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De la parité: genèse d'un concept, naissance d'un mouvement Author(s): Françoise Gaspard Source: Nouvelles Questions Féministes, Vol. 15, No. 4, LA PARITÉ "pour" (1994 NOVEMBRE), pp. 29-44 Published by: Nouvelles Questions Féministes & Questions Feministes and Editions Antipodes Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40619590 . Accessed: 14/06/2014 03:29 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Nouvelles Questions Féministes & Questions Feministes and Editions Antipodes are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Nouvelles Questions Féministes. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.44.78.76 on Sat, 14 Jun 2014 03:29:27 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

LA PARITÉ "pour" || De la parité: genèse d'un concept, naissance d'un mouvement

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De la parité: genèse d'un concept, naissance d'un mouvementAuthor(s): Françoise GaspardSource: Nouvelles Questions Féministes, Vol. 15, No. 4, LA PARITÉ "pour" (1994 NOVEMBRE),pp. 29-44Published by: Nouvelles Questions Féministes & Questions Feministes and Editions AntipodesStable URL: http://www.jstor.org/stable/40619590 .

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Françoise Gaspard

De lapante: genèse d'un concept, naissance d'un mouvement

Résumé

Françoise Gaspard: "De la parité: genèse d'un concept, naissance d'unmouvemenL" La parité entendue comme Γ égalité parfaite entre les femmes et les hommes dans la prise de décision et en premier lieu dans les instances élues, constitue une idée neuve. Elle apparaît, en France, à Γ initiative de féministes et dans le sillage des mouvements politiques alternatifs des années 80 et provoque une mobilisation et un écho immédiat. Son succès tient au fait qu'elle se fonde sur un principe, celui d'égalité, et qu'ellepermetde repenser la vieille question de l'égalité et de la différence pour tenter de la dépasser.

Abstract

Françoise Gaspard: "On Parity: Origin of a Concept - Birth of a Movement." Parity - meaning full equality between men and women in decision-making bodies and, especially, in elected assemblies - is a new idea. In France, it has emerged within the feminist movement in the wake of the "alternative" political movements of the eighties. It had an immediate impact and attracted a large following. Its success derives from the fact that it is based on a principle, that of the necessary equality of men and women, the two components of humanity. The concept of parity also enables feminist thinking to transcend the traditional opposition of similarity and difference between the sexes.

Le mouvement des femmes des années 70 a fondamentalement

interrogé le politique en y (ré)introduisant ce qui en avait été exclu. Le quotidien et le corps devenaient politiques. Pourtant ce mouvement, en France notamment, a négligé les institutions et ne s'est pas intéressé, de façon directe, à la politique. Dans une certaine mesure il s'est d'ailleurs originellement constitué en tant que force militante en rompant avec les organisations d'extrême gauche: les femmes n'y étaient ni reconnues ni entendues, il leur fallait donc, pour exister enfin politiquement, se situer à l'extérieur. Ce qui a été désigné sous le terme de "Mouvement" s'est délibérément situé hors du système politique. Et cela doublement: en proclamant la non-mixité et en choisissant le "mouvement" contre "l'organisation". Il se plaçait ainsi dans un "ailleurs" qui participait du

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politique au sens le plus large du terme dans la mesure où il mettait radicalement en cause la distribution du pouvoir entre les individus en raison de leur sexe. Pour autant les femmes du Mouvement excluaient que celui-ci

puisse, en tant que tel, faire "de la politique".

Or, depuis le début des années 90, une revendication se dessine

qui tend à exiger le partage du pouvoir politique, d'abord dans les instances élues, sur une base égalitaire. Comment est-on passé d'une position à l'autre? Le foisonnement d'initiatives autour du thème de la parité, ainsi que les résistances (en tout cas les interrogations) qu'il suscite méritent, même s'il est bien tôt pour en faire l'histoire, un bref retour en arrière. Celui-ci est, en effet, nécessaire pour amorcer une contribution au débat

L'ÉMERGENCE DU CONCEPT DE DÉMOCRATIE PARITAIRE

Les femmes suffragistes n'ont guère soulevé la question de

l'égalité dans la représentation. Électrices et éligibles, les femmes deviendraient, pensaient-elles, les égales des hommes et la représentation serait, enfin, celle de la nation toute entière. Sans doute imaginaient-elles que la citoyenneté proclamée mettrait fin à l'exclusion politique et qu'une fois les femmes éligibles, des femmes automatiquement seraient élues. Ainsi serait-il mis fin à une iniquité et achevé le combat pour la (ré)introduction des femmes dans le public, celui-ci étant identifié par les philosophes du xixe siècle, à commencer par Hegel, au politique. Hubertine Auclert semble, la

