de MirÓ fut enregistrée officiellement au cours des années suivantes, et la fonda- tion qui porte son nom fut créée. Cette fondation continuait l'ceuvre des années d'avant guerre, et un grand nombre des membres de l'ancien groupe, auxquels se joignirent des Cléments plus jeunes, consacrèrent beaucoup de temps à l'étude des objectifs du centre et à ce que seraient ses activités futures. Des conversations s'engagèrent avec la municipalité, qui accepta de faire don du terrain où s'élèverait le nouveau centre et de prendre en charge la moitié des coûts de construction. La ville soumit au choix de Joan Miró divers emplacements. L'artiste, avec la collaboration de l'architecte et de ses amis, opta finalement en faveur d'un terrain situé dans les jardins Montjuich, parc public aménagé en 1929 pour la Foire mon- diale de Barcelone.

Le site de Montjuich est proche du cmur de la vieille Barcelone, où Miró avait vu le jour. C'est un lieu de rassemblements populaires, proche du musée d'art cata- lan, d'un stade, d'un théâtre en plein air et d'un parc d'attractions. I1 est bien boisé, avec une vue splendide sur Barcelone et sur les collines environnantes. Nul décor ne pouvait mieux convenir à Miró pour l'édification de son musée, auquel pourraient accéder les gens de toutes conditions.

On se mit alors à l'ouvrage afin d'établir un programme précis pour le nouveau centre. Le bâtiment, sous sa forme définitive, reflète parfaitement ce programme. I1 se compose essentiellement d'une succession d'espaces bien délimités, destinés à l'exposition d'œuvres d'art et aux installations du Centre d'art contemporain. Les espaces réservés à l'exposition sont groupés autour de cours qui jouent le rôle de salles supplémentaires pour les sculptures ou céramiques. Les salles sont toutes reliées par une ligne de circulation continue. Les cours sont des sortes de vitrines sans couvercle vues à travers les parois de verre qui dispensent la lumière aux salles. I1 est ainsi possible d'exposer des sculptures de grandes dimensions en plein soleil dans des décors naturels (fig. 13).

Les plans font une grande place à de longues perspectives embrassant plusieurs salles (fig. 14), cours et jardins clos de murs, qui évoquent les vieilles demeures à multiples patios de l'Espagne du Sud. On a préféré ces ensembles aux espaces dégagés, souples, sans formes précises. Les dimensions et les proportions des salles favorisent la concentration sur un nombre réduit d'objets. L'œil ne voit que peu de tableaux à la fois, mais en découvre sans cesse de nouveaux à mesure qu'on

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cours. de Joan Miró dans vune des ~ :andes

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14 Pers ective embrassant plusieurs salles s'ouvrant sur P a cour centrale.

passe d'une salle à l'autre. Les salles ont des plafonds de hauteurs différentes et sont traitées différemment, bien qu'utiIisant un nombre limité d'éléments répétitifs dans le coffrage.

Les différents niveaux du bâtiment sont reliés par des rampes (fig. 1)) ce qui facilite la circulation des visiteurs à travers les différents espaces.

La lumière et l'éclairage ont été soigneusement étudiés et l'on a tiré profit de l'excellente luminosité du ciel de Barcelone. La lumière naturelle est utilisée de deux façons : à travers les parois vitrées donnant sur des cours ou des jardins clos, et à travers des lucarnes aménagées dans de hautes voûtes en demi-berceau qui donnent au bâtiment un caractère original (fig. 16). Tous les murs sont blancs et ils reçoivent et reflètent indirectement la lumière venant de ces lucarnes et filtrant à travers un verre dépoli. On a estimé qu'une diffusion appropriée de la lumière naturelle était la meilleure solution.

Derrière les grandes parois vitrées donnant sur les cours, des rideaux blancs filtrent et diffusent la lumière. Les variations de l'intensité lumineuse, qui change avec la révolution du soleil, ajoutent de la vie aux salles et aux œuvres exposées. O n a évité les systèmes d'éclairage naturel ou artificiel, horizontaux et réphers, qui conviennent mieux aux étalages de magasins. Dans certaines salles où sont exposées des sculptures, on a utilisé la lumière solaire directe.

Une méthode analogue concernant la qualité des lieux d'exposition et la diffu- sion de la lumière a été expérimentée pour la première fois en France, à la Fonda- tion Marguerite et Aimé Maeght à Saint-Paul-de-Vence. Les encouragements d'Aimé Maeght à poursuivre les expériences dans cette voie ont été d'un précieux secours dans la conception de la Fondation MirÓ. De nombreuses expériences ont été faites à Saint-Paul au cours des dix dernières années, notamment des usages multiples de salles, cours et jardins. Les systèmes d'éclairage, tant naturel qu'artificiel, ont été essayés dans des conditions climatiques très semblables à cel- les de Barcelone.

