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L’Europe des Libertés, Revue d’actualité juridique, N°26, pp. 2-12 www.leuropedeslibertes.u-strasbg.fr Jean Paul Jacqué La protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne après Lisbonne 1 JEAN PAUL JACQUÉ 2 Le traité de Lisbonne marque en apparence une évolution importante dans la protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne puisqu’il accorde à la charte des droits fondamentaux un statut constitutionnel en lui accordant la même valeur juridique qu’aux traités. Mais il se situe dans le cadre d’un processus entamé depuis de longues années. Dans le passé, l’effort du juge s’est essentiellement porté sur l’affirmation de ces droits dans le cadre de la Communauté à la suite des réactions des juridictions constitutionnelles nationales qui s’étaient notamment traduites dans l’arrêt Solange I de la Cour constitutionnelle allemande. En réponse à cette réaction, assortie d’une menace sur la primauté, la Cour a répondu en assurant la protection des droits fondamentaux par le canal des principes généraux du droit et en établissant, de manière toute casuistique, un catalogue des droits fondamentaux inspiré pour l’essentiel de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette période s’est conclue par la reprise dans l’article 6 du traité sur l’Union européenne de la jurisprudence de la Cour. Aujourd’hui l’accent s’est déplacé et il s’agit davantage de déterminer la manière dont opèrent les droits fondamentaux et dont ils se situent tant par rapport aux quatre libertés qu’en relation avec les constitutions nationales. Dans ce contexte, la question de la primauté du droit communautaire par rapport au droit national, tout en demeurant en arrière-plan, n’est plus au cœur du débat. En effet, les juridictions constitutionnelles nationales, après avoir marqué les réserves de rigueur, semblent admettre une large équivalence entre le degré de protection des droits fondamentaux offert par l’Union et celui qui résulte des constitutions nationales. De son côté, l’approche de la Cour repose sur la nécessaire conciliation entre droits fondamentaux, traité et traditions constitutionnelles des États membres 3 . La tâche essentielle du juge communautaire, mais aussi du juge national, présente dès lors un double aspect. Dans un premier temps, il paraît essentiel de redéfinir porte, sur la base du traité de Lisbonne, un cadre de référence, que l’on pourrait qualifier de « bloc des droits fondamentaux » qui tienne compte de la multiplicité des sources auxquelles ce traité fait appel (I). Mais cette mission ne saurait être accomplie sans que soient fixées les orientations en fonction desquelles pourront être réglés les conflits tant entre ces droits et d’autres règles de droit primaire qu’avec le droit constitutionnel national (II) I. Un nouveau cadre de référence L’article 6 du traité sur l’Union européenne définissait clairement le cadre dans lequel devait opérer le juge communautaire. Les droits fondamentaux protégés au sein de l’Union trouvaient leur origine tant dans la Convention européenne des droits de l’homme que dans les traditions constitutionnelles communes aux États membres. La réception de ces droits dans l’ordre juridique communautaire s’effectuait par le canal des principes généraux du droit. Ceci n’interdisait pas à la Cour de puiser à d’autres sources d’inspiration. Elle a ainsi fait appel à des conventions internationales auxquelles les États membres étaient parties. Cette démarche 1 Ce texte est une version légèrement modifiée d’une contribution à paraître dans les mélanges en l’honneur du Professeur Jean Charpentier. 2 Professeur émérite à l’Université de Strasbourg 3 Pour illustrer cette nouvelle problématique, voir les arrêts, non encore publiés au recueil, Viking du 11 décembre 2007, affaire 438/05, point 43 et Laval du 18 décembre 2007, affaire C-341/05, point 90.

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Jean Paul Jacqué

La protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne après Lisbonne1

JEAN PAUL JACQUÉ2

Le traité de Lisbonne marque en apparence une évolution importante dans la

protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne puisqu’il accorde à la charte des droits fondamentaux un statut constitutionnel en lui accordant la même valeur juridique qu’aux traités. Mais il se situe dans le cadre d’un processus entamé depuis de longues années. Dans le passé, l’effort du juge s’est essentiellement porté sur l’affirmation de ces droits dans le cadre de la Communauté à la suite des réactions des juridictions constitutionnelles nationales qui s’étaient notamment traduites dans l’arrêt Solange I de la Cour constitutionnelle allemande. En réponse à cette réaction, assortie d’une menace sur la primauté, la Cour a répondu en assurant la protection des droits fondamentaux par le canal des principes généraux du droit et en établissant, de manière toute casuistique, un catalogue des droits fondamentaux inspiré pour l’essentiel de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette période s’est conclue par la reprise dans l’article 6 du traité sur l’Union européenne de la jurisprudence de la Cour. Aujourd’hui l’accent s’est déplacé et il s’agit davantage de déterminer la manière dont opèrent les droits fondamentaux et dont ils se situent tant par rapport aux quatre libertés qu’en relation avec les constitutions nationales. Dans ce contexte, la question de la primauté du droit communautaire par rapport au droit national, tout en demeurant en arrière-plan, n’est plus au cœur du débat. En effet, les juridictions constitutionnelles nationales, après avoir marqué les réserves de rigueur, semblent admettre une large équivalence entre le degré de protection des droits fondamentaux offert par l’Union et celui qui résulte des constitutions nationales. De son côté, l’approche de la Cour repose sur la nécessaire conciliation entre droits fondamentaux, traité et traditions constitutionnelles des États membres3. La tâche essentielle du juge communautaire, mais aussi du juge national, présente dès lors un double aspect. Dans un premier temps, il paraît essentiel de redéfinir porte, sur la base du traité de Lisbonne, un cadre de référence, que l’on pourrait qualifier de « bloc des droits fondamentaux » qui tienne compte de la multiplicité des sources auxquelles ce traité fait appel (I). Mais cette mission ne saurait être accomplie sans que soient fixées les orientations en fonction desquelles pourront être réglés les conflits tant entre ces droits et d’autres règles de droit primaire qu’avec le droit constitutionnel national (II)

I. Un nouveau cadre de référence L’article 6 du traité sur l’Union européenne définissait clairement le cadre dans lequel devait opérer le juge communautaire. Les droits fondamentaux protégés au sein de l’Union trouvaient leur origine tant dans la Convention européenne des droits de l’homme que dans les traditions constitutionnelles communes aux États membres. La réception de ces droits dans l’ordre juridique communautaire s’effectuait par le canal des principes généraux du droit. Ceci n’interdisait pas à la Cour de puiser à d’autres sources d’inspiration. Elle a ainsi fait appel à des conventions internationales auxquelles les États membres étaient parties. Cette démarche

1 Ce texte est une version légèrement modifiée d’une contribution à paraître dans les mélanges en l’honneur du Professeur Jean Charpentier. 2 Professeur émérite à l’Université de Strasbourg 3 Pour illustrer cette nouvelle problématique, voir les arrêts, non encore publiés au recueil, Viking du 11 décembre 2007, affaire 438/05, point 43 et Laval du 18 décembre 2007, affaire C-341/05, point 90.

