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La Psychologie sociale aux États-Unis Author(s): RICHARD WILLIAMS Source: Cahiers Internationaux de Sociologie, Vol. 3 (1947), pp. 68-88 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40688642 . Accessed: 15/06/2014 11:40 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers Internationaux de Sociologie. http://www.jstor.org This content downloaded from 193.105.154.127 on Sun, 15 Jun 2014 11:40:05 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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La Psychologie sociale aux États-UnisAuthor(s): RICHARD WILLIAMSSource: Cahiers Internationaux de Sociologie, Vol. 3 (1947), pp. 68-88Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/40688642 .

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La Psychologie sociale aux Etats-Unis*

PAR RICHARD WILLIAMS

1. Caractéristiques générales et tendances de la psychologie sociale. - Là « psychologie sociale » s'est très fortement développée aux États-Unis. Elle est l'objet de cours et de conférences dans presque toutes les universités. Plusieurs « textbooks », ou manuels, qui se font une vive concurrence, et plusieurs revues lui sont entièrement consacrées.

Quelle est donc sa portée et sa définition ? En réalité, comme l'indiquent Cottrell et Gallagher*, la psychologie sociale s'est constamment refusée à définir ou limiter son sujet avec exactitude. Elle s'est méfiée surtout des définitions trop rigides, et s'est montrée intéressée aux données de toutes les sciences sociales, éthologie, psychanalyse, sciences politiques et écono- miques. Son enseignement se place dans les départe- ments parfois de sociologie, parfois de psychologie. Au reste, ceux qui se sont occupés des problème^ de la méthodologie des sciences, soulignent aujourd'hui que les sciences ne peuvent pas se distinguer parleur sujet ou matière : Elles se distinguent par leurs mé- thodes, leurs « opérations ».

♦Extrait d'un livre à paraître: La sociologie américaine contemporaine aux Éditions Économie et Humanisme.

1. Cottrell, Leonard S. Jr. et Gallagher, Ruth, « Developments in Social Psychology 1930-1940 », Sociometry Monograph No 1, Beacon House, N.Y. 1941.

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Une théorie générale et analytique de la structure de l'action sociale se développe maintenant, qui peut servir de base pour toutes les sciences sociales, et offrir des cadres pour différents problèmes empiriques à différents niveaux. Cottrell et Gallagher, par exemple, accordent qu'il faut bien que la psychologie sociale définisse tôt ou tard sa méthode et ses buts de re- cherche, et ils ajoutent: «...chacune des sciences sociales isole, pour son étude, un aspect particulier d'une don- née primaire commune qui est l'action sociale2 ».

Tel est le point de vue fondamental, donnant une perspective importante. Cette donnée primaire, l'action sociale, est à la base de toutes les sciences sociales : aucune d'elles ne peut prospérer en s'isolant, et elles sont distinguées seulement par leur niveau d'analyse.

Kimball Young définit cette science de la façon suivante : « La psychologie sociale est l'étude de per- sonnes dans leurs interactions et avec référence aux effets de cette interaction sur les pensées, les senti- ments, les. émotions, les habitudes des individus »3. Otto Klineberg la définit : « ...l'étude scientifique de l'action de l'individu en relation avec d'autres indi- vidus. Elle concerne l'individu dans la situation du groupe »4. Ces définitions sous-entendent que le niveau de la psychologie sociale se place entre celui de l'étude des institutions, des grandes structures sociales, d'un côté, et celui de l'étude clinique, dela psychanalyse, de l'autre côté. Elles impliquent aussi que la psycho- logie sociale s'occupe, par exemple, de la genèse et de la structure de la personnalité sociale.

Les tendances de la psychologie sociale sont bien indiquées par certains problèmes qui ont eu beaucoup

2. Cottrell et Gallagher, loe. cit., p. 51. Les bases de cette théorie fondamentale furent données par Talcott Parsons dans son œuvre très importante, The Structure of Social Action (N.-Y., Mc-Graw Hill Go., 1936).

3. Young Kimball, Social Psychology, N. Y. Crofts, 1946, p. 1 4. Klineberg Otto, Social Psychology, N. Y. Holt, 1940, p. 3.