première, avoir douté que le suffrage, à lui seul, suffirait à redistribuer les cartes. Elle imagina qu'il serait nécessaire d'aller plus loin: "Π faut que les assemblées soient composées d'autant de femmes que d'hommes" écrivait- elle dans son programme électoral des femmes de 1885. La revendication est isolée. Comme l'est encore celle du petit mouvement de féministes de

gauche et d'extrême gauche, essentiellement parisien, qui voit le jour à la fin de la première guerre mondiale, le "Comité d'action suflBragiste". Monette Thomas, l'une de ses fondatrices demande une "représentation proportion- nelle au Parlement" et suggère que chaque circonscription soit représentée par un homme et une femme (Baid, 1993: 223). Hélène Brion qui, en 1947, demandait qu'il "y ait des femmes dans les assemblées et conférences qui élaborent les futurs statuts de la paix mondiale, autant de femmes que

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d'hommes"; est encore une voix solitaire (Guéraiche, 1982: 180).

Depuis que le suffrage est devenu universel, à deux reprises au moins, bien avant que n'émerge l'idée de parité, des femmes ont posé la question de l'égalité dans la sphère politique. Aux États-Unis d'abord où, en 1967, lors de la conférence nationale de Chicago, la nouvelle gauche américaine tentait de définir "une politique nouvelle". Le Black power (l'assemblée était composée de 30 % d 'afro-américains) avait obtenu, au terme d'un débat, 50 % des délégués. Les féministes ont alors demandé que ceux-ci soient, à 51 %, des femmes. En vain: "Leur motion ne sera même pas rejetée; les organisateurs, qui refusent de l'inscrire à l'ordre du jour, se contentent de leur expliquer que la conférence doit traiter de questions autrement plus sérieuses que la libération des femmes" (Feher, 1992: 60). De la même façon, les femmes qui, à l'intérieur du Parti socialiste français ont tenté d'opérer, en 1978, une rupture stratégique en se constituant en "courant" politique et en revendiquant qu'il y ait autant de femmes que d'hommes sur la liste socialiste aux élections européennes de 1979 se sont vu

opposer le vieil argument de la lutte des classes et l'aspect secondaire des discriminations pesant sur les femmes. Faire passer celles-ci avant celle-là revenait à trahir la lutte principale à laquelle la question des femmes était, nécessairement, subordonnée.

La revendication, dans les deux cas, n'était pas systématisée comme elle l'est désormais par l'idée de parité. Celle-ci se présente à la fois comme une demande d'égalité - qui suppose le constat d'une inégalité de nature à mettre en cause les fondements actuels de la démocratie

représentative - et comme la reconnaissance d'une altérité socialement construite: parce que les femmes ont été soustraites, en raison de leur sexe, du corps politique à l'origine de la démocratie et que cette exclusion a été fondée en principe, c'est en tant que femmes, dans un rapport d'absolue égalité, qu'elles doivent être présentes dans les assemblées élues. Et cette réintégration doit se faire, aussi, par principe.

Le seul cas de la France est envisagé ici. Mais on ne peut ignorer que des pratiques et des revendications paritaires sont apparues, au même moment, dans de nombreux pays (Abzug et Kelber, 1993). Π ne semble pas que les expériences étrangères, en dehors de celles des Verts allemands, aient

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servi de référence aux expériences et aux formulations de la parité en France.

Quand le mot a-t-il émergé, dans notre pays, pour désigner non pas la parité des salaires, ni celle de la participation des employeurs et des salariés dans des instances de négociation (dites justement "paritaires"), mais l'exigence de l'égalité parfaite des femmes et des hommes dans la représentation démocratique? On peut, tout au plus, indiquer quelques repères. L'invention de "pratiques paritaires" a fait partie de la courte aventure du Mouvement Arc en Ciel. Celui-ci a tenté de regrouper, entre 1986 et 1988, des militants d'extrême gauche et des écologistes de gauche. Des féministes, en tant que telles, s'y sont associées. Dans un texte reproduit par Les cahiers du collectif de pratiques et de réflexions féministes "Ruptures", texte non daté, mais qui peut être situé à l'automne de 1987, on lit: "Des féministes présentes, et notamment des femmes du 'Collectif de pratiques et de réflexions féministes

