119
Université de Lyon Université lumière Lyon 2 Institut d'Études Politiques de Lyon LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL Droit international de l’eau et gestion des ressources transfrontalières MONDANGE Adrien Mémoire de séminaire Droit international public Sous la direction de : M. Moncef Kdhir Septembre 2009

la gestion des ressources en eau douce en droit international

  • Upload
    dodiep

  • View
    227

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Université de LyonUniversité lumière Lyon 2

Institut d'Études Politiques de Lyon

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAUDOUCE EN DROIT INTERNATIONALDroit international de l’eau et gestion desressources transfrontalières

MONDANGE AdrienMémoire de séminaire

Droit international publicSous la direction de : M. Moncef Kdhir

Septembre 2009

Page 2: la gestion des ressources en eau douce en droit international
Page 3: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre . . 18

Chapitre 1 : un droit évolutif aux multiples facettes . . 18Section 1 L’émergence progressive de normes internationales : une approched’abord limitée . . 19Section 2 un élargissement juridique nécessaire . . 25

Chapitre 2 : l’affirmation de la nécessité de gestion commune . . 29Section 1 des doctrines stato centrées incompatibles avec la gestion de ressourcesinternationales en eau douce . . 30Section 2 La souveraineté remise en cause . . 34

Chapitre 3 Aujourd’hui : eau et partage . . 38Section 1 : un long fleuve…pas tranquille du tout : l’édification d’une conventioninternationale . . 39Section 2 les travaux de la CDI : antagonismes et concessions . . 42Section 3 des principes généraux généreux ? . . 46

Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources eneau douce . . 53

Chapitre 1 la Convention du 21 mai 1997 : une convention imparfaite . . 53Section 1 un apport somme toute limité . . 54Section 2 une convention peu novatrice ? . . 60

Chapitre 2 des vides juridiques criants . . 65Section 1 l’absence d’un système de règlement contraignant . . 65Section 2 des préoccupations environnementales qui semblent lointaines . . 69Section 3 : Le droit à l’eau . . 76

Chapitre 3 utilité du droit international des ressources en eau douce : études de cas . . 81Section 1 l’eau enjeu de pouvoir : quelle place pour le droit international ? . . 82Section 2 L’eau et la paix au Proche Orient . . 87

Conclusion . . 93Bibliographie . . 96

Ouvrages et articles de périodiques . . 96Documents officiels et juridiques . . 99Principaux sites Internet consultés . . 100

ANNEXES . . 102Annexe 1 : Les aquifères transfrontaliers dans le monde . . 102Annexe 2 : Convention sur le droit relatif aux utilisations descours d’eauinternationaux à des fins autres que la navigation, 14 mai 1997 (sélection d’articles) . . 103Annexe 3 : Directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine del’eau . . 112Annexe 4 : Carte « Water sources », distribution des ressources en eau douce enIsraël et dans les Territoires Occupés . . 116

Page 4: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Resume . . 118Mots-clefs . . 119

Page 5: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Remerciements

Mondange Adrien - 2009 5

RemerciementsJe tiens à remercier M. Moncef KDHIR, professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon,responsable du séminaire droit international public, pour son accompagnement dans les différentesétapes de ce travail de recherche ainsi que ses conseils.

Merci à Mme Raya Marina Stephan, Raya Marina Stephan, spécialiste en droit de l'eau,consultante pour l'UNESCO Programme Hydrologique International, pour ses conseils et saconsciencieuse relecture.

Merci à Thibaut Magnan, un ami étudiant à l’ESC Lyon, pour son soutien logistique et sesrelectures.

Merci à tous ceux qui m’ont aidé à faire avancer ma réflexion et ont accepté de répondre à mesquestions ponctuelles, et notamment : Alice Aureli (UNESCO Water division) pour les documentsqu’elle m’a fait parvenir, Emilie Casper, auteur d’une thèse sur le droit de l’eau, Jochen Sohnle,Maître de conférence en Droit Public, spécialiste en droit de l’eau.

Page 6: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

6 Mondange Adrien - 2009

Introduction

L’eau est source de vie et elle est indispensable à son maintien. Elle est nécessaire à touteforme de vie sur la planète, utilisée par les êtres humains comme par les écosystèmes dansl’ensemble de leurs cycles. Un être humain est composé de plus de deux tiers d’eau, et uneperte de plus de 15% de notre eau peut entraîner la déshydratation et la mort. Partant de ceconstat, l’eau est même recherchée jusque sur Mars, et à travers ses explorations l’Hommecherche à savoir s’il est seul dans l’univers. Ce n’est peut être pas le cas, mais ce qui restesûr actuellement, c’est que l’Homme est seul face à ses responsabilités.

L’eau recouvre plus de 70% de la Terre, que nous appelons « Planète Bleue » depuisqu’elle est apparue ainsi aux premiers astronautes qui l’ont observée. Cependant une infimequantité de cette eau peut être utilisée pour les besoins humains. En effet, 98% de cetteeau a une teneur en sel trop élevée. L’eau douce accessible représente à peine 0,3% dutotal, le reste est enfermé dans les glaces, ou réside dans des nappes souterraines tropprofondes pour être aisément exploitées. L’eau peut parfois être un élément complexe àappréhender, de par son caractère changeant, de par les traditions qui y sont attachées, depar les questions que la gestion de cette ressource soulève.

Le cycle hydrologique est constitué d’échanges d’eau sous différentes formes entre lesmers et océans, les eaux continentales (superficielles et souterraines), l’atmosphère et labiosphère. Le cycle externe de l’eau se fait en deux parties, intimement liées : une partieatmosphérique et une partie terrestre qui concerne l’écoulement de l’eau sur les continents.Différents mécanismes participent à la formation du cycle, parmi lesquels l’évaporation etla transpiration, les précipitations, le ruissellement, l’infiltration…

Page 7: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Introduction

Mondange Adrien - 2009 7

Le cycle de l’eauDans l’introduction de son ouvrage sur l’eau et ses enjeux, François Actil justifie l’intérêt

du rappel du cycle de l’eau dans son étude de la façon suivante : « Nous connaissonstous le cycle de l’eau et le caractère perpétuel de ce mouvement. Quel est alors l’intérêtde revenir encore une fois sur cette question ? En fait, les choses ont beaucoup changédepuis le début de l’industrialisation. Il manque au schéma classique du cycle de l’eau lesquelque six milliards d’individus qui s’abreuvent continuellement à cette source […] »1. Lecycle global de l’eau est équilibré, c'est-à-dire que les océans et les continents reçoivent parles précipitations une quantité d’eau égale à celle qui s’en évapore. Les précipitations surles océans étant inférieures à l’évaporation, les continents réduisent l’écart en déversantchaque année une certaine quantité d’eau dans les océans.

Durant ce cycle, l’eau se retrouve sous trois phases : liquide, solide et gazeuse, etce sont les trois formes de sa présence sur la planète. L’eau présente dans la naturese retrouve essentiellement sous forme liquide. Les ressources utilisées par l’hommeproviennent principalement des eaux de surface, les fleuves, rivières et lacs car ellessont directement accessibles et peuvent faire l’objet d’aménagements. Quant aux eauxsouterraines, elles correspondent à l’eau, sous quelle que forme que ce soit, contenue dansl’écorce terrestre. Ces réservoirs naturels sont appelés aquifères. Les eaux superficielleset les eaux souterraines ne sont cependant pas deux éléments complètement distincts, etla communauté scientifique a montré que leur sort est en fait étroitement lié. Les eaux desurface peuvent être à l’origine de la recharge naturelle des aquifères, alors que les eauxsouterraines alimentent fleuves et lacs.

L’eau est une ressource mobile, et elle est inégalement répartie sur l’ensemble de laplanète. « Elle constitue par ailleurs une ressource limitée- non pas rare- et recyclable- non

1 François Anctil, l’eau et ses enjeux, 2008, les Presses de l’Université de Laval, p.1.

Page 8: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

8 Mondange Adrien - 2009

pas renouvelable »2 . Il est incorrect d’affirmer que l’eau est rare sans autre précision. L’eauest présente sur la Terre en quantité suffisante, et selon certaines prévisions l’eau doucedisponible pourrait satisfaire « au moins le double de la population mondiale actuelle »3. Ily a assez d’eau pour satisfaire les besoins de la population actuelle et des populations àvenir. Des estimations de la banque mondiale et de la commission pour l’eau nous rappellentque les hommes consomment en moyenne à l’échelle mondiale 3800 km3 d’eau par anpour leurs besoins, alors que les ressources disponibles s’élèvent à environ 41 000 km3 !Ce qui pose problème dans la gestion de l’eau douce, c’est son inégale répartition. En cesens, on peut parler de la « raréfaction de l’eau douce en tant que ressource naturelle depar sa répartition inégale dans l’espace et l’accroissement des demandes »4. Une étuderéalisée dans le cadre du programme des Nations Unies pour l’eau définit la rareté en eaucomme de la sorte : « water scarcity [is] the point at which the aggregate impact of all usersimpinges on the supply or quality of water under prevailing institutional arrangements tothe extent that the demand by all sectors, including the environment, cannot be satisfiedfully »5Le Moyen Orient, région du monde abritant 5% de la population mondiale totale,ne dispose que de 1% des ressources en eau douce. La « tranche critique », voilà où setrouvent deux pays sans cesse au cœur de l’actualité, Israël et la Jordanie. Dans cetterégion, le déficit hydrique est d’au moins 300 millions de m3 par an. Le problème de l’eau auProche Orient est relativement récent. Il est dû à une explosion des besoins sous la pressiondémographique (et donc des besoins croissants pour l’irrigation) depuis les années 80. Ona pu parler alors d’ «hydropolitique »6. Dans la plupart des pays d’Afrique Subsahariennela survie des populations nécessite des efforts constants de chacun pour s’approvisionneren eau douce. Le « Nord », avec seulement 20% de la population mondiale, utilise ainsijusqu’à 80% des ressources en eau. Au-delà de la dimension écologique présentée enquelques traits plus haut, l’eau présente une dimension sociale. Elle est à la base de la viehumaine, et à la base par là-même du développement des sociétés. L’eau est un « facteursocial »7 Une gestion saine de l’eau permet d’éviter la propagation de maladies. Commel’a dit l’ancien Directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, Lee Jong-Wook,« l’eau et l’assainissement sont indispensables à la santé publique. […] lorsqu’on auragaranti à tout un chacun, quelles que soient ses conditions de vie, l’accès à une eau salubreet à un assainissement correct, la lutte contre un grand nombre de maladies aura fait unbond énorme ». Certains chiffres ressortent régulièrement des différentes études réaliséespar les Nations Unies et différentes ONG. Ainsi, chaque année 1,8 millions de personnes,dont 90% sont des enfants de moins de cinq ans, vivant pour la plupart dans des paysen développement, meurent de maladies diarrhéiques (y compris du choléra). 88% de cesmaladies sont dues à une mauvaise qualité de l’eau, à un assainissement insuffisant et à unehygiène défectueuse. En 2025, 1800 millions de personnes vivront dans des régions danslesquelles l’eau sera rare, au sens défini plus haut, et les deux tiers de la population mondialepourraient connaître des situations de « stress hydrique », ce qui signifie qu’environ 3,5

2 Sylvie Paquerot, Eau douce, la nécessaire refondation du droit international, Presses de l’Université du Québec, 2005, p.23 M. De Villiers, l’eau, Toronto/Paris/Montréal, Solin/Actes Sud/Léméac, 1999, p.31, in Sylvie Paquerot, op. cit., p.3.4 Jochen Sohnle, le droit international des ressources en eau douce : solidarité contre souveraineté, la documentation française,

Paris, 2002, p.23.5 UN-Water, coping with water scarcity. A strategic issue and priority for system-wide action, August 2006.6 De nombreux articles traitent aujourd’hui de ces questions. Bien que le terme n’apparaisse pas encore dans les dictionnaires

courants, en revanche il fait partie du lexique géopolitique.7 Jochen Sohnle, le droit international des ressources en eau douce, op.cit., p.23-33

Page 9: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Introduction

Mondange Adrien - 2009 9

milliards de personnes devraient connaître des difficultés quant à l’approvisionnement eneau.

Source : I.A. Shiklomanov, Comprehensive Assesment of the Freshwater Ressourcesof the World

Page 10: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

10 Mondange Adrien - 2009

Source : I.A. Shiklomanov, Comprehensive Assesment of the Freshwater Ressourcesof the World

Disponibilité en eau douce

Page 11: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Introduction

Mondange Adrien - 2009 11

La pénurie d’eau en 2025 (Source : World Water Forum 2000)Il est important, même dans un travail qui doit se focaliser avant tout sur le droit, de

prendre conscience des questions liées à l’eau. Nous l’avons dit, les paramètres devantêtre pris en compte pour la gestion de l’eau sont non seulement quantitatifs mais aussiqualitatifs. Alors que la population mondiale a triplé au cours du XXe siècle, l’utilisation del’eau a été multipliée par six. Ces besoins croissants sont attribuables non seulement à lacroissance de la population mais aussi au fait que les populations consomment de plus enplus d’eau. 70% des ressources en eau douce disponibles sont utilisés pour les besoins del’irrigation, 20% pour l’industrie et 6% pour les ménages. L’Agenda 21, qui est le rapport dela Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement (Rio de Janeiro,juin 1992), consacre son chapitre 18 à la gestion des ressources en eau douce. Il y est ditque :

« La rareté généralisée des ressources en eau douce, leur destruction progressive etleur pollution croissante que l’on constate dans de nombreuses régions du monde, ainsique l’intrusion graduelle d’activités incompatibles, exigent une intégration de la planification

Page 12: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

12 Mondange Adrien - 2009

et de la gestion des ressources en eau. Cette opération doit couvrir toutes les étenduesd’eau douce interdépendantes, notamment les eaux de surface et les eaux souterraines, ettenir dûment compte des aspects quantitatifs et qualitatifs. Il est nécessaire de reconnaîtrela dimension multisectorielle de la mise en valeur des ressources en eau dans lecontexte du développement socio-économique ainsi que les utilisations multiples de l’eau :approvisionnement et assainissement, agriculture, industrie, urbanification, hydroélectricité[…]. Des plans rationnels de mise en valeur des eaux de surface, des eaux souterraines etd’autres sources possibles doivent être appuyés en même temps par des mesures de miseen valeur des eaux de surface, des eaux souterraines […] »8.

L’eau semble être aujourd’hui un sujet de préoccupation majeur. L’année 2003 avaitété proclamée « année internationale de l’eau douce », et nous vivons actuellement

dans la « décennie internationale d’action : l’eau, source de vie ». Lors du 4e Forummondial de l’eau en mars 2006 à Mexico, les ministres réaffirment un certain nombre depositions, et notamment « le rôle crucial de l’eau douce dans tous les domaines liés audéveloppement durable, soit, entre autres, l’éradication de la pauvreté et de la faim, la santé,le développement de l’agriculture […] ainsi que de l’atteinte des objectifs de durabilité et deprotection de l’environnement ».

Depuis des temps anciens l’homme a cherché à utiliser au mieux les ressources eneau douce. Les sociétés de l’Egypte pharaonique, l’Empire Inca du Pérou, l’empire chinoisou encore l’Inde, ont basé leur développement sur la maîtrise de l’eau, créant ainsi ceque Wittfogel a appelé les « sociétés hydrauliques » (« hydraulic societies »)9. Aujourd’huiencore, l’eau ressort comme un facteur déterminant dans de nombreux programmes dedéveloppement, concernant notamment la réduction de la pauvreté, la prise en compte desobjectifs de développement durables…

« L’eau coule toujours vers les sources de moindre résistance ». 10

Les populations ont cherché, et cherchent aujourd’hui encore, à s’assurer de lapérennité de leurs intérêts quant aux ressources en eau douce. Certains auteurs aujourd’huiparlent de « guerre de l’eau ». C’est une expression frappante que la presse a contribuéà populariser. Cependant, aucun de ces conflits n’a jusqu’à ce jour été enregistré, et leterme est difficile à saisir. En effet, si l’eau peut être un facteur aggravant lors d’un conflitarmé, la possession de cette ressource n’a pas été la revendication centrale de l’une oul’autre des parties au conflit. L’eau peut être utilisée comme une ressource stratégique, voirecomme une arme, exacerber des tensions déjà existantes…Ainsi, Nina Graeger affirmeque : « when environmental degradation is a consequence of international acts of warfare,it often exacerbates the conflict. Environmental degradation may also exacerbate a conflictthat originated for other reasons […] »11. Ceux qui défendent la thèse de la guerre de l’eaupartent du principe que les hommes, toujours plus nombreux, se disputent une eau de plusen plus rare. Or, nous l’avons dit, l’eau n’est pas de plus de plus en plus rare, elle estpar contre très inégalement répartie. Toutefois cette thèse a été largement médiatisée, et

8 Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (Rio de Janeiro, 3-14 juin 1992),chapitre 18, para.3.

9 Cité par Eyal Benvenisti, collective action in the utilization of shared freshwater : the challenges of international resourceslaw, the American Journal of International Law, Vol.90, N°3 (Jul.1996), p.385. Source originale Karl. A. Wittfogel, Oriental Despotism:A comparative study of total power 8 (1957).

10 Moses Isegawa, écrivain ougandais, dans le courrier de l’UNESCO, octobre 2001, p.30.11 Nina Græger. Environmental Security? Journal of Peace Research, Vol. 33, No. 1. (Feb., 1996), p. 110

Page 13: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Introduction

Mondange Adrien - 2009 13

ce à travers des déclarations au caractère prédictif parfois trop appuyé. Ainsi, en 1992 DrBoutros Boutros Ghali, ancien ministre des affaires étrangères d’Egypte et alors SecrétaireGénéral des Nations Unies déclarait que « le prochain conflit au Moyen Orient portera sur laquestion de l’eau »12. Aaron Wolf, directeur d’un projet de base de données sur les conflitstransfrontaliers et maître de conférence à l’Oregon State University, estime quant à lui que« la seule vraie guerre de l’eau connue remonte à 4500 ans. Elle a opposé deux citésmésopotamiennes à propos du Tigre et de l’Euphrate, dans le sud de l’Irak actuel. Depuis,l’eau a parfois envenimé les relations internationales. Mais on voit souvent des nationsennemies- comme l’Inde et le Pakistan ou Israël et les Palestiniens- régler leurs conflits surl’eau même s’ils se déchirent pour d’autres raisons »13. La plupart des incidents sérieux sesont limités à des menaces verbales de chefs d’Etat. Ainsi Sadat déclarait il en 1979 que« l’eau était le seul mobile qui pourrait conduire l’Egypte à entrer de nouveau en guerre ». Enfait, et toujours selon Aaron Wolf, les théories de la guerre de l’eau seraient apparues à lafin de la guerre froide afin de venir combler le vide crée par la fin de l’affrontement des deux« supergrands ». C’est à cette époque que sont apparues de nouvelles approches dans lesétudes des relations internationales, et notamment celles consacrant l’idée de « sécuritéenvironnementale »14. Le programme mondial pour l’évaluation des ressources en eau(World Water Assessment Programme WWAP) a été crée en 2000 pour tenter de trouverdes solutions durables à ce problème de développement humain. De plus, ce programmecomporte un autre volet, à savoir casser le mythe selon lequel un stress hydrique accruprovoquera inévitablement des conflits internationaux. Si l’on réfléchit encore un peu à cetteproblématique de la « guerre de l’eau », on s’aperçoit que ce serait une erreur et unecatastrophe. Plutôt que de tenter de négocier, approche qui a toujours été privilégiée, un Etatchercherait à accroître ses réserves en faisant la guerre à son voisin, ce qui semble absurde,à moins de s’emparer du bassin hydrographique dans l’ensemble et de le vider de seshabitants, situation qui serait certainement condamnée par la communauté internationale.

Des estimations considèrent que 40% de la population mondiale vit dans les quelques260 bassins internationaux qui traversent les frontières de deux ou plusieurs pays, cequi correspond à environ 60% des ressources en eau douce disponibles. L’eau est uneressource partagée par nature, et son partage est une nécessité. Si ce partage estaujourd’hui l’œuvre du droit international de l’eau, en revanche les premiers préceptesnormatifs ont souvent résulté de considérations religieuses, symboliques, de donnéesscientifiques (naturelles ou sociales). De tout temps des populations vivant dans des zonesarides ont su partager cette ressource et vivre dans un environnement qui nous apparaît,à nous qui n’avons qu’à ouvrir le robinet pour que l’eau abonde, très austère. Pensons parexemple à Petra, qui au premier siècle avant notre ère était un carrefour commercial abritantjusqu’à 30 000 caravaniers et commerçants, les Nabatéens. Et pourtant, cette ville est enplein désert…A l’inverse, songeons à une ville comme Las Vegas et ses 600 000 habitants,ville elle aussi en plein milieu d’un désert, et qui s’offre pourtant le luxe de consommer plusdu double de la consommation moyenne aux Etats Unis, soit plus de 1000 litres par jouret par personne…

12 El-Ahram Weekly, 19-25 mars 1992, cité par C. Chesnot, La Bataille de l’eau au Moyen-Orient, Paris, L'Harmattan, 1993, p. 9.13 Aaron Wolf, propos recueillis par Amy Otchet, le courrier de l’UNESCO, octobre 2001, p.18.14 Sur ce sujet, voir par exemple : Norman Myers. Ultimate Security, The Environmental Basis of Political Stability, 1993, W.W

Norton and Company, first edition ; Thomas Homer-Dixon. The Myth of Global Water Wars, Toronto Globe and Mail, November 9,1995 ; Peter H.Gleick. Water and Conflict: Fresh Water Resources and International Security. International Security, Vol. 18, No. 1.(Summer, 1993) ; Nina Græger. Environmental Security? Journal of Peace Research, Vol. 33, No. 1. (Feb., 1996)...

Page 14: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

14 Mondange Adrien - 2009

On peut dire aujourd’hui que l’eau est un bien économique, peut être pas tout àfait comme les autres, mais un bien qui semble répondre à la confrontation de l’offre etde la demande. « La demande en eau est déterminée par le niveau de développementéconomique et technologique atteint ou à atteindre dans une société ainsi que par leniveau démographique », tandis que « l’offre de la ressource en eau est un ensemble depotentialités conjuguant quantités (flux, stock) et qualités, de facilités et de difficultés demaîtrise et d’accès […] »15. Cependant, la considération et le traitement de l’eau commeun simple bien économique ne vont pas sans poser un certain nombre de problèmes.Avant 1998, 90 millions de personnes avaient recours à des eaux produites par de grandesmultinationales. Ce chiffre est ensuite passé à plus de 250, et on ne peut qu’extrapoler cechiffre à la hausse depuis. Le marché n’est pas anodin dans cette situation. Les installationsnécessaires à l’exploitation de l’eau sont toujours plus coûteuses, et par conséquent lesfirmes répercutent ces coûts d’exploitation sur les prix de l’eau. Ainsi, si les firmes continuentà traiter l’eau comme une ressource lucrative, cela remet en cause la distribution publiqueassurée par les Etats ou les pouvoirs locaux, et risque de priver d’eau les populationsqui n’ont pas les moyens de se l’offrir. D’un point de vue éthique, une telle situation estégalement critiquable. Danièle Mitterrand, dont la fondation « France Libertés » a pourslogan « les vraies richesses n’ont pas de prix », rappelle que « l’eau c’est la vie. Or onne vend pas la vie »16. Selon les théories économiques, faire de l’eau un bien économiquepermettrait d’assurer une gestion équilibrée de l’eau, fonction de l’offre et de la demande.Cependant une telle approche laisse de côté la nature même de l’eau ainsi que les questionssociales et environnementales. Il est en effet impossible de répartir les ressources en eaudisponibles en parts de marché. Les externalités négatives inhérentes à la production d’unbien économique ne peuvent être compensées dans le cas de l’exploitation de ressourcesen eau. Dans le cas du dessalement de l’eau par exemple, non seulement ce procédé estextrêmement gourmand en énergie, mais de plus il tend à contrarier le cycle naturel de l’eauen prélevant et en dessalant une eau qui aurait dû s’évaporer et participer au cycle externe.

L’eau est une ressource qui ignore les frontières, elle est un élément supranationalet pose donc de ce fait d’importantes questions relatives au droit international. JochenSohnle exprime d’ailleurs l’importance de ces questions dans le titre de sa thèse : le droitinternational des ressources en eau douce : solidarité contre souveraineté. Ceci amènel’auteur à présenter l’eau comme une « ressource solidaire [qui] remet en cause le conceptde souveraineté »17. La souveraineté est un concept essentiel de droit international public.Tout Etat est souverain et par conséquent il existe une égalité entre Etats souverains, demême qu’il existe une égalité en droit interne entre les sujets de l’Etat. Les Etats sont égauxen tant qu’ils sont souverains, ce qui signifie qu’ils n’ont pas en droit de supérieur. Ainsi,la notion de souveraineté renvoie à la puissance de l’Etat, mais aussi à sa liberté18. Lasouveraineté dans l’ordre international se définit négativement comme le fait de ne pasêtre soumis à une autorité supérieure, elle ne comporte en elle-même aucun pouvoir, etpermet de qualifier les droits d’un Etat, ses prérogatives et ses compétences sur la scèneinternationale. Comment dès lors concilier la souveraineté de l’Etat et le partage d’une

15 Jochen Sohnle, op.cit., p 26-27.16 Danièle Mitterrand, reportage « protéger l’eau, c’est défendre la vie », présenté par Yann-Arthus Bertrand, réalisé par Xavier

Lefebvre, 2006.17 Jochen Sohnle, op.cit., p.3318 Pour plus de précisions, voir Jean Combacau, Pas une puissance, une liberté : la souveraineté internationale de l’Etat,

Pouvoirs, 1993, numéro 67 ; Jean Combacau, Serge Sur, Droit international public, 2005 (5e édition).

Page 15: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Introduction

Mondange Adrien - 2009 15

ressource « solidaire » ? C’est l’une des questions auxquelles les sociétés ont cherchéà répondre, et cela s’est traduit par une inflation juridique. Ainsi, de 805- date à laquellel’empereur Charlemagne octroie à un monastère la liberté de naviguer sur le Rhin- à nosjours, de nombreux traités concernant l’utilisation des ressources en eau internationalesse sont succédés. J. Sironneau évalue à environ 3800 le nombre de ces traités. Ce sontdes traités bi ou multilatéraux, qui se rapportent à l’utilisation des eaux d’un bassin enparticulier. Les auteurs retraçant la formalisation des règles applicables aux cours d’eauinternationaux se réfèrent au terme « d’internationalisation » des règles, soulignant parailleurs le fait que le caractère international d’un cours d’eau n’était pas fondé sur sa naturemais plutôt sur des observations relatives à la navigabilité du fleuve. Dès le XIXe siècleen effet, les fleuves internationaux ont fait l’objet de formes de coopération internationale,et ont donné naissance aux premières organisations internationales, chargés de gérer desfleuves internationaux tels que le Rhin, le Danube ou encore l’Escaut. Durant tout le XIXesiècle, seuls deux éléments seront considérés pour définir le caractère international d’uncours d’eau : la navigabilité naturelle sur tout ou partie du cours d’eau, qui doit de plustraverser ou séparer deux ou plusieurs Etats. L’article 108 de l’Acte final du Congrès deVienne de 1815 est ainsi libellé : « Les puissances dont les Etats sont séparés ou traverséspar une même rivière navigable, s’engagent à régler d’un commun accord tout ce qui arapport à la navigation de cette rivière »19. Dans son arrêt du 10 septembre 1929 portantsur l’affaire de la compétence de la Commission internationale de l’Oder, la Cour Pénalede Justice Internationale (CPJI) a considéré que la qualification de fleuve international nepouvait être conférée qu’à une voie d’eau navigable au moins sur une partie de son courset qui serve « naturellement d’accès à la mer à plusieurs Etats »20 Cependant, compte tenudes caractéristiques de l’eau, cette condition de navigabilité ne pouvait pas rester la seule.Si c’était le cas, elle aurait des effets pervers et destructifs, empêchant les aménagementsnécessaires à l’être humain, et laissant de côté par exemple la notion de souveraineté. Ils’agirait d’une internationalisation bien limitée au vue d’un élément pourtant unique en songenre.

Le droit international doit donc prendre en compte des éléments écologiques et sociauxafin de réguler l’utilisation des ressources en eau douce. Des considérations liées auxcaractéristiques inhérentes à l’eau, aux différentes utilisations qui peuvent en être faites,sont nécessaires. Il est important pour dégager des règles juridiques de bien comprendre lanature de l’eau. M. Schwebel, l’un des rapporteurs de la Commission de Droit Internationalchargée de travailler sur « l’utilisation des cours d’eau internationaux à des fins autresque la navigation », avait dès 1979 souligné trois éléments essentiels. Il s’agit du cyclehydrologique, du pouvoir auto-épurateur de l’eau, et de la variation de la quantité d’eau etde son écoulement21. Dans le cas de l’eau, des impératifs extra juridiques appellent à lacréation de normes juridiques. Jochen Sohnle exprime parfaitement cette problématique enécrivant que :

« le caractère naturel et partagé des ressources en eau, leurs dimensions écologiqueet sociale induisent une finalisation du droit international qui s’en occupe. L’impératif desolidarité est la résultante de ces vecteurs extra juridiques. Ce constat rejoint l’existence

19 Martens (G.F. de), Nouveau Recueil des traités, vol. II (1814-1815), 1887, p.424, cité par El Hassane Maghfour,Hydropolitique et droit international au Proche-Orient, l’Harmattan, 2008, p.187.

20 Recueil CPJI série A, p25, §23, cité par JP Pancracio, droit international des espaces, Armand Colin, 1997, p. 112.21 Scwebel, premier rapport, 1979, pp.153 à 158.

Page 16: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

16 Mondange Adrien - 2009

d’un principe général juridique de solidarité, déduit, quant à lui, de l’observation empiriquedu droit positif international des ressources en eau douce »22.

Ainsi, considérant que l’eau est difficilement réductible à une simple ressource naturelle,à laquelle s’appliquent les principes de souveraineté et de libre échange, une évolution dudroit international de l’eau s’est produite, le dernier acte juridique produit étant la Conventionde New York de 1997 relative à « l’utilisation des cours d’eau internationaux à des fins autresque la navigation ». Cette convention n’est pas encore en vigueur.

Il existe donc aujourd’hui ce que l’on peut appeler un droit international de l’eau.Arrêtons-nous un instant sur les termes employés. Il semble en effet étrange de parler dedroit « de » l’eau. Dans un article publié en 1985, Martine Rémond-Gouillud se propose deréfléchir sur les relations entre la nature et le droit. La nature redevient elle un sujet de droit ?Pour l’auteur, on ne peut pas dire que ce soit réellement le cas. Martine Rémond Gouilloudpropose ensuite une relecture du droit romain en fonction des réalités contemporaines.Les rapports entre l’homme et son droit, et la nature ont toujours existé. Pensons auxdifférentes divinités de la nature qui participaient à la vie de la cité. Pensons égalementaux procès faits aux animaux et notamment durant le Moyen Age. De tels procès n’étaientpas organisés de façon régulière, cependant « les sources convergent et font remonterà 1120 la première excommunication prononcée contre les chenilles et les mulots. Parcontre, c’est au XIIIe siècle […] que l’on a trace d’un jugement rendu contre un porc »23.Au Moyen Age on soumettait à l’action de la justice tous les faits condamnables, mêmeceux des animaux. Il existait donc un droit applicable aux animaux, avec des procéduresdécrites précisément, des sanctions prévues (la relaxe, la mort par pendaison etc…)selon les animaux et les crimes commis. Les rapports de l’homme à la nature sont enconstante évolution. Il semble que l’anthropocentrisme s’efface progressivement devantdes considérations plus globales. Le droit des animaux désigne effectivement les droitsaccordés aux animaux, ceux d’être protégés, bien traités…C’est aujourd’hui l’homme quel’on condamne, pour une faute commise par son animal, ou pour un rapport condamnableentretenu avec un animal. De même, le droit de l’environnement, pris dans un sens large,évolue. Selon Martine Rémond Gouilloud, « le droit de l’environnement semble appelé àprendre ici le relais du droit des biens »24. A partir de l’étude des significations classiquesde res nullius et res communis, l’auteur montre qu’ « une analyse classique du droit depropriété contribue encore à expliquer l’insertion difficile du droit de l’environnement dansnotre système juridique »25. Ainsi, les notions de res nullius et res communis se seraientéloignées de leur signification classique, ceci témoignant d’un état d’esprit nouveau. Il existedes limites à l’utilisation des ressources en eau douce, et selon Martine Rémond Gouilloud,c’est la prudence qui s’institutionnalise, et permettrait d’opérer « l’adéquation de la ressourceà l’homme »26.

Le droit semble pouvoir répondre à des problématiques toujours plus complexes et àdes attentes toujours plus précises. L’eau est un enjeu de codification, elle est un objetde réflexion juridique, et ce à tous les niveaux. En droit interne, cette préoccupation setraduit par la multiplication de mesures législatives destinées à assurer la conservation

22 Jochen Sohnle, op.cit., p.34.23 Benjamin, Jacques, Claude Daboval, les animaux dans les procès du Moyen Age à nos jours (thèse), 2003.24 REMOND-GOUILLOUD, Martine, Ressources naturelles et choses sans maître, Recueil Dalloz, 31 janvier 1985, p. 2825 Idem.26 REMOND-GOUILLOUD, Martine, ressources naturelles et choses sans maître, op.cit, p. 34.

Page 17: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Introduction

Mondange Adrien - 2009 17

des eaux, leur protection, leur gestion27. Au niveau communautaire, la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, établit « un cadrepour une politique communautaire dans le domaine de l’eau »28En droit international,les efforts se multiplient également. Les doctrines, les textes juridiques élaborés à deséchelles internationales pourraient permettre de soutenir une coopération internationaleindispensable aujourd’hui pour assurer une gestion équitable des ressources en eau douce.Le droit n’empêche pas forcément les individus ou les Etats d’agir contrairement auxintérêts de la société qui ont été fixés, cependant il a l’avantage de fixer un cadre juridiquenécessaire et qui fixe en théorie les limites de certains agissements. Si la littérature del’immédiate après guerre froide concernait principalement le risque de conflits, aujourd’huiles textes prônent un partage et une gestion à l’échelle de bassins fluviaux internationaux,le dépassement de cadres simplement bilatéraux. Les maîtres mots autour desquelss’articulent les nouvelles réflexions sur le droit international de l’eau sont « solidarité »,« coopération », « concertation », « utilisation équitable et raisonnable », et d’autres encore.La Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau à des fins autres que lanavigation adoptée à la suite des travaux de la Commission du Droit International le 21mai 1997, cherche à établir un équilibre entre les différents intérêts des Etats quant auxressources en eau disponibles. Cette Convention énonce trois principes fondamentaux :le principe de l’utilisation équitable et raisonnable et l’interdiction de causer un dommagesignificatif, l’obligation de coopérer entre les Etats du cours d’eau, l’obligation de protectiondes cours d’eau. Nous serons amenés à analyser cette Convention tout au long de notretravail. D’autres législations seront étudiées.

A travers ce travail il s’agira de voir comment le droit international cherche à gérer lesressources en eau douce, et de s’attarder sur la pertinence de ce droit en matière de gestiond’eau douce. Malgré la prise de conscience croissante de la nécessité d’utiliser le droitinternational pour gérer les ressources en eau douce, le droit n’est pas toujours à la hauteur.S’il constitue un cadre de valeurs incitant les Etats à partager une ressource nécessaire àtous, et s’il est établi dans une perspective de paix, d’équité et de justice, pourtant il estaujourd’hui encore nécessaire d’évaluer son apport. Pour ce faire, il s’agira de présenterl’édification du droit international de l’eau. Ce droit a été construit progressivement, eta abouti à la mise en place de principes qui semblent être les piliers d’une nouvellecompréhension des ressources en eau douce. Il est nécessaire de se pencher sur laconstruction de ce droit afin de mieux faire ressortir les problèmes et les conflits qui peuventêtre soulevés. En effet, la suite de notre réflexion sera consacrée à l’apport et à la pertinencedu droit international dans la gestion des ressources en eau douce.

27 En France, la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et milieux aquatiques vise, entre autres, à améliorer lesconditions d’accès à l’eau de tous et à rendre plus transparent le service public de l’eau douce, à reconnaître le droit à l’eau pour tous,à mettre en place les objectifs établis par la directive cadre européenne sur l’eau d’octobre 2000…

28 Parmi les mesures de protection et de gestion figurent des arguments économiques : « à partir de 2010, les Etats membresdoivent assurer que la politique de tarification incite les consommateurs à utiliser les ressources de façon efficace et que les différentssecteurs économiques contribuent à la récupération des coûts des services liés à l’utilisation de l’eau, y compris pour l’environnementet les ressources ».

Page 18: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

18 Mondange Adrien - 2009

Partie I Le droit international de l’eau,nécessaire et complexe à mettre enœuvre

Chapitre 1 : un droit évolutif aux multiples facettesLe droit international de l’eau est, à l’image de son objet, sans cesse en mouvement. C’estun droit qui évolue fortement, et ce pour différentes raisons. D’une part, les usages qui sontfaits de l’eau n’ont pas toujours été les mêmes, le progrès technologique par exemple aamené de nouvelles utilisations de cette ressource.

Cependant, ce qui contribue également à faire de l’eau un sujet permanent du droit, etune source d’intérêt constante, voire croissante, est la permanence des enjeux liés à l’eau.Dès l’Antiquité se manifeste la valeur géostratégique de cette ressource, qui est à la fois uninstrument de défense du territoire car elle peut constituer un obstacle naturel ou un obstacleartificiel. L’eau a souvent constitué une barricade naturelle pour repousser l’assaillant, lefranchissement des fleuves ayant toujours posé problème aux armées. Christelle Dressayremontre cependant que l’eau a constitué et reste aujourd’hui un moyen offensif, et peutêtre utilisée comme une arme. Ainsi, l’auteur nous rappelle que « les moyens de transportpar voie d’eau, si précieux déjà en temps de paix, si utiles aussi pour la défense duterritoire, sont également très efficaces pour aider une offensive et préparer une arméeen campagne »29. De plus, la destruction des approvisionnements en eau peut égalementconstituer un facteur offensif. Rappelons le, nous ne sommes pas partisan de la théoriedes « guerres de l’eau ». Toutefois cette position n’empêche pas de soutenir que l’eaupeut constituer une arme comme les autres, et même une arme redoutable. La privationd’eau ou encore l’empoisonnement des eaux d’une nappe peuvent constituer des moyensde pression importants - bien que non conventionnels. Jacques Sironneau relate d’ailleursl’évènement de la bataille de Platées, qui eut lieu en 479 avant Jésus Christ en Béotie, etdurant laquelle les assaillants ont rendu l’eau impropre à la consommation30.

Il n’est nul besoin de rappeler que l’eau est aujourd’hui encore un enjeu dans beaucoupde régions du monde.

Le développement du droit international de l’eau s’est étendu sur une longue période,les deux derniers siècles étant particulièrement riches en traités. Bien que le droit actuel soitbien plus complexe qu’il ne l’était auparavant, et que son champ d’application ait été élargi(section 2), il est important de s’attarder sur les évolutions de cette matière (section 1), ce

29 Christelle Dressayre, la mise en place du droit international de l’eau : mythe ou réalité ?, thèse présentée le 20 décembre2002, Université Montpellier I.

30 Jacques Sironneau, l’eau, nouvel enjeu stratégique mondial, Paris, 1996, Economica, p.13.

Page 19: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre

Mondange Adrien - 2009 19

qui nous permettra de mieux comprendre les enjeux contemporains, mais également devoir quelles ont été les constantes. L’eau fait partie intégrante de l’histoire des sociétés31, etil semble important de restituer son cheminement afin de comprendre comment les sociétésont évolué dans leur relation avec cette ressource.

Section 1 L’émergence progressive de normes internationales : uneapproche d’abord limitée

Le développement du droit international de l’eau a d’abord manifesté un intérêt trèspragmatique, cherchant essentiellement à résoudre des problèmes liés à la navigation etaux frontières. Ce droit prend un essor important durant le XIXe siècle, et les Etats vontorganiser leurs relations en veillant tour particulièrement à sauvegarder leurs intérêts denavigation (sous section 1) et de frontière (sous section 2).

Sous-section 1 La primauté de la navigation, et la prise en compte del’hydroélectricitéLa navigation n’a jamais été le seul objet de l’utilisation des fleuves internationaux. Eneffet, l’utilisation de l’eau à des fins de production d’énergie est ancienne. Les Romainsutilisaient l’eau pour fournir de l’énergie à leur industrie. De plus, les industries européennes

utilisent l’eau dès les 12e et 13e siècles. Toutefois, l’utilisation la plus fréquente et la plusimportante qui est faite des cours d’eau internationaux reste au départ la navigation. Ainsi,Stephen McCaffrey considère : « That the use of rivers for transport and commerce was theprincipal concern of states until that period is manifest in their treaty practice in relation to theutilization of international watercourses, which are overwhelmingly devoted to navigation »32.

Une définition restreinte d’un cours d’eau internationalIl est ici nécessaire de rappeler au lecteur quelle définition a pu être donnée à l’adjectif« international ». « Dans le domaine classique du droit des fleuves partagés, le critèrede la frontière étatique permet l’attribution du qualificatif « international »33.Au départ, lesdeux critères définissant traditionnellement le fleuve international sont la frontière et lanavigabilité. Ainsi, la conception traditionnelle pourrait remonter à l’Acte final du Congrès deVienne de 1815. L’article 108 énonce en effet que : « Les Puissances, dont les Etats sontséparés ou traversés par une même rivière navigable, s’engagent à régler d’un communaccord tout ce qui a rapport à la navigation de cette rivière ». Les cours d’eau sontqualifiés de contigus lorsqu’ils forment une frontière séparant deux ou plusieurs Etats, et desuccessifs lorsqu’ils traversent deux ou plusieurs Etats. Certains fleuves peuvent par ailleurscombiner les deux caractéristiques, c’est par exemple le cas du Jourdain et de son affluentle Yarmouk qui sont successifs à certains endroits et contigus à d’autres (Jordanie-Israël),ou encore du Rhin. Charles Rousseau donne lui aussi une définition du fleuve internationalqui inclut l’élément de navigabilité. L’auteur considère que les fleuves internationaux sontles « cours d’eau qui, dans leur cours naturellement navigable, séparent ou traversent le

31 Voir par exemple Stephen C. McCaffrey, The Law of international watercourses, Oxford University Press, 2007 (SecondEdition) : « The law of international watercourses has developed in tandem with the evolution of human social organization and theintensification of use by human societies of fresh water » (p.58).32 Stephen C. McCaffrey, the Law of international watercourses, op.cit., p.63.33 Jochen Sohnle, le droit international des ressources en eau douce, op.cit., p.98.

Page 20: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

20 Mondange Adrien - 2009

territoire de plusieurs Etats »34. Un arrêt de la Cour Permanente de Justice Internationalerenforce cette vision classique qui aujourd’hui peut nous paraître restrictive. Dans sonarrêt du 10 septembre 1929 portant sur l’affaire de la compétence de la CommissionInternationale de l’Oder, la CPJI a considéré que la qualification de fleuve internationale nepouvait être conférée qu’à une voie d’eau navigable au moins sur une partie de son cours etqui serve « naturellement d’accès à la mer de plusieurs Etats »35. Toutefois, le critère de lanavigation sera rapidement abandonné, et on parlera alors de « cours d’eau international »,constitué du fleuve principal transfrontalier et de ses eaux de surface. Bien qu’étant unélément majeur de l’attribution de l’adjectif « international » à un cours d’eau, la notion denavigabilité s’en est progressivement détachée. Cette notion est toutefois suffisante quandelle existe, mais elle n’est plus nécessaire à la qualification.

La liberté de navigationLa navigation constitue le premier domaine d’intervention des traités. La plupart destraités concernant l’utilisation des voies d’eau internationales sont des traités bilatéraux quiaccordent la liberté de navigation aux parties contractantes. Le fameux traité de Westphaliede 1648, qui met fin à la guerre de Trente Ans ainsi qu’à la guerre entre les Provinces Unieset l’Espagne et redessine par là même les frontières européennes, prend déjà en comptela navigation en tant que problème international. La majorité de ces traités concernaientégalement la liberté de commerce et l’égalité de traitement des usagers des cours d’eauinternationaux concernés. L’internationalisation de la navigation a donc été une sourceimportante du développement du droit international fluvial.

La Révolution française constitue un tournant pour le développement d’une approchelibérale de la navigation. Un décret de la Convention du 16 novembre 1792 établit le principede la liberté de navigation sur la Meuse, l’Escaut et le Rhin. Il s’agit ici d’une approchelibérale de développement sans entrave des échanges commerciaux. Le principe de lalibre navigation sur le Niger et le Congo est posé par l’acte général de Berlin de février1885. D’autres traités suivront, permettant un élargissement du nombre de cours d’eaudits internationaux. La primauté de la navigation sur les autres utilisations est consacréepar la Résolution sur les régulations internationales relatives à l’utilisation des cours d’eauinternationaux, rendue à Madrid par l’Institut de Droit International en 1911. La Conférencede Barcelone du 20 avril 1921 élabore quant à elle une Convention sur le régime des voiesnavigables d’intérêt international. Seront considérées comme telles, d’après l’article 1 dela Convention : « toutes parties naturellement navigables vers et depuis la mer, d’une voied’eau qui, dans son cours naturellement navigable vers et depuis la mer, sépare ou traversedifférents Etats, ainsi que toute partie d’une autre voie d’eau naturellement navigable verset depuis la mer reliant à la mer une voie d’eau naturellement navigable qui sépare outraverse différents Etats »36. Celles-ci correspondent donc aux voies séparant ou traversantle territoire de plusieurs Etats et qui sont navigables vers et depuis la mer. En outre, laliberté de navigation s’applique à toutes les parties à la Convention. Cette définition restedonc dans le cadre traditionnel de l’utilisation des cours d’eau comme voies navigables etne tend à considérer le caractère international des cours d’eau qu’en tant que conséquencede cette fonction spécifique. Une avancée peut être distinguée dans l’arrêt de la CPJI de1929 portant sur l’affaire de la compétence de la Commission Internationale de l’Oder, dans

34 Charles Rousseau, p.485, cité par JP. Pancracio, Droit international des espaces, Armand Colin, 1997, p.112.35 Rec. CPJI série A, p.25, para 3, cité par JP. Pancracio, Droit international des espaces, Armand Colin, 1997, p.112.