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a été particulièrement utile en ce qui concerne les droits sociaux qui ne sont pas garantis par la Convention européenne des droits de l’homme. Dans cette hypothèse, la Cour a donné une valeur particulière à la Charte sociale européenne conclue dans le cadre du Conseil de l’Europe4. La Charte des droits fondamentaux n’a pas immédiatement fait partie de ce cadre de référence et sa prise en considération par le juge communautaire est le résultat d’un lent processus. Rien de surprenant à cela puisque les auteurs du traité de Nice n’avaient pas souhaité incorporer la Charte dans le droit primaire et s’étaient contentés de donner à celle-ci la forme et la valeur d’un accord interinstitutionnel. Dans un premier temps, l’avocat général Tizzano estimait que la Charte était un instrument de référence utile puisqu’elle énonçait des droits qui étaient reconnus par ailleurs5. Puis le Tribunal de première instance considérait que la Charte pouvait constituer un instrument de référence puisqu’elle confirmait les traditions constitutionnelles des États membres6. Pour sa part, la Cour a d’abord fait usage de la Charte sans le dire lorsqu’elle a consacré le principe général de la dignité de la personne humaine7. Dans un second temps, dans une affaire relative au regroupement familial, la Charte a servi d’instrument d’interprétation d’un texte communautaire parce qu’il en était fait mention dans la motivation du texte8. Enfin, après la signature du traité « constitutionnel »9, toute réserve à l’égard de la Charte a disparu. Ainsi, pas après pas, la Charte a fait son chemin dans le système communautaire de droits fondamentaux. Sur un plan théorique, l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne devrait modifier fondamentalement la situation puisque la Charte fera désormais partie du droit primaire. Mais, compte tenu du maintien des dispositions de l’actuel article 6, les principes généraux du droit conserveront une place. Ils perdent cependant leur exclusivité dans la mesure où la Charte constitue le principal instrument de protection

A. La Charte instrument principal de protection des droits fondamentaux

À la différence de la constitution, le traité de Lisbonne n’incorpore pas la Charte des droits fondamentaux, mais donne à celle-ci la même valeur que les traités. La version de la Charte à laquelle il est fait référence n’est pas la version originale qui avait été signée par les institutions à Nice, mais la version révisée à l’occasion de son incorporation dans la constitution et qui a été signée par les institutions le 12 décembre 200710. Tout comme la constitution, le traité précise que l’interprétation de la Charte doit prendre en considération11 les explications qui avaient été rédigées lors de l’élaboration de celle-ci12. L’intégration de la

4 Voir pour une jurisprudence récente les arrêts Viking du 11 décembre 2007 (point 43) et Laval du 18 décembre 2007, affaire C-341/05 (point 90), non encore publiés au recueil. 5 Il en concluait qu’il « est impossible d’ignorer les énonciations pertinentes de la charte ni surtout son évidente vocation à servir, lorsque es dispositions le permettent de paramètre de référence substantiel … », Conclusions du 8 février 2001, BECTU, affaire C-173/99, rec. I-4851. 6 Arrêt du 30 janvier 2002, max.mobil c. Commission, affaire T-54/49, rec. II-313. 7 Arrêt du 9 octobre 2001, Pays-Bas c. Conseil, affaire C-377/99, rec. I-7079. En effet, l’arrêt reconnaît le principe sans indiquer aucune source. Or la Charte des droits fondamentaux est le principal texte qui fasse référence au principe de la dignité de la personne humaine dans l’Union. 8 Arrêt du 27 juin 2006, Parlement c. Conseil, affaire C-540/03, rec. I-5769. 9 Voir les arrêts Viking et Laval précités. Coïncidence ou volonté de n’utiliser la Charte qu’après que celle-ci ait été approuvée non seulement par les institutions dans un accord interinstitutionnel, mais également par les Etats membres à travers la signature du traité établissant une constitution pour l’Europe. 10 En effet sur un plan technique, comme le traité de Lisbonne ne pouvait faire référence à la constitution et que le texte incorporé dans la constitution différait de celui de la charte initiale, il était nécessaire d’établir un nouveau texte authentique de la charte. 11 Outre les dispositions du titre VII de celle-ci. 12 Étrange destin que celui de ces explications qui ont été rédigées par le secrétariat de la Convention chargée de l’élaboration de la Charte, n’ont fait l’objet d’un très rapide coup d’œil des membres du présidium de la

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Charte dans le droit primaire suppose que des réponses soient apportées à un certain nombre de questions.

1. Droits fondamentaux et compétences de l’Union

Le traité de Lisbonne prend soin de couper tout lien entre la Charte et les compétences de l’Union puisqu’il précise que les dispositions de la Charte ne peuvent étendre en aucune matière les compétences de celle-ci. Cette disposition porte témoignage d’une incompréhension qui s’est manifestée dès les premiers moments de la rédaction de la Charte et qui est loin d’avoir disparu aujourd’hui. Bien des membres de la Convention considéraient en effet qu’il devait exister une correspondance absolue entre droits fondamentaux et compétences communautaires. Selon eux, il ne pouvait pas d’une part être fait mention de certains droits dès lors que l’Union ne possédait pas de compétences dans un domaine qui touchait au champ d’application présumé de ces droits. D’autre part, toute mention d’un droit dans la Charte risquait de donner naissance à une compétence de l’Union en rapport avec ce droit. En d’autres termes, à leurs yeux, le simple fait de mentionner dans la Charte la liberté d’expression pouvait donner compétence à la Communauté pour adopter des mesures en la matière. Plus clairement encore selon eux, l’interdiction de la peine de mort ne pouvait figurer dans la Charte puisque l’Union ne pouvait prononcer une telle peine. Cette vision reposait sur une méconnaissance complète tant des règles communautaires que des droits fondamentaux. S’agissant de ces derniers, leur caractère horizontal est admis depuis longtemps. Chacun sait que la législation en matière religieuse, domaine dans lequel l’Union n’a pas de compétence, n’est pas seule à pouvoir porter atteinte à la liberté religieuse, mais qu’une législation fiscale ou sanitaire pourrait indirectement engendrer une violation de cette liberté13. L’Union ne peut dans l’exercice de ses compétences porter atteinte aux droits fondamentaux qu’elle garantit et la même règle s’applique aux États membres lorsqu’ils agissent dans le champ d’application du droit communautaire. En résumé, l’obligation de respecter un droit fondamental ne donne pas naissance à une compétence de l’Union, elle impose seulement à l’Union de veiller à ce que, dans l’exercice de ses compétences propres, celle-ci ne porte pas atteinte à ce droit. Les droits fondamentaux constituent dès lors une limite qui joue dans l’exercice des compétences de l’Union. Cependant, les méfiances politiques à l’égard du risque d’une extension des compétences étaient telles que la clause relative à la sauvegarde des compétences communautaires n’a pas seulement été introduite dans la Charte, mais qu’elle figure à deux reprises à l’article 6 du traité de Lisbonne, sans tenir compte d’une déclaration tchèque dans le même sens. Les récents arrêts Laval et Viking de la Cour de Justice devraient cependant rassurer les esprits. Ces affaires mettaient en cause les rapports entre libre prestation de services, liberté d’établissement et droit de grève. Or, l’article 137 CE exclut expressément le droit de grève des compétences communautaires. Cela impliquait-il que la Cour de justice puisse faire abstraction de ce droit ? Tel n’a pas été le cas puisque la Cour rappelle que « s’il est vrai que, dans des domaines que ne relèvent pas de la compétence de la Communauté, les États membres restent, en principe, libres de fixer les conditions d’existence des droits en cause et les modalités d’exercice de ces droits, il n’en demeure pas moins que, dans l’exercice de cette compétence, lesdits États sont néanmoins tenus de respecter le droit communautaire… Par conséquent, la circonstance que l’article 137 CE ne s’applique ni au droit de grève ni au droit de lock-out n’est pas de nature à soustraire une action collective telle que celle en cause