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d'intérêt autrefois et l'ont maintenant perdu. Par exemple, la recherche d'une psychologie différencielle des races a perdu presque tout son intérêt. C'est en partie parce que les études basées sur cette idée n'ont pas donné des résultats concluants, et en partie parce que la théorie sociale elle-même a évolué à un tel point que le problème ne se pose plus dans les mêmes termes. Ces termes étaient peut-être plus près du sens commun, mais souvent, surtout en sciences sociales, le sens commun n'est pas valable. Le point de vue générale- ment accepté est bien formulé par l'anthropologue Ralph Linton5: Tous les êtres humains sont de la même espèce, biologiquement. Donc, il peut y avoir beaucoup de mélange de race, ce qui s'est produit en effet dans l'histoire de l'homme. Au lieu de parler de race en général, Linton se sert de trois termes pour indiquer les différents degrés de variations physiques : breed est très particularisé, avec beaucoup de caractéristiques physiques en commun et très peu de variation ; race implique moins de caractéristiques en commun et plus de variation ; et stock a très peu de caractéristiques en commun et beaucoup de variation. Il est difficile de trouver des breeds purs, et quant aux stocks (par exemple mongoloïdes, négroïdes et caucasien), c'est une catégorie si générale qu'elle a fort peu d'intérêt du point de vue sociologique ou psychologique. Donc, après avoir démontré à leur satisfaction que les diffé- rences associées avec la « race » proviennent plutôt de la culture jpie de l'hérédité, les psychologues sociaux américains ont perdu intérêt à ce sujet. Par contre, il y a beaucoup d'intérêt au sujet des préjugés et d'autres attitudes de race. Ici le terme « race » prend un sens plutôt populaire. C'est un fait social que la « race » devient souvent un symbole puissant (même si le peuple ou groupe ainsi symbolisé n'est pas une race

5. Linton, R., The Study of Man, N.Y. Appelton-Century, 1936, Chaps 2 et 3.

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au sens physique et scientifique), et que certaines attitudes motrices se cristallisent autour de ce symbole.

Un autre problème du même genre est celui des « instincts » qui préoccupait les psychologues aux temps de McDougal. Aujourd'hui on se méfie du terme même, et il y a une tendance très marquée à interpréter tous les aspects caractéristiques et les variations de l'action humaine en termes de culture ou de forces sociales. Également la question de l'importance relative, de la « priorité » de l'individu ou du groupe a perdu son intérêt, ou, au fond, ne se pose plus. Le cadre de réfé- rence est plus analytique, et les facteurs et les éléments qu'il isole visent des conceptions plus concrètes que F « individu » et le « groupe ».

Ces tendances suggèrent un changement du « climat » de conceptions et de méthodes en psychologie sociale6. Tout d'abord ce climat fut caractérisé par le beha- viorisme, l'appel aux statistiques, la sémantique, et l'opérationalisme. Plus récemment il est caractérisé par plus de tolérance, un intérêt pour la synthèse, et une façon de penser qu'on appelle « Galiléenne » au lieu d'« Aristotélicienne ». On pense en termes d'une inter- dépendance fonctionnelle de variables dans un champ déterminé, au lieu de classer des entités discrètes et de déterminer des relations simples de cause et d'effet. La psychologie de la Gestalt a exercé son influence dans ce sens.

La psychologie sociale, comme toutes les sciences sociales, avait ses tendances quantitatives7. On cher- chait des variables de la personnalité qu'on pourrait mesurer et auxquelles on pourrait appliquer les méthodes statistiques. Ces efforts se heurtaient à beaucoup de difficultés. Surtout on perdait le sens de

6. Voir sur ce point Woodard, J. W. « Social Psychology » dans Gurvitch, J. Ymoore, W., Twentieth Century Sociology, N. Y. Phil., Lib., 1945 (une édition française de ce livre paraîtra prochainement).

7. Voir Cottrell et Gallagher, loe. cit.,, pp. 36 et suiv.

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l'interdépendance et de l'intégration qui sont d'une importance décisive pour les problèmes de la person- nalité sociale. On tâche aussi de mesurer les attitudes de toutes sortes. Si on veut seulement déterminer certaines tendances très générales, les méthodes statis- tiques s'appliquent assez facilement et donnent parfois des résultats pratiques pour des buts restreints. Les études du marché et de l'opinion publique en sont les exemples principaux. Mais là aussi on ne s'est pas contenté des méthodes statistiques. Les méthodes de Rensis Likert développées pour le Department of Agriculture et le War Department, et les méthodes de I' Institute of Radio Research, qui fait partie du Bureau of Social Research de Columbia University ont dépassé les méthodes de Gallup. Les méthodes statis- tiques SQnt employées jusqu'à un certain point bien entendu, mais elles sont complétées par des études beaucoup plus analytiques.

Il y a aussi une tendance expérimentale, avec un effort pour employer les méthodes de laboratoire8. Par exemple, Shérif a étudié l'effet « autokinétique », et a constaté la formation de normes de perception qui subissent des influences sociales. Des normes se forment pour le groupe, et des leaders influencent cette formation. Une fois une norme établie, le leader rencontre beau- coup de résistance de la part du groupe dont il essaye de changer le jugement.

Toutes ces tendances ont leurs limitations et leurs difficultés. Avant tout, elles impliquent la nécessité d'une théorie de base, à un niveau analytique. On s'aperçoit de plus en plus que cette théorie fut déjà élaborée dans l'œuvre de George H. Mead.

2. La théorie analytique de G. H. Mead: - Mead commença à élaborer ses idées principales dès 1900, et

8. L'étude la plus complète des tendances expérimentales est l'excel- lent livre de Murphy, I. Murphy, L. Newcomb, Experimental Social Psychology, N. Y. Harpers, 1937.