36 Recuei SdN, vol.7, p.50, cité par El Hassane Maghfour, hydropolitique et droit international au Proche Orient, op.cit., p.189.

Page 21: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre

Mondange Adrien - 2009 21

la mesure où la Cour affirme le principe de la « communauté d’intérêt ». Cependant cettedécision ne porte que sur la navigation et non sur l’ensemble des usages qui n’apparaîtrontque plus tard.

Ainsi, il ressort des définitions qui précèdent que la définition juridique classique d’unfleuve international ne prend nullement en compte la géographie et les caractéristiquesphysiques notamment attachées à l’eau. Pour être internationalisé, un fleuve doit êtrenavigable. Il s’agit d’un concept purement conventionnel, qui peut s’expliquer par laprépondérance de la navigation dans les faits, et qui est donc consacrée dans le droit. Deplus, aucune règle générale en droit international ne permettait à l’époque de garantir pourtout Etat la liberté de navigation sur des cours d’eau transfrontaliers. Toutefois l’apport desrègles de droit international liées à la navigation n’est pas négligeable. Nous aurions pumultiplier les exemples concernant l’histoire du développement de ce droit. Cela n’est pasnotre objectif, et cet exercice a déjà été traité37. Il s’agit de souligner l’importance d’un droitinternational naissant et qui, bien que consacrant la primauté de la navigation sur les autresutilisations, n’en traduit pas moins une première prise de conscience de la nécessité delégiférer dans ce domaine.

Une approche économiqueDe nombreux traités prennent également en compte l’utilisation des eaux à des finsd’hydroélectricité, ceci rejoignant par ailleurs l’approche économique sur laquelle est engrande partie basé le principe de la liberté de navigation38. Deux ans après la Conventionde Barcelone, la Convention de Genève du 9 décembre 1923 relative à l’aménagementdes forces hydrauliques intéressant plusieurs Etats permet de réglementer strictement lesaménagements hydroélectriques. Cette convention consacre une fois de plus la primautéde la navigation sur les autres intérêts, puisqu’elle se réserve la possibilité d’interdirecertains aménagements hydroélectriques qui pourraient être de nature à porter atteinte à lanavigabilité. La Convention de Genève marque tout de même un progrès dans la mesureoù elle est la première convention générale qui porte sur des utilisations autres que la seulenavigation.

La navigation a longtemps constitué l’un des éléments clefs à l’origine du droitinternational s’appliquant aux voies d’eau navigables seulement. Les ressources en eaudouce ne sont considérées dans un cadre international que lorsqu’elles sont navigables.D’autres intérêts ne sont pas, dans le premier quart du XXe siècle, pris en compte. Onpeut ainsi déplorer l’échec de la mise en place d’un régime général d’utilisation des eauxinternationales. Aucune règle coutumière ne se dégage, et de plus les Etats restent réticents

37 Pour plus de précisions, voir S.C. McCaffrey, The Law of International Watercourses, op.cit., p.171 à 197, « The contributionof the Law of Navigation ». L’auteur montre de façon détaillée l’évolution des traités à travers une sélection des plus importants, etse réfère aux contributions des Cours et des Tribunaux également.38 Voir par exemple l’article 2 de la Résolution adoptée le 14 octobre 1934 lors de la session de Paris par l’Institut de Droit International.La liberté de navigation y est définie comme étant « le droit pour tous les navires, bâteaux, trains de bois et autres moyens de transportpar l’eau, de circuler librement sur toute l’étendue navigable de la voie, à charge de se conformer aux stipulations du présent règlement,et, le cas échéant, aux prescriptions supplémentaires ou d’exécution qui seront établies par les riverains ». De plus, les règles d’Helsinkiadoptées en 1966 par l’Association de droit international considèrent à l’article XIV la liberté de navigation comme étant la « libertéde mouvement sur l’ensemble de la section navigable du cours d’eau ou du lac ; droit de pénétrer dans les ports et d’utiliser lesinstallations portuaires et les quais ; et, droit de transporter cargaisons et passagers, soit directement, soit par transbordement, entrele territoire d’un des Etats riverains et le territoire d’un autre Etat riverain […].

Page 22: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

22 Mondange Adrien - 2009

à la mise en place de règles générales, et ce principalement dans un souci « d’impérialismeéconomique et politique »39.

Une autre question fondamentale du droit international des ressources en eau est celleconcernant la délimitation des frontières qui traversent ou séparent le territoire d’un ou deplusieurs Etats souverains.

Sous section 2 les intérêts de frontièreLa question de la délimitation des frontières est l’une des premières questions à s’êtreposée à l’origine du développement du droit international des eaux. C’est non seulementune question fondamentale dans ce domaine, mais dans le domaine des relationsinternationales de façon plus générale. La terre est désormais partagée en Etats souverains,et la mise en place de frontières permet de délimiter le domaine dans lequel s’exerce lepouvoir souverain de l’Etat. Les frontières délimitant les Etats ont la plupart du temps étémodelées par les accidents historiques. Bien que différents discours affirment aujourd’huique les frontières ne constituent plus un cadre essentiel des relations internationales dansun monde où la globalisation règne, nous tendons pour notre part à penser que le mondecontemporain est justement caractérisé par une certaine consolidation des frontières.L’inviolabilité des frontières, l’interdiction du recours à la force pour les modifier sont parexemple des principes fondamentaux du droit international. De plus, les affrontementsterritoriaux ne sont pas terminés. Il suffit par exemple de considérer les revendicationsterritoriales de certains pays sur l’Antarctique et la façon dont ces pays cherchent à étendreleurs frontières afin de justifier leurs revendications.

En ce qui concerne le droit international de l’eau, la recherche et la mise en place defrontières naturelles a été un vecteur de l’affirmation du concept de souveraineté. Lorsquecela était possible, les cours d’eau étaient pris comme référence pour fixer les limitesterritoriales d’un Etat. Il est donc nécessaire de passer en revue certains des modes dedélimitation des frontières, dans la mesure où les règles applicables relèvent du droitinternational de l’eau.

La frontière dans les cours d’eau successifsDans le cas d’un cours d’eau successif (c'est-à-dire qui traverse les territoires de deuxou plusieurs Etats), la solution retenue est le morcellement du cours d’eau en tronçonssuccessifs, et dont les limites territoriales sont définies par la ligne droite entre les frontièresterrestres situées sur les rives. Le cours d’eau est donc coupé en autant de tronçons qu’ily a d’Etas traversés par ledit cours d’eau. Cependant, un tel « découpage » n’est pas sansposer certains problèmes juridiques, concernant par exemple la liberté de navigation, ouencore de la quantité et la qualité des eaux qui traversent la frontière. Ces questions, bienque ne concernant pas directement la délimitation de la frontière, se rapportent à l’utilisationqui peut être faite de l’eau traversant la frontière. Cela implique notamment des divergencesentre Etats d’amont et Etats d’aval, que nous serons amenés à considérer plus bas.

La frontière dans les cours d’eau contigusL’exercice de délimitation est plus complexe dans ce cas. En effet, il s’agit de déterminerle point où s’arrête la souveraineté. Cela pose un certain nombre de problèmes, quipeuvent être physiques, géographiques (ces deux aspects étant généralement liéeslorsqu’on considère un cours d’eau), ou encore juridiques, la question nécessitant un accord

39 Christelle Dressayre, la mise en place du droit international de l’eau, op.cit., p.89.

Page 23: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre

Mondange Adrien - 2009 23

international. Nous nous bornerons ici à relever certains exemples qui ont pu être utiliséslors de la délimitation d’une frontière dans de tels cas.

1. Dans le cas d’un condominium, la frontière longe les rives. Cette doctrine médiévaleplaçait la frontière sur les rives respectives du cours d’eau, de sorte que le fleuve en lui-même n’appartenait à aucun des deux Etats riverains. Il était alors généralement considérécomme une res nullius.

2. Parfois, la frontière était à la rive, ce qui signifie qu’elle passait par l’une des rivesdu fleuve. Par conséquent, l’un des deux Etats a la souveraineté sur le fleuve, alors quel’autre n’y a pas accès. La juridiction territoriale de l’un des deux Etats englobe la totalitédu cours d’eau.

3. La frontière peut également suivre la ligne médiane. Elle est alors fixée au milieu ducours d’eau. Ce type de délimitation n’a pourtant pas persisté, et notamment parce que ladans le cas des fleuves et cours d’eau navigables la navigation n’est pas toujours possible lelong de la ligne médiane. De plus, la ligne médiane peut être amenée à fluctuer en fonctiondes aléas climatiques ou encore géologiques.

4. Le « thalweg » est un terme allemand qui désigne « la ligne suivant le chenal leplus profond »40. Cette délimitation a été fréquemment utilisée dans de nombreux accordsinternationaux, en particulier pour faciliter la navigation sur les fleuves et cours d’eauinternationaux. Pour certains, le critère du « thalweg » devrait être élevé au rang de règle dedroit international positif, d’autres auteurs considèrent pourtant qu’il ne reste qu’un principeparmi d’autres, et qui recouvre de plus différentes notions distinctes41.

L’étude des différentes formes de délimitation de la frontière à l’aide d’un cours d’eauinternationale nous enseigne la deuxième importante fonction attachée à l’utilisation descours d’eau (l’autre étant, nous l’avons dit, la navigation). Les intérêts attachés à l’eau,même s’ils sont certainement nécessaires, laissent de côté certaines caractéristiques del’eau et ne prennent pas en compte les variations qui peuvent y être attachées. Parconséquent, les doctrines et jurisprudences du droit international en ce qui concernela gestion des ressources en eau, quand elles ne concernent pas la navigation ou ladélimitation d’une frontière, restent limitées.

Sous section 3 un régime juridique initial peu clairL’une de ces règles est issue du droit international et en constitue un principe général. Celui-ci traite des relations de voisinage, et interdit aux Etats d’utiliser ou de permettre d’utiliserleur territoire pour causer des dommages à d’autres Etats. Cette règle, issue du droit interne,ne concerne pas directement la gestion des ressources en eau mais constitue toute demême, de par le caractère transfrontalier de l’eau, une règle applicable en la matière.

La jurisprudence viendra confirmer ce constat. Par exemple, la sentence arbitraleGrover Cleveland du 22 mars 1888 décide que le Costa Rica ne pouvait légitimementempêcher le Nicaragua d’exécuter à ses frais et sur son territoire des ouvrages, sous réservetoutefois de ne provoquer ni inondation ni dommage sur le territoire costaricain sauf à

40 Dante A. Caponera, les principes du droit de l’administration des eaux, droit interne et droit international, Editions Johanet,2000, p.273.

41 Pour une discussion quant à la pertinence de ces nuances, voir Christelle Dressayre, la mise en place du droit internationalde l’eau, op.cit., p.79.

Page 24: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

24 Mondange Adrien - 2009

l’indemniser42. A l’occasion d’un litige opposant la Belgique aux Pays Bas à propos de prisesd’eau en vue de l’alimentation de canaux de navigation et d’irrigation, la Cour Permanentede Justice Internationale, dans un arrêt du 28 juin 193743, avait mis en évidence le principede non modification du régime des eaux. Le régime juridique de L’Escaut et la Meuse atraditionnellement fait l’objet d’accords entre la Belgique et les Pays Bas. En ce qui concernela navigation, l’Escaut et la Meuse ont été soumis, dès 1815, aux règles applicables au Rhin.Cependant, en ce qui concerne les utilisations autres que la navigation, les règles étaientrestées vagues. Dans l’affaire dite des « prises d’eau de la Meuse » de 1937, la Cour affirmeque « chaque Etat [est] libre d’en modifier le cours, de l’élargir ou de le transformer et mêmed’en augmenter le débit à l’aide de nouvelles adductions pourvu que la dérivation des eaux,l’affluent visé par le traité et son débit n’en soient pas modifiés ».

Des décisions judiciaires portant sur d’autres sujets sont également venues influencerle droit international de l’eau et confirmer l’interdiction de causer un dommage. Il s’agitnotamment des décisions portant sur l’affaire du détroit de Corfou, et l’affaire de la fonderiedu Trail.

L’arrêt rendu dans l’affaire de la fonderie du Trail est considéré par certains auteurscomme étant le point de départ du droit international de l’environnement. Dans cette affaireil est question de fumées de plomb émanant d’une usine basée au Canada, et ayant causédes dommages aux agriculteurs américains. Le Canada fut jugé coupable, la Cour affirmantque : « aucun Etat n’a le droit de faire usage, ou de permettre qu’il soit fait usage deson territoire, de manière à causer des dommages, par des émanations de fumées sur leterritoire d’un Etat voisin, à ce territoire ou aux biens se trouvant sur ce territoire… »44.Cetteaffaire concerne principalement la pollution transfrontalière et montre certaines similitudesavec les questions concernant le principe d’interdiction de dommage appréciable.

L’affaire du détroit de Corfou, bien que concernant surtout la notion de responsabilitépour faute, peut cependant être intéressante à relever. Le litige a opposé la GrandeBretagne à l’Albanie concernant des contre-torpilleurs britanniques qui avaient explosésous les mines dans les eaux territoriales du détroit de Corfou, alors que celui-ci étaitcensé être navigable. L’arrêt rendu repose sur des principes généraux de droit international.“Such obligations are based…on certain general and well recognized principles, namely :elementary considerations of humanity, even more exacting in peace than in war ; theprinciple of the freedom of maritime communication ; and every State’s obligation not toallow knowingly its territory to be used for acts contrary to the rights of other states”45.Toutefois les droits des Etats en question ne sont pas définis dans le cadre de l’utilisationà de cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation. L’obligation généralede ne pas porter atteinte aux droits d’autres Etats du même cours d’eau est clairementdégagée, et résumée par McCaffrey lorsqu’il dit : « it may therefore be concluded that thegeneral obligation identified by the Court would make it internationally wrongful for one State« to allow knowingly its territory », including portions of international watercourses situated

42 Recueil des sentences arbitrales, affaires relatives à la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua, Nations Unies, 2007,volume XXVIII, p.189-213.

43 C.P.J.I., série A/B, n° 70, arrêt du 28 juin 1937, p. 50., cité dans Extrait de l'Annuaire de la Commission du droit international,1992, Vol.I, p. 168.

44 Extrait du jugement rendu par la Cour Internationale de Justice le 11/04/1941, cité dans Anna Poydenot, le droit international,état des lieux, les notes d’analyse du CIHEAM, n°29, février 2008, p.6.

45 1949 ICJ, p.22, cité par S.C.McCaffrey, The Law of International Watercourses, op.cit., p.209.

Page 25: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre

Mondange Adrien - 2009 25

thereon, « to be used for acts contrary to the rights of other states »46. Ce principe devientavec le temps une règle coutumière, interdisant aux Etats d’un cours d’eau international deporter une atteinte sérieuse aux droits d’autres Etats du même cours d’eau.

Les droits des Etats d’un cours d’eau sont restreints dans leur champ d’application en cequ’ils se doivent de respecter les droits - vaguement définis- des autres Etats du même coursd’eau. L’approche du droit international en matière de cours d’eau est restée assez limitéejusqu’à récemment. Toutefois, certains facteurs vont amener des considérations nouvelleset favoriser un élargissement progressif, et notamment une multiplication des usages ainsiqu’une extension géographique.

Section 2 un élargissement juridique nécessaireLe développement des utilisations autres que la navigation a rendu le postulat du Congrèsde Vienne peu satisfaisant. En effet, si la navigation a une dimension purement aquatique,les utilisations à des fins autres que la navigation, pour des besoins énergétiques oupour la consommation humaine, font appel à une dimension plus large qui suppose unaménagement du territoire. Les utilisations à des fins autres que la navigation ont de plusdes effets qui dépassent la frontière internationale, et une utilisation dans un Etat peut avoirdes répercussions dans d’autres Etats. Ainsi, la multiplication des usages des ressourcesen eau douce (sous section 1) appelle également une extension géographique des règleset effets juridiques (sous section 2).

Sous section 1 des usages qui se multiplientLa navigation, la pêche, l’irrigation ou encore l’utilisation de l’eau à des fins de productiond’énergie sont des usages de l’eau anciens. Parallèlement au développement des sociétéset du progrès technologique, les usages de l’eau se multiplient, ce qui signifie unemodification quantitative et qualitative des eaux concernées (en effet une baisse de laquantité entraîne nécessairement une baisse de la concentration des substances contenuesdans l’eau).

L’activité économiqueLa quantité totale d’eau utilisée pour subvenir aux besoins des hommes croît de façonexponentielle, à cause de la croissance démographique et du développement économique.L’évolution des utilisations de l’eau au XXe siècle fait état d’une stagnation des volumesd’eau consacrés au domaine agricole, alors que dans le même temps les volumes d’eauutilisés pour les besoins industriels et domestiques ont augmenté de façon significative.L’agriculture reste de loin l’activité la plus consommatrice d’eau du fait de la croissance dela population mondiale. Ses procédés sont cependant moins gourmands en eau que ceuxde l’industrie. Il faut environ 1000 litres d’eau pour produire un kilogramme de blé, alors que8 fois plus sont utilisés pout la fabrication d’une carte mémoire pour ordinateur47.

46 S.C. McCaffrey, The Law of International Watercourses, op.cit., p.210.47 Janine et Samuel Assouline, géopolitique de l’eau nature et enjeux, studyrama perspectives, 2007, p.47.

Page 26: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

26 Mondange Adrien - 2009

Les différents besoins en eau (source : géopolitique de l’eau, nature et enjeux,Assouline, p.47, adapté d’après Dooge, 2002)

L’industrie et l’agriculture sont deux milieux influençant la quantité et la qualité del’eau de par leurs activités. Dans les années 70, le droit international a pris conscience del’importance qu’il fallait attacher non seulement à la règlementation des prélèvements, maisaussi à la mise en place d’une règlementation concernant la qualité de l’eau. La pollutioncontinue aujourd’hui à faire l’objet de définitions diverses et les textes conventionnels sontvariables dans les obligations qu’ils édictent. Certains engagent les parties à obligations derésultat, tandis que d’autres se limitent à des obligations de comportement. Mentionnonsentre autres l’Accord de 1978 entre les Etats-Unis et le Canada, qui vise à restaurer etmaintenir l’équilibre chimique, physique et biologique des eaux de l’écosytème des GrandsLacs, ou encore la Convention de 1976 relative à la protection du Rhin. Celles-ci engagentles parties à des obligations de résultat. En Amérique latine et en Afrique, les accordsse contentent généralement d’énoncer des principes généraux. Il existe également desrèglementations concernent l’injection d’eaux chimiquement modifiées dans des nappessouterraines profondes, acte qui a des répercussions sur le plan international48. Quant àl’irrigation pour usage agricole, elle est elle aussi règlementée et encadrée par des traitésinternationaux et des accords. L’Accord sur l’utilisation des eaux du Nil du 8 novembre 1959traite de la construction de barrages dont l’objectif est d’améliorer l’utilisation des eaux à desfins d’irrigation. Il faut ici souligner l’importance du droit international dans la règlementationdu prélèvement des eaux. Le prélèvement massif d’eau s’entend des prélèvementsd’envergure au moyen de mécanismes anthropiques comme les canaux, les navires, lescamions citernes ou les pipelines. Le Canada a annoncé en 1999 la mise en place d’une

48 Jochen Sohnle, droit international des ressources en eau douce, op.cit., p.124.

Page 27: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre

Mondange Adrien - 2009 27

stratégie pour prévenir le prélèvement massif d’eau douce dans ce pays. La CommissionMixte Internationale, en se penchant sur la question des Grands Lacs, avait considéré queles prélèvements devaient se faire dans le cadre d’un bilan de bassin nul, c'est-à-dire quetous les prélèvements doivent retourner aux lacs, sans affecter la qualité des eaux. Il s’agitd’un exemple précis, mais de façon générale des accords régionaux bi ou multilatérauxconcernant l’utilisation de ressources en eau douce qui ne mentionneraient pas la questiondu prélèvement seraient à nos yeux incomplets. En effet, les activités nécessitant unecaptation des eaux permettent non seulement le développement économique des Etatsmais également l’approvisionnement des populations en eau douce ou en tout autre bienissu de l’agriculture ou de l’industrie.

La production énergétiqueLe droit international se préoccupe d’autres usages, tels que la production énergétique, quenous avons déjà évoquée plus haut. La coopération internationale s’applique notammentdans ce domaine aux barrages, la construction d’un barrage en amont d’un fleuve pouvantavoir des conséquences néfastes sur les pays situés en aval. L’hydroélectricité est l’une desprincipales sources d’énergie dans le monde ayant déterminé l’aménagement des grandsfleuves, la construction de barrages et de bassins de rétention permettant l’installation decentrales hydroélectriques. Il existe environ 45 000 barrages dans le monde. Mentionnonsà ce sujet l’affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros. Dans cette affaire le projetd’aménagement du cours d’eau (à l’origine de ce projet un traité signé le 16 septembre 1977entre la Hongrie et la Tchécoslovaquie prévoyant la construction d’un système d’écluses surle Danube entre Bratislava et Budapest) avait différents objectifs, dont la protection contreles inondations, l’amélioration des conditions de navigation et la production d’électricité.Cette affaire montre en partie que les relations interétatiques peuvent mettre en placeune coopération concernant des changements quantitatifs (de débit du fleuve dans ce casprécis), cependant les dommages écologiques sont laissés de côté dans le traité et il aurafallu attendre le jugement de la Cour Internationale de Justice pour que les considérationsécologiques apparaissent.

La protection de la faune et de la biodiversitéLa protection de la biodiversité ainsi que de la faune et la flore évoluant dans le milieuaquatique sont également des éléments pris en compte par le droit international, preuvesupplémentaire du fait que la multiplication des usages entraîne une évolution du droitinternational. L’homme, de par les modifications de son comportement liés à l’évolution deses modes de consommation, de sa société, est sans cesse appelé à modifier par là mêmed’autres milieux. La préservation de la biodiversité attachée au cours d’eau est cependantnécessaire. Ainsi, dans l’affaire du Lac Lanoux dont la sentence arbitrale a été rendue le16 novembre 1957, la Cour a pris en compte des enjeux environnementaux et humainsliés aux conflits des ressources en eau internationales. Ainsi, « tout en refusant d’admettrel’obligation stricte de respecter l’unité naturelle d’un bassin fluvial allégé par l’Espagne, letribunal reconnaît une obligation correspondante mais limitée et souple, celle de ne pasapporter à l’unité naturelle d’un bassin fluvial des modifications nuisibles à la satisfactiondes besoins humains »49.

49 A. Gervais (1960). « l’affaire du Lac Lanoux », AFDI, VI, p407-408, cité par S. Paquerot, eau douce la nécessaire refondationdu droit international, op.cit., p.29.

Page 28: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

28 Mondange Adrien - 2009

En 1979 l’Institut de Droit International a adopté à Athènes la Résolution sur lapollution des fleuves et des lacs et le droit international, et ce afin de mettre l’accent sur lanécessité de s’intéresser aux conséquences de l’utilisation des cours d’eau internationaux.Cette résolution n’engage que ceux qui l’estiment favorable dans la mesure où elle estune conception doctrinaire, et en ce sens pas forcément représentative de l’état du droitinternational. Il s’agit bien ici de renforcer la protection de l’environnement, et cette résolutionest la preuve d’une véritable préoccupation concernant la pollution en tant que conséquencede l’utilisation des cours d’eau internationaux.

Sous section 2 une extension géographiqueNous l’avons vu, l’objet territorial du droit international des ressources en eau douce s’estlongtemps focalisé sur la notion de fleuve international, et la frontière jouait alors un rôleimportant. Seul le fleuve était considéré, ses affluents notamment étant laissés de côté.Pourtant, les définitions traditionnelles vont peu à peu laisser la place à des approches enréseau, qui élargissent l’objet du droit international. L’expression « droit fluvial » est peu àpeu laissée de côté, la distinction en termes juridiques entre lac et fleuve se faisant de plusen plus floue. Finalement, « le droit international tend désormais à assimiler eaux couranteset eaux stagnantes, soit en les réunissant sous un terme générique, cours d’eau, soit en lestraitant sous un même régime »50 . De plus, la condition d’accès à la mer perd égalementde son importance et n’est plus systématiquement exigée pour qu’un cours d’eau devienneinternational. Les affluents sont également pris en compte, même s’ils ne concernent quele territoire national d’un seul Etat.

Aujourd’hui, le droit international s’intéresse à un champ géographique plus large,ce qui témoigne en particulier de la prise de conscience du caractère cyclique desressources en eau, qui sont interdépendantes et doivent être compris non commedifférentes unités considérées séparément (fleuve, lac, nappes souterraines) mais biencomme un « système » cohérent dont chaque partie communique avec les autres. Lamodification de la qualité ou de la quantité d’une des parties risque d’affecter l’ensemble dusystème. Le droit international consacre actuellement des approches unitaires, en termesde bassin hydrographique international ou de système de cours d’eau international. Cettenotion a évolué et apparaît de façon plus ou moins restreinte selon les conventions. Ainsi,la Convention d’Helsinki sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontières etdes lacs internationaux de 1992 s’attache à « toutes les eaux superficielles et souterrainesqui marquent les frontières entre deux Etats ou plus, les traversent ou sont situées surces frontières » (art.1 alinéa). Ici, la notion de frontière est encore présente, seules leseaux « transfrontières » sont prises en compte. Toutefois, la Convention de New Yorkde 1997 sur le droit relatif à l’utilisation des cours d’eau internationaux à des fins autresque la navigation définit un cours d’eau comme étant « un système d’eau de surface etd’eaux souterraines constituant, du fait de leurs relations physiques, un ensemble unitaireet aboutissant normalement à un point d’arrivée commun » (art 2 (a)). La notion de bassinhydrographique est encore plus large et désigne « une région drainée par un fleuve etses affluents »51. Les approches par système ou par bassin peuvent faire l’objet d’uneappréhension plus ou moins large, mais elles sont de toute façon moins restrictives que lesapproches évoquées précédemment qui s’attachent surtout aux notions de frontière et denavigabilité. Une telle évolution n’allait pas de soi. En effet les Etats sont restés longtempshostiles à toute conception trop large, et ceci peut se remarquer dans les travaux de la CDI

50 Jochen Sohnle, droit international des ressources en eau douce, op.cit., p.101.51 D’après la définition du Petit Larousse, édition 2000.

Page 29: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre

Mondange Adrien - 2009 29

au sujet de l’utilisation des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation.La CDI a donc basé son travail sur la notion de « système de cours d’eau », et ce afin de nepas partir sur des définitions qui seraient trop larges (bassin hydrographique par exemple),mais afin de dépasser les limites traditionnelles tout de même. Notons encore le fait que ledroit international s’intéresse progressivement aux eaux souterraines, comme le montre ladéfinition du cours d’eau par la Convention de New York citée plus haut. Cependant cetteconsidération reste encore limitée.

De plus, la quatrième partie de la convention de New York s’attache à la protection etla préservation des écosystèmes, une notion relativement large qui désigne « l’associationd’une communauté d’espèces vivantes et d’un environnement physique en constanteinteraction »52.

Progressivement, le champ d’application du droit international en matière de gestiondes ressources en eau douce s’est élargi. Les usages se sont multipliés, et de plus desconsidérations plus larges ont été nécessaires, pour prendre en compte des dimensionsenvironnementales, des eaux souterraines et mieux appréhender les caractéristiquesnaturelles de l’eau. Les concepts traditionnels attachés à l’importance des frontières ou dela navigabilité entre autres semblent remis en question.

Chapitre 2 : l’affirmation de la nécessité de gestioncommune

Si les usages et par là même la législation attachée à la gestion des ressources en eaudouce ont quelque peu évolué, de plus en plus la nécessité d’une gestion commune desressources en eau douce va s’affirmer. La coopération a toujours été nécessaire afind’éviter des conflits. Nous parlerons ici de la gestion commune comme d’une notion encoreplus globalisante que la simple coopération, il s’agit d’une gestion qui semblerait plusadaptée aux caractéristiques physiques de l’eau. Même si la particularité attachée à chaquecours d’eau international, à chaque aquifère rend difficile l’édification de règles générales,quelques principes généraux se sont pourtant dégagés de la pratique des Etats ou encorede la jurisprudence de certaines cours.

Bien que les cours d’eau relèvent en théorie de la souveraineté territoriale des Etatsqu’ils traversent, il est cependant difficile d’envisager de pousser à l’extrême le principede l’autonomie de cette souveraineté. Comme le rappelle Christelle Dressayre, « admettreune telle approche extensive aboutirait à reconnaître à l’Etat d’amont le droit d’utilisationexclusive des ressources en eau des cours d’eau se trouvant sur son territoire, au détrimentde l’Etat d’aval »53. La nécessité de gérer les ressources en eau douce de façon communea donc toujours prévalu, le bon sens nous montre que seule une telle gestion serait à mêmed’éviter des conflits liés à la répartition ou à l’utilisation des cours d’eau internationaux oud’autres ressources. La pratique des Etats est cependant différente, et fait parfois fi du bonsens.

« Au-delà des efforts de certains Etats pour tenter de résoudre les différends et d’établirune réelle coopération, la représentation fondamentale des gouvernements est que l’eau

52 D’après la définition du Petit Larousse, édition 2000.53 Christelle Dressayre, la mise en place du droit international de l’eau : mythe ou réalité ?, op.cit., p.128.

Page 30: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

30 Mondange Adrien - 2009

est une ressource du territoire, et donc que la souveraineté territoriale doit s’exercer sur elleen toute indépendance : à l’instar des gisements de minerais, elle fait partie du patrimoinedu territoire, qu’elle structure et dont elle en dessine certains des contours […] »54.

Longtemps des doctrines stato-centrées ont prédominé dans la gestion des ressourcesen eau douce (section 1) mais petit à petit la notion de souveraineté s’est vue remise encause (section 2).

Section 1 des doctrines stato centrées incompatibles avec la gestionde ressources internationales en eau douce

Jacques Sironneau le rappelle, « l’exercice de la souveraineté d’un Etat au droit des eauxcoulant sur son territoire ne doit pas priver les autres Etats riverains du même droit car l’eauest une ressource naturelle partagée (Res communis) dans la mesure où son utilisationdans un Etat a des effets sur son utilisation dans un autre Etat. Il s’agit dès lors de concilierles exigences qui peuvent être contradictoires de l’exercice des souverainetés étatiquesrespectives. En effet, les considérations de souveraineté nationale constituent l’un desobstacles majeurs à une approche intégrée »55

Nous essaierons dans cette section de passer en revue les différentes doctrinesqui régissent ou plutôt ont régi l’usage des cours d’eau notamment. Ces doctrinesfavorisent systématiquement le pays concepteur de chaque théorie. L’Egypte préfère ainsise référer aux doctrines de l’intégrité territoriale qui favorisent les pays d’aval. Bien quedifférentes, toutes ces doctrines tentent de définir l’utilisation d’une ressource sans cesseen déplacement.

Sous section 1 la souveraineté territoriale absolueCette doctrine ne représente plus l’état actuel du droit international. Elle est en quelquesorte synonyme de la doctrine dite « Harmon », du nom du juge Judson Harmon, « Attorney–General » (avocat général des Etats Unis), qui défendit son opinion au sujet d’un partagedes eaux du Rio Grande entre les Etats Unis et le Mexique, à la fin du XIXe siècle.

Une création répondant à un besoinLa controverse éclata à la fin du XIXe siècle, lorsque les Etats Unis commencèrent la mise envaleur agricole du sud-ouest. Pour cela, les eaux du Colorado furent dérivées afin d’irriguerles terres. Après quelques échanges diplomatiques, et des alertes répétées sur l’épuisementdes ressources en eau, le Mexique décida de protester officiellement en 1895, le débit ducours d’eau étant tellement réduit qu’il devenait impossible pour les agriculteurs mexicainsde continuer à irriguer leurs terres. En 1891 déjà, le Congrès avait adopté une résolutionqui soulignait la gravité de la situation, mentionnant le fait que : “by means of irrigatingditches and canals taking the water from said river and other causes, the usual supply ofwater therefore has been exhausted before it reaches the point where it divides the UnitedStates of America from the Republic of Mexico, thereby rendering the lands in its valley aridand unproductive, to the great detriment of the citizens of the two countries living along its

54 Frédéric Lasserre, Annabelle Boutet, le droit international règlera-t-il les litiges du partage de l’eau ? Le bassin du Nil et

autres cas, Etudes internationales, Vol. XXXIII, 3e, sept. 2002.55 Jacques Sironneau, le droit international de l’eau existe-t-il, évolutions et perspectives, op.cit., p 10.

Page 31: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre

Mondange Adrien - 2009 31

course […]”56. Le litige a été porté plusieurs fois devant les cours, et finalement, n’ayantpas trouvé de texte applicable à une telle situation et qui ferait prévaloir une utilisationraisonnable, Harmon se référa à des principes généraux du droit. Il considéra que le RioGrande ne possédait pas un volume d’eau suffisant pour être utilisé par les habitants desdeux pays, ce qui n’autorisait pas pour autant le Mexique à imposer aux Etats Unis desrestrictions qui freineraient le développement de leur territoire. Il énonça son opinion de lafaçon suivante : « le principe fondamental du droit international est la souveraineté absoluede chaque Etat, par opposition à tous les autres, sur son territoire. La juridiction de l’Etat surson propre territoire est nécessairement exclusive et absolue. Ses seules limites sont cellesqu’il s’impose lui-même57 ». L’Etat est donc libre d’employer l’eau qui se trouve sur sonterritoire comme bon lui semble : la ressource n’est pas du tout conçue comme commune58.

Une doctrine contraire à un partage des eauxDans cette perspective aucune coopération n’est envisageable, puisque chaque Etat agitfinalement sans tenir compte des éventuels effets susceptibles de se faire sentir en dehorsde ses frontières. Les ressources en eau ne sont pas du tout envisagées dans uneperspective de partage, et l’eau est considérée comme n’importe quelle autre ressourcecomposant le territoire d’un Etat. Tout partage, ou toute prise en compte par un Etat d’amontdes conséquences subies par un Etat d’aval, sont refusés car considérés comme contrairesà la souveraineté de l’Etat sur lequel se trouvent les « ressources ». « The jurisdiction ofthe nation within its own territory is necessarily exclusive and absolute. It is susceptible ofno limitation not imposed by itself. Any restriction upon it, deriving validly from an externalsource, would imply a diminution of its sovereignty to the extent of the restriction , and aninvestment of that sovereignty to the same extent in that power which could impose suchrestriction”59. Cette doctrine n’a été suivie ni dans la pratique ni dans la jurisprudence nord-américaines. Dans la pratique internationale, les Etats Unis n’ont pas non plus retenu ladoctrine Harmon, qui sera finalement abandonnée au début du XXe siècle. Elle a toutefoispu être utilisée dans les différends entre pays latino-américains (par exemple les différentsayant opposé le Chili à la Bolivie, rio Mauri en 1921, rio Lauca en 1939).

En 1976, le professeur Maurice Bouvier-Ajam affirmait dans son ouvrage que « le solet le sous sol sont composants du territoire national, passibles de la souveraineté nationale,qui n’est juridiquement pas concevable sans la propriété nationale du territoire »60. Avoirdes droits de propriété sur un territoire et ses ressources ne doit toutefois pas empêcher deconsidérer l’intérêt général, et un Etat ne saurait laisser ses voisins dans le besoin seulement

56 Concurrent Resolution of 29 April 1890, « concerning the irrigation of arid lands in the valley of the Rio Grande River, the constructionof a dam across said river at or near El Paso, Tex., for the storage of of its waste waters, and for other purposes”, Con.Rec.- Senate,p.3963, cité par S.C. McCaffrey, the law of international watercourses, op.cit.,p.81.57 Mutoy Mubiala, l’évolution du droit des cours d’eau internationaux à la lumière de l’expérience africaine, notamment dans le bassindu Congo/Zaïre, Paris, Presses Universitaires de France, 1995, p.19, cité par Frédéric Lasserre, le droit international règlera-t-il leslitiges du partage de l’eau ?...op.cit., p.501.58 David Lazerwitz, « the flow of international water law : the international Law Commission’s Law of the non-Navigational Usesof International Watercourses », Indiana Journal of Global Legal Studies, vol.1, n°1, 1993, p.15, cite par Frédéric Lasserre, le droitinternational règlera-t-il les litiges du partage de l’eau ?...op.cit., p.50159 Judson Harmon, Attorney-General, to Richard Olney, Secretary of State, to 12.December 1895, 21 Op.Att’y Gen. 274 (1895),reproduced in U.S Appendix, p.281-2, cite par S.C.McCaffrey, the law of international watercourses, op.cit., p.89.

60 Maurice Bouvier-Ajam, matières premières et coopération internationale, librairie générale de droit et de jurisprudence,1976, p.61.

Page 32: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

32 Mondange Adrien - 2009

au nom d’un principe de souveraineté. Une telle division internationale de l’environnementen territoires appartenant à des Etats souverains est inadaptée à une maîtrise rationnelledes problèmes de l’eau. Il s’agit donc de reconnaître que la souveraineté des Etats surl’utilisation de leurs ressources, si elle s’inscrit bien dans le cadre de l’exercice de leursouveraineté, ne saurait être absolue mais doit être limitée. Certains Etats font encoreaujourd’hui implicitement appel à la doctrine Harmon. Il s’agit par exemple de la Turquie ouencore du Tadjikistan. Le gouvernement turc cherche en effet à contrôler l’usage de l’eaufait par les autres riverains, tandis que le gouvernement tadjik fait payer un usage qui estjustifié par le fait que la source des cours d’eau se trouve sur son territoire. D’autres paysd’amont se réfèrent encore à la doctrine Harmon, sur la base de la défense de leurs intérêts(il s’agit par exemple de l’Autriche, du Chili, des Etats unis, de l’Ethiopie ou encore de l’Inde).

Sous section 2 L’intégrité territoriale absolueA l’image de la souveraineté territoriale absolue, cette doctrine ne représente pas non plusl’état actuel du droit international. Elle continue pourtant à être revendiquée.

La défense des intérêts des Etats d’avalA l’inverse de la théorie de la souveraineté territoriale absolue, l’intégrité territoriale absolueest soutenue d’abord par les Etats riverains d’aval. Le concept principal pris en considérationest celui de « débit naturel ». L’idée est qu’un Etat est en droit de s’attendre à ce que le mêmedébit, ininterrompu en quantité et dont la qualité n’est pas altérée, s’écoule vers son territoire.Chaque Etat riverain doit permettre au cours d’eau de poursuivre son cours, et aucun Etatne peut en interrompre le flot, ni en augmenter ou en réduire le débit. Cette théorie est aussiappelée « théorie des droits riverains » par le juriste Sauser-Hall, qui la définit comme étant« [l’affirmation] que les Etats d’aval, notamment ceux contrôlant le dernier segment du coursd’eau, peuvent exiger de leurs voisins d’amont la transmission d’une quantité d’eau égaleà celle qu’ils ont eux même reçue »61.

Cette doctrine confère à l’Etat riverain d’aval un droit de veto contre les utilisations qui,en amont, sont susceptibles d’affecter le débit naturel du cours d’eau.

Quelques exemples d’applicationL’Espagne a défendu cette théorie dans le différend qui l’a opposée à la France en 1958dans l’affaire du Lac Lanoux. Ce lac pyrénéen, entièrement situé sur le territoire français,déverse ses eaux dans la rivière Carol qui s’écoule en Espagne. De nombreux projetsd’aménagement de ce lac à des fins de production d’hydroélectricité avaient été envisagéspar la France depuis le début du XXe siècle. Il s’agissait de détourner les eaux de ce lacqui s’écoulent normalement vers la Méditerranée, en les transférant dans le bassin versantde l’Atlantique. Les différents projets, bien que n’affectant pas au final la quantité d’eaus’écoulant sur le territoire espagnol (un système de pompage était prévu afin de restituer lesquantités d’eau détournées) se sont heurtés à l’opposition systématique des espagnols. LaCour d’arbitrage de la Haye a estimé que « l’Etat d’amont a, d’après les règles de bonne foi,l’obligation de prendre en considération les différends intérêts en présence, de chercher à

61 G. Sauser-Hall, l’utilisation industrielle des fleuves internationaux, recueil des cours de l’académie de droit international de LaHaye, t.83, 1959-II, p.541 cité par Lucius Caflisch, Convention du 21 mai 1997 sur l’utilisation des cours d’eau à des fins autres quela navigation, Annuaire Français de Droit International, XLIII, 1997, CNRS éditions, Paris, 1997, p.751-798.

Page 33: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre

Mondange Adrien - 2009 33

leur donner toutes les satisfactions compatibles avec la poursuite de ses intérêts propres »62.La Cour ayant insisté sur le respect des intérêts relatifs de chacune des parties, la positionde l’Espagne fut rejetée.

Cette théorie a également été avancée par d’autres Etats. L’Egypte, pays d’aval,réclame un droit de regard et d’intervention vis-à-vis des utilisations soudanaises etéthiopiennes des eaux du Nil. Le pays est en effet, du fait de sa situation géographique(à l’extrémité du Nil) dans une situation de dépendance à l’égard des pays d’amont. Legouvernement égyptien n’aurait donc que peu de recours si les autres gouvernementsoptaient pour des politiques hydrauliques ayant d’importantes conséquences sur le débitou la qualité des eaux du Nil. D’autres pays ont milité pour la reconnaissance du principed’intégrité territoriale absolue, comme la Bolivie, le Bangladesh ou encore le Pakistan.

Toutefois cette théorie n’a jamais été reçue en droit international ou dans la pratiquedes Etats, car sa conception semble impraticable. Il est probable que peu d’Etats d’amontacceptent un contrôle de leurs utilisations par des Etats d’aval, et un tel contrôle donneraitcertainement lieu à des pratiques abusives. De plus, une telle pratique nécessiterait desobservations précises et objectives de la quantité et de la qualité des eaux s’écoulant.

Sous section 3 la première appropriationCette doctrine, invoquée par certains Etats, est très contestée sur la scène internationaleet n’est pas reprise formellement dans les textes négociés sous l’égide des Nations Unies.Elle a toutefois été utilisée dans les Etats de l’Ouest américain, où elle fait même force deloi malgré le fait qu’elle n’ait pas reçu de considération internationale. Comme le rappelleFrédéric Lasserre, cette doctrine juridique « faisait valoir le droit de propriété sur la ressourcedu premier à avoir mis en valeur l’eau. La propriété ne dépendait ainsi non pas de la positiongéographique, mais de la chronologie de la mise en valeur »63. Le critère géographiques’efface ainsi devant le critère chronologique. Elle ne reflète pas l’état actuel du droitinternational.

L’Egypte se réfère fréquemment à cette doctrine, et évoque une utilisation historiquedes eaux du Nil, au nom d’une très ancienne mise en valeur de ces eaux. Cette idée estavancée par l’Egypte afin de contrer la doctrine éthiopienne de la souveraineté territorialeabsolue, cependant cela revient à créer sur le Nil une autre forme de souveraineté, unesouveraineté basée sur de prétendus droits historiques. L’Egypte n’hésite pas à se référer àla note E/ECE/L.36 de la Commission économique pour l’Europe de 1952, faisant référenceà des droits historiques pour écarter l’application de la doctrine Harmon et préserver les« droits des autres Etats sur les fleuves internationaux ». Il s’agit cependant d’une noterelativement ancienne et dont on peut se permettre de douter de la portée actuelle.

Cette doctrine pose également d’autres interrogations. Il s’agit d’une part de savoircomment définir la première appropriation, mais également de voir quelles sont ses limites.Nous avons dit que cette doctrine faisait loi dans l’ouest américain. Toutefois des villescomme Las Vegas ou encore Phoenix connaissent des croissances très rapides depuisles années 70. Las Vegas, une ville au milieu du désert, est passée de 40 000 habitantsen 1950 à 1,7 millions en 2005, alors que cette ville ne reçoit que 11cm d’eau par an,et accueille de plus de nombreux touristes. Malgré la sécheresse permanente, l’eau est

62 Serge Pannetier, la protection des eaux douces, le droit international face à l’éthique et à la politique de l’environnement, Georgéditeur, Genève, 1996, cité par Hélène Willart, le droit international de l’eau et son rôle dans l’élaboration de la paix, l’exemple dupartage des ressources en eau de l’Oronte et du Jourdain, mémoire de recherche, IEP de Toulouse, avril 2004.63 Frédéric Lasserre, l’eau, enjeu mondial, géopolitique du partage de l’eau, le serpent à plumes, 2003, p.121.

Page 34: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

34 Mondange Adrien - 2009

partout, et les casinos installent des fontaines géantes qui consomment énormément d’eau.Quant aux plaines alentours, les éleveurs ont de plus en plus de mal à exercer leurmétier et se plaignent d’un potentiel projet d’aqueduc (long de 500km !) qui viendraitpomper l’eau d’un aquifère. Les politiques de sécurité hydraulique locale de Las Vegassont inefficaces et témoignent de l’absence totale de gestion de l’eau par bassin versant,corollaire de la prépondérance du droit de la première appropriation dans l’Ouest Américain.Les politiques locales restent encore inefficaces car elles reposent uniquement sur laconstruction cloisonnée de la sécurité d’approvisionnement des usagers. Un tel exemplepeut aider à réfléchir sur les limites de la doctrine juridique de la première appropriation.

Les trois doctrines énoncées ci-dessus semblent présenter de grandes faiblesses etlaissent à l’Etat, au nom d’une vision limitée, arbitraire et bien souvent opposée à uneautre doctrine elle aussi radicale, la possibilité de s’approprier des ressources en eauinternationales sans même établir une concertation. Dans le cas de l’intégrité territorialeabsolue, ce sont les Etats d’aval qui ont le pouvoir, ce sont ceux d’amont dans le cas dela souveraineté territoriale absolue. De telles doctrines ne sont pas recevables dans unmonde qui cherche à dépasser le stato centrisme pour aller vers la coopération organisée.Ainsi, la nécessité d’agir en collaboration pour tenter de mieux résoudre les problèmes degestion des ressources en eau douce a-t-elle permis une remise en cause de la notion desouveraineté.

