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La résiliation judiciaire des baux ruraux Benoît Grimonprez Maître de conférences à l'Université de Poitiers Prégnance du mode judiciaire. Mettre fin à un bail est une décision d'autant plus grave qu'elle prive l'une des parties de son principal outil de production. On sait l'importance économique que revêt pour l'exploitant agricole le lien à la terre. C'est précisément pour sécuriser les baux ruraux qu'a été institué le statut du fermage, corps de règles très protectrices du locataire rural. Il n'empêche que le bailleur doit pouvoir, un jour, rentrer en possession de son bien et chasser de ses terres le fermier qui trahit ses promesses et compromet la pérennité du fonds. « Le mariage est la principale cause de divorce » (Oscar Wilde). Lorsqu'une relation n'a pas de fin programmée, elle ne peut que mal se terminer et de façon anticipée. Il y a alors besoin de lois pour civiliser la séparation, forcément douloureuse, des partenaires. C'est ce cadre juridique qu'instaure, pour les baux ruraux, le Code rural (section III, du chapitre Ier du titre Ier du livre IV). Qui mieux qu'un juge peut arbitrer les conflits de jouissance et trancher le lien qui unit le propriétaire foncier au fermier ? La sécurité juridique commande de privilégier la résiliation judiciaire du bail. Le statut du fermage se méfie des aménagements privés qui tendent à répudier le co-contractant : dans les baux ruraux, les clauses résolutoires sont réputées non-écrites 1 . Ainsi que le prévoit l'article 1184 du Code civil, la résolution judiciaire est le mode normal de rupture du contrat mal exécuté : lorsque, par le fait d'une partie, l'instrument n'est plus capable d'atteindre son objectif économique, il ne reste plus qu'à le détruire et à rendre aux partenaires leur liberté. Mais il existe d'autres motifs de résiliation que la sanction de l'inexécution 2 , partant des voies de résiliation du fermage autres que judiciaires. Un mode de résiliation parmi d'autres. Les parties peuvent tout simplement s'entendre pour mettre un terme anticipé à leur relation. Le mutus dissensus est licite dès lors qu'il intervient postérieurement à la naissance du droit et établit de façon claire et non équivoque la volonté d'interrompre le bail. La pratique est plus courante qu'on ne le croit ; les cessions directes des baux ruraux étant prohibées, c'est la seule stratégie – résilier puis reconclure un bail – pour transférer le droit d'exploiter à un nouveau titulaire. D'autres formes de résiliation extrajudiciaire sont aussi programmées par la loi : le Code rural ouvre des portes de sortie du bail en raison de changements touchant, soit le bien loué, soit la personne du preneur. Parce qu'ils affectent l'exploitation agricole, certains faits peuvent provoquer l'anéantissement du bail. A commencer par la perte fortuite de la chose louée : lorsque l'ensemble du fonds est détruit, la convention est, faute d'objet, résiliée de plein droit (C. rur. et pêche mar., art. L. 411-30) ; une destruction seulement partielle confère au preneur une faculté de résiliation, mais seulement dans l'hypothèse où l'équilibre économique de l'exploitation est gravement compromis et que le bien n'est pas reconstruit par le bailleur (C. rur. et pêche mar., art. L. 411-30, III) 3 . Le changement d'affectation du fonds est une autre cause de résiliation unilatérale offerte, selon les cas, au preneur ou au bailleur. Lorsque les parcelles sont situées dans une zone d'aménagement différée ou dans une zone de préemption d'un espace naturel sensible, le locataire peut, à tout moment, déclarer au titulaire du droit de préemption son intention de quitter les lieux (C. urb. art. L. 213-10, al. 3). Il en va de même quand les parcelles sont atteintes par une procédure d'aménagement foncier agricole et forestier ; leur occupant peut décider de la résiliation totale ou partielle du bail dès lors que l'étendue de sa jouissance est diminuée par l'effet de l'aménagement (C. rur. et pêche mar., art. L. 123-15). En revanche, c'est au bailleur qu'appartient le droit de rompre le bail lorsque la situation 1 Même si elles se contentent de reprendre la loi : Cass. 3e civ., 20 mai 1985 : JCP N 1986, II, 20610, obs. P. Ourliac et M. De Juglart. 2 Parlant de « résiliation-sanction » : D. Krajeski, Droit rural, Defrénois, 2009, n° 210. 3 Cass. 3 e civ., 24 mars 2004 : RD rur. 2005, p. 25, obs. B. Grimonprez.