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dès 1912 ses idées de base furent bien établies. Il enseigna à l'Université de Chicago de 1900 à 1930. Mais son œuvre resta méconnue très longtemps. Il écrivait beaucoup d'articles pour les revues philoso- phiques et psychologiques, et ses cours à Chicago influençaient des élèves notables, mais il n'a publié aucun traité systématique. C'est après sa mort que certains de ses élèves, notamment Charles W. Morris, ont rassemblé des notes de conférences et ont mis sa pensée à la portée de tout savant9.

Mead se disait un « behaviorist », mais il n'est jamais allé à l'extrême de Watson et son école. Il ne voulait surtout pas rejeter toutes les données impor- tantes du côté subjectif de l'expérience humaine, si riche à cause des phénomènes du langage. Il était « behaviorist » seulement en ce sens qu'il interprétait la conscience, l'esprit, la mentalité, toujours en les rattachant à l'action, à la conduite. C'est ainsi qu'il a créé une théorie générale de l'action, toujours avec l'accent sur l'action sociale, qui peut servir de base à toutes les sciences sociales. Son influence se répand depuis la publication de ses œuvres. Cottrell et Gal- lagher disent : « La psychologie sociale de G. H. Mead est la théorie la plus comprehensive et la plus valable que cette science ait produite10.» Young, dans la pré- face de l'édition 1944 de son traité, en indiquant les très grands développements en psychologie sociale, depuis la publication de la première -édition (1930), dit : « L'œuvre de George Herbert Mead a été enfin pleinement reconnue11».

Une des bases de la théorie de Mead est sa con- ception d'un niveau socio-physiologique. Il n'a jamais

9l L'œuvre la plus importante du point de vue de la psychologie sociale est Mind, Self, and Society, préparée par C.-W. Morris, The University of Chicago Press, 1934.

10. Cottrell et Gallagher, loe. cit., p. 25. "11. Young, op. cit., p. 5.

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perdu de vue que l'homme est un organisme biologique avec sa physiologie. Toutes les interactions et les interrelations sociales ont cette base. Même ce niveau est social. Les besoins fondamentaux, comme celui de la reproduction ou des soins de parenté (surtout la relation de mère et d'enfant) sont sociaux dans le sens que les actes commencés dans l'organisme exigent des actions d'autres organismes pour leur achèvement. Dans ce sens là, il parle de l'existence de « sociétés » chez les animaux, par exemple parmi les insectes. C'est un niveau qui existe également chez les êtres humains", comme un des deux pôles de la structure de la société humaine. (L'autre pôle, comme nous le verrons dans la suite, est nommé le pôle institutionnel.)

Ce même niveau contient le geste, la base fonda- mentale de l'action sociale, selon Mead. Le geste est défini comme l'étape initiale de l'acte d'un organisme, qui sert de guide, ou de « stimulant », à l'activité d'un autre organisme, et qui modifie celle-ci de sorte qu'il y a une adaptation de réponse de cet organisme, et réciproquement. Par exemple, Mead décrit un combat de chiens comme une « conversation de gestes ». Un geste, dans ce sens, a un « meaning », une signification. Tout en étant l'étape initiale d'un acte, il signifie les dernières étapes de l'acte : par exemple, le poing signifie, ou « veut dire » le coup. Donc, le «meaning» n'est pas conçu comme quelque chose' de privé ou de subjectif. Les significations sont objectivement là, dans la situation sociale de l'acte et la relation entre ses différentes étapes.

A un autre niveau, et c'est une distinction radicale et fondamentale pour la théorie de Mead, il analyse la genèse de ce qu'il appelle « le symbole significatif. » Le geste devient symbole significatif quand il suscite dans l'organisme qui le fait les mêmes réponses qu'il suscite, ou devrait susciter, dans l'autre organisme. Cette réponse contrôle ou guide la conduite du premier organisme. Pour employer l'expression classique de

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Mead, le symbole significatif implique qu'on prend « l'attitude de l'autre ». Tous les organismes capables de gestes ne sont pas en même temps capables du symbole significatif. Cette capacité n'apparai^ avec évidence que chez l'homme. C'est le geste vocal qui est éminement adapté à devenir un symbole significatif, parce qu'on le sent comme il est senti par autrui. On s'écoute, on s'entend, on s'influence de la même ma- nière qu'on influence autrui.

Donc le langage vocal est le système type de sym- boles significatifs/C'est ainsi que Mead explique l'idée courante que précisément le langage crée la distinction radicale entre l'homme et les autres animaux, également entre la société humaine et les sociétés animales. Cette présence de symboles significatifs constitue un fait que Mead rattache très objectivement et sans aucun mystère au développement supérieur du système ner- veux, surtout le cortex, chez l'homme. Comme au niveau des gestes en général, également au niveau des symboles significatifs, la genèse et le processus sont sociaux ; ils se placent dans la situation de l'action sociale.

Cette conception aboutit à une théorie sociale du « meaning ». Il est conçu comme triade dont les pôles sont : 1. le geste ; 2. l'acte social résultant du geste ; 3. la réponse de l'autre organisme. Encore, c'est quelque chose d'objectif, comme relation entre les différentes étapes de l'acte social.