Ruptures', dès décembre 1986 et lors de la constitution des comités d'initiatives pour un Arc en Ciel, posent ... la nécessité de concevoir un mode de fonctionnement collectif basé sur la parité hommes/femmes (moitié- moitié) dans les structures d'organisation à inventer et à innover". Exigence entendue. Le collectif de direction du mouvement comprend autant de femmes que d'hommes et des pratiques volontairement paritaires sont mises en oeuvre: délégations qui sont composées d'autant de femmes que d'hommes, quitte, lorsqu'il n'y a pas suffisamment de femmes disponibles, à ce que des hommes se retirent et que la délégation soit plus restreinte; temps de parole équilibré dans les réunions, etc. Le Mouvement Arc en Ciel se dissout en 1988. Les Verts, eux, émergent alors sur la scène politique. En 1988 ils inscrivent dans le préambule de leurs statuts (sous l'impulsion de

Solange Fernex et d'Andrée Buchmann) le principe d'un partage paritaire des responsabilités, mais aussi des candidatures aux élections. En 1989, ils

présentent à l'élection européenne, comme ils l'avaient fait en 1984 déjà, une liste sur laquelle alternent les hommes et les femmes.

En 1989, le mot et l'idée de "parité" sont repris non plus par des militantes politiques mais par le Conseil de l'Europe qui organise, à l'automne, un colloque sur la Démocratie paritaire (Conseil de l'Europe, 1989). Elizabeth Guibert-Sledziewski y présente une communication qui fait date. Une phrase aussi simple que celle-ci: "Aucune démocratie réelle n'est

possible ... si la question de l'égalité entre les hommes et les femmes n'est

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pas posée comme un préalable politique, ressortissant aux principes constitutifs du régime, exactement comme le suffrage universel ou la

séparation des pouvoirs" soulève, en effet, de façon frontale, la question de la démocratie à partir du constat de la rareté des femmes dans les assemblées élues. Mais Elizabeth Guibert-Sledziewski ne va pas, dans cette intervention, au terme du propos qu'elle introduit Elle évoque la parité. En même temps, elle prône des "quotas". Or, dans l'histoire récente des organisations et des

législations, les quotas, lorsqu'ils ont concerné les femmes (ou plus subtilement "l'un ou l'autre sexe", mais on sait lequel est visé) ont toujours été négateurs du principe d'égalité. La philosophie des quotas, en droit et en économie, n'est-elle pas, d'ailleurs, de limiter (une production agricole ou l'introduction d'étrangers ou de produits étrangers sur un territoire)? Plutôt

que d'un quota de femmes il conviendrait donc plutôt de parler qu'un quota d'hommes puisqu'il s'agit de limiter leur proportion à 80 ou 70 % dans les instances de décision afin de masquer une situation choquante, de corriger, à la marge, une situation perçue comme politiquement insoutenable. Les femmes sont ainsi traitées comme une minorité1.

La façon dont on tente, à travers des quotas, de remédier à

l'inégale participation des femmes au pouvoir législatif, au pouvoir dans les assemblées territoriales et au partage des responsabilités dans les

organisations partisanes évoque, toutes choses égales par ailleurs, les termes du très long débat français sur l'instauration du suffrage universel. L'enjeu, longtemps, a consisté à ruser avec l'égalité entre les femmes et les hommes. Π s'agissait de faire entrer des femmes dans le corps électoral et dans la

représentation (puisqu'il y avait une pression qu'il devenait impossible d'ignorer) sans les y faire cependant entrer toutes en même temps, sans

permettre, à toutes, d'être immédiatement électrices et éligibles. Des

"catégories" de femmes furent ainsi, selon les époques, désignées comme dignes d'accéder à la citoyenneté politique: les majeures célibataires et les veuves, les femmes diplômées, les veuves de guerre, les femmes de plus de 25 ans, etc. Il fut aussi proposé que toutes les femmes votent mais, au moins au début, pour s'exercer et "faire leurs preuves", aux seules élections locales, l'échelon local étant considéré comme un lieu d'apprentissage en même temps qu'un niveau moins politique que le national. Π est d'ailleurs intéressant de remarquer que l'article de la loi votée, en 1982, instituant un

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quota d'élus "de l'un ou l'autre sexe" (loi qui a été annulée par le Conseil œnstitutionnel) ne concernait que les seules élections municipales .... De même qu'on a tenté de diviser les femmes et de marchander leur droit à être pleinement des citoyennes (ce qui était insoutenable au plan du principe) de même certains (certaines), avec les quotas, voudraient composer, masquer un processus d'exclusion, gagner du temps. Et donner, provisoirement, bonne conscience aux hommes et aux femmes qui perçoivent comme une iniquité, socialement injustifiable, la composition de la représentation dite nationale (95 % d'hommes au Parlement), mais refusent d'aller jusqu'au terme de leur réflexion pour en tirer les conséquences en ternies d'égalité des femmes et des hommes dans le droit