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La résiliation judiciaire des baux ruraux

Benoît GrimonprezMaître de conférences à l'Université de Poitiers

Prégnance du mode judiciaire. Mettre fin à un bail est une décision d'autant plus grave qu'elle prive l'une des parties de son principal outil de production. On sait l'importance économique que revêt pour l'exploitant agricole le lien à la terre. C'est précisément pour sécuriser les baux ruraux qu'a été institué le statut du fermage, corps de règles très protectrices du locataire rural. Il n'empêche que le bailleur doit pouvoir, un jour, rentrer en possession de son bien et chasser de ses terres le fermier qui trahit ses promesses et compromet la pérennité du fonds.

« Le mariage est la principale cause de divorce » (Oscar Wilde). Lorsqu'une relation n'a pas de fin programmée, elle ne peut que mal se terminer et de façon anticipée. Il y a alors besoin de lois pour civiliser la séparation, forcément douloureuse, des partenaires. C'est ce cadre juridique qu'instaure, pour les baux ruraux, le Code rural (section III, du chapitre Ier du titre Ier du livre IV).

Qui mieux qu'un juge peut arbitrer les conflits de jouissance et trancher le lien qui unit le propriétaire foncier au fermier ? La sécurité juridique commande de privilégier la résiliation judiciaire du bail. Le statut du fermage se méfie des aménagements privés qui tendent à répudier le co-contractant : dans les baux ruraux, les clauses résolutoires sont réputées non-écrites1. Ainsi que le prévoit l'article 1184 du Code civil, la résolution judiciaire est le mode normal de rupture du contrat mal exécuté : lorsque, par le fait d'une partie, l'instrument n'est plus capable d'atteindre son objectif économique, il ne reste plus qu'à le détruire et à rendre aux partenaires leur liberté. Mais il existe d'autres motifs de résiliation que la sanction de l'inexécution2, partant des voies de résiliation du fermage autres que judiciaires.

Un mode de résiliation parmi d'autres. Les parties peuvent tout simplement s'entendre pour mettre un terme anticipé à leur relation. Le mutus dissensus est licite dès lors qu'il intervient postérieurement à la naissance du droit et établit de façon claire et non équivoque la volonté d'interrompre le bail. La pratique est plus courante qu'on ne le croit ; les cessions directes des baux ruraux étant prohibées, c'est la seule stratégie – résilier puis reconclure un bail – pour transférer le droit d'exploiter à un nouveau titulaire. D'autres formes de résiliation extrajudiciaire sont aussi programmées par la loi : le Code rural ouvre des portes de sortie du bail en raison de changements touchant, soit le bien loué, soit la personne du preneur.

Parce qu'ils affectent l'exploitation agricole, certains faits peuvent provoquer l'anéantissement du bail. A commencer par la perte fortuite de la chose louée : lorsque l'ensemble du fonds est détruit, la convention est, faute d'objet, résiliée de plein droit (C. rur. et pêche mar., art. L. 411-30) ; une destruction seulement partielle confère au preneur une faculté de résiliation, mais seulement dans l'hypothèse où l'équilibre économique de l'exploitation est gravement compromis et que le bien n'est pas reconstruit par le bailleur (C. rur. et pêche mar., art. L. 411-30, III)3. Le changement d'affectation du fonds est une autre cause de résiliation unilatérale offerte, selon les cas, au preneur ou au bailleur. Lorsque les parcelles sont situées dans une zone d'aménagement différée ou dans une zone de préemption d'un espace naturel sensible, le locataire peut, à tout moment, déclarer au titulaire du droit de préemption son intention de quitter les lieux (C. urb. art. L. 213-10, al. 3). Il en va de même quand les parcelles sont atteintes par une procédure d'aménagement foncier agricole et forestier ; leur occupant peut décider de la résiliation totale ou partielle du bail dès lors que l'étendue de sa jouissance est diminuée par l'effet de l'aménagement (C. rur. et pêche mar., art. L. 123-15). En revanche, c'est au bailleur qu'appartient le droit de rompre le bail lorsque la situation

1 Même si elles se contentent de reprendre la loi : Cass. 3e civ., 20 mai 1985 : JCP N 1986, II, 20610, obs. P. Ourliac et M. De Juglart.