Elle aboutit également à une théorie sociale et fonc- tionnelle de l'esprit ou de la mentalité (mind). Ce n'est pas une substance mystérieuse. C'est une série de relations fonctionnelles constituées de symboles significatifs. Ces relations sont « internalisées » dans l'individu par sa participation à l'action sociale. Même quand nous pensons tout seuls nous prenons les attitudes des autres. C'est toujours une « conversation de gestes ». On peut avoir conscience sans symboles significatifs (par exemple au niveau des animaux,

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ou dans des situations de fuite et de peur), mais on ne peut pas sans eux avoir « conscience de soi » (self- consciousness).

La théorie du soi et de sa structure constitue une partie centrale de la psychologie sociale de Mead. Le soi n'existe ni chez les animaux, ni à la naissance chez l'être humain ni chez les tout petits enfants. Il se développe dans le processus de l'action sociale, et dépend absolument de symboles significatifs. Donc, son développement dépend de la capacité de prendre l'attitude de l'autre. Une fois développé, le soi peut créer des expériences sociales, lui-même. Or, il peut y avoir des soi complètement solitaires, mais ils ne pourraient jamais se créer en dehors d'expériences et d'actions sociales.

Un cas assez bizarre s'est produit récemment aux États-Unis qui illustre la théorie de Mead. Une jeune fille mettait au monde une petite fille, deuxième enfant illégitime. Fort gênée de l'avoir, elle l'immobilisa au grenier en l'attachant dans son lit. L'enfant n'avait pas de contact avec sa mère ou autrui, si ce n'était pour recevoir un minimum de nourriture. Dès sa découverte, l'enfant fut étudiée par plusieurs psychologues et sociologues12. Elle avait environ trois ans, mais elle n'avait aucune des caractéristiques que nous associons à la personnalité humaine. Elle n'avait aucun langage, et les réactions d'émotions typiquement humaines manquaient. D'après ce qu'on pouvait juger, elle avait une intelligence héréditaire normale, mais même plu- sieurs mois après sa découverte et un traitement soigneux elle n'apprenait pas à parler et restait plutôt animal qu'homme. C'est une expérience qui confirme la théorie de Mead, et qui suggère l'importance déci- sive des facteurs sociaux dans la période formative de l'enfance.

12. Voir Davis, Kingsley, « A case of Extreme Social Isolation in a child », American Journal of Sociology, 1940, vol. 45, pp. 554-565.

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La genèse du soi est donc complètement sociale. Mead y attache une très grande importance aux re- lations de la famille, au jeu libre de l'enfant et, plus tard, aux jeux organisés. L'enfant apprend à prendre différents rôles, et différentes attitudes des autres.

Le soi, selon Mead, a une structure déterminée, avec trois éléments principaux. Premièrement, le « moi » est le système internalise d'attitudes des autres. Deuxièmement, le « je » est la réponse comme telle. C'est la partie active, dynamique et créatrice du soi, tandis que le moi est une « créature d'habitude ». très conventionnelle. C'est le « moi » qui donne la forme et la structure au soi, et le « je » qui donne le principe actif. Troisièmement, Mead parle de « l'autre géné- ralisé ». En français on pourrait dire plus simplement « autrui ». Dans un jeu organisé, par exemple, il faut prendre tous les rôles des autres afin de jouer son propre rôle. L'individu s'éprouve non seulement de plu- sieurs points de vue particuliers propres aux autres, mais aussi du point de vue général du groupe. Mead définit cet élément : « La communauté organisée ou le groupe social qui donne à Tindividu son unité et peut être appelé « l'autre généralisé »13. L'attitude de prendre des rôles est généralisée.

On peut comparer cette structure du soi, donnée par Mead, avec les conceptions structurelles de Freud. Le « moi » correspond à peu près au « censeur », le « je >f à « l'ego » et « l'autre généralisé » au « super-ego ». La base physiologique, signalée par Mead, aurait aussi une correspondance avec « l'id » (le « ça ») mais Mead ne biologise pas sa théorie autant que Freud et dit que le soi n'est pas primairement un organisme physio- logique, quoique cela lui soit essentiel. La comparaison avec Freud s'étend jusqu'à certains mécanismes dyna- miques du soi reconnus par Mead. « L'introjection » est fondamentale au développement du soi, surtout

13. Mead, op. cit.. p. 152.

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aux éléments du « moi » et de « l'autre généralisé ». Les attitudes^des autres, les institutions, les mœurs de la société deviennent internalisées dans le soi. « L'identification » fut également reconnue par Mead, surtout ses aspects symboliques. La « projection », le complément de « l'introjection » qu'on étudie beau- coup maintenant en psychologie sociale, est implicite dans la théorie de Mead. Le soi, se projette sur la société, aussi bien que la société s'introjette dans le « soi ». La relation est toujours réciproque entre le « soi » et la société.