Section 2 La souveraineté remise en cause

Sous section 1 : la souveraineté territoriale limitée : une approcheconciliante ?

Une unité physique et juridiqueLa théorie de la souveraineté territoriale limitée est basée sur l’affirmation du principe quechaque Etat riverain est en droit, sur son territoire, d’utiliser les eaux d’un cours d’eaupartagé pour autant que les droits et intérêts de tous les autres Etats riverains du mêmecours d’eau sont pris en compte. Cette théorie offre l’avantage de proposer une approcheconciliatrice. Le postulat de départ est que le droit de bon voisinage impose aux Etatsriverains de se comporter les uns vis-à-vis des autres avec égard. Ainsi, un Etat peutlibrement faire usage des eaux du segment du cours d’eau international coulant sur sonterritoire, par contre il ne peut pas par cette utilisation porter atteinte aux intérêts d’autresEtats du même cours d’eau. On parlera ici de dommage « appréciable ». Les co-riverainsont donc des droits et des devoirs réciproques à l’utilisation des eaux communes. Cetteunité physique créé une unité juridique qui conduit à une « communauté d’intérêts ». Cetterègle se rapproche de celle de l’utilisation équitable et raisonnable, qui représente l’étatactuel du droit international.

Cette théorie est bien acceptée en droit international, aussi bien en pratique que dans lajurisprudence. En 1929, dans son jugement sur la compétence territoriale de la Commissionde l’Oder, la Cour Pénale de Justice Internationale affirme que « les Etats ont un droitcommun sur les ressources d’un cours d’eau partagé, et non un droit unique de passage, lescaractéristiques essentielles d’un tel droit commun étant la communauté d’intérêt de toutesles parties utilisatrices à l’exclusion de tout privilège en faveur d’un Etat riverain par rapportaux autres Etats riverains »64 . Rappelons toutefois qu’à cette époque cette décision porte

64 Dante A. Caponera, les principes du droit de l’administration des eaux, droit interne et droit international, op.cit., p.287.

Page 35: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre

Mondange Adrien - 2009 35

surtout sur la navigation, cependant la Cour accordait indirectement son crédit à la théoriede la souveraineté territoriale limitée.

En 1995 Brierly explique que « chaque Etat intéressé a droit à la considération dansson ensemble du cours d’eau et à la mise en balance de ses propres intérêts avec ceuxd’autres Etats ; et aucun Etat ne peut prétendre faire un usage des eaux tel qu’il cause undommage matériel à l’intérêt d’un autre Etat ou s’opposer à leur usage par un autre Etat àmoins qu’il n’en résulte préjudice pour lui-même »65.

La difficile évaluation du préjudice causéCette théorie pose cependant le problème de l’évaluation du préjudice causé. En effet, il n’ya pas de violation de l’intégrité territoriale d’un Etat si le préjudice subi par lui ne correspondpas à un dommage appréciable. Il faut donc que la qualification du dommage repose surdes données objectives. En fait, ce n’est pas le cas et il n’y a en tout cas pas de règleabsolue. Rappelons l’affaire du Lac Lanoux66 et la sentence arbitrale qui reste importanteen ce qu’elle recherche un équilibre entre les avantages de l’utilisation d’un cours d’eau etles préjudices subis, en indiquant que « chaque Etat doit tenir compte des droits légitimesde son voisin ». Le principe de la balance des intérêts est également rappelé, et ces intérêtsdoivent être pris en compte non seulement dans le cadre des négociations entre les partiesmais aussi, si nécessaire, dans la mise en œuvre si la négociation n’a pas permis la miseen place d’un accord.

Sous section 2 : la fin des théories absolutistes, la consécration du principede souveraineté limitéeAlors que les doctrines juridiques absolutistes sont rattachées à des théories desrelations internationales réalistes et néoréalistes, les doctrines limitatives se rapportentaux théories internationalistes des relations internationales. Ces théories et doctrines ontprogressivement évolué et on peut aujourd’hui parler de souveraineté limitée, principeaffirmé dans des textes internationaux également.

Nous l’avons rappelé, à l’origine la souveraineté des Etats sur leurs ressourcesnaturelles est pleinement reconnue. Ainsi, une résolution adoptée par l’Assemblée Généraledes Nations Unies durant la période de décolonisation, en 1962, proclame « la souverainetépermanente des Etats sur leurs ressources naturelles », et le droit des peuples à disposerlibrement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles. Cette résolution précisecependant, dans le but d’éviter tout abus qui pourrait conduire à de graves préjudices, quel’exercice de cette souveraineté nationale doit être réalisé « sans préjudice des obligationsqui découlent de la coopération internationale »67. Afin d’aménager des rapports de bonvoisinage entre les Etats, il est nécessaire de mettre en place des restrictions ou desempiètements de souveraineté.

Une nécessaire coopérationLe principe de la communauté d’intérêts, c'est-à-dire l’abandon de l’exercice de certainsattributs de la souveraineté territoriale, a été considéré comme une sorte d’anomalie du

65 J.L Brierly, the law of nations, 5th edition, Oxford, Clarendon Press, 1955, p.204, cité par El Hassane Maghfour, hydropolitiqueet droit international au Proche Orient, op.cit., p.200.66 Affaire du Lac Lanoux (France/Espagne) 16 novembre 1957.

67 Résolution de l’Assemblée Générale 1103 (XVII), 14 décembre 1962

Page 36: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

36 Mondange Adrien - 2009

droit international. Ce principe, présent dans certains instruments récents rapprochant lesprincipes d’intérêt commun et de ressources partagées, a pu être mis en place notammentdans des cadres régionaux, donnant ainsi naissance à l’institution de commissions fluviales.Ce principe a été consacré très tôt par l’arrêt de la Cour d’Etat allemande dans l’affairede l’infiltration du Danube68. Il s’agit selon nous d’un cadre nécessaire pour une bonnegestion des ressources en eau douce internationales, qui prend en compte à la fois desintérêts économiques, des intérêts environnementaux et des intérêts écologiques. En effetce principe semble aller plus loin que le simple principe de gestion intégrée, résumé parJochen Sohnle comme suit : « fusionnant objet matériel du droit international des ressourcesen eau douce, les activités s’exerçant dans le domaine aquatique, et objet territorial,l’espace naturel à conserver, les acteurs internationaux se voient dans l’obligation de gérerl’écosystème aquatique intégré dans une approche d’ensemble »69. Ce n’est pourtant pasun principe facile à affirmer, à mettre en œuvre et à reconnaître.

En quelque sorte, tous les traités internationaux concernant la gestion des ressourcesen eau douce constituent par définition une limitation à la souveraineté des Etats, quiacceptent de respecter certains principes confinés dans un engagement international.Cependant, accepter le fait qu’il y ait certaines limites à la souveraineté d’un Etat,ce n’est pas forcément reconnaître une communauté d’intérêts. En 1972 par exemple,lors de la Conférence de Stockholm, qui est la première Conférence internationale surl’environnement et le développement, la limitation de la souveraineté nationale est affirméedans le principe 21 : « les Etats ont le devoir de faire en sorte que les activités exercéesdans les limites de leur juridiction et sous leur contrôle ne causent pas de dommage àl’environnement dans d’autres Etats ou dans des régions ne relevant d’aucune juridictionnationale ». La souveraineté est donc limitée, cela confirme le droit des Etats à exploiterles ressources naturelles sur leur territoire, mais dans la mesure où cette exploitation necause pas de préjudices aux Etats voisins. Ce principe a été confirmé comme faisant partieintégrante du droit coutumier international relatif à l’eau lors de la décision concernantl’affaire Gabcikovo-Nagymaros (1997). Le principe de la souveraineté limitée est le corollairede la coopération interétatique. Le principe 24 de la Déclaration de Stockholm invite lesEtats à coopérer afin d’instaurer une utilisation équitable et durable des ressources en eaupartagées. En 1992, lors du Sommet de la Terre à Rio, la Déclaration prévoit que « lesEtats doivent coopérer dans un esprit de partenariat en vue de conserver, de protéger et derétablir la santé et l’intégrité de l’écosystème terrestre ».

Au confluent du droit et du politiqueAlors que les théories réalistes et néoréalistes des relations internationales ont, notammentaprès la fin de la guerre froide, connu un déclin relatif, les théories internationalistes desrelations internationales ont pu refaire surface et insister sur la nécessité de la coopérationentre les Etats. Pour les réalistes la coopération entre Etats n’est pas nécessaire et a doncpeu de chance de se développer (voir la doctrine Harmon). Les théories internationalistesinsistent au contraire sur la mise en place d’organes de coopération à l’échelle internationaleou régionale qui réduiront les risques de conflits entre les Etats. Un parallèle peut êtredessiné avec l’évolution de la considération des ressources en eau douce. L’antagonismeclassique entre les deux grands principes du droit international, la souveraineté des Etatsou au contraire la coopération et la coordination à l’échelle internationale. Finalement, et

68 Affaire de l’infiltration des eaux du Danube, 17 et 18 juin 1927. Le principe de communauté s’applique également à la gestiondes eaux souterraines.69 Jochen Sohnle, droit international des ressources en eau douce, op.cit., p.182.

Page 37: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre

Mondange Adrien - 2009 37

on peut toujours dresser le parallèle avec les théories des relations internationales, laseconde vision tend à s’imposer, et résulte du constat que la première n’est pas efficace.La souveraineté nationale limitée est à même de constituer un facteur d’incitation à lacoopération entre plusieurs Etats autour d’un problème commun. Toutefois les questionsde souveraineté restent encore très présentes. Même si tous les textes relatifs à l’utilisationet la gestion des ressources en eau douce affirment aujourd’hui la nécessité de coopérer,d’échanger des informations, et ce par exemple à l’échelle d’un bassin international enmettant en place des commissions et autres organismes, les rapports de force sont encorebien souvent inégaux.

Des rapports de force inéquitables peuvent donner lieu à la production de droit quiavantage par ses dispositions un Etat plutôt qu’un autre. C’est ici que le droit internationalet la politique se rejoignent. Dans bien des cas, la signature d’un traité, qui s’appliqueraità une échelle régionale comme internationale, ne garantit pas en soi un partage équitabledes ressources en eau. Le rapport de force politique se reflète bien souvent dans la miseen place de règles de partage, et la coopération reste subordonnée aux relations politiquesqu’entretiennent les Etats entre eux. « L’avantage de l’Etat le plus puissant est d’autant plussensible que la législation internationale pour le partage des ressources en eau n’est dotéd’aucune force obligataire et qu’aucune juridiction ne contrôle son respect »70. Pensonspar exemple à des pays comme l’Inde, la Chine, la Turquie ou encore l’Egypte, qui ont supar leur position dominante sur un plan politique, économique ou militaire, protéger leursintérêts au détriment de leurs voisins. De tels accords déséquilibrés peuvent tout aussi bienconduire à des situations conflictuelles que l’absence d’accord. Cette subordination du droitaux rapports de force entre les Etats se retrouve dans les doctrines qui ont inspiré et justifiéles règles en matière de gestion des eaux transfrontalières. Les travaux de codification ayantabouti à la Convention de New York de 1997 montrent également que les Etats ont cherchéà protéger avant tout leurs intérêts, malgré les discours officiels mettant généralement enavant les notions de partage, de coopération et d’échange.

Nous l’avons dit, la communauté d’intérêt est à notre sens un concept plus large que lasimple notion de souveraineté limitée. La théorie selon laquelle il existerait une communautéd’intérêts entre les Etats riverains n’est pas une invention moderne. Cette théorie a desantécédents en droit romain et apparaît dans des traités et actes officiels anciens. L’idéeest qu’il existe une communauté d’intérêts créée par l’unité naturelle et physique d’un coursd’eau. Dans son travail de codification, la CDI a tenté une certaine ouverture vers uneconception plus globale des ressources en eau internationales, et a mis en avant cette notionde communauté d’intérêts à l’échelle d’un bassin hydrographique. Les rapporteurs de la CDIs’appuieront principalement sur des textes africains contemporains afin de tenter de donnerau droit international des cours d’eau une dimension correspondant à l’unité naturelle de laressource considérée. Cette idée avait été émise par la Cour permanente de justice en 1929dans l’affaire de la juridiction territoriale de la Commission internationale de la rivière Oder :« [La] communauté d’intérêts sur un fleuve navigable devient la base d’une communautéde droit, dont les traits essentiels sont la parfaite égalité de tous les Etats riverains dansl’usage de tout le parcours du fleuve et l’exclusion de tout privilège d’un riverain quelconquepar rapport aux autres »71

Le récent arrêt Gabcikovo-Nagymaros a démontré que cette communauté d’intérêtss’applique également à l’utilisation des cours d’eau à des fins autres que la navigation.

70 Hélène Willart, le droit international de l’eau et son rôle dans l’élaboration de la paix, op.cit., p.51.71 Juridiction territoriale de la Commission internationale de I'Oder. arrêt no 16, 1929, C.P.J.I. série A no 23, p. 27, cité dans le

jugement de la CIJ sur l’affaire relative au projet Gabcikovo Nagymaros, 25 septembre 1997, para.85, p.56.

Page 38: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

38 Mondange Adrien - 2009

Cela est mentionné dans l’arrêt du 25 septembre 1997 : « Le développement moderne dudroit international a renforcé ce principe également pour les utilisations des cours d'eauinternationaux à des fins autres que la navigation, comme en témoigne l'adoption par1'Assemblée générale des Nations Unies, le 21 mai 1997, de la convention sur le droit relatifaux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation » 72. Lacommunauté d’intérêt s’étend à des préoccupations environnementales, par exemples àtous les éléments terrestres du cycle hydrologique. Si un cadre juridique est nécessairepour mettre en place la coopération, un principe commence à se dessiner et à rentrerprogressivement dans les considérations juridiques : le principe de solidarité.

Chapitre 3 Aujourd’hui : eau et partageNous l’avons vu, les difficultés liées à la gestion des ressources en eau douce sontnombreuses et portent sur des points particulièrement difficiles à traiter dans le contextedes relations internationales. Si tout Etat d’un cours d’eau international doit pouvoir utiliserles eaux coulant sur son territoire, et que ce droit reste un attribut de sa souveraineté, etdonc attaché à une conception classique du droit international, cependant ce principe nedoit pas priver les autres Etats riverains de l’exercice du même droit. Le bon sens nousindique que l’eau est une ressource naturelle dont tous devraient pouvoir bénéficier, etpar là même « une coopération devrait obliger les Etats riverains à respecter et protégerleur droit commun d’exploiter cette ressource naturelle commune »73.La multiplication desacteurs et des besoins en eau à la fois rend nécessaire l’intervention d’un droit internationalsupposé résoudre les questions de partage en prenant en compte les aspects quantitatifscomme qualitatifs. Le droit international semble être un instrument qui peut tenter d’apporterdes solutions. Dans le domaine, le droit international n’est pas novice et, nous l’avonsvu, des doctrines et jurisprudences avaient déjà vu le jour avant que l’on considère lanécessité de partage et les notions d’utilisation équitable et raisonnable. Il s’agit désormaisde procéder à un partage global des ressources en eau, dont les enjeux géopolitiques,économiques et sociaux sont devenus considérables, et ce dans un cadre interétatique deplus en plus complexe. Les cadres bilatéral ou multilatéral semblent à l’heure actuelle lesplus appropriés pour résoudre les questions de partage des eaux, même si cette méthoden’est pas forcément aujourd’hui la plus appliquée par les Etats.

C’est la raison pour laquelle l’Assemblée Générale des Nations Unies recommandeà travers la résolution 2669 (XXV) à la Commission du droit international d’entreprendre« l’étude du droit relatif aux utilisations des voies d’eau internationales à des fins autresque la navigation, en vue du développement progressif de la codification du droit ». Enréponse à cette demande, la CDI a inscrit cette question dans son programme de travailen 1971 et a procédé à l’analyse et à la collecte de la documentation sur la pratique desEtats. Rappelons que cette décision de l’Assemblée Générale faisait suite à un processusentamé dès 1959 sur le sujet, qui avait abouti en 1963 à un rapport du Secrétaire Généraldes Nations Unies, intitulé « problèmes juridiques posés par l’exploitation et l’utilisation desfleuves internationaux »74. Le travail de codification de la CDI, complexe, fait appel à une

72 Jugement de la CIJ sur l’affaire relative au projet Gabcikovo Nagymaros, 25 septembre 1997, para.85, p.56.73 Patricia Buirette, Genèse d’un droit fluvial général, op.cit., p.29.

74 Doc. A/5409, du 15 avril 1963

Page 39: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre

Mondange Adrien - 2009 39

réflexion doctrinale antérieure menée par des sociétés scientifiques telles que l’Associationdu droit international et l’Institut de droit international notamment. Loin d’être un long fleuvetranquille (section 1), l’édification de ce qui deviendra une Convention internationale meten avant de réelles difficultés sur les solutions à apporter à la question du partage desressources en eau (section 2). L’apport de la Convention de New York de 1997 relatif auxutilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation n’est toutefoispas négligeable, et met en avant des principes généraux favorables à une gestion globale(section 3).

Section 1 : un long fleuve…pas tranquille du tout : l’édification d’uneconvention internationale

L’édification de la Convention de New York s’appuie sur des éléments de droit internationalpréexistants. Il s’agit en grande partie d’un travail de codification (sous section 1), quis’appuie notamment sur la coutume et les principes généraux du droit (sous section 2).L’intérêt de cette section qui reste par certains aspects descriptive est de rappeler au lecteurles intérêts de la codification en droit international et les principes antérieurs sur lesquelss’est appuyée la Commission du droit international pour travailler et parvenir finalement àun compromis entre les Etats.

Sous section 1 la codificationL’objectif de la codification en droit international est d’aboutir à une convention destinéeà être signée et ratifiée. C’est en tout cas l’objectif qu’a toujours cherché à atteindre laCommission de Droit International (la CDI), qui considère que le succès de son travail estcouronné par l’adoption d’une convention de codification par l’Assemblée Générale desNations Unies. C’est le stade que cherchait à atteindre la CDI dans ce cas précis. La CDIse contente parfois d’adopter de « simples » lignes directrices.

La CDI a été créée en 1947 par la résolution 174 (II) de l’Assemblée générale etconformément à la mission qui lui est assignée à l’article 13 alinéa 1 de la Charte desNations Unies : « L’Assemblée générale provoque des études et fait des recommandationsen vue de développer la coopération internationale dans le domaine politique et encouragerle développement progressif du droit international et sa codification ». La Commission dudroit international n’a pas le monopole de l’entreprise de codification et cette tâche peutêtre confiée à d’autres organes des Nations Unies. Toutefois l’essentiel de l’œuvre decodification a été accompli par cette Commission.

En droit international, la codification repose en partie sur des normes coutumières.La coutume en droit international est plus développée qu’en droit interne français (lacodification existe naturellement en droit interne comme en droit international), étant donnéle stade moins avancé du droit international par rapport au droit interne. La codificationse déroule en plusieurs étapes, et dans le cas de la Convention étudiée, l’entreprise decodification a duré plus de vingt ans. Celle-ci comporte cependant des risques. A premièrevue, on pourrait se dire qu’en en cherchant à préciser une règle grâce à son inscription dansun texte qui serait accepté par un nombre d’Etats considéré comme suffisant, le risque estd’amoindrir la portée de cette règle puisque celle-ci ne devient plus applicable qu’à l’égarddu cercle restreint des Etats parties au traité de codification. La nécessité de la codificationpourrait alors se trouver remise en question. La Cour Internationale de Justice, dans unarrêt Nicaragua du 26 novembre 1984, donne pourtant une réponse à ce problème, enaffirmant que « les principes du droit international général et coutumier sont codifiés ou

Page 40: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

40 Mondange Adrien - 2009

incorporés dans des conventions multilatérales ne veut pas dire qu’ils cessent d’exister oude s’appliquer en tant que principes de droit coutumier, même à l’égard des pays qui sontparties auxdites conventions [ …] [ces] principes conservent un caractère obligatoire en tantqu’éléments du droit international coutumier, bien que les dispositions du droit conventionnelauxquelles ils ont été incorporés soient applicables »75. Ainsi la codification ne substitue pasune règle préexistante à une autre, tout du moins la règle préexistante reste-t-elle applicablesous forme de coutume pour l’ensemble des Etats, même ceux qui ne sont pas concernéspar les dispositions de la convention mise en place. La situation inverse doit cependant êtrecommentée. En effet, si une convention modifie profondément la règle dans un sens qui neconvient pas aux Etats, ceux-ci peuvent refuser de ratifier et ainsi faire échouer le travail dela Commission du droit international. La codification présente l’avantage majeur d’ancrer lacoutume dans la pratique des Etats à travers une acceptation générale et son incorporationdans une convention76. Il s’agit donc de renforcer la règle applicable.

La codification doit par ailleurs permettre un développement progressif du droitinternational. Le statut de la C.D.I précise le sens de l’expression de « développementprogressif » dans l’article 15. Celui-ci « fait une distinction « pour la commodité » entrel’expression « développement progressif du droit international », employée «pour couvrirles cas où il s’agit de rédiger des conventions sur des sujets qui ne sont pas encore régléspar le droit international ou relativement auxquels le droit n’est pas encore suffisammentdéveloppé dans la pratique des Etats », et l’expression « codification du droit international »,employée « pour couvrir les cas où il s’agit de formuler avec plus de précision et desystématiser les règles du droit international dans des domaines dans lesquels il existedéjà une pratique étatique considérable, des précédents et des opinions doctrinales »77.La codification est logiquement synonyme de création de droit positif, par exemple lorsqu’ils’agit de préciser les modalités d’application d’un principe coutumier qui fait l’objet d’unecodification. Si les auteurs du statut pensaient au départ que les méthodes de codification etde développement progressif seraient différentes, ils ont toutefois confié les deux tâches à lamême commission. Dans la pratique, la distinction entre les deux principes reste artificielleet difficile à opérer. Les deux aspects restent en effet étroitement imbriqués.

Sous section 2 de la coutume et des principes généraux du droitNous l’avons dit, la nécessité de partager les ressources en eau internationales en utilisantun moyen autre que la frontière est devenue de plus en plus impérieuse au fur et àmesure de la diversification des usages. Les faits précédant généralement le droit, les règlesexistantes se sont montrées inadaptées aux situations nouvelles qui se développent, ce quia amené cette volonté de systématisation et l’entreprise de codification par la Commissiondu droit international. Le travail de celle-ci s’annonçait complexe car les bases théoriques surlesquelles elle a du s’appuyer étaient contradictoires. Nous avons déjà mentionné certainesdoctrines extrêmes, dont la doctrine Harmon et celle de l’intégrité territoriale absolue. Lathéorie de la communauté d’intérêts, bien qu’évoquée parfois par la Cour internationalede Justice, n’a pas été largement acceptée par les Etats dont l’objectif dans les relations

75 Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua (Nicaragua contre Etats Unis), Arrêt du 26 novembre 1984,Recueil des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la C.I.J, 1984, p.424.

76 Considération de la Cour internationale de Justice dans un arrêt du 20 février 1969, affaires du plateau continental de la Merdu Nord. La Cour estime que le droit coutumier en formation concernant le plateau continental s’est « cristallisé du fait de l’adoptionde la convention sur le plateau continental ».

77 Extrait de La Commission du droit international et son oeuvre, 5ed, 1996, et ABC des Nations Unies, 1995

Page 41: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre

Mondange Adrien - 2009 41

internationales est avant tout de protéger leur souveraineté, dût elle être une souverainetérestreinte ou limitée. C’est sur cette base que se fondent les travaux de la Commission dedroit international.

Le mandat donné à la Commission ne visait pas à ce qu’elle examine l’ensemble desproblématiques relatives aux ressources en eau au plan international, mais uniquementle droit des cours d’eau internationaux. Toutefois, inspirée par la systématisation dans lamême période du droit de la mer, la Commission tentera dans un premier temps d’élaborerun cadre juridique prenant en compte la complexité de la ressource : « […] la manièred’aborder la question doit être à peu près semblable, c'est-à-dire que, pour le droit de lamer, il a fallu, et pour les voies d’eau internationales, il faudra conceptualiser et formulerdes principes juridiques qui soient adaptés à la nature de l’eau et aux réalités physiques quilui sont liées »78. Nous le verrons, cette convention reste par certains aspects limitée car laCommission de droit international se heurtera encore à la volonté des Etats souverains quisouhaitaient notamment que la convention adoptée ne soit pas trop contraignante au regardde leur souveraineté. Si l’on ajoute à cela le fait que la Commission a cherché à concilier aumaximum les Etats dans l’espoir d’obtenir une ratification assez large, on comprend mieuxpourquoi la convention adoptée a pu être l’objet de vives critiques.

Les principes généraux du droit et la coutume avaient déjà été appliqués dans lesdécisions judiciaires plus anciennes. Ayant déjà rappelé et commenté les décisions utilesà notre étude, nous ne reviendrons pas dessus. Il faut simplement se rappeler ici lesconcepts de communauté d’intérêts, d’utilisation équitable et raisonnable qui supposent unebalance des intérêts. Des décisions intervenant dans d’autres domaines (affaire du détroitde Corfou, affaire de la Fonderie du Trail) ont également élaboré une jurisprudence utile àla Commission de droit international.

Notons également les importants travaux précurseurs. Les spécialistes du droitinternational des cours d’eau ont en effet pris très tôt la mesure de l’ampleur des défissoulevés par la multiplication des usages et par la hausse de la pollution. Leurs travauxont permis d’alimenter la réflexion au sein des Nations Unies et à la Commission dudroit international. En 1961, l’Institut de droit international réuni à Salzbourg a adoptéune résolution sur « l’utilisation des ressources en eaux internationales non maritimes (endehors de la navigation) »79. Dans cette résolution, l’Institut ne se contente pas de confirmerl’interdiction de causer des dommages mais souligne également l’idée des avantages quepeut présenter l’utilisation rationnelle d’un cours d’eau. Les principes adoptés allant dansce sens sont les suivants : un principe de souveraineté limitée, un principe d’équité, unprincipe d’accord préalable, un principe de recours à la négociation, un principe de recoursau règlement judiciaire et un principe d’établissement de structures de collaboration. Deplus, l’article 3 de la résolution impose qu’en cas de désaccord, la question des droitsd’utilisation sera réglée « sur la base de l’équité, en tenant compte notamment [des] besoinsde chaque Etat concerné, ainsi que des autres circonstances propres au cas d’espèce ».Cet article renforce en quelque sorte le principe d’utilisation équitable et raisonnable. En1979, une résolution intitulée « La pollution des fleuves et des lacs et le droit international »,dite résolution d’Athènes, implique que la préséance de l’utilisation équitable est maintenue,

78 S.M. Schwebel, rapporteur spécial, premier rapport sur le droit relatif aux utilisations des voies d’eau internationales à des

fins autres que la navigation, Doc. A/CN.4/320, Annuaire de la CDI, vol.II, 1ère partie, p.154, cité par S. Paquerot, eau douce lanécessaire refondation du droit international, op.cit., p.34.

79 Annuaire de l’Institut de droit international, 1961, vol. 49-II, p.381, cité par L. Caflisch, la Convention du 21 mai 1997 surl’utilisation des cours d’eau à des fins autres que la navigation, AFDI, XLIII, 1997, CNRS éditions, Paris.

Page 42: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

42 Mondange Adrien - 2009

sauf dans les cas de pollution. C’est la balance de différents facteurs qui doit être prise encompte pour déterminer l’équité : « la Résolution de 1979 semble indiquer que le principe del’utilisation équitable trouve une limite dans la prohibition de polluer ; ainsi l’interdiction decauser un dommage serait absolue dans le domaine de la protection de l’environnement »80.

La question des ressources en eau a également donné lieu à des travaux au sein del’International Law Association (ILA), qui a créé un comité spécial chargé de l’utilisationdes eaux internationales. On doit à cette association une doctrine célèbre, plus connuesous le nom de règles d’Helsinki, à laquelle de nombreux textes se sont ensuite référés.Les Règles, applicables aux bassins de drainage, prévoient l’attribution d’un droit departicipation équitable et raisonnable à chaque Etat du bassin, l’utilisation équitable étantplacée au dessus de la simple interdiction de dommages appréciables. C’est la premièrefois qu’est utilisée la notion d’ « unité de bassin » en matière de gestion de l’eau. Cettegestion cherche à respecter l’unité physique du bassin, en prenant en compte tous lessecteurs et les institutions concernés. Toutefois les Règles semblent peu contraignantes ence qui concerne la pollution. Contrairement à l’Institut de droit international, elles établissentune distinction entre la pollution existante et les pollutions nouvelles, distinction qui ne seraretenue ni par la C.D.I ni par la Convention de New York. En 1986, l’ILA adoptera les règlesde Séoul qui avaient notamment pour objectif d’étendre l’application des règles d’Helsinkiaux eaux souterraines, jetant ainsi les bases d’un droit qui restera longtemps marginalisé.Notons toutefois que l’Association de droit international a adopté en 2004 les Règles deBerlin sur les ressources en eau douce, signe que ce droit continue de progresser. Cesrègles ne font pas l’unanimité comme les précédentes.

La C.D.I dispose déjà de « modèles » et de pistes à explorer lorsqu’elle débute sestravaux dans les années 70. Certains principes déjà soulevés à l’époque restent aujourd’huiencore en vigueur. Les travaux de la Commission ont été complexes et il paraît intéressantde relever quelques uns des problèmes rencontrés au fur et à mesure de l’avancement destravaux. Ceci nous permettra en effet de comprendre dans quel état d’esprit la Conventionde New York a été édifiée.

Section 2 les travaux de la CDI : antagonismes et concessionsLes travaux de la CDI sur le droit relatif à l’utilisation des cours d’eau internationaux àdes fins autres que la navigation ont duré environ 20 ans, de 1974 à 1994. Durant cettepériode, la Commission a fait appel à cinq rapporteurs spéciaux qui ont été en placependant des durées variables. En 1991, un premier projet d’articles fut approuvé par laCDI et transmis à la Commission de l’Assemblée générale et aux gouvernements afind’obtenir leurs avis respectifs. Le texte définitif du projet d’articles fut produit en 1994, suiteaux propositions du nouveau Rapporteur spécial Robert Rosenstock. La codification a étélongue et particulièrement difficile, conséquence logique de l’évolution rapide de la matièreet des attentes divergentes des Etats.

Sous section 1 les principales controversesNous essaierons dans cette section de retracer quelques unes des controverses qui ont puêtre soulevées lors des discussions entre Etats au sujet du texte à adopter. En effet, et cemalgré les défauts que comportait le second projet de 1994 de la C.D.I, l’Assemblée adoptaune résolution invitant la Sixième Commission à se constituer groupe de travail plénier pour

80 L. Caflisch, la Convention du 21 mai 1997 sur l’utilisation des cours d’eau à des fins autres que la navigation, op.cit., p.757.

Page 43: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre

Mondange Adrien - 2009 43

étudier le projet et préparer son adoption et son ouverture à la signature. Ce groupe detravail, ouvert à tous les Etats, s’est appuyé sur le projet de 1994 pour établir l’actuelleConvention de New York.

Rapport entre les accords de cours d’eau existants et futurs et lesdispositions de la ConventionDifférents points font débat dans ce groupe de travail. Tout d’abord, le rapport entre lesaccords de cours d’eau existants et futurs et les dispositions de la Convention. Quel doitêtre le degré de conformité des accords existants avec la Convention ? Une telle questionest importante en droit international puisqu’elle permet de déterminer le statut des normesproposées et adoptées par certains Etats. Ces normes sont elles supplétives ou bienindérogeables, c'est-à-dire que ce sont des normes de jus cogens ? Bien que la Conventionsoit une convention dite cadre, celle-ci ne fournit pas de standards minimaux ou de règlesimpératives comme c’est généralement le cas de ce type de convention. De plus, lorsqu’unenouvelle norme impérative en droit international est reconnue comme telle, les accords outraités existants qui y dérogent deviennent nuls.

Sur cette question les positions défendues par les Etats ne dépendaient pas de leursituation géographique (amont ou aval) mais plutôt de leur considération des accordsexistants. A ce niveau une mise en balance des intérêts a été opérée par chacun des Etats,laissant ainsi les intérêts collectifs de côté. Précisons que dans son projet d’articles, laCDI n’avait pas développé la question concernant le devenir des accords de cours d’eauexistants. Certains Etats se sont toutefois permis de soulever la question, s’estimant malservis par les accords existants, et espérant obtenir la reconnaissance des règles contenuesdans la Convention comme règles de droit impératif (jus cogens). Ainsi, « dans un premiertemps, le Portugal alla jusqu’à qualifier les dispositions de celle-ci [la Convention] de règlesindérogeables, donc de jus cogens, peut être parce que cet Etat d’aval s’attendait à ce quela Convention consacre la primauté de l’interdiction de causer un dommage »81. D’autresEtats considéraient que le nouvel instrument devait pouvoir permettre, une fois entré envigueur, la révision des accords existants à la lumière des nouvelles règles mises en avant.Enfin, un autre groupe d’Etats considérait que la convention ne devait en rien modifier lestatu quo juridique des cours d’eau particuliers.

Finalement, la Convention adopte, après rappel de l’existence d’accords bilatéraux oumultilatéraux concernant des cours d’eau particuliers, une solution consensuelle, critiquéepar certains pays (et notamment par la France qui regrette une clarification plus pousséedes relations entre la Convention et les accords existants). L’article 3, paragraphe premier,dispose en effet que « la présente Convention ne modifie en rien les droits et obligationsrésultant pour [les Etats du cours d’eau] d’accords en vigueur à la date à laquelle ilssont devenues parties à la présente Convention ». Sauf volonté expresse, la Conventionne modifie en rien les droits et obligations résultants pour ces Etats d’accords existantslors de l’entrée en vigueur de la Convention. Le paragraphe 2 précise en effet que« nonobstant les dispositions du paragraphe 1, les Parties à des accords visés auparagraphe 1 peuvent, si besoin est, envisager de mettre lesdits accords en harmonie avecles principes fondamentaux de la présente Convention ». Soulignons ici l’extraordinaireeffort de vocabulaire aboutissant à un article qui finalement semble perdre toute sa valeurimpérative. Les Etats restent finalement libres d’agir comme ils le souhaitent et cetteConvention paraît somme toute assez peu contraignante à cet égard. Une telle concession a

81 Lucius Caflisch, la convention du 21 mai 1997 sur l’utilisation des cours d’eau à des fins autres que la navigation, op.cit.,p.769.

Page 44: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

44 Mondange Adrien - 2009

été qualifiée par L. Caflisch de « largement cosmétique »82, un tel accord existant ne pouvantêtre modifié qu’avec le consentement de tous les Etats parties, fait qui semble utopiqueétant donnés les intérêts extrêmement divergents qui peuvent opposer des Etats parties àun accord concernant l’utilisation d’un cours d’eau dont ils sont les riverains par exemple.Aucune disposition de la Convention, à la suite des travaux de la Sixième Commission,ne peut être considérée comme ayant une nature impérative, « survenant » au sens del’article 64 de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969. Les Etatssont simplement invités à mettre les accords auxquels ils sont parties en harmonie avecla Convention.

Concernant les futurs accords de cours d’eau, la controverse portait sur la possibilitéde déroger aux dispositions de la nouvelle Convention pour la conclusion de nouveaux.Il est surprenant qu’une telle question, bien que légitime, puisse être soulevée dans uneCommission censée créer du droit international à destination des relations interétatiques.En effet, quel serait l’intérêt de créer une Convention, qui après plus de vingt ans de travauxne serait de toute façon pas contraignante et n’obligerait pas les Etats ? Pourquoi créerdes règles de droit international que les Etats peuvent tout à fait ne pas appliquer ? UneConvention est un instrument qui doit être formel, sinon elle risque de revêtir le caractèred’une simple déclaration et dans ce cas le développement progressif risque fort d’être limité.La thèse suivant laquelle la nouvelle Convention contiendrait des règles de jus cogens ayantété abandonnée pour les accords de cours d’eau existants, il ne fallait pourtant pas donnerl’impression que la Convention serait inutile et n’aurait aucun effet sur les accords futurs(il s’agit tout de même d’une Convention-cadre, qui par définition doit donc « encadrer »la matière). Deux groupes d’Etats se sont affrontés sur cette question. Finalement laConvention de New York respecte pleinement la liberté conventionnelle des Etats et se limiteà leur offrir des directives facultatives. Les Etats de cours d’eau « peuvent conclure » denouveaux accords « qui appliquent et adaptent les dispositions de la présente Conventionaux caractéristiques et aux utilisations d’un cours d’eau international particulier ou d’unepartie d’un tel cours d’eau » (article 3 paragraphe 3). Les Etats peuvent donc décider deconclure des accords conformes à la Convention (l’utilisation du présent « appliquent »pourrait même laisser entendre que les Etats y sont contraints), cependant ils n’y sont pascontraints (ils « adaptent » s’ils le souhaitent).

La force obligatoire de la ConventionLes désaccords au sujet de la force obligatoire accordée à la Convention de 1997 ontégalement posé des questions concernant le mode de règlement de litiges qui pourraientdonner lieu à l’interprétation de la Convention. Sur ce point encore la distinction entre lesEtats d’amont et les Etats d’aval ne jouait plus. La thématique du règlement pacifique desdifférends relatifs à l’interprétation ou l’application de la nouvelle Convention fut l’objet dedébats et d’alliances diverses. La question de la valeur de normes internationales en matièrede gestion des ressources en eau douce est encore une fois posée indirectement à traversce débat. Ce type de débat et les idées qui y sont apportés reflètent une fois de plus lesattitudes générales des Etats en matière de règlement des conflits et leur désir de voirun litige spécifique lié à l’interprétation de la Convention réglé ou non par l’interventiond’une tierce partie. La Suisse, qui milite depuis longtemps en faveur du règlement pacifique,proposa un mécanisme de règlement des différends pouvant aboutir à des mécanismesjuridictionnels obligatoires. A l’inverse, des Etats comme la Chine, la Colombie, la Turquie

82 Idem, p.772

Page 45: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre

Mondange Adrien - 2009 45

ou encore la France s’allièrent avec des Etats d’aval pour empêcher l’établissement demécanismes obligatoires faisant appel à une tierce partie.

Etats d’amont/Etats d’avalL’une des difficultés principales rencontrée par le groupe de travail concerna les désaccordssurvenant entre les Etats d’amont et les Etats d’aval. Les Etats d’aval, de loin les plusnombreux, se prévalaient de la théorie de l’intégrité territoriale, ainsi que d’impératifs liésà la protection de l’environnement et à la conservation des ressources naturelles. LesEtats d’amont quant à eux, n’ont pas osé invoquer la doctrine Harmon de la souverainetéterritoriale absolue mais ont cherché à affirmer la suprématie du principe de l’utilisationéquitable et raisonnable par rapport à l’interdiction de causer un dommage. Ce conflit reflèteune profonde difficulté à négocier, et montre encore que les Etats ont cherché à camper surleur position, aucun d’eux n’étant prêt à faire de réelle concession pour assurer une gestionplus équitable des ressources. Ce conflit met en jeu deux groupes d’Etats qui cherchentchacun à assurer la prééminence d’un article de la Convention sur un autre.

Il est difficile d’aller contre la souveraineté des Etats en droit international. Ceci prouvel’attachement des Etats aux ressources en eau douce et montre en partie que ceux-ci ontpris conscience de l’importance de cette ressource. Le fait que les Etats s’affrontent montreque l’eau est un facteur géopolitique et économique important à leurs yeux. Sylvie Paquerotsouligne toutefois « l’affirmation agressive de la souveraineté et les difficultés de codificationdu droit international des cours d’eau »83, et rappelle avec H. Ruiz Fabri que « le droit fluvialest précisément là pour montrer à quel point il est difficile d’aller contre les souverainetés »84.

Sous section 2 une bonne volonté limitée ?On pourrait être tenté de considérer, au vue des débats complexes et portant sur des notionsimportantes du droit international de l’eau, que le travail de la CDI est resté limité et n’acherché qu’à codifier le droit existant, faisant fi de sa mission de développement progressif.Ce constat serait pourtant restrictif car cela reviendrait à fermer les yeux sur les tentativesopérées par les rapporteurs spéciaux pour faire évoluer le droit. Au début de ses travaux,la Commission de droit international a en effet cherché à prendre en compte la naturede la ressource. Ainsi, dès 1979 le rapporteur Schwebel affirmera, après une étude despropriétés de l’eau, que la notion de souveraineté permanente sur les ressources naturellesest loin d’être adaptée. L’année suivante, dans son projet d’article 5, ce même rapporteurintroduit la notion de ressource naturelle partagée, considérant que l’eau d’un système decours d’eau international est la ressource naturelle partagée par excellence. Il s’agit d’unenotion ancienne qui n’a pourtant pas été acceptée en tant que telle comme un principe dudroit international. Toutefois, dans la pratique des Etats cette notion est de plus en pluscouramment admise. Le rapporteur fait également allusion à la Charte des droits et devoirséconomiques des Etats de 1974, du Plan d’action de Mar del Plata adopté par la Conférencedes Nations Unies sur l’eau de 1977, et d’autres textes encore adoptés pour la plupart dansles années 70, décennie durant laquelle s’affirme une prise de conscience écologique. Dansle Plan d’action de Mar del Plata de 1977, l’expression « ressources en eau partagées » estadoptée et utilisée à propos des cours d’eau internationaux. L’importance des commissionsfluviales est également soulignée comme moyen de coopération.

83 Sylvie Paquerot, eau douce la nécessaire refondation du droit international, op.cit., p.8884 H. Ruiz Fabri (1990). « Règles coutumières générales et droit international fluvial », AFDI, XXXVI, p.821, cité par Sylvie

Paquerot, eau douce la nécessaire refondation du droit international, op.cit., p.88.

Page 46: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

46 Mondange Adrien - 2009

L’article du rapporteur Schwebel consacre l’idée selon laquelle les eaux d’un coursd’eau international sont considérées comme une ressource naturelle partagée seulementdans la mesure où leur utilisation par Etat a un effet sur leur utilisation d’un autre Etat.Ainsi, la CDI note dans le commentaire que la notion de ressource naturelle partagée peutentraîner certaines obligations juridiques, à savoir l’obligation de traiter ces ressourcesdans un esprit de coopération. La notion de ressource naturelle partagée a cependant étécritiquée dès le premier rapport. Comme le souligne d’ailleurs A. Fenet, « les rapporteursse sont trouvés contrariés par les réticences, voire l’hostilité montrées par de nombreuxEtats face à leurs tentatives d’introduire dans le droit international des concepts ditsmodernes : concepts de gestion rationnelle de l’eau, de solidarité des usagers, d’unité dela ressources considérée dans le cadre du bassin hydrographique comme une ressourcenaturelle partagée »85. Il s’agissait en 1980 lors de sa première introduction d’une notionnouvelle qui risquait de provoquer une incertitude quant aux conséquences juridiqueseffectives qu’elle pouvait emporter. En 1984 le Rapporteur a donc présenté une versiontotalement révisée de cet article, en cherchant à préciser son contenu juridique. L’objectifétait de souligner le principe selon lequel « un Etat a, à l’intérieur de son territoire, le droitde bénéficier d’une part équitable des utilisations des eaux d’un cours d’eau international ».Ainsi, la notion de partage était maintenue mais de façon plus souple, et cela semblamieux convenir aux Etats. Comme le souligne Patricia Buirette, finalement « la notion deressource naturelle partagée n’était acceptable que pour mettre en évidence les droits etles devoirs respectifs des Etats ; mais elle ne pouvait pas être à la base de nouveaux droitset de nouvelles obligations »86.Les Etats ont préféré à la notion de partage la notion desouveraineté, et les dispositions contraignantes correspondant à une mise en œuvre duprincipe de partage équitable ont été progressivement évincées. Notons que le conceptde bassin hydrographique a lui aussi subi un sort similaire. Les Etats refusent de manièregénérale de se soumettre à l’obligation d’un accord ou, à défaut, au jugement d’un tiers.

La CDI, devant le refus des Etats de prendre en compte, pour l’élaboration de la norme,la nature physique de la ressource considérée, a dû se replier sur les concepts traditionnelsà ce champ du droit international. Toutefois tout n’est pas négatif, et la CDI semble d’oreset déjà être parvenue à poser les bases d’un droit international de l’eau assignant aux Etatsdes obligations particulières, à travers la mise en place de principes généraux qui semblentfavorables à une gestion globale.

Section 3 des principes généraux généreux ?L’objectif du travail de la CDI étant de définir des règles précises en droit internationals’appliquant aux utilisations des ressources en eau douce à des fins autres que lanavigation, les différentes doctrines, contradictoires et radicales, doivent être mises à malet des principes clairs doivent être retenus. L’objectif d’une telle Convention cadre est derépondre de façon équitable et durable aux attentes des différents protagonistes, dans lebut de parvenir à une meilleure gestion de l’eau et d’éviter par là même sa surexploitation.Les principes généraux sont exposés dans la deuxième partie de la Convention, articles5 à 10. Deux obligations substantielles constituent traditionnellement les piliers du droitdes ressources aquatiques, et c’est leur relation qui a été prise en compte pour la miseen place de la Convention de New York de 1997 relative aux utilisations des cours d’eau

85 A. Fenet (1991), « droit de la mer, droit des cours d’eau internationaux : similitudes et convergences », ADMA, T.11, p.90,cité par Sylvie Paquerot, op.cit., p. 40.

86 Patricia Buirette, genèse d’un droit fluvial général, op.cit., p.33.

Page 47: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre

Mondange Adrien - 2009 47

internationaux à des fins autres que la navigation. Ces deux obligations sont d’un côtél’interdiction pour un Etat de causer un dommage significatif aux ressources aquatiquesqui ne sont pas situées sur son territoire. Cette obligation est principalement défendue parles Etats d’aval. D’un autre côté, un Etat se voit obligé de gérer les ressources aquatiquespartagées d’une manière équitable et rationnelle. Cette idée est plutôt défendue par lesEtats d’amont.

