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La Première Guerre mondiale à travers la littérature de jeunesse

Depuis une quinzaine d’années, la Grande Guerre occupe un nouveau champ de l’espace public : la littérature de jeunesse. Avant 1998, le conflit de 1914-1918 était peu représenté dans les livres pour enfants et peinait à trouver sa place devant les abondantes parutions consacrées à la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, grâce au nombre constant de titres qui sortent chaque année sur le sujet, on peut dire qu’il existe désormais une importante littérature de jeunesse consacrée à la Première Guerre mondiale, avec, à sa tête, la publication de nombreux romans historiques.

Cette frange de la littérature pour enfants peut être doublement légitimée. D’abord parce qu’elle vise, dans ses différentes formes et par ses multiples contenus, à procurer du plaisir aux jeunes, à un âge où leur culture littéraire est en construction. Ensuite, parce qu’elle peut être utilisée à l’école comme outil de connaissance de la Grande Guerre en tant qu’objet historique. Dans ce cas, la pédagogie s’attache tout autant à la lecture des œuvres par les enfants eux-mêmes mais cherche aussi à 

exploiter ce que ces livres leur permettent d’apprendre en marge des leçons d’histoire. Depuis 2007, un site internet1 s’efforce de recenser et de présenter ces différentes publications : Grande Guerre et littérature jeunesse. Né d’un projet pédagogique dans une classe de CM2 des Alpes Maritimes, régulièrement actualisé, le 

site compte à ce jour 32 romans, 17 albums et 16 ouvrages documentaires. Par ailleurs, l’analyse de ce travail a fait l’objet d’un article2 qui présente dans le détail les étapes de ce parcours littéraire.

Isabelle Guillaume, spécialiste en littérature comparée, a particulièrement bien défini l’enjeu auquel les auteurs sont confrontés lorsqu’ils écrivent des fictions sur 14-18 à l’attention des jeunes :

« Depuis ses origines, l’écriture de la Grande Guerre se place sous le signe contradictoire de l’indicible et de l’exigence de transmettre. […] Les écrivains qui 

racontent la Première Guerre mondiale aux jeunes lecteurs d’aujourd’hui héritent de cette difficulté et de cette exigence3. »

À l’horizon du Centenaire, c’est plus que jamais aux enfants qu’il appartient de s’approprier cette littérature. Aux enseignants, il incombe de favoriser la rencontre avec les œuvres les plus significatives. Ces derniers ont en outre la délicate mission d’ajuster la nécessaire distance entre fiction et réalité historique. On ne saurait s’enfermer dans l’univers de romans historiques sans chercher à confronter leur contenu avec de véritables traces du passé. Dans le tour d’horizon qui suit, nous espérons guider les enseignants dans leurs choix et faciliter leurs recherches pour que ces lectures soient appréciées à leur juste valeur.

Des classiques à exploiter en classe

Pour le professeur qui souhaite aborder la Première Guerre mondiale avec la littérature de jeunesse, le choix d’une première lecture peut s’avérer déterminant si on cherche à fédérer l’intérêt de toute une classe. Voici quelques œuvres qui, outre le plaisir qu’elles procurent, donnent à réfléchir judicieusement sur la Grande Guerre.

Le roman de Gérard Hubert-Richou À la gloire des petits héros (Sed 2004) raconte l'aventure de quatre écoliers (Léon, Adam, Robert et Georgette) qui, en 1918, après avoir été marqués à l'école par une affiche de propagande, décident de partir et rejoindre le front pour participer à la guerre. Deux d'entre eux, Georgette et 

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Robert, espèrent aussi y retrouver leur père car il est blessé. C'est en cherchant l'hôpital de campagne qu'ils découvrent la violence, l'absurdité et les horreurs de la guerre des tranchées. Simple à lire, les personnages y sont attachants et c'est aussi un vrai roman d'aventure. Le fichier qui accompagne la lecture est particulièrement bien conçu. Il propose un questionnaire de compréhension pour chacun des chapitres ainsi que des fiches historiques afin de mieux appréhender le contexte de l’époque. Elles permettent notamment de se pencher sur la vie des enfants pendant la Grande Guerre.