Mead développait aussi une théorie de la société et de sa structure. Il concevait la société comme ayant deux pôles, le pôle socio-physiologique et le pôle insti- tutionnel. Ce deuxième pôle manque chez les animaux. La plasticité et la différenciation physiologiques sont les bases d'organisation sociale à ce niveau-là. Par contre, la société humaine dépend du langage, donc des symboles significatifs, du « soi » et de la capacité de prendre des rôles des autres pour sa forme distinctive d'organisation et de morphologie.

Sa théorie fournit une conception très précise de la communauté. C'est un système plus ou moins organisé d'attitudes, donc de rôles, partagés en commun. La communauté peut être petite et dense, comme celle créée par les groupes primaires, ou elle peut être très grande et plus vague, comme celle de la nation ou de l'humanité. L'étendue, l'intensité et la précision de « l'autre généralisé » sont décisives pour la structure des différentes communautés possibles. •

Sa théorie fournit également une conception impor- tante des institutions et du contrôle social (dans le sens général donné à ce termo en sociologie américaine, soit tous les aspects de la réglementation). Ce sont les organisations ou systèmes d'attitudes des autres que nous avons en nous, et qui contrôlent, régularisent et déterminent notre conduite. Vues de l'extérieur, elles sont les formes organisées d'autorité sociale.

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C'est un point de vue très important sur la façon dont le contrôle social des institutions s'exerce. Parce que cela fait partie du soi, et est introjeté, son influence s'exerce d'une façon aussi intime qu'intense. Ce n'est pas quelque chose qui vient du dehors, qui est « exté- rieur » et qui nous « contraint. » Si on suit de très près l'évolution des conceptions de Durkheim, sur l'exté- riorité et la contrainte, d'une part, et sur l'obligation morale d'autre part, on voit qu'il est arrivé à essen- tiellement le même point de vue que Mead concernant la façon dont les institutions sociales contrôlent et régularisent l'action14. Les institutions ont leur aspect non seuleipent de « contrôle » et de réglementation, mais aussi de motivation.

Il y; a place dans la théorie de Mead^ pour une conception de la dynamique sociale. C'est l'élément du « je » qui donne la clef. La plupart du temps le « je » joue dans la détermination de la conduite, un rôle secondaire en comparaison du « moi » et de « l'autre généralisé. » Mais le « je » prend plus d'importance chez les leaders et peut donc jouer un très grand rôle dans l'évolution sociale. D'ailleurs Mead reconnaît, comme Durkheim, que les institutions, si étroitement liées qu'elles soient avec le « moi » et « l'autre généralisé » ne sont pas nécessairement rigides, oppressives et conservatrices. Elles peuvent même favoriser l'indivi- dualité et la créativité, qui sont aussi choses sociales.

La théorie de Mead contient des implications inté- ressantes pour l'analyse de la désorganisation ou de la pathologie sociale. Il y a toujours des différents « soi » dans un seul individu, correspondant à des situations sociales différentes. Normalement il y a aussi une orga- nisation totale ou générale du « soi » en relation étroite avec la communauté à laquelle il appartient. Mais Mead a reconnu qu'ujie situation de « dissociation »

14. Comparer l'analyse très importante de Fœuvre de Durkheim donnée par Parsons, op.. cit., chap, vin-xi.

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de la personnalité peut se développer. Une étude empi- rique de Faris et Dunham, sur l'écologie des désordres mentaux, a démontré que la schizophrénie se concentre dans des milieux où il y a beaucoup de désorganisation sociale15. On peut préciser et la conception de « désor- ganisation sociale » et la conception de « désorganisation personnelle » en appliquant les idées de Mead. C'est précisément dans ces milieux qu'il y a beaucoup de tension entre différents rôles et différentes définitions de la situation. Ce sont des conflits d'identification et de loyauté : par exemple, conflit entre l'anciejine culture des immigrants aux États-Unis et la culture améri- caine. Ces conflits peuvent se concentrer dans un soi donné et provoquer tant de eonflits entre les différents aspects du soi que cela produit un « soi » brisé, coupé en morceaux détachés, et non intégré.

3. Une théorie de base pour la psychologie sociale. - - L'orientation de Mead permet de construire une théorie fondamentale en psychologie sociale16. L'action hu- maine est encadrée par des situations sociales dont la structure se compose de rôles d'expectation et de rôles de réponse. La personnalité est sociale, dans sa genèse même. Ensuite, elle est socialisée continuellement en assumant ces différents rôles, qui deviennent inter- nalises. Chaque personne, ou « soi », a une structure d'expectations, incorporée en elle, d'expectations de la conduite des autres, qui contrôle, régularise et donne une structure à sa propre action. L'importance relative du « moi » ou de « l'autre généralisé », d'un côté, ou du « je », de l'autre côté, dépend dela situation. L'anxiété, l'identification et les sentiments d'obligation morale sont généralement si forts que le « moi » et « l'autre généralisé » prédominent sur le « je ». Des circonstances

15. Faris, R. E. et Dunham H. W., Mental Disorders in Urban Areas, Chicago, 1934.

16. Cottrell et Gallagher, loe. cit., pp. 53 et suiv.

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spéciales peuvent faire prévaloir le « je » : par exemple l'alcool est un excellent dissolvant du « moi », ou des situations sociales produisant conflit et tension peuvent avoir ce même effet. La situation peut aussi contenir des conflits de rôles d'expectation et de rôles de ré- ponse qui produisent un état pathologique de la société et de la personnalité.