Convention par une procédure écrite, puis se voient transformées en élément d’interprétation authentique du document auquel elles sont rattachées. 13 Sur ce point, voir notre contribution aux mélanges Cohen-Jonathan , Droits fondamentaux et compétences internes de la Communauté, Bruylant, volume I, 2004.

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au principal à l’application de l’article 43 CE »14. Il est vrai qu’en l’espèce, il s’agissait moins de protéger un droit fondamental que d’établir dans quelle mesure un droit fondamental pouvait limiter une des libertés établies par le traité. Mais le lien entre droit et compétence est brisé. Cette rupture n’est pas nouvelle. Elle était déjà manifeste lorsque, dans l’arrêt Grant, la Cour constatait que « si le respect des droits fondamentaux […] constitue une condition de la légalité des actes communautaires, ces droits ne peuvent en eux-mêmes avoir pour effet d’élargir le champ d’application des dispositions du traité au-delà des compétences de la Communauté »15. Par contre, l’existence d’un droit reconnu au niveau de l’Union n’autorise pas la Cour à appliquer celui-ci hors du champ d’application du droit de l’Union16. Ainsi la Cour a refusé d’appliquer le principe de non-discrimination à une situation interne belge discriminant entre Wallons et flamands alors qu’elle déclarait cette même législation flamande contraire au droit communautaire dès lors qu’elle s’appliquait aux travailleurs communautaires ayant exercé leurs droits à la libre circulation17.

2. De la différence entre droits et principes

La Charte établit une protection différente entre les droits et les principes. Lors de l’élaboration de la Charte, certains membres de la Convention estimaient que ne pouvaient figurer dans celle-ci que des droits directement justiciables ce qui avait pour conséquence d’exclure un certain nombre de droits sociaux18. Un compromis fut trouvé au prix d’une distinction entre droits et principes. Durant la seconde Convention chargée de rédiger la constitution, les représentants britanniques ont fortement insisté pour clarifier cette distinction ce qui fut fait dans la nouvelle rédaction de l’article 52 de la Charte. Tandis que les droits peuvent être invoqués devant la Cour à l’encontre d’une mesure communautaire ou d’une mesure nationale d’application, la violation d’un principe ne peut être sanctionnée par un juge qu’à l’encontre d’une mesure qui le met en œuvre. Un particulier ne pourrait donc se prévaloir directement d’un principe puisque celui-ci ne créerait pas de droit subjectif à son profit. Si l’on met de côté la question de l’identification des principes contenus dans la Charte19, le problème essentiel reste celui de la justiciabilité de ceux-ci. Formellement, l’invocabilité d’un principe est subordonnée à l’existence d’une mesure de mise en œuvre adoptée par l’Union ou un Etat membre. Tout dépend donc de la signification que l’on accorde à cette notion de mise en œuvre. Cette dernière n’intervient-elle que dans les seuls cas où l’objet de l’acte est explicitement de fixer les conditions d’application du principe ? Une telle vision ne paraît-elle pas trop restrictive ? S’il est vrai qu’un particulier ne peut invoquer un principe à l’encontre d’une mesure individuelle le concernant, ce principe ne permet-il pas de demander au juge d’apprécier la conformité d’une quelconque législation dont l’effet serait de remettre en cause ledit principe ? Ainsi, l’article 25 reconnaît le droit des personnes âgées de participer à la vie sociale et culturelle Ne pourrait-on invoquer une violation de l’article 25 à l’encontre d’une mesure de l’Union prise en matière d’emploi ou de libre prestation de services qui aurait pour conséquence d’exclure les personnes âgées ? En effet les principes fixent des objectifs à l’action de l’Union et celle-ci ne peut les méconnaître dans son œuvre législative. Bien

14 Arrêt Laval précité, points 87 et 88. 15 Arrêt du 17 février 1998, affaire C-249/96, rec. I-621 point 45. 16 Arrêt du 29 mai 1997, Kremzow, affaire C-299/95, rec. I-2629 Arrêt du 1er avril 2008 rec. I-2629. 17 Arrêt du 1er avril 2008, Gouvernement de la Communauté française et Gouvernement wallon, affaire C-212/06, non encore publiée au recueil. 18 mais pas tous les droits sociaux puisque certains comme les droits syndicaux, ou la protection contre le licenciement abusif … sont incontestablement justiciables. 19 Les explications sous l’article 52 incluent une courte liste de principes dont il est précisé qu’elle n’est pas exhaustive.

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entendu, seule l’adoption de mesures positives créera des droits subjectifs dont la violation pourra être sanctionnée par le juge. Certes l’abstention du législateur ne constituera pas une violation de la Charte, mais rien n’interdit qu’une mesure de portée générale de l’Union qui irait à l’encontre du principe subisse la censure du juge. L’avenir dira si la Cour est disposée à adopter cette interprétation qui semble d’ailleurs résulter des explications jointes à la Charte.