Cheval de guerre (Gallimard jeunesse 1986) de Michael Morpurgo remportera à coup sûr le succès auprès des élèves. L’édition originale (War Horse) a été publiée en 1982 en Grande-Bretagne. Ce livre au ton épique nous fait partager l'incroyable destin d'un cheval pendant la Grande Guerre. On y apprend qu'après les avoir utilisés dans la cavalerie, les chevaux furent versés dans d'autres tâches plus utiles : l'évacuation des blessés en tirant des brancards, l'attelage des canons, le remorquage des munitions et des cuisines roulantes... Mais dans l'histoire de Joey, il y a aussi un puissant message de paix car un cheval, ça n'a pas de nationalité. Ainsi, nous suivons son parcours tantôt dans l'armée britannique, tantôt dans l'armée allemande et l'amour qu'il trouve auprès des hommes-soldats existe aussi bien dans les deux camps qui pourtant restent ennemis. Depuis 2012, Cheval de guerre est devenu un film de Steven Spielberg. Il convient alors d’amener les élèves à réfléchir sur les liens qui unissent la littérature et le cinéma. On s’interrogera également sur la mise en image de la guerre et de ses ressorts dramatiques.

Pour stimuler l’intérêt des élèves, on peut aussi partir du principe que la Grande Guerre constitue une énigme et qu’elle mérite une enquête. Quoi de mieux alors qu’un polar historique. Celui de Patrick Pécherot, L’affaire Jules Bathias (Syros 2006), se situe au carrefour de trois genres : le roman policier, le roman historique et le roman de société. C'est dire sa richesse et sa densité. C'est aussi un roman piège. Difficile d'en sortir une fois qu'on a mordu dans l'intrigue. Très habilement, Patrick Pécherot a ancré son récit dans deux époques : la Première Guerre mondiale et aujourd'hui. Le va-et-vient incessant entre les deux mondes entretient le mystère. Les personnages du récit sont tantôt attachants (Valentin, Léa et Sophie), terrorisants (Arthur, Brandon, Kévin et le lieutenant Bercot), providentiels (Isa), pittoresques (Fernande, Marcel), mystérieux (Jules, Paul et le comte) voire franchement hilarants (Eugène le vétéran). Patrick Pécherot ne manque pas d'humour pour mettre en scène tout ce petit monde et nous glisse au passage sa vision personnelle de l'adolescence avec justesse et subtilité.

Quelques albums trouveront naturellement leur place dans les classes.

On ne présente plus Zappe la guerre (Rue du monde 1998) de Pef. C’est une œuvre bien en phase avec notre époque qui voit le retour des poilus sur la scène publique. À travers cet album, on renoue aussi avec une tradition bien scolaire : la sortie au monument aux morts de la commune. Sauf que dans ce récit qui emprunte à l’univers du fantastique, la pierre devient « boîte de Pandore » et la réincarnation des soldats disparus oblige à réfléchir sur leur engagement patriotique mis à lourde épreuve par le caractère dévastateur du conflit. Quinze ans après sa première parution, la cocasserie des situations anachroniques opère toujours à merveille.

Avec L’horizon bleu (Petit à petit 2002), Dorothée Piatek et Yann Hamonic ont marqué durablement l’univers des livres pour enfants consacrés à 14-18. C’est un des premiers récits qui donne une vision globale du conflit à travers le parcours d’un soldat et la correspondance qu’il entretient avec sa jeune femme. L’album a inspiré, en 2008, un spectacle itinérant de la compagnie La Boîte à Sel mis en scène par Céline Garnavault. Le texte intégral, qui vient d’être réédité en format roman (Seuil 2012), permet une lecture suivie pour une classe de CM2. On pourra y observer les codes du récit épistolaire. L’album, magnifiquement illustré, restitue de façon convaincante les paysages des champs de bataille. Un travail en histoire de l’art peut être engagé en confrontant les tableaux de Yann Hamonic avec les toiles les plus marquantes d’artistes contemporains du conflit comme Marcel Gromaire, Otto Dix, C. R. W. Nevinson, Paul Nash ou encore Félix Vallotton.