Le psychologue social devrait poursuivre son ana- lyse avec des opérations qui se conforment à la struc- ture de l'action sociale. Cottrell et Gallagher ont très nettement décrit sa tâche en disant :

« Au point de vue idéal, le psychologue social est une personne qui a une licence professionnelle de voyager, débarrassé d'anxiété, d'une perspective à une autre dans le processus social, et dont le devoir principal est de prendre des notes en route17. » II faut que lui, avant tout autre, apprenne à prendre tous les rôles imaginables, donc toutes les attitudes des autres. Bien entendu, ce n'est pas avec l'intention de « gagner des amis et d'influencer les gens », mais de comprendre et de communiquer ses résultats à la science sociale. Le but principal est de pouvoir prédire la conduite d'un individu ou d'un groupe grâce à l'observation de sa « population de rôles incorporés », et ainsi de pouvoir généraliser les types de situations qui produisent des types d'action sociale.

4. Application aux problèmes de « culture et per- sonnalité ». - La psychologie sociale américaine ne s'est pas contentée de créer une théorie. Bien au con- traire, elle s'est montrée même trop empiriste jusqu'à très récemment, quand elle a éprouvé le besoin d'établir des bases théoriques. Le champ d'études connu sous la rubrique de « culture et personnalité » fait partie de ce courant des sciences sociales qui cherche des prin- cipes d'intégration pour notre connaissance de la vie

17. Ibid, p. 64.

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sociale, tout en restant au contact des analyses empi- riques et comparatives des faits.

Certains problèmes et certaines conceptions géné- rales ont inspiré le développement de ces études.

1. La sociologie et surtout l'anthropologie cultu- relle, avec son étiftle dçs cultures « primitives », ont donné une image très nette de la relativité et de la variabilité de la culture, par exemple de la très grande variabilité des mœurs.

2. Elles ont aussi donné une image de la rela- tivité et de la variabilité de la personnalité, mais jusqu'à ces derniers temps cette notion est restée assez vague.

3. La sociologie, par exemple avec ses études éco- logiques, a indiqué que peut-être certains désordres mentaux sont relatifs à des situations sociales. Cela peut suggérer l'idée, encore plus radicale, que certaines maladies mentales de l'espèce fonctionnelle, par exemple et surtout la névrose, sont relatives à la culture, ou plus précisément que les symptômes et même- les traits essentiels de caractère associés à une névrose sont différents dans différentes cultures. Par exemple, ce qui serait névrose en Amérique moderne ne le serait pas, ou serait donc « normal », chez les indigènes de Bali, et vice versa.

4. Qu'entend-on exactement par « normal », et par contre, par « anormal » ou pathologique ?

5. Peut-on parler d'une « culture névrosique » ou d'une « société .malade », comme Font fait certains sociologues américains18 ?

6. L'anthropologie culturelle s'est orientée de plus' en plus vers des conceptions fonctionnelles. La « cul- ture » est conçue comme un ensemble de desseins ou de configurations qui servent de guides potentiels à

18. Voir par exemple, Bain, Read, « Our Schizoid Cultures », Sociology and Social Research, 1935, vol. 19, pp. 266-276.

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l'action humaine19. Les besoins organiques fonda- mentaux suscitent des réponses culturelles qui, réci- proquement, exercent une influence sur ces besoins. Ensuite la culture crée des besoins nouveaux. On peut analyser tous les aspects d'une culture en les rattachant fonctionnellement aux institutions dont ils font partie20.

7. La psychanalyse américaine s'est nettement modifiée, surtout depuis 1937. En général on s'écarte de plus en plus de la base trop étroitement biologique et instinctiviste de la psychanalyse freudienne, et on reconnaît l'importance des facteurs sociaux de la personnalité et des origines sociales des névroses21. L'œuvre de Ruth Benedict parmi les anthropologues, et celle de Karen Horney parmi les psychanalystes, sont typiques pour cette tendance22. L'œuvre la plus systé- matique et la plus représentative de ce genre est celle faite sous la direction de Ralph Linton, anthropo- logue, et Abram Kardiner, psychanalyste, à l'Univer- sité de Columbia23. Ils ont organisé un séminaire dans lequel Linton et d'autres anthropologues présentaient une description détaillée de plusieurs cultures, com- mençant par des « primitives », qui ensuite ont été analysées sur la direction de Kardiner suivant les méthodes dé la psychanalyse. La conception de culture

19. Voir les définitions données par Kluchkolm, C, dans The science of Man in the World Crisis, N. Y. Columbia Univ. Press. 1945, pp. 84 et s.

