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Rein La place de la néphrectomie partielle dans le traitement des cancers du rein Role of partial nephrectomy to treat renal cell carcinoma R. Tiguert * Centre de recherche l’Hôtel-Dieu Québec, centre hospitalier universitaire de Québec, 11, Côte-du-Palais, Québec, Canada G1R2J6 Reçu le 20 août 2001; accepté le 17 décembre 2001 Résumé La découverte fortuite des cancers rénaux de petite taille au cours d’examens radiologiques (échographie, scanner, RMN) pratiqués pour raison non urologique pose un problème de prise en charge thérapeutique (abstention et surveillance, néphrectomie élargie ou partielle). Le traitement curatif reconnu du cancer du rein est la néphrectomie élargie ; néanmoins la néphrectomie partielle est proposée pour les cancers sur rein unique fonctionnel ou les cancers bilatéraux dans le but d’éviter au patient la dialyse ou la transplantation rénale. Le débat reste ouvert pour les petites tumeurs avec rein controlatéral sain : la néphrectomie partielle est-elle alors le traitement adéquat ou faut-il lui préférer la néphrectomie élargie ? La présente étude revoit les données de la littérature sur le sujet. © 2002 E ´ ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Incidental finding of small renal carcinoma by radiologic exams (ultrasound, computed tomography, MRI) performed for non urological purposes raises therapeutic and management problems (therapeutic abstinence and surveillance, partial or radical nephrectomy). Radical nephrectomy is recognized as a curatif treatment for renal cell carcinoma. However, partial nephrectomy was suggested for renal cell carcinoma of solitary functionnel kidney or bilateral tumors in order to avoid dialysis or renal transplantation. The debat remains open for the small renal carcinomas with a normal controlateral kidney. Is partial nephrectomy an adequat treatment or rather perform radical nephrectomy ? The present study was performed to analyse the published litterature on the subject. © 2002 E ´ ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. Mots clés: Cancer du rein; Néphrectomie partielle; Résultats Keywords: Partial nephrectomy; Renal cell carcinoma; Results 1. Introduction Le cancer du rein représente environ 2 % des cancers de l’adulte et est le troisième cancer par ordre de fréquence de l’appareil génito-urinaire [1]. La société américaine de cancérologie a estimé à 28 800 le nombre de nouveaux cas de cancers rénaux en 1997, entraînant 11 300 décès [2]. Dans 25 à 61 % des cas, le cancer du rein est de découverte fortuite [3,4]. Thompson et al. ont rapporté que 82 % des cancers incidentaux du rein étaient de stade 1 ou 2 contre 32 % lorsque le cancer est symptomatique [5]. De même Konak et al. ont rapporté que ces cancers découverts fortuitement étaient plutôt de petite taille, localisés et de bas grade [6]. Dans 80 % des cas la tumeur rénale est localisée à l’un des deux pôles du rein [7]. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (R. Tiguert). Annales d’urologie 36 (2002) 295–300 www.elsevier.com/locate/anndur © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 0 0 0 3 - 4 4 0 1 ( 0 2 ) 0 0 1 1 7 - 1

La place de la néphrectomie partielle dans le traitement des cancers du rein

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Rein

La place de la néphrectomie partielle dans le traitementdes cancers du rein

Role of partial nephrectomy to treat renal cell carcinomaR. Tiguert *

Centre de recherche l’Hôtel-Dieu Québec, centre hospitalier universitaire de Québec, 11, Côte-du-Palais, Québec, Canada G1R2J6

Reçu le 20 août 2001; accepté le 17 décembre 2001

Résumé

La découverte fortuite des cancers rénaux de petite taille au cours d’examens radiologiques (échographie, scanner, RMN) pratiqués pourraison non urologique pose un problème de prise en charge thérapeutique (abstention et surveillance, néphrectomie élargie ou partielle). Letraitement curatif reconnu du cancer du rein est la néphrectomie élargie ; néanmoins la néphrectomie partielle est proposée pour les cancerssur rein unique fonctionnel ou les cancers bilatéraux dans le but d’éviter au patient la dialyse ou la transplantation rénale. Le débat resteouvert pour les petites tumeurs avec rein controlatéral sain : la néphrectomie partielle est-elle alors le traitement adéquat ou faut-il luipréférer la néphrectomie élargie ? La présente étude revoit les données de la littérature sur le sujet. © 2002 E´ditions scientifiques etmédicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