Lulu et la Grande Guerre (L’école de loisirs 2006), de facture plus classique, rappelle la mobilisation  générale dans les campagnes et juxtapose des scènes du front avec les scènes de la vie quotidienne d’un village qui a vu partir presque tous ses hommes. Le tableau final, qui montre le frère de Lulu estropié, amorce le sujet des soldats mutilés et leur difficile retour à la vie civile.

Des soldats au destin tragique

Depuis quelques années, un large consensus s’est opéré dans la société française autour des combattants de 14-18 au point de les avoir portés au rang d’icônes. La littérature de jeunesse participe, dès les années 90 à cette construction positive de la figure du poilu (malmenée dans les années 60 et 70) et ce jusqu’à aujourd’hui où cette empathie ne faiblit pas.

Il y a bientôt dix ans Arthur Ténor signait un roman empreint de fatalisme sur le triste destin d’un combattant confronté à l’univers des tranchées : Il s’appelait… le soldat inconnu (Gallimard jeunesse 2004). On y suivait le parcours d'un soldat de la Grande Guerre depuis sa plus tendre enfance. Les chapitres consacrés à la violence des combats étaient particulièrement réalistes. On assistait progressivement au changement de point de vue de François sur la guerre. Très enthousiaste au début, il allait finir par la détester. Les sentiments éprouvés par la famille à l'arrière étaient bien rendus. Le dénouement nous conduisait en 1920 sous l'arc de triomphe pour redonner du sens au soldat inconnu.

D’autres titres de la même veine ont été publiés depuis.

Mort pour rien ? 11 novembre 1918 (Oscar jeunesse 2008) de Guy Jimenes se déroule à la veille de l'armistice. Nous vivons les dernières heures de la guerre à travers 

les yeux d'un jeune poilu dont nous ne connaissons pas le nom. Il fait partie de la 163e division cantonnée sur les bords de la Meuse en cette nuit du 10 novembre 1918. Ce roman illustre très bien l'angoisse des poilus à l'idée de se faire tuer bêtement alors qu'ils sont arrivés si près de la délivrance finale. Aucun roman pour enfant n'avait encore traité ce sujet.

Dans ce récit à la première personne, on suit le parcours d'un des derniers acteurs du conflit. Le soldat qui témoigne et que l'auteur a voulu anonyme nous fait découvrir a posteriori le destin tragique d’Etienne, son compagnon d’arme. Une histoire qui ravive la mémoire des soldats effectivement morts dans la matinée du 11 novembre. L'un d'eux, Augustin Trébuchon, est même considéré comme le dernier soldat français tué de la Grande Guerre. Il est tombé sous les balles ennemies à 10 h 40 dans le même secteur que celui de ce roman. Outre des recherches sur le sujet, ce roman permet une réflexion sur les liens de solidarité qui unissaient les poilus dans les tranchées.

Dans Porté disparu ! (Oscar jeunesse 2009) Catherine Cuenca revient sur la complicité des combattants. C’est avec justesse qu’elle parvient à restituer l'entraide et la camaraderie qui soudent les quatre héros de l'histoire et qui leur permettent de supporter la vie difficile des tranchées. Dans ce nouveau roman, elle aborde un sujet inédit pour les enfants, celui d'un soldat porté disparu. Pendant la guerre de 14-18, nombreux sont les combattants qui, après un assaut ou à la suite d'un bombardement, n'ont jamais été retrouvés. Pour les familles de ces disparus commence alors un deuil impossible. Sans corps, sans témoignage, il est bien difficile de se résoudre à la mort d'un proche dont on espère toujours le retour. Cette attente forcée, cette volonté de retrouver l'être cher et ce refus d'envisager le pire, Catherine Cuenca a parfaitement su l'incarner dans le personnage de Baptiste. En plus d'attendre désespérément, il se sent coupable d'avoir laissé partir son cousin pour la mission qui lui sera fatale.

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Dans Le violoncelle poilu (Syros 2009) Hervé Mestron relate l’enrôlement d’un musicien dans l’armée en 1914. Après la destruction de son instrument par un obus, le soldat le reconstruit avec du bois de caisse à munitions. Ce qu'il y a d'original dans ce récit, c'est qu'il est raconté du point de vue du violoncelle. Malgré un triste dénouement, on s'amuse des états d'âme d'un instrument habitué aux attentions les plus délicates et qui, soudain, se trouve confronté aux brutalités de la guerre.

En dépit d’un propos sombre et grave sur les soldats victimes de cette mort de masse, ces récits au ton désenchanté se veulent des passerelles vers les jeunes générations à qui l’on confie une mémoire à sauvegarder, celle de l’expérience si singulière des combattants de la guerre de 14.

Le Chemin des Dames, une mémoire qui s’affirme

Quasiment absente des récits pour enfants jusqu’au tournant de l’an 2000, la bataille du Chemin des Dames a vu sa mémoire renforcée dans des titres récents.

Dans le roman de François Charles Le fils du héros (Rageot 2004), l'action se passe dans les années qui suivent la Grande Guerre. Valentin, un enfant, n'a presque pas connu son père qui est mort au combat. À l'école, il est considéré comme le fils d'un héros et cette situation devient pesante. Au détour d'une de ses promenades, il rencontre un homme qui vit retiré du monde. Tous les deux vont chercher à se revoir et Valentin apprendra, à son contact, la triste expérience d’un combattant. L’homme est un ancien soldat qui a déserté après avoir connu l’échec et le découragement au Chemin des Dames. Il raconte au jeune garçon ses souvenirs de la bataille et les circonstances qui l’ont incité à quitter son bataillon. Cette évocation se caractérise par des passages très virulents contre la hiérarchie militaire.

Yves Pinguilly remet le couvert dans Rendez-vous au Chemin des Dames (Oskar 2007). Cette fois, c’est tout un régiment que l’on retrouve piégé dans l’assaut du 16 avril 1917. Là encore, le récit reflète ce sentiment d’échec et d’impuissance que ressentent les soldats. Certains d’entre eux, véritables rescapés du massacre, parviendront à rentrer après l’offensive et feront partie des premiers combattants à manifester leur lassitude. Le récit se focalise alors sur les mutineries pour montrer comment, à partir de l’expression d’un légitime mécontentement collectif, les soldats se retrouvent jugés en conseil de guerre.

L’évocation des mutineries permet aux auteurs d’intégrer à leur récit la célèbre « Chanson de Craonne ». Ainsi, dans le roman Rendez-vous au Chemin de Dames, les soldats entonnent son refrain au grand dam des officiers. Dans Le fils du héros, ses paroles sont proposées en annexes du récit. Il va de soi que cette chanson mérite une étude en classe pour mettre en lumière toute la colère et le désespoir qu’elle exprime ainsi que le caractère subversif qu’elle renferme.

En 2012, un nouveau roman est venu compléter l’approche littéraire du sujet pour les enfants : Le déserteur du Chemin des Dames (SEDRAP 2012). En juin 1917, un déserteur débarque dans une ferme de l’Aisne au beau milieu de la nuit... De cette hypothèse, Serge Boëche tire un huis clos qui s'avère autant captivant qu’édifiant sur la désastreuse offensive du 16 avril 1917. Pour les enseignants, le SEDRAP a conçu un fichier d'accompagnement qui facilite l'approche du texte avec des élèves. Un bonus précieux y figure : l'épilogue du récit proposé par l'auteur lui-même ! Avec ce nouveau titre, l’idée se confirme que le Chemin des Dames fait désormais partie de la culture scolaire, au même titre que le 11 novembre ou Verdun. Il faut dire qu'avec son cortège de fantômes refoulés (déserteurs, mutins et fusillés), cette bataille emblématique n'a pas fini de venir frapper à notre porte.

Quoi qu'il en soit, il faut se réjouir de ces initiatives littéraires qui placent la détresse des soldats de 14-18 au cœur des travaux menés en classe et qui permettent d'accorder aux « refus de guerre » l’importance qu'ils méritent dans la réflexion des enfants de l'école primaire.