Le bâtiment est de béton armé blanc à coffrage apparent légèrement sablé à l'extérieur et peint en blanc à l'intérieur (fig. 17). O n a utilisé pour les murs d'enceinte une maçonnerie avec cloisons en briques creuses, avec couches d'air aménagées en vue d'une meilleure isolation. Les murs extérieurs sont recouverts de dalles prémoulées, également en ciment blanc avec aggloméré externe en pierres blanches. Les murs intérieurs ont un grain naturel au mortier, non fini et non crépi. Tous les murs et les plafonds intérieurs sont peints en blanc.

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2/ Salle de sculptures et rampe conduisant au niveau supérieur.

16 La lumière est íci utilisée à travers des lucarnes aménagées dans de hautes voûtes en demi-berceau, avec vitres en verre dépoli.

Les plafonds sont en voûte en berceau, et les nervures portent des rampes d'éclairage fixées dans des rainures du béton (fig. 14, 1,). L'extrême simplicité des formes de l'édifice contraste avec les formes plus élaborées des plafonds, qui sont de hauteurs différentes. Les voûtes en demi-berceau, mentionnées plus haut, sont utilisées dans les salles supérieures. Ces voûtes captent la lumière qui entre à flots par de larges fenêtres garnies de verre dépoli, armé en l'occurrence pour plus de sûreté.

Les sols sont en carreaux de couleur terre naturelle. La rampe d'entrée princi- pale (fig. 17) et les terrasses des toits sont revêtues de carreaux prémoulés laissant voir un aggloméré de pierre couleur chamois.

Les panneaux de verre fixes sont directement encastrés dans le béton et la maçonnerie, et les joints de verre ont été traités à la silicone. I1 n'y a pas de châssis métallique. Des portes vitrées dépourvues d'huisserie donnent sur les cours, les toits, les terrasses et les jardins, et peuvent au besoin servir à l'aération du bâti- ment.

L'appareillage électrique est concentré autour des lucarnes, reproduisant la dif- fusion indirecte de la lumière du jour. Les plafonds bas disposent de rampes

d'éclairage amovibles aménagées dans les nervures des voûtes en berceau. La lumière filtrant à travers les grandes lucarnes sert d'éclairage de nuit visible dans les jardins environnants.

Le bâtiment est chauffé et climatisé à l'aide d'une tuyauterie à air. I1 est équipé d'un système de contrôle hygrométrique.

Les jardins du X I X ~ siècle constituant le site ont été réaménagés et adaptés aux nouveaux besoins. Une partie de ces jardins a été donnée au centre qui a reçu l'autorisation de les traiter comme un prolongement des bâtiments. Ils sont entourés de haies de cyprès. Les anciens bancs en maçonnerie et carreaux bleus vernissés, ainsi qu'une fontaine, ont été restaurés et incorporés dans les plans. D'autres bancs ont été répartis dans les salles, cours et toitures en terrasse les plus importantes.

Un sous-sol auquel on accède directement par une porte de service à l'arrière du bâtiment occupe un espace équivalent à celui du rez-de-chaussée. I1 est relié à tous les étages par un grand monte-charge. Ce sous-sol procure en abondance l'espace nécessaire à l'entreposage de tableaux et de sculptures, de livres, films et mobilier, pour le matériel d'emmagasinage, caisses, et matériel mécanique. Une

17 Façade principale.

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salle d'archives spéciale au deuxième étage est réservée aux reproductions. Le bâtiment se divise en deux parties distinctes : les secteurs d'exposition et

le Centre d'étude de l'art contemporain. Tournant à gauche après être entré par la rampe d'accès principale, le visiteur

arrive dans le secteur réservé aux collections MirÓ et à toute autre grande exposi- tion en cours. S'il tourne à droite, il s'engage dans le secteur réservé au Centre d'étude de l'art contemporain et à ses activités. Ce système permet à ces deux sections de fonctionner indépendamment, le cas échéant. On a décrit plus haut les espaces réservés aux objets exposés, dont le circuit inclut également cours et jardins. La section correspondant aux activités du centre proprement dit est logée dans un espace de forme octogonale qui s'affirme hardiment comme une entité à part. Cela se voit nettement de la rampe d'entrée. Cette dualité des fonctions du bâtiment apparaît d'autant plus clairement que tous les principaux éléments du centre sont groupés du même côté et partagent le même volume.