Incidental finding of small renal carcinoma by radiologic exams (ultrasound, computed tomography, MRI) performed for non urologicalpurposes raises therapeutic and management problems (therapeutic abstinence and surveillance, partial or radical nephrectomy). Radicalnephrectomy is recognized as a curatif treatment for renal cell carcinoma. However, partial nephrectomy was suggested for renal cellcarcinoma of solitary functionnel kidney or bilateral tumors in order to avoid dialysis or renal transplantation. The debat remains open forthe small renal carcinomas with a normal controlateral kidney. Is partial nephrectomy an adequat treatment or rather perform radicalnephrectomy ? The present study was performed to analyse the published litterature on the subject. © 2002 E´ditions scientifiques etmédicales Elsevier SAS. All rights reserved.

Mots clés: Cancer du rein; Néphrectomie partielle; Résultats

Keywords: Partial nephrectomy; Renal cell carcinoma; Results

1. Introduction

Le cancer du rein représente environ 2 % des cancers del’adulte et est le troisième cancer par ordre de fréquence del’appareil génito-urinaire[1]. La société américaine decancérologie a estimé à 28 800 le nombre de nouveaux cas

de cancers rénaux en 1997, entraînant 11 300 décès[2].Dans 25 à 61 % des cas, le cancer du rein est de découvertefortuite [3,4]. Thompson et al. ont rapporté que 82 % descancers incidentaux du rein étaient de stade 1 ou 2 contre32 % lorsque le cancer est symptomatique[5]. De mêmeKonak et al. ont rapporté que ces cancers découvertsfortuitement étaient plutôt de petite taille, localisés et de basgrade[6]. Dans 80 % des cas la tumeur rénale est localiséeà l’un des deux pôles du rein[7].

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (R. Tiguert).

Annales d’urologie 36 (2002) 295–300

www.elsevier.com/locate/anndur

© 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.PII: S 0 0 0 3 - 4 4 0 1 ( 0 2 ) 0 0 1 1 7 - 1

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Le traitement standard du cancer du rein localisé est lanéphrectomie élargie telle qu’elle a été décrite par Robson[8]. L’accroissement du nombre d’examens radiologiques(échographie, scanner et MRN) pratiqués pour raison nonurologique conduit à la découverte d’un nombre croissantde petites tumeurs du rein. De ce fait, le nombre de cancersde rein traités par néphrectomie partielle est de plus en plusélevé. Autrefois, la néphrectomie partielle était associée àun taux de morbidité plus élevé que celui de la néphrecto-mie élargie. Actuellement avec l’amélioration des techni-ques chirurgicales, le taux de morbidité est équivalent àcelui observé après néphrectomie élargie [9].

Nous avons revu la littérature sur les indications, lesrésultats fonctionnels et carcinologiques obtenus avec lanéphrectomie partielle.

2. Indications actuelles de la néphrectomie partielle

La néphrectomie partielle ou la préservation néphroniqueest une intervention qui est devenue courante avec desindications de plus en plus larges. Cette technique permetl’exérèse totale de la tumeur tout en conservant le paren-chyme rénal sain.

La néphrectomie partielle s’ impose lorsque la néphrec-tomie élargie rendra le patient anéphrique et insuffisantrénal (avec obligation de dialyse et/ou de transplantationrénale) ; ces cas sont représentés par le cancer du reinbilatéral et le cancer sur rein unique congénital ou acquis[10]. La qualité de vie des patients sous dialyse estinférieure à celle des transplantés rénaux. De même laqualité de vie des transplantés rénaux est inférieure à celledes patients opérés d’une néphrectomie partielle [11].