20. Voir Malinowski, E., A Scientific Theory of Culture and Other Essays, Chapel Hill, Univ. of North Carolina Press, 1944.

21. William, Richard, « Nouvelles Tendances de la Psychanalyse aux Etats-Unis », Psyché, N° 8, juin 1947.

22. Benedict, Ruth, The Patterns of Culture. N. Y. Houghton Minn, 1934, et Horney, Karen, The Neurotic Personality of Our Time, N. Y., Norton-, 1937.

23. Kardiner, A et Linton R., The Individual and His Society, Columbia University Press, N.Y., 1939 ; Kardoner, A. et Linton R., The Psychological Frontiers of Society, Columbia University Press, N. Y., 1945 ; Kardiner, A., « Concept of Basic Personality Structure as an Operational Tool in the Social S;iences », dans The Science of Man in World Crisis, cit., pp. 107-122 ; Linton R., Personality and Culture, N. Y., Columbia Univ. Press, 1944.

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est essentiellement celle des«fonctionnalistes>>(e.g. Ma- linowski, Liiiton et A.R. Radcliffe-Browne), et le système de psychanalyse est néo-Freudien.

Ils ont développé une technique spéciale, l'analyse de la « structure de base de la personnalité » (basic personality structure), ou nous dirons tout simplement la « S.B.P. » Comme Kardiner lé dit lui-même, elle ressemble à une idée très ancienne, par exemple à celle d'Hérodote ou de César du « caractère national ». Cependant, il faut comprendre la « S.B.F. » d'après les opérations que cette équipe de savants a faites, et selon lesquelles on peut identifier des causes et faire des généralisations. Ils cherchaient d'abord et surtout une technique qui aboutirait à une explication dyna- mique des relations des institutions culturelles entre elles. Ils faisaient appel à la psychanalyse parce que c'est une psychologie qui se concentre sur les aspects intégraux de la personnalité, surtout au point de vue de la vie émotionnelle, et à l'anthropologie fonction- nelle parce qu'elle avait déjà donné une impression très nette de la « consistance » des institutions d'une culture donnée. Il ne faut pas se contenter d'une théorie des procédés d'apprendre (the learning process) parce que chaque individu élabore en plus une série de sys- tèmes intégrants qui sont beaucoup plus importants du point de vue de la personnalité et de sa structure.

Une étude empirique de deux cultures « primitives » (Tanala et Marquises) donnait la première générali- sation et permettait l'élaboration du concept « S.B.P. » Les systèmes religieux avaient une conformité très marquée avec les disciplines de l'enfance. Or, on a postulé la S.B.P. comme le facteur général qui explique cette conformité. La S.B.P. est établie par la famille, les expériences et les disciplines de l'enfance, qu'ils appellent les « institutions primaires ». Elle exerce son influence ensuite, et donne surtout le ton émo- tionnel sur les autres institutions, qu'ils appellent des « institutions secondaires » ou dérivées, parmi les-

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quelles sont les « systèmes projectifs » comme la reli- gion24. Une analyse plus étendue a démontré plusieurs relations systématiques entre les différentes institu- tions d'une culture et la S.B.P., au delà de la simple corrélation entre les disciplines d'enfance et les sys- tèmes projectifs.

L'étude de la culture des Tanala était particulière- ment intéressante parce que les institutions avaient changé (autour d'un changement de la culture sèche à la culture sous l'eau du riz), mais la S.B.P. restait intacte. Une confusion générale en résultait, avec sur- tout une augmentation de l'anxiété. Une fois établie dans une culture donnée, la S.B.P. en est un élément relativement stable, et fort difficile à changer.

Il ne faut pas confondre la S.B.P. avec les traits de caractères spécifiques et définis. C'est la matrice dans laquelle se forment ces traits de caractère. Donc, ce sont les tendances générales de la personnalité qui sont les mêmes pour l'ensemble, ou au moins la grande majorité, clés individus d'une même culture. Il-faut dire « la grande majorité » parce que, au moins dans une des cultures étudiées, ils ont constaté un cas où la personnalité de l'individu en question ne se conformait pas à la S.B.P. Mais justement, par des facteurs pro- bablement accidentels, cette personne a subi pendant son enfance des influences complètement différentes de celles des autres personnes dans cette culture. La S.B.P. est une conception qui laisse une assez grande marge pour les différences individuelles et une caracté- rologie, mais qui explique l'intégration fondamentale de la personnalité et sa relation avec les institutions d'une culture.

Dans les études les plus récentes, cette méthode de dérivation de la S.B.P. a été contrôlée par deux mé-

24. Il faut se garder de considérer cette théorie comme une tentative pour une explication « scientifique » de la religion. Elle explique, sans doute, certains aspects de la religion, mais son but principal est d'expli- quer la relation entre culture et personnalité.