2 Parlant de « résiliation-sanction » : D. Krajeski, Droit rural, Defrénois, 2009, n° 210.3 Cass. 3e civ., 24 mars 2004 : RD rur. 2005, p. 25, obs. B. Grimonprez.

urbanistique du bien évolue. La résiliation de la part du propriétaire peut intervenir à tout moment quand les terres se retrouvent classées en zone urbaine du plan local d'urbanisme ou dans un document en tenant lieu (C. rur. et pêche mar., art. L. 411-32, al. 1er)4. Il faut encore signaler les prérogatives exorbitantes dont jouissent les bailleurs personnes publiques quant à la cessation du bail rural : elles peuvent, quand bon leur semble, y mettre fin lorsque les biens loués sont nécessaires à la réalisation d'un projet déclaré d'utilité publique (C. rur. et pêche mar., art. L. 145-11, al. 3).

La résiliation unilatérale du bail peut, en second lieu, tenir à la situation personnelle du preneur. En principe, son décès ne met pas fin au bail, lequel est censé continuer sous l'égide de ses ayants-droits. Ces derniers ont toutefois la faculté de demander la résiliation dans les six mois à compter du trépas de leur auteur. Le même droit appartient au bailleur en l'absence d'héritiers privilégiés par la loi (C. rur. et pêche mar., art. L. 411-34). Le Code rural prévoit d'autres situations, moins dramatiques et relativement diverses, à l'occasion desquelles le preneur peut exceptionnellement rompre le bail : cela va de l'incapacité au travail, grave et permanente, au décès d'un membre de la famille indispensable à l'exploitation, en passant par l'acquisition d'une ferme que le locataire doit exploiter lui-même (C. rur. et pêche mar., art. L. 411-33)5. Enfin, le preneur qui atteint l'âge de la retraite retenu en matière d'assurance vieillesse peut résilier le bail à la fin de l'une des périodes annuelles suivant la date à laquelle il a eu l'âge requis (C. rur. et pêche mar. ,art. L. 411-33).

Dans l'ensemble de ces cas, la résiliation s'affranchit du recours au tribunal et peut être décidée unilatéralement. Il n'y a que si une partie conteste l'exercice du droit de rompre qu'un juge sera saisi pour confirmer ou infirmer la décision. Mais la résiliation n'en devient pas judiciaire pour autant. Le jugement qui l'entérine n'a qu'un effet déclaratif et non constitutif : la dissolution du lien contractuel remontera, quand même, au jour où le droit a été exercé. A l'inverse, la résiliation judiciaire ne prend en principe effet que du jour où elle est prononcée par le tribunal et non à celui où l'inexécution a été commise6. La frontière n'est toutefois plus aussi nette depuis que la Cour de cassation admet que la résiliation pour inexécution des obligations du preneur ne prend pas nécessairement effet à la date où le juge la décide7.

Originalité de la résiliation judiciaire du bail rural. Hormis les cas spéciaux de résiliation, la cessation du fermage emprunte la voie judiciaire. Depuis une ordonnance du 13 juillet 2006, toute la matière est rassemblée à l'article L. 411-31 du Code rural et de la pêche maritime, texte spécial qu'il convient d'articuler avec les principes généraux du droit des contrats et de la procédure civile. Le cadre légal de la résiliation se veut particulièrement strict : la fin du bail rural ne peut intervenir que dans des cas limitativement énumérés. Ainsi, il n'est pas permis au preneur de s'évader du lien contractuel en dehors des cas spécifiés par la loi8. Plus que la personne de l'exploitant, c'est le sort de l'exploitation qui anime le dispositif juridique9. La nature du bien donné à bail influence directement le régime de sa jouissance : le fonds rural est, à la fois, un instrument économique au service du preneur et un patrimoine (productif et naturel) à sauvegarder. Cela explique que la loi est en même temps clémente envers le locataire et intransigeante avec lui lorsqu’il porte atteinte au potentiel du fonds.