Les indications de la néphrectomie partielle sont relativesen cas de cancer unilatéral chez un sujet atteint d’unepathologie sous-jacente qui peut compromettre la fonctiondu rein restant. Ces conditions sont rencontrées en cas demaladie vasculaire (sténose de l’artère rénale), maladiessystémiques (diabète sucré avec néphropathie diabétique),reflux vésico-urétèral (détérioration de la fonction rénale),maladie calculeuse et pyélonéphrite chronique [10]. Lesindications peuvent encore s’élargir aux cancers unilatérauxet focaux avec rein controlatéral sain [12,13].

3. Les examens préopératoires

Les investigations préopératoires telle que la ponctionbiopsie ont peu d’ intérêt pour décider entre une néphrecto-mie élargie ou une néphrectomie partielle, sauf en cas delésion bénigne suspecte sur les clichés radiographiques[14,15]. La ponction biopsie du rein est associée à un tauxde faux positifs et de faux négatifs élevé [16,17]. De plus la

ponction biopsie peut entraîner non seulement une dissémi-nation du cancer le long du trajet de ponction [18], maiségalement une hémorragie et l’essaimage de la tumeur dansla graisse périrénale compromettant ainsi la sûreté de larésection tumorale par néphrectomie partielle [19].

La surveillance des petites tumeurs rénales non traitéespar des examens radiologiques ne paraît pas justifiée puis-que les cancers de petite taille ont un potentiel métastatiquenon négligeable [20,21]. Le scanner abdominopelvien per-met le diagnostic, précise la localisation de la tumeur et sesrapports avec les organes de voisinage et vérifie l’absencede métastases hépatiques et/ou ganglionnaires. En présenced’ insuffisance rénale ou d’allergie au produit de contraste eten cas de doute sur la perméabilité de la veine rénale ou dela veine cave inférieure la RMN complémentera utilementles données du scanner [22].

Au début de la pratique de la néphrectomie partielle,l’artériographie préopératoire était considérée comme unexamen de routine pour déterminer la vascularisation rénale.Actuellement, presque aucun chirurgien ne pratique plusd’artériographie rénale dans le bilan préopératoire. Cela estdû d’une part à l’amélioration de la connaissance de l’anato-mie vasculaire du rein et ses applications au développementde la technique chirurgicale de la néphrectomie partielle [23].

L’angiographie rénale sélective peut être réalisée en casde grosse tumeur médiorénale. Elle permet d’écarter laprésence d’une thrombose intrarénale [24].

4. Les considérations opératoires

4.1. Aspects techniques

L’hydratation préopératoire avec administration de25 mg de mannitol permet d’assurer une perfusion optimaledu rein durant l’ intervention [25]. Cette perfusion permetune augmentation du flux sanguin dans le réseau vasculairesecondaire du rein grâce à la diminution de l’œdèmeintracellulaire d’une part et à la diminution des résistancesvasculaires intrarénales.

4.1.1. Excision in situLa voie d’abord reste le choix du chirurgien. Il n’existe

pas de voie chirurgicale idéale. Il est rapporté par certainsque la lombotomie sur la 11e ou la 12e côte permet unemeilleure exposition et un bon contrôle du pédicule rénal[10,13,26]. Cependant la voie sous-costale antérieure per-met également un bon contrôle du pédicule rénal [12].Aucune étude ne compare ces 2 voies en terme de qualitéd’exposition.

À l’ouverture de la paroi, le rein est libéré du fascia deGerota avec conservation de la graisse périrénale en regardde la tumeur. Dans tous les cas, la dissection de l’artère rénale

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et sa mise sur lac vasculaire sont importantes pour contrôlerl’hémorragie, àl’exception des petites tumeurs localisées àlapériphérie du rein. L’artère rénale est clampée avec unbulldog àbouts en mousses ou par simple compression digi-tale. Le clampage intermittent de l’artère rénale est à pros-crire, car il s’accompagne de plus de dommage rénal que leclampage continu temporaire [24,26]. Lorsque la tumeur sesitue à l’un des 2 pôles du rein, la veine rénale n’est pasclampée pour diminuer l’ ischémie opératoire, faciliter le re-tour veineux et améliorer l’hémostase des branchesvasculaires sectionnées. Dans certains cas particuliers où latumeur est parahilaire ou intraparenchymateuse, la veine ré-nale est clampée afin de minimiser les pertes de sang.