Sous section 1 l’ « utilisation équitable et raisonnable »Ce principe général constitue un des éléments les plus importants concernant le droitinternational des ressources aquatiques. La C.D.I, dans son effort pour concilier le droitsouverain des Etats d’utiliser les eaux situées sur leur territoire et l’obligation de ne pasexercer cette souveraineté de manière préjudiciable à un autre Etat a dégagé dans l’article5 de la Convention du 21 mai 1997 la règle de l’ « utilisation et la participation équitables etraisonnables » d’un cours d’eau international. L’article 5 est rédigé comme suit :

« 1. Les Etats du cours d’eau utilisent sur leurs territoires respectifs le cours d’eauinternational de manière équitable et raisonnable. En particulier, un cours d’eau internationalsera utilisé et mis en valeur par les Etats du cours d’eau en vue de parvenir à l’utilisationet aux avantages optimaux et durables- compte tenu des intérêts des Etats du cours d’eauconcernés- compatibles avec les exigences d’une protection adéquate du cours d’eau.

2. Les Etats du cours d’eau participent à l’utilisation, à la mise en valeur et à la protectiond’un cours d’eau international de manière équitable et raisonnable. Cette participationcomporte à la fois le droit d’utiliser le cours d’eau et le devoir de coopérer à sa protection età sa mise en valeur, comme prévu dans les présents articles ».

La notion de « raisonnable » en droit international mériterait à elle seule une analyseapprofondie. Si le bon sens d’une personne consciente de l’urgence à coopérer et àmieux répartir les ressources en eau douce permet de comprendre l’essence même de ceconcept, en revanche la notion est plus difficile à définir dans le cas d’Etats souverainsqui poursuivent des intérêts divergents et pour lesquels les ressources en eau peuventprendre une dimension sécuritaire ou géopolitique. Toute tentative de définition de la notionde « raisonnable » en droit international public se heurte à une profonde ambiguïté, reflétéedans cette citation issue d’une décision de la Cour Internationale de Justice : « what isreasonnable and equitable in any given case must depend on its circumstances »87. Ainsi,on considère en droit international qu’il est possible de dégager un principe général basé surune utilisation « équitable et raisonnable », mais de l’autre côté cette notion n’est pas définieen des termes clairs puisqu’elle prend des sens différents selon les « circonstances ».

Cette règle trouve ses origines dans le droit anglo-saxon et en particulier dans lajurisprudence fédérale américaine (on en trouve aussi des traces dans la jurisprudenced’autres Etats fédéraux comme par exemple l’Allemagne), à propos de problèmes derépartition des eaux. La règle exprime la solidarité interétatique dans la gestion desressources en eau. Elle est fondée sur l’égalité souveraine des Etats ainsi que sur leprincipe de souveraineté territoriale et d’intégrité territoriale limitées. Dans un arrêt KansasVs Colorado, la Cour Suprême des Etats Unis a déclaré concernant le rôle que devait jouerle principe d’égalité dans le règlement du litige entre les deux Etats : « One cardinal rule,underlying all the relations of the States to each other, is that of equality of right. Each State

87 Continental Shelf (Tunisia/Lybia Arab Jamahiriya) I.C.J. Rep. 1982, 18, para.60, cite par Oliver Corton, The Notion of“reasonable” in International Law: Legal Discourse, Reason and Contradictions, The International and Comparative Law Quaterly, Vol.48, No. 3 (Jul., 1999), p. 613

Page 48: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

48 Mondange Adrien - 2009

stands at the same level with all the rest. I can impose its legislation on no one of the others,and is bound to yield its own views to none”88.

La mise en place de ce concept n’a pas été évidente et la C.D.I a parfois eu du mal àconcilier les points de vue des Etats à ce sujet. L’article 5 du projet de 1991 consacrait eneffet, comme l’avait fait auparavant l’article IV des Règles d’Helsinki de 1966, le principe del’utilisation équitable et raisonnable. Cette utilisation devait alors être « optimale » et assurerune « protection adéquate » du cours d’eau. L’article 6 contenait lui une liste non exhaustivede facteurs à prendre en compte pour déterminer l’équité de l’utilisation d’un cours d’eauinternational. En 1994, le second projet essaiera de discerner la notion d’utilisation optimale.La C.D.I constatera qu’il ne s’agit ni de « l’utilisation techniquement la plus rationnelle » ou« financièrement la plus avantageuse », ni de celle « permettant de s’assurer des profitsimmédiats au prix de pertes à long terme », ni enfin de l’utilisation prioritaire par l’Etat « quia les moyens de pratiquer l’utilisation la plus rationnelle ». Ainsi, la C.D.I conclura sur cepoint que l’utilisation optimale « signifie que les Etats du cours d’eau s’assurent tous lesmaximum d’avantages possible et répondent le mieux possible à tous leurs besoins tout enréduisant au minimum les dommages causés à chacun d’entre eux et la part non satisfaitede tous besoins »89.

A l’heure actuelle le principe de l’utilisation équitable et raisonnable semble êtrecommunément admis parmi les Etats. Il est d’ailleurs appuyé par une doctrine internationaleimportante et consacrée par la pratique, conventionnelle et déclaratoire des Etats. Dès 1929le jugement de la rivière Oder énonçait ce principe. Il a pu être énoncé plus tôt encore lorsde conflits tranchés par la Cour Suprême des Etats Unis au début du XXe siècle. Cetterègle semble aujourd’hui faire partie des règles coutumières. Quelques mois seulementaprès l’adoption de la Convention de New York de 1997 (en mai), la Cour internationale deJustice, se prononçant sur l’affaire Gabcikovo-Nagymaros, a insisté sur ce principe, et y afait directement allusion dans plusieurs paragraphes de l’arrêt90. Le succès initial de la règletient à son degré de généralité, à sa souplesse et à la multitude de paramètres dont elle estcomposée. Il s’agit de faire en sorte que chaque Etat fasse le maximum d’efforts, dans leslimites de ses capacités, pour atteindre l’objectif fixé. Cette obligation met ainsi tous les Etatssur un pied d’égalité, ce qui pour le droit international est un accomplissement important.L’utilisation équitable ne signifie pas l’existence d’égalité des droits, mais plutôt l’idée quedans l’hypothèse d’un conflit entre utilisations, il convient de procéder à des ajustements surune base équitable et raisonnable. Dans son deuxième rapport, le Rapporteur Schwebelsouligne que « la principale règle juridique est que les droits d’un Etat sont limités par lesdroits des autres Etats. C’est un postulat du droit international tellement fondamental qu’ilen est incontestable ». L’article 6, alinéa 1 expose sept paramètres afin d’aider à cernerle concept d’utilisation équitable et raisonnable, « par la prise en considération de tous lesfacteurs et circonstances pertinents », parmi lesquels figurent « les facteurs géographiques,hydrographiques, hydrologiques, climatiques, écologiques […] les besoins économiques etsociaux […] la population tributaire du cours d’eau dans chaque Etat du cours d’eau […].

88 Kansas v Colorado, 206 U.S 46, at p.97 (1907), cité par S.C. McCaffrey, the law of international watercourses, op.cit., p.390.89 Commentaire 3 de l’article 5 du projet de 1994, cité par Lucius Caflisch, La Convention du 21 mai 1997 sur l’utilisation des

cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, op.cit., p.761, note 46.90 Voir par exemple le paragraphe 78, dans lequel la Cour affirme le droit fondamental de la Hongrie à une telle part équitable

et raisonnable « mais il ne saurait s’ensuivre que la Hongrie aurait perdu son droit fondamental à une part équitable et raisonnable desressources d’un cours d’eau international » ; paragraphe 85 la Cour considère que la Tchéchoslovaquie, en prenant unilatéralement lecontrôle d’une ressource partagée, et en privant ainsi la Hongrie de son droit à une utilisation équitable et raisonnable des ressourcesnaturelles du Danube […] n’a pas respecté la proportionnalité exigée par le droit international ; article 150…

Page 49: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre

Mondange Adrien - 2009 49

Rappelons encore que la Convention de New York complète la définition de l’utilisationoptimale consacrée au Projet de la C.D.I de 1994. L’utilisation et les avantages doiventêtre « durables ». Cette adjonction introduit une dimension temporelle dans la dimensiongénérale. De plus, cette utilisation doit tenir compte des « intérêts des Etats du cours d’eauconcernés », ceci générant des droits réciproques vis-à-vis des autres Etats dont les intérêtsdoivent être protégés. Toutefois, la règle fondamentale reste ambivalente. En effet, elleénonce d’une part le droit pour chaque Etat du cours d’eau, sur son territoire, à une partéquitable des utilisations et des avantages du cours d’eau international, et d’autre partchaque Etat du cours d’eau a l’obligation de ne pas outrepasser son droit d’utiliser le coursd’eau de manière équitable et raisonnable, c'est-à-dire de ne pas priver les autres Etats ducours d’eau de leur droit d’utilisation équitable et raisonnable.

Malgré la reconnaissance du caractère coutumier et son inscription dans la Convention,les Etats restent réticents à l’appliquer dans certains domaines spécifiques, notamment ladistribution du potentiel électrique, les ressources vivantes (qui sont explicitement excluesdu domaine d’application de la Convention), et les eaux souterraines qui ne sont pas reliéesaux eaux de surface.

L’interprétation de la notion d’usage équitable et raisonnable reste donc variable, mêmesi cette norme fondamentale introduite par la Convention de New York, issue des Règlesd’Helsinki, introduit l’idée de gestion globale. Un usage- même ancien- d’un cours d’eaupeut être abandonné au profit d’un usage plus équitable.

Sous section 2 l’obligation de coopérerL’article 8 de la Convention énonce l’obligation générale de coopérer, et ce sur la base« de l’égalité souveraine, de l’intégrité territoriale, de l’avantage mutuel et de la bonne foi »,et « en vue de parvenir à l’utilisation optimale et à la protection adéquate du cours d’eauinternational ». Cette dernière partie de l’article nous rappelle que l’obligation de coopérationentretient des liens étroits avec l’utilisation équitable et raisonnable. De plus, l’article viseà souligner l’importance de la coopération internationale dans la résolution de situationslitigieuses, et laisse sous-entendre que des Etats du cours d’eau, partageant une mêmeressource, devraient tendre à entretenir entre eux des relations sur un pied d’égalité, formantainsi ce que l’on pourrait appeler une « communauté d’intérêts ». Soulignons cependant quel’eau n’est jamais la cause unique d’une situation conflictuelle mais peut constituer un enjeu.Même si les Etats venaient réellement à constituer une communauté d’intérêts sur la basede leur utilisation d’un cours d’eau, d’autres facteurs pourraient de toute façon exacerberla situation et viendraient renforcer par exemple l’influence d’un Etat sur ses voisins. Laconsidération de la nécessité d’un partage de l’eau n’est pas le seul facteur rentrant dans lecalcul stratégique d’un Etat, même s’il peut être un facteur déterminant dans certains cas.

Les travaux au sein du Groupe de travail ont montré des intérêts divergents, opposantà nouveau Etats d’amont et Etats d’aval notamment. La Syrie a par exemple cherchéà introduire un paragraphe additionnel dans lequel serait précisé que l’obligation decoopération devait se réaliser au moyen d’accords entre les pays concernés, sur la partéquitable et raisonnable des utilisations revenant à chacun. De manière générale, alorsque les Etats d’aval se prévalaient de la théorie des droits riverains et d’impératifs liés à laprotection de l’environnement, les Etats d’amont se prévalaient plutôt du principe d’utilisationéquitable et raisonnable, dont ils cherchaient à assurer la prédominance sur l’interdictionde causer un dommage.

Page 50: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

50 Mondange Adrien - 2009

La coopération doit s’établir sur la base d’un échange d’informations et de données,échange que l’article 9 de la Convention cherche à mettre en place. L’information etl’échange de données concrétisent la règle générale de coopération. Il s’agit d’unemesure bien ancrée dans les relations internationales. Les études doctrinales etjurisprudentielles relèvent une pratique constante, qui prend différentes formes, de lacoopération internationale91. L’obligation de coopérer n’est en effet pas une obligationnouvelle en droit international, et sur ce point le Groupe de travail n’a fait que réaffirmerune pratique déjà existante92. Il s’agit d’une pratique ancienne, qui a été confirmée à denombreuses reprises récemment. La coopération est en effet censée être à la base durèglement d’un litige surgissant entre Etats. L’article 9 concernant l’échange régulier dedonnées et d’informations paraît toutefois décevant, dans la mesure où il précise queces informations doivent être transmises à partir du moment où elles sont « aisémentdisponibles », et compte tenu du travail et des frais à engager, mais leur élaboration ne peutêtre engagée qu’en vertu d’un traité spécial. Le caractère contraignant des modalités demise en œuvre de l’obligation générale de coopérer est donc relativement faible…

Si les auteurs s’entendent assez largement pour conférer un caractère coutumier àl’obligation générale de coopérer, toutefois il est intéressant de s’interroger sur sa réelle miseen pratique, dans le droit international de manière générale et dans le droit des ressourcesen eau douce. Bien que l’idée d’une « administration internationale » des ressources en eaudouce soit soulignée et rappelée fréquemment93, insistant sur la mise en place d’agencesde coopération au niveau régional, toutefois les intérêts géostratégiques peuvent ici venirconcurrencer le droit international et mettre à mal des initiatives qui font pourtant preuve debon sens. L’existence d’une obligation générale de coopérer n’est pas, dans ces conditions,un gage certain de relations pacifiques entre Etats riverains du cours d’eau international.

Sous section 3 l’obligation de ne pas causer de dommages significatifsIl est mentionné dans l’article 7 alinéa 1 de la Convention que « les Etats du cours d’eauprennent toutes les mesures appropriées pour ne pas causer de dommages significatifsaux autres Etats du cours d’eau ». La Convention de New York reprend pour l’essentielle principe 21 de la Déclaration de Stockholm sur l’environnement de 1972, obligeant lesEtats à prendre des mesures pour prévenir les dommages qui peuvent être infligés auxautres Etats par leur utilisation des ressources en eau. Cet article trouve appui dans lajurisprudence internationale. Il suffit d’étudier l’affaire de la Fonderie du Trail dans laquelle

91 Pour en savoir plus sur l’obligation de collaborer, les formes que peut prendre cette collaboration voir la thèse de ChristelleDressayre, op. cit., p. 145 à 172, et pages suivantes sur « l’obligation d’informer comme corollaire à l’obligation de coopérer ».

92 Voir par exemple dans la jurisprudence arbitrale la sentence de l’affaire du Lac Lanoux, dans laquelle le tribunal est amenéà préciser le contenu de l’obligation de négocier : « …la pratique internationale…oblige les Etats à rechercher, par des tractationspréalables, les termes d’un accord sans subordonner à la conclusion de cet accord l’exercice de leurs compétences […] En réalité,les engagements ainsi pris par les Etats prennent des formes très diverses et ont une portée qui varie selon la manière dont ilssont définis et selon les procédures destinées à leur mise en œuvre ; mais la réalité des obligations ainsi souscrites ne saurait êtrecontestée et peut être sanctionnée, par exemple, en cas de rupture injustifiée des entretiens, des délais normaux, de mépris desprocédures prévues, de refus systématique de prendre en considération les propositions ou les intérêts adverses, plus généralement

en cas d’infraction aux règles de la bonne foi » A.C.D.I, 1974, vol. II, 2ème partie. Se référer également à la jurisprudence de la CourInternationale de Justice, notamment l’affaire du plateau continental de la Mer du Nord, 20 février 1969.

93 Certaines institutions étudient les problèmes de répartition des ressources en eau douce à l’échelle mondiale. Voir parexemple le Programme Hydrologique International (UNESCO), l’Office International de l’Eau, les commissions de gestion de certainsbassins fluviaux. Voir aussi la notion de « gestion intégrée ».

Page 51: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre

Mondange Adrien - 2009 51

le tribunal arbitral décida qu’aucun Etat n’a le droit d’user de son territoire ou d’en permettrel’usage de manière à faire du tort « au territoire d’un autre Etat ou aux propriétés despersonnes qui s’y trouvent, quand l’affaire a une portée sérieuse et que le préjudice subiest établi de manière claire et convaincante »94. De même, l’affaire du détroit de Corfou etl’affaire du Lac Lanoux mettent en avant le principe de l’interdiction de ne pas causer dedommage significatif. L’étude jurisprudentielle et doctrinale revèle que ce principe n’est luinon plus pas complètement neuf dans les pratiques interétatiques.

Il apparaît toutefois que même si cette règle, qui relève en quelque sorte du principe debon voisinage, est une règle coutumière, en matière de droit des cours d’eau internationauxnotamment sa prépondérance n’est pas conforme à la pratique des Etats. En effet soncaractère absolu serait synonyme d’une atteinte au principe de l’égalité souveraine desEtats. De plus, dans certains cas l’application stricte du principe de ne pas causer dedommages significatifs équivaudrait à nier le droit d’utilisation. Pensons par exemple à laproblématique du Nil. Attribuer un caractère fondamental à ce principe risquerait d’aboutirau maintien d’un statu quo en ce qui concerne les activités autres que la navigation serapportant à des cours d’eau internationaux exploités. Toute activité nouvelle risquerait parlà même d’être considérée comme portant atteinte aux utilisations existantes et d’infligerun dommage aux exploitants déjà en place. Le risque est donc que les activités existantesengendrent un droit acquis, et il deviendrait alors difficile de modifier des situations ou detenter des rééquilibrages. Cette situation risque de créer des tensions lorsqu’il s’avère qu’unou plusieurs Etats se sont attribué la majeure partie des bénéfices des ressources d’uncours d’eau international.

D’autres critiques pourraient être formulées à l’encontre de cet article, dont l’objectifpremier est pourtant, de même que les articles évoqués précédemment, la mise en placed’une gestion globale des ressources en eau douce. Il s’agit de savoir quel sens recouvreici l’adjectif « significatif ». Aucune précision n’est apportée dans le texte de la Convention.Si le dommage d’importance mineure reste toléré car correspondant aux incommoditésdues au bon voisinage dans la doctrine, l’Etat peut seulement s’opposer à un dommage« significatif ». De même, le terme de « dommage » peut être interprété de différentesfaçons, et peut recouvrir des situations différentes. La C.D.I a expliqué que ce terme pouvaitavoir des usages variés, et qualifier des dommages quantitatifs aussi bien que qualitatifs.En théorie, la pratique des Etats n’est pas analysée seulement sous l’angle de la seuleutilisation directe d’un cours d’eau qui pourrait avoir des répercussions dans un autre Etat.En effet, des activités menées dans un Etat peuvent avoir des effets dommageables dansun autre Etat, mais de manière indirecte. Toutefois, la Convention de New York précise queles Etats ne doivent pas causer de dommages significatifs à travers l’usage d’un cours d’eauinternational. La condition restreint le champ d’application de la Convention.

Malgré un rejet ferme des termes de cet article par certains Etats, celui-ci a pu êtreconsidéré comme fondamental. Il a pu être considéré comme « la pierre angulaire del’ensemble du texte »95.

Il ressort de l’analyse succincte de ces articles que certaines controverses ont pu naîtreet sont aujourd’hui encore vivaces. De façon plus générale, l’ensemble de ces trois principesconstitutifs de la Convention de New York ont pour but la gestion globale des ressourcesen eau douce.

94 C.I.J., Rec. 1949, op.cit., p.22, cité par El Hassane Maghfour, hydropolitique et droit international au Proche-Orient, op.cit., p.234.95 L. Caflisch, la Convention du 21 mai 1997 sur l’utilisation des cours d’eau à des fins autres que la navigation, op.cit., p.762.

Page 52: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

52 Mondange Adrien - 2009

L’objectif de la Convention, selon Jacques Sironneau, était de « trouver un équilibreentre l’interdépendance des Etats riverains et leur souveraineté sur leurs ressourcesnaturelles ; un équilibre également entre les Etats d’amont et les Etats d’aval maisaussi entre les différentes utilisations de l’eau ». Il était essentiel de mettre en place undroit international de l’eau, qui préexistait mais ne suffisait plus à couvrir l’ensemble desutilisations. La Commission de Droit international a mis en place après 20 ans de réflexionun droit qui se veut progressiste et codificateur tout à la fois.

Page 53: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eaudouce

Mondange Adrien - 2009 53

Partie II L’apport et la pertinence dudroit international dans la gestion desressources en eau douce

Les travaux ayant conduit à l’adoption de la Convention sont louables. Ils ont non seulementpermis d’intéresser durant deux décennies des spécialistes de la question, de collecterdes avis et de proposer des débats, processus essentiel en droit international, mais ontégalement abouti à la signature d’une convention, un instrument pour le moins puissant endroit international - à supposer qu’il soit effectif.

La Convention du 21 mai 1997 a-t-elle correctement intégré des concepts modernesconcernant la gestion des ressources en eau douce ? A-t-elle répondu aux espoirs qu’ellea suscités, ou au contraire a-t-elle déçu, et pour quelles raisons ?

Les travaux tortueux de la Commission ont soulevé de nombreuses questions, àcertaines périodes ces travaux se sont montrés plutôt modernes, avant-gardistes, tandisqu’ils se sont présentés sous des formes plus conservatrices le reste du temps.

Aujourd’hui, le droit international de l’eau ne se résume pas seulement à cetteConvention, mais en matière de droit positif celle-ci reste un élément d’étude important dufait même de sa nature et du processus qui l’a fait naître. Peut-on considérer que cetteConvention reflète réellement l’état des besoins en matière de codification ? En cherchant àconcilier les intérêts des Etats, les différents rapporteurs qui se sont succédé ont-ils donnéà la Convention l’envergure dont elle devrait disposer compte tenu de l’urgence à agir ?Au final, la Convention n’est elle que le reflet des divergences des intérêts étatiques - untexte qui serait alors affadi - ou les rapporteurs ont-ils réussi à outrepasser les intérêtscontradictoires ?

La Convention semble en effet se heurter à un certain nombre de limites. Ceci nousfait dire qu’il s’agit d’une convention imparfaite (chapitre 1). La perfection n’existe pas,nous qualifierons ici la Convention d’imparfaite pour souligner ses principaux défauts. Cetteconvention laisse apparaître des vides juridiques criants, sur lesquels nous reviendronsafin de montrer qu’ils devraient pourtant être pris en compte (chapitre 2). L’utilité du droitinternational de l’eau sera ensuite testée à travers des exemples représentatifs (chapitre 3).

Chapitre 1 la Convention du 21 mai 1997 : uneconvention imparfaite

Dès le début des travaux, la Commission de Droit international a exprimé ses craintesquant à la difficulté de travailler sur l’utilisation d’une ressource essentielle dans toutesociété, qui n’a pas partout la même signification et fait l’objet d’usages divers. De plus,la mise en place de principes généraux applicables dans toutes les régions du monde

Page 54: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

54 Mondange Adrien - 2009

aux différents cours d’eau semble difficile. En effet, « l’obstacle principal réside dans laspécificité historique, sociale, géographique, hydraulique de chaque fleuve, qui se prêteraitmieux à des accords bilatéraux entre Etats directement concernés qu’à une règlementationinternationale générale »96.

Le travail de la Commission a abouti à l’adoption d’une Convention-cadre. L’objectif,affiché dès le départ, était de satisfaire le plus grand nombre d’Etats. Il est donc légitimede souligner les imperfections de cette convention. Au-delà de simples critiques, il sembleintéressant de mener cette étude car c’est dans ce genre de situation et par la confrontationque les règles de droit international peuvent être produites et surtout appliquées.

Malgré les années passées à tenter de concilier les Etats, il semblerait que la majoritéd’entre eux aient finalement décidé de sauvegarder leurs intérêts, faisant de la Conventionun texte dont la portée est réduite. L’apport et la portée de la Convention du 21 mai 1997semblent limités (section 1), et celle-ci reste peu novatrice (section 2).

Section 1 un apport somme toute limitéLa Convention du 21 mai 1997 constitue un texte essentiel en droit international de l’eau,issu d’un long processus de négociations. Toutefois, si l’on prend la peine de considérer cetexte et d’étudier les commentaires le concernant, certains aspects peuvent paraître faibleset alimenter la critique quant à sa réelle portée. Il s’agit d’une convention-cadre (sous section1), dont certains contours sont peu clairs (sous sections 2), et qui montre une prise de risquelimitée (sous section 3).

Sous section 1 limite quant à la forme : une convention-cadreLes articles 3 et 4 sont des dispositions visant à inciter les Etats d’un cours d’eau à concluredes « accords de cours d’eau », la Convention ne donnant finalement que des conseilsquant au contenu de ceux-ci. L’alinéa 4 de l’article 3 dispose ainsi que « lorsqu’un accord decours d’eau est conclu entre deux ou plusieurs Etats du cours d’eau, il doit définir les eauxauxquelles ils s’applique. Un tel accord peut être conclu pour un cours d’eau internationaltout entier, ou pour une partie quelconque d’un tel cours d’eau, ou un programme particulier,ou pour une utilisation particulière, dans la mesure où cet accord ne porte pas atteinte,de façon significative, à l’utilisation des eaux du cours d’eau par un ou plusieurs Etats ducours d’eau sans le consentement exprès de cet Etat ou ces Etats ». Cet article présentecertains des conseils que la Convention se borne à donner à ceux qui voudraient concluredes accords de cours d’eau. Il constitue en quelque sorte un guide pratique, que les Etatspeuvent ou non consulter.

La Convention, chargée de codifier la règlementation en vigueur, a posé des principesgénéraux, laissant la possibilité aux Etats qui le souhaitent - ceux au moins qui auront ratifiéla Convention - de conclure des accords-systèmes. Ceci s’explique par la considérationde la particularité de chaque situation, et peut ainsi être perçu comme un avantage. Siles Etats mettent en place un accord-système respectant les principes généraux entérinéspar la Convention, que nous avons déjà mentionnés, alors tout ira pour le mieux : lesprincipes considérés comme essentiels en droit international seront respectés, tandis quele particularisme de chaque cours d’eau ou de chaque situation - qui n’est plus à démontrer- sera pris en compte. L’accord-système permettrait de répondre à une gestion optimale del’eau, offrant un régime juridique spécifique qui correspondrait aux besoins particuliers et

96 C. Dressayre, la mise en place du droit international de l’eau : mythe ou réalité ?, op.cit., p.227.

Page 55: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eaudouce

Mondange Adrien - 2009 55

identifiés. Notons que la technique de la convention-cadre est fréquemment utilisée dansce domaine. Mentionnons par exemple l’adoption de la directive cadre pour une politiquecommunautaire dans le domaine de l’eau. Cette directive est un instrument juridique majeurpour la gestion de l’eau, qui parachève près de trente ans de travaux de la Commissiondans ce domaine.

La Commission a retenu l’idée selon laquelle il lui était requis de définir les grandsprincipes constitutifs d’un accord, un cadre relatif aux règles générales applicables à tousles cours d’eau internationaux. Cette interprétation se comprend facilement étant donnée ladiversité des situations qui se présentent aux Etats, et elle paraît de prime abord la solutionla plus sage. Peut être l’est elle, mais là n’est pas la question. En effet il n’en reste pasmoins que la possibilité laissée aux Etats de pouvoir déroger à la Convention a suscitéla controverse. La Convention mettrait en avant des règles ayant un caractère supplétif,devant servir de fondement aux accords de système apportant quant à eux la règlementationprécise des cours d’eau. Ce fonds commun de règles, mises en place de façon concertée,devrait en théorie encourager la conclusion des accords de système et contribuer par làmême à la solution de difficultés. Il apporte un terrain d’entente pouvant servir de base àdes négociations97.

Des représentants ont souligné le fait que les relations politiques et la volonté decoopérer entre les Etats étant variables, il était nécessaire de mettre en place des règlessuffisamment précises.

Bien qu’un accord cadre puisse s’appliquer de manière supplétive à des ressourcesaquatiques internationales en l’absence d’un accord spécifique, cette situation est rarecar de nombreux accords existent aujourd’hui à travers le monde concernant l’utilisationdes ressources hydriques. Un problème particulier consiste dans le comblement ou le noncomblement des lacunes des accords futurs par la convention-cadre, dans le cas où onignore si ce silence est le résultat volontaire de négociations interétatiques. Un Etat pourraitse voir imposer la Convention à titre supplétif s’il est avéré qu’aucun accord ne concerne lesressources mises en question. La Convention en revanche ne remet en cause aucun accordde cours d’eau existant ou à venir, solution qui a vainement été critiquée par la France enparticulier. La question de l’utilité de ce nouvel instrument juridique pourrait ainsi se poser.Le choix de l’accord cadre pourrait être perçu comme le constat de l’incapacité de la sociétéinternationale à mettre en place des accords suffisamment puissants pour remédier de façonefficace aux problèmes considérés.

Concernant la faible effectivité de cette convention cadre, précisons que le texte de laConvention n’est à l’heure actuelle toujours pas entré en vigueur, faute d’avoir obtenu les35 instruments de ratification nécessaires. Lors du vote à l’Assemblée Générale, 103 paysse prononcèrent en faveur du texte, seuls trois contre (le Burundi, la Chine et la Turquie,les deux derniers sans doute à cause de leur position d’Etat d’amont, et le Burundi plutôtpour des considérations politiques que pour des raisons hydro-géographiques). A ce jour

97 Lucius Caflisch porte cependant un regard différent sur la nature de la Convention, voir L. Caflisch, la Convention du 21mai 1997 sur l’utilisation des cours d’eau à des fins autres que la navigation, op.cit., p.770, note de bas de page n°88 : « en général,les « traités-cadres »- voir à titre d’exemple la Convention du 10 octobre 1980 sur les armes traditionnelles (revue internationale dela Croix Rouge, n°727, 1981, p.44) […]- consistent exclusivement en des dispositions de forme, de procédure et institutionnelles, lesrègles de fond faisant l’objet d’annexes à ces traités. Autrement dit ils servent de cadre à ces annexes. Clairement la Conventiondu 21 mai 1997 n’entre pas dans cette catégorie, puisqu’elle contient de nombreuses dispositions de fond et ne sert pas de cadre àd’autres instruments qui en feraient partie intégrante. On voit dès lors mal à quoi correspond le terme « Convention-cadre » utiliséau cinquième paragraphe du préambule, si ce n’est qu’il renforce l’interprétation donnée ci après (pp. ..et..) à l’article 3, paragraphespremier et 3. de la Convention, à savoir que les règles de cette dernière ont un caractère purement dispositif ».

Page 56: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

56 Mondange Adrien - 2009

seuls 17 Etats ont ratifié la Convention. Le World Wide Fund for Nature (WWF) espère uneentrée en vigueur en 2011. La France a annoncé lors du Forum mondial de l’eau, qui s’esttenu cette année à Istanbul du 16 au 22 mars, qu’elle allait elle-même ratifier ce texte98.

Sous section 2 le caractère équivoque du rapport entre deux des règlesfondamentales posées par la ConventionNous l’avons dit, la Convention du 21 mai 1997 met en place une série de règles quirestent des règles essentielles et sont considérées par la plupart des auteurs comme lespiliers du texte. Parmi ces règles, nous avons évoqué le principe de l’utilisation équitableet raisonnable, qui résulte de l’élaboration de la Convention. Cette règle reste équivoquepar rapport à l’interdiction de causer un dommage. L’interprétation de ces principes et laquestion de savoir lequel des deux pouvait prévaloir est une problématique qui fait de laConvention un texte sous certains aspects difficile à interpréter. Rappelons pour mémoireque l’article 5 traite de l’utilisation équitable et raisonnable, tandis que l’article 7 traite del’obligation de ne pas causer de dommages significatifs.

Le rapport entre l’utilisation équitable et raisonnable et l’interdiction decauser un dommageC’est la question de la formulation de l’article 7 et de ses relations avec les articles 5 et 6qui a provoqué l’une des confrontations majeures lors de l’élaboration de la Convention, etcelle-ci subsiste encore entre les spécialistes. En fait, l’opposition entre ces deux articles,c’est aussi l’opposition entre Etats d’amont et Etats d’aval. Il ressort de ces deux articlesdes problèmes d’interprétation, et Joseph W. Dellapenna, spécialiste anglo-saxon du droitinternational de l’eau, évoque une contradiction implicite. Selon lui, le texte de la Conventionsubordonne clairement l’article 7 au principe de partage équitable99 .

Il est nécessaire ici de rappeler que dans l’affaire du détroit de Corfou, la C.I.Jmet l’accent sur « l’obligation pour tout Etat, de ne pas laisser utiliser son territoire auxfins d’actes contraires aux droits d’autres Etats »100. De même, le Tribunal arbitral dansl’affaire du Lac Lanoux admet que l’Etat d’amont n’a pas le droit de nuire à l’Etat d’avalà travers l’altération des eaux d’un fleuve. L’introduction du principe d’utilisation équitableet raisonnable pose toutefois de nouvelles interrogations. Une utilisation équitable etraisonnable d’un cours d’eau international par un Etat du cours d’eau trouve-t-elle sa limitedès lors que cette utilisation a un effet préjudiciable sur les autres Etats du cours d’eau ?

Les Etats en amont auront tendance à justifier leur utilisation en application de l’article5, afin de jouir d’une plus grande marge de manœuvre pour exploiter à différents endroits etdonc utiliser de façon additionnelle le cours d’eau international. A l’inverse, les Etats d’avalauront tendance à privilégier l’article 7, et ce afin de protéger leurs utilisations à traversl’obligation de ne pas causer de dommages. De plus, le risque est qu’au nom de l’utilisationéquitable et raisonnable tout nouvel usage soit condamné par les utilisateurs préexistants.Dans le pire des scénarios, tout Etat qui demanderait un usage qu’il estime raisonnable

98 Information disponible sur le site de la diplomatie française, rubrique consacrée au Forum mondial de l’eau [en ligne],[consulté le 20 juin 2009] : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/article_imprim.php3?id_article=7130699 Joseph W. Dellapenna, correspondance avec Frédéric Lasserre, cite dans Lasserre Frédéric et Boutet Annabelle, le droitinternational règlera-t-il les litiges du partage de l’eau?, op.cit., p.513.

100 C.I.J, Rec. 1949, op.cit., p.22, cité dans Maghfour El Hassane, hydropolitique et droit international au Proche Orient, op.cit.,p.235.

Page 57: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eaudouce

Mondange Adrien - 2009 57

pourrait se voir opposer l’argument, par les autres utilisateurs, de la nécessité de ne pascauser de dommages appréciable, notamment si ce nouvel usage impose une restriction dela consommation chez les Etats voisins. En situation de pénurie d’eau, ou tout simplementdans des périodes de situation politique tendue, les tentatives de négociation risquent de sevoir avortées, et le statu quo maintenu. Le succès de la Convention dans une telle situationserait donc tout relatif…

Les Etats d’aval, ou ceux qui estiment jouir de droits « historiques » insisteront surl’interdiction de causer un dommage. Sur la question du partage des eaux du Nil, l’Ethiopie,pays d’amont, s’était abstenue de valoriser l’article 7 et avait au contraire déploré l’absenced’une reconnaissance explicite de l’article 5 jouant en sa faveur. Dans son intérêt, l’Ethiopiejouera donc sur les articles 5 et 6 et non sur l’article 7. A l’inverse, l’Egypte valorise l’article 7.

Diverses propositions d’amendement eurent lieu pendant les travaux de la C.D.I. Laplus radicale d’entre elles, émanant de la Turquie, proposait la suppression pure et simplede l’article 7. Une autre proposition demandait la subordination du principe de l’utilisationéquitable et raisonnable des articles 5 et 6 à l’interdiction de causer un dommage ; elle afait l’objet de textes présentés par l’Egypte et par l’Italie. A l’inverse, la Turquie, l’Ethiopie, laChine et la Roumanie ont fait une proposition allant exactement en sens inverse puisqu’elleprônait la priorité des articles 5 et 6 sur l’article 7 (Notons toutefois que la Roumanieappartient au camp des Etats d’aval).

En 1991, l’article 7 semblait être le seul principe normatif fondant l’ensemble du texte.Toutefois, la doctrine partageait l’idée que la préséance de l’utilisation équitable devait êtreclairement exprimée. En 1994, la CDI modifie le texte de l’article 7 et ramène l’obligationde ne pas causer de dommages significatifs à une obligation de diligence due. Il s’agit detransformer une obligation de résultat en obligation de comportement, toutefois la hiérarchieentre les deux principes n’est toujours pas claire et c’est ce point sur lequel nous essayonsd’insister. L’état du débat peut d’ailleurs être relevé grâce à l’étude de deux documentspubliés à deux époques différentes, et qui montrent, sinon une évolution du courant doctrinaldans son ensemble, du moins une opposition entre deux auteurs. Reprenant l’étude destravaux de la C.D.I, Jochen Sohnle parle de « banalisation du dommage effectivementcausé : l’absorption de l’interdiction de causer un dommage par la règle de l’utilisationéquitable »101. Ainsi, « il va de soi que […] l’interdiction ne présente aucun caractèreimpératif […]. En effet, la prescription de mesures appropriées ne s’impose en vertu dela Convention qu’en l’absence d’accord concernant l’utilisation. L’existence d’un tel accordpeut, à contrario, légaliser tout dommage significatif »102. Dans un article publié en 1991,Patricia Buirette écrivait quant à elle que « l’obligation de ne pas causer de dommagesappréciables aux autres Etats du cours d’eau complète l’obligation d’utilisation équitable.Le droit d’utiliser un cours d’eau de manière équitable et raisonnable trouve ses limitesdans le devoir qui incombe à cet Etat de ne pas causer de dommages appréciables auxautres Etats. A première vue, l’utilisation n’est pas équitable si elle cause des dommagesappréciables »103.

Parmi les arguments en faveur de la prépondérance de l’interdiction de dommagessignificatifs est invoqué le fait qu’il soit plus simple de déterminer un dommage que l’équitédes utilisations, concept plus flexible et donc moins clair. Cette flexibilité est reprise entant qu’avantage en faveur de la préséance de l’utilisation équitable et raisonnable. Cette

101 Jochen Sonhle, le droit international des ressources en eau douce, op.cit., p.297.102 Op.cit., p.299103 Patricia Buirette, genèse d’un droit fluvial general, op.cit., p.40.

Page 58: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

58 Mondange Adrien - 2009

souplesse est bien entendue interprétée de façon différente selon que les Etats favorisentl’un ou l’autre des deux principes.

Actuellement, et même si le débat continue selon les enjeux présents, il sembleraitque l’utilisation équitable et raisonnable prime sur l’interdiction de causer un dommagesignificatif. L’article 7, paragraphe 2, n’impose pas de limites au droit de chaque Etatd’entreprendre une activité conforme au principe de l’utilisation équitable et raisonnableénoncé aux articles 5 et 6, mais établit un énoncé de mise en application de cetteutilisation. De plus, dans son arrêt de 1997, la Cour a insisté sur le principe de l’utilisationéquitable et raisonnable, ceci ayant depuis fait pencher la balance dans la controverseentre les deux principes en faveur de cet article selon certains. La Cour a en effet affirméque « le rétablissement du régime conjoint reflètera aussi de façon optimale le conceptd’une utilisation conjointe des ressources en eau partagées pour atteindre les différentsobjectifs mentionnés dans le traité et ce, conformément au paragraphe 2 de l’article 5 de laconvention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autresque la navigation »104. Malgré cela, la Cour a aussi montré une attitude très ferme à l’égarddu principe interdisant de causer un dommage significatif à l’environnement (paragraphe53). En fait, il n’y a peut être pas de véritable contradiction entre ces deux principes, maisplutôt contradiction entre les utilisations que cherchent à en faire les Etats.

L’opposition entre utilisation équitable et raisonnable et interdiction de causer undommage significatif n’est peut-être pas résolue. Elle semble pourtant atténuée par l’arrêtde la Cour de 1997. Le caractère équivoque du rapport entre les deux principes risqueraitpourtant de nuire à l’intérêt de la Convention, en favorisant les conflits d’interprétation. Deplus, un paradoxe persiste, qui entache encore le débat. Donner la préséance à l’utilisationéquitable, c’est favoriser le développement, mais donner la préséance à l’interdiction dedommages appréciables pourrait aussi favoriser la protection des écosystèmes. A l’heure oùles préoccupations environnementales grandissent, un tel débat paraît déplacé, et soulignepeut-être une défaillance de la Convention.

Sous section 3 les limites de la responsabilité : les dissensions des Etatsface à l’affirmation de normes fondamentalesIl n’existe pas une variété infinie de possibilités pour traiter un problème donné - enl’occurrence celui de la gestion des ressources en eau douce à l’échelle mondiale. Ilexiste en fait deux réponses possibles à un problème collectif comme celui-ci. Cellessi sont résumées par Eyal Benvenisti de la sorte : « One approach is to design ruleson the reciprocal obligations of the riparians concerned. This approach is reflected incustomary international law and is also espoused by the ILC. But before we elaborate onthis approach, attention should be given to the other possible response. This responsecalls for reducing collective-action problems by eliminating their cause; namely, by providingriparians with individual property rights in parts of an international resource instead oftreating it as a common-pool resource”105. La société internationale a pourtant décidé detraiter ce problème collectivement, du moins s’est elle donnée les moyens de le faire àtravers cette convention cadre notamment. Partant de là, il semblerait logique que les Etatsprennent leurs responsabilités afin de montrer leur attachement à la solution qui a étéchoisie. Toutefois, la convention traduit à certains égards les dissensions des Etats face à

104 C.I.C, arrêt du 25 septembre 1997, Projet Gabcikovo-Nagymaros, Rec. 1997, para.147.105 Eyal Benvenisti, Collective action in the utilization of shared freshwater: the challenges of international water resources law,op.cit., p.395.

Page 59: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eaudouce

Mondange Adrien - 2009 59

l’affirmation de normes internationales. La faiblesse des ratifications ne s’explique pas, nousl’avons dit, par une opposition importante des Etats puisque plus d’une centaine d’entreeux se sont prononcés en faveur de l’adoption de la convention lors du vote à l’AssembléeGénérale le 21 mai. Certains Etats sont déjà engagés dans d’autres accords de coursd’eau et peuvent ne pas avoir intérêt à ratifier le texte. La légitimité de cette solution devraitêtre analysée au cas par cas. Dans bien des cas en effet, les Etats les plus puissantsimposent leur volonté lors de la mise en place de l’accord, et les accords ainsi « négociés »sont loin d’être parfaits si l’on considère par exemple le principe de l’utilisation équitable etraisonnable.

La réticence des Etats à s’engager en matière d’environnementUn élément à prendre en compte dans le potentiel de ratifications est celui de la réticencedes Etats à s’engager dans des accords contraignants en matière d’environnement. Il estdifficile de repérer précisément quel « type » d’Etat se trouve dans cette situation puisquetrès peu d’Etats ont à ce jour ratifié. Cependant il peut sembler évident que les Etatsdits en « développement » sont réticents à s’engager dans des accords contraignants enmatière d’environnement. Certains Etats vont plus loin et contestent la pertinence mêmed’un instrument général en ce domaine. Cela peut nous amener à une réflexion sur ledéveloppement du droit international en général. Dans un domaine qui doit selon l’avis detous faire l’objet d’une régulation importante et efficace, on peut s’interroger devant le refusdes Etats ou leur incapacité à considérer le développement du droit international au-delà deleurs stricts intérêts particuliers. Il ne faut cependant pas stigmatiser trop vite la Convention,dans la mesure où elle permet tout de même de préciser l’état du droit international en lamatière.

Si dans les années soixante à quatre vingt le droit de l’environnement naissant qui sedéveloppait était plutôt classé dans la catégorie « soft law », en revanche à partir des annéesquatre vingt le contenu « soft » affectant le contenu des normes va de plus en plus êtreintégré dans des instruments dits « hard », c'est-à-dire juridiquement liants. La multiplicationdes conventions-cadre comme technique normative n’a pas fait disparaître les instrumentsnon obligatoires (les déclarations, les résolutions etc…). Elle a cependant déplacé l’intérêtvers les instruments conventionnels.

Un régime de responsabilité faibleReste que les régimes de responsabilité internationale sont variables en droit internationalpublic, et si le régime général de la responsabilité internationale est appliqué en matière deressources en eau, quelques nuances ont tout de même été apportées dans la pratique.Nous ne chercherons pas ici à décrire les différents régimes de responsabilité. Il fautsimplement retenir qu’il en existe deux grands types, à savoir la responsabilité pour faitinternationalement illicite, ou responsabilité classique et dont les éléments constitutifs sontle fait illicite, le dommage et le lien de causalité entre les deux. L’autre grand type deresponsabilité est la responsabilité internationale objective. Il s’agit d’un régime sans faitillicite, qui s’applique notamment dans le domaine comportant des risques exceptionnelsainsi que des dommages à l’environnement106.

Reste que les incidences du droit international de l’environnement sur le régime généralde la responsabilité internationale restent limitées. En effet, dans l’affaire Gabcikovo-

106 Pour une description précise des différents régimes de responsabilité, voir J. Sironneau, le droit international de l’eau, état deslieux, op.cit., p.21 ; Jochen Sohnle, droit international des ressources en eau douce, op.cit., p.356-370.

Page 60: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

60 Mondange Adrien - 2009

Nagymaros, la Hongrie avait invoqué en 1997 l’état de nécessité écologique, se basantsur les dangers écologiques de la construction du système sur l’aquifère, sur le lit principaldu fleuve ainsi que sur sa faune et sa flore. La Cour lui donnera tort, considérant que leprojet affecte certes un « intérêt essentiel » de la Hongrie, rappelle l’obligation généralede respecter l’environnement des autres Etats. La Cour considère toutefois que la Hongrien’avançait que des « incertitudes » sur les incidences écologiques du système de barrage.Pour être sanctionné, le péril doit être certain et imminent. Ceci réduit considérablementl’intérêt du droit de l’environnement. En effet, les effets environnementaux conséquentsà la construction d’un tel ouvrage peuvent tarder à apparaître, mais n’en sont pas moinsdésastreux. La notion de dommage écologique ne sera pas discutée plus avant dans cetarrêt, alors qu’il constituait une formidable occasion de revenir sur ce point et de tenter dele préciser. Face à la demande de la Hongrie concernant l’application d’une procédure deresponsabilité classique, et la réparation du dommage sur le fondement de la règle restituoin integrum, la Cour a tranché en faveur de la seule prise en compte de la violation de larègle d’utilisation équitable et raisonnable. Elle n’a pas admis la spécificité du dommageécologique et a montré qu’elle restait attachée à une conception classique du dommage.