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thodes complémentaires. Premièrement, on a fait appel à l'analyse des biographies. Jusqu'ici cette méthode ¿îanque un peu de rigueur comme « contrôle » parce que la quantité de biographies est trop petite et la manière de leur sélection est douteuse. Par définition, on devrait trouver la même S.B.P. dans chaque bio- graphie d'une culture donnée, mais pour que cette méthode soit véritablement un contrôle, un système de sondages serait nécessaire. Deuxièmement, on a tenté d'appliquer le test Rorschach, qui, comme test projectif, est spécialement adapté à l'analyse des aspects intégrants de la personnalité. L'ethnologue Cora Du Bois rapportait plusieurs de ces tests de la culture d'Alor. Un psychanalyste les analysait indé- pandemment, sans aucune connaissance préalable de cette culture ou de l'analyse faite dans le séminaire de Kardiner et Linton. Les résultats des deux systèmes d'analyse concordaient essentiellement, pour la S.B.P., aussi bien que pour les différents types de personnalité établis par l'analyse des biographies. Ces deux mé- thodes ont une valeur non seulement comme « contrôle », mais aussi elles fournissent des données complémen- taires, surtout en indiquant des combinaisons émotion- nelles qui sont inconnues dans la culture occidentale moderne.

La conception de la S.B.P. cherche donc à com- prendre les ressemblances et tendances d'attitudes et d'expectations au niveau profond, au-dessous du niveau verbal et manifeste, et des multiples différences de rôles. Ces expectations les plus profondes et les plus généralisées consistent en ce que Mead a reconnu comme« l'autre généralisé ». Très récemment Kardiner a essayé d'appliquer cette conception à l'analyse de la culture occidentale moderne. Un grand problème se pose tout de suite. Y a-t-il une S.B.P. « occidentale » ? Kardiner semble croire que les traits généraux de rS.B.P. impliqués par le livre de Job, les drames de Sophocle, les drames de Shakespeare, et l'analyse 86

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d'une petite ville actuelle aux États-Unis sont essen- tiellement les mêmes. Mais est-ce que les disciplines d'enfance, par exemple, sont essentiellement les mêmes dans les différentes nations, régions et classes sociales ? Les différences sont-elles assez grandes pour qu'on parle de différentes S.B.P., ou sont-elles d'une étendue assez délimitée pour qu'il soit préférable de parler de différentes modalités d'une même S.B.P. ? Ce ne sont pas des questions purement « académiques », ou de « définition ». Elles ont une importance dyna- mique et « pratique », par exemple en relations avec les problèmes internationaux ou les problèmes des rela- tions des classes sociales. Ce sont des questions à résoudre, et les recherches qu'elles imposent mani- festent la richesse de la conception.

5. Résumé. - La psychologie sociale américaine a plusieurs autres champs d'études importants, qu'on ne peut qu'indiquer en passant. Elle comporte, par exemple, les travaux de « sociométrie » et les appli- cations en « psycho-drames » et « socio-drames »25. Il y a des études importantes sur les différents aspects du problème du moral, qui se sont précisées pendant la guerre26. Il y a aussi des études importantes sur les aspects psycho-sociologiques de la vie industrielle, le problème du travail en commun, la motivation au travail, etc.27. Toutes ces études tendent à trouver leur intégration dans le cadre de référence que nous avons essayé de décrire ici.

25. Voir les articles de Moreno et de Jennings dans Les cahiers vol. II, 1947.

26. Pour une discussion générale de ces études voir Young, op. cit., chap, xiv et xv. ~

27. Voir surtout, Mayo, Elton, The Social Problems of an Industrial Curliscition, Andover Press, 1945 ; Moore, W., Industrial Relations and the Social Order, M. Y. McMillan, 1946 ; Iardner B.B., Human Relations in Industry, Chicago, Irwin, 1946 ; et Whyte, W. F. (Ed.) Industry and Society, N. Y. Me Irwin-Hill, 1946.

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Peut-être les tendances indiquées ci-dessus con- duisent-elles aussi à répondre à la question : qu'en- tend-on par normal ? Il faudrait admettre que le contenu des normes, et dans ce sens la normalité, varie d'une culture à une autre. Mais par ces mêmes études, on est en train de mieux comprendre la normalité dans un sens plus absolu. C'est dans le sens des formes d'adap- tation fonctionnelle de l'action humaine qu'on peut arriver à une idée de ce qui est normal du point de vue de la personnalité et de ses besoins, et du point de vue de la société et de ses besoins. On peut dire, sans aucun doute, que l'étude de la « socialisation », c'est-à- dire de la formation de la personnalité, de l'incorpo- ration de rôles spécifiques et de rôles généraux (l'autre généralisé ou la S.B.P.) créant le dessein des relations interpersonnelles, est d'une très grande importance si nous voulons établir une technique adéquate d'adap- tation personnelle et sociale. Et on peut ajouter que cette technique est de la plus grande urgence pour le monde d'aujourd'hui.

Centre d'Etudes Sociologiques, Paris, et Bureau de Psychologie Industrielle de la Cegos.

Ancien Professeur de Buffalo, U.S.A.

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