3. La portée du protocole relatif à la Pologne et au Royaume-Uni

Pour des raisons différentes, deux États membres ont voulu bénéficier d’une situation particulière par rapport à la Charte. Il semble que la Pologne redoutait l’application des dispositions relatives à la vie privée et familiale. Cette crainte était curieuse dans la mesure où ces dispositions sont largement inspirées de la Convention européenne des droits de l’homme à laquelle la Pologne est partie et que pour les points qui paraissent aller plus loin que la Convention, comme le droit au mariage, elles renvoient aux législations nationales. Le Royaume-Uni avait toujours exprimé de fortes réticences à la reconnaissance de certains droits sociaux, souci que ne partageait pas la Pologne à tel point que cet Etat a joint à l’Acte final une déclaration dans laquelle il affirme sont attachement aux droits sociaux. Néanmoins, les deux États ont fait de l’existence d’un protocole relatif à la Charte une des conditions de leur acceptation du traité de Lisbonne. Dans ces conditions, quel est le statut de ces deux États par rapport à la Charte ? La réponse dépend d’une lecture attentive du texte du protocole que la Cour sera sans doute appelée à interpréter. Tout d’abord, le préambule du protocole souligne que la Charte « réaffirme les droits, les libertés et les principes reconnus dans l’Union et les rend plus visibles, sans toutefois créer de nouveaux droits ou principes ». Ensuite, il rappelle les obligations qui incombent au Royaume-Uni et à la Pologne en vertu des traités et du droit de l’Union ». Selon l’article premier, la Charte « n’étend la faculté de la Cour de justice de l’Union européenne, ou de toute juridiction de la Pologne ou du Royaume-Uni d’estimer que les lois, règlements, pratiques ou actions administratives de la Pologne ou du Royaume-Uni sont incompatibles avec les droits, les libertés et les principes fondamentaux qu’elle réaffirme ». La lecture qui paraît découler de ces dispositions est que puisque la Charte ne crée pas de droits nouveaux20, les deux États sont déjà liés par le contenu de la Charte au titre du droit de l’Union, y inclus les principes généraux du droit. Certes la Charte n’étend pas le champ du contrôle juridictionnel, mais elle ne restreint pas non plus celui-ci. Ceci implique que le pouvoir de la Cour et des juridictions nationales continuera à s’exercer de la même manière qu’auparavant. D’ailleurs, la Charte n’étend aucunement la compétence de la Cour et le contrôle du respect des droits fondamentaux se poursuivra dans le cadre classique du contrôle de légalité ou de l’interprétation du droit de l’Union effectué par la Cour. Cependant, le paragraphe 2 de l’article premier précise que le titre IV, consacré aux droits sociaux, ne crée pas de droits justiciables dans les deux États sauf s’ils ont prévu de tels droits dans leur législation nationale. Cette précision modifie-t-elle la situation ? Il serait possible de retenir une interprétation stricte du protocole et de soutenir qu’en aucun cas la Cour de justice ne pourrait, dans une affaire concernant le Royaume-Uni ou la Pologne, appliquer un droit mentionné au titre IV si ce droit n’est pas reconnu par la législation nationale des pays concernés. Mais ce n’est pas semble-t-il ce qu’ont voulu exprimer les auteurs du protocole. Leur inquiétude est que les principes consacrés par la Charte puissent être directement invoqués devant une juridiction à l’égal de dispositions donnant naissance à des droits

20 La question de savoir si la Charte crée ou non de nouveaux droits peut être discutée, mais ici l’important est qu’aux yeux du Royaume-Uni et de la Pologne, la Charte ne crée pas de nouveaux droits. Par cette reconnaissance dans le cadre du droit primaire, les deux États renoncent à contester l’application à leur encontre d’un des droits contenu dans la Charte au motif qu’il irait au delà du droit existant.

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subjectifs. Dans ce contexte, le paragraphe 2 du protocole pris dans son sens littéral signifie-il autre chose que les droits ou principes visés au titre IV de la Charte ne peuvent être justiciables que lorsqu’ils sont été concrétisés par la législation de l’Union ou des législations nationales. Or la Charte fait généralement suivre l’énoncé des droits sociaux d’une référence aux règles établies par le droit de l’Union et les législations ou pratiques nationales. Lorsque la Charte omet cette référence, c’est parce de telles règles existent déjà en droit communautaire comme en attestent les explications. En outre lorsqu’un droit est consacré dans l’ordre juridique de l’Union, les États membres sont tenus le respecter lors de la mise en œuvre de ce droit sans quoi l’application uniforme du droit serait mise en cause. Cette obligation ne découle d’ailleurs pas de la Charte, mais du droit de l’Union et la jurisprudence est claire sur ce point. Dès lors, l’Etat doit respecter les droits fondamentaux établis par la législation de l’Union quel que soit l’état de sa législation interne. Par contre, dans les domaines dépourvus de tout lien avec le droit de l’Union, il reste libre. Ainsi l’obligation de respecter les droits fondamentaux de l’Union ne trouverait pas son origine dans la Charte qui ne ferait d’ailleurs, selon le protocole, que réaffirmer des droits existants, mais elle trouverait sa source dans l’obligation de respecter le droit de l’Union, obligation à laquelle le préambule du protocole fait référence. Dans ce contexte la portée du protocole n’est pas d’exempter le Royaume-Uni et la Pologne du respect du contenu matériel de la Charte puisqu’ils admettent que celui-ci fait d’ores et déjà partie du droit de l’Union que ce soit sur la base des principes généraux du droit ou de la législation existante. En outre, s’agissant des droits dont la justiciabilité est subordonnée à l’adoption de mesures de mise en œuvre, les deux États concernés admettent qu’ils seront bien entendu liés en vertu du principe de primauté par les mesures de mise en œuvre adoptées par l’Union. En l’absence de mesures de mise en œuvre, ils conserveraient leur pleine liberté. La seule obligation qui pourrait découler de ces droits ou principes non encore mis en œuvre pèserait non sur les États membres mais sur les institutions de l’Union. En effet, ces dernières ne peuvent porter atteinte dans la législation de l’Union aux principes contenus dans la Charte. Ainsi un règlement ou une directive adopté dans un domaine quelconque ne pourrait porter atteinte au niveau de protection sociale ou de protection de la santé existant dans l’Union, pas plus d’ailleurs qu’il ne pourrait être invoqué à l’encontre des règles nationales établies pour mettre en œuvre les droits et principes du titre IV21. La Charte impose dans ce domaine le respect d’une situation de standstill. Dans ce contexte, le protocole n’est guère utile puisqu’il vise à remédier à une situation que la Charte a naturellement exclue. D’ailleurs, selon le gouvernement britannique lui-même, le protocole ne doit pas être interprété comme un opt out de la Charte, mais comme une simple mise en évidence de règles qui figurent déjà dans la Charte elle-même. Selon les déclarations du ministère des affaires étrangères devant le European Union Committee de la House of Lords, « The UK Protocol does not constitue an “opt out”. It puts beyond legal doubts the legal position that nothing in the Charter creates any new rights, or extends the ability of any court to strike down UK law »22. Le protocole constitue en quelque sorte une répétition des articles horizontaux relatifs à l’application et à l’interprétation de la Charte. Comme le constate le European Union Committee de la House of Lords, « The protocol should not lead to a different application of the Charter in United Kingdom and Poland when compared with the rest of the Member States. But to the extent that the Explanations leave some ambiguity as to the scope and interpretation of the Charter rights, and as to the justiciability of the Title IV rights especially,

21 Ce que fait naturellement le législateur communautaire lorsqu’il adopte une législation. Ainsi le règlement … précise bien que les règles qu’il pose pour éviter les entraves à la libre circulation ne remettent pas en cause le droit de grève. 22 The Treaty of Lisbon : an impact assesment, House of Lords, European Union Committe, 10th Report of Session 2007-2008, vol. I, p. 102.

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the Protocol provides helpful interpretation »23. Mais, d’un autre côté, le protocole constitue un avertissement adressé au juge britannique contre toute tentative d’utilisation du titre IV dans des situations purement internes, notamment en ce qui concerne l’article 28 de la Charte sur le droit à la négociation et à l’action collective qui serait de nature à remettre en cause les spécificités britanniques en ce domaine.