De façon plus générale, le manquement par un Etat à ses obligations conventionnellesconstitue un fait illicite engageant sa responsabilité à l’égard des autres Etats parties àla même convention. La responsabilité internationale, qu’elle résulte de la violation d’uneobligation conventionnelle ou coutumière est rarement invoquée dans l’ordre international.« Des raisons diverses expliquent cet état de choses, de caractère à la fois techniqueet politique. Toujours est il que, de longue date, l’institution juridique de la responsabilitéinternationale s’avère être un instrument mal adapté pour sanctionner le non respect parles Etats de leurs obligations internationales en matière d’environnement »107.

Section 2 une convention peu novatrice ?Nous avons déjà souligné certains aspects de la Convention de New York qui méritaientde retenir notre attention, soit qu’ils soient des points essentiels, soit qu’ils soient plutôt despoints critiquables. Il est essentiel de savoir si la Convention a véritablement permis undéveloppement progressif du droit international. La question de la pertinence actuelle de laConvention se pose d’autant plus que, 12 ans après son adoption, celle-ci n’est toujourspas entrée en vigueur. Cependant, l’étude de la Convention montre tout de même que cetinstrument témoigne d’une prise de conscience (sous section 1). Pourtant, on pourrait yvoir une prise de conscience suivie de peu d’effets, dans la mesure où la Convention doitbeaucoup aux règles coutumières (sous section 2), et la considération éco systémique del’eau reste limitée (sous section 3).

Sous section 1 un instrument qui témoigne d’une prise de conscienceDe manière générale, il semblerait que la nécessité d’une meilleure gestion des ressourcesen eau douce au niveau international soit aujourd’hui plutôt d’actualité. Le temps passépar la C.D.I à mettre en place des projets de convention, à les retravailler, à concilier aumaximum les Etats, montre bien l’importance de cet enjeu. Les règles plus anciennes n’étantplus suffisantes, un travail de fond était nécessaire, et cela a été compris par la communautéinternationale. De plus, ce travail de fond était nécessaire afin de permettre une meilleure

107 P. M. Dupuy, l’Etat et la réparation des dommages catastrophiques, cité par P. M., Où en est le droit international del’environnement à la fin du siècle, RGDIP, 1997-4, p.893.

Page 61: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eaudouce

Mondange Adrien - 2009 61

coopération entre les Etats. D’ailleurs, l’obligation de coopérer est l’un des points que nousavons déjà développés et qui a été renforcé par la Convention. Le nombre de ratificationsreste cependant trop faible pour que cette convention cadre entre en vigueur dans le droitinternational public. La Convention était ouverte à la signature jusqu’au 20 mai 2000 auSiège des Nations Unies à New York, et l’adhésion toujours possible après cette date.En avril 2009, 22 Etats l’avaient singée, dont 6 par adhésion. Seulement 16 Etats l’ontratifiée, c’est 4 de plus qu’en 2004 mais ce n’est pas suffisant puisque 35 instruments deratification sont nécessaires d’après l’article 36 de la Convention108 . Cette convention-cadre,avant même son entrée en vigueur, avait déjà fait preuve de son utilité pour encadrer desaccords de partage des eaux transfrontalières, en contribuant notamment à la naissanced’un accord d’application. Le Protocole sur les cours d’eau partagés dans la Communautéde Développement de l’Afrique Australe révisé du 7 août 2000, signé par treize Etats de larégion, ne s’est pas seulement limité à faire référence directement à la Convention de NewYork dans son préambule, mais a également modifié une première version du protocoledatant de 1995 en y transposant en grande partie des solutions adoptées par la Convention.

Mentionnons à titre de comparaison la directive cadre pour une politiquecommunautaire dans le domaine de l’eau, adoptée par l’Union Européenne le 23 octobre2000, et qui s’inscrit également dans les instruments de droit international qui doiventaider à la répartition des ressources en eau douce, au niveau régional dans ce casprécis. Il est demandé aux Etats de mettre en place ensemble des éléments d’une gestionintégrée de bassin afin de réaliser l’objectif fixé - un bon état général de toutes les eaux(intérieures, souterraines ou côtières) d’ici à 2015. Le principe retenu, tel qu’il est indiquépar la Commission européenne en janvier 1997 dans l’exposé des motifs de la propositionde directive cadre, est que : « la politique environnementale dans le domaine de l’eau estaxée sur l’eau telle qu’elle s’écoule naturellement vers la mer par l’intermédiaire des bassinshydrographiques, en tenant compte de l’interaction naturelle entre les eaux de surface et leseaux souterraines. Les aspects tant qualitatifs que quantitatifs sont abordés…La directive…contribue de ce fait également à assurer un approvisionnement en eau dans les quantitéset les qualités nécessaires pour le développement durable »109.Il s’agit d’une directivedont les préoccupations sont d’abord environnementales, mais qui participera au final àune meilleure gestion des ressources en eau et assurera des objectifs de développementdurable. Cette directive montre elle aussi que des modifications comportementales sontenvisagées, celles-ci résultant d’une prise de conscience de la nécessité d’une gestioncommune. Lorsqu’elle est suffisamment affirmée, cette prise de conscience se traduitpar l’adoption d’une législation en ce sens. Cette directive est remarquable car elleintègre la notion de bassin hydrographique international : « les bassins hydrographiquesqui s'étendent sur le territoire de plus d'un État seront intégrés au sein d'un districthydrographique international ». Il s’agit de les recenser et de mettre en place une gestiondes ressources en eau à partir des données recensées à ce niveau.

L’année 1997 s’avère être une année charnière en ce qui concerne le droit internationaldes ressources en eau douce. Elle marque non seulement l’adoption de la Convention deNew York, mais également le rendu du jugement de l’affaire Gabcikovo-Nagymaros, dontnous avons déjà parlé et qui consacre en quelque sorte avant même son entrée en vigueur

108 Signature et ratification : Allemagne, Afrique du Sud, Finlande, Hongrie, Jordanie, Namibie, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Syrie.Signature uniquement : Côte d’Ivoire, Luxembourg, Paraguay, Tunisie, Venezuela, Yemen. Adhésion et ratification après le 20mai 2000 : Irak, Liban, Lybie, Qatar, Suède, Ouzbékistan.

109 Cité par Bernard Kaczmarel, délégué des agences de l’eau auprès de l’Union Européenne, article intitulé politiquescommunautaires de gestion par bassin.

Page 62: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

62 Mondange Adrien - 2009

le texte de la Convention de New York. Dans un discours prononcé devant l’AssembléeGénérale des Nations Unie en octobre 1997 à l’occasion de la remise du rapport de la CourInternationale de Justice, Monsieur Schwebel, alors Président de la Cour Internationale deJustice, souligne l’importance du jugement de l’affaire Gabcikovo Nagymaros. Il affirme ainsique :

« The Gabcikovo Judgement is notable, moreover, because of the breadth and depthof the importance given in it to the work product of the International Law Commission. TheCourt’s Judgement not only draws on treaties concluded pursuant to the Commission’sproceedings-those on the law of treaties, of State succession in respect of treaties, and thelaw of international watercourses; it also gives great weight to some of the Commission’sdraft articles on state responsibility, ad did both Hungary and Slovakia in their pleadings”110.

Quoi qu’il en soit, et même s’il s’avère que l’adoption de la Convention démontreune prise de conscience de la part des Etats, la mise en pratique des termes dutraité international par les Etats signataires et non signataires impliquera de profondesmodifications dans les attitudes des pays à l’égard de la ressource en eau.

Sous section 2 une simple reprise des règles coutumières ?En matière de droit international de l’eau, il faut bien noter qu’il ne s’agit pas seulement deconflits sur la propriété de l’eau mais également de questions de souveraineté, d’où unenécessaire adaptation des jurisprudences internes.

Il est souvent reproché à la Convention de ne s’être préoccupée que de règlescoutumières, apportant ainsi un faible développement progressif au droit déjà en vigueur.En la matière, la jurisprudence internationale est relativement peu abondante, et on recensemoins d’une trentaine d’affaires depuis le début du XIXe siècle. C’est donc surtout dans lapratique « diplomatique » des Etats que l’essentiel des références à un droit internationalde l’eau est puisé. Toutefois, les instances internationales sont généralement le lieud’expérimentations de concepts, tels que l’obligation de coopérer ou d’informer, le conceptde ressource naturelle partagée, dont la véritable valeur positive doit toutefois être analysée.D’autre part, il ne faut pas oublier de prendre garde au décalage fréquent entre ce que lesEtats affirment et ce qu’ils font vraiment.

L’évolution coutumière des règles applicables est relativement récente dans la mesureoù les usages ne se sont multipliés que vers la fin du XIXe siècle. Toutefois, la consolidationdes règles coutumières en droit fluvial reste délicate. Les Etats cherchent à se protégerrapidement contre les risques par voie conventionnelle, les accords en résultant n’étantpas forcément le résultat de règles coutumières. De plus, ces accords sont souventassez spécifiques et n’autorisent pas forcément la généralisation. Le multilatéralisme restegénéralement confiné au groupe des Etats riverains d’un même fleuve.

Il n’existe pas de principe général de limitation des souverainetés étatiques sur lesfleuves internationaux, et les règles que l’on peut identifier sont donc des règles peu précisesdans la mesure où leur objet reste très général. Une règle transversale peut néanmoinsêtre dégagée selon Hélène Ruiz Fabri : il s’agit de la sécurité de l’eau111. Celle-ci se

110 Speech by Judge Stephen M. Schwebel on the Report of the International Court of Justice, Stephen M. Schwebel, theAmerican Journal of International Law, Vol. 92, No.3 (Jul., 1998), pp. 612-617, published by the American Society of InternationalLaw, p.613.

111 Hélène Ruiz Fabri, règles coutumières générales et droit international fluvial, AFDI XXXVI, 1990, éditions du CNRS, Paris,p.831.

Page 63: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eaudouce

Mondange Adrien - 2009 63

traduit essentiellement par l’interdiction d’empoisonner l’eau. C’est une règle reconnue quiappartient à la tradition culturelle de tous les continents. De plus, Hélène Ruiz Fabri ajouteque d’autres règles sont invoquées au titre de la coutume, parmi lesquelles la liberté denavigation, l’utilisation équitable du fleuve, l’obligation de négocier, l’interdiction d’utilisationdommageable ; et parfois l’obligation de coopérer.

Selon les auteurs, la liste des principes de la Convention relevant de la coutume et desprincipes généraux varie un peu, mais se recoupe largement. Les deux notions sont parfoisentremêlées. Ainsi, s’agissant de la règle de l’utilisation équitable, certains l’identifient àla coutume et d’autres la considèrent comme une règle générale de droit. Le processuscoutumier dans le domaine des cours d’eau internationaux a permis la cristallisation d’uncertain nombre de règles coutumières qui constituent un ensemble cohérent, et qui ont étéreprises pour la plupart dans la Convention, au titre de l’utilisation équitable et raisonnable,de l’interdiction de causer un dommage significatif, et l’obligation de coopérer afin que soitmenée une action conjointe des Etats.

Préciser le caractère coutumier des principes inscrits dans la Convention n’est passeulement une préoccupation théorique. En effet, cet aspect est essentiel dans la mesureoù la nature coutumière d’une règle demeure, qu’elle soit ou non inscrite dans un cadreconventionnel.

Sous section 3 les limites de la considération éco systémique de l’eauLes débats ayant conduit à l’élaboration de la Convention montrent que certains aspects,pourtant des plus essentiels, ont été laissés de côté, ou plutôt pourrions nous dire écartés.La tâche était toutefois très difficile dans la mesure où la souveraineté reste au cœur dela préoccupation des Etats en ce qui concerne les ressources en eau. En raison de sespropriétés particulières, l’eau devrait faire l’objet d’une règlementation toute particulière.Du fait de l’importance de cette ressource, les Etats devraient de plus veiller à un partagesatisfaisant le plus d’Etats possible.

La notion de « bassin hydrographique international »La C.D.I a demandé aux Etats si la notion de « bassin hydrographique international » étaitplus appropriée pour l’étude des aspects juridiques tant de l’utilisation que de la pollution desvoies d’eau internationales. Cette notion géographique du cours d’eau international donneà celui-ci une dimension territoriale différente. Il n’est plus considéré comme un simpleconduit par lequel l’eau est acheminée à travers le territoire de deux ou plusieurs Etats.De plus, il est constitué d’autres éléments tels que les affluents, les lacs, les glaciers, leseaux souterraines qui forment un ensemble unitaire du fait de la relation physique qui existeentre eux. Si les rapporteurs étaient pour la plupart favorables à cette notion moderne, enrevanche les oppositions des Etats se sont très rapidement manifestées. Les rapporteursavaient cherché à accorder une attention toute particulière à cette notion, pourtant miseen avant dans le cadre des règles d’Helsinki. De nombreux Etats se sont montrés hostilesà l’utilisation de cette notion, considérant qu’il s’agissait de formuler des règles pour lesutilisations des voies d’eau et non de traiter du bassin fluvial. Dans le cas où lesdits bassinsfluviaux auraient porté sur des portions de territoire très étendues, la C.D.I ne pouvait pasformuler des règles pour des étendues aussi vastes, ce qui aurait effectivement limité lasouveraineté des Etats sur leur propre territoire. Cette notion devait en fait être utiliséeuniquement pour des études techniques et non pour une étude des aspects juridiques desutilisations des voies d’eau. Si l’expression de « bassin versant » n’a pas été retenue, elle est

Page 64: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

64 Mondange Adrien - 2009

toutefois présente dans la Convention, dont l’article 2. a précise que « l’expression « coursd’eau » s’entend d’un système d’eaux de surface et d’eaux souterraines constituant, du faitde leurs relations physiques, un ensemble unitaire et aboutissant normalement à un pointd’arrivée commun ». Il reste à voir de quelle manière cette définition sera appliquée. Cettenotion reste assez souple et pourrait autoriser la conception d’accords originaux qui s’enéloigneraient quelque peu. Des projets de gestion globale de l’eau au niveau d’un ensemblede bassins indépendants sont déjà apparus. Ainsi, la Turquie a-t-elle proposé de régler sondifférent avec la Syrie en introduisant des mécanismes de gestion regroupant l’Euphrate etl’Oronte. Les Etats Unis ont pour leur part développé une approche officieuse de gestiondes volumes d’eau combinés du Rio Grande et du Colorado. La considération du cyclehydrologique dans toute sa complexité aurait commandé une prise en compte plus globaledes ressources en eau douce.

Il semblerait que les considérations des Etats aient été plutôt d’ordre extra-juridique.Dès 1979, le Rapporteur spécial Stephen Schwebel avait exposé les enjeux :

« Un Etat qui considère que les principaux usages qu’il fait des eaux d’un bassin sontassociés à sa situation en amont aura tendance, s’il est disposé à accepter un quelconquetraité sur les utilisations de l’eau douce, à préférer que celui-ci soit limité dans sa portée etdans ses effets. En revanche, un Etat qui considère que les principaux usages qu’il fait del’eau sont associés à une position en aval, sera enclin à préférer un traité de portée plusétendue, qui le protège contre les abus de ses voisins situés en amont »112.

Il résulte de ce débat une considération « parcellisée » de l’eau dans le droitinternational. La C.D.I avait accepté une hypothèse provisoire de travail, à savoir le« système de cours d’eau international » ou « cours d’eau international ». Elle ne donne pasune définition du cours d’eau international ou du système de cours d’eau international quiserait définitive, mais fournit dans une note des indications sur le contenu de l’expressionsystème de cours d’eau international, dans laquelle elle constate que les éléments d’unsystème de cours d’eau tels que les fleuves, les rivières, les lacs ou encore les eauxsouterraines constituent du fait de leur relation physique un ensemble unitaire. Le terme desystème était jugé préférable aux mots bassins, ou bassin de drainage dans la mesure oùil mettait l’accent sur les eaux elles mêmes et non sur l’aspect territorial comme les autresnotions. Aucun consensus n’ayant pu être trouvé à propos de la définition du cours d’eauinternational ou du système de cours d’eau international, il a été proposé en 1986 de ne pasdéfinir ces expressions afin que la C.D.I puisse continuer ses travaux.

En matière de pollution cependant, le bassin doit être protégé dans sa totalité. L’article20 déclare que « les Etats du cours d’eau, séparément et, s’il y a lieu, conjointement,protègent et préservent les écosystèmes des cours d’eau internationaux ». Toute tentativede règlementer le régime juridique des eaux devrait donc respecter l’unité hydrologique dubassin, et c’est l’une des raisons expliquant la mise en place de commissions de bassins.Toutefois, la question de savoir si ces commissions doivent avoir une compétence limitéeà la pollution où si elles doivent être investies de la responsabilité de la gestion intégréedes ressources en eau du bassin reste ouverte. Notre avis est qu’une telle responsabilité,si elle était effectivement acceptée par les Etats, permettrait certainement une meilleuregestion des ressources en eau douce et la protection des écosystèmes. Si la Conventioncherche sur ce point à avoir un effet préventif, toutefois aucune obligation juridictionnelleconcernant le bassin hydrographique ne peut être relevée. A l’heure actuelle, et comme

112 Stephen M. Schwebel (1979), premier rapport sur le droit relatif aux utilisations des voies d’eau internationales à des finsautres que la navigation, doc. A/CN.4/SER.A/1979/Add.1 (Part 1), p.162 Doc.A/CN.4/320, par.45, cité par Christelle Dressayre, lamise en place du droit international de l’eau : mythe ou réalité ?, op.cit., p.258.

Page 65: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eaudouce

Mondange Adrien - 2009 65

le fait remarquer Christelle Dressayre, « l’abandon du concept de bassin hydrographiquehypothèque lourdement le futur et porte à penser que le droit international de l’eau resteraau niveau du mythe »113.

Chapitre 2 des vides juridiques criantsLa Convention de New York de 1997, imparfaite sur certains points, ne satisfait quepartiellement d’un point de vue juridique la gestion des ressources en eau douce. Des videsjuridiques subsistent en droit international en ce qui concerne la répartition des ressourcesen eau douce, parmi lesquels un système de règlement des différends contraignant (section1), la prise en compte de l’environnement (section 2) ainsi que le droit à l’eau (section 3).

Section 1 l’absence d’un système de règlement contraignantLa notion de différend en droit international est un sujet aussi ancien que les relationsinternationales elles mêmes. A l’intérieur de ce domaine, les problèmes relatifs à l’utilisationdes cours d’eau internationaux constituent eux-mêmes une part importante du contentieuxgénéral. Dans son article 33 alinéa 1, la Convention du 21 mai 1997 pose le principe durèglement pacifique des différends :

« En cas de différend entre deux ou plusieurs Parties concernant l’interprétation oul’application de la présente Convention, les Parties intéressées, en l’absence d’un accordapplicable entre elles, s’efforcent de résoudre le différend par des moyens pacifiques (…) ».

L’objet de cette section, après avoir rappelé la définition de la notion de différend endroit international (sous-section 1), est d’étudier les modalités de règlement des différendsrelatifs à l’utilisation des cours d’eau internationaux notamment (sous-section 2).

Sous section 1 la notion de différend en droit internationalUne définition de différend unanimement acceptée est celle donnée très tôt par la Cour dela Haye, et répétée à plusieurs reprises :

« Un différend est un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, uneopposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre deux personnes »114.

Remarquons la variété des parties qui peuvent être en présence dans le cas d’undifférend relatif à l’utilisation des cours d’eau internationaux. La mise en valeur d’un systèmeen eaux internationales peut faire apparaître des difficultés entre les Etats intéressés. Lesproblèmes peuvent provenir des Etats parties qui estiment que la coopération engagéecréé des disparités de développement à leur désavantage. Les problèmes peuvent aussisurvenir des Etats qui ont refusé de s’engager, pour des raisons qui leur sont propres,dans la coopération internationale. Nous avons déjà mentionné également les problèmesd’interprétation entre Etats d’amont et Etats d’aval.

113 Christelle Dressayre, la mise en place du droit international de l’eau : mythe ou réalité ?, op.cit., p.260.114 Affaire des concessions Mavrommatis en Palestine, Arrêt 30 août 1924, Série A, n°2, Publications de la Cour Permanente

de Justice Internationale, p.11.

Page 66: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

66 Mondange Adrien - 2009

Des problèmes peuvent également surgir entre un Etat et les institutions mises en placeà l’occasion de la coopération. Celles-ci, tout en exerçant les compétences autonomes dontelles ont hérité des Etats, peuvent entrer en concurrence avec les compétences exercéesjusque là par les administrations étatiques à travers leurs divers ministères.

Les institutions internationales peuvent encore rentrer en conflit avec un Etat extérieurau système, dans la mesure où elles disposent de compétences étendues dans desdomaines comme les relations commerciales, les relations règlementaires, ou encore lesrelations juridiques.

Il n’est pas exclu enfin qu’une institution internationale de gestion des eauxentre en conflit avec une autre organisation internationale. Il existe en effet différentstypes d’institutions, à savoir les organes internationaux classiques (onusiens ourégionaux), les structures internationales d’administration d’autres secteurs que celuides eaux internationales, les sociétés internationales telles que les entreprisesintergouvernementales régionales. Ces différentes institutions peuvent être amenées àentrer en désaccord sur les moyens et les objectifs de leurs missions respectives.

Le principe du règlement pacifique des différends est affirmé par la Convention du 21mai 1997 à l’article 33 alinéa 1. A l’époque contemporaine, l’obligation de résoudre toutconflit par des moyens pacifiques s’impose comme une norme impérative de valeur absolue,affirmée par les articles 2 alinéa 3 et 33 de la Charte des Nations Unies. L’article 2 alinéa 3 dela Charte affirme que « les membres de l’Organisation règlent leurs différends internationauxpar des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationale ainsique la justice ne soient mises en danger ». Quant à l’article 33, il est ainsi rédigé :

« 1. Les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer lemaintien de la paix et de la sécurité internationales doivent en rechercher la solution,avant tout, par voie de négociation, d’enquête, de médiation, de conciliation, d’arbitrage,de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d’autresmoyens pacifiques de leur choix.

2. Le Conseil de sécurité, s’il le juge nécessaire, invite les parties à régler leur différendpar de tels moyens ».

Le règlement « privé » des différends en droit international de l’eau est considérépar certains comme le moyen le plus à même de parvenir à une solution acceptablepour les parties au litige. En effet, ce type de résolution, seulement entre les partiesconcernées, évite de politiser à outrance le conflit. En résolvant le conflit directemententre les plus affectés, cela peut éviter les Etats eux-mêmes d’entrer en conflit et dedémarrer de complexes procédures diplomatiques. Par conséquent, l’intérêt de permettreaux protagonistes d’accéder aux procédures administratives et judiciaires a été reconnu parles Etats à plusieurs reprises.

Sous section 2 la mise en place effective du règlement pacifique desdifférends« In its consideration of the subject of private recourse, the International Law Commissiondecided not to include a full set of provisions on the subject, as had been proposed, but tocontent itself with a single draft article”115.

115 Stephen McCaffrey, the Law of International Watercourses, op.cit., p.509.

Page 67: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eaudouce

Mondange Adrien - 2009 67

Le principe général de règlement pacifique des différends est admis par tous. LaConvention du 21 mai 1997 se base sur le principe de non-discrimination, évoqué à l’article32 :

« A moins que les Etats du cours d’eau intéressés n’en conviennent autrement pourprotéger les intérêts des personnes, physiques ou morales, qui ont subi un dommagetransfrontière significatif résultant d’activités liées à un cours d’eau international ou qui setrouvent sérieusement menacées d’un tel dommage, un Etat du cours d’eau ne fait pasde discrimination fondée sur la nationalité, le lieu de résidence ou le lieu où le préjudice aété subi dans l’octroi auxdites personnes, conformément à son droit interne, de l’accès auxprocédures juridictionnelles et autres ou bien d’un droit à indemnisation ou autre forme deréparation au titre d’un dommage significatif causé par de telles activités menées sur sonterritoire ».

Toutefois la Convention du 21 mai 1997 laisse aux Etats la possibilité de choisir le modede règlement pacifique qui serait le mieux à même et se contente de rappeler dans un article33 les dispositions envisageables. Ces procédures sont variables et la plupart ressemblentaux procédures classiques de résolution des différends en droit international. Pour cetteraison nous ne jugeons pas utile de les décrire précisément. Elles vont de la prévention àl’arbitrage et à la Cour Internationale de Justice, en passant par la conciliation, la médiation,l’enquête etc…

Une procédure d’enquête impartialeLe seul mécanisme obligatoire, c'est-à-dire accessible à la demande d’une des parties aulitige, et prévu dans le projet de la C.D.I, consiste en une procédure d’enquête impartiale

(art 33 paragraphe 3 de la Convention). Les débats à la 6e Commission ont vu s’affronterles Etats qui auraient souhaité des mécanismes juridictionnels obligatoires plus rigoureux(notamment la Suisse et la Syrie), et ceux qui trouvaient que l’obligation d’enquête factuelleétait déjà de trop, arguant de leur souveraineté. La seule modification qui mérite d’êtreretenue est celle qui a donné un rôle un peu plus important à la commission d’établissementdes faits, celle-ci pouvant énoncer « ses conclusions motivées et les recommandationsqu’elle juge appropriées en vue d’un règlement équitable du différend, que les Partiesintéressées examinent de bonne foi » (art 33 paragraphe 8). Selon Sylvie Paquerot,« devant l’échec d’une négociation entre les parties, l’absence de mécanisme obligatoirede règlement rend presque caduc l’ensemble de la Convention »116. Il s’agit là d’une critiquegrave lancée à la Convention du 21 mai 1997. Celle-ci est peut être justifiée dans lamesure où le règlement des différends constitue une nécessité en matière de partagedes ressources en eau douce, et dans la mesure où il s’agit tout de même de l’un desobjectifs de cette Convention. L’appel à la négociation lancé par l’article 33 prend uncaractère coutumier, la coutume en question étant inscrite dans la Charte des Nations Unies.Toutefois, un paradoxe subsiste : en l’absence d’obligation de parvenir à un accord et enl’absence de mécanisme juridictionnel obligatoire dans le cas d’échec de la négociation,comment peut-on prétendre à l’équité ou à un règlement conforme aux principes de lajustice ? En s’attachant à la formule finalement adoptée, on s’aperçoit que la résolutiondes différends va s’opérer selon le schéma classique du droit international. En effet, siles négociations n’aboutissent pas, deux possibilités seront offertes aux Etats du litige :le règlement diplomatique et le règlement juridictionnel. De plus, l’absence de mécanismejuridictionnel obligatoire est d’autant moins acceptable que le principe censé permettre

116 Sylvie Paquerot, eau douce, la nécessaire refondation du droit international, op.cit., p.67.

Page 68: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

68 Mondange Adrien - 2009

une meilleure gestion des ressources en eau douce, le principe d’utilisation équitable etraisonnable, est un principe flexible. Par là même, la définition même du conflit peut fairel’objet de luttes juridiques.

La souveraineté reste, nous l’avons souligné à plusieurs reprises, au cœur de lapréoccupation des Etats en ce qui concerne les ressources en eau. Malgré la mise enplace d’un principe de « souveraineté limité », certains continuent de considérer que lasouveraineté sur les ressources naturelles demeure le seul principe juridique pertinent en lamatière. Même si d’autres semblent avoir conscience de la nécessité d’étudier et de mettreen œuvre collectivement des solutions appropriées, la coopération reste subordonnée auxrelations politiques qu’ils entretiennent entre eux. Les Etats riverains peuvent toutefoischercher à coordonner l’utilisation de leur ressource partagée en mettant en place desinstitutions à travers lesquelles leurs droits et obligations pourraient être renforcés etclarifiés. De tels mécanismes ont été particulièrement théorisés par le courant des relationsinternationales appelé « institutionnalisme néo-libéral » (« Neo-Liberal Institutionalism »),qui insiste sur le bénéfice commun pouvant résulter d’une coopération institutionnelledans les domaines du commerce, de la finance internationale, de la sécurité et del’environnement. Les Etats mettent en place de telles institutions parce qu’ils réalisentqu’une coordination formalisée leur sera plus bénéfique qu’une action unilatérale.

Des avancées significativesCertains accords régionaux font toutefois preuve d’avancées significatives. En effet, lespays du Sud, confrontés à des besoins en eau sans cesse croissants, ont privilégiéune gestion intégrée des ressources en eau douce. A l’inverse, le Nord industriel auraitdavantage insisté sur les aspects juridiques, notamment sur les questions de pollution.Dans les deux cas cependant, c’est bien l’unité de la ressource dans le cadre du bassinhydrographique qui est mise en avant, unité qui n’a pas réussi à s’imposer sur un plangénéral dans la Convention de 1997. Ce sont surtout les traités africains qui s’appuierontsur les rapporteurs successifs de la C.D.I pour tenter de donner au droit international desressources en eau douce une dimension correspondant à l’unité naturelle de la ressourceconsidérée. Les accords africains seront les premiers à reconnaître, et ce dès les années1960, l’interdépendance des bassins hydrographiques et à fonder des normes sur ceconstat. Les exemples les plus souvent cités sont ceux du bassin du Niger, du Sénégal etdu Tchad. Les traités en question cherchent à intégrer les évolutions des principes du droitinternational. La plupart des accords exigent que les Etats agissent en commun. Les accordssont multifonctionnels, le bassin de drainage est considéré comme une unité géographiquede base, et il existe une tendance vers le partage des responsabilités financières et lestraités exigent des initiatives conjointes de recherche. Toutefois, et cela en dépit de l’accentmis sur la coopération entre les Etats riverains principalement, sur la gestion intégrée et lareconnaissance d’intérêts communs, on note une préférence marquée pour le règlementnon juridictionnel des différends. La Commission du bassin du lac Tchad peut agir commeun organe de règlement des différends, mais une telle possibilité crée un flou, une absencede précision juridique.

Devant cette absence de mécanisme juridictionnel contraignant capable de régler undifférend, certains auteurs n’hésitent pas à évoquer un hypothétique tribunal internationaldu droit de l’eau.

Sous section 3 un tribunal international du droit de l’eau ?

Page 69: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eaudouce

Mondange Adrien - 2009 69

La Convention du 21 mai 1997 ne mettant pas en place de système de règlement desdifférends susceptible d’être déclenché unilatéralement, certains juristes ont réfléchi sur lamise en place d’un tribunal international du droit de l’eau, à l’instar du Tribunal du droit de lamer mis en place par la convention de Montego Bay de 1982. Notons que les Etats ont rejetéla possibilité d’un recours contraignant à des moyens juridictionnels en matière de coursd’eau internationaux alors qu’ils les avaient acceptés dans le contexte de la Convention de1982 sur le droit de la mer.

La création d’un tel Tribunal permettrait de couvrir l’ensemble des problèmes relatifs à lagestion des ressources en eau douce, et ce grâce à la mise en place de plusieurs chambresayant chacune leur champs de compétence. L’accès à ce Tribunal pourrait être ouvert àdes acteurs étatiques et non étatiques, à la différence de la C.I.J, dont la compétence estgénérale mais qui ne peut être saisie que par des Etats. A l’heure actuelle, les Etats nesont pourtant plus les seuls acteurs dans le domaine de la protection et de l’utilisation desressources en eau douce.

Dès 1981, des ONG hollandaises fondent le Tribunal international de l’eau qui tiendraen 1983 à Rotterdam une première session portant sur la pollution des eaux en Europe del’Ouest. En 1992, le Tribunal ouvrira sa seconde session, portant sur les problèmes de l’eauen Asie, en Afrique et en Amérique latine, et intègre dans son travail la dimension du droitdes populations à ces ressources. Le Tribunal applique des règles applicables à l’ensembledes ressources en eau et non seulement aux ressources transfrontalières. Malgré son nom,ce tribunal n’en est bien évidemment pas un et les décisions du jury sont des jugementséthiques sans portée juridique formelle, bien que fondés sur une procédure rigoureuse.

Une semaine avant l’ouverture du Forum mondial de l’eau, s’est ouvert un « tribunal »international composé de défenseurs de l’environnement. Celui-ci a entamé le procèssymbolique de plusieurs responsables turcs et étrangers pour divers projets accusés demettre en danger les écosystèmes de leurs pays. L’idée était bien entendu d’attirer l’attentionsur les problèmes de gestion des ressources en eau douce.

Section 2 des préoccupations environnementales qui semblentlointaines

La question de la protection de l’environnement est bien entendu indissociable de laquestion de la répartition des ressources en eau douce. La conférence des Nations Uniestenue à Rio sur l’environnement et le développement en juin 1992 reste un incontournabledans le domaine. Toutefois, du retard a déjà été pris dans la réalisation des objectifs alorsfixés par tous les Etats dans l’Agenda 21. En 1997, le 4 septembre précisément, l’Institutde Droit International a adopté lors de sa session à Strasbourg trois résolutions relativesà l’environnement. Celles-ci reflètent les acquis contemporains mais aussi certainestendances marquant l’évolution actuelle de cette branche du droit international. Le 25du même mois, la Cour internationale de justice rendait le premier arrêt de toute sajurisprudence abordant directement la question de la protection de l’environnement (arrêtGabcikovo-Nagymaros).

Sous section 1 des règles peu contraignantesStephan McCaffrey a abordé la question de la pollution et de l’environnement devant la C.D.Ien 1988. Il cherchait à prolonger les travaux de Evensen et Schwebel qui avaient analyséune importante documentation et rédigé des projets d’articles. Schwebel avait notamment

Page 70: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

70 Mondange Adrien - 2009

cherché à distinguer la pollution et les problèmes plus larges de l’environnement. Le constatfait à l’époque montrait que le droit restait en deçà de nombreuses attentes. Lorsque lerapporteur spécial a soulevé la question de protection de l’environnement, il n’eut pasde problème à convaincre la C.D.I de l’importance et de l’actualité du problème. C’estcependant sur l’opportunité d’y consacrer une partie distincte du projet d’articles qu’unediscussion a porté. Certains membres ont en effet soutenu qu’il était préférable de traiterles obligations concernant la protection de l’environnement et la lutte contre la pollutiondans le cadre des autres obligations des Etats énoncées par le projet. Une majorité s’esttoutefois prononcée contre ce point de vue. Bien entendu, la C.D.I ne devait pas poser derègles trop contraignantes ni trop détaillées, ne serait ce qu’en raison du caractère d’accord-cadre du projet d’articles. Au terme de l’article 20 du projet de la CDI, « les Etats du coursd’eau, séparément ou conjointement, protègent et préservent les écosystèmes des coursd’eau internationaux ». Trois commentaires pouvaient être faits de ce texte117. Tout d’abord,l’obligation qui allait être mise à la charge des Etats des cours d’eau ne visait pas que cesderniers, mais également l’écosystème ou les écosystèmes des cours d’eau concernés.Ensuite, l’obligation se rapportait à la protection autant qu’à la préservation, ce dernierterme se rapportant à la protection d’un cours d’eau qui n’a pas encore subi d’atteinte.L’obligation ainsi décrite pouvait être remplie « séparément ou conjointement ». Malgréplusieurs propositions faites afin de fortifier ces obligations de protection de l’environnement,l’article 20 n’a pas été modifié de façon substantielle. Seul le début a été remplacé parl’expression « les Etats du cours d’eau, séparément et, s’il y a lieu, conjointement »,au lieu de la formule « séparément ou conjointement ». Cet article, intitulé « protectionet préservation des écosystèmes », pourrait cependant avoir une force de frappe assezimportante s’il était plus précis dans ses obligations. De la même façon, le seul changementsignificatif de l’article 21, consacré à la prévention, à la réduction et à la maîtrise de lapollution, a été l’ajout d’un paragraphe 3 qui décrit des méthodes supplémentaires decontrôle de la pollution, méthodes qui doivent être arrêtées par les Etats « à la demandede l’un quelconque d’entre eux». L’article 23 concernant la protection et la préservation dumilieu marin avait été amélioré par le groupe de travail, qui avait ouvert la possibilité decoopération avec des Etats autres que les Etats du cours d’eau.

En fait, le devoir général reste celui formulé à l’article 20, et tous les articles déclinantcelui-ci peuvent être lus comme une conséquence de l’interdiction de ne pas causer dedommage significatif, principe que nous avons déjà évoqué plus haut. Plusieurs délégationsavaient estimé lors des travaux que le projet d’article ne reconnaissait pas l’importancedes préoccupations environnementales dans la protection des cours d’eau internationaux.L’article a également été critiqué pour le faible poids qu’il donnait à la protection desécosystèmes, pour le fait qu’il ne mentionne pas directement le principe de précaution.

A l’occasion de l’arrêt du 25 septembre 1997, la Cour Internationale de justice a faitmention de la codification du principe de l’utilisation équitable et raisonnable et des critèresde sa mise en œuvre dans la nouvelle convention sur les fleuves pour constater l’illégalité dudétournement du Danube par la Tchéchoslovaquie. Celle-ci, « en prenant unilatéralementle contrôle d’une ressource partagée et en privant ainsi la Hongrie de son droit à unepart équitable et raisonnable des ressources naturelles du Danube [...] n’a pas respectéla proportionnalité exigée par le droit international »118. Toutefois, le droit international nefait pas mention d’un principe de responsabilité internationale objective ou « sans faute ».Certaines règles, reprises à la fois dans la Convention du 21 mai 1997 et dans l’arrêt du

117 L. Caflisch, la convention du 21 mai 1997, op.cit., p.786.118 Arrêt du 25 septembre 1997, affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros, CIJ, art 86.

Page 71: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eaudouce

Mondange Adrien - 2009 71

25 septembre 1997, semblent être des règles coutumières. C’est en particulier le cas decelle consistant à étudier et prévoir l’impact sur l’environnement d’une activité projetée,que l’on peut relier notamment de façon très directe au principe de non-discrimination et àcelui d’utilisation équitable d’une ressource partagée. Il n’existe pourtant pas de procédured’étude d’impact homologuée au niveau international, et dont les Etats seraient étroitementtributaires pour la conduite de leurs politiques respectives de prévention des pollutionsinternationales. Selon Pierre-Marie Dupuy toutefois, « les travaux de la Commission dudroit international relatifs au droit des utilisations des voies d’eau à des fins autres que lanavigation, aujourd’hui consacrés par l’adoption d’une convention de codification en coursde ratification, ont manifestement contribué à asseoir l’autorité des règles précitées. Laconvention en reprend l’essentiel, même s’il n’est pas toujours aisé de distinguer la part, enl’occurrence assez réduite, du « développement progressif » par rapport à celle du constatde la coutume existante »119.

Notons enfin que les incidences du droit de l’environnement sur le régime généralde responsabilité internationale restent limitées. Pour justifier l’abandon des travaux en1989, la Hongrie avait invoqué un « état de nécessité écologique », se fondant sur lesdangers écologiques du système de construction sur un aquifère qui aurait été pollué.En dénonçant le traité sur cette base, la Hongrie a perdu sur le fond. L’article 101 del’arrêt indique que l’état de nécessité ne peut pas justifier la suspension des travaux en1989. En repassant les conditions de cette clause d’exclusion d’illicéité, la Cour conclutque le projet affecte certes un « intérêt essentiel » de l’Etat, en rappelant l’obligationgénérale de respecter l’environnement des autres Etats. Mais elle considère également quela Hongrie n’alléguait que des « incertitudes » sur les incidences écologiques du système dubarrage. Notons que le risque était relativement important d’après les spécialistes puisquela concrétisation du projet aurait certainement à terme eu des effets sur l’approvisionnementen eau potable de Budapest. La Cour coupe finalement court à toute discussion ultérieuresur le dommage écologique dont les particularités ne seront pas consacrées dans cet arrêt.Un tel constat, décevant pour le droit de l’environnement dans son application concrète,constitue également une atteinte au principe de précaution inhérent à cette branchejuridique. Finalement, la Cour invite la Hongrie à appliquer les règles traditionnelles de laresponsabilité entre Etats.

La plupart des règles ici étudiées relatives au droit international de l’environnementrestent finalement assez lâches, et la jurisprudence n’a pas su affirmer avec forceles régimes de responsabilité qui pouvaient s’appliquer en cas de dommage causé àl’environnement. La préservation des écosystèmes est bien évoquée dans l’article 20 de laConvention, toutefois l’article reste assez général et n’entraîne par conséquent que peu deconséquences juridiques définies. En matière de développement progressif, le texte de laConvention reste décevant. On peut également s’interroger sur l’apport de la Conventionen matière de développement durable. Cette Convention n’a pas été écrite à des finsécologiques, toutefois la préoccupation environnementale a marqué le travail de la CDI.

Sous section 2 notes sur le développement durableNous l’avons dit, la doctrine Harmon n’est aujourd’hui plus directement invoquée. Elle aété supplantée par un autre principe, plus légitime en apparence, à savoir le principede la souveraineté permanente sur les ressources naturelles, ou le droit illimité audéveloppement. La souveraineté permanente sur les ressources naturelles constitue l’un

119 Pierre- Marie Dupuy, où en est le droit international de l’environnement à la fin du siècle ? , RGDIP, 1997-4, p.885.

Page 72: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

72 Mondange Adrien - 2009

des aspects majeurs du droit du développement. La disposition classique venant soutenirce principe reste l’article 2 de la Charte des droits et devoirs économiques des Etats de1974, qui affirme que « chaque Etat détient et exerce librement une souveraineté entièreet permanente sur toutes ses richesses, ressources naturelles et activités économiques,y compris la possession et le droit de les utiliser et d’en disposer ». Quant au droit audéveloppement, le texte de Mar del Plata eu égard au droit d’accès à l’eau permet demieux saisir cette notion du point de vue de l’Assemblée générale. Ainsi, il est posé commeprincipe que « tous les peuples, quels que soient leur stade de développement et leursituation économique et sociale, ont le droit de disposer d’eau potable en quantité et d’unequalité suffisantes pour répondre à leurs besoins essentiels […] il est universellementreconnu que la possibilité de disposer de cet élément est essentielle à la vie humaine etau développement complet de l’être humain, en tant qu’individu et en tant que membrede la société »120. Un droit comme celui-ci est revendiqué par les Etats pour augmenterleur croissance économique. En droit des cours d’eau internationaux, ce droit a pris uneconception particulière. En effet les partisans du droit au développement « se réclament d’unrègle interdisant le dommage résultant du fait d’empêcher un Etat en amont de développerson économie ; la règle interdisant de causer un dommage au territoire de l’Etat en avalse trouve ainsi inversée »121. Alors que le droit au développement ignorant l’environnementétait perçu comme légitime dans le passé, ce n’est plus le cas aujourd’hui, et le droit audéveloppement tel qu’il était perçu n’est plus défendable.

Un principe conceptuelLe principe de développement durable illustre la volonté de respecter des considérations àla fois économiques et écologiques. Il n’existe pas d’accord unanime quant à sa définition,toutefois ses origines et son évolution permettent de mieux comprendre son utilité. Ceconcept a été forgé dans la cadre des Nations Unies pour tenter de concilier les pointsde vue divergents des pays industrialisés et des pays en développement sur l’importanceà accorder à la préoccupation environnementale dans leurs politiques économiquesrespectives. D’après le rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et ledéveloppement intitulé « Our Common Future » (1987), il vise également à rendrecompatible des besoins du présent, particulièrement dans les pays pauvres, avec lesintérêts des générations futures. Cette exigence est reprise au principe 2 de Rio. Comme lesouligne la CIJ dans l’affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros, il s’agit pour l’instantd’un principe conceptuel. Cela ne signifie pas pour autant qu’il soit inutile, d’autant plusque la portée de ce principe s’est affinée depuis 1997, et que la sensibilité écologique desEtats comme des citoyens a certainement évolué depuis. L’affaire Gabcikovo-Nagymarossouligne également la nécessité de faire face aux besoins des générations actuelles touten préservant ceux des générations futures. Ainsi, il s’agit de concilier les nécessitésécologiques et les intérêts socio-économiques fréquemment perçus comme contradictoires.Reprenant l’affirmation qu’elle avait déjà mentionnée dans son avis consultatif sur lalicéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, la Cour a tenu a rappeler que« l’environnement n’est pas une abstraction, mais bien l’espace où vivent les êtres humainset dont dépendent la qualité de leur vie et leur santé, y compris pour les générationsà venir »122. Par la suite, de nombreux travaux sont venus compléter la notion dedéveloppement durable. La référence aux générations futures se retrouve également dans

120 Rés. II b), E/CONF.70/29, p.65, cité par Sylvie Paquerot, op.cit., p.213.121 Jochen Sohnle, droit international des ressources en eau douce, op.cit., p.252.122 Arrêt Gabcikovo-Nagymaros, 25 septembre 1997, paragraphe 53.

Page 73: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eaudouce

Mondange Adrien - 2009 73

la résolution de Strasbourg de l’IDI sur l’environnement (1997). Pour Pierre-Marie Dupuy,« après avoir gagné une nouvelle dimension spatiale par la globalisation des perspectivesde protection, le droit international de l’environnement a également élargi sa dimensiontemporelle aux générations à venir »123. Dans la mouvance de ce principe, d’autres principesont été progressivement définis et reçoivent, dans le cadre des Nations Unies notamment,un contenu substantiel. Il s’agit par exemple du principe d’intégration de l’environnementet du développement, de préoccupation commune de l’Humanité… Quoiqu’il en soit, cesprincipes restent fortement liés par le principe de développement qui est encore la référenceà considérer, et qui mérite d’être travaillé notamment sur un plan juridique.

Des particularités dans le domaine des ressources en eau douceNous n’avons pas choisi d’évoquer ce principe uniquement car il mérite sa place dansdes réflexions sur le droit international des ressources en eau douce, mais égalementparce qu’il manifeste dores et déjà des particularités dans le domaine des ressourcesaquatiques. Outre le fait que ce principe devrait selon nous inspirer les parties à un traitésur l’eau, certaines particularités se sont déjà dessinées. Le plan d’action à propos duZambèze du 28 mai 1987 décrit le développement durable et écologiquement rationnelpar la prise en compte de la capacité assimilatrice de l’environnement ainsi que desbuts de développement tels que définis par les autorités nationales, d’un point de vueéconomique. Ainsi l’accent est mis sur les actions prioritaires à entreprendre, et ce touten essayant de maintenir une symbiose entre l’aspect économique et l’aspect écologique.Dans le cadre de la Convention sur la protection du Danube de 1994, une gestion durablede l’eau vise un développement stable, sain pour l’environnement. Il doit tout à la foismaintenir la qualité générale de la vie et l’accès continu aux ressources naturelles, éviterun dommage environnemental persistant, protéger les écosystèmes et se fonder sur uneapproche préventive. Dans le cadre du Protocole sur l’eau et la santé du 17 juin 1999, lefacteur de développement durable, au même titre que la protection de la santé humaineet des ressources en eau, doit être pris en compte dans la lutte contre les maladies liéesà l’eau. Le concept de développement durable en revanche n’apparaît pas en tant que teldans la Convention de New York du 21 mai 1997. Le Congrès de Kaslik en 1998 s’est luiattaché à développer un certain nombre d’idées qui pourraient permettre de tendre vers uneapproche de gestion globale des ressources en eau124.

Il est regrettable qu’un tel concept n’apparaisse pas clairement dans la Convention du21 mai 1997. Ce constat n’est toutefois pas étonnant. Nous l’avons dit, les Etats ont toujoursmanifesté leur intention de limiter le moins possible leur souveraineté. Or le concept dedéveloppement durable nécessité forcément la mise en place d’une solidarité interétatique.Si ce concept apparaît comme tel dans d’autres traités, son absence dans la Conventionn’est pas étonnante. Le concept pourrait cependant présenter l’avantage de dépasser oudu moins de clarifier celui de limitation de souveraineté. En effet, il semble s’appliquerplus facilement à un contexte global des ressources aquatiques - dont l’utilisation est engrande partie liée à des activités économiques – que les théories de la souveraineté limitéeet d’intégrité territoriale limitées semblent attachées à un contexte frontalier de proximité.L’idée de durabilité s’inscrit avec ce concept non seulement dans l’espace mais aussi dansle temps par la prise en compte des générations à venir.

123 Pierre-Marie Dupuy, Où en est le droit international de l’environnement ?, op.cit., p.889124 H. Tazi Sadeq, La Convention sur le Droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux, Congrès international de Kaslik,Liban, 1998.

Page 74: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

74 Mondange Adrien - 2009

Sous section 3 les aquifèresNous avons déjà évoqué une source d’eau douce essentielle sur notre planète, à savoirles eaux souterraines et notamment les aquifères. Le lecteur attentionné aura pourtantremarqué qu’aucun article ni aucune jurisprudence n’ont encore été cités sur cette question.Cela ne s’explique pas par un manque de recherche, mais tout simplement par le fait quela préoccupation juridique de la communauté internationale sur ce sujet vient tout justed’émerger.

Dans la Convention de 1997 le problème n’est pas directement soulevé. L’article 2précise simplement que « l’expression « cours d’eau » s’entend d’un système d’eaux desurface et d’eaux souterraines constituant, du fait de leur relation physique, un ensembleunitaire et aboutissant normalement à un point d’arrivée commun ». Seules les eauxsouterraines directement reliées aux eaux de surface (« ensemble unitaire ») sont prisesen compte. Le flou demeure quant au degré de prise en compte de la liaison entre leseaux de surface et les eaux souterraines. Dans les cas où une nappe souterraine alimentedirectement, ou est alimentée directement, par un cours d’eau de surface, l’applicationdes principes conventionnels ne pose guère de problème puisqu’ils sont aussi largementcoutumiers. Dans de nombreux cas le lien n’est pas aussi clair, par exemple dans le casd’une nappe souterraine alimentée par le ruissellement diffus d’un bassin de drainageplutôt que par l’écoulement direct d’un cours d’eau. Enfin, certains aquifères sont confinés,c'est-à-dire qu’il s’agit de ressources qui n’ont aucun lien avec le réseau de surface. Il estessentiel en matière de gestion des aquifères que les Etats se mettent d’accord sur desrègles claires, utiles et effectives. Les aquifères contiennent pratiquement 96% des eauxdouces de la planète. En fait, la difficulté à intégrer la question des eaux souterraines àla Convention de New York découle principalement du refus de considérer à l’origine leconcept de bassin hydrographique. La prise en compte de ces ressources est essentielle,et surtout dans le cadre des nappes captives, qui peuvent certes constituer des ressourcespour satisfaire certains besoins mais qui doivent être particulièrement protégées du fait deleurs spécificités125.

Les traités évoquant le partage de ressources contenues dans les aquifères sont assezpeu nombreux. En principe, l’ensemble des traités qui utilisent la notion de bassin versantdevraient s’appliquer de fait aux eaux souterraines. Mentionnons par exemple l’Accord pourle Plan d’action pour la gestion économiquement rationnelle du Zambèze, l’accord de 1963relatif à la navigation et à la coopération économique entre les Etats du bassin du Niger,le traité sur le bassin du rio de la Plata. Ces traités sont de plus relativement restreintsdans leur portée. Malgré cela, une attention toute particulière doit leur être accordée, car lesnappes souterraines connues pour les conflits qu’elles peuvent générer sont nombreuses.Citons l’aquifère de la Montagne, sous-jacent aux territoires d’Israël et de la Palestine, dontl’utilisation a été au centre de négociations internationales (par exemple le traité de paixjordano-israélien d e1994, ou encore les accords d’Oslo).

Ce n’est qu’en 2000 que l’UNESCO décide d’agir sur ce point. Lors de sa

14ème session (juin 2000), le Conseil Intergouvernemental du Programme HydrologiqueInternational a reconnu que les systèmes aquifères transfrontaliers sont une importantesource d’eau douce dans certaines régions du monde, particulièrement sous les conditionsclimatiques semi arides. Nous parlons donc ici des pays qui souffrent pratiquement enpermanence de sécheresse, les pays d’Afrique et du Moyen Orient étant les premiers à

125 Pour plus de détails sur la formation des aquifères, leurs spécificités, voir notamment François Anctil, l’Eau et ses enjeux,les presses de l’université Laval, 2008, de boeck, pages 29 à 44.

Page 75: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eaudouce

Mondange Adrien - 2009 75

nous venir à l’esprit. Cette session a lancé l’initiative inter-agences ISARM (InternationalShared Aquifer Resources Management) portant sur les aspects scientifique-hydrologique,socio-économique, environnemental, juridique et institutionnel. Avec la coopérationd’agences régionales, le programme a aujourd’hui été lancé dans de nombreuses régions.L’Observatoire du Sahara et du Sahel, l’Organisation des Etats d’Amérique (OEA) ontpermis de lancer le programme en Afrique et en Amérique. Grâce à UN-ESCWA leprogramme sera mené dans les Balkans et le Moyen Orient également. Comme le souligneAlice Aureli en 2005, « le droit international des eaux souterraines est au stade de sespremiers développements. Il existe déjà des règles internationales qui s’appliquent auxaquifères transfrontaliers, mais elles ne concernent pas tous les types d’aquifères et neprennent pas en compte les spécificités »126.

La problématique concernant les aquifères est la même que celle qui s’applique à lagestion des ressources en eau douce de surface puisque ces nappes ne correspondent pastoujours aux frontières des pays. La première tentative de codification dans ce sens datede 1989 (traité de Bellagio), mais elle s’inspire largement des textes juridiques traitant deseaux internationales « de surface » ; il en est de même pour le projet d’articles de 2006 dela Commission du droit international de l’ONU. Le traité de Bellagio transpose les principesmis en avant notamment dans les Règles d’Helsinki en 1966 à l’hypothèse des eauxsouterraines. Il s’agit notamment de l’unité de gestion, de la communauté d’intérêts. Lesarticles 3 à 5 donnent également la possibilité de recourir à une commission internationaleautorisée à déclarer les zones de protection, d’alerte à la sécheresse, à élaborer des plansd’urgence etc…La commission en question se voit investie de pouvoirs importants, d’autantplus que la procédure de règlement des différends lui confère dans une première étapele soin de résoudre les litiges. En 2006, la Commission des Nations Unies a adopté enpremière lecture le projet d’articles sur le droit des aquifères transfrontaliers (juin 2006).

La 63e session de l’Assemblée générale a adopté une résolution de soutien à ce projetd’articles, le 11 décembre 2008. Les articles du projet sont repris. C’est l’article 2 a) quidonne la définition de la notion d’aquifère. Il dispose que « l’on entend par « aquifère »une formation géologique souterraine perméable contenant de l’eau superposée à unecouche moins perméable et l’eau contenue dans la zone saturée de la formation ». Quantau « système aquifère », celui-ci est « une série de deux ou plusieurs aquifères qui sonthydrauliquement reliés » (article 2, b). Un aquifère transfrontière est « un aquifère répartientre plusieurs Etats » (article 2, c).

La deuxième partie du projet d’articles énonce des principes généraux, parmi lesquelsil est important de relever la souveraineté des Etats. L’article 3, « souveraineté des Etatsde l’aquifère », dispose que : « Each aquifer state has sovereignty over the portion ofa transboundary aquifer or aquifer system located within its territory. It shall exercise itssovereignty in accordance with international law and the present articles”. Le projet d’articlesaffirme la souveraineté de chaque Etat sur « la portion d’un aquifère ou d’un systèmed’aquifères transfrontières se trouvant sur son territoire » ; la seule limite à l’exercicede cette souveraineté étant le respect du présent projet d’articles. Notons égalementque des principes codifiés par la Convention de New York sont ici transposés aux eauxsouterraines (utilisation équitable et raisonnable, obligation de ne pas causer de dommagessignificatifs…). Ainsi, malgré l’absence de codification sur les aquifères dans la Conventionde 1997, celle-ci a pourtant énoncé des principes qui semblent pouvoir être réutilisés pourles aquifères.

126 Alice Aureli (UNESCO-PHI), la lettre du réseau, n°13, décembre 2004-janvier 2005.

Page 76: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

76 Mondange Adrien - 2009

Il reste que le caractère contraignant n’est encore pas le point fort du projet d’articles.L’article 9 encourage les Etats à signer des accords bilatéraux ou multilatéraux. Desinstruments techniques de coopération sont proposés aux Etats, mais aucun organe derèglement des différends n’est mis en place. De plus il est essentiel de noter que la formeque cet instrument juridique doit prendre est loin d’être décidée surtout au vue des conflits dechamp d’application avec la Convention de 1997, qui, nous l’avons rappelé, se préoccupede certains aquifères mais pas de tous. Le projet d’articles détaille les aspects procédurauxmais à propos du règlement des différents il n’apporte rien de nouveau. Le projet insisteà nouveau sur la nécessaire coopération entre les Etats, toutefois aucune organisationsupranationale n’est prévue, de peur une fois de plus de se heurter à la souverainetéétatique. Sur le long terme, certains espèrent voir ce projet d’articles transformé enconvention-cadre, même si d’autres accords sur des projets particuliers – tenant comptedes principes développés dans l’actuel projet – restent indispensables.

Section 3 : Le droit à l’eau« En tant que « source de vie » fondamentale et non substituable de l’écosystème Terre,l’eau est un bien vital qui appartient aux habitants de la Terre, en commun. Aucun d’entreeux, individuellement ou en groupe, ne devrait avoir le droit d’en faire son appropriationprivée. L’eau est un bien patrimonial commun de l’humanité. La santé individuelle etcollective en dépend.

L’agriculture, l’industrie, la vie domestique y sont liées. Il n’y a pas d’accès à laproduction de la richesse sans accès à l’eau. L’eau, on le sait et tout le monde le dit,n’est pas une ressource comme les autres ; elle n’est pas une marchandise échangeable,monnayable.

Son caractère irremplaçable fait que toute communauté humaine - et chacun de sesmembres - a le droit d’avoir accès à l’eau, en particulier l’eau potable, en quantité et qualiténécessaires et indispensables à la vie et à l’activité économique »127.

Ricardo Petrella déduit ensuite de ce principe un ensemble de règles, qui devraientselon lui permettre une bonne gestion de l’eau à l’échelle mondiale, n’excluant personneet respectant les droits humains. La question du droit à l’eau reste liée à la question dudroit de l’eau. Il s’agit ici de prendre en considération les individus. Le droit internationalde l’eau n’ignore pas la protection des intérêts des individus. Cette protection faittraditionnellement l’objet d’une règlementation qui se limite aux relations interétatiques,mais préfigure l’émergence de véritables droits de l’homme. Ces derniers s’affirment d’unefaçon grandissante dans le domaine de l’eau. Cette préoccupation croissante est dueà la tendance d’une démographie croissante à la surface de la planète, et donc uneaugmentation des besoins, alors que dans le même temps les ressources se font plus« rares ». Il s’agit de faire un tour d’horizon des ressources en eau et de la protection desdroits humains, en recherchant la place d’un droit à l’eau parmi les autres droits humains(sous section 1) et en soulignant l’importance du droit à l’eau (sous section 2).

Sous section 1 droits humains et droit à l’eauLe droit à l’eau n’a pas fait l’objet d’énormément d’études, en comparaison d’autresproblématiques des droits humains, du moins jusqu’à la fin des années 1990. L’accès àl’eau potable en tant que droit humain n’est explicitement mentionné ni dans la Déclaration

127 Ricardo Petrella, le Manifeste de l’eau pour un contrat mondial, Principe 1

Page 77: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eaudouce

Mondange Adrien - 2009 77

Universelle des droits de l’homme, ni dans les Pactes qui furent ensuite élaborés pourassurer la mise en œuvre de cette déclaration. Ce droit humain ne sera affirmé quetardivement par la communauté internationale, lors du Sommet de Mar del Plata en 1977,pour ensuite être intégré dans le système des Nations Unies. Il y a finalement peu de tempsque les organismes internationaux se sont penchés sur la question du droit à l’eau. En1997, la problématique apparaît à la Commission des droits de l’homme. Le Comité desdroits économiques, sociaux et culturels a adopté une observation générale portant surce droit, en novembre 2002, et définissant celui-ci comme cela : « le droit fondamentalà l’eau autorise chacun à disposer d’une eau salubre, suffisante, de qualité acceptable,physiquement accessible et à un coût raisonnable pour les besoins individuels et les usagesdomestiques »128.

Origines du droit à l’eauIl est difficile d’affirmer qu’il existe un droit humain à l’eau indépendant des autrescomposantes du droit international. Il faut chercher ailleurs les fondements doctrinaux utilesà la précision juridique du droit d’accès à l’eau potable. Ce sont la doctrine des droitshumains ainsi qu’une partie des spécialistes du droit de l’environnement qui permettent dedécrire plus précisément ce que serait le droit à l’eau, et d’en expliquer les origines. C’esten fait le principe d’interdépendance des droits humains qui a permis l’intégration de cedroit dans d’autres droits humains explicitement définis par la doctrine. Deux tendancespeuvent être identifiées dans la doctrine actuelle. D’une part, une école qui cherche à élargiret à renforcer l’interprétation et l’application des droits traditionnellement reconnus en cesens, et d’autre part une école qui, se basant sur le caractère évolutif des droits, considèrel’émergence d’une catégorie nouvelle, celle des droits de troisième génération, dits « droitsde solidarité ». Parmi les « droits de solidarité », le droit à l’environnement, aussi appelé droità un environnement sain ou de qualité, et qui est consacré par la Déclaration de Stockholmau principe 1. Ce droit est issu de la Déclaration universelle des droits de l’homme, quigarantit la dignité humaine. Celle-ci a plusieurs fonctions, à savoir protéger la vie et l’intégritéphysique des personnes humaines, garantir l’exercice des droits fondamentaux et deslibertés individuelles, éliminer les discriminations et assurer des conditions de vie minimales.De fait, que soit ou non reconnu un droit à l’environnement spécifique, l’obligation deprotection et de préservation de l’environnement existe bel et bien puisque la réalisation desdroits économiques et sociaux en dépend directement. Que l’on soit favorable à la créationd’une nouvelle catégorie de droits ou que l’on cherche à utiliser les droits préexistants,les droits de l’homme restent de toute façon interdépendants. Protéger les ressourcesen eau douce, c’est protéger l’être humain et ses activités économiques, de même quel’environnement dans lequel il vit, et ainsi de suite.

Le droit d’accès à l’eau potable pourrait s’inscrire comme une composante implicitedes droits humains reconnus dans les instruments généraux. Ainsi, parmi les Pactesinternationaux relatifs aux droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, etprincipalement le droit à la vie, le droit à un niveau de vie suffisant, comprenant eux-mêmesle droit au logement, le droit d’être à l’abri de la faim et le droit à la santé, le droit d’accès àl’eau potable est une composante essentielle. Ces droits ne peuvent pas être mis en œuvresans accès à l’eau potable.

Prise en compte128 CESCR (2002). The Right to Water, General Comment No.15, UN Economic and Social Council, E/C.12/2000/11 (26 novembre),paragr.2, cité par S. Paquerot, eau douce la nécessaire refondation du droit international, p.122.

Page 78: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

78 Mondange Adrien - 2009

Nous l’avons dit, ce n’est qu’en 1997, l’année du premier forum mondial de l’eau, qu’estsaisie la Sous-commission sur la prévention de la discrimination et la protection desminorités de l’ONU. Celle-ci et chargée de préparer un document de travail sur la questionde la promotion et de la réalisation du droit d’accès de tous à l’eau potable et aux servicesd’assainissement. C’est au titre de la réalisation des droits économiques, sociaux et culturelsqu’elle examinera cette question, sans non plus renoncer à l’incidence de l’accès à l’eaupotable sur d’autres droits. En 2002, le rapporteur produira un rapport dans lequel ils’attardera à définir les fondements juridiques du droit à l’eau potable, ainsi que le lienqu’entretient l’eau avec l’ensemble des droits humains. Selon lui, l’eau « est surtout, avec ledroit à l’alimentation, le substrat du droit à la vie »129. Ainsi, le concept d’humanité tendraità devenir un concept pertinent dans le droit international de l’eau. L’humanité peut êtreconsidérée comme la collectivité de personnes regroupant l’ensemble des êtres humains.Les besoins de celles-ci devraient être pris en compte afin de permettre son développement.Dès 1968, la Charte européenne de l’eau du Conseil de l’Europe proclame que « l’eauest un patrimoine commun dont la valeur doit être reconnue de tous. Chacun a le droitde l’économiser et d’en user avec soin » (principe X). L’humanité est définie par rapport àun objet, que l’on appelle le « patrimoine commun de l’humanité ». Cette notion chercheà relier le patrimoine, concept qui relève de la sphère des choses, et l’humanité, conceptqui relève de la sphère des personnes. S’il est vrai que l’humanité pourrait être considéréecomme une collectivité d’Etats, elle tend en fait de plus en plus à être considérée plutôtcomme une communauté de personnes humaines. Il s’agit d’un concept de solidarité quis’applique à la globalité des personnes humaines. La prise en compte des générationsfutures peut être considérée comme la dimension temporaire apportée à la définition de lanotion d’humanité (cela apparaît notamment dans la déclaration de Stockholm de 1972).De plus, cette évolution se trouve complétée sur le plan de l’objet par l’idée de durabilité.C’est bien ce type de raisonnement qui est tenu dans l’arrêt relatif à l’affaire Gabcikovo-Nagymaros où la CIJ souligne que les interventions de l’homme représentent des risquespour « l’humanité – qu’il s’agisse des générations actuelles ou futures »130.

L’intérêt de la notion d’humanité fait son apparition en droit des cours d’eauinternationaux. La Convention d’Helsinki du 17 mars 1992 dispose que les ressources eneau doivent être gérées de manière à répondre aux besoins de la génération actuelle sanscompromettre la capacité des générations futures de satisfaire leurs propres besoins (art.2 par. 5c). La référence aux générations actuelles et futures se retrouve également dans leProtocole sur l’eau et la santé du 17 juin 1999 (art. 5 par. d). En revanche, la Conventionde New York du 21 mai 1997 ne mentionne les générations actuelles et futures que dans lepréambule (par. 5). L’intérêt de cette notion se fait encore plus sentir lorsqu’il est questionde dépasser le droit des cours d’internationaux pour s’attacher au droit international desressource en eau douce dans une perspective globale. Certains régimes internationaux,pertinents de façon plus ou moins importante pour les ressources aquatiques, relèvent decelle logique. Il s’agit du régime de l’Antarctique, des corps célestes et du patrimoine mondialculturel et naturel.

Une définition du droit à l’eau dont que nous aimerions retenir est celle donnée par HenriSmets en 2002 dans un rapport du Conseil européen du droit de l’environnement. Le droit àl’eau est « le droit pour toute personne, quel que soit son niveau économique, de disposer

129 E.H Guissé (2002). Rapport entre la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels et la promotion de la réalisation dudroit à l’eau potable et à l’assainissement, paragraphe 11.130 Arrêt du 25 sept. 1997, par. 140 al.4.

Page 79: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eaudouce

Mondange Adrien - 2009 79

d’une quantité minimale d’eau de bonne qualité qui soit suffisante pour la vie et la santé ». Ilajoute ensuite que « ce droit concerne une quantité limitée d’eau qui permette à l’homme :

De satisfaire ses besoins essentiels tels que la boisson, la préparation de nourriture,l’hygiène et le nettoyage, d’assurer l’abreuvement des animaux de compagnie et d’arroserune petite production vivrière familiale [ …] »131.

L’eau est donc à la fois un bien social et un bien économique. En ce sens, des garantiesdoivent être mises en place afin de garantir son accès au plus grand nombre.

Sous section 2 quelles garanties pour le droit à l’eau ?La Convention de New York du 21 mai 1997 cherche à gérer les conflits intervenant entreEtats. Pourtant, au-delà des conflits qui peuvent surgir entre les Etats concernant le partagedes ressources en eau, la problématique de l’eau au plan international recèle également unedimension de droit humain majeure. 30 000 personnes meurent chaque année par manqued’accès à l’eau et à l’assainissement.

Malgré cela, le concept de droit humain n’apparaît nulle part associé à la Convention,que ce soit dans le corps même ou encore dans les commentaires intégrés au projet dela CDI. La Convention ne créé aucune obligation pour les Etats d’agir au plan national.L’affirmation des besoins humains essentiels ne s’accompagne d’aucune obligationjuridique de protection, de promotion ou encore de mise en œuvre d’un droit humaincorrespondant. Il n’existe aucune règle impérative en ce sens. De plus, la Conventionrisquerait selon certains auteurs de nuire à la mise en place des recommandations del’Agenda 21, dans la mesure où, ne reconnaissant pas de priorité claire, certains Etatspourraient y trouver des arguments légaux afin de soutenir que d’autres usages priment sur

celui là132. De plus, les débats à la 6e Commission ont montré qu’il n’y avait pas unanimitésur la signification des besoins humains de base. La dernière version de ce commentaireaffirme que les besoins humains essentiels correspondent notamment à un accès à l’eau« en quantité suffisante pour la vie humaine, qu’il s’agisse de l’eau potable ou de l’eauréservée aux productions vivrières destinées à empêcher la famine »133.

La seule référence aux besoins humains essentiels que l’on retrouve dans laConvention se situe dans l’article 10, paragraphe 2, « en cas de conflit entre des utilisationsd’un cours d’eau international, le conflit est résolu eu égard aux articles 5 à 7, une attentionspéciale étant accordée à la satisfaction des besoins humains essentiels ». Certains auteursont insisté sur ce point, en affirmant que « la satisfaction des besoins humains essentiels »était une véritable priorité. Pourtant, le paragraphe précédent affirme justement qu’aucunusage n’est prioritaire (« en l’absence d’accord ou de coutume en sens contraire, aucuneutilisation d’un cours d’eau international n’a en soi priorité sur d’autres utilisations »). Cetteattention spéciale est une accentuation de l’un des facteurs pertinents cités à l’article 6 pourmettre en œuvre une utilisation équitable et raisonnable, à savoir les besoins économiqueset sociaux. Toutefois, cela ne signifie pas non plus que « la satisfaction des besoinshumains essentiels » soit une priorité, dans la mesure où les Etats semblent libres dedéterminer eux-mêmes le poids relatif à donner aux besoins vitaux humains ou encoreaux autres facteurs énumérés. De plus, le paragraphe 2 de l’article 10 commence par les

131 Henri Smets, le droit à l’eau, CEDE, 2002, p.7.132 E. Hey, Sustainable Use of Shared Water Ressources… , loc.cit., p.132, cité par S. Paquerot, eau douce, op.cit., p.143.133 Rapport de la 6e Commission, cité par Stephan McCaffrey et Mpazi Sinjela, The United Nations Convention on International

Watercourses, the American Journal of International Law, Vol.92, No.1 (Jan., 1998), p.103.

Page 80: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

80 Mondange Adrien - 2009

mots « en cas de conflit ». Ainsi, les besoins humains essentiels ne pourraient recevoir une« attention spéciale » qu’en cas de conflit entre les utilisations. Il ne s’agit pas là d’un droitintangible, les besoins humains apparaissent ici seulement comme un critère permettant detrancher un litige. Le droit à l’eau devrait à l’inverse être un droit inaliénable et absolu. LaConvention de New York ne semble donc pas à même de garantir la protection des droitsde certains groupes ou communautés, les plus pauvres étant ceux qui souffrent le plusd’un manque d’accès aux ressources en eau douce. Le fait que les relations interétatiquespuissent être stabilisées grâce à l’application de cette convention ne garantit pas en soique tous les besoins de l’ensemble des populations soient pris en compte. Bien que laprotection des personnes relève de la responsabilité des Etats sur le territoire duquel setrouvent ces personnes, dans la mesure où une grande partie des ressources planétairesen eau est située dans des bassins hydrographiques transfrontaliers, une gestion intégréeà plus grande échelle est nécessaire. Si tous les Etats riverains cherchaient à répondreadéquatement aux besoins de leurs concitoyens, en prélevant dans les fleuves la quantitéd’eau suffisante, et en respectant le principe de l’utilisation équitable et raisonnable, alors ledroit international des droits humains pourrait être appelé à jouer un rôle important dans larésolution des conflits interétatiques autour des ressources en eau, bien que la Conventionde New York ne l’ait pas intégré explicitement.

De nombreux auteurs affirment l’intérêt de faire de l’eau une ressource commune.Pour eux, l’eau devrait être considérée comme un bien collectif, un legs appartenant àl’humanité toute entière. Le processus de privatisation de l’eau s’accélère en ce momentdans les pays du Sud notamment, ceux qui disposent de moyens extrêmement faibles.Cela exclut donc une partie importante des populations. L’argument fréquemment invoquéen faveur de la transformation de l’eau en marchandise est le même que celui qui présideà la commercialisation de l’ensemble des biens que nous utilisons : le marché serait lelieu le plus propice à la distribution optimale des ressources matérielles et naturelles età la répartition des richesses. La privatisation de l’eau serait le meilleur moyen d’éviterles gaspillages. Le coût de l’eau serait évalué à sa juste valeur, ceci incluant les coûtsde transport et de recyclage. S’il est vrai qu’un tel coût pourrait être mis en place dansles pays qui ont les moyens de payer l’eau à sa juste valeur, en revanche cela ne feraitqu’aggraver le problème dans les pays les moins développés. Les seuls bénéficiairesd’une privatisation massive seraient les cartels de l’eau. L’accès à l’eau n’est ni unequestion de choix, ni une façon de produire de la richesse, c’est une question de vieou de mort. Sans compter qu’une privatisation des ressources en eau douce aurait pourconséquence d’accélérer l’épuisement des sources. Un organisme reconnu, l’UNESCO,se préoccupe depuis longtemps des questions de l’eau puisqu’il est responsable duprogramme hydrologique mondial, créé dans la foulée de la conférence de Mar delPlata. L’UNESCO héberge aujourd’hui le « World Water Assessment Program » (WWAP),chargé de coordonner l’ensemble des composantes onusiennes dans le domaine de l’eau.L’UNESCO cherche à aborder la problématique à travers plusieurs utilisations, telles que lasécurité alimentaire, la santé et l’assainissement, les catastrophes naturelles liées à l’eau,le rôle des femmes, les conflits en rapport avec l’eau…

A l’heure actuelle, le droit international des ressources en eau douce reste à l’image dudroit international général. Bien qu’une évolution soit indéniable, on observe une certaineréticence à consacrer la personnalité des individus ou de leurs groupements. Si la limitationde la liberté étatique est le plus souvent limitée dans ses relations avec les autres Etats, enrevanche les intérêts individuels semblent laissés de côté. Parallèlement, une solidarité sedessine à l’échelle mondiale. En ce sens, le patrimoine commun de l’humanité « constitue

Page 81: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eaudouce

Mondange Adrien - 2009 81

l’aboutissement d’une solidarité de plus en plus fréquente entre tous les Etats du monde,par ailleurs jaloux de leur souveraineté »134.

Chapitre 3 utilité du droit international des ressourcesen eau douce : études de cas

Le droit international doit avoir pour objectif la pacification des relations entre les Etats. Nousavons déjà discuté de la question de savoir s’il existait ou non des guerres de l’eau, et avonsnoté à cette occasion qu’il ne saurait y avoir de conflit portant uniquement sur les ressourcesen eau douce. Jusqu’à présent en tout cas la situation ne s’est pas présentée. L’écoleréaliste des relations internationales a longtemps dominé les études de sécurité. Selon cetteécole, l’Etat use de la guerre et de la diplomatie pour maintenir et asseoir son pouvoir,défini par Raymond Aron comme la capacité d’une unité politique d’imposer sa volonté auxautres unités. Depuis la fin de la bipolarité, les questions sécuritaires ont pris un tournantdifférent et de nouveaux enjeux et acteurs ont été soulevés. L’apparition de nouveaux typesde conflits d’ordre ethniques, la dégradation de l’environnement, l’immigration, le terrorisme,les violations des droits de l’homme, ou encore les « guerres de l’eau » font désormais partiedu champ d’investigation des spécialistes en sécurité.

Aujourd’hui les populations d’Afrique du Nord et du Moyen Orient, en forte croissancedémographique, doivent partager des ressources en eau très inégalement réparties. Lesdonnées climatiques constituent une contrainte de première ampleur, et bien souvent lesrares ressources disponibles ne sont pas exploitées de façon optimale. Selon GeorgesMutin, « avec l’accroissement de la population que connaît le Monde Arabe, la raretéest désormais bien installée »135. L’eau s’inscrit dans la gestion des ressources et derichesses naturelles pour l’ensemble des pays du Proche Orient. Elle s’inscrit égalementdans un cadre plus large, compte tenu d’une situation climatique imposant l’irrigation, untaux démographique souvent élevé, des impératifs de croissance économique impliquantle développement de l’agriculture, de l’industrie, de l’urbanisation, ainsi que des ambitionsgéopolitiques bien souvent basées sur la volonté de chaque pays de s’affirmer sur le plannational, ainsi que sur le plan régional.

La théorie de l’effet utile nous enseigne que le droit ne doit pas être bavard, il doit êtreeffectif et permettre de prendre des mesures concrètes.

Ce dernier chapitre s’attardera sur des aspects plutôt géopolitiques, tout en conservantune focale sur le droit international des ressources en eau douce. L’objectif est de rappelerquels sont les problèmes soulevés par différentes situations au Moyen Orient et enAfrique du Nord. En cherchant à mettre en perspective des considérations géopolitiqueset juridiques, nous rechercherons à travers des exemples la place du droit internationaldes ressources en eau douce pour la gestion d’une ressource qui est un enjeu de pouvoirégalement (section 1). La question de l’eau et de la paix au Proche Orient sera ensuiteabordée (section 2).

134 Kiss, RCADI 1982, t. 175, p.243, cité par Jochen Sonhle, droit international des ressources en eau douce, op.cit., p.462.135 Georges Mutin, l’eau dans le Monde Arabe, Carrefours de géographie, ellipses, 2000, p.7. Pour des informations

géographiques, géopolitiques notamment consulter cet ouvrage.

Page 82: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

82 Mondange Adrien - 2009

Section 1 l’eau enjeu de pouvoir : quelle place pour le droitinternational ?

Nous l’avons déjà souligné, la difficile application du droit international de l’eau entredes pays politiquement rivaux résulte en grande partie du déséquilibre des rapports deforce entre Etats. Sans aboutir systématiquement à une imposition de la loi du plus fort,celui qui domine la relation interétatique sur le plan militaire et/ou politique a bien plus lacapacité d’imposer l’usage du droit et d’interpréter la règle à son avantage. La questionde la subordination du droit aux rapports de force entre Etats reste donc posée malgréles avancées du droit international public de manière générale. Les diverses situations« conflictuelles » au Proche Orient permettent d’étudier différentes facettes et interprétationsde la gestion des ressources en eau douce. Ainsi, l’eau peut être perçue comme un enjeusécuritaire dans le cas du bassin du Tigre et de l’Euphrate (sous section 1), tandis que leNil est à la fois source de vie et source de coopération (sous section 2).

Sous section 1 l’eau, enjeu sécuritaire : le bassin du Tigre et de l’EuphrateLe Tigre et l’Euphrate traversent simultanément les territoires de la Turquie, de la Syrie et del’Irak. Les deux grands fleuves du Moyen Orient naissent en Turquie, et mêlent leurs eauxà partir de la ville irakienne de Qourna (le fleuve prend alors le nom de Chatt-el-Arab). Laposition qu’occupe la Turquie en tant que pays d’amont lui donne la possibilité de contrôlerles eaux de ces fleuves. La Turquie contrôle plus de 80% du débit de l’Euphrate et environ50% de celui du Tigre. La Turquie se donne les moyens matériels, grâce à ses grandsbarrages, de retenir l’eau. De plus, la capacité militaire de la Turquie à projeter sa puissancemilitaire et économique dans la région lui donne les moyens de ses ambitions. Cette donnegéopolitique créé en Syrie et en Irak, pays d’aval, une tendance à la sécurisation de l’enjeuhydraulique, augmentant par la même occasion le potentiel conflictuel du bassin.

L’utilisation des eaux du Tigre et de l’Euphrate relève historiquement et principalementd’une exploitation agricole syrienne et irakienne, leur participation à l’essor économique dela plaine fluviale de la Mésopotamie en Irak ou de la steppe syrienne par l’Euphrate a fait deces fleuves un des fondements culturels de ces pays. Le système traditionnel de défensecontre les eaux repose sur deux techniques : la construction des digues et l’inondation

irriguée. Pourtant, ce n’est qu’au début du 20e siècle qu’est envisagée la possibilité dediscipliner définitivement le Tigre et l’Euphrate. Les besoins en eau sont croissants, dansune région en pleine croissance démographique (Irak par exemple : 4.5 millions d’habitantsen 1947, 10 en 1972, 22 en 1998). La construction de nombreux barrages caractérise les

tentatives de domestication durant le 20e siècle.Notons que la Turquie, dans cette région du monde atteinte par la pénurie, fait figure

de privilégiée. Ce pays ne fait pas officiellement partie de la zone de stress hydrique,toutefois cette relative abondance est inégalement distribuée quand elle n’est pas sousexploitée. Les difficultés d’approvisionnement sont réelles et nombreuses, à commencerpar le secteur agricole qui consomme le plus d’eau, emploie 50% de la population etreprésente plus de 18% du PIB. Sur les 28 millions de terres arables, seuls 3 millionsont été mis en valeur par l’irrigation. En matière de production hydroélectrique, la Turquieimporte 50% de ses besoins en énergie, ce qui nuit aux ambitions de croissance projetéspar les gouvernements. Les ambitions de la Turquie en matière de domestication des eauxdes deux fleuves sont dues à la volonté de favoriser le développement économique dusud-est anatolien par la mise en valeur de cultures irriguées. La Turquie doit aussi faire

Page 83: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eaudouce

Mondange Adrien - 2009 83

face à une urbanisation de sa population et aux besoins croissants qui en découlent.Malgré l’abandon progressif du protectionnisme et de l’interventionnisme étatique, le projetd’aménagement d’un complexe hydraulique semble résister à ce contexte. Des objectifssécuritaires, politiques et économiques sont en jeu dans ce projet pharaonique baptisé enturc Güneydogu Anadolu Projesi (G.A.P), et démarré depuis 1960. Ce Programme Régionalde Développement de l’Anatolie du Sud Est vise à un développement intégré de cette régionà travers l’irrigation et la production d’hydroélectricité. Si le G.A.P, avant d’être une armegéopolitique, répond en priorité à des impératifs économiques136, il n’en reste pas moinsque le projet qui se concrétise remplit certaines tâches sécuritaires et stratégiques. Ainsi ceprojet est par exemple pour les autorités turques un moyen de mieux contrôler ses frontièresavec la Syrie (900 km) auxquelles Ankara attache une grande importance. De plus, le GAPenglobe neuf provinces du Sud-Est anatolien et donc le développement socio-économiqued’une région entière considérée parmi les plus pauvres du pays est pris en compte. Parle GAP, l’Etat turc tente de pallier à un exode rural vers les grandes métropoles en offrantà la population locale des perspectives de travail et de prospérité. Il est intéressant denoter ici que les provinces en cause sont à majorité kurdes et sont le berceau du partides travailleurs kurdes, le PKK, à haut potentiel subversif. La présence de quelques 12millions de Kurdes sur le territoire turc, les velléités d’indépendance, ou encore le contextede misère économique et l’absence de solutions politiques renforcent cette organisationdans un ralliement s’étendant à l’Iran, à l’Irak et à la Syrie, ce qui peut devenir une menacesécuritaire pour Ankara.

Ainsi, la poursuite des aménagements hydrauliques dans les cours syrien et turc duTigre et de l’Euphrate ne fait que complexifier des relations interétatiques qui sont déjà bienassez complexes dans la région. La question de l’eau s’ajoute aux autres problèmes. Iln’est pas ici question d’envisager une guerre de l’eau comme le font certains experts. Nousavons déjà rejeté cette hypothèse. L’eau n’est qu’un facteur exacerbant, qui se greffe àd’autres questions géopolitiques, internes et internationales. Les deux pays d’aval, l’Irak etla Syrie, se trouvent placés dans une situation inconfortable de dépendance à l’égard de laTurquie. Les crises interétatiques se sont multipliées ces dernières années. Il est de plusdifficile d’envisager rapidement un règlement satisfaisant pour les trois parties, les positionsde principe défendues par chacune des parties étant très différentes. L’Irak estime que lesdeux fleuves sont internationaux et demande donc le respect des droits acquis. Il s’agit derespecter la consommation antérieure de chacun des Etats riverains et le partage équitabledes ressources supplémentaires obtenues par des aménagements ultérieurs. Les positionsturques et syriennes optent pour l’unicité du bassin, proposant que l’Irak prenne sa partde ressources sur le Tigre difficilement aménageable dans sa partie amont, et laisse laSyrie et la Turquie se servir dans les eaux de l’Euphrate. D’autres oppositions tout aussiimportantes existent, toutefois elles ne sont pas l’objet de notre mémoire137. Suffit de noterque chacun considère la question des ressources en eau douce du point de vue qui lui estle plus bénéfique, et non d’un point de vue qui pourrait être bénéfique à l’ensemble destrois parties.

A ce jour, il n’existe aucun accord régional régissant l’utilisation des eaux du bassin del’Euphrate et du Tigre. Pourtant, depuis la chute de l’Empire ottoman et l’apparition des cesEtats nouvellement indépendants, des tentatives se sont manifestées, des arrangementstemporaires…La position irakienne s’appuie sur le principe des droits acquis. L’Irak

136 Sophie Dumont et Foulques de la Motte de Broöns, L’eau au Proche Orient : enjeu stratégique et instrument de paix ;Défense nationale, 1995, p.121, cité par Christelle Dressayre, op.cit., p.58.

137 Pour plus de détails sur la question, voir par exemple Georges Mutin, l’eau dans le Monde Arabe, op.cit., p.79.

Page 84: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

84 Mondange Adrien - 2009

considère en effet que son utilisation ancestrale des eaux de l’Euphrate et du Tigre luiconfère un droit acquis. Ainsi, le pays d’aval serait en droit d’exiger du pays d’amont unécoulement naturel des eaux du cours d’eau international. La position syrienne partage avecl’Irak sa position sur la nécessité de prendre en compte les « droits acquis » et d’évaluerde manière séparée les besoins en eau de chaque Etat du cours d’eau tout en répartissantla charge du déficit en eau sur les trois Etats du cours d’eau. En tant que pays d’amont, laSyrie a également eu recours initialement à la théorie de la souveraineté territoriale absoluepour justifier son utilisation de l’Euphrate vis-à-vis de l’Irak notamment. Quant à la Turquie,elle considère que le Tigre et l’Euphrate ne sont pas des cours d’eau internationaux, et qu’ilsne sont donc pas soumis à la règle de l’utilisation équitable et raisonnable qui constituele fondement du droit relatif à l’utilisation des cours d’eau internationaux à des fins autresque la navigation. La Turquie entend utiliser les eaux situées sur son territoire comme ellel’entend pour satisfaire ses besoins.

L’Irak et la Syrie ont voté pour la Convention de 1997, ce qui montre au moins enapparence une volonté de coopérer de la part de ces Etats. Les deux pays considèrentque cette Convention constitue un progrès. La Turquie quant à elle redoute certainementque sa position s’affaiblisse si le règlement du différend qui l’oppose à la Syrie et à l’Irakavait comme assise la Convention de New York. Pourtant la Convention pose un cadre quipermettrait aux trois parties de régler leur différend en conciliant au maximum leurs intérêts.L’article 5 de la Convention pose en effet la règle selon laquelle si chaque Etat a droit, surson territoire, à une part équitable et raisonnable des utilisations et des avantages du coursd’eau international, il a aussi l’obligation de ne pas priver les autres Etats du cours d’eaude leur utilisation équitable et raisonnable. La Turquie pourrait ainsi faire bénéficier la Syrieet l’Irak de l’aménagement de barrages à travers le projet G.A.P. De plus, le commentairede l’article 5 de la C.D.I indique que parvenir à un résultat optimal ne signifie pas que l’Etatdu cours d’eau qui dispose des moyens techniques et financiers pour mettre en place uneutilisation rationnelle techniquement du moins doit avoir la priorité sur l’utilisation. Ainsi,les aménagements mis en place par la Turquie ne lui confèrent ils aucun droit de fait surl’utilisation des eaux des cours d’eau internationaux. La Turquie, dans la poursuite de sonutilisation optimale des eaux de l’Euphrate et du Tigre, doit s’assurer de leur protection etconcilier les intérêts de l’Irak et de la Syrie - y compris les utilisations hydroélectriques – avecses intérêts propres. De plus, l’article 6 qui énumère une liste non exhaustive de facteurspertinents à prendre en compte dans la recherche d’un résultat équitable et raisonnablepourrait aider les trois Etats à concilier leurs intérêts. Par exemple, les besoins économiqueset sociaux pourraient entrer en ligne de compte. De plus, la Syrie et l’Irak pourraient arguerque la Turquie possède par ailleurs d’autres options (article 6, paragraphe 1, alinéa g). Leseaux de l’Euphrate et du Tigre ne représentent en effet que 45% des ressources en eaudisponibles dans ce pays. Il s’agit donc d’un problème qui théoriquement pourrait être prisen charge au moins à minima par la Convention de New York de 1997. Encore faut il quel’ensemble des Etats l’accepte…

Sous section 2 Le Nil, source de vie…et de coopérationNous l’avons compris, les idées animant aujourd’hui le droit international de l’eauencouragent une gestion intégrée et commune des ressources transfrontalières à l’échelledes bassins hydrologiques. Nous l’avons vu précédemment, cette gestion commune n’estpas toujours mise en place, et nous avons donné l’exemple du bassin du Tigre et del’Euphrate. Certains cas se montrent au contraire plus optimistes et font apparaître destentatives de coopération. Selon de nombreux analystes, c’est le cas de l’Egypte. Khaled

Page 85: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eaudouce

Mondange Adrien - 2009 85

Dawoud, journaliste à Al-Ahram (Caire), a publié dans un numéro du courrier de l’Unesco138

un article intitulé « le dialogue, un don du Nil ». Il développe son idée en écrivant que « [leNil] longtemps cause de discorde, devient l’objet d’un partenariat entre les Etats riverains ».

Le plus long fleuve du monde draine sur ses 6671 km un immense bassin(2 870 000km²) partagé de façon inégale entre 10 Etats. Ce fleuve a été l’objet de nombreuxaménagements successifs au cours de l’histoire. Son aménagement est ancien. L’Egypte,pays d’aval, a mis en valeur les eaux du Nil depuis plusieurs millénaires. Toutefois, à l’unitéécologique qui imposerait plutôt un aménagement d’ensemble s’opposent des désaccordsgéopolitiques. A une asymétrie hydraulique (les pays d’amont et d’aval n’ont pas accès auxmêmes quantités d’eau) fait face une asymétrie géopolitique. Le bassin du Nil est égalementun théâtre géopolitique. Pour des raisons historiques, la puissance a longtemps été ducôté de l’Egypte. Cet acteur aussi puissant soit il se situe en aval et son économie et sasurvie sont fortement dépendants du grand fleuve. On estime que l’Egypte est dépendantà près de 95% des eaux du Nil pour son approvisionnement, le reste étant fourni parl’exploitation d’aquifères fossiles, et d’un peu d’eau de pluie sur les rives de la Méditerranée.Dès avant son indépendance en 1922, le pays a donc cherché à mettre en place unepolitique lui permettant de pérenniser son contrôle sur cette ressource. Le besoin de sécuritéhydraulique en Egypte est devenu une obsession, car synonyme de survie tout simplement.