Une fois la circulation rénale temporairement interrom-pue, l’hypothermie est utilisée pour protéger des complica-tions rénales post-ischémiques. Le refroidissement du reinavec de la glace pilée permet une ischémie de 3 h sansaltération du parenchyme [24,26].

Les techniques opératoires adoptées dépendent du siègede la tumeur. Elles varient de la néphrectomie polaire(supérieure ou inférieure) réglée, pour les tumeurs polairesà la résection cunéiforme pour les tumeurs localisées à lapartie médiane du rein.

Pour s’assurer de la résection complète de la tumeur, lesmarges de résection sont analysées extemporanément. Lesberges rénales sont recouvertes soit avec du collagène, soitavec la graisse périrénale et rapprochées par des fils quis’appuient sur la capsule.

La fermeture de la paroi sur un drain de Penrose laisséenplace quelques jours permet la surveillance et le drainagedes hémorragies secondaires ainsi que des fistules urinairesimmédiates ou retardées [9,12,24,26].

4.1.2. Excision ex situLa chirurgie ex situ est indiquée pour les tumeurs

complexes qui sont considérées inopérables in situ. Cettetechnique permet une bonne exposition du champ opératoireet une préservation maximale de parenchyme rénal sain.Elle est longue et s’accompagne d’une morbidité élevée.Elle peut s’appliquer aux cancers rénaux sur rein uniquefonctionnel qui sont de localisation médiorénale avec ousans envahissement de la veine rénale [24]. La voie d’abordse fait par une ou 2 incisions. La médiane xiphoïdienne estla voie de prédilection. Néanmoins chez les personnesobèses, la voie antérieure associée à la voie iliaque estpréférée. À l’ouverture de la paroi, le rein est disséqué àl’extérieur du fascia de Gerota ; la ligature et la section del’artère et de la veine rénale sont effectuées en dernier.Après la section et séparation des vaisseaux, le rein estperfuséavec du liquide de conservation refroidi (Collin’s ouSW). Il est ensuite plongé dans une bassine contenant de laglace pilée et du liquide de préservation. À chaque fois quececi est possible, le rein est laissé attaché àl’uretère qui est

clampé temporairement afin d’éviter le retour sanguin versle rein. La dissection de la tumeur se fait alors sur le ventredu patient. Cette méthode permet de préserver les collaté-rales terminales, surtout en présence de larges tumeurs duhile lorsque la résection peut endommager la circulationpyélique et/ou urétérale. Lorsque les conditions ne permet-tent pas la dissection sur le ventre du patient, l’uretère estsectionné et la dissection de la tumeur est faite sur une tablechirurgicale. Pour gagner du temps, l’opération peut êtrefaite à 2 équipes. Pendant qu’une équipe s’occupe de latumeur du rein, l’autre prépare la fosse iliaque pour latransplantation du moignon rénal. Le rein est débarrassé desa graisse afin d’apprécier l’extension de la tumeur àexciser. Les tumeurs opérées ex situ sont généralement desiège para-hilaire, la dissection minutieuse du hile avecidentification des collatérales et des branches de division del’artère et de la veine est un préalable. L’ identification puisla section entre 2 fils des vaisseaux nourriciers de la tumeurest pratiquée. La tumeur est réséquée avec des marges detissu sain d’environ 1 cm. Le rein est transplanté selon latechnique de transplantation habituelle [24,26].