Les fraternisations, un sujet de prédilection au service d’une littérature pacifiste

La sortie et le succès en 2005 du film de Christian Carion Joyeux Noël ont été accompagnés, dans la littérature jeunesse, par la publication de titres significatifs sur le thème des fraternisations. Les soldats qui ne voulaient plus se faire la guerre (Oskar jeunesse 2005) de Éric Simard et La trêve de Noël (Gallimard jeunesse 2005) de Michael Morpurgo ont été publiés la même année, tant et si bien que d’aucuns ont pu y voir - à tort - des produits dérivés du film. Tout récemment, Catherine Cuenca a revisité le sujet dans Le secret du dernier poilu (Oskar jeunesse 2012).

Les deux premiers titres ont pour contexte les grandes fraternisations de Noël 1914, au cours desquelles certains secteurs du front ont été le théâtre de trêves, d’échanges et de rencontres tacites entre soldats ennemis. Ces moments de la première année de guerre, plutôt marginaux et méconnus jusqu’en 2005, ont fait l’objet, dès la sortie du film, d’une vive polémique au sein de la communauté des historiens. Certains y ont vu une relecture faussée du conflit, à travers le prisme des mentalités actuelles et ont dénoncé une victimisation abusive des combattants de 1914-1918.

Pour d’autres, non seulement ces événements ont bien eu lieu, mais ils se sont répétés tout au long de la guerre en différents lieux du front et sous différentes formes.

Les auteurs de jeunesse ne sont pas en reste dans ce débat. Ils participent à nuancer fortement le modèle du combattant en proie à la haine de l’ennemi et à sa diabolisation. En outre, ils ont permis que les fraternisations soient plus largement évoquées.

Dans Les soldats qui ne voulaient plus se faire la guerre, un soldat anglais fraternise avec un soldat allemand qui parle anglais. Ils échangent des cadeaux. L'Anglais demande à l'Allemand de lui offrir les boutons de sa vareuse tandis que l'Allemand lui demande ses cigarettes et son chocolat. Ils font même une partie de football sur le no man's land. Mais la guerre va reprendre et les deux soldats devront rejoindre leur camp pour combattre l'un contre l'autre. Longtemps après, en 1970, les deux amis se retrouvent vieux et mutilés, mais rescapés de la guerre et de nouveau réunis.

L'album La trêve de Noël est britannique. Écrit par Michael Morpurgo et illustré par Michael Foreman, il est sorti en Angleterre en 2004 sous le titre The Best Christmas Present in the World. Les fraternisations de Noël 1914 entre Britanniques et Allemands constituent le cœur du récit. L'originalité de cette histoire, c'est qu'elle est racontée à travers une lettre. Une vieille lettre qui a résisté au temps et qui constitue pour son découvreur autant un trésor du passé qu'une énigme à résoudre.

Dans Le secret du dernier poilu, Catherine Cuenca offre un prolongement à son ancien roman, Frères de guerre (Flammarion 2006). Eugène, un soldat français, y faisait la connaissance de Willi, un Allemand, alors que tous les deux étaient blessés et attendaient des secours. Eugène lui tendit alors sa gourde, ils échangèrent quelques mots et se montrèrent des photos de famille. Evacués séparément, Eugène et Willi ne se revirent plus. Nous retrouvons Eugène en 2012, à l’âge de 109 ans, lorsqu’à l’occasion des cérémonies du 11 novembre, il reconnaît Willi dans un documentaire télévisé. Celui-ci prétend que c’est un Français qui lui a sauvé la vie alors qu’il était mourant sur le champ de bataille. Désormais, Eugène n’a plus qu’un souhait : revoir son compagnon d’infortune avant de quitter définitivement ce monde. Sur son personnage plane l’ombre portée de Lazare Ponticelli, dernier poilu de la Grande Guerre, disparu en 2008.

En 2012, le manuel scolaire Histoire Géographie Histoire des Arts (éditions Belin) à destination des élèves de CM2 évoque ces ententes tacites. Au chapitre La vie dans les tranchées on lit :

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« Malgré la brutalité du conflit, certains soldats de camps ennemis ont pu cesser les combats le temps d’une nuit ou de quelques jours : ce sont les fraternisations. » 

Il est permis d’y voir la juste reconnaissance d’un fait historique à l’initiative d’un film et de quelques romans…

Des romans pour ados portés par des héroïnes en quête d’émancipation

À la lecture du roman de Sophie Marvaud Suzie la rebelle (Nouveau Monde Jeunesse 2008), on repense à un autre roman, lui aussi écrit à la première personne, Le journal d'Adèle (Gallimard Jeunesse 1995). Dans le cas de Suzie comme dans celui d'Adèle, une jeune fille est plongée dans la tourmente de la Première Guerre mondiale et doit prendre son destin en main. Dans les deux cas, l'émancipation de l'héroïne se fait contre son entourage familial et social : Adèle ne veut pas d'un avenir dans la ferme où elle a grandi et Suzie ne veut pas d'un mariage de raison dicté par sa mère. Toutes deux sont attirées par les études, l'une pour devenir institutrice, l'autre pour devenir scientifique. Cependant, toutes deux vivent à une époque où les femmes sont principalement destinées aux rôles de mère et d'épouse dévouées à leur mari. Enfin, pour l'une comme pour l'autre, une rencontre décisive va les mener vers le grand amour. Adèle et Suzie sont deux incarnations littéraires de cette génération de femmes qui a dû compenser l’absence des hommes durant la Grande Guerre. Avec une différence tout de même : leur origine sociale. Adèle est fille de paysans, elle a toujours vécu à la campagne alors que Suzie est une Parisienne dont les parents appartiennent à la bourgeoisie commerçante.

Malgré ses envies d’indépendance et sa détermination, Suzie reste sensible à la misère des soldats dans les tranchées et dénonce l'indifférence de certains au drame qui se joue sur les champs de bataille. Pourtant, malgré ce lourd contexte de la guerre, Suzie la rebelle se veut avant tout le roman d'un bonheur assumé, par le regard lucide que l'héroïne porte sur son temps et sur sa vie et par l'enthousiasme et la vitalité qui se dégagent de son personnage.

Cependant, toutes les héroïnes n’inspirent pas la même joie de vivre. Dans le beau et ténébreux roman de Marcus Sedgwick La prophétie de l’oiseau noir (Milan 2006), l’histoire est portée par Alexandra, une jeune anglaise à l’esprit plutôt torturé. Publié en 2005 en Angleterre sous le titre The Foreshadowing (La préfiguration), ce récit est vraiment atypique et vaut le détour.

L'auteur nous entraine dans l'histoire pas banale d'une jeune fille de la haute société anglaise de Brighton, confrontée à la guerre ainsi qu'aux visions morbides qui la tourmentent : Alexandra dispose bien malgré elle d'un don, celui de deviner la mort prochaine des personnes de son entourage et en particulier celle de son frère, mobilisé dans le corps expéditionnaire britannique en 1916.

Mise à distance, réduite à un grondement sourd et lointain, voire fantasmée, la Grande Guerre devient ici la toile de fond d'une intrigue psychologique qui se cristallise autour de la personnalité complexe de cette jeune héroïne.

Tout en s'attachant à la mission qu'elle s'est donnée (sauver son frère), Alexandra devine l'ampleur du désastre que sera cette tuerie sans précédent pour l'armée britannique : l'effroyable hécatombe de la bataille de la Somme en juillet 1916.

Prisonnière d'une sphère familiale étouffante, dominée par la toute puissance d'un père au patriotisme aveugle et qui se cramponne aux vieux principes d'une bourgeoisie misogyne, Alexandra est bien la seule à percevoir la tragédie qui se joue de l'autre côté de la Manche. En s'embarquant pour la France, elle tourne la page d'un monde qui n'a pas encore compris que rien ne sera plus comme avant.

Finissons par une dernière héroïne qui, à l’inverse de Suzie, Adèle et Alexandra ne vit pas au temps de la Grande Guerre mais n’en assume pas moins la mémoire avec force. Ainsi va Lucile dans le roman de Gisèle Bienne Le cavalier démonté (L'école des loisirs 2006).

En pleine adolescence, Lucile a choisi son camp : côtoyer des vétérans de la Première Guerre mondiale au premier rang desquels figure son grand-père. Du coup, ce récit prend rapidement l’allure d’un parcours initiatique. Parcours au cours duquel la jeune fille va devoir surmonter sa peur, s'immiscer dans un groupe où elle n'a, à priori, pas sa place, affronter le caractère irascible de son grand-père, écouter son témoignage et se montrer patiente pour parvenir à gagner son estime.

Au bistrot, Félicien et ses vieux camarades de tranchée constituent un groupe à part que la guerre a détruit. Une gueule cassée, deux invalides et un asocial qui ne peuvent se résoudre à oublier le cauchemar auquel ils ont pourtant survécu. Ils sont comme des naufragés perdus dans un monde qui a tourné la page. Nous sommes en 1964 et plus de quarante ans ont passé depuis la fin de la Grande Guerre.

Dans un groupe aussi marginal, Lucile se sent comme une intruse. Elle a l'impression de gêner son grand-père. Et puis, du haut de ses quinze ans, que connaît-elle de la vie ? Pourtant, elle est bien celle qu'il attendait. Celle avec qui le difficile retour sur les champs de bataille devient possible. Celle auprès de qui le témoignage prend tout son sens. De la rencontre du grand-père avec sa petite-fille naît un dialogue intergénérationnel dont l'enjeu est la transmission d'une mémoire autant que d'un esprit critique sur le monde.

Dans ce récit souvent décousu comme peut l'être la parole d'un vieil homme se lit clairement la révolte contre ceux qui ont conduit cette guerre et contre ceux qui en exploitent désormais le souvenir. Parce que, de son expérience de combattant, Félicien n'a hérité que d'un farouche sentiment antimilitariste. Et ce qu'il veut révéler avant de mourir, c'est la face cachée de cette guerre, à l'opposé de l'orgueil patriotique qui l'a rendue possible.

Progressivement, le récit prend le ton d’un réquisitoire pacifiste. L'auteure, Gisèle Bienne, s'y engage pleinement, comme si Lucile était cette adolescente qu'elle a été autrefois, partagée entre sa vie de lycéenne et l'admiration qu'elle vouait à son grand-père. Et l'on peut se demander si la dernière promesse que l'héroïne confie à Félicien sur son lit de mort ne se réalise pas dans le roman qu'on vient de lire…

La présence récurrente de ces héroïnes dans les romans consacrés à la Grande Guerre doit nous interpeller. Avec elles, ce n’est plus la guerre vue des tranchées qui compte mais plutôt le conflit envisagé sous l’angle de la population civile. Par cette mise à distance des champs de bataille, les auteurs cherchent à valoriser un autre combat qui s’est joué au cours des mêmes années : celui des femmes pour leur émancipation. Si les fictions d’aujourd’hui font la part belle à de jeunes aventurières au caractère rebelle, il convient d’interroger les lecteurs sur ce qu’il en fut vraiment à l’époque. Quels rôles les femmes ont-elles joués durant le premier conflit mondial ? Quels rapports entretenaient-elles avec les combattants ? Leur statut social s’est-il amélioré au cours des années d’après-guerre ? Leur émancipation fut-elle vraiment effective ? Autant de questions auxquelles il faudra tenter de répondre à la lumière des recherches menées avec les élèves.

 

1 Les CM2 de l’école l’Orée du bois vous présentent : Grande Guerre et littérature jeunesse (http://www.ac-nice.fr/ienvalsiagne/oree/sitedeguerre/index.htm) 2 BOVYN Philippe, Grande Guerre et littérature jeunesse dans Les Actes de Lecture, revue de l’AFL, n° 99, octobre 2007. On peut également consulter cet article sur internet à l’adresse suivante : http://www.lecture.org/productions/revue/AL/AL99/page063.pdf 3 GUILLAUME Isabelle, Écrire la Grande Guerre aujourd’hui dans la revue Parole, publiée par l’Institut suisse jeunesse et médias, décembre 2010. On peut également consulter cet article sur internet à l’adresse suivante : http://www.ricochet-jeunes.org/magazine-propos/article/157-guillaume-ecrire-guerre

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