Les tensions les plus notoires apparaissent bien souvent entre l’Egypte et l’Ethiopie. En1906, un traité avait été conclu entre les Britanniques, alors puissance tutélaire de l’Egypte,et l’Ethiopie, selon lequel le gouvernement éthiopien ne pourrait modifier le régime du Nilsans l’accord de Londres. En 1929 puis en 1959, le gouvernement égyptien a signé deuxtraités le liant au gouvernement soudanais à propos de la répartition de l’ensemble desvolumes disponibles du fleuve à partir du territoire soudanais, c'est-à-dire incluant les eauxdu Nil blanc venant du Sud et celles du Nil bleu venant de l’Est. Durant les années 50,l’Egypte cherche par tous les moyens à réaliser le projet de barrage à Assouan. Ce barragedeviendra par ailleurs un symbole de la lutte contre le néocolonialisme et un chantier dusocialisme. Quant à l’Ethiopie, pauvre et sous développée, elle subit depuis les années 70des sécheresses régulières qui ont causé des millions de morts. En 1979, le Nil devint pourl’Egypte un enjeu prioritaire de sécurité nationale. Répondant au projet éthiopien d’exploitersa plus précieuse ressource naturelle, le président égyptien Anouar al-Sadate déclarait que« seule la question de l’eau pourrait conduire l’Egypte à entrer de nouveau en guerre ».Ce ne sont là que des déclarations, mais pour l’instant nous avons cherché à décrire lecadre géopolitique, socio-économique. Ce cadre montre l’importance de la question de larépartition et de l’utilisation équitable et raisonnable des eaux du Nil.

A ce jour, légalement seul l’Accord sur les eaux du Nil (Soudan, 1959) engage l’Egypte.L’Ethiopie n’est pas même pas mentionnée. Toutefois de plus en plus les arguments enfaveur d’une répartition équitable des eaux du fleuve gagnent du terrain. En juillet 2000, auterme de cinq ans de négociations préliminaires, les dix Etats du bassin nilotique - parmilesquels l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie – annonçaient qu’ils avaient obtenu le financementpar la Banque mondiale d’une série d’études consacrées au partage équitable des eaux dufleuve. Mahmoud Abu Zied, alors ministre égyptien des travaux publics, avait déclaré que« Le Nil dispose d’un énorme potentiel encore inexploité. Sur tout son bassin, la populationpeut en espérer des avantages. Chaque pays peut prétendre à une part équitable des eauxdu fleuve sans dommage pour les autres Etats »139. Cette formule n’est pas sans rappeler

138 Octobre 2001, p.30139 Mahmoud Abu Zied, propos rapportés par Khaled Dawoud, le dialogue, un don du Nil, courrier de l’Unesco, octobre 2001,

p.30.

Page 86: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

86 Mondange Adrien - 2009

les objectifs premiers de la Convention de New York de 1997, qui cherche à instaurer une« utilisation équitable et raisonnable » des cours d’eau internationaux. L’Egypte et l’Ethiopieont longtemps utilisé d’autres doctrines afin de défendre leurs intérêts géopolitiques. Ainsi,la doctrine de l’Ethiopie repose sur le principe de la souveraineté territoriale, tandis quel’Egypte réplique en mettant en avant le principe de la première appropriation, selon des« droits historiques » que lui conférait son emploi séculaire des eaux du Nil. Le Cairese réfère notamment à la note E/ECE/L.36 de la Commission économique pour l’Europede 1952, laquelle fait référence à de tels droits historiques pour écarter l’application dela Doctrine Harmon et préserver les « droits des autres Etats riverains sur les fleuvesinternationaux ». On peut toutefois douter de la pertinence de cet argument, la note étantancienne, et la commission dont elle émane à vocation européenne. L’Egypte a ainsidéveloppé l’argument d’une souveraineté implicite sur les eaux du Nil, souveraineté quidécoulerait de ses prétendus droits historiques, enracinés dans l’histoire ancienne. Nousavons déjà discuté de la pertinence de cette doctrine plus haut. L’attitude de l’Ethiopie, quia toujours cherché à bloquer les initiatives égyptiennes en matière de gestion des eaux duNil, répond à son désir de faire reconnaître la nullité du traité soudano égyptien de 1959, età ne pas donner de crédit à la doctrine égyptienne des « droits acquis ». Il est intéressantde constater à travers cet exemple à quel point les doctrines juridiques sont modulées pourservir les dessins géopolitiques particuliers. Les tensions entre l’Egypte et l’Ethiopie parexemple sont aussi des tensions religieuses.

Face aux limites du régime juridique actuel régissant les eaux du Nil, la recherche d’unnouveau régime pose la question du rôle éventuel de la Convention des Nations Unies de1997. L’accord de 1959 accorde en effet une priorité absolue aux utilisations existantes àtravers la reconnaissance et la confirmation du principe des « droits acquis ». La Conventiondes Nations Unies offre aux dix Etats du Nil un cadre pour négocier un nouvel accord,qui contrairement aux accords passés leur permettra à tous de participer à l’utilisation, lamise en valeur et la protection du Nil de manière équitable et raisonnable. Toutefois seulsle Kenya et le Soudan ont voté pour la Convention. Le Burundi a voté contre, tandis quel’Egypte, l’Ethiopie, le Rwanda et la Tanzanie se sont abstenus de voter. La plupart de cespays, qu’ils soient des pays d’amont ou d’aval, semblent reprocher à la Convention de nepas établir l’équilibre des intérêts entre les Etats riverains en matière d’utilisation équitabledes cours d’eau. Ainsi, l’Ethiopie ou la Tanzanie ont pu considérer que l’article 3 de laConvention (« accords de cours d’eau) consolide les accords existants, y compris ceuxqui ne sont pas conformes aux principes fondamentaux qu’elle consacre. Comme dans lesdiscussions générales, la question des rapports de force entre le principe de l’utilisationéquitable et raisonnable établi aux articles 5 et 6 d’une part, et l’obligation de ne pas causerde dommages significatifs (article 7) d’autre part est sans doute le point sensible qui adéterminé le vote des principaux pays du Nil. L’Ethiopie (pays d’amont) explique ainsi qu’elleaurait préféré que soit établie la primauté de l’article 5 (« utilisation et participation équitableset raisonnables »). On retrouve ici une position classique pour un Etat d’amont. Quant àl’Egypte, pensant à sa position de pays d’aval, elle a fait observer que la Convention ne faitpas que codifier certaines des règles coutumières du droit international et que certaines deses dispositions sont des règles nouvelles qui s’écartent du droit coutumier établi. L’Egypterefuse par conséquent de se voir appliquer les dispositions nouvelles. L’Egypte consacreégalement l’obligation de ne pas causer de dommages significatifs. Comme dans le cas dulitige sur les eaux du Tigre et de l’Euphrate, l’un des points de résolution du conflit pourraitconsister dans la production et le partage d’hydroélectricité. Les arguments de partagesont avant tout économiques. Ainsi, l’exploitation du potentiel hydro-électrique de l’Ethiopieet l’Ouganda pourrait contribuer au développement d’un marché régional d’électricité. Les

Page 87: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eaudouce

Mondange Adrien - 2009 87

pays d’aval bénéficieraient ainsi de prix avantageux pour faire face à leurs besoins enénergie, et l’Egypte pourrait développer des secteurs de son économie susceptibles de luipermettre d’abandonner progressivement les cultures à consommation intensives en eau140.Notons que l’Egypte et le Soudan avaient dès 1991 signé un accord sur les eaux du Nilbleu et l’Atbara, dans lequel la référence aux principes d’utilisation équitable et d’échanged’information était explicite. Deux ans plus tard, l’Egypte et l’Ethiopie signaient un accord decoopération. D’après son article 5 chaque partie s’engage à utiliser ou aménager le fleuvede telle sorte qu’aucun « dommage appréciable » ne soit causé aux intérêts de l’autre partie.Les deux parties doivent également œuvrer pour « la protection et la conservation » deseaux du Nil. Enfin, l’Initiative du Bassin du Nil est en harmonie avec la Convention de NewYork de 1997. Ce mécanisme institutionnel récent se propose de réaliser un développementsocio-économique durable du Nil, sur la base des principes d’utilisation équitable, d’absencede dommage significatif et de coopération.

Section 2 L’eau et la paix au Proche OrientNous avons vu que certaines situations au Proche Orient demandent à ce que la questiondu partage des ressources en eau douce soit réglée de façon équitable. Il s’agit d’un enjeugéopolitique, sécuritaire et humain essentiel. De même, l’eau est au cœur de certainestensions dans cette région du monde, elle est un facteur stressant, qui soit empêche larésolution du conflit, mais qui le plus souvent l’exacerbe. Après avoir donné quelques pistesde réflexion sur plusieurs cas (sous section 1), nous nous concentrerons sur le cas d’Israëlet de la Palestine (sous section 2).

Sous section 1 l’eau dans le lit tumultueux de relations complexesLes tensions autour des ressources en eau douce sont particulièrement vives dans cetterégion du monde. L’essentiel des rivalités se nouent à propos de l’utilisation des nappessouterraines et des eaux du Jourdain et de ses affluents (notamment le Yarmouk) dont lebassin versant se partage entre quatre Etats : Le Liban, la Jordanie, La Syrie, Israël etles Territoires occupés. Le bassin du Jourdain comprend de plus d’autres sources d’eau,à savoir le lac de Tibériade et l’aquifère de la Montagne, qui constitue aujourd’hui unenjeu majeur dans le conflit israélo-palestinien. La répartition des eaux entre les entitésterritoriales reste très inégale. Alors que le Liban et la Syrie sont relativement bien dotés,les ressources jordaniennes sont précaires : le pays souffre de pénuries d’eau chroniques.George Mutin estime que les ressources en eau douce par habitant sont de 250m3/an/habitant, ce qui est une norme très basse141. Quant à Israël, le réseau de distribution réalisel’interconnexion de l’eau à travers tout le pays à partir du lac de Tibériade. Les ressourcesen eau du pays sont faibles, et Israël consomme excessivement (la consommation dépasselargement les ressources en eau dont le pays dispose). Israël obtient l’eau du Jourdain avecdes pompages dans le lac de Tibériade et dans la zone de confluence du Jourdain et duYarmouk, utilise les nappes de Cisjordanie et les nappes littorales y compris celle de Gaza.La situation est préoccupante dans les Territoires occupés. C’est le pays dans lequel lesquantités d’eau renouvelable sont les plus faibles : 267m3/an/habitant si on ne prend pasen compte les prélèvements israéliens, seulement 70 dans le cas contraire142.

140 El Hassane Maghfour, hydropolitique et droit international au Proche Orient, op.cit., p.309.141 Georges Mutin, l’eau dans le Monde Arabe, op.cit., p.83.142 Estimations de George Mutin.

Page 88: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

88 Mondange Adrien - 2009

Dans la vallée du Jourdain l’eau est généralement abordée en termes de sécuriténationale. Les fleuves servent à établir des frontières entre des pays nouvellementindépendants, et tous les pays de cette région en situation de stress hydrique sontdépendants de cette ressource transfrontalière. L’eau intervient dans la définition de lasécurité alimentaire mais aussi territoriale, sur le plan interne et sur le plan international. Lebassin du Jourdain est « un espace marqué par des rapports de force exacerbés et uneanimosité politique. La logique du « jeu à somme nulle » qui prévaut dans ce bassin fait quechaque acteur considère comme perte chaque gain obtenu par son riverain/rival »143.

Le partage et l’utilisation des eaux du Jourdain constituent un enjeu permanent desrelations israélo arabes, et ce depuis la création de l’Etat d’Israël. Les militants sionistesont dès le départ cherché à contrôler l’ensemble des eaux du Jourdain et celles du Litani.L’approche unilatérale est longtemps restée l’approche privilégiée, délaissant ainsi lespossibilités de coopération régionale. Cette coopération régionale n’est apparue que dansles années 1950. Le Plan Main de 1953, principalement d’origine onusienne, suggère queles eaux du Jourdain ne doivent servir qu’à la mise en valeur de sa vallée. Ce principeest rejeté par les deux parties. Les Israéliens proposent alors le Plan Cotton (1954) et lesArabes le plan du comité technique arabe. Les divergences sont énormes. Alors que le planarabe prévoit l’utilisation des eaux du Jourdain uniquement dans la vallée du fleuve, le planisraélien intègre les eaux du Litani et prévoit l’irrigation de régions, notamment le Négueven dehors de la vallée du fleuve. Le plan Johnston (1955) prévoit un partage des eaux duJourdain et de ses affluents entre les pays riverains selon des quotas bien précis. Ce planavait réussi à obtenir un consensus au niveau technique entre les experts hydrauliquesd’Israël, de Jordanie, de Syrie et du Liban, concernant les quantités d’eau que chaqueriverain pouvait utiliser pour les besoins de ses plans de production agricole. Une utilisationéquitable, du moins sur le plan agricole, semblait donc possible. Toutefois ce plan n’est pasun succès. La dimension politique est restée prédominante (la perception qu’avaient lesArabes d’Israël, ainsi que l’usage non restreint par les pays de l’eau qui leur était attribuée,y compris en dehors du bassin). De plus, cet échec montre que séparer le conflit de l’eau duconflit politique plus large ne semble pas avoir été une stratégie productive. La question dela Palestine a été passée sous silence. Aujourd’hui, le traité de paix du 26 octobre 1994 entreIsraël et la Jordanie règle la question de l’eau entre ces deux Etats. L’article 6 paragraphe2 du traité reconnaît le principe de l’utilisation équitable et raisonnable sans toutefois y faireexplicitement référence144.Cet article stipule que « les Parties s’engagent à assurer que lagestion et le développement de leurs ressources en eau ne porteront atteinte en aucunemanière aux ressources en eau de l’autre partie ». A travers cet article apparaît égalementle principe d’interdiction de dommage significatif. De plus, les parties se sont engagées àcoopérer en matière d’échange de données et de recherche et développement pour lesquestions relatives à l’eau.

La question de l’eau entre Israël et le Liban est également au cœur des relationsinterrégionales. Pour le Liban, l’eau du Litani et de ses influents revêt un triple intérêtpuisqu’elle assure une majeure partie de l’approvisionnement en eau du pays, fournit del’électricité et assure l’irrigation de l’agriculture du Liban-Sud. Toutefois, depuis le débutdu siècle les dirigeants sionistes ont souhaité que la frontière du futur Etat juif englobe lefleuve Litani. Cette région frontalière reste donc une région stratégique pour Israël du pointde vue de ses ressources hydrauliques. La crise du Wazzani en septembre 2002 en est

143 El Hassane Maghfour, hydropolitique et droit international au Proche Orient, op.cit., p.35.144 Raye M. Stephan, le droit international de l’eau peut il aider à résoudre le cas du bassin du Jourdain ? Congrès International

de Kaslik-Liban-18-20 juin 1998.

Page 89: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eaudouce

Mondange Adrien - 2009 89

une illustration concrète. A l’origine de cette crise est un petit projet de pompage que leLiban a démarré sur cette rivière qui alimente le Hasbani, un des affluents qui alimente leJourdain supérieur. Cet aménagement mineur est devenu une crise internationale. Israëla en effet menacé d’employer les armes si le Liban ne suspendait pas immédiatement leprojet. Le litige a mobilisé l’ONU, les Etats Unis ainsi que l’Union Européenne. Cet arbitragea permis temporairement un retour au calme, mais la situation reste sous tension. Il étaittoutefois indispensable pour le comité Wazzani (fondé par le Liban auprès de M. RaficHariri) de faire appel à des éléments de droit international pour fonder son argumentation.La Convention de 1997 n’ayant pas été ratifiée par Israël, les deux Etats ont préféré faireappel à un arbitrage international plutôt que d’appliquer le mode de règlement des différendsétabli par la Convention de New York (alors que les deux tiers des articles concernent lerèglement des différends). Israël, bien que non signataire de la Convention de New York,l’a indirectement utilisée, reprochant au Liban de ne pas avoir manifesté par l’intermédiairedes Nations Unies sa volonté d’installer une station de pompage sur le Wazzani. La faibleampleur de cet aménagement ne nécessitait pas une notification, d’autant plus que l’Etatd’aval n’est pas parti à la Convention.

La Jordanie est le pays du Moyen Orient le plus menacé de pénurie. Son déficit en eaua désormais atteint la cote d’alerte. La question de l’eau, liée à celle de l’environnementet de l’énergie, est l’une des trois têtes de chapitre des groupes de travail mis en placedans le cadre des négociations bilatérales israélo-jordaniennes. Le traité de paix de 1994entre les deux pays a permis d’évoquer de nombreux projets. Lors des négociations à Oslo,une commission a été mise sur pied pour régler les aspects juridiques liés à la question del’eau. Hormis les tensions entre les deux pays à propos des ressources en eau de la riveoccidentale, les relations entre les pays ont également été mises à l’épreuve à propos del’exploitation des eaux du Yarmouk. A plusieurs reprises (notamment en 1976 et en 1979)les Etats Unis durent intervenir pour proposer une médiation. Ce n’est qu’en 1994 que letraité de paix israélo jordanien sera signé, comportant l’un des plus célèbres accords departage de l’eau au monde145. Cet accord comprend entre autres clauses des échangesinter-saisonniers d’eau entre les deux pays, la reconnaissance des droits de la Jordanie surles eaux du Jourdain dont les eaux sont actuellement exploitées par Israël, ou encore laconstruction d’ouvrages.

De manière plus générale, les différentes phases du conflit israélo-arabe devenuensuite le conflit israélo palestinien montrent que l’eau a été une problématique majeure.Dans un mémoire réalisé en 1989 à l’IEP de Lyon, Laurent-Olivier Mallet affirmait que « lessolutions liées au problème de l’eau ne peuvent être que politiques, puisqu’elles touchentaux intérêts des nations ou des communautés. Chaque pays peut envisager des solutionsqui lui soient propres, comme on peut imaginer une tentative de règlement régional duproblème de l’eau. La seule limite aux choix politiques est la réalité hydraulique […] » 146.Selon nous il convient de nuancer cette affirmation. L’eau reste dans la région un enjeupolitique, et dans l’état actuel du droit international il est peut être juste de dire que seuleune volonté politique permettra de mettre fin à la crise de l’eau. Le droit international, bâtisurtout par les Etats et pour eux, ne doit pas oublier non plus les individus. Le droit de l’eau

145 Pour de plus amples informations sur cette question, voir par exemple : Laurent-Olivier Mallet, Géopolitique de l’eau auProche Orient, L’eau entre Israel et ses voisins : enjeux et stratégies, mémoire, IEP de Lyon, 1989-90, sous la direction de GeorgesMutin pour une synthèse des accords concernant le Yarmouk ; voir aussi l’article un Jordanien qui se mouille, Amy Otchet, Courrierde l’Unesco, n°54, octobre 2001, p.22…

146 Laurent-Olivier Mallet, Géopolitique de l’eau au Proche Orient, L’eau entre Israel et ses voisins : enjeux et stratégies,mémoire, IEP de Lyon, 1989-90, sous la direction de Georges Mutin, p.54.

Page 90: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

90 Mondange Adrien - 2009

ainsi que le droit à l’eau doivent s’affirmer dans cette région. La Convention de New Yorkde 1997 aurait pu aider dans ce type de situation, encore faudrait il réussir à dépasser leclivage politique essentiel et à instaurer au moins dans le cadre de cette négociation uneatmosphère de confiance entre les deux Etats. Sur le plan politique, le dossier de l’eau estde toute première importance dans un éventuel règlement de la paix. La population dans larégion ne cesse d’augmenter et les experts prévoient en outre de graves pénuries à venir.Le règlement ne peut être que régional par des transferts d’eau ou par le recours à destechniques coûteuses, comme le dessalement de l’eau de mer et le recyclage des eauxusées.

Sous section 2 un cas extrême : Israël-PalestineCertaines lignes de conflit entre les deux protagonistes ont été soulevées plus haut, etnous n’y reviendrons donc pas. Il nous a toutefois semblé essentiel de revenir sur quelqueséléments et d’ajouter quelques réflexions, sans quoi ces recherches sur le droit internationaldes ressources en eau douce nous auraient semblé incomplètes.

Ajoutons simplement que les aquifères de Cisjordanie et de Gaza constituent un enjeumajeur. Le déséquilibre entre Israéliens et Palestiniens en matière d’accès à l’eau ne semanifeste pas uniquement à travers le fossé qui sépare la consommation en eau desdeux populations respectives, mais également en matière de diversité des sources d’accèsà l’eau et des réseaux de distribution. L’importance hydraulique de la Cisjordanie résideprincipalement dans ses eaux souterraines .Ce territoire occupé constitue une zone derecharge majeure pour l’aquifère montagneux. Les estimations indiquent que 80 à 90%des eaux de cet aquifère proviennent des précipitations tombant sur les pentes de laCisjordanie. Toutefois, les Israéliens bénéficient d’une situation privilégiée, et plusieursauteurs s’accordent à dire que l’exploitation des aquifères faite pas Israël n’est rien demoins qu’une illustration de la loi du plus fort147. Malgré les négociations entamées avant ledéclenchement de la seconde Intifada concernant le statut final des territoires palestiniens,Israël entend conserver la mainmise sur les ressources en eau de la Cisjordanie et duGolan. Les travaux des Nations Unies sur le sujet indiquent par ailleurs que l’application deslois israéliennes sur les Territoires occupés a entraîné des modifications quant aux usageslégitimes de l’eau selon la législation de Gaza. La politique israélienne est conçue pourassurer en priorité un approvisionnement en eau suffisant aux colons juifs et au réseauhydraulique israélien.

Le pompage massif des eaux de Cisjordanie et de la bande de Gaza par les colonsisraéliens, pompage associé à des technologies de plus en plus performantes permettantde capter des nappes de plus en plus profondes, a conduit à une détérioration qualitativeet quantitative des eaux. Cette dégradation pourrait à terme devenir irréversible. Outrel’aspect sécuritaire déjà évoqué, les aspects géopolitiques sont ici évidents. Depuis 1967Israël a utilisé ses gains hydro stratégiques pour augmenter sa consommation des eauxdu Jourdain et interdire aux Palestiniens l’accès à certaines ressources en eau douce.La colonisation des territoires palestiniens, rendue possible en partie par les facilités depompage et la maîtrise du réseau de distribution, permet d’imposer des restrictions àl’utilisation palestinienne de l’eau ainsi qu’une restriction du territoire que les palestinienspeuvent eux-mêmes occuper. En Cisjordanie, la quantité d’eau utilisée par les colonsisraéliens représente 40% de l’utilisation palestinienne, ce qui signifie que chaque colondispose de 5 à 6 fois plus d’eau qu’un Palestinien. Israël dispose également du pouvoir

147 Voir par exemple Georges Mutin, l’eau dans le monde arabe, op.cit., p.93 ; Hélène Willart, le droit international de l’eauet son rôle dans l’élaboration de la paix, op.cit., p.86.

Page 91: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eaudouce

Mondange Adrien - 2009 91

d’imposer les prix de l’eau. Israël subventionne en effet fortement l’eau agricole, ce quin’incite pas les colons à restreindre l’usage de cette ressource.

La politisation de cet enjeu en fait un problème extrêmement difficile à résoudreparticulièrement dans cette région du monde. L’Etat d’Israël n’est pas prêt à accepterun règlement politique de la question palestinienne qui le priverait de tout contrôle desressources en eau de la Cisjordanie. Cette éventualité avait bien été soulevée pendantles négociations de Camp David, mais Israël a clairement réaffirmé son refus d’accepterune autonomie des territoires en matière d’eau. Pour Amir Shapira, « il était inconcevablequ’Israël n’inclue pas dans son plan d’autonomie des clauses qui empêchent l’éclosiond’une situation où il se trouverait impuissant face à des éléments locaux qui, bénéficiant defonds d’origine étrangère, procèderaient à des forages profonds afin de pomper l’eau desnappes aquifères […] de la Samarie occidentale, qui fournissent le tiers environ de l’eauconsommée par Israël et qui sont alimentées par les eaux des montagnes de Samarie »148.Les enjeux sont complexes et ils sont interdépendants.

L’intérêt de la Convention de New York de 1997 peut être analysé à travers cet exemplequi reste pour l’instant le plus complexe et le plus alarmant. L’immense écart de puissanceentre entre Israël et la Palestine entrave toute possibilité de négociation. Le rapport deforce, qu’il soit économique, technologique ou encore militaire, renforcé par l’attitude de lacommunauté internationale, est très inégal. Or la coopération ne pourrait s’établir que sur labase de l’égalité des parties. Un autre problème est le fait que la Convention de New Yorkexclue de son application les nappes souterraines confinées, qui constituent la principalesource d’eau contestée.

Notons qu’il n’existe pas de comité indépendant d’experts à même de déterminer lanature des ressources en jeu et les caractéristiques pertinentes. Seuls les soldats de l’arméeisraélienne contrôlent l’information qui relève de la sécurité nationale. Une évaluationdes besoins serait nécessaire afin de procéder à un partage équitable et raisonnable.Les Israéliens ne peuvent pas continuer à exploiter l’immense majorité des ressourcesen eau douce, de même que la demande des Palestiniens d’inverser complètement lesproportions d’utilisation n’est peut être pas juste en considération de ce principe non plus.Il s’agirait de prendre en compte différents facteurs de la doctrine de l’utilisation équitableet raisonnable (que l’on retrouve à la fois dans les règles d’Helsinki et dans le projet dela CDI), parmi lesquels les attributs naturels des sources d’eau, les usages existants, lesbesoins économiques et sociaux..., tout en considérant l’article 10 (2) de la Convention quis’applique « en ca de conflit entre des utilisations ».

Il s’agirait également de se demander la place à accorder au principe de l’utilisationéquitable et raisonnable, tout en tenant compte de l’interdiction de causer des dommagesappréciables. En effet, si même au plan environnemental l’interdiction de causer desdommages appréciables est soumise au principe de l’utilisation équitable, il faut toutefoisbien garder à l’esprit que l’usage des ressources est déjà excessif car il dépasse la capacitéde recharge du cycle hydrologique dans la région.

Il faut également mettre sur la balance les besoins humains de base. Qu’il s’agissede l’estimation des besoins socioéconomiques sur la base de la population, des besoinsagricoles de base ou du degré de développement, tous ces facteurs penchent en faveurd’une réallocation vers les Palestiniens.

148 Amir Shapira, Water Specialists Warn that Autonomy in the West Bank will expose Israel to the danger of Loss of WaterReserves, Al Hamishar, 25 juin 1978, cité dans Politique d’Israël en ce qui concerne les ressources en eau de la Rive Occidentale, àl’intention du et sous la direction du Comité pour l’exercice des droits inaliénables du people palestinien, Nations Unies, 1980, p.5.

Page 92: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

92 Mondange Adrien - 2009

Ainsi, l’examen de la pertinence de quelques principes de fond, notamment l’utilisationéquitable et raisonnable, montre que ceux-ci demeurent rhétoriques puisque les conditionspréalables nécessaires à leur mise en œuvre demeurent insuffisantes. La réalisation de cesconditions dépend une fois encore de la volonté politique des protagonistes, ce qui nousrenvoie à la question du caractère contraignant des normes en vigueur en ce qui concernele droit international des ressources en eau douce.

Ces études de cas font apparaître l’idée que le droit international et la paixsont liés, mais que leur relation peut prendre deux tournures différentes. En effet,on pourrait considérer que pour appliquer le droit international, la paix doit régner, etdonc que l’application laborieuse du droit international résulte des climats conflictuelsqui règnent dans certaines parties du monde. Toutefois, mais cela reste bien entenduconditionné à une volonté politique, on pourrait soutenir la version selon laquelle ledroit international est un facteur de paix. Les traités et les conventions internationalespeuvent progressivement instaurer sur certains points une habitude de négociation et decoopération. L’interdépendance entre les Etats, qui est une théorie développée en relationsinternationales par les libéraux, pourrait être une interdépendance envisagée non seulementsur un plan économique mais aussi sur un plan juridique. Il s’agirait pour cela de s’assurerdes bases solides du droit international, et le cas échéant les remettre en cause. Le bilande la pacification au Proche Orient en référence au droit international reste pour l’instantmaigre, du fait de l’instabilité des engagements, et parce que les accords ont été signéssans véritable volonté politique de changement.

De toute façon, le règlement de certaines situations ne peut passer que par lanégociation. La paix au Proche Orient n’est certainement possible que par la négociation,même si pour l’instant ce sont les plus forts qui l’emportent sur les autres. L’on pourraitpousser le raisonnement plus loin, en supposant que le règlement d’un conflit pourl’utilisation de l’eau puisse pousser les belligérants à négocier, et traiter ainsi d’autresthématiques. Les accords de paix entre Israël et l’Egypte en 1979 et entre Israël et laJordanie en 1994 l’illustrent bien. Ces accords ne portaient pas initialement sur la questionde l’eau, pourtant celle-ci est traitée dans les accords.

Page 93: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Conclusion

Mondange Adrien - 2009 93

Conclusion

Notre étude a révélé les difficultés inhérentes au partage des ressources en eau douce. Ledroit international dont l’objectif premier reste la prévention et, le cas échéant, la résolutiondes conflits interétatiques, doit concilier des intérêts antagonistes. L’eau est un élément queles Etats ont pendant longtemps considéré comme une ressource naturelle classique, etont ainsi considéré qu’ils pouvaient la traiter en Etats souverains. Une telle approche n’estaujourd’hui plus envisageable, c’est la raison pour laquelle la souveraineté des Etats doitêtre limitée. Affirmer la souveraineté totale d’un Etat sur ses ressources en eau douce, c’estpriver un autre Etat d’une ressource vitale pour son activité économique, sa population.

La mise en place de la Convention de New York de 1997 relative aux utilisations descours d’eau à des fins autres que la navigation cherche à répondre à la problématique dela répartition des ressources en eau douce. Il s’agit d’un texte consacrant l’aboutissementd’un long travail qui a notamment servi à cristalliser l’évolution coutumière, tout en essayantdans le même temps de ne pas laisser de côté le développement du droit international enla matière.

Nous l’avons dit, le mythe de la guerre de l’eau est à relativiser dans la mesureoù les situations conflictuelles autour des ressources en eau partagées ne dégénèrentpratiquement jamais en conflit armé, le partage des ressources en eau ne restant qu’unélément alimentant certains conflits parmi d’autres, mais ne constituant en aucun cas laseule cause du conflit. D’après Jacques Bethmont, « il se peut qu’il n’y ait pas dans un avenirprévisible de « guerres » de l’eau au sens convenu du terme, avec ultimatum et rappeld’ambassadeurs, mais les incidents de frontière, les luttes intestines, les procès d’intention,voire les exactions caractérisées sont là et iront sans doute en se multipliant, l’eau étanttour à tour la cause, le prétexte ou l’une des composantes de ces multiples troubles »149.

De plus en plus d’instruments se développent à l’échelle internationale pour aider lesEtats à concilier leurs intérêts de manière pacifique. Si les tensions interétatiques subsistentaujourd’hui au sujet du difficile partage des ressources en eau, la voie de la concertationse développe. La communauté internationale prend conscience progressivement que seulsdes instruments de concertation sont à même d’apporter une réponse précise et la plusjuste possible à un problème aussi important. La mise en place de tels instruments n’allaitpas de soi, et nous avons montré que le droit international de l’eau est un droit évolutif,qui se construit en réponse à des problèmes précis et peine à rassembler une majoritéd’Etats sur beaucoup de points. L’eau peut en quelque sorte toujours être perçue comme unenjeu de pouvoir et les cours d’eau internationaux des espaces géopolitiques dans lesquelss’affrontent les souverainetés étatiques. C’est en tout cas la vision la plus pessimiste quel’on puisse adopter, car elle signifie que les communautés d’intérêt ne fonctionnent pas etne s’appliquent pas en ce qui concerne le partage des ressources en eau douce. SelonSylvie Paquerot, « les contradictions, toujours plus importantes avec la diversification etl’augmentation des usages de l’eau, entre intérêts particuliers des Etats et exigences degestion intégrée d’une ressource par nature commune, ont empêché la cristallisation de

149 Bethmont, Jacques, Les grands fleuves. Armand Colin, Paris : 1999, p.208, cité par WILLART, Hélène, op.cit, p.119.

Page 94: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

94 Mondange Adrien - 2009

principes cohérents avec la réalité, fondés sur une communauté d’intérêts de tous lesriverains, bien que ceux-ci aient trouvé à s’exprimer largement dans la doctrine »150.

Les concepts juridiques visant à qualifier cette ressource vitale en droit internationalrestent aujourd’hui encore imprécis. Les travaux préparatoires et les débats de laCommission de Droit International ayant finalement conduit à l’élaboration de la Conventionde New York de 1997 ont fait apparaître des antagonismes forts, la conceptualisation del’objet en elle-même recélant des enjeux quant à sa considération juridique et aux normesqui s’y appliquent. L’une des difficultés dans l’utilisation du texte de la Convention de NewYork est relative à l’interprétation qu’en font les Etats riverains d’un fleuve international.La Convention pose en effet des principes pour des principes tels que l’obligation decoopérer, l’interdiction de causer un dommage significatif, ou encore l’utilisation équitableet raisonnable. Ces principes visent à permettre un partage équitable dans les meilleuresconditions possibles. Toutefois ces principes restent soit vagues soit imprécis et soumisà l’interprétation variable que peuvent en faire les Etats concernés. La conciliation entrele principe de l’utilisation équitable et raisonnable et l’interdiction de causer un dommagesignificatif est complexe et traduit l’antagonisme récurrent entre Etats d’amont et Etatsd’aval, les premiers ayant tendance à privilégier l’utilisation équitable et raisonnable tandisque les seconds mettront généralement l’accent sur l’interdiction de causer des dommagessignificatifs. Aucun étalon de mesure ni aucune piste concrète n’est donnée dans le textede la Convention pour aider à défendre l’instauration d’un usage équitable qui ne cause pasde dommages significatifs aux Etats d’aval. Toutefois cet instrument qu’est la Conventiontémoigne incontestablement d’une prise de conscience de la communauté d’internationaleet de la volonté d’œuvrer à la mise en place de solutions. D’ailleurs cet instrument a puêtre repris dans des traités et accords régionaux. Ceux-ci ont l’avantage d’être mis en placedans un cadre précis et peuvent donc aller plus loin que la Convention elle-même, marquantainsi une réelle volonté des Etats de parvenir à une solution juste.

Certains aspects inhérents à la répartition des ressources en eau douce sont encoremal pris en compte, et des vides juridiques criants sont apparus au fil de notre étude. Lesystème de règlement des différends est encore peu contraignant - pas assez contraignant -,les préoccupations environnementales peuvent sembler encore trop lointaines et certainesressources particulières ne font l’objet d’un traitement qu’à la marge. En effet, les aquifèresqui constituent pourtant une ressource en eau douce essentielle sur notre planète ne sontque partiellement pris en compte, voire pas du tout pour certains. Il aura fallu attendre le 11

décembre 2008 pour que la 63e session de l’Assemblée Générale des Nations Unies adopteune résolution de soutien à un projet d’articles sur le droit des aquifères transfrontaliersadopté en juin 2006. Le travail législatif est encore loin d’être terminé, et même la formedéfinitive que devra prendre ce projet n’est pas arrêtée. Il s’écoulera encore du temps avantque ce projet ne produise des effets notoires. De plus, nous pouvons déplorer l’absencede référence à un droit humain à l’eau dans les textes internationaux. Le concept de droithumain n’apparaît nulle part associé à la Convention, que ce soit dans le corps même ouencore dans les commentaires intégrés au projet de la CDI. La Convention ne créé aucuneobligation pour les Etats d’agir au plan national. L’affirmation des besoins humains essentielsne s’accompagne d’aucune obligation juridique de protection, de promotion ou encore demise en œuvre d’un droit humain correspondant.

Toutefois notre étude n’a pas mis en lumière que des aspects négatifs ou des critiquesadressées au droit international de l’eau. En effet, nous l’avons dit, la communautéinternationale prend conscience de l’importance de la construction de cette matière du droit

150 Sylvie Paquerot, eau douce, op.cit, p.232.

Page 95: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Conclusion

Mondange Adrien - 2009 95

international et tend progressivement à limiter la souveraineté étatique. On peut toujoursavancer que la limitation de la souveraineté est insuffisante, mais on ne peut pas réellementaffirmer avec force que cette limitation est inexistante. La solidarité est susceptible derevêtir un aspect juridique, et ce grâce à la mise en avant de principes de coopération,grâce à la définition de communautés d’intérêts. Si chacun cherche à défendre ses propresintérêts, en revanche de plus en plus d’Etats comprennent la nécessité de résoudre un telproblème de façon concertée, même si cela semble extrêmement complexe tant les rapportsde force dans certaines régions du monde sont particulièrement inégaux. Il en est ainsipar exemple au Proche-Orient. L’eau y est une ressource d’autant plus stratégique qu’elleest inégalement répartie et relativement rare. Les arrangements sont parfois seulementtemporaires et trahissent la supériorité d’un Etat ou d’un groupe d’Etats sur un autre.Certaines situations semblent particulièrement complexes. C’est le cas de la répartition desressources en eau douce entre Israël et la Palestine. En dépit de cette réalité les Etatsdisposent d’outils qui peuvent leur permettre de résoudre leurs différends hydrauliques. Denombreux intérêts doivent être pris en compte, comme les intérêts économiques, politiques,les intérêts vitaux des populations en cause, des intérêts stratégiques ayant trait à la défensenationale. L’eau est dans cette région un facteur exacerbant les tensions déjà existantes. Ledroit international peut certainement être utilisé par les Etats pour parvenir à une solution.

Le droit international de l’eau doit encore aller plus loin, en renforçant les contraintespouvant s’appliquer aux Etats, en supprimant certaines zones d’ombre et en intégrant desnotions essentielles notamment en ce qui concerne les droits applicables aux personnes.L’eau est devenue un enjeu géostratégique mondial et régional. Le droit international del’eau est confronté à un défi important, défi qu’il tente de relever en instaurant un système desolidarité entre les Etats et en réduisant la part de la souveraineté étatique dans la gestiondes ressources en eau douce.

Aucune étude concernant la répartition des ressources en eau douce ne serait complètesans la prise en compte de la volonté politique. D’après Jochen Sohnle, le XXIe sièclepourrait s’annoncer, « faute de respect par les Etats de certains principes conciliateurs telsque le principe de solidarité, comme celui des conflits sur l’eau »151. Si le droit internationalcontient des normes intéressantes, il reste que la volonté politique nécessaire pour leurapplication effective n’est pas toujours au rendez-vous. Tout accord sur le partage d’eauxinternationales requiert préalablement une entente qui ne peut venir que d’une volontépolitique, sans laquelle le droit international de l’eau serait condamné à rester caduque.

151 Jochen Sonhle, le droit international des ressources en eau douce, op.cit, p. 467.

Page 96: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

96 Mondange Adrien - 2009

Bibliographie

Ouvrages et articles de périodiquesL’eau, enjeu mondial

ANCTIL, François, l’eau et ses enjeux, Bruxelles : De Boeck , DL 2008, 228 p.

ASSOULINE, Janine et Samuel, Géopolitique de l’eau, nature et enjeux, 2e édition,Levallois-Perret : Studyrama, impr. 2009, 140 p.

BARLOW, Maude et CLARKE, Tony, L'or bleu : l'eau, le grand enjeu du XXIe siècle,Paris : Fayard , 2002, 390 p.

GALLAND,Franck, L’eau. Géopolitique, enjeux, stratégies, Paris : CNRS éd., impr.2008.

GLEICK, P.H., La valeur d’une goutte d’eau, Dossier pour la science, janvier-mars2008, volume 58.

GLEICK, P.H, Water in crisis : a guide to the world’s fresh water resources, Oxford :Oxford University Press, 1993, 504 p.

Grands fleuves : du conflit au partage, Courrier de l’UNESCO, octobre 2001, volume54, dossier p.16-39.

LASSERRE, Frédéric, L’eau, enjeu mondial- géopolitique du partage de l’eau, Paris : LeSerpent à Plumes, 2003, 233 p.

MIKAIL, Barak, L’eau, source de menaces ?, Paris : IRIS : Dalloz , DL 2008, 153 p.SIRONNEAU, Jacques, L’eau : nouvel enjeu stratégique mondial, Paris : Economica,

1996. 108 p.Droit international et droit international de l’eau

ALFANDARY, Emmanuelle, Droit de l’eau : gestion et protection, MB Editions, 2003, 90p.

BENVENISTI, Eyal, Collective Action in the Utilization of Shared Freshwater :The Challenge of International Water Resources Law . The American Journal ofInternational Law, Vol.90, No.3, Juillet 1996, p.384-415.

BUIRETTE, Patricia, genèse d’un droit fluvial général . Revue Générale de DroitInternational Public, 1991, volume 95, p. 5-70.

CAFLISCH, Lucius, La convention du 21 mai 1997 sur l’utilisation des cours d’eauinternationaux à des fins autres que la navigation . Annuaire Français de DroitInternational, 1997, 43, Paris : CNRS Editions p.751-798.

Page 97: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Bibliographie

Mondange Adrien - 2009 97

CAPONERA, Dante A., les principes du droit de l’administration des eaux, droit interneet droit international. Paris : Ed. Johanet, cop. 2000, 352 p.

CAPONERA, Dante A., Les eaux partagées et le droit international , CongrèsInternational de Kaslik, Liban-18-20 juin 1998.

CHESNOT, Christian, La Bataille de l’eau au Proche Orient, Paris : éditionsl’Harmattan, 1993, 222 p., collection comprendre le Moyen Orient.

CORKOGLU, Ali, MINE, Eder, Domestic concerns and the water conflict over theEuphrate-Tigris river basin. Middle Eastern studies, London : 2001, vol.37-1, p. 41-71.

CORTEN, Olivier, the notion of “Reasonable” in International Law: Legal Discourse,Reason and Contradictions . The International and Comparative Law Quaterly, Juillet1999, Vol.48, No. 3, p.613-625, Cambridge University Press.

CROOK, John R. and McCAFFREY, Stephen C., The United Nations start Work on awatercourses convention. The American journal of international law , Avril 1997, Vol91, N°2, p.374-378.

De CHAZOURNE, Laurence Boisson, DESGAGNE, Richard, ROMANO, Cesare, Protection internationale de l’environnement : recueils et instruments juridiques .Paris : A. Pedone , 1998, 1117 p.

DRESSAYRE, Christelle, La mise en place du droit international de l’eau : mythe ouréalité? Thèse, Université de Montpellier I, 2002, 3 vol.,757 f.

DROBENKO, Bernard, L’essentiel du droit de l’eau, Gualino éditeur, 2008, 122 p.DROBENKO, Bernard, Vers une stratégie durable de gestion des fleuves. Les cahiers

du CRIDEAU, volume 8, 2003.DUPUY, Pierre-Marie, Où en est le droit international de l’environnement à la fin du

siècle ? Revue Générale de Droit International Public, 1997-4, p.873-903.EDELAMN, Bernard, DE FONTENAY, Elisabeth, GROS, François, HERMITTE, Marie-

Angèle,... [et al.], l’homme, la nature et le droit, textes présentés et publiés parBernard Edelman et Marie-Angèle Hermitte, Paris : C. Bourgois, DL, 1988, 391 p.

GELARD, Jean-Pierre (sous la direction de), l’eau, source de vie, source de conflits,15ème [colloque organisé par] Le Monde diplomatique [et] Carrefours de la pensée,[Le Mans], 11 au 13 mars 2005. Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2006,283 p.

KISS, Alexandre, BEURIER, Jean-Pierre, Droit international de l’environnement, 3e

édition. Paris : A.Pedone , 2004, 503 p.LASSERRE F., BOUTET A., Le droit international réglera-t-il les litiges du partage

de l'eau ? Le bassin du Nil et quelques autres cas . Etudes Internationales -vol.XXXIII,n°3,septembre 2002, p. 497-514.

MAGHFOUR, El-Hassane, Hydropolitique et droit international au Proche-Orient. Paris :l'Harmattan , DL 2008, 321 p.

MALLOT, Laurent Olivier, Géopolitique de l’eau au Proche-Orient (l’eau entre Israel etses voisins : enjeux et stratégies), Mémoire, IEP de Lyon, 1989-90, 83 p.

McCAFFREY, Stephen C. and SINJELA, Mpazi, the UN Convention on InternationalWatercourses . The American journal of international law, Janvier 98, Vol 92, N°1, p.97-107.

Page 98: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

98 Mondange Adrien - 2009

McCAFFREY, Stephen C., SINJELA, Mpazi, The 1997 United Convention onInternational Watercourses . The American Journal of International Law, Vol.92,No.1, Janvier 1998, p.97-107.

McCAFFREY, Stephen C., The law of international watercourses , 2nd edition,Oxford New York Auckland : Oxford University press, cop. 2007, Première éditionpubliée sous le titre : "The law of international watercourses : non-navigational uses",598 p.

MUTIN, Georges, l’eau dans le monde arabe. Paris : Ellipses, 2000, 156 p., CollectionCarrefours de Géographie.

PANCRACIO, Jean-Paul, Droit international des espaces. Paris : A. Colin , 1997, 281 p.

PAQUEROT , Sylvie, Le droit international et la coopération dans le domaine del’eau , VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement , Hors-série2, septembre 2005, [En ligne], mis en ligne le 01 septembre 2005. URL : http://vertigo.revues.org/index1923.html.

PAQUEROT, Sylvie. Mise en œuvre effective des droits humains fondamentaux :la nécessaire reconsidération du statut des ressources vitales internationales.Université de Québec, Montréal, 2000.

PAQUEROT, Sylvie, Eau douce : la nécessaire refondation du droit international ,Sainte-Foy (Québec) : Presses de l'Université de Québec , 2005, 246 p.

POYDENOT, Anna, le droit international de l’eau, état des lieux, Notes d’analyse duCIEHEAM, N°29 février 2008, p.2-34.

RUIZ FABRI, Hélène, Règles coutumières et droit international fluvial . AnnuaireFrançais de Droit International, 1990, XXXVI, Paris : Editions du CNRS, p.818-842.

REMOND-GOUILLOUD, Martine, Ressources naturelles et choses sans maître ,Recueil Dalloz, 31 janvier 1985, volume 5, p.27-34.

SANTULLI, Carlo, Travaux de la Commission du Droit international (cinquante-sixièmesession), Annuaire Français de Droit International, Paris : CNRS éditions, 2004, p.564-579.