Le bâtiment comporte trois niveaux : le niveau inférieur avec son auditorium d'une capacité de 200 places assises; le deuxième niveau, qui est réservé aux archi- ves de reproduction, avec une capacité de 50 O00 reproductions. Joan Miró atta- chait beaucoup d'importance à cette section. Enfin l'étage supérieur qui abrite une bibliothèque pouvant contenir 3 5 O00 volumes et où 40 personnes peuvent trou- ver place. Attenant à l'octogone, se trouve la cage d'ascenseur, au sommet de laquelle se trouvent la tour de réfrigération, l'escalier principal, les bureaux du directeur, de ses adjoints, du personnel, des bibliothécaires et les services de conservation. Une salle est réservée aux réunions du comité à l'étage supérieur, tout près de la bibliothèque; une autre est réservée à la vente d'ouvrages, de repro- ductions, de cartes postales et de diapositives, à proximité du bar, de l'ascenseur et de l'escalier donnant accès à l'étage inférieur.

Le centre dispose en outre d'une salle et d'une cour spéciales destinées à l'expo- sition de sculptures et à des manifestations diverses. Ces ressources sont utilisées par de jeunes artistes choisis par le comité pour leur donner la possibilité d'exposer leurs œuvres sans avoir à négocier avec les propriétaires privés des galeries d'art de la ville.

La conception architecturale du bâtiment repose sur l'idée qu'une maison desti- née à abriter des œuvres d'art et des activités associées à l'évolution de l'art contemporain devait pouvoir exposer aux visiteurs les œuvres en question dans les meilleures conditions possibles, d'agrément et d'étude.

Ces tableaux, sculptures et œuvres diverses sont exposés de façon telle que rien ne doit venir en troubler la contemplation. On a cherché à éviter tous les éléments de nature à distraire le regard, tels que mobilier trop raffiné, pancartes, appareil- lage électrique, supports de tableaux. Les salles semblent nues; seuls les objets exposés, sous une lumière naturelle changeante, animent ces intérieurs dégagés, de sorte que le dialogue peut s'engager entre les espaces et les œuvres qui y sont exposées.

Quelques-unes des formes choisies s'inspirent de l'ancienne architecture cata- lane. Les proportions et leurs rapports ont été soigneusement étudiés. La place, le rectangle parfait, l'octogone, avec le modulor de Le Corbusier, s'agencent de façon spéciale avec les différentes parties, volumes et vides du bâtiment. La sobriété des formes nécessaire pour mieux mettre en valeur les œuvres exposées permettait un enrichissement des plafonds, conséquence naturelle des dispositifs utilisés pour la pénétration de la lumière. Le bâtiment s'élance, s'ouvre vers le ciel par les trappes à luni?re, et cependant on ne voit pas le ciel. Les formes de ces trappes à lumière ont été, à dessein, accusées et légèrement soufflées. On a donné aux voûtes en quart de cercle une forme légèrement convexe. Posées sur le toit, elles peuvent rappeler l'effet de la lumière sur les colonnes, changeant selon les heures du jour. Les lucarnes sont également traitées en style cc cocon blanc m pour faire ressortir la plénitude de leurs formes. A l'intérieur, les voûtes en berceau continues des plafonds changent de direction lorsque les visiteurs pénètrent dans les salles latérales donnant sur les cours. Ces voûtes en berceau ne sont visibles,

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hors de l'entrée principale, que dans l'auvent qui s'avance pour accueillir le visi- teur.

Certains éléments s'inspirent de l'architecture indigène du sud méditerranéen. Les techniques modernes d'emploi du béton permettent d'utiliser ces formes. Si elles rappellent un lointain passé, il faut y voir une survivance et non une renais- sance. L'emploi généralisé de formes analogues est l'expression de préférences plongeant leurs racines dans le passé et de techniques de construction différentes. Ces formes se sont perpétuées pendant des siècles; il ne faut pas les éliminer, mais bien plutôt leur donner une nouvelle vie, en utilisant des techniques nouvelles répondant aux conditions particulières de notre temps. I1 s'agit de les incorporer de façon appropriée dans un contexte contemporain.

La révision du processus architectural, faisant table rase des années vingt, a suscité une abondante littérature au cours de ces dernières années. La réaction des jeunes générations est, à cet égard, naturelle. I1 conviendrait peut-être de recueillir quelques vestiges qui ont pris une signification nouvelle et peuvent être utilisés aujourd'hui. Dans l'ensemble de l'édifice, dans la stricte géométrie des espaces et leurs rapports avec le site, les jardins, le climat, nous avons essayé d'éviter les éléments qui auraient tendance à marquer le bâtiment du sceau des années soixante-dix, incertaines et changeantes.

FJ