C'est en France, en 1992, que le mot de "parité" se diffuse, que le concept se clarifie et que le mouvement se précipite. Au printemps de 1992 paraît le livre Au pouvoir citoyennes dont le sous-titre substitue, dans la devise républicaine, le mot "parité" au mot "fraternité" (Gaspard, Servan- Schreiber et Le Gall, 1992). Au même moment naissent une association et un club. La première, "Parité", est créée par une militante du P.S. déçue par l'attitude de ce parti à l'occasion des élections régionales de mars 1992 et par l'impuissance de son Secrétariat national "femmes" à aller au-delà de la protestation rituelle pour peser dans les désignations de candidates et de candidats. Une fois de plus le P.S. s'était révélé incapable de respecter ses statuts dans lesquels il est pourtant écrit qu'en cas de scrutin à la propor- tionnelle 30 % de femmes doivent figurer sur les listes de candidats investis par le parti. Le second, le club "Parité 2000", est fondé par la mouvance entrepreneuriale qui gravite autour des Éditions des femmes. L'adhésion à la parité de ce groupe et d'une association satellite qui s'apparente à une filiale, pourrait surprendre. Ce groupe, qui a été identifié à l'essentialisme radical, oscillait dans les années 70 entre le mépris et la violence à l'égard des féministes et dénonçait les femmes qui militaient dans des organisations mixtes comme trahissant la cause des femmes. La démarche qui va du développement séparé à la parité a ici sa logique: quand on est sur le marché, on cherche de bons produits. La parité, au ternie d'une analyse purement commerciale, est certainement apparue rentable à ses dirigeantes. A tel point que "Parité 2000" n'est pas seulement un club mais une marque commerciale déposée, comme l'a été le sigle MLF par la même organisation, à l'Institut

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National de la Propriété Industrielle (BNPI, 1992:131), comme le bas Dim et le saucisson Justin Bridou .... Vieille affaire que celle de la marque déposée .... Vieille manie? Cela y ressemble (Delphy, 1991).

Après le Conseil de l'Europe, la Commission des communautés européennes, dans le cadre du troisième programme d'égalité des chances entre les femmes et les hommes, met en place, en avril 1992, un réseau

d'experts sur le thème "femmes dans la prise de décision". Lors de sa

première réunion, à Bruxelles, ce réseau institutionnel est chargé de dresser un panorama européen des femmes dans les lieux de décision (et d'abord dans les instances élues ou nommées par les gouvernements) et de rédiger le texte d'une Déclaration de principe. Au cours de cette réunion, la parité est actée comme l'objectif à atteindre. Le 3 novembre, à Athènes, la Déclaration est signée par des femmes ayant exercé ou exerçant des responsabilités politiques. Elle comporte la phrase suivante: "La démocratie impose la parité dans la représentation et l'administration des nations".

La parité devient source de (immobilisation et d'action. Après la Conférence d'Athènes, en effet, les initiatives se multiplient: réunion d'information sur la parité à l'Assemblée nationale, le 12 décembre 1992, organisée par le Conseil National des Femmes Françaises (qui a créé en son sein, quelques mois plus tôt, une commission Parité) à laquelle participent une cinquantaine d'associations; naissance d'un regroupement d'associations, "Elles aussi", avec pour objectif la parité; création, à l'initiative de femmes socialistes, d'une association, l'"Assemblée des femmes" qui, en quelques semaines, sous la pression des militantes, se rallie à la parité; tenue, en juin 1993, d'un colloque international sur le sujet à l'initiative de l'association "Choisir".

Quelques mois avant, en janvier 1993, deux militantes féministes de Paris, Odette Brun et Monique Dental, avaient appelé différentes associations, groupements de femmes et individues travaillant sur cette

question à se constituer en réseau. L'idée était d'éviter l'éparpillement des initiatives, d'échanger et de faire circuler des informations. Durant plusieurs mois le "Réseau Femmes pour la Parité" fonctionne comme un lieu d'échanges et d'impulsion d'actions, η soutient les manifestations prévues par telle ou telle association sur le thème de la parité. Il est à l'origine, le 8

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mars, d'un débat à l'Assemblée nationale avec des femmes politiques. A l'occasion de la rentrée parlementaire, le 2 avril 1993, il appelle à un rassemblement devant le Palais Bourbon où environ trois cents femmes viennent protester contre cette assemblée "natiomâle" qui, ce jour là, inaugure une nouvelle législature. C'est aussi dans la même mouvance que naît l'idée d'éditer une lettre d'information, Parité-infos. L'objectif initial de cette publication trimestrielle dirigée par Claude Servan-Schreiber était d'alimenter la presse (dont on sait les résistances, en France particulièrement, à parier des femmes dès lors qu'elles expriment une revendication collective féministe) en informations nationales et internationales sur le mouvement paritaire. Cet objectif demeure, mais il est aujourd'hui dépassé en raison de la demande d'informations émanant du grand public dont témoigne le courant d'abonnements à cette lettre. Enfin, c'est dans les réunions du "Réseau" qu'émerge l'idée d'un manifeste demandant que la parité soit inscrite dans la loi, et dont l'objectif est de susciter un mouvement d'opinion. Sa publication dans Le Monde (le 10 novembre 1993) quelques jours après l'annonce par Michel Rocard au Congrès du Parti Socialiste de présenter une liste comportant autant de femmes que d'hommes, rencontre un écho positif: plusieurs chaùies de télévision et stations de radios parient du manifeste et les signatures affluent

DE LA DIFFÉRENCE A L'ÉGALITÉ: LA PARITÉ

La parité suscite, à l'évidence, un intérêt et une mobilisation. Elle oblige à un travail théorique. Celui-ci est en retard sur le mouvement qui semble se dessiner, même si les études féministes des dernières années l'ont préparé. Nous voudrions ici simplement contribuer à alimenter la réflexion en nous interrogeant sur le contexte socio-politique dans lequel il émerge, en tentant de cerner les actrices qui le portent et le soutiennent et en contribuant à légitimer cette demande de parité.

Le travail de réflexion sur le politique et les femmes était en marche dans ce qu'on nomme les études féministes. La réflexion sur la démocratie et les femmes qu 'Elizabeth Guibert-Sledziewski, en 1989, posait de façon spectaculaire dans une instance internationale n'est pas isolée au moment où elle s'exprime. Elle s'inscrit dans une interrogation qui est à

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l'oeuvre. Deux livres majeurs sortent au même moment, U Étude et le Rouet (Le Dœuff, 1989) et Muse de la Raison (Fraisse, 1989). fls témoignent d'un travail des philosophes féministes sur la démocratie et d'un mouvement de pensée qui pose les femmes au centre d'une relecture des fondements du système démocratique, s'interroge sur son imperfection. Le premier débouche notamment - le résumer ainsi est évidemment réduire sa portée qui va bien au-delà de cette question - sur une exigence de mixité parfaite dans l'administration publique. Le second, complété par La Raison des femmes (Fraisse, 1992), met au jour la façon dont les hommes, héritiers des Lumières, ont majoritairement dénié aux femmes la raison pour les exclure de la sphère publique. Cette réflexion s'est poursuivie. Depuis le début de la décennie, les livres et les revues féministes qui, dans leur titre même, mentionnent le pouvoir ou la démocratie se sont multipliés, révélant comment les hommes ont construit le processus d'exclusion des femmes des lieux de pouvoir, comment la Révolution - qui nous a été apprise comme étant l'aube de l'humanité moderne et l'avènement du sujet - a refoulé les femmes dans l'espace privé, les a constituées en mineures civiles et en incapables politiques. Π n'est pas jusqu'à la place des femmes sous l'Ancien Régime qui ne soit désormais réinterrogée et qui permette de découvrir que des femmes y ont eu du pouvoir politique (Haase-Dubosc et Viennot, 1991;Viennot, 1993).

On pourrait cependant s'étonner de constater, aujourd'hui, cette exigence d'entrée des femmes dans les assemblées en raison du contexte politique et social: n'assiste-t-on pas, en effet, à une décomposition des appareils partisans, à une crise de la représentation, à un affaiblissement du rôle du Parlement, à un effondrement des idéologies qui ont structuré les débats depuis un siècle au moins? On peut par conséquent se demander si les femmes qui réclament la parité ne mènent pas un combat décalé pour ne pas dire dépassé: entrer au Parlement alors que son pouvoir décline, à quoi bon? D'un autre côté on est aussi fondé à considérer que c'est justement parce qu'il y a crise du système que des femmes, collectivement, s'expriment Des mouvements de femmes, dans l'histoire des deux derniers siècles, ont ainsi émergé dans les périodes de mutation, de mise en question d'un ordre social et politique qui se défaisait ou qui, après s'être défait, se recomposait en les excluant, de droit ou de fait. L'expression féministe serait ainsi d'autant plus

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forte et surtout susceptible d'être entendue que Tordre est incertain, vacillant

Aujourd'hui la démocratie représentative, en dépit de ses faiblesses, émerge, au terme des mutations géopolitiques récentes, comme un moindre mal. Et c'est, certainement, parce qu'il y a ce contexte de crise en même temps que d'interrogations sur le concept de démocratie que l'absence ou la rareté persistante des femmes dans les instances élues choque tant La vie politique apparaît d'autant plus archaïque qu'elle se donne à voir presque uniquement à travers des hommes. Alors que la situation des femmes a changé, la politique garde le même visage et c'est elle qui semble désormais décalée.

Le thème de la parité et l'expérimentation de pratiques politiques paritaires sont apparus en marge des grandes formations et d'abord dans un mouvement qui se présentait comme "alternatif, à l'initiative de militantes féministes qui en ont été les premières actrices. Françoise Collin écrit, à

propos des manifestations pour la parité qui se sont déroulées depuis quelques mois, que "ces initiatives sont principalement prises et soutenues par des femmes politiques - qui ont été ou sont encore impliquées dans divers partis" (Collin, 1993). Telle n'est pas notre perception. Certes, on a entendu des femmes politiques tenir des discours mettant en question le fonctionnement des appareils partisans et dénoncer la condition faite aux femmes dans leurs organisations ainsi que le sort réservé aux élues dès lors qu'elles manifestent un semblant d'autonomie. Et il est vrai qu'à la table ronde qui s'est tenue à l'Assemblée nationale, le 8 mars 1993, les femmes politiques invitées à parier (ou plutôt celles qui sont values, car certaines avaient décliné l'invitation) ont ciéé la surprise en se ralliant, toutes, à l'idée de parité. Encore convient-il de noter plusieurs choses: la première est que cette réunion s'est tenue non point à leur initiative mais à celle du "Réseau Femmes pour la Parité", où les militantes politiques sont très minoritaires; la seconde est que celles qui se sont exprimées ce jour-là sont, en dehors de Gisèle Moreau et de la représentante des Verts, des marginales (Gisèle Halimi) ou des marginalisées dans leur formation (Florence d'Harcourt, Michèle Barzach, ...). Π n'est pas certain, par ailleurs, qu'à l'exception des Vertes, les femmes engagées dans la vie politique et qui aujourd'hui dénoncent la perpétuation du quasi-monopole des hommes dans les assemblées, soient prêtes à aller au bout de la revendication paritaire, c'est-à- dire qu'elles engagent le combat, dans leur propre parti, pour obtenir

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l'inscription de la parité dans la loi. H est, à cet égard, intéressant de lire le discours que Simone Veil a prononcé, en novembre 1992, à Athènes (Veil, 1993). Au moment même où elle signait la Déclaration comportant la phrase que nous avons citée sur la parité, celle dont le nom demeure attaché à

l'adoption de la loi sur l'Interruption volontaire de grossesse plaidait pour des ... quotas (Veil, 1993)^. La communiste Gisèle Moreau qui, à la table ronde du 8 mars 1993, avait parue acquise à la parité, a refusé de signer le manifeste qui propose de l'inscrire dans le droit Quant au ralliement d'Yvette Roudy à l'idée de parité, il est tardif et témoigne d'une conversion sans doute provoquée par la perception qu'elle a de l'émergence d'un mouvement. L'ancienne ministre des droits des femmes a bataillé de longue date, au sein de son parti, pour des quotas de femmes. Elle a, en revanche, farouchement combattu à la fin des années 70, les féministes du P.S. qui exigeaient l'égalité absolue. Dans une réunion publique qui a précédé la naissance de l'"Assemblée des femmes" dont elle est l'une des initiatrices, elle avait qualifié "d'intellectuelle" la demande de parité. Cela signifiait, pour elle, que cette revendication ne pouvait alors (c'était avant les élections

législatives de mars 1993) entrer dans la stratégie des femmes du P.S. et dans sa propre stratégie à l'intérieur de son parti. Elle a, depuis, changé d'avis

parce que le P.S. lui aussi a changé. Le processus de décomposition dans lequel il se trouve alors et que les élections législatives de mars 1993 a mis au jour de façon crue, (re)donne aux femmes de sa direction une autonomie que l'ancien appareil avait étouffée, interdite. Membre de la direction nationale de son parti, chargée des droits des femmes, elle n'a cependant pas fait de la parité un cheval de bataille, une priorité, et elle est demeurée attachée aux statuts du P.S. qui instaurent un quota de 30 % de femmes dans les instances dirigeantes et sur les listes de candidatures pour les scrutins à la proportionnelle, quotas qui n'ont jamais été respectés. Alors même qu'aux Assises du socialisme qui se sont tenues à Lyon, en juillet 1993, la revendication de parité montait spectaculairement de la "base" du parti, Yvette Roudy n'aura pas été celle qui l'a fait avancer: c'est Michel Rocard qui, à la surprise générale, sans débat dans l'organisation, a annoncé au lendemain de son élection à la direction du P.S., qu'il ne conduirait, en juin 1994, la liste socialiste aux européennes que si celle-ci comportait autant de femmes que d'hommes·*.

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Si donc, parmi les femmes politiques, quelques-unes sentent

qu'un nouveau rapport de force s'élabore, qu'un mouvement naît, de façon irrésistible, c'est davantage en marge des organisations partisanes qu'en leur sein que celui-ci se développe. C'est dans les groupes féministes ainsi que les associations féminines traditionnelles que la revendication de parité s'est

imposée, et qu'elle court. Les élections législatives françaises de mars 1993 ont incontestablement contribué à une prise de conscience et à la montée d'une colère sourde. Leurs résultats ainsi que l'analyse du processus électoral révélant que plus un parti espère avoir d'élus, moins il présente de candidates, ont servi de point d'appui à la dénonciation d'un système qui élimine les femmes, en tant que femmes, de la compétition électorale, et par conséquent de l'accès à la représentation (CNFF/Gaspard, 1993). Pour autant, il est loin d'être certain que les féministes qui se sont engagées sur ce teiTain aient envie de "faire de la politique", en tout cas, d'en faire dans les conditions actuelles du jeu partisan. La majorité de celles et ceux qui ont

signé le Manifeste des 577 sont hors de ce jeu et souvent l'ignorent et s'en méfient La bataille qui est engagée ne vise d'ailleurs pas, prioritairement, à le changer. Elle a pour objectif l'obtention d'un droit destiné à permettre l'inclusion, à égalité, des femmes dans la représentation politique, symbole de la reconnaissance de leur présence dans le domaine public. Les féministes

qui la mènent font d'ailleurs l'économie d'une argumentation qui consisterait à affirmer que la politique sera nécessairement meilleure parce que les femmes seront en nombre dans les assemblées et, qu'en raison de leur

présence, triomphera le féminisme. Elle ne se font pas d'illusion, en effet, sur le choix des candidates par les appareils: entre deux candidates, l'une féministe et l'autre qui ne l'est pas, ils choisiront plus certainement, dans l'état actuel du système partisan, la seconde. En revanche, derrière la parité pointe une espérance balbutiante que partagent certains hommes: celle d'une transformation de la politique. L'accès des femmes, à égalité, dans le

système représentatif est ainsi ressenti autant comme un droit que comme une condition d'une rénovation de la démocratie.

Erigée en principe, la parité dérange profondément "l'ordre

républicain" tel qu'il fonctionne depuis deux siècles et tel qu'il s'est normalisé avec la lue République. "Ce qui me frappe, écrit Françoise Collin, en tout cas sur le plan intellectuel, c'est que la problématique de la parité

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bouleverse profondément la conception française de la démocratie sans que ses supporters - bonnes héritières des 'valeurs républicaines' en général - semblent toujours s'en apercevoir". La parité serait-elle un des signes de la "œmmunautarisation", tant redoutée, de la société française, et sa légitima- tion, dans l'espace public (et juridique) français, constituerait-elle une rupture par rapport à l'universalisme des Lumières? L'exceptionnalité française serait-elle menacée? Y aurait-il des 'Valeurs" intangibles auxquelles les femmes devraient se plier alors qu'on sait qu'elles ont été, par les Lumières et par la République, mises en marge? "Toute une conception de 'l'universalité' comme de l'égalité ... est - consciemment ou plus souvent inconsciemment - mise en cause par la revendication de la parité" ajoute Françoise Collia Poser la question sous cet angle revient à accorder un crédit posthume à la République de Gambetta et de Ferry en ce qui concerne les droits des femmes. Et conduit à assimiler celles-ci à une communauté ethnique ou à une minorité se définissant par l'adhésion à une religion, par des caractères physiques Ces handicapés) ou encore par le choix d'une vie de couple échappant à la norme (gays et lesbiennes). Orles relations entre les hommes et les femmes ne peuvent, on le sait, être mises sur le même plan que les autres relations sociales dans la mesure où les femmes traversent toutes les catégories, qu'elles soient socioprofessionnelles, ethniques, d'âge. Les femmes ont été exclues, collectivement, du politique en raison de leur sexe. Π convient donc que ce soit en tant que femmes qu'elles revendiquent leur intégration à égalité dans la cité, d'autant que les institutions politiques témoignent d'une résistance particulière pour les y admettre.

La parité, en vérité, perturbe au moins autant "l'oidre féministe" que "l'ordre républicain" (Viennot, 1994). Lorsqu 'Elizabeth Guibert- Sledziewski, qui appelle à la démocratie paritaire (avec les limites que nous avons vues), évoque pour justifier la parité, une différence "ontologique" entre les sexes, des féministes, tenantes de l'égalité, froncent le sourcil. Celles-ci sont tentées de dénoncer la demande paritaire comme dangereusement porteuse d'essentialisme. C'est ignorer qu'une recomposition et un redéploiement du Mouvement des années 70 sur le terrain du politique est désormais en marche. Avant même que ne se pose la question de la parité, et indépendamment d'elle, l'articulation différence/ égalité avait commencé d'être retravaillée. Etes féministes qui ont toujours

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combattu Fessentialisation des sexes, redouté ses conséquences comme productrices de discriminations, adhèrent à ce combat et voient, dans la parité, un passage vers l'égalité. Ce combat oblige à prendre en compte les différences lorsqu'elles sont un prétexte à de l'exclusion. Comme l'écrit Joan Scott: "La notion politique d'égalité inclut et repose même sur une reconnaissance des différences. Les demandes d'égalité ont reposé sur des argumentations implicites, en général non reconnues, enracinées dans la différence; si les individus étaient identiques ou semblables, il n'y aurait pas besoin de demander l'égalité" (Scott, 1988, citée in Planté, 1993). C'est bien de cela qu'il s'agit dans l'exigence paritaire: de la construction de l'égalité entre les femmes et les hommes. La mobilisation qui est à l'oeuvre n'a pas pour objectif de faire que des femmes, dans les assemblées élues, représentent les femmes comme le demandait, en 1789, une française dont on ne connaît que les initiales, B.B.: "Étant démontré avec raison qu'un noble ne peut représenter un roturier ni celui-ci un noble, de même un homme ne pourrait avec plus d'équité représenter une femme puisque les représentants doivent avoir absolument les mêmes intérêts que les

représentés; les femmes ne pourraient donc être représentées que par des femmes" (Mme B.B., dans le Cahier de Doléances et réclamation des femmes, cité dans Albistur et Armogathe, 1977: 232). Nous ne pouvons davantage partager les conceptions dérivées du féminisme matriarcal qui a conduit, au début du siècle, dans le sillage de Céline Renooz, à réclamer à côté de la Chambre des dépités la création d'une chambre des députées conçue comme substitut du Sénat et chargée de défendre les intérêts de la femme (Bard, 1993). Nous sommes sortis d'une conception de la société cloisonnée en ordres, et la femme, comme espèce, a uni par disparaître. Les préjugés sociaux et politiques induits de la différenciation construite à partir du sexe biologique demeurent cependant et un rapport de force perdure (au profit des hommes) qui s'exprime, notamment, dans la représentation politique. Celle-ci, comme les lieux de décision, donne à voir qu'il existe un "ordre", non dit, des hommes. La conquête de la stricte égalité des femmes et des hommes dans les assemblées, qu'elles soient nationales ou locales, est par conséquent symbolique.

La parité, en définitive, ne met pas seulement en question la politique mais le politique lui-même; et pas seulement le politique mais ce

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qu'on appelle la sphère publique. Elle oblige à reconsidérer les frontières entre le public et le privé telles qu'elles ont été (redéfinies au "siècle des Lumières". Elle conduit à dénoncer aussi bien l'abstraction juridique qu'a été l'individu tel qu'il émerge de la Révolution que l'abstraction sociale d'un individualisme "post-modeme" qui voudrait dépasser les catégories de sexe avant même d'en avoir fait l'examen critique qui conduit à les déconstruire. En faisant de la production de la loi un processus qui exige la

participation, à égalité, des femmes et des hommes, elle démasque l'illégitimité du système tel qu'il fonctionne aujourd'hui et revêt donc un caractère de subversion radicale.

Françoise Gaspard

NOTES

1. Cette philosophie est, en revanche, bien acceptée dans les contextes où elle est assortie d'un échéancier. Ainsi en Allemagne, Γ organisation des femmes socialistes a obtenu l'adoption d'un "quota" évolutif, qui est aujourd'hui de 40 % de femmes dans les instances du SPD comme sur les listes électorales présentées par ce paru.

2. Elle est revenue sur ce thème dans un discours prononcé le 21 avril 1994 en avançant l'idée de "quotas progressifs" {Le Monde, 23 avril 1994).

3. Ce fut, presque, le cas: 43 hommes et 43 femmes figuraient sur la liste socialiste au scrutin européen du 12 juin 1994. η est cependant intéressant de remarquer que l'alternance n'était pas parfaite. Deux hommes se suivaient aux 19ème et 20ème places jugées, au moment de composition de la liste, comme "stratégiques" puisque les politologues prévoyaient alors entre 18 et 20 élus. Il convient aussi de remarquer que la décision de Michel Rocard a eu un effet de "contamination": sur 20 listes, six avaient un caractère paritaire.

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