SCHWEBEL, Stephen M., Speech by Judge Stephen M. Schwebel, on the report ofthe international court of justice . The American journal of international law, Juillet1998, Vol. 92, N°3 p. 612-617.

SELBY, Jan, The Geopolitics of Water in the Middle East: Fantasies and Realities .Third World Quaterly, Vol.26, No.2, 2005, p.329-349.

SIRONNEAU, Jacques, le droit international de l’eau existe-t-il ?- Evolutions etperspectives, novembre 2002, ministère de l’écologie et du développement durable,direction de l’eau.

SMETS, Henri, Le Droit à l’eau, Académie de l’eau-CEDE-AESN, 2002.

SOHNLE, Jochen, Irruption du droit de l’environnement dans la jurisprudence de laCIJ : l’affaire Gabcikovo-Nagymaros. RGDIP, 1998, vol.1, p.85-121

SOHNLE, Jochen, Le droit international des ressources en eau douce : solidarité contresouveraineté. Paris : La documentation française, 2002, 606 p.

Page 99: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Bibliographie

Mondange Adrien - 2009 99

STEPHAN, Raya M., Le droit international peut il aider à résoudre le cas du bassin duJourdain ?, Congrès International de Kaslik-Liban-18-20 Juin 1998.

TROTTIER, Julie, Water and the Challenge of Palestinian Institution Building . Journalof Palestine Studies, XXIX, n°2, Hiver 2000, p.35-50.

VERHOEVEN, Joe, les accords de Charlevilles-Mézières du 26 avril 1994 sur l’Escautet sur la Meuse . AFDI, 1997, XLIII, Paris : CNRS Editions, p.799-809.

WILLART, Hélène, le droit international de l’eau et son rôle dans l’élaboration dela paix, l’exemple du partage des ressources en eau de l’Oronte et du Jourdain .Mémoire, IEP Toulouse, avril 2004, 145 p.

Relations internationales et eaux transfrontalières

BURCHILL, Scott, LINKLATER, Andrew, Theories of International Relations , 3eedition. Palgrave Macmillan, 2005, 310 p.

COLLINS, Alan, Contemporary Security Studies , Oxford : Oxford University Press,2007, 444 p.

DEFARGES, Philippe Moreau, L’ordre mondial , 3e édition. Paris : éditions Dalloz,2003, 199 p., collection U.

LAIME, Marc, CUEL, François, VIBERT GUIGUE, Jean-Louis, Les batailles de l’eau.Paris : éditions Terre Bleue, DL 2008, 350 p.

MILTON-EDWARDS, Beverley, Contemporary Politics in the Middle East , 2eedition. Cambridge : Polity Press, 2007, 311 p.

MUNKLER, Herfried, Les Guerres Nouvelles . Paris : Alvik éditions, 2003, 255 p.SMOUTS, Marie-Claude, BATTISTELLA, Dario, VENNESSON, Pascal, Dictionnaire

des relations internationales , Dalloz, Paris, 2003.

Documents officiels et juridiques

Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à desfins autres que la navigation. Résolution adoptée par l’Assemblée Générale desNations Unies le 8 juillet 1997, A/RES/51/229 – Document UN 97-77294, disponible àl’adresse suivante : http://internationalwaterlaw.org/index.html

Résolution sur le droit des aquifères transfrontaliers, adoptée le 11 décembre 2008

lors de la 63e session de l’Assemblée Générale des Nations Unies, New York.A/63/PV.67 11 Dec. 2008 GA/10798 , disponible à l’adresse suivante : http://untreaty.un.org/ilc/reports/2008/2008report.htm (section « ressources naturellespartagées).

Agenda 21, chapitre 18, Convention de Rio, juin 1992, « Protection des ressources eneau douce etr de leur qualité : application d’approches intégrées de la mise en valeur,de la gestion et de l’utilisation des ressources en eau ». Disponible à l’adressesuivante : http://www.un.org/french/ga/special/sids/agenda21/action18.htm .

Page 100: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

100 Mondange Adrien - 2009

Accord de paix jordano-israélien. Signé le 23 octobre 1994 Disponible sur : http://www.lawresearch.com/v2/global/zil.htm

Directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000,établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau.Disponible sur : http://europa.eu/scadplus/leg/fr/lvb/l28002b.htm

Déclaration Ministérielle à l’occasion du 4ème Forum Mondial de l’Eau, 21 et 22mars 2006. Disponible sur : https://pastel.diplomatie.gouv.fr/editorial/actual/ael2/bulletin.asp?liste=20060328.html

Transboundary Aquifers – Managing a Vital Resource, The UNILC Draft Articles onthe Law of Transboundary Aquifers, édité par Raya Marina Stephan, United NationsEducational, Scientific and Cultural Organization, Paris, 2009. Disponible sur : http://unesdoc.unesco.org/images/0018/001824/182431e.pdf

Principaux sites Internet consultés

Office international de l’eau (oieau) [en ligne], < http://www.oieau.fr >. PortailInternet regroupant des organismes privés et publics impliqués dans la gestion desressources en eau dans le monde.

www.monde-diplomatique.fr

www.lemonde.fr

UN Water for Life, International Decade for Action, 2005-2015 [en ligne], UN WebServices Section, Department of Public Information, United Nations © 2006,[page consultée le 15 mars 2009], < http://www.un.org/waterforlifedecade/issues.html#trans >.

UNESCO Water [en ligne]. < http://www.unesco.org/water >, Portail Internet del’UNESCO traitant de la question de la répartition des ressources en eau douce dansle monde. Articles de fond, évènements et actualités.

International Shared Aquifer Resources Management [en ligne]. < http://www.isarm.net>. Créé en 2000 à l’initiative de l’UNESCO, cet organisme travaille sur les aspectsscientifiques, socio-économiques, légaux, institutionnels et environnementaux enrapport avec la gestion des aquifères dans le monde. A notamment publié et mis àjour dernièrement la première carte des aquifères transfrontaliers.

Découvrir l’eau : cycle de l’eau et réservoirs [en ligne], CNRS, [page consultée le 10février 2009], < http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/doseau/decouv/cycle/menuCycle.html >.

United Nations. < www.un.org >. Si te des Nations Unies, sur lequel sont notammentdisponibles les traités et conventions.

Planète Bleue.info [en ligne]. < http://eau.apinc.org >. « Portail alternatif sur l’eau »,présentant des informations et analyses classées par pays, par Sommet, avec desliens vers les sites des organisations internationales.

Page 101: la gestion des ressources en eau douce en droit international

Bibliographie

Mondange Adrien - 2009 101

International Water Law Project, Addressing the future of water law and policy in

the 21st century [en ligne]. < http://internationalwaterlaw.org/index.html >. Siteregroupant des publications juridiques, listant des organisations internationalesspécialisées, relatant l’actualité de la gestion des ressources en eau douce.

Page 102: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

102 Mondange Adrien - 2009

ANNEXES

Annexe 1 : Les aquifères transfrontaliers dans lemonde

Page 103: la gestion des ressources en eau douce en droit international

ANNEXES

Mondange Adrien - 2009 103

Annexe 2 : Convention sur le droit relatif auxutilisations descours d’eau internationaux à desfins autres que la navigation, 14 mai 1997 (sélectiond’articles)

NATIONS UNIESDistr. GÉNÉRALE A/51/869 Nouveau tirage pour raisons techniques. 14 mai 1997

FRANÇAISORIGINAL : ANGLAISCinquante et unième session Point 114 de l'ordre du jourCONVENTION SUR LE DROIT RELATIF AUX UTILISATIONS DES COURS D'EAU

INTERNATIONAUX À DES FINS AUTRES QUE LA NAVIGATIONRapport de la Sixième Commission réunie en Groupe de travail plénierPrésident : M. Chusei YAMADA (Japon)I. INTRODUCTION[…]8. Durant l'élaboration du projet de convention sur le droit relatif aux utilisations des

cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation, le Président du Groupe detravail plénier a pris note des déclarations d'accord ci-après relatives aux textes du projetde convention :

En ce qui concerne l'article premier :a) La notion de "préservation" visée dans cet article et dans la Convention englobe celle

de "conservation";b) La présente Convention ne s'applique à l'utilisation des ressources biologiques des

cours d'eau internationaux que dans la mesure prévue dans la quatrième partie et pourautant que d'autres utilisations du cours d'eau affectent ces ressources.

En ce qui concerne l'article 2 c) :L'expression "État du cours d'eau" est utilisée dans la présente Convention comme un

terme de l'art. Bien que cette disposition prévoie que tant les États que les organisationsd'intégration économique régionale peuvent entrer dans cette définition, il a été reconnuque rien dans cet alinéa ne peut être considéré comme impliquant que les organisationsd'intégration économique régionale ont le statut d'État en droit international.

En ce qui concerne l'article 3 :a) La présente Convention servira de cadre aux futurs accords relatifs aux cours d'eau

et, une fois que de tels accords seront conclus, elle ne modifiera en rien les droits etobligations qui y seront prévus, sauf stipulation contraire desdits accords.

b) Le mot "significatif" n'est pas employé dans le présent article ni dans aucune autredisposition de la présente Convention dans le sens de "considérable". Ce qu'il faut éviter, cesont les accords localisés ou les accords concernant un projet ou un programme particulierou une utilisation particulière qui portent atteinte de façon significative à l'utilisation des eauxpar des États tiers du cours d'eau. Bien qu'un tel effet doive pouvoir être établi par des

Page 104: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

104 Mondange Adrien - 2009

constatations objectives et ne doit pas être par nature négligeable, il n'est pas nécessairequ'il atteigne un degré considérable.

En ce qui concerne l'article 6 1) e) :Afin de déterminer si telle ou telle utilisation est équitable et raisonnable, il faudrait

prendre en considération aussi bien les avantages que les inconvénients de l'utilisationconsidérée.

En ce qui concerne l'article 7 2) :Dans la mesure où les mesures requises par l'article 7 2) n'éliminent pas le dommage,

les mesures requises par l'article 7 2) seront prises pour atténuer le dommage.En ce qui concerne l'article 10 :Pour apprécier la satisfaction des "besoins humains essentiels", il faut s'intéresser en

particulier à la fourniture d'eau en quantité suffisante pour la vie humaine, qu'il s'agissede l'eau potable ou de l'eau à réserver aux productions vivrières destinées à empêcher lafamine.

En ce qui les articles 21, 22 et 23 :Ainsi que la Commission du droit international le fait observer dans son commentaire,

ces articles mettent une obligation de diligence voulue à la charge des États du cours d'eau.En ce qui concerne l'article 28 :La référence expresse aux "organisations internationales" ne vise nullement à remettre

en cause l'importance d'une coopération, selon que de besoin, avec les organisationsinternationales compétentes dans les matières traitées dans d'autres articles et, enparticulier, dans les articles de la quatrième partie.

En ce qui concerne l'article 29 :Cette disposition sert à rappeler que les principes et règles du droit international

applicables aux conflits armés internationaux et non internationaux renferment desdispositions importantes concernant les cours d'eau internationaux et ouvrages connexes.Les principes et règles du droit international applicables dans telle ou telle situation sontceux qui lient les États concernés. De même qu'il n'altère ni ne modifie le droit existant,l'article 29 n'a pas pour objet d'étendre l'applicabilité d'un instrument à des États qui neseraient pas parties à cet instrument.

* * *Pendant toute la durée de l'élaboration du projet de Convention, il a été fait mention

des commentaires relatifs aux projets d'articles que la Commission du droit international aformulés pour préciser le contenu des articles.

9. À sa 62e séance, le 4 avril 1997, le Groupe de travail a adopté au moyen d'un votele projet de convention qui figure au paragraphe 10 ci-dessous.

III. RECOMMANDATION DU GROUPE DE TRAVAIL PLÉNIER10. Le Groupe de travail plénier recommande à l'Assemblée générale d'adopter le projet

de convention ci-après :Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eauinternationaux à des fins autres que la navigationLes Parties à la présente Convention,

Page 105: la gestion des ressources en eau douce en droit international

ANNEXES

Mondange Adrien - 2009 105

Conscientes de l'importance des cours d'eau internationaux et de leurs utilisations àdes fins autres que la navigation dans de nombreuses régions du monde,

Ayant à l'esprit le paragraphe 1 a) de l'Article 13 de la Charte des Nations Unies, quidispose que l'Assemblée générale provoque des études et fait des recommandations envue d'encourager le développement progressif du droit international et sa codification,

Considérant qu'une codification et un développement progressif adéquats de règles dudroit international régissant les utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autresque la navigation contribueraient à la promotion et à la mise en oeuvre des buts et principesénoncés aux Articles premier et 2 de la Charte,

Tenant compte des problèmes affectant de nombreux cours d'eau internationaux quirésultent, entre autres, de l'accroissement de la consommation et de la pollution,

Convaincues qu'une Convention-cadre permettra d'utiliser, de mettre en valeur, deconserver, de gérer et de protéger les cours d'eau internationaux, ainsi que d'en promouvoirl'utilisation optimale et durable au bénéfice des générations actuelles et futures,

Affirmant l'importance de la coopération internationale et du bon voisinage dans cedomaine,

Conscientes de la situation et des besoins particuliers des pays en développement,Rappelant les principes et recommandations adoptés par la Conférence des Nations

Unies sur l'environnement et le développement, tenue en 1992, dans la Déclaration de Rioet Action 21,

Rappelant également les accords bilatéraux et multilatéraux régissant les utilisationsdes cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation,

Ayant à l'esprit la contribution précieuse des organisations internationales,gouvernementales comme non gouvernementales, à la codification et au développementprogressif du droit international dans ce domaine,

Satisfaites de l'oeuvre accomplie par la Commission du droit international concernant ledroit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation,

Gardant à l'esprit la résolution 49/52 de l'Assemblée générale des Nations Unies endate du 9 décembre 1994,

Sont convenues de ce qui suit :PREMIÈRE PARTIE. INTRODUCTIONArticle premierChamp d'application de la présente Convention1. La présente Convention s'applique aux utilisations des cours d'eau internationaux

et de leurs eaux à des fins autres que la navigation et aux mesures de protection, depréservation et de gestion liées aux utilisations de ces cours d'eau et de leurs eaux.

2. La présente Convention ne s'applique à l'utilisation des cours d'eau internationauxaux fins de la navigation que dans la mesure où d'autres utilisations ont une incidence surla navigation ou sont affectées par elle.

Article 2Expressions employéesAux fins de la présente Convention :

Page 106: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

106 Mondange Adrien - 2009

a) L'expression "cours d'eau" s'entend d'un système d'eaux de surface et d'eauxsouterraines constituant, du fait de leurs relations physiques, un ensemble unitaire etaboutissant normalement à un point d'arrivée commun;

b) L'expression "cours d'eau international" s'entend d'un cours d'eau dont les partiesse trouvent dans des États différents;

c) L'expression "État du cours d'eau" s'entend d'un État partie à la présente Conventiondans le territoire duquel se trouve une partie d'un cours d'eau international ou d'une Partiequi est une organisation d'intégration économique régionale dans le territoire d'un ouplusieurs États membres de laquelle se trouve une partie d'un cours d'eau international,

d) L'expression "organisation d'intégration économique régionale" s'entend de touteorganisation créée par les États souverains d'une région donnée, à laquelle ses Étatsmembres ont cédé leur compétence à raison des questions régies par la présenteConvention et qui est dûment autorisée conformément à ses procédures internes à signer,à ratifier, à accepter ou à approuver la Convention ou à y adhérer.

Article 3Accords de cours d'eau1. À moins que les États du cours d'eau n'en soient convenus autrement, la présente

Convention ne modifie en rien les droits ou obligations résultant pour ces États d'accordsen vigueur à la date à laquelle ils sont devenues parties à la présente Convention.

2. Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, les Parties à des accords visés auparagraphe 1 peuvent, si besoin est, envisager de mettre lesdits accords en harmonie avecles principes fondamentaux de la présente Convention.

3. Les États du cours d'eau peuvent conclure un ou plusieurs accords, ci-aprèsdénommés "accords de cours d'eau", qui appliquent et adaptent les dispositions de laprésente Convention aux caractéristiques et aux utilisations d'un cours d'eau internationalparticulier ou d'une partie d'un tel cours d'eau.

4. Lorsqu'un accord de cours d'eau est conclu entre deux ou plusieurs États du coursd'eau, il doit définir les eaux auxquelles il s'applique. Un tel accord peut être conclu pourun cours d'eau international tout entier, ou pour une partie quelconque d'un tel cours d'eau,ou pour un projet ou un programme particulier, ou pour une utilisation particulière, dans lamesure où cet accord ne porte pas atteinte, de façon significative, à l'utilisation des eauxdu cours d'eau par un ou plusieurs États du cours d'eau sans le consentement exprès decet État ou ces États.

5. Lorsqu'un État du cours d'eau estime qu'il faudrait adapter et appliquer lesdispositions de la présente Convention en raison des caractéristiques et des utilisationsd'un cours d'eau international particulier, les États du cours d'eau se consultent en vue denégocier de bonne foi dans le but de conclure un accord ou des accords de cours d'eau.

6. Lorsque certains États du cours d'eau d'un cours d'eau international particulier, maisnon pas tous, sont parties à un accord, aucune disposition de cet accord ne porte atteinteaux droits et obligations qui découlent de la présente Convention pour les États du coursd'eau qui n'y sont pas parties.

Article 4Parties aux accords de cours d'eau

Page 107: la gestion des ressources en eau douce en droit international

ANNEXES

Mondange Adrien - 2009 107

1. Tout État du cours d'eau a le droit de participer à la négociation de tout accord decours d'eau qui s'applique au cours d'eau international tout entier et de devenir partie à untel accord, ainsi que de participer à toutes consultations appropriées.

2. Un État du cours d'eau dont l'utilisation du cours d'eau international risque d'êtreaffectée de façon significative par la mise en oeuvre d'un éventuel accord de cours d'eaune s'appliquant qu'à une partie du cours d'eau, ou à un projet ou programme particulier, ouà une utilisation particulière, a le droit de participer à des consultations sur cet accord et, lecas échéant, à sa négociation de bonne foi afin d'y devenir partie, dans la mesure où sonutilisation du cours d'eau en serait affectée.

DEUXIÈME PARTIE. PRINCIPES GÉNÉRAUXArticle 5Utilisation et participation équitables et raisonnables1. Les États du cours d'eau utilisent sur leurs territoires respectifs le cours d'eau

international de manière équitable et raisonnable. En particulier, un cours d'eau internationalsera utilisé et mis en valeur par les États du cours d'eau en vue de parvenir à l'utilisation etaux avantages optimaux et durables -- compte tenu des intérêts des États du cours d'eauconcernés -- compatibles avec les exigences d'une protection adéquate du cours d'eau.

2. Les États du cours d'eau participent à l'utilisation, à la mise en valeur et à la protectiond'un cours d'eau international de manière équitable et raisonnable. Cette participationcomporte à la fois le droit d'utiliser le cours d'eau et le devoir de coopérer à sa protection età sa mise en valeur, comme prévu dans les présents articles.

Article 6Facteurs pertinents pour une utilisation équitable et raisonnable1. L'utilisation de manière équitable et raisonnable d'un cours d'eau international au

sens de l'article 5 implique la prise en considération de tous les facteurs et circonstancespertinents, notamment :

a) Les facteurs géographiques, hydrographiques, hydrologiques, climatiques,écologiques et autres facteurs de caractère naturel;

b) Les besoins économiques et sociaux des États du cours d'eau intéressés;c) La population tributaire du cours d'eau dans chaque État du cours d'eau;d) Les effets de l'utilisation ou des utilisations du cours d'eau dans un État du cours

d'eau sur d'autres États du cours d'eau;e) Les utilisations actuelles et potentielles du cours d'eau;f) La conservation, la protection, la mise en valeur et l'économie dans l'utilisation des

ressources en eau du cours d'eau ainsi que les coûts des mesures prises à cet effet;g) L'existence d'autres options, de valeur comparable, susceptibles de remplacer une

utilisation particulière, actuelle ou envisagée.2. Dans l'application de l'article 5 ou du paragraphe 1 du présent article, les États

du cours d'eau intéressés engagent, si besoin est, des consultations dans un esprit decoopération.

3. Le poids à accorder à chaque facteur est fonction de l'importance de ce facteurpar rapport à celle d'autres facteurs pertinents. Pour déterminer ce qu'est une utilisation

Page 108: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

108 Mondange Adrien - 2009

raisonnable et équitable, tous les facteurs pertinents doivent être examinés ensemble etune conclusion tirée sur la base de l'ensemble de ces facteurs.

Article 7Obligation de ne pas causer de dommages significatifs1. Lorsqu'ils utilisent un cours d'eau international sur leur territoire, les États du

cours d'eau prennent toutes les mesures appropriées pour ne pas causer de dommagessignificatifs aux autres États du cours d'eau.

2. Lorsqu'un dommage significatif est néanmoins causé à un autre État du cours d'eau,les États dont l'utilisation a causé ce dommage prennent, en l'absence d'accord concernantcette utilisation, toutes les mesures appropriées, en prenant en compte comme il se doitles dispositions des articles 5 et 6 et en consultation avec l'État affecté, pour éliminer ouatténuer ce dommage et, le cas échéant, discuter de la question de l'indemnisation.

Article 8Obligation générale de coopérer1. Les États du cours d'eau coopèrent sur la base de l'égalité souveraine, de l'intégrité

territoriale, de l'avantage mutuel et de la bonne foi en vue de parvenir à l'utilisation optimaleet à la protection adéquate du cours d'eau international.

2. Pour arrêter les modalités de cette coopération, les États du cours d'eau peuvent,s'ils le jugent nécessaire, envisager de créer des mécanismes ou commissions mixtes envue de faciliter la coopération touchant les mesures et procédures appropriées compte tenude l'expérience acquise à la faveur de la coopération dans le cadre des mécanismes etcommissions mixtes existant dans diverses régions.

Article 9Échange régulier de données et d'informations1. En application de l'article 8, les États du cours d'eau échangent régulièrement les

données et les informations aisément disponibles sur l'état du cours d'eau, en particuliercelles d'ordre hydrologique, météorologique, hydrogéologique, écologique et concernant laqualité de l'eau, ainsi que les prévisions s'y rapportant.

2. Si un État du cours d'eau demande à un autre État du cours d'eau de fournir desdonnées ou des informations qui ne sont pas aisément disponibles, cet État s'emploieau mieux de ses moyens à accéder à cette demande, mais il peut subordonner sonacquiescement au paiement, par l'État auteur de la demande, du coût normal de la collecteet, le cas échéant, de l'élaboration de ces données ou informations.

3. Les États du cours d'eau s'emploient au mieux de leurs moyens à collecter et, lecas échéant, à élaborer les données et informations d'une manière propre à en faciliterl'utilisation par les autres États du cours d'eau auxquels elles sont communiquées.

Article 10Rapport entre les utilisations1. En l'absence d'accord ou de coutume en sens contraire, aucune utilisation d'un cours

d'eau international n'a en soi priorité sur d'autres utilisations.2. En cas de conflit entre des utilisations d'un cours d'eau international, le conflit est

résolu eu égard aux articles 5 à 7, une attention spéciale étant accordée à la satisfactiondes besoins humains essentiels.

Page 109: la gestion des ressources en eau douce en droit international

ANNEXES

Mondange Adrien - 2009 109

TROISIÈME PARTIE. MESURES PROJETÉESArticle 11Renseignements sur les mesures projetéesLes États du cours d'eau échangent des renseignements, se consultent et, si

nécessaire, négocient au sujet des effets éventuels des mesures projetées sur l'état d'uncours d'eau international.

Article 12Notification des mesures projetées pouvant avoirdes effets négatifsAvant qu'un État du cours d'eau mette en oeuvre ou permette que soient mises en

oeuvre des mesures projetées susceptibles d'avoir des effets négatifs significatifs pourles autres États du cours d'eau, il en donne notification à ces derniers en temps utile.La notification est accompagnée des données techniques et informations disponibles ycompris, le cas échéant, les résultats de l'étude d'impact sur l'environnement, afin de mettreles États auxquels elle est adressée à même d'évaluer les effets éventuels des mesuresprojetées.

[…]Article 17Consultations et négociations concernant les mesures projetées1. Quand une communication faite en vertu de l'article 15 indique que la mise en oeuvre

des mesures projetées serait incompatible avec les dispositions des articles 5 ou 7, l'Étatauteur de la notification et l'État auteur de la communication engagent des consultations et,au besoin, des négociations en vue de résoudre la situation d'une manière équitable.

2. Les consultations et les négociations se déroulent selon le principe que chaque Étatdoit de bonne foi tenir raisonnablement compte des droits et des intérêts légitimes de l'autreÉtat.

3. Au cours des consultations et des négociations, l'État auteur de la notifications'abstient, si l'État auquel la notification a été adressée le lui demande au moment où il faitsa communication, de mettre en oeuvre ou de permettre que soient mises en oeuvre lesmesures projetées pendant une période de six mois, sauf s'il en est autrement convenu.

Article 18Procédures en cas d'absence de notification1. Si un État du cours d'eau a des motifs raisonnables de penser qu'un autre État du

cours d'eau projette des mesures qui peuvent avoir des effets négatifs significatifs pour lui,il peut demander à cet autre État d'appliquer les dispositions de l'article 12. La demandedoit être accompagnée d'un exposé documenté qui en explique les raisons.

2. Si l'État qui projette ces mesures conclut néanmoins qu'il n'est pas tenu de donnernotification en vertu de l'article 12, il en informe le premier État en lui adressant un exposédocumenté expliquant les raisons de sa conclusion. Si cette conclusion ne satisfait pas lepremier État, les deux États doivent, à la demande de ce premier État, engager promptementdes consultations et des négociations de la manière indiquée aux paragraphes 1 et 2 del'article 17.

Page 110: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

110 Mondange Adrien - 2009

3. Au cours des consultations et des négociations, l'État qui projette les mesuress'abstient, si le premier État le lui demande au moment où il demande l'ouverture deconsultations et de négociations, de mettre en oeuvre ou de permettre que soient mises enoeuvre ces mesures pendant une période de six mois, sauf s'il en est autrement convenu.

Article 19Mise en oeuvre d'urgence de mesures projetées1. Si la mise en oeuvre des mesures projetées est d'une extrême urgence pour

la protection de la santé ou de la sécurité publiques ou d'autres intérêts égalementimportants, l'État qui projette ces mesures peut, sous réserve des articles 5 et 7, procéderimmédiatement à leur mise en oeuvre nonobstant les dispositions de l'article 14 et de l'article17, paragraphe 3.

2. En pareil cas, une déclaration formelle proclamant l'urgence des mesuresaccompagnée des données et informations pertinentes est communiquée sans délai auxautres États du cours d'eau visés à l'article 12.

3. L'État qui projette les mesures engage promptement, à la demande de l'unquelconque des États visés au paragraphe 2, des consultations et des négociations aveclui, de la manière indiquée à l'article 17, paragraphes 1 et 2.

QUATRIÈME PARTIE. PROTECTION, PRÉSERVATION ET GESTIONArticle 20Protection et préservation des écosystèmesLes États du cours d'eau, séparément et, s'il y a lieu, conjointement, protègent et

préservent les écosystèmes des cours d'eau internationaux.Article 21Prévention, réduction et maîtrise de la pollution1. Aux fins du présent article, on entend par "pollution d'un cours d'eau international"

toute modification préjudiciable de la composition ou de la qualité des eaux d'un cours d'eauinternational résultant directement ou indirectement d'activités humaines.

2. Les États du cours d'eau, séparément et, s'il y a lieu, conjointement, préviennent,réduisent et maîtrisent la pollution d'un cours d'eau international qui risque de causer undommage significatif à d'autres États du cours d'eau ou à leur environnement, y comprisun dommage à la santé ou à la sécurité de l'homme, ou bien à toute utilisation positive deseaux ou bien aux ressources biologiques du cours d'eau. Les États du cours d'eau prennentdes mesures pour harmoniser leurs politiques à cet égard.

3. À la demande de l'un quelconque d'entre eux, les États du cours d'eau se consultenten vue d'arrêter des mesures et méthodes mutuellement acceptables pour prévenir, réduireet maîtriser la pollution telles que :

a) Définir des objectifs et des critères communs concernant la qualité de l'eau;b) Mettre au point des techniques et des pratiques pour combattre la pollution de

sources ponctuelles ou diffuses;c) Établir des listes de substances dont l'introduction dans les eaux d'un cours d'eau

international doit être interdite, limitée, étudiée ou contrôlée.Article 22

Page 111: la gestion des ressources en eau douce en droit international

ANNEXES

Mondange Adrien - 2009 111

Introduction d'espèces étrangères ou nouvellesLes États du cours d'eau prennent toutes les mesures nécessaires pour prévenir

l'introduction dans un cours d'eau international d'espèces étrangères ou nouvelles quirisquent d'avoir des effets préjudiciables pour l'écosystème du cours d'eau et de causerfinalement un dommage significatif à d'autres États du cours d'eau.

Article 23Protection et préservation du milieu marinLes États du cours d'eau, séparément et, s'il y a lieu, en coopération avec d'autres

États, prennent toutes les mesures se rapportant à un cours d'eau international qui sontnécessaires pour protéger et préserver le milieu marin, y compris les estuaires, en tenantcompte des règles et normes internationales généralement acceptées.

Article 24Gestion1. Sur la demande de l'un quelconque d'entre eux, les États du cours d'eau engagent

des consultations sur la gestion d'un cours d'eau international, y compris éventuellement lacréation d'un mécanisme mixte de gestion.

2. Aux fins du présent article, on entend par "gestion", en particulier :a) Le fait de planifier la mise en valeur durable d'un cours d'eau international et d'assurer

l'exécution des plans qui auront pu être adoptés; etb) Le fait de promouvoir de toute autre manière l'utilisation, la protection et le contrôle

du cours d'eau dans des conditions rationnelles et optimales.[…]Article 33Règlement des différends1. En cas de différend entre deux ou plusieurs Parties concernant l'interprétation ou

l'application de la présente Convention, les Parties intéressées, en l'absence d'un accordapplicable entre elles, s'efforcent de résoudre le différend par des moyens pacifiques,conformément aux dispositions ci-après.

2. Si les Parties intéressées ne peuvent parvenir à un accord par la voie de lanégociation demandée par l'une d'entre elles, elles peuvent solliciter conjointement lesbons offices d'une tierce partie -- ou lui demander d'intervenir à des fins de médiation oude conciliation, ou avoir recours, selon qu'il conviendra, à toute institution mixte de coursd'eau qu'elles peuvent avoir établie, ou décider de soumettre le différend à une procédured'arbitrage ou à la Cour internationale de Justice.

3. Sous réserve de l'application du paragraphe 10, si après un délai de six mois àcompter de la date de la demande de négociation mentionnée au paragraphe 2, les Partiesintéressées n'ont pu résoudre leur différend par la négociation ou par tout autre moyenmentionné dans ledit paragraphe, le différend est soumis, à la demande de l'une quelconqued'entre elles, à une procédure d'enquête impartiale, conformément aux paragraphes 4 à 9,sauf accord contraire des Parties.

4. Il est établi une commission d'enquête, composée d'un membre désigné par chacunedes Parties intéressées plus un membre n'ayant la nationalité d'aucune desdites Parties,choisi par les deux autres, qui fait fonction de président.

Page 112: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

112 Mondange Adrien - 2009

5. Si les membres désignés par les Parties ne parviennent pas à s'entendre sur unprésident dans un délai de trois mois à compter de la demande d'établissement de laCommission, toute Partie intéressée peut demander au Secrétaire général de l'Organisationdes Nations Unies de désigner le Président, lequel n'aura la nationalité d'aucune des Partiesau différend ou d'aucun État riverain du cours d'eau visé. Si l'une des Parties ne procèdepas à la désignation d'un membre dans un délai de trois mois à compter de la demandeinitiale faite conformément au paragraphe 3, toute autre Partie intéressée peut demander auSecrétaire général de l'Organisation des Nations Unies de désigner une personne n'ayantla nationalité d'aucune des parties au différend ni d'aucun État riverain du cours d'eau visé.La personne ainsi désignée sera le membre unique de la Commission.

6. La Commission arrête elle-même sa procédure.7. Les Parties intéressées ont l'obligation de fournir à la Commission les

renseignements dont elle peut avoir besoin et de lui permettre, sur sa demande, d'entrer surleur territoire et d'inspecter les installations, établissements, équipements, constructions ouaccidents topographiques présentant un intérêt pour l'enquête.

8. La Commission adopte son rapport à la majorité de ses membres, sauf si ellen'en compte qu'un seul, et soumet ce rapport aux Parties intéressées en y énonçantses conclusions motivées et les recommandations qu'elle juge appropriées en vue d'unrèglement équitable du différend, que les Parties intéressées examinent de bonne foi.

9. Les dépenses de la Commission sont supportées à parts égales par les Partiesintéressées.

10. Lors de la ratification, de l'acceptation et de l'approbation de la présente Convention,ou de l'adhésion à cet instrument, ou à tout moment par la suite, une Partie qui n'est pasune organisation d'intégration économique régionale peut déclarer, dans un instrument écritadressé au Dépositaire, qu'en ce qui concerne tout différend non résolu conformément auparagraphe 2, elle reconnaît comme obligatoire ipso facto et sans accord spécial concernantl'une quelconque des Parties acceptant la même obligation :

a) La soumission du différend à la Cour internationale de Justice; et/oub) L'arbitrage par un tribunal arbitral dont la compétence est établie et qui exerce

ses pouvoirs, sauf accord contraire entre les Parties au différend, conformément àla procédure énoncée à l'annexe de la présente Convention. Une Partie qui est uneorganisation d'intégration économique régionale peut faire une déclaration dans le mêmesens concernant l'arbitrage, conformément à l'alinéa b). […]

Annexe 3 : Directive 2000/60/CE du Parlementeuropéen et du Conseil, du 23 octobre 2000,établissant un cadre pour une politiquecommunautaire dans le domaine de l’eau

Directive-cadre dans le domaine de l'eau

Page 113: la gestion des ressources en eau douce en droit international

ANNEXES

Mondange Adrien - 2009 113

L'Union européenne (UE) établit un cadre communautaire pour la protectionet la gestion des eaux. La directive-cadre prévoit notamment l'identification deseaux européennes et de leurs caractéristiques, recensées par bassin et districthydrographiques, ainsi que l'adoption de plans de gestion et de programmes demesures appropriées à chaque masse d'eau.L'Union européenne (UE) établit un cadre communautaire pour la protection et la gestion deseaux. La directive-cadre prévoit notamment l'identification des eaux européennes et de leurscaractéristiques, recensées par bassin et district hydrographiques, ainsi que l'adoption deplans de gestion et de programmes de mesures appropriées à chaque masse d'eau.

ACTEDirective 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000,

établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau [Voir actes modificatifs ].

SYNTHÈSEPar cette directive-cadre, l'Union européenne organise la gestion des eaux intérieures

de surface * , souterraines * , de transition * et côtières * , afin de prévenir et deréduire leur pollution, de promouvoir leur utilisation durable, de protéger leur environnement,d'améliorer l'état des écosystèmes aquatiques et d'atténuer les effets des inondations etdes sécheresses.

Identification et analyse des eauxLes États membres sont tenus de recenser tous les bassins hydrographiques * qui se

trouvent sur leur territoire et les rattacher à des districts hydrographiques * . Les bassinshydrographiques qui s'étendent sur le territoire de plus d'un État seront intégrés au seind'un district hydrographique international. Au plus tard le 22 décembre 2003, une autoritécompétente sera désignée pour chacun des districts hydrographiques.

Au plus tard quatre ans après la date d'entrée en vigueur de la présente directive,les États membres doivent faire une analyse des caractéristiques de chaque districthydrographique, une étude de l'incidence de l'activité humaine sur les eaux, une analyseéconomique de l'utilisation de celles-ci et un registre des zones qui nécessitent uneprotection spéciale. Toutes les masses d'eau utilisées pour le captage d'eau destinée àla consommation humaine, fournissant plus de 10 m³ par jour ou desservant plus de 50personnes, doivent être recensées.

Mesures de gestion et de protectionNeuf ans après la date d'entrée en vigueur de la directive, un plan de gestion et un

programme de mesures doivent être élaborés au sein de chaque district hydrographique entenant compte des résultats des analyses et études réalisées.

Les mesures prévues dans le plan de gestion du district hydrographique ont pour but de:-prévenir la détérioration, améliorer et restaurer l'état des masses d'eau de surface,

atteindre un bon état chimique et écologique de celles-ci, ainsi que réduire la pollution dueaux rejets et émissions de substances dangereuses;

-protéger, améliorer et restaurer les eaux souterraines, prévenir leur pollution, leurdétérioration et assurer un équilibre entre leurs captages et leur renouvellement;

-préserver les zones protégées.

Page 114: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

114 Mondange Adrien - 2009

Les objectifs précédents doivent être atteints quinze ans après l'entrée en vigueur dela directive, mais cette échéance peut être rapportée ou assouplie, tout en respectant lesconditions établies par la directive.

Les États membres encouragent la participation active de toutes les parties concernéespar la mise en œuvre de cette directive, notamment en ce qui concerne les plans de gestiondes districts hydrographiques.

Une détérioration temporaire des masses d'eau ne constitue pas une infraction de laprésente directive si elle résulte des circonstances exceptionnelles et non prévisibles liéesà un accident, une cause naturelle ou un cas de force majeure.

À partir de 2010, les États membres doivent assurer que la politique de tarificationincite les consommateurs à utiliser les ressources de façon efficace et que les différentssecteurs économiques contribuent à la récupération des coûts des services liés à l'utilisationde l'eau, y compris les coûts pour l'environnement et les ressources.

Les États membres doivent établir des régimes assortis de sanctions effectives,proportionnées et dissuasives en cas violations de la présente directive-cadre.

Une liste de substances polluantes prioritaires sélectionnées parmi celles quiconstituent un risque important pour ou via le milieu aquatique a été élaborée, via uneprocédure associant surveillance et modélisation. Cette liste constitue l'annexe X dela présente directive. Par ailleurs des mesures de contrôle relatives à ces substancesprioritaires, ainsi que des normes de qualité applicables aux concentrations de celles-ci, ontégalement été proposées.

Mesures administrativesAu plus tard douze ans après la date d'entrée en vigueur de la directive et par

la suite tous les six ans, la Commission publie un rapport sur la mise en œuvre decelle-ci. La Commission convoque, au moment opportun, une conférence des partiesconcernées par la politique communautaire de l'eau, à laquelle participent les Étatsmembres, des représentants des autorités compétentes, du Parlement européen, des ONG,des partenaires sociaux et économiques, des consommateurs, des universitaires et autresexperts.

Sept ans après l'entrée en vigueur de la directive, la législation suivante est abrogée:directive 75/440/CEE ;décision 77/795/CEE ;directive 79/869/CEE .Treize ans après l'entrée en vigueur de la directive, la législation suivante est abrogée:directive 78/659/CEE ;directive 79/923/CEE ;directive 80/68/CEE ;directive 76/464/CEE , à l'exception de l'article 6, qui est abrogé à la date d'entrée en

vigueur de la présente directive.

Termes-clés de l'acteEaux intérieures: toutes les eaux stagnantes et les eaux courantes à la surface du sol et toutesles eaux souterraines en amont de la ligne de base servant pour la mesure de la largeur des

Page 115: la gestion des ressources en eau douce en droit international

ANNEXES

Mondange Adrien - 2009 115

Termes-clés de l'acteeaux territoriales. Eaux de surface: les eaux intérieures, à l'exception des eaux souterraines,les eaux de transition et les eaux côtières, sauf en ce qui concerne leur état chimique, pourlequel les eaux territoriales sont également incluses. Eaux souterraines: toutes les eaux setrouvant sous la surface du sol dans la zone de saturation et en contact direct avec le sol oule sous-sol. Eaux de transition: des masses d'eaux de surface à proximité des embouchuresde rivières, qui sont partiellement salines en raison de leur proximité d'eaux côtières, maisqui sont fondamentalement influencées par des courants d'eau douce. Eaux côtières: leseaux de surface situées en-deçà d'une ligne dont tout point est situé à une distance d'unmille marin au-delà du point le plus proche de la ligne de base servant pour la mesure dela largeur des eaux territoriales et qui s'étendent, le cas échéant, jusqu'à la limite extérieured'une eau de transition. Bassin hydrographique: toute zone dans laquelle toutes les eaux deruissellement convergent à travers un réseau de rivières, fleuves et éventuellement de lacsvers la mer, dans laquelle elles se déversent par une seule embouchure, estuaire ou delta. District hydrographique: une zone terrestre et maritime, composée d'un ou plusieurs bassinshydrographiques ainsi que des eaux souterraines et eaux côtières associées, identifiée commeprincipale unité aux fins de la gestion des bassins hydrographiques.

RÉFÉRENCES

Acte Entrée envigueur - Dated'expiration

Délai detransposition dansles États membres

Journal Officiel

Directive 2000/60/CE 22.12.2000 22.12.2003 JO L 327 du22.12.2000

Acte(s)modificatif(s)

Entrée envigueur

Délai detransposition dansles États membres

Journal Officiel

Décision n° 2455/2001/CE

16.12.2001 - JO L 331 du15.12.2001

Directive 2008/32/CE 21.3.2008 - JO L 81 du 20.3.2008

ACTES LIÉSCommunication de la Commission du 22 mars 2007 intitulée: « Vers une gestion

durable de l'eau dans l'Union européenne - Première étape de la mise en œuvre dela directive-cadre sur l'eau 2000/60/CE » [ COM(2007) 128 final - Non publié auJournal officiel]. Dans ce rapport, la Commission présente les résultats obtenus par lesÉtats membres dans l'application de la directive-cadre sur l'eau. Elle souligne notamment lerisque élevé que plusieurs États membres échouent à réaliser les objectifs de la directive-cadre, en particulier à cause de la dégradation matérielle des écosystèmes aquatiques,notamment par la surexploitation des ressources en eau, et des niveaux importants depollution provenant de sources diffuses. La Commission relève des problèmes au niveaudu respect du délai de transposition de la directive-cadre et des lacunes quant au contenude cette transposition. Par ailleurs, la mise en place des districts hydrographiques et ladésignation des autorités nationales compétentes semble bien engagée, même si desprogrès en matière de coopération internationale doivent encore être accomplis dans

Page 116: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

116 Mondange Adrien - 2009

certains cas. En outre, le rapport signale une grande diversité en ce qui concerne la qualitéde l'évaluation environnementale et économique des bassins hydrographiques ainsi que deslacunes importantes, en particulier concernant l'analyse économique. Enfin, la Commissionformule un certain nombre de recommandations aux États membres, notamment en vuede remédier aux carences constatées, d'intégrer la gestion durable des eaux dans lesautres politiques nationales et de tirer le meilleur parti de la participation des citoyens, etelle annonce les actions qu'elle compte effectuer à l'avenir dans le cadre de la politiqueeuropéenne de gestion de l'eau.

Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil du 17 juillet 2006établissant des normes de qualité environnementale dans le domaine de l'eau etmodifiant la directive 2000/60/CE [ COM(2006) 397 final - Non publié au Journalofficiel]. La Commission propose d'établir des normes de qualité environnementale afinde limiter la quantité de certaines substances chimiques, présentant un risque significatifpour l'environnement ou la santé, dans les eaux de surface de l'UE. Ces normes seraientaccompagnées d'un inventaire des rejets, émissions et pertes de ces substances afin devérifier si les objectifs de réduction ou d'arrêt sont atteints.

Directive 2006/118/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre2006 sur la protection des eaux souterraines contre la pollution [Journal officielL372 du 27.12.2006]. L'Union européenne met en place un cadre de mesures deprévention et de contrôle de la pollution des eaux souterraines, notamment des mesuresd'évaluation de l'état chimique des eaux et des mesures visant à réduire la présence depolluants.

Déclaration de la Commission [Journal officiel L 327 du 22.12.2000] LaCommission signale que le rapport qu'elle publiera en vertu de l'article 17 paragraphe 3 dela directive comportera une analyse du rapport coûts-avantages.

Dernière modification le: 18.4.2008

Annexe 4 : Carte « Water sources », distributiondes ressources en eau douce en Israël et dans lesTerritoires Occupés

Page 117: la gestion des ressources en eau douce en droit international

ANNEXES

Mondange Adrien - 2009 117

Annexe 5 : Carte des bassins du Tigre et de l’Euphrate

Page 118: la gestion des ressources en eau douce en droit international

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL

118 Mondange Adrien - 2009

ResumeLes règles s’appliquant à la gestion des ressources en eau douce entre les Etats ne sontpas nouvelles. L’objectif du droit international est de prévenir et régler les différents entre lesEtats. Depuis quelques temps, le droit international affiche une prise en compte croissantedes questions liées à la répartition de l’eau. Le droit international de l’eau est nécessairemais il est complexe à mettre en place. C’est un droit évolutif et dont l’application resteaujourd’hui encore soumise à la bonne volonté des Etats.

La Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à desfins autres que la navigation du 8 juillet 1997 est essentielle. Elle s’inscrit dans un travailde codification et de développement du droit international de l’eau et pose le principe d’un

Page 119: la gestion des ressources en eau douce en droit international

ANNEXES

Mondange Adrien - 2009 119

partage et d’un usage équitable et raisonnable pour tous les Etats riverains d’un cours d’eauinternational.

La thématique de l’eau s’aborde aujourd’hui en terme de rareté et de partage, desnotions que le droit international doit prendre en compte afin de permettre un égal accès del’eau au plus grand nombre et de stabiliser les relations inter-étatiques. Si nous défendonsl’idée selon laquelle on ne peut pas parler de guerre de l’eau, toutefois l’eau reste un facteuraggravant et le lien entre les ressources en eau douce et leur répartition et la stabilitépolitique est bien réel.

A travers ce travail il s’agit d’étudier la pertinence du droit international de l’eau en l’étatactuel. Il s’agit de comprendre pourquoi ce droit est si difficile à édifier et à appliquer, et deconstater des carences qui selon nous rendent ce droit déficient. Une partie de ce travailsera consacrée à une étude de cas au Proche Orient.

Mots-clefs∙ Eau∙ Droit international∙ Tigre – Euphrate∙ Nil∙ Proche Orient