B. L’existence d’autres sources de droits fondamentaux Il aurait pu logique que le rang de droit primaire accordé à la Charte entraîne la disparition de la référence faite par l’article 6 TUE aux principes généraux du droit et aux traditions constitutionnelles communes ainsi qu’à la Convention européenne des droits de l’homme. Il n’en a rien été et d’ailleurs, même en cas, la suppression de la référence eut été de toute manière inopérante puisque le recours aux principes généraux du droit n’a jamais été fondé sur une autorisation expresse accordée par les traités. Cependant la multiplicité des sources de droits fondamentaux conduit inévitablement à s’interroger sur la manière dont celles-ci seront amenées à jouer.

1. La place des principes généraux du droit

Compte tenu de la très large coïncidence qui existe actuellement entre le contenu de la Charte et les droits fondamentaux protégés au titre de principes généraux du droit, le maintien des dispositions de l’article 6 TUE ne devrait pas à court terme jouer un rôle essentiel. Cependant, la jurisprudence la Cour fondée sur les principes généraux du droit pourrait servir dans certains cas de guide à l’interprétation certaines dispositions de la Charte. Ainsi l’article 51 de la Charte précise que celle-ci s’applique aux États membres « uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union ». Les explications qui, selon l’article 6 paragraphe 1, doivent être dûment prises en considération pour l’interprétation et l’application de la Charte ne sont pas d’une clarté absolue sur ce point. Tout en rappelant que selon la jurisprudence l’obligation de respecter les droits fondamentaux s’impose aux États membres lorsqu’ils agissent dans le cadre du droit de l’Union, elles font référence à l’arrêt Wachhauf24 qui ne vise que le cas de la mise en œuvre de ce droit. Dans cette hypothèse, quid des mesures nationales qui dérogent au droit de l’Union ? La Cour pourrait utiliser sa jurisprudence sur la portée des principes généraux pour clarifier la situation et conforter la thèse de l’application de la Charte aux États membres dans le cadre du droit communautaire. Il ne s’agit que d’un exemple du jeu possible entre Charte et principes généraux et d’autres cas pourraient être évoqués, par exemple en ce qui concerne le droit de propriété ou le principe non bis in idem. Mais, au-delà de cet usage interprétatif des principes généraux, ces derniers constituent une voie ouverte à la reconnaissance par la Cour de nouveaux droits. Selon l’article 6, paragraphe 3, du traité sur l’Union européenne qui reproduit le texte antérieur du TUE, les sources des principes généraux sont la Convention européenne des droits de l’homme et les traditions constitutionnelles communes aux États membres. Le rôle de la Convention sera évoqué plus loin. S’agissant des traditions constitutionnelles communes, celles-ci ne sont pas figées et tant le texte des constitutions que la jurisprudence des cours constitutionnelles nationales peuvent dégager de nouveaux droits, voire donner une extension nouvelle à des droits existants. Dans ce cas, le vecteur des principes généraux permettra d’incorporer ces innovations dans le droit de l’Union.

23 op.cit. p. 106. 24 Arrêt du 13 juillet 1989, affaire 5/88, rec. 2609.

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2. La Convention européenne des droits de l’homme La Convention fait l’objet de nombreuses références dans le traité de Lisbonne. Tout d’abord, elle demeure l’une des sources de principes généraux du droit. Ensuite, la Charte lui fait tenir la place d’un standard minimum en dessous duquel la protection des droits fondamentaux dans l’Union ne saurait aller (article 53) Mais la Charte a voulu aller plus loin et imposer la cohérence entre la Charte et la Convention afin d’assurer une interprétation identique à des droits similaires. D’où l’article 52, paragraphe 3, qui impose qu’en présence de droits identiques, il leur soit accordé le même sens et la même portée que dans la Convention avec la réserve que la protection offerte par l’Union puisse être plus étendue. L’identification de ces droits n’est pas aisée. Il existe des droits qui sont totalement identiques, des droits qui ont un sens plus large que ceux garantis par la Convention et enfin des droits qui, bien qu’identiques, ont un champ d’application plus large comme la règle non bis in idem ou le droit des syndicats à l’action collective. L’enjeu du débat est important puisqu’il conditionne la reprise ou non de la jurisprudence de Strasbourg par la Cour de Luxembourg. Il ne porte pas simplement d’ailleurs sur la définition des droits, mais également sur le régime des limitations puisque le régime prévu par l’article 52, paragraphe 1, n’est pas identique à celui de la Convention. En effet, en cas d’identité entre les droits, le régime de limitation prévu par la Convention s’appliquera. Dans les autres cas, le régime applicable sera celui de l’article 52 pour autant qu’il ne conduise pas à une protection inférieure à celle prévue par la Convention. La rédaction de l’article 52 a fait, au sein de la Convention, l’objet de larges débats opposant les partisans de l’autonomie du droit communautaire aux défenseurs d’une application intégrale de la Convention européenne des droits de l’homme. Les premiers soutenaient que la formule du standard minimum accordé à la Convention par l’article 53 était suffisante tandis que les seconds plaidaient pour l’existence d’un système unique de protection au niveau européen afin d’éviter que le juge national se trouve dans l’obligation d’appliquer simultanément des normes différentes à un même droit. Un accord n’a pu être trouvé qu’au dernier moment. Mais, la question sera en grande partie réglée par l’adhésion de l’Union à la Convention prévue à l’article 6, paragraphe 2, du traité sur l’Union européenne. Dans ce cas, le statut de standard minimum de la Convention sera confirmé sous le contrôle de la Cour de Strasbourg. La Convention retrouvera le rôle subsidiaire que lui reconnaît la jurisprudence de Strasbourg. De la même manière, la mention de la Convention comme source des principes généraux du droit perdra de son intérêt puisque le juge de Luxembourg devra appliquer directement la Convention. Les problèmes soulevés par l’article 52, paragraphe 3, subsisteront-ils ? On pourrait en douter. Dans la mesure où le droit de l’Union ne va pas plus loin que la Convention, le juge appliquera naturellement cette dernière qui liera l’Union. Dans le cas contraire, il appliquera le droit de l’Union en prenant garde de ne pas violer la Convention. L’article 52 a été rédigé alors que la perspective de l’adhésion était encore fermée. Il perdra de son intérêt lorsque celle-ci sera réalisée. Ainsi, après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’Union devra vraisemblablement vivre avec un système écrit de protection des droits fondamentaux. Cette circonstance ne devrait pas à court terme soulever de grandes difficultés quant au contenu des droits déjà reconnus par la Cour. Par contre, l’apport de la jurisprudence sera important pour clarifier des questions comme celles du champ d’application, du régime applicable aux principes par rapport aux droits, de la portée du protocole d’opting out britannique et polonais ou des rapports avec la Convention européenne des droits de l’homme notamment en ce qui concerne le régime des limitations.