La poursuite de la résiliation du bail rural s'annonce une entreprise délicate, regorgeant de

4 Si ces conditions ne sont pas réunies, la résiliation pour cause d'urbanisation reste néanmoins possible avec l'accord du préfet du département (C. rur. et pêche mar., art. L. 411-32 al. 2). Si une indemnité est due, le preneur peut se maintenir en place tant qu'elle ne lui a pas été payée (C. rur. et pêche mar., art. L. 411-32, in fine).5 En revanche, les difficultés économiques de l'exploitant n'entrent pas dans les cas prévus pour la résiliation (CA Lyon 10 avr. 2008 : RD rur. 2009, n° 370, comm. 3, obs. S. Crevel). 6 Cass. 3e civ., 16 oct. 1970 : Bull. Civ. III, n° 524 ; Cass. 3e civ., 12 janv. 1977 : Bull. civ. III, n° 19 ; Cass. 3e civ., 26 mai 1983 : Bull. civ. III, n° 124, Defrénois 1983, p. 1581, obs. G. Vermelle, RTD civ. 1984, p. 118, obs. P. Rémy.7 Cass. 3e civ., 19 janv. 2005, n° 03-16091.8 Le locataire ne peut pas, par exemple, mettre unilatéralement fin au contrat sous prétexte de difficultés économiques ( CA Lyon, 10 avr. 2008 : JurisData n° 2008-370457, RD rur. 2009, comm. 3, note S. Crevel).9 C. Dupeyron, « La stabilité de l'exploitant dans le statut des baux ruraux », RD rur. 2007, chron. 30 (rééd.).

subtilités. L'huissier, en tant qu'auxiliaire de justice, peut être un précieux allié pour qui veut entamer une action judiciaire. L'officier public peut potentiellement intervenir à tous les stades de la procédure : pour dresser certains actes (état des lieux, constats, mises en demeure), pour conseiller les parties, voire pour les assister ou les représenter devant le tribunal paritaire de baux ruraux. Résilier est devenu un art que l'on peut envisager en deux temps. Avant d'agir, le temps des préparatifs : il faut recenser et constater les causes de la résiliation, lesquelles sont d'une extrême précision (I). Au moment d'agir, débute une véritable course à la résiliation où les obstacles à franchir ne manquent pas (II).

I. Les préparatifs à la résiliation

« Fautes ». Préalablement à la bataille judiciaire, le bailleur doit fourbir ses armes : arguments, preuves, mises en demeure... Seuls des motifs impérieux peuvent lui permettre de déloger l'exploitant. L'huissier est là pour les constater. Texte pivot de la résiliation, l'article L. 411-31 du Code rural énonce deux types de causes d'interruption du bail aux torts du preneur : les manquements au contrat et les manquements à la loi.

A. Manquements au contrat

Mauvaise exploitation du fonds loué. N'importe quel manquement contractuel ne permet pas au bailleur d'agir en résiliation. Seule une inexécution « qualifiée » peut causer la résiliation du bail. La loi vise la mauvaise exploitation du fonds et le défaut de paiement des fermages.

En premier, sont une cause de résiliation les agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds (C. rur. et pêche mar., art. L. 411-31). Les faits doivent mettre en péril l'exploitation, de façon effective ou très probable. A défaut, l'inexécution n'est pas une cause de résiliation et entraîne seulement la responsabilité contractuelle du fermier. On pourrait toutefois songer à s'appuyer directement sur les dispositions générales de l'article 1184 du Code civil pour résoudre le contrat. La Cour de cassation a pu l'admettre dans des circonstances (injures, menaces) où le maintien de la relation contractuelle était difficilement envisageable10. La solution paraît devoir rester exceptionnelle en présence de textes « ruraux » organisant spécialement la résiliation judiciaire du fermage. Celle-ci ne vient pas tant sanctionner l'inexécution que ses répercussions sur la valeur des immeubles – terres, bâtiments – et leur future exploitation11. De là vient aussi que la mésentente entre les parties, en l'absence de dégradation du fonds, n'est pas un motif de cessation du bail12.

Le bailleur qui se plaint d'un mauvais entretien du fonds doit en apporter la preuve. Le recours à un huissier permet en pratique de faire constater l'étendue des dégâts. Si tous les moyens probatoires sont admis, tous les « coups » ne sont pas permis ; il est par exemple défendu de pénétrer sur les lieux loués sans l'accord du locataire ou l'autorisation d'un juge13.

Les juges du fond apprécient souverainement si l'étendue des dégâts actuels ou prévisibles justifie d'interrompre la jouissance14. Le tribunal est libre de prononcer la résiliation ou de simplement condamner le débiteur à des dommages et intérêts. La décision de détruire le bail, vue sa radicalité, doit être soigneusement motivée par la liste des fautes commises par le locataire et le détail de leurs effets sur l'exploitation15. Si la loi évoque le cas du preneur qui « ne dispose pas de la main-d'œuvre nécessaire aux besoins de l'exploitation », la liste est longue en jurisprudence des

10 Cass. 3e civ., 29 avr. 1987 : Bull. Civ. III, n° 93.11 En ce sens : Cass. 3e civ., 17 juill. 1996 : Bull. Civ. III, n° 190. V. aussi la cassation d'un arrêt ne précisant pas, pour résilier le bail, que les manquements avaient été de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds (Cass. 3e civ., 13 juin 2012, n° 10-25.498).12 Cass. 3e civ., 28 janv. 1971 : Bull. Civ., III, n° 57.13 Cass. 3e civ., 19 févr. 2003, n° 01-16473 : Bull. Civ. III, n° 42 ; Cass. 3e civ., 10 mars 2010, n° 09-13082 : Bull. Civ. III, n° 62.14 Cass. soc., 12 mars 1959 : Bull. Civ. IV, n° 365.15 Cass. 3e civ., 19 avr. 2000 : n° 98-20900 : Bull. Civ. III, n° 84.

agissements de nature à emporter la résiliation judiciaire. En voici un florilège : le défaut d'entretien caractérisé du fonds conduisant à son épuisement (terres en friches ou laissées à l'abandon)16, les dégâts causés aux arbres ou leur abattage sans autorisation17, la dégradation importante des bâtiments d'habitation18, la pollution des sols ou des ressources en eau présentes sur le fonds. Dans un récent arrêt du 27 septembre 201119, la Cour de cassation a dit que la sanction pouvait être infligée au preneur qui ne plante pas ses vignes conformément aux prescriptions de l'AOC où sont situées les terres : plantation de cépages interdits par le décret d'appellation, non-respect des règles de densité et de distance des pieds paraissent, en soi, compromettre la bonne exploitation du vignoble20.

En revanche, parce qu'elles ne menacent pas la pérennité du fonds, les pratiques du preneur tendant au respect de l'environnement ne constituent pas un motif de résiliation (C. rur. et pêche mar., art. L. 411-27, al. 2). Autrefois, la baisse des rendements que les pratiques écologiques ou biologiques sont susceptibles d'entraîner pouvait coûter son titre à l'exploitant21. La solution découlait d'une vision « productiviste » de l'exploitation avec laquelle, heureusement, le droit rural est en train de rompre. Depuis la loi d'orientation agricole n° 2006-11 du 5 janvier 2006, l'article L. 411-27 alinéa 2 du Code rural écarte expressément toute action en résiliation fondée sur l'utilisation par le preneur de méthodes de production écologiquement positives. Dans ce prolongement, le législateur a créé un nouveau cas de résiliation lorsque c'est le bailleur, cette fois, qui a voulu « verdir » le bail de clauses environnementales. Leur non-respect peut être invoqué pour mettre fin à la relation (C. rur. et pêche mar., art. L. 411-31, I, 3°), sans que soit exigée la démonstration ni d'une mise en péril du fonds, ni d'un préjudice subi par le bailleur. La volonté de protéger les qualités écologiques du fonds loué justifie la rigueur de la sanction.

Détournement de fonds. L'utilisation par le preneur du bien loué pour un usage autre que celui prévu au bail est une cause traditionnelle de résiliation (C. rur. et pêche mar., art. L. 411-27 renvoyant à C. civ., art. 1766). Est visé le changement de destination du fonds (transformation des lieux, artificialisation des terres) ou, plus fréquemment, la création dans les lieux loués d'une entreprise commerciale (structure de vente, production d'énergie renouvelable...). Ce genre d'agissements n'était, par le passé, sanctionné que s'il était nuisible au fonds, conformément à la lettre de l'article L. 411-31 du Code rural22. Ce n'est plus l'avis de la Cour de cassation qui a récemment érigé le changement d'activité en cas autonome de résiliation23. Diligenté sur le fondement de l'article L. 411-27, l'officier ministériel peut se contenter d'établir que l'activité litigieuse est étrangère à l'agriculture et qu'elle est devenue prépondérante24. En pratique, l'issue du litige dépendra souvent du caractère irréversible des changements opérés25. La préservation de la fonction agricole des terres est aujourd'hui si sensible qu'elle justifie des sanctions énergiques contre celui qui y porte atteinte. Le détournement par le preneur de l'usage des terres fait en quelque sorte présumer l'atteinte au fonds comme patrimoine rural. Le plaignant doit être particulièrement attentif aux bases textuelles sur lequel il agit afin de motiver correctement sa demande de résiliation.

16 Cass. 3e civ., 27 nov. 2007, n° 06-20172 ; Cass. 3e civ., 17 mai 2011, n° 10-18639 : absence d'entretien d'un vignoble.17 Cass. 3e civ., 15 mai 1984, n° 83-11.577 : Bull. civ. III, n° 98 ; Cass. 3e civ., 19 oct. 1976 : Bull. civ. III, n° 355.

18 Cass. 3e civ., 19 févr. 1971 : Bull. civ. III, n° 127.

19 Cass. 3e civ., 27 sept. 2011, n° 08-20436.20 Analyse que nous ne partageons pas forcément dans la mesure où certaines variétés, présentes historiquement dans certaines régions, ont disparu des aires d'appellation parce qu'elles n'étaient pas assez rentables. Des choix culturaux différents de ceux préconisés par l'AOC ne sont pas – loin s'en faut – toujours nuisibles à l'exploitation viticole.21 Cass. 3e civ., 20 mai 1985 : JCP N 1986, II, p. 39.22 Cass. soc., 15 déc. 1960 : Bull. Civ. IV, n° 1188.23 Cass. 3e civ., 14 nov. 2007, n° 07-10776 : Bull. Civ. III, n° 208, JCP N 2008, n° 30, 1257, obs. F. Roussel.24 La résiliation du bail est encourue lorsque les preneurs ont abandonné leur activité horticole au profit d'une activité de paysagiste, laquelle n'est pas une activité agricole (CA Angers, 16 mars 2010 : Juris-Data n° 2010-011324).25 CA Toulouse, 9 avr. 2008 : RD rur. 2008, 202, obs. S. Crevel.

Défauts de paiement du fermage. Après les défauts de culture, les défauts de paiement des fermages justifient la destruction du bail. Le créancier peut poursuivre en justice à la fois le paiement des arriérés de loyers et la rupture du contrat26. La résiliation du bail sur ce fondement est strictement régie par la loi. Le Code rural contient une sorte de « clause résolutoire légale »27 qui joue quasi-automatiquement. Le juge n'a ici aucune marge d’appréciation. Selon l'article L. 411-31, I, 1° du Code rural, il faut qu'existe « deux défauts de paiement du fermage ou de la part de produits revenant au bailleur ayant persisté à l'expiration d'un délai de trois mois après mise en demeure »28. Les retards peuvent porter aussi bien sur deux termes différents que sur une seule et même échéance29. Les défauts peuvent intervenir à n'importe quel moment du bail30, la loi n'exigeant pas que les deux mises en demeure restent cumulativement et simultanément sans effet31. Il suffit que les loyers sur lesquels le bailleur s'appuie ne soient pas atteints par la prescription quinquennale32.

Lorsque la double défaillance concerne un seul terme, deux mises en demeure, espacées d'un délai de trois mois33, doivent être adressées, la sanction étant encourue à l'expiration du second délai. En revanche, s'agissant de deux incidents de paiement distincts, les mises en demeure peuvent être envoyées concomitamment, sans besoin d'attendre trois mois entre chacune34. Le principe est qu'il faut délivrer une mise en demeure pour chacune des échéances impayées35. Cependant, la jurisprudence admet que la réclamation simultanée de plusieurs échéances distinctes puisse avoir lieu au sein d'une mise en demeure unique dès lors qu'elle vise deux défauts de paiement du fermage36.

Au plan formel, l'interpellation doit être effectuée par lettre recommandée avec avis de réception ou a fortiori par exploit d'huissier (C. rur. et pêche mar., art. R. 411-10). Elle doit en outre, à peine de nullité, reproduire le texte de l'article L. 411-31, I, 1° du Code rural37. Le preneur reste mis en demeure quand bien même le bailleur ne l'a pas informé dans la lettre de son intention de résilier le bail38. La délivrance est jugée valable lorsqu'elle est envoyée à une adresse présentant les caractères du domicile apparent du preneur39.

Au preneur négligent ou infortuné, la jurisprudence offre des échappatoires à la résiliation. Le débiteur peut régulariser sa situation en prouvant qu'il s'est valablement acquitté40, dans les trois mois de la seconde mise en demeure, de la totalité de sa dette ; un paiement simplement partiel n'est toutefois pas libératoire41. Mais que dire d'un paiement effectué au-delà des trois mois « réglementaires », mais avant que l'instance ne soit introduite ? Le principe, tiré du droit commun, a longtemps été que l'exécution tardive de l'obligation n'effaçait pas l'inexécution ; le bailleur acceptant, même passé le délai de trois mois, de recevoir paiement des arriérés de loyers ne renonçait pas pour autant à son droit acquis de résilier42. Puis la Cour de cassation a changé de doctrine jugeant, à partir de 200243, que le motif de la résiliation doit être apprécié à la date de la

26 Cass. 3e civ., 31 oct. 2007 : Bull. Civ. III, n° 187.27 Code rural et de la pêche maritime, sous la dir. de H. Bosse-Platière, Litec, commentaire sous article L. 411-31.28 Le texte ne concerne pas les demandes en paiement relatives à d'autres sommes : Cass. 3e civ., 27 mars 1973 : Bull. civ. III, n° 223 ; Cass. 3e civ., 5 nov. 2003 : Bull. Civ. III, n° 190, Rev. Loyers 2004, p. 80, obs. B. Peignot.29 Cass. 3e civ., 16 oct. 1975 : Bull. Civ. III, n° 363.30 Cass. 3e civ., 10 nov. 1982 : JCP N 1983, II, p. 231, obs. J.-P. Moreau.31 Cass. 3e civ., 13 oct. 1982 : JCP N 1983, II, p. 231, obs. J.-P. Moreau.32 Cass. 3e civ., 10 déc. 2008 : Bull. Civ. III, n° 204.33 Cass. 3e civ., 16 oct. 1974 : Bull. civ. III, n° 363.34 Cass. 3e civ., 10 mai 1990 : Bull. Civ. III, n° 113.35 Cass. 3e civ., 16 oct. 1974 : Bull. Civ. III, n° 363.36 Cass. 3e civ., 3 mars 2009, n° 08-15385. Lorsque le bien est indivis, la mise en demeure – acte conservatoire – peut être valablement diligentée par chaque indivisaire (Cass. 3e civ., 6 nov. 1986 : Bull. Civ. III, n° 151) ou le notaire des coindivisaires (Cass. 3e civ., 31 oct. 2007 : JCP G 2008, I, 127, obs. H. Périnet-Marquet).37 Cass. 3e civ. 8 févr. 2006 : Bull. Civ. III, n° 29, RD rur. 2006, 55.38 Cass. 3e civ., 20 juin 1990 : JCP N 1991, II, p. 119, n° 11, obs. J.-P. Moreau.39 Cass. 3e civ., 8 févr. 2006 : préc.40 Pèse sur lui la charge de la preuve (C. civ., art. 1315) : Cass. 3e civ., 20 déc. 1989 : Bull. Civ. III, n° 245.41 Cass. 3e civ., 20 juill. 1994 : Bull. Civ. III, n° 154.42 Cass. 3e civ., 10 juill. 1972 : Bull. Civ. