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LA RÉFORME DE L'AIDE SOCIALE AU QUÉBEC: Au passage de l'État-Providence àl'État-Provigo Author(s): Denis Fortin Source: Canadian Social Work Review / Revue canadienne de service social, Vol. 6, No. 1 (Winter/hiver 1989), pp. 24-39 Published by: Canadian Association for Social Work Education (CASWE) Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41669289 . Accessed: 10/06/2014 13:04 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Canadian Association for Social Work Education (CASWE) is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Canadian Social Work Review / Revue canadienne de service social. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.77.52 on Tue, 10 Jun 2014 13:04:07 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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LA RÉFORME DE L'AIDE SOCIALE AU QUÉBEC: Au passage de l'État-Providence àl'État-ProvigoAuthor(s): Denis FortinSource: Canadian Social Work Review / Revue canadienne de service social, Vol. 6, No. 1(Winter/hiver 1989), pp. 24-39Published by: Canadian Association for Social Work Education (CASWE)Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41669289 .

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LA RÉFORME DE L AIDE

SOCIALE AU QUÉBEC

Au passage de l'État-Providence à l'État-Provigo

Denis Fortin

C'ÉTAIT EN 1967..., j'entreprenais alors d'occuper mon premier emploi comme diplômé en service social au sein du ministère de la Famille et du Bien-Être social du Québec. La rareté des compétences qui prévalait à cette époque, en particulier dans le secteur public, fit que je fus rapidement propulsé dans des lieux stratégiques de ce ministère : d'abord, comme secrétaire exécutif de la nouvelle Direc- tion générale de l'aide et sécurité sociale, puis, comme membre du Comité de législation du ministère.

Au premier titre, je collaborais alors à l'implantation du réseau public des bureaux locaux et régionaux de l'aide sociale à travers le Québec. Pendant ce temps, je participais également, comme mem- bre du Comité de législation, aux travaux d'élaboration de la Loi unique de l'aide sociale qui, après son adoption par l'Assemblée nationale en décembre 1969, établira les paramètres stratégiques de cette portion de notre histoire pour les 20 années qui vont suivre. C'est au lendemain de cette date historique, queje décidais de quitter le ministère, à la recherche d'aventures nouvelles, plus vivifiantes.

Au sein de ce gigantesque appareil, j'avais fait l'apprentissage pratique d'une première leçon essentielle sur la nature même de l'État, de l'État libéral en particulier, et du « social ». C'est la perspec-

Abstract The Quebec plan for social welfare reform was announced in January 1985 by the Parti Québécois government, when the White Paper on Personal Income Taxation was published. The author develops a critical study of this key plan in the "social" field and the more specific plan set out in the area of income security policy. This critical study is based on a macro-sociological analysis, which effectively places this particular plan within the historical context that has characterized its specific develop- ment to date, as well as within the current overall social framework that determines the direction and meaning of this reform. Denis Fortin est professeur agrégé à l'École de service social , Université Laval.

Revue canadienne de service social» volume 6, numéro 1 (hiver 1989) / Canadian Social Work Review, Volume 6, Number 1 (Winter 1989) Imprimé au Canada / Printed in Canada

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tive critique héritée de cette leçon de vie, et enrichie de près de 20 années de praxis comme professeur-chercheur, intervenant et mili- tant, qui guidera notre regard d'analyse sociologique du projet de réforme de l'aide sociale au Québec.

Révolution tranquille et adoption du projet de loi n° 26 Pour mieux nous situer historiquement, mentionnons d'abord que l'adoption du projet de loi n° 26, Loi de l'aide sociale, constitue le cinquième grand moment de la Révolution tranquille, amorcée au tournant des années 1960 par le Parti libéral de Jean Lesage. Elle faisait suite à l'imposante entreprise de nationalisation des res- sources hydro-électriques, sur l'ensemble du territoire du Québec, et à la non moins imposante réforme de l'éducation entreprise en 1963-1964 avec la publication du Rapport Parent. Déjà, en 1961, le Québec procédait à l'instauration du programme d'assurance- hospitalisation, puis à l'établissement du régime des rentes en 1966.

Un comité d'étude avait été préalablement chargé de paver la voie au projet de cette nouvelle loi, le Comité Boucher du nom de son président. L'une des recommandations centrales du rapport publié en 1963 concernera précisément le principe de la reconnaissance du droit fondamental à l'aide sociale: «[...] principe selon lequel tout individu dans le besoin a droit à une assistance de la part de l'État, quelle que soit la cause immédiate ou éloignée de ce besoin»1. Ce point est important, car ce sera la nature même de ce droit que la réforme projetée viendra précisément remettre en cause.

La reconnaissance de ce principe de droit, article 2 de la Loi, constituera la pierre angulaire d'une importante avancée stratégique dans le champ de la politique sociale au Québec. Dans le cadre de cette loi, seront désormais unifiés tous les programmes d'assistance par catégorie, développés à la pièce au cours des décennies précédentes pour venir en aide aux plus nécessiteux (v.g. aveugles, invalides, mères seules, assistance publique et assistance-chômage ).

Nous sommes en 1970, à la veille de l'instauration du programme intégré d'assurance-maladie et à l'étape la plus intense des travaux de la Commission Castonguay-Nepveu, dont le volumineux rapport publié par tranches à compter de 1967 servira de guide pour l'implantation de l'ensemble du réseau des services de santé et des services sociaux, qui prendra forme au Québec au cours de cette même décennie.