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II. Les rapports entre droits fondamentaux et libertés fondamentales

Pendant longtemps, la question du rapport entre les droits fondamentaux et les quatre libertés qui forment la base du marché intérieur ne s’est pas posée. La Cour était essentiellement saisie de questions qui concernaient la compatibilité du droit dérivé avec les droits fondamentaux et l’éventualité d’un conflit entre une règle de droit primaire et ces mêmes droits ne s’était pas explicitement présentée. Sur un plan théorique, un tel conflit pouvait être résolu par un appel à hiérarchie des normes dès lorsque l’on considérait que les principes généraux du droit dont font partie les droits fondamentaux ne pouvaient l’emporter sur des règles de droit primaire25. Cependant, une telle solution reposait sur l’hypothèse que les libertés fondamentales ne pouvaient faire l’objet de dérogations ce que venait notamment contredire l’article 30 CE. Une autre voie ouverte était d’écarter toute solution fondée sur la hiérarchie et de tenter une conciliation entre les droits fondamentaux et libertés fondamentales. Ce sera la conduite adoptée par la Cour lorsqu’elle s’est trouvée en présence de conflits mettant en cause tant les libertés garanties par le droit communautaire que celles qui résultaient du droit constitutionnel national. Cette solution a été étendue sans surprise aux conflits entre droits fondamentaux.

A. La situation en droit communautaire

La question a été abordée devant la Cour sous l’angle du conflit entre la libre circulation des marchandises et les libertés d’expression et de réunion. Elle vient de connaître des développements nouveaux à propos du conflit entre les libertés syndicales et les libertés d’établissement et de prestation de services. 1) L’affaire Schmidberger26 inaugure en effet un courant de jurisprudence qui marque une évolution importante pour la protection des droits fondamentaux dans l’Union. En l’espèce, il s’agissait de déterminer si l’organisation d’un blocus de l’autoroute du Brenner pendant 30 heures afin de manifester en faveur de la protection de l’environnement alpin constituait une entrave à la libre circulation des marchandises. En 1997 la Cour avait condamné la France pour manquement parce qu’elle n’avait pas pris les mesures nécessaires pour permettre la libre circulation face aux blocus organisés par les agriculteurs27. Il est vrai que les manifestations agricoles françaises étaient accompagnées d’actes de violence qui allaient au-delà de la manifestation pacifique et que les autorités françaises s’étaient bien gardées d’intervenir pour empêcher ou réprimer les violences. De plus, dans le cas français, la liberté de manifestation n’était pas invoquée comme moyen de défense. Ici, la situation était bien différente, la démonstration était pacifique et le gouvernement autrichien avait pris des mesures pour limiter autant qu’il était possible les inconvénients de la manifestation pour les transporteurs. Dans son arrêt, la Cour constate l’existence d’une entrave à la libre circulation des marchandises, mais accepte d’examiner la justification fondée sur la liberté d’expression et de réunion. En effet, elle considère que le respect des droits fondamentaux constitue un intérêt légitime susceptible de justifier une restriction à l’exercice d’une liberté fondamentale garantie par le traité. D’ailleurs le traité et la jurisprudence de la Cour admettent la possibilité de restrictions à la libre circulation que ce soit sur la base de l’article 30 ou des exigences

25 Cette vision n’est pas unanimement partagée. Pour certains auteurs, le principes généraux du droit sont des principes constitutionnels qui ont un rang égal à celui du droit primaire, voir Tridimas, The General Principles of Law, Oxford University Press, deuxième édition, 2006, p. 50. 26 Arrêt du 12 juin 2003, affaire C-112/00, rec. I-5659. 27 Arrêt du 9 décembre 1997, affaire C-265/95, rec. I-6959.

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impératives d’intérêt général. Le problème se pose alors en terme de conciliation des droits et des libertés. En effet, si la libre circulation peut faire l’objet de restrictions, le droit fondamental en question n’est pas non plus absolu. Son exercice peut être soumis à des limitations dès lors que celles-ci sont justifiées par des motifs d’intérêt général et ne portent pas atteinte à la substance même du droit. Dans ces conditions, la réponse doit résulter d’une balance d’intérêts entre les deux éléments en cause afin d’établir un rapport équilibré et la Cour devient garante de cet équilibre. La manifestation n’avait pas pour objet d’empêcher la libre circulation des marchandises, mais de témoigner en faveur de la protection de l’environnement. Dans ce cas, la fonction sociale du droit qui est de permettre de manifester son opinion sur un sujet important pour la collectivité était donc respectée. De plus, la manifestation était limitée dans le temps et les autorités autrichiennes avaient pris les mesures nécessaires pour réduire autant que possible l’atteinte à la libre circulation. Dans ces conditions, en autorisant le blocage, les autorités autrichiennes n’ont pas excédé les limites de leur pouvoir d’appréciation et respectaient la proportionnalité nécessaire dans le cadre de la protection de la liberté d’expression. A contrario, une action ayant simplement pour objet de faire obstacle à la libre circulation des marchandises avec la bienveillante tolérance des autorités serait contraire au traité parce qu’elle excéderait la fonction sociale reconnue au droit. 2) Les affaires Laval et Viking mettaient en jeu des questions voisines puisque, la Cour était confrontée à un conflit entre les libertés syndicales et les libertés d’établissement et de prestation de service. Dans l’affaire Laval était en cause le détachement de travailleurs lettons pour l’exécution de chantiers de construction en Suède. Laval, entreprise lettonne, avait conclu en Lettonie des conventions collectives avec le syndicat des travailleurs du bâtiment, mais n’était liée en Suède par aucune convention avec les syndicats suédois dont elle ne comptait dont elle ne comptait d’ailleurs aucun membre parmi ses salariés. Devant l’échec des négociations visant à convaincre Laval de conclure une convention collective avec les syndicats suédois, ces derniers organisèrent un blocus du chantier, puis une grève de solidarité qui empêcha les entreprises suédoises de fournir du matériel à Laval ce qui amena à la résiliation du contrat et à la faillite de la société auprès de laquelle Laval avait détaché des ouvriers. Dans l’affaire Viking, une société finlandaise ne pouvant assurer la rentabilité d’un navire assurant la liaison entre Helsinki et Tallin, avait envisagé d’enregistrer le navire en Estonie afin de réduire les coûts notamment salariaux. Devant les menaces de grève des syndicats qui portaient tant sur le changement salarial qu’aurait entraîné cette délocalisation que sur la lutte contre les pavillons de complaisance et face à une demande adressée à tous les syndicats membres de l’International Transport Workers’ Federation28 de s’abstenir sous peine de sanction de toute négociation avec la société Viking, celle-ci a saisi un tribunal britannique pour faire déclarer ces actions illégales en raison de leur contrariété avec l’article 43 CE relatif à la liberté d’établissement. Appel a été interjeté contre le jugement donnant satisfaction à Viking et la Cour d’appel a saisi la Cour de justice d’une demande préjudicielle. Les deux affaires portent sur des questions qui avaient fait l’objet de vifs débats en France lors de la campagne de ratification de la constitution européenne : le dumping salarial et les délocalisations. Les arrêts de la Cour étaient donc très attendus tant par les syndicats que par les employeurs. Nul besoin de s’attarder ici sur les questions de droit social européen que soulevaient ces affaires29. L’important, pour notre propos, est de vérifier si la démarche suivie par la Cour en matière de droits fondamentaux est conforme à celle retenue dans l’affaire Schmidberger. Dans un premier temps, la Cour examine la portée de la liberté d’établissement ou de la libre

28 Fédération internationale de syndicats des ouvriers des transports dont le siège est à Londres. 29 En ce qui concerne les travailleurs détachés notamment l’arrêt Laval apporte des précisions importantes sur le régime applicable, voir à ce sujet le commentaire de Pierre Rodière, RTDE, 2008

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prestation de services au regard du droit primaire et du droit dérivé. Ensuite elle établit que les droits syndicaux font bien partie des droits fondamentaux protégés par le droit communautaire. Par un examen de sources (charte sociale européenne, charte communautaire des droits sociaux fondamentaux, charte des droits fondamentaux de l’Union). Elle souligne que ces droits peuvent faire l’objet de restrictions de même d’ailleurs que la liberté d’établissement ou la libre prestation de services. Dès lors, on se trouve en présence d’une restriction à des libertés garanties par les traités au nom de la protection de certains droits sociaux lesquels ne sont pas absolus. Cette restriction peut être justifiée parce que l’objectif de protection des travailleurs garanti par ces droits constitue une raison impérieuse d’intérêt général. La Cour souligne que le traité ne poursuit pas seulement des objectifs économiques, mais aussi des objectifs sociaux : « La Communauté ayant dès lors non seulement une finalité économique mais également une finalité sociale, les droits résultant des dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux doivent être mis en balance avec les objectifs de la politique sociale… »30. Cependant pour réaliser la mise en balance des libertés et des droits fondamentaux, la Cour doit tenir compte, comme dans Schmidberger, de deux éléments. L’action entreprise s’inscrit-elle bien dans les limites liées à la fonction sociale du droit et respecte-elle la proportionnalité ? Dans l’affaire Viking, la Cour laisse aux tribunaux nationaux le soin d’apprécier si l’action collective va au-delà de ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts des travailleurs, mais elle fixe une ligne directrice. Il est possible de mener une action collective contre la délocalisation d’une entreprise dès lors que cette action a pour but de protéger l’emploi des travailleurs de cette entreprise : « À cet égard, […] si cette action […] pouvait, à première vue, être raisonnablement considérée comme relevant de l’objectif de protection des travailleurs, cette qualification ne saurait toutefois être maintenue s’il était établi que les emplois ou les conditions de travail n’étaient pas compromis ou sérieusement menacés »31. Dans la mesure où l’action des syndicats finlandais respecterait la fonction sociale du droit, le juge national devra vérifier au titre de la proportionnalité si le même résultat ne pouvait être obtenu par des voies moins restrictives de la liberté d’établissement. S’agissant de l’action de solidarité menée par l’ITF, la Cour ne met pas en doute la possibilité de mener une action collective au niveau européen32, mais estime que constitue une restriction à la liberté d’établissement le fait d’imposer par une action collective à une entreprise de conclure en Finlande une convention collective destinée à s’appliquer à une filiale située dans un autre Etat membre. Cependant, l’action collective peut être considérée comme relevant d’une raison impérieuse d’intérêt général si elle est apte à atteindre l’objectif de protection des travailleurs et respecte le principe de proportionnalité. Muni de ces indications, il appartiendra au juge national d’apprécier la situation. Dans, l’affaire Laval, la Cour constate que la législation suédoise n’impose aucune règle en matière de salaire minimal alors que le droit communautaire permet aux États membres d’appliquer leur législation nationale ou les conventions collectives qui ont fait l’objet d’une extension aux travailleurs détachés. Elle note que les travailleurs en question bénéficient de la protection de conventions collectives dans

30 Point 105 de l’arrêt Laval et points 78 et 79 de l’arrêt Viking. Ces développements apparaissent comme une réponse aux arguments développés lors du débat référendaire français sur la constitution européenne selon laquelle l’Union ne poursuivrait qu’une finalité économique au détriment des intérêts des travailleurs. 31 Point 81 et la Cour invite le juge national à apprécier à cet égard la portée de l’engagement pris par l’entreprise devant le tribunal de respecter les dispositions légales et la convention collective sur les relations de travail. 32 Comme le constate l’avocat général, ce type d’action constitue « une méthode raisonnable pour faire contrepoids aux actions d’entreprises qui cherchent à réduire les coûts de main d’œuvre en exerçant leurs droits à la libre circulation. On ne doit pas ignorer à cet égard que les travailleurs sont moins mobiles que les capitaux ou les entreprises. Lorsqu’ils ne peuvent signifier leur mécontentement en quittant l’entreprise, les travailleurs doivent agir par le biais d’une coalition. La reconnaissance à l’échelle européenne de leur droit d’agir collectivement ne fait donc que transposer au niveau européen la logique de l’action collective nationale ».

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leurs pays d’origine. Dès lors la fonction sociale de protection des travailleurs ne peut être invoquée à l’encontre de la libre prestation de services33 puisque le droit communautaire offrait les moyens d’assurer cette protection et que les autorités suédoises n’ont pas fait usage de ces moyens. En fait, bien que la Cour ne le dise pas, l’action des travailleurs aurait dû se tourner vers les autorités suédoises et non vers l’entreprise qui employait des travailleurs détachés. En conclusion, dans l’hypothèse d’un conflit entre la liberté de circulation des marchandises, des services et d’établissement et un droit fondamental reconnu par le droit communautaire, tous deux ne présentant pas un caractère absolu, la Cour établit une balance fondée sur la fonction sociale du droit et la proportionnalité, tout en reconnaissant une marge d’appréciation des autorités nationales dès lors dès lors que ce droit est exercé conformément à sa fonction sociale et que la proportionnalité est respectée.