4.2. Complications chirurgicales des néphrectomiespartielles

Les complications postopératoires les plus fréquentessont la fistule urinaire et l’ insuffisance rénale aiguë. En casde section et de réparation des calices, certains préconisentd’ injecter en préopératoire du bleu de méthylène par lebassinet afin de fermer hermétiquement les calices [12]. Letaux de fistules urinaires dans la littérature est de 17 à 20 %[9,12]. La fistule urinaire est définie comme une fuited’urine de plus de 50 cc au-delà du 7e jour postopératoire[9,12,24]. Les facteurs prédisposant à la formation de lafistule urinaire sont les suivants : le siège et la taille de latumeur (> 4 cm), une reconstruction importante des caliceset la chirurgie ex situ [9]. La fistule urinaire évoluefavorablement et se tarit spontanément dans la majorité descas. La réintervention ou la mise en place d’une sondedouble j est plus rarement indiquée.

L’ insuffisance rénale aiguë est observée dans 15 à 26 %des cas. Les facteurs prédisposant sont la taille de la tumeur(> 7 cm), la résection de plus de la moitié du parenchymerénal, une ischémie chaude de plus de 60 min et la chirurgieex situ [9,26].

Le taux de réintervention est de l’ordre de 3 %. D’autrescomplications sont rapportées, mais ne sont ni fréquentes nispécifiques de la néphrectomie partielle. Les complicationspostopératoires survenues lors d’une néphrectomie partielleou d’une néphrectomie radicale sont rapportées par excès ousoit par défaut, néanmoins une étude randomisée serait sou-haitable pour comparer les complications des 2 techniques.

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5. Le suivi postopératoire

Il y a peu de données dans la littérature concernant lesuivi postopératoire des patients traités par néphrectomiepartielle. Les questions qui se posent le plus souvent sont« comment suivre ces patients et quand les revoir ? ».

Le cancer du rein peut métastaser n’ importe où [27,28].Les sites métastatiques de prédilection sont : les poumons,les os, les surrénales, les ganglions, le foie, le cerveau et lerein controlatéral. La surveillance pour détecter les métas-tases osseuses et hépatiques est surtout clinique et biologi-que (bilan hépatique avec phosphatases alcalines) [29]. Lesmétastases cérébrales sont suspectées en présence de signesneurologiques cliniques [29]. Le risque de récidive rétropé-ritonéale n’est pas négligeable, cependant le contrôle régu-lier par des scanners est la méthode de choix pour lesdéceler [30]. Le risque de récidive, comme la plupart descancers, est grand pendant les cinq premières années aprèsla chirurgie. En l’absence de schéma consensuel concernantla conduite à tenir et le suivi postopératoire de ces patients,il est raisonnable de les revoir tous les 6 mois pendant 5 ansavec un ionogramme sanguin et une calcémie, un bilanhépatique avec phosphatases alcalines, une NFS, une radio-graphie de thorax et un scanner abdominopelvien et prati-quer un examen clinique à chaque visite pendant 5 ans. Siaprès 5 ans il n’y a pas de récidive locale ou à distance, lecontrôle est espacé tous les ans [29].

6. Résultats

6.1. Fonctionnels

La préservation chirurgicale de plus de 50 % du paren-chyme rénal sain permet en général de conserver une bonnefonction rénale [31]. La survenue d’une insuffisance rénaleaiguë en postopératoire immédiat, dépend comme on l’a vude plusieurs facteurs (taille de la tumeur, durée de l’opéra-tion). L’ insuffisance rénale aiguë n’est pas observée enprésence d’un rein controlatéral normal [9,12]. La fonctionrénale est dépendante au long cours de la quantité deparenchyme rénal sain laissé en place [31].

6.2. Carcinologiques

Dans la littérature les récidives locales de la tumeur sontde l’ordre de 4 à 6 % après néphrectomie partielle. Aucunerécidive à 5 ans n’est rapportée pour les tumeurs T1 ou T2,de taille < 4 cm et de diagnostic fortuit. Dans les grandesséries de la littérature, la durée de survie spécifique parcancer à 5 ans est 87 % à 90 % [12,32,33]. Lerner et al.avaient comparé 2 groupes de patients traités par néphrec-tomie partielle et néphrectomie élargie. Ces 2 groupes

avaient les mêmes caractéristiques (âge, sexe, stade et gradede la tumeur). Ils n’avaient pas trouvé de différence enterme de survie spécifique (Fig. 1) [34].

La crainte majeure après néphrectomie partielle est larécidive locale. Ces récidives locales peuvent résulter d’unerésection incomplète de la tumeur principale ou de laprésence de lésions microscopiques satellites indétectablesau moment de l’opération. Il est admis que le taux derécidive locale est plutôt lié à la multifocalité de la tumeurdans le moignon rénal restant. Dans 10–15 % des cas latumeur est multifocale [35,36]. Cependant, le taux derécidive est de l’ordre de 1,1% pour les tumeurs de petitetaille et de découverte fortuite contrairement aux tumeurssymptomatiques qui ont un taux de récidive de 6,7% [37].La différence observée entre le taux de récidive locale aprèsnéphrectomie partielle et le taux de cancers multifocauxpeut s’expliquer par un recul trop court pour observer toutesles récidives, par le non-diagnostic de récidives locales parles moyens radiologiques disponibles et par le nombred’études rapportant les cancers du rein sans les identifierclairement. En effet le carcinome rénal de type papillaire aune évolution lente et favorable représente 15 % des cancersdu rein et est dans 50 % des cas de siège multifocal.

7. Controverses

7.1. Néphrectomie partielle versus énucléation

L’énucléation est une technique rapide permettant dedécortiquer n’ importe quelle tumeur quel que soit son siège,à moins qu’elle ne soit intraparenchymateux. Elle a l’avan-

Fig. 1. Courbes de Kaplan-Meier représentant la durée de survie spécifiquechez deux groupes de patients égaux traités par néphrectomie partielle etnéphrectomie élargie pour des tumeurs de stade ≤ T2 (S.E. Lerner, C.A.Hawking, M.L. Blute, A. Grabner, P.C. Wollan, J.T. Eickholt and H.Zincke. Disease outcome in patients with low stage renal cell carcinomatreated with nephron sparing or radical surgery. J Urol (1996), 155, 1869.Reproduit avec l’aimable autorisation de Lippincott Williams & Wilkins).

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tage de préserver plus de parenchyme rénal. La pseudocap-sule tumorale doit être retirée en totalité. La pseudocapsuleest définie comme une fausse capsule entourant la tumeur etla séparant du reste du parenchyme rénal sain. Brisset et al.ont démontré que les cancers du rein < 3 cm présentent unepseudocapsule [13].

L’énucléation si elle est simple, risque de ne pas enlevercomplètement la tumeur, car l’ invasion microscopique de lapseudocapsule tumorale a étéclairement démontrée [36,38].L’énucléation peut occasionner des marges de résectionpositives et la néphrectomie partielle réglée est plus appro-priée.

7.2. Néphrectomie partielle et cancers avancés du rein

Les cancers rénaux symptomatiques ne sont de stade T1ou T2 que dans 32 % des cas et dans la majorité des cas ilsont déjà métastasé au moment du diagnostic [17]. Il existepeu de données à propos des cancers du rein avancés traitéspar néphrectomie partielle. Angermeier et al. ont rapporté 9patients traités par néphrectomie partielle pour cancer durein avec envahissement vasculaire et seulement 5 (55 %)étaient vivants à 33,2 mois [17]. Les résultats du petitnombre rapporté sont médiocres. Cette technique n’a doncque peu ou pas de place pour traiter les cancers du rein à unstade avancé. Si un traitement adjuvant efficace est trouvé,il faudra peut-être revoir cette indication.

7.3. Néphrectomie partielle et maladiede Von Hippel-Lindau

La maladie de Von Hippel-Lindau est une phacomatoserare. Elle est transmise selon un mode autosomal dominant.Les lésions communes associées à cette maladie sont :hémangioblastome cérébelleux, angiome rétinien, cancer durein, kyste du rein. Le cancer du rein survient chez despatients âgés entre 40 et 50 ans et est bilatéral dans 45 % descas. Ces cancers sont multifocaux et capables de métastaser32 % des patients atteints de la maladie de Von Hippel-Lindau décèdent du cancer rénal [39]. L’un des argumentsen faveur de la néphrectomie partielle, est que 90 % descancers sont de stade 1 au moment du diagnostic. L’étudeantomopathologique de ces cancers montre la présence detumeurs mixtes solides et kystiques. Ces kystes peuventcontenir un carcinome rénal ou une couche de cellulesclaires qui sera le point de départ du cancer. Il est doncprudent, de réséquer aussi bien les lésions solides quekystiques. Après des données préliminaires encourageantes,les études actuelles rapportent un taux élevé de récidivelocale sur le moignon rénal à long terme [40]. Actuellementla plupart des auteurs préconisent la néphrectomie élargiepour ces patients [41].

7.4. Néphrectomie partielle et multifocalité du cancer du rein

Le cancer rénal peut récidiver localement et peut survenir20 ans après néphrectomie élargie [20]. La récidive localeaprès néphrectomie partielle peut résulter d’une résection in-complète de la tumeur ou de la présence d’une tumeur nondétectée au moment de la chirurgie. L’ incidence de lamultifocalité a soulevé plusieurs arguments. Jacqmin et al.ont rapportéun taux de 10 % de tumeurs multifocales sur unesérie de 727 patients. Le nombre de cancers de stade T1 et T2dans cette étude est de 377 (52 %) et le nombre de tumeursmultifocales de 21 (5,5 %) pour les stades T1 et T2. Cetteétude ne précise pas la nature histologique des tumeurs [42].Les autres études classent la tumeur en fonction de sa taille etnon de son stade [35,37]. Le taux de récidive locale après lanéphrectomie partielle y est celui observé pour tous les sta-des. En revanche, le taux de récidives pour les tumeurs destade T1 ou T2 n’est pas précisé.

7.5. Néphrectomie partielle avec rein controlatéral normal

Actuellement, le nombre de tumeurs rénales découvertesde façon fortuite s’élève à 60 % [17]. La controverseconcernant le traitement de ces tumeurs par néphrectomiepartielle ou par néphrectomie élargie persiste. Novick et al.rapportent que la néphrectomie partielle peut être proposéepour un cancer rénal avec rein controlatéral sain si lescritères de sélection tels que, la présence d’une tumeurunique, la taille de la tumeur < 4 cm, de découverte fortuitesont réunies [32]. Butler et al. ont rapporté des taux desurvie à5 ans de 100 % pour les patients traités contre 84 %pour ceux traités par néphrectomie élargie [41]. La diffé-rence s’expliquant par un profil plus favorable des patientstraités par néphrectomie partielle.

8. Conclusion

La néphrectomie partielle et la néphrectomie élargie onttoutes les deux montré leur efficacité pour traiter les cancersdu rein localisés. Les indications absolues de la néphrectomiepartielle sont adoptées par tous les auteurs. Néanmoins laplace de la néphrectomie partielle dans le traitement des can-cers du rein localisés avec rein controlatéral sain, reste d’ac-tualité. Les arguments en faveur de la néphrectomie partiellesont l’ ignorance de la nature histologique en préopératoire,les tumeurs de découverte fortuite (de plus en plus fréquen-tes) sont de petite taille et de bas grade, le risque dedécompensation du rein restant au cas de réduction élargie, lerisque de développer un cancer controlatéral est de 2 %. Deplus si la néphrectomie élargie a moins de risque de récidivelocale (3 %), néanmoins elle ne peut contrôler les métastasesàdistance. Au terme de cette revue, la néphrectomie partielle

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peut être effectuée avec un minimum de risque devant une tu-meur rénale ≤ 4 cm de diamètre, de grade T1 ou T2, avec unrein controlatéral sain. Une étude comparant le taux demultifocalité en fonction de la nature histologique des can-cers du rein est souhaitable pour éclaircir la question.

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300 R. Tiguert / Annales d’urologie 36 (2002) 295–300