Crise économique et nouvelle conjoncture sociale Hélas, la vingt-cinquième heure avait déjà sonné le glas du « pro- grès ». En effet, 1970 marque le début de la fin d'une longue période

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de croissance économique amorcée avec la seconde guerre mon- diale (1939-1945), et accompagnée d'un développement non moins intense dans le champ de la politique sociale: aide et sécurité sociale, services de santé et services sociaux, éducation, habitation et forma- tion professionnelle de la main-d'oeuvre.

À l'horizon, la crise économique se profile et menace. Son déclen- cheur: la secousse monétaire de 1972-1973, que viendra exacerber la première montée fulgurante des prix du pétrole à l'aube de 1973. Puis, les rondes infernales des cycles de récession, suivis de brèves reprises des activités économiques, ne cesseront plus de se succéder, laissant derrière elles: fermetures d'usines, chômage, inflation, insé- curité et pauvreté2.

Sans que nous le sachions, cette crise économique allait lentement poser les fondements matériels d'une crise sociale plus globale, dont les composantes se sont progressivement mises en place au tournant des années 1980. Par suite de cette crise économique et de ses effets, les coûts du « social » montent en flèche et viennent ainsi participer au gonflement des déficits budgétaires de l'État, au provincial comme au fédéral. Nous disons « participer », car ils ne sont pas les uniques responsables, ni même les principaux responsables.

Mais, les blocages, engendrés par la crise pour le capital et résultant du développement d'une sur-capacité productive, dans le contexte d'une intensification de la concurrence sur le plan mondial et d'une régression des débouchés intérieurs et extérieurs, par suite de la croissance du chômage et de la déflation salariale ici au Nord et du sur-endettement des pays du Sud; eh bien, ces blocages vont exiger d'être dénoués. Ce qui supposera la mise en place d'une opération radicale de chirurgie; qui commandera, quant à elle, une restructura- tion globale du mode de production.

Il faut bien comprendre que, derrière les manifestations plus secondaires et visibles de la présente crise, l'enjeu central de celle-ci concerne la position hégémonique des détenteurs du pouvoir sur le plan mondial. Par le fait même, ni le Canada, ni le Québec ne vont échapper au grand remue-ménage engendré par les exigences de cette réorganisation fondamentale des assises du capitalisme libéral à l'échelle du monde.

En avant toute... de l'État-Providence à l'État-Provigo Sans élaborer davantage sur les paramètres structurels de la crise, disons que c'est dans le creuset de cette réorganisation du capita- lisme à l'échelle mondiale, et à l'occasion de sa présente crise, que l' État-Providence, après avoir joué le rôle de bouée de sauvetage du libéralisme il n'y a pas si longtemps (crise de 1929-1945), constituera

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maintenant une cible privilégiée toute désignée. Les attaques menées à son encontre viendront d'abord de la part de ceux qui ont un intérêt prioritaire à pouvoir repérer, dans pareilles circonstances, un bouc émissaire autre qu'eux-mêmes, pour expliquer les nom- breuses difficultés auxquelles ils se sont heurtés sur la route de leur propre croissance, de leur obésité, au fil des dix ou quinze dernières années.

Il est pourtant faux d'affirmer que les programmes sociaux admi- nistrés par le gouvernement sont trop généreux, qu'ils coûtent trop cher, qu'ils sont les premiers responsables des déficits budgétaires et qu'il faille procéder, en conséquence, au dégraissement radical de l'État- Providence. Mais, l'important c'est de parvenir à en convaincre la majorité. C'est l'opération que les représentants du bloc au pou- voir se prépareront à réussir, par tous les moyens, au tournant des années 1980.

Les programmes sociaux canadiens, faut-il le clarifier, coûtent relativement moins cher qu'ailleurs. En effet, tandis que le Canada consacre 21,5 pour cent de son produit intérieur brut (PIB) aux dépenses sociales, la moyenne correspondante pour les sept princi- paux pays industrialisés est de 24,8 pour cent du PIB. En effet, les dépenses sociales représentent 29,5 pour cent du PIB en France, 31,5 pour cent en R.F.A., 23,7 pour cent au Royaume-Uni, 20,8 pour cent aux États-Unis, 1 7,5 pour cent au Japon et 29, 1 pour cent en Italie3.

En l'occurrence, le cas de l'Allemagne fédérale, en particulier, démontre assez clairement, si besoin était, que le niveau élevé des dépenses sociales ne constitue pas un obstacle à l'accroissement de la productivité et à la réalisation d'un bon rendement économique. À ce dernier chapitre, il faut plutôt examiner la politique monétaire, la politique de l'emploi et du plein emploi, les mesures d'incitation à l'innovation technologique et les programmes de développement social et communautaire.

Même la Commission Macdonald, que l'on ne peut guère taxer de révolutionnaire, établit le constat, dans son rapport, à l'effet que « l'expansion de l' État-Providence canadien - qui semble spectacu- laire quand on l'examine isolément - paraît plus modeste quand on le compare à la norme des nations industrialisées occidentales »4.

À la faveur d'une progression rapide enregistrée au niveau des déficits budgétaires de l'État depuis 1980 en particulier, et dont on ne questionne pas les causes véritables ou premières, cette forme de

guerre totale menée principalement par les détenteurs du capital, en alliance avec les milieux de la droite, trouvera d'abord écho parmi les différents médias. Puis, au fil des jours, des semaines et des ans, l'opération de martelage de l'intelligence et de lessivage des cons- ciences finira par triompher. Le « Grand Virage », présenté comme

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étant inéluctable, trouvera enfin l'appui populaire nécessaire auprès d'une opinion publique bien préparée à recevoir et à accepter les nouvelles vérités sous-jacentes à ce profond changement. Une opi- nion publique étant somme toute mystifiée et surtout traumatisée par la peur d'une sorte d'apocalypse, annoncée comme étant la seule autre issue possible à la crise actuelle. Même les « spécialistes du social » seront eux aussi progressivement victimes de cette mystifica- tion et se feront également complices, à l'occasion, de la psychose populaire ainsi créée.

Le premier responsable de tous nos maux étant désormais claire- ment identifié, à la satisfaction de «tous» sinon de la majorité, le grand balayage dans l'édifice du « social », rendu nécessaire pour la survie de l'ensemble, peut commencer. Au niveau de l' État- Providence et des différentes composantes de la politique sociale, l'heure est à la compression massive des dépenses et à la redéfinition des priorités de service dans tous les secteurs de programme.

Et, faut-il le rappeler, ce réseau intégré de services multifonction- nels fait pourtant l'envie de plusieurs pays du monde, et son implan- tation à travers tout le Québec, dans la foulée des recommandations du rapport de la Commission Castonguay-Nepveu, a nécessité quel- que quinze années d'un travail intense, lié à un effort collectif et volontaire pour l'évaluation duquel il n'existe aucune mesure de productivité et de rentabilité matérielle.

De l'analyse des directions contradictoires empruntées par le déve- loppement de la politique sociale au Québec au cours des deux dernières décennies, une autre leçon essentielle se dégage et mérite d'être retenue, sur le changement social cette fois. À savoir que ce sont prioritairement et principalement les conditions essentielles de survie économique du bloc au pouvoir et des classes qui le compo- sent qui vont dicter, dans une conjoncture particulière... de crise, en l'occurrence, la trajectoire nécessaire à suivre. Celle-là même qui doit être imposée à la majorité aux fins spécifiques de la reproduction de leur domination. Sur la correspondance pratique de ce principe, l'histoire récente ne manque pas d'éloquence.

Projet de réforme de l'aide sociale En ce qui concerne la sécurité du revenu, le temps presse encore davantage, vu la montée en flèche des coûts budgétaires de ces programmes résultant des effets sociaux de la crise économique. Incidemment, les déboursés globaux de l'aide sociale au Québec sont passés de 1,05 milliards à 2,2 milliards de dollars entre 1980-1981 et 1985-19865. En conséquence, tous les programmes concernés par ce chapitre seront désormais placés sur la table de dissection des grands charcutiers de l' État-Providence: sécurité de la

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vieillesse, régimes de pension, allocations familiales et assurance- chômage (cf. le Rapport Forget).

En ce qui a trait à l'aide sociale, perçue comme la pierre angulaire de tout l'édifice, l'heure est à l'urgence et la chirurgie doit être majeure. On parle alors de réforme radicale, réforme qui veut désor- mais situer celle-ci, « contraintes économiques obligent », à l'intérieur d'une politique plus générale de sécurité du revenu, qui valorise au tout premier plan l'incitation (i.e. le retour contraint ) au travail des assistés sociaux dits « aptes au travail ».

Nous sommes à l'aube des années 1980, le terrain social est fin prêt à accueillir favorablement le grand virage qui s'impose et qu'on dit inéluctable. Une majorité convient que l' État-Providence doit maintenant faire place à l'État-Provigo, avec priorité à l'économie sur le social en tout lieu. C'est dans ce nouveau cadre d'énoncé de politique générale pour le Québec que le projet de réforme de l'aide sociale verra le jour et qu'il prendra tout son sens. Un principe directeur de cette réforme: viser à tout prix l' autosuffisance des bénéficiaires et leur autonomie économique maximale; et ce, en fonction des contraintes nouvelles de rentabilité des entreprises, organisées sur la base d'une régression des coûts de production, dont les salaires. C'est à ce «grand projet» que l'armée de réserve des assistés sociaux dits « aptes au travail » sera systématiquement con- viée après la réforme de l'aide sociale. Mais, l'opération était déjà en marche à compter de 1983-1984, après avoir été dessinée de longue date, avec l'expérimentation, en 1973, du programme de « retour à la vie normale » des assistés sociaux.

Par la même occasion, cette réforme met en place les outils appro- priés aux fins d'une consolidation des marchés périphériques de travail réservés aux « petits salariés », lesquels pourront ainsi complé- ter une partie de l'insuffisance de leur revenu jusqu'à un seuil maxi- mum, par l'entremise de certaines mesures fiscales compensatoires. Mais, ceux-ci n'auront pas plus d'espoir de pouvoir un jour sortir des corridors aux parois étanches où ils sont finalement piégés. Les marchés périphériques de travail risquent fort de continuer d'être ces lieux privilégiés de culture et de reproduction de près de 60 pour cent des couches de la pauvreté au Canada et au Québec. Ce qui était le cas en 1985-19866.

Mais, plus concrètement, quels sont les changements que vient introduire le projet de cette réforme de l'aide sociale? Dans le Livre blanc sur la fiscalité des particuliers, rendu public en janvier 19857, trois scénarios ont été dessinés dont le plus probable, le deuxième, présente les caractéristiques suivantes, entre autres en ce qui a trait à l'aide sociale8.

Le coeur de la réforme proposée relativement aux régimes de transfert, dans le Livre blanc, concerne la division des assistés sociaux

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entre ceux qui sont aptes et ceux qui sont inaptes au travail, et l'obligation pour ceux qui sont aptes de participer à un programme de réinsertion au marché du travail, sous peine de voir leurs presta- tions diminuer.

Ce programme assurerait un revenu minimum aux personnes aptes au travail au moyen, d'une part, de prestations régulières versées aux personnes disponibles pour participer à des activités de réinsertion sur le marché du travail ou prêtes à se chercher un emploi et, d'autre part, de prestations versées aux bénéficiaires non disponibles pour la recherche d'un emploi

L'intention gouvernementale vise à transformer le système actuel de l'aide sociale en deux programmes distincts: un programme pour les personnes inaptes au travail et un autre pour les personnes aptes au travail, intitulé «APTE» ou Action positive pour le travail et l'emploi. Selon certaines déclarations ministérielles, le programme d'aide ou d'assistance financière aux personnes inaptes au travail à titre permanent serait maintenu et les prestations revisées à la hausse.

Le programme APTE, pour sa part, généralisera à l'intention de tous les assistés sociaux aptes au travail, qu'ils aient plus ou moins de 30 ans, les mesures de réinsertion sociale déjà mises sur pied par le Gouvernement en 1983-1984. Les bénéficiaires de moins de 30 ans recevront désormais le même niveau de prestation que les plus âgés, mais, à condition de participer à l'un des trois volets du programme APTE, qui vise explicitement à augmenter l'employabilité des assis- tés sociaux, et dont les composantes principales sont les suivantes: 1) Le volet éducatif : ce volet «vise l'acquisition de connaissances

académiques nécessaires à l'obtention d'une formation suffisante pour décrocher un emploi». Il devrait permettre «l'alphabétisa- tion fonctionnelle de certains bénéficiaires jusqu'à la formation professionnelle de niveau postsecondaire»10.

2) Le volet communautaire : c'est en ces termes que le ministre Paradis détermine l'objectif de ce volet: « offrir à des bénéficiaires l'occasion de mettre à la disposition de leur communauté leur habilité et leur capacité tout en leur permettant de maintenir ou de développer leur employabilité»11.

3) Le volet stage en entreprise : l'objectif de ce volet est de « faciliter l'insertion permanente des bénéficiaires dans leur secteur de compétence. Les diverses formes de subvention directe à l'emploi entreraient dans le cadre d'intervention»12.

À la suite de cette réforme, tous les bénéficiaires de 18 à 65 ans jugés aptes au travail devront s'inscrire à une activité de réinsertion sous peine de voir leurs prestations réduites au plus strict minimum. On peut dès lors se poser de sérieuses questions sur la façon dont sera «jugée » l'aptitude ou non au travail. Quand on sait que, dans la

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pratique actuelle, des bénéficiaires se voient refuser leur certificat médical et doivent aller en révision et en appel pour se défendre, et ce, souvent par suite d'une simple interprétation trop restrictive de l'agent, ce fait a de quoi susciter l'inquiétude. Il faut également savoir que 80 pour cent des nouveaux emplois créés au Canada actuelle- ment sont des emplois à temps partiel, mal rémunérés et occupés involontairement par leurs détenteurs, qui sont, incidemment, en majorité des femmes13.

Bien sûr, il faut admettre qu'une réforme de l'aide sociale située dans le cadre plus global d'une politique de la sécurité du revenu qui s'inscrit, quant à elle, à l'intérieur d'une stratégie fiscale plus « cohé- rente», n'est certes pas sans fondement économique légitime, ni pertinence sociale. Par contre, pour ce qui est de la définir comme l'outil efficace d'une « nouvelle approche en matière de lutte contre la pauvreté »14, en l'absence d'une politique ferme de plein emploi et de juste rémunération salariale, rien n'est moins sûr. Surtout si l'on considère la conjoncture plus générale où elle se mijote et l'esprit qui préside aux efforts actuels de son accouchement.

L'opération des « Bouboumacoutes » constitue plutôt un mauvais présage à cet égard. Elle laissera également des traces que le temps n'effacera pas si facilement. D'ailleurs, cette offensive régressiste, menée contre la Loi de l'aide sociale adoptée en 1969 et contre les bénéficiaires eux-mêmes, ne date pas du Livre blanc sur la fiscalité, paru en 1984 et rendu public au début de 1985. Les premières manoeuvres à ce chapitre remontent à 1973 et elles ne cesseront de se multiplier au fil des ans à compter de cette date15, pour produire l'inéluctable situation d'appauvrissement des bénéficiaires qu'on connaît maintenant16.

La dernière de ces manoeuvres, et non la moindre, concerne le dépôt à l'Assemblée nationale, le 10 décembre 1987, du document officiel d'orientation de la réforme projetée. Ce document, intitulé « Pour une politique de sécurité du revenu », a été déposé puis rendu public par le ministre Pierre Paradis.

S'il fallait s'attendre à ce que le projet gouvernemental de réforme de l'aide sociale épouse d'assez près les grandes orientations déjà tracées dans le Livre blanc sur la fiscalité à cet égard (ce qui est d'ailleurs le cas dans le document officiel rendu public le 10 décem- bre 1987), il était peu prévisible qu'il faudrait alors enregistrer de nouveaux ajouts, dont on peut déjà juger du caractère encore plus régressiste que ce que nous connaissions des intentions du gouver- nement jusqu'à ce jour.

En l'occurrence, c'est désormais pour janvier 1990 qu'il faut atten- dre l'entrée en vigueur, peut-être, du principe de la parité des presta- tions pour les bénéficiaires de moins de 30 ans aptes au travail. Nous

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disons « peut-être » parce que le document officiel d'orientation de la réforme est loin d'être adopté. Il doit d'ailleurs faire l'objet d'une «large consultation» (i.e. commission parlementaire et audiences publiques) prévue pour le printemps 1988, avant son inscription au feuilleton de l'Assemblée nationale à l'automne de la même année, « si tout se passe bien ». Car, il est peu probable que le dit projet rallie le consensus, loin de là, et pour cause.

L'introduction dans ce projet d'un certain nombre de « notions nouvelles » a directement pour effet de nous ramener loin en arrière dans l'histoire de la politique sociale; entre autres, la notion qui concerne la « contribution alimentaire des parents » et qui doit servir à établir l'inadmissibilité partielle (entre 17 000 et 25 000 cas) ou totale (environ 25 000 cas) des jeunes de moins de 25 ans aux prestations de l'aide sociale. Ou encore la notion de « non-disponibilité » pour des bénéficiaires jugés aptes au travail (p. ex., grossesse, problèmes temporaires de santé, ou responsabilité d'au moins un enfant de moins de deux ans) qui pénalise financièrement ces derniers du fait de leur état. Ou, finalement, la notion qui définit une autre catégorie de bénéficiaires, les «nouveaux», dont les neuf premiers mois devront être consacrés à la recherche active d'un emploi, sans que ceux-ci soient admissibles aux différentes mesures du programme APTE, ni qu'ils puissent ainsi toucher les suppléments qui les accom- pagnent. Voilà autant de « nouveautés » qui nous reportent en arrière de plusieurs décennies, à l'étape de la préhistoire de la sécurité sociale et de la sécurité du revenu.

Tout ce que nous avions soupçonné en rapport avec la réforme de l'aide sociale est parfaitement confirmé par le contenu du document officiel d'orientation dont nous venons de faire état. Il y a même davantage dans les perspectives nouvelles que trace ce document, lesquelles vont beaucoup plus loin, sur le plan d'une stratégie régres- siste, que ce à quoi il était permis de nous attendre.

En somme, une fois que la réforme de l'aide sociale et celle de la fiscalité, auxquelles est greffé le programme de sécurité du revenu, seront mises en place, il vaudra mieux choisir de contraindre sa santé et d'épuiser ses forces dans un emploi mal rémunéré et souvent insalubre, plutôt que de crever de faim tout court avec l'aide sociale, quand on a la malchance d'être classé «apte au travail» par les « agents du bien-être». C'est là un moyen efficace pour que toutes les «sales jobs» trouvent nécessairement preneurs et qu'ainsi le « social » soit systématiquement mis au service des impératifs écono- miques et de ceux qui y ont un intérêt prioritaire. (Comme prévu, cette réforme fut adoptée par l'Assemblée nationale à la fin de décembre 1988; elle est maintenant identifiée comme la Loi 37. La date déterminée pour sa mise en application: août 1989. )

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Strategie d'agression du bloc au pouvoir « Une nouvelle approche en matière de lutte contre la pauvreté », pour une plus grande « égalité » et davantage de « justice », combinée à une «efficacité administrative» accrue, voilà quelques-uns des mots-clés autour desquels tendent à se cristalliser les fondements de légitimité de la version officielle, soit celle du discours dominant, concernant la nécessité d'une réforme radicale de l'aide sociale.

C'est ce même discours de légitimité factice, articulé par l'impératif mystificateur des compressions budgétaires massives rendues néces- saires dans l'ensemble du champ de la politique sociale, croissance rapide des déficits oblige, qui préside également à l'assaut stratégique plus global mené à l' encontre de l'édifice de l' État-Providence dans son ensemble. Un assaut qui vise ni plus ni moins que la mise à sac de celui-ci jusqu'aux limites d'un possible souhaitable, défini par un rapport de force idéologique et politique désormais favorable aux positions mises de l'avant par le bloc au pouvoir.

Sans élaborer davantage sur le déroulement de la stratégie d'agression systématique du bloc au pouvoir contre les plus dé- munis et le « social » depuis 1980, nous devons constater que l'offen- sive était techniquement bien planifiée et qu'elle était préparée avec compétence. Son déroulement fut idéologiquement bien orchestré, sans failles majeures; et son application, politiquement puissante et résolue. Les premières attaques ont commencé à fuser au début des années 80, portées par les principaux porte-parole accrédités du bloc au pouvoir, soit le Conseil du patronat du Québec, la Chambre de commerce de la province de Québec, celle de Mon- tréal, le Bureau de commerce de Montréal et leurs alliés du Parti libéral du Québec et du Parti conservateur canadien17.

Après maintenant sept ans de cette forme de guerre de tranchée, il faut reconnaître que la légitimité de l'opération de chirurgie sociale apparaît désormais au comble de l'évidence, et tout doute, toute opposition ou dissidence passent dès lors pour autant de manifesta- tions de mauvaise volonté ou encore d'inconscience. À n'en pas douter, c'est là une manoeuvre conduite de main de maître, avec constance et grande habileté, dont les chances de succès sont pour le moins très élevées; les principaux opposants ayant été ou bien terrassés, neutralisés ou encore discrédités. Le champ est libre... ou presque.

Nous connaissons mieux, maintenant, les intentions profondes du bloc au pouvoir, du moins la portion de celui-ci qui dirige présente- ment l'État du Québec. C'est le ministre Pierre MacDonald, chargé du Commerce extérieur, qui rendait publiques les orientations cen- trales de ce nouveau projet de société pour le Québec. Et, comme il fallait s'y attendre, ce projet est à l'enseigne d'un « néo-libéralisme »

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ne péchant guère par excès d'originalité par rapport à cette sorte de courant dominant à travers le monde. Le ministre MacDonald, ren- trant d'une tournée de promotion des vertus québécoises effectuée dans certains pays d'Europe, déclarait au journal Les Affaires, à ce propos, en janvier 198718 : « Il faut vendre à l'étranger la réalité que le Québec est l'un des meilleurs endroits du monde pour investir dans la fabrication de produits destinés aux marchés étrangers ». Et, pour y parvenir, il faut: «Faire du Québec le Japon nord-américain».

Le message ne manque pas de transparence ni de limpidité. Mais, quand on tient le pouvoir politique au nom des intérêts du grand capital et des entreprises privées de chez nous, on n'a guère le temps de s'enferrer dans les subtilités inutiles d'une gestion démocratique définie comme paralysante et inefficace. On est là pour être productif et rentable, ce qui signifie en clair : dominer au profit des uns, soit la minorité, au détriment de tous les autres, soit la majorité. Cela constitue la troisième leçon essentielle qui se dégage de l'analyse critique de cette autre portion de notre histoire.

L'Accord de libre-échange canado-américain, entériné officielle- ment par le Premier ministre Mulroney et le Président Reagan au début de janvier 1989, risque fort de fournir les assises structurelles nécessaires à l'actualisation de ce nouveau projet de société, pour le Québec en particulier.

Compte tenu de l'importance de cet enjeu, le bloc au pouvoir n'économisera aucune contrainte économique, idéologique et politi- que pour en garantir la réussite. Pourtant, à l'occasion d'une manoeuvre dont on pourrait dire qu'elle constitue une erreur impor- tante de parcours : « l'opération des Bouboumacoutes », la résistance s'organisera rapidement en milieu populaire, au sein même de la population des bénéficiaires de l'aide sociale. La riposte viendra principalement du Front commun des assistés sociaux du Québec. Et, en rapport avec cette même lutte, naîtra une autre coalition encore plus large, Solidarité populaire Québec, préoccupée quant à elle, de manière plus générale, de toute la question du désengage- ment de l'État par rapport à sa « mission de justice sociale»19.

À l'heure actuelle, cette large confrontation sociale se développe avec une certaine intensité et dessine, ce faisant, l'histoire au présent.

Reproduction sociale de l'injustice À cette étape-ci de notre analyse, nous croyons utile de partager certaines des interrogations de fond qui ont animé notre démarche de recherche sur la réforme envisagée du programme de l'aide sociale au Québec. Ces questions constituent une invitation pres- sante à pousser plus loin, plus en profondeur, cette première incur- sion critique au coeur du « social » actuel.

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Que vient cacher ce virage radical dans le domaine des politiques sociales, qu'on dit nécessaire, voire inéluctable? À quels intérêts vient répondre cette forme de mise à sac de l' État-Providence? Pourquoi une réforme de l'aide sociale qui donne d'abord l'assaut du côté des plus démunis, dans une conjoncture de crise économique dont ils sont les premiers à devoir subir et absorber les principaux effets?

Et, si c'était ailleurs, dans une autre direction, qu'il nous faille orienter les fouilles pour trouver réponse à ces questions... Par exemple, du côté de ceux qui ont provisoirement intérêt au démantè- lement de cette portion de l' État-Providence, celle qui est publique- ment décriée et qui s'adresse principalement aux plus démunis. En somme, du côté de l'autre portion de l' État-Providence, celle qui a pour fonction de répondre aux besoins d'enrichissement des plus favorisés de notre société, des entreprises et des hauts salariés; celle dont relève l'ensemble des programmes qui composent le « Régime caché d'assistance sociale»?

Les recherches que nous avons menées sur cette dernière ques- tion depuis quelques années déjà20, montrent sans équivoque que la principale réponse aux interrogations qui précèdent se trouve irré- médiablement dans cette dernière direction. En l'occurrence, nous avons procédé à une évaluation sommaire des coûts que représente, pour 1986-1987, l'entretien des six grands secteurs de programmes qui composent ce régime très particulier d'aide sociale au pays, à savoir: 1) les diverses catégories de subventions offertes directement aux

entreprises, sous tout prétexte; 2) la multitude des mesures de fraude fiscale accessibles aux entre-

prises, sous la forme d'exemptions ou encore de crédits à l'inves- tissement, à la recherche et à la modernisation des équipements;

3) les abris fiscaux de toute nature accessibles aux entreprises et aux hauts salariés;

4) les innombrables abus de situation commis par nos dirigeants et dont les coûts économiques sont à n'en pas douter très significa- tifs;

5) la fraude pure et simple, forme de détournement des fonds publics, ou encore d'autres situations troubles généralement dési- gnées par le terme à la fois plus discret, neutre et insidieux de «conflit d'intérêts»; dont les quelques exemples cités ci-après peuvent laisser quelque peu soupçonner l'importance et l'am- pleur des coûts économiques représentés par celle-ci chaque année (p. ex. l'affaire Sinclair Stevens, Oerlikon, le programme «Recherche et développement» ou encore «Recherche et détournement... »);

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6) la mise au service des entreprises, directement ou indirectement, d'une portion importante de l'appareil d'État (p. ex. armée des fonctionnaires, équipements et locaux, systèmes statistiques, délégations commerciales à l'étranger).

Eh bien, seulement pour l'exercice 1986-1987, il faut compter une somme s' élevant à quelque 60 milliards de dollars pour l'entretien de l'ensemble de ce régime caché d'aide sociale mis au service des mieux nantis, sous la forme d'un manque à gagner (i.e. les dépenses fiscales) ou encore de déboursés directs pour l' Etat et ce, uniquement au niveau fédéral. L'ensemble des bénéficiaires de l'aide sociale au pays, par comparaison, ont coûté environ huit milliards de dollars aux Trésors publics fédéral et provinciaux, pour la même année. Et, ils sont quelques millions de personnes à devoir se les partager21.

Comme quoi, les véritables assistés sociaux ne sont pas nécessai- rement ceux vers qui tous les reproches sont actuellement dirigés: allant de la dépendance à la fainéantise, en passant par l'irresponsa- bilité et la malhonnêteté.

À l'horizon, un nouveau projet de société : néo-libéralisme à l'échelle mondiale et reproduction de l'oppression En nous fondant sur la problématique dont nous venons de brosser tableau, il est légitime de se demander si les grands idéaux d'égalité économique et de justice sociale, source d'inspiration des 20 der- nières années, ne constituent pas davantage à ce jour des fleurons d'un discours à saveur mythique, sorte de reliquat de l'histoire dont on a peine à se défaire; plutôt qu'ils ne correspondent vraiment à des réalités présentes dans la pratique sociale dominante.

En fait, il devient chaque jour plus évident que ces mots-clés sont devenus des concepts creux, vides de sens et de direction, et qu'ils assurent aujourd'hui, plus que jamais auparavant, la fonction néces- saire de camouflage par rapport à l'efficacité d'un procès social radical, duquel résulte la reproduction élargie de la pauvreté, de la misère, de la faim et du sous-développement. Ce sont tous des formes de l'oppression sociale fondamentale organisée à l'échelle locale, nationale et internationale que la crise actuelle a pour effet d'amplifier. Au bénéfice de qui? Voilà la principale question.

Nous pensons qu'à travers et au moyen de la crise actuelle, un nouveau projet de société et d'humanité se profile à l'horizon et se met en place progressivement, au Canada et au Québec en par- ticulier. La remise en cause de l' État-Providence et de l'ensemble des politiques sociales, au coeur de laquelle se situe la réforme radicale de l'aide sociale, constitue un des premiers impératifs de ce projet, une sorte d'exigence stratégique vitale, essentielle. Cela définit une

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forme de gestion de la crise orientée dans un sens où l'issue favorable se trouve nécessairement du côté des plus forts, des plus favorisés.

Si la terre était un village de cent personnes, 70 d'entre elles seraient analphabètes, une seule recevrait une éducation pré- universitaire, plus de 50 souffriraient de malnutrition et plus de 80 vivraient dans des taudis [...]22.

Au coeur de la vie actuelle de ce «village global», la question centrale concerne moins l'avènement d'un éventuel cataclysme que représente la menace nucléaire, toujours dans l'ordre du possible par ailleurs, que la situation d'oppression sociale totale qui constitue le lot de la très grande majorité des habitants de la terre à l'heure présente. Pour eux, cela signifie un quotidien de survie, sans projet, et un avenir sans issue; dans des conditions sociales et matérielles où ils sont dépossédés du droit à la vie, une vie qui leur est somme toute radicalement spoliée.

Si l'injustice a un nom : pauvreté et sous-développement, la justice officielle a aussi un nom : richesse et pouvoir. Nous pouvons égale- ment soupçonner que sur la base de cette praxis sociale dominante, un nouveau projet de société se profile déjà à l'horizon des années 90, dessiné par le bloc au pouvoir. Il s'agit du « néo-libéralisme » à l'échelle mondiale. Sa forme concrète se caractérise par la reproduc- tion élargie de l'oppression sociale et l'accélération du processus de concentration du capital, de la richesse matérielle et du pouvoir social; la contrepartie ayant pour visage la progression de la pauvreté dans les pays du Nord et celle du sous-développement dans les pays du Sud. C'est à ce grand projet que les assistés sociaux sont égale- ment conviés, pour consolider les bases d'une pyramide sociale dont ils ne verront évidemment jamais le sommet. Et cette base, elle est de

plus en plus féminine... et jeune... « L'oppression est le produit d'un ordre injuste socialement orga-

nisé », écrit Paulo Freire dans Pédagogie des opprimés23. Si l'histoire a un sens... là, ne peut être la direction. Et, si l'espérance se nomme projet de liberté, il se peut que seuls les plus démunis puissent indiquer la voie qui y conduit. Eux qui doivent apprendre par leur

propre vécu de misère humaine et de misère sociale le prix de la souffrance que représente cette dépossession fondamentale, pre- mière; comme si la liberté était aussi la vie... !

Sur ce principe, il ne peut être question de compromis. C'est finalement à la lutte pour ce contre-projet de société et d'humanité

que les intervenants du champ du « social » peuvent à leur mesure et modestement contribuer.

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RÉFÉRENCES

1 Rapport Boucher, recommandation 7, p. 1 18. 2 Nous avons déjà eu l'occasion de livrer l'essentiel de notre réflexion personnelle

sur la crise économique actuelle, sous la forme d'une analyse macro- sociologique à perspective critique. Voir : La crise économique actuelle : un essai d'explication, Cahiers « Positions critiques » (Québec: Les Éditions Autogestion- naires, 1982 ).

3 Dépenses sociales 1960-1990. Problèmes de croissance et de maîtrise , OCDE, Paris. Informations tirées de Arguments contre les préjugés financiers, Centrale de l'enseignement du Québec (CEQ), septembre 1986, rubrique 8.

4 Commission royale sur l'union économique et les perspectives de développe- ment du Canada , vol. 2, 1986, p. 612.

5 D. Fortin, Données de base sur l'aide sociale au Québec , 1980-1986 (Québec: École de service social, Université Laval, 1987 ).

6 Conseil canadien du bien-être social, Profil de la pauvreté 1985, Ottawa, octobre 1985, p. 42; voir également: Conseil canadien du bien-être social, Progrès de la lutte contre la pauvreté, octobre 1986, pp. 3 à 9.

7 Ministère des Finances du Québec, Livre blanc sur la fiscalité des particuliers (Québec: Gouvernement du Québec, 1984), en particulier, pp. 193-369; voir également le Document de présentation du Livre blanc, 1984, en particulier pp. 25-43.

8 A. Delwaide, L. Gaudreau et D. Nkunzimana, La réforme de l'aide sociale à l'automne 1986 : équité sociale ou stratégie de main-d'oeuvre, travail de recher- che soumis à Élaine Carey-Bélanger, professeure à l'École de service social de l'Université Laval, été 1986, pp. 13-29, 37 et annexes II, IV, V; en particulier, pp. 19-20. De cette excellente étude, nous avons tiré quelques extraits aux fins de notre propre exposé.

9 «Étude des crédits du ministère de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu », Commission permanente des affaires sociales, Assemblée nationale, 33e législature, dans Journal des débats, 22 avril 1986, n° 4, p. 55.

10 Ibid. 11 Ibid. 12 Ibid. 13 Philippe Dubuisson, «Selon une enquête de Statistique Canada, 80% de la

croissance de l'emploi est attribuable au travail à temps partiel involontaire», dans Finance, 26 janvier 1987, p. 21.

14 Libre blanc sur la fiscalité des particuliers . Document de présentation (Québec: Gouvernement du Québec, 1984), p. 25.

15 Pour la série des modifications apportées à la Loi de l'aide sociale depuis 1973, voir Delwaide, Gaudreau et Nkunzimana, La réforme de l'aide sociale à l'automne 1986: équité sociale ou stratégie de main-d'oeuvre, pp. 14-17.

16 D. Fortin, Aide sociale et pauvreté (Québec: Ecole de service social, Université Laval, 1987 ).

17 Marcel Pépin, Le péril est dans la demeure: les rapports Gobeil, Fortier et Scowen, document présenté au 3e Congrès du Mouvement socialiste, novem- bre 1986, Québec, voir en particulier pp. 3 à 7. Également: Faut pas se laisser faire!, Centrale de l'enseignement du Québec, Québec, octobre 1986. Ce document, élaboré par un collectif de dix chercheurs, procède à une analyse critique de chacun des trois rapports produits par les comités de « sages béné- voles », soit les rapports Gobeil, Fortier et Scowen. Voir aussi : Rollande Parent, «Le Colloque de l'ENAP sur les rapports des "sages". Nous discutons mais Québec agit en douce, constatent les participants», dans Le Devoir, 25 mars 1987, p. 3. Sur le même sujet, lire également Vincent Cliche, « Rapport Gobeil. Le débat ne fait que commencer», dans Le Soleil, 28 mars 1987, p. B-5.

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18 Jean-Paul Gagné, «MacDonald aux Affaires: Faire du Québec le Japon nord- américain », dans Les Affaires, 24-30 janvier 1987, pp. 1 à 3. Voir également Le Devoir , 28 janvier 1987, p. 11, sur le même sujet

19 D. Fortin, Production sociale de la pauvreté et de la richesse. Au passage de l'État-Providence ... à l'État-Provigo (Québec: Les Éditions Autogestionnaires, 1987), pp. 24 à 28.

20 Ibid., pp. 29 à 63. 21 Ibid., p. 38. 22 Extrait du film : Les dépossédés. Le sous-développement , Série « Cinq milliards

d'hommes», les Films sur place inc. et Radio-Québec, 1979-1980, Carrefour international, Montréal.

23 Paulo Freire, Pédagogie des opprimés, suivi de conscientisation et révolution (Paris: Petite collection Maspero, n° 130, 1974), pp. 21 et 34-38.

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