B. Les rapports entre une liberté fondamentale et un droit fondamental reconnu par une constitution nationale

La question des rapports entre le droit communautaire et les droits fondamentaux garantis par les constitutions nationales est à l’origine de l’évolution de la protection des droits fondamentaux en droit communautaire. Compte tenu de cette évolution, il est aujourd’hui peu probable dans la réalité, mais possible en théorie, qu’existe dans une constitution nationale un droit qui ne soit pas également protégé en droit communautaire au titre de principe général du droit. Cependant, l’étendue de la protection offerte par le droit peut différer dans un État membre de celle garantie dans les autres États membres. Dans ce cas, il n’existe pas de tradition constitutionnelle commune et le risque d’un conflit entre droit national et droit de l’Union n’est pas exclu. Cette situation s’est présentée dans l’affaire Omega34. Invoquant l’ordre public, les autorités allemandes avaient interdit le jeu qui consiste à tirer au pistolet laser sur des cibles humaines. Elles considéraient que ces tirs simulés étaient contraires à la dignité de la personne humaine au motif que ces actes fictifs de violence affaiblissaient chez le joueur le sens du nécessaire respect de cette dignité. Or, la société Omega importait du Royaume-Uni l’équipement nécessaire au jeu et avait conclu un contrat de franchisage avec une société britannique. La question essentielle était donc de déterminer si lune interdiction fondée sur la protection de la dignité de la personne humaine était contraire à la libre prestation de services. Dans un premier temps, l’examen de la Cour n’est pas différent de celui mené à propos des conflits au sein de l’ordre juridique communautaire. Elle établit que la dignité de la personne humaine est un droit fondamental protégé par le droit communautaire et rappelle que la libre prestation de services peut faire l’objet de restrictions. La seule question consiste à déterminer si la singularité de l’interprétation extensive donnée par l’Allemagne à la protection de la dignité de la personne humaine, puisque ce type de jeu n’est pas interdit dans les autres États membres, enlève à celle-ci tout argument en faveur du caractère légitime de l’atteinte à la libre prestation de services. La Cour estime néanmoins que cette seule circonstance ne peut affecter la légalité de la décision allemande dès lors que celle-ci est nécessaire à la protection de l’intérêt garanti et

33 En fait, il s’agissait de rendre impossible la libre prestation de services en privant de tout intérêt économique le détachement de travailleurs. L’objet de l’action était en réalité de défendre un monopole d’emploi des travailleurs suédois. Or la directive 96/71/CE autorisait le gouvernement suédois a imposer aux entreprises employant des travailleurs détachés d’appliquer les conventions collectives suédoises, mais la Suède n’avait pas choisi cette voie parce qu’il n’existe pas de législation sur le salaire minimum, ni de possibilité d’étendre l’application des conventions collectives ; L’arrêt place correctement la responsabilité de la situation sur les autorités suédoises, le droit communautaire ne pouvant tenir lieu de bouc émissaire. 34 Arrêt du 14 octobre 2004, affaire C-36/02, rec. I-9609.

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qu’elle est proportionnelle. Elle se limite à noter que l’application faite par l’Allemagne « correspond au niveau de protection de la dignité humaine que la constitution nationale a entendu protéger sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne »35 Il n’existe dès lors pas de discrimination entre le traitement des situations purement internes et celui des situations qui ont un lien de rattachement avec le droit communautaire. D’autre part, en n’interdisant que la forme de jeu qui vise les personnes humaines et en permettant le tir sur d’autres cibles, la mesure répond au principe de proportionnalité. Par cette manifestation de « sagesse », la Cour de justice évite tout conflit entre l’ordre communautaire et le droit constitutionnel national. Mais cette prudence n’implique pas une absence de contrôle puisqu’est vérifiée non seulement la reconnaissance du droit revendiqué par l’ordre communautaire, mais également la proportionnalité ainsi que l’absence de toute discrimination.

C. Les rapports entre deux droits fondamentaux garantis par le droit communautaire

La conciliation entre les droits fondamentaux est une des tâches classiques du juge constitutionnel national dès lors que l’un des droits en cause n’est pas absolu. Il n’est donc pas étonnant que la Cour se soit trouvée en face d’une question de ce type. La question portait sur un conflit entre la protection des données personnelles et celle du droit de propriété36, en l’espèce la propriété intellectuelle. Dans une affaire mettant en cause le téléchargement illégal « peer to peer » sur l’Internet, une association d’auteurs et de compositeurs demandait au juge espagnol d’ordonner au fournisseur de services Internet de lui communiquer les noms et les adresses de personnes soupçonnées de téléchargement illégal. Le droit de propriété intellectuelle pouvait-il justifier une atteinte à la vie privée, en l’espèce la protection des données personnelles dans le cadre d’une procédure civile37 ? La Cour examine avec soin le droit dérivé afin de déterminer s’il impose aux États membres de prévoir dans leur législation de transposition des mesures destinées à protéger de manière spécifique le droit d’auteur. La conclusion de l’examen est négative. Cependant la législation communautaire, tout en affirmant le principe de protection des données personnelles, permet aux États de faire exception à celle-ci pour protéger les droits et libertés d’autrui. Les autorités espagnoles auraient donc pu prévoir une telle exception à la protection de la vie privée dans le cadre de leur législation de transposition. Il leur appartenait donc de faire usage de leur marge d’appréciation en ce domaine. Cependant, là aussi, cette marge n’est pas illimitée dès lors qu’il s’agit d’assurer la conciliation de deux droits fondamentaux. Les États ont l’obligation d’assurer, lors de la transposition, un « juste équilibre entre les différents droits fondamentaux protégés par l’ordre juridique communautaire ». Ce devoir s’impose également aux autorités nationales dans l’application du droit communautaire. Elles devront interpréter leur droit national en conformité avec ces principes et dans le respect du principe de proportionnalité. En résumé, la Cour impose aux États membres, dans le cadre de leur marge d’appréciation, lors qu’il s’est en cause la conciliation des droits protégés par le droit communautaire, la même démarche que celle qu’elle suivrait elle-même.

35 Point 39. 36 Arrêt du 29 janvier 2008, Productores de Musica de Espagna, affaire C-275/06, non encore publiée au recueil. 37 La question ne se pose en matière pénale puisque le droit dérivé autorise dans certains cas la communication de ces données.

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Conclusion

En matière de droits fondamentaux, le traité de Lisbonne est le produit d’une longue

évolution qui repose à la fois sur la volonté des maîtres des traités et sur l’œuvre de la Cour de justice. En ce domaine plus qu’en d’autres, le dialogue du juge et du constituant a été fructueux même si de longues années ont été nécessaires pour que celui-ci porte pleinement ses fruits. En ce domaine, compte tenu des implications sur les ordres juridiques nationaux, la maturation de la réflexion des États membres est lente et repose sur une succession de tentatives infructueuses qui font progressivement naître la conviction qu’une action est indispensable. Certes les changements intervenus laissent subsister des incertitudes. L’articulation du système devra être clarifiée. certains s’en étonneront et en feront reproche au constituant, mais toute révision de la charte constitutionnelle de l’Union, pour reprendre l’expression consacrée par la Cour, repose sur de nécessaires compromis entre des aspirations et des craintes divergentes. La caractéristique du compromis est de laisser subsister des zones d’ombres que la pratique et le juge se chargent au fil du temps de dissiper. En outre, il est rare qu’un constituant puisse envisager toutes les conséquences d’un texte fait pour produire des effets durant des décennies et qui devra s’adapter à des circonstances aujourd’hui imprévisibles. Or, plus particulièrement dans le domaine des droits fondamentaux, l’interprétation d’un texte ne peut rester est appelée à tenir compte de l’évolution des sociétés et de la vision des valeurs qui la sous-tend. Il n’en demeure pas moins que, dans le traité de Lisbonne, le constituant a tenté de clarifier la question des sources et dressé un catalogue de droits. De son côté, la Cour a largement déminé les conflits potentiels entre ordres juridiques en donnant des lignes directrices utiles. Tout est donc prêt, à condition que le traité de Lisbonne soit ratifié, pour une nouvelle étape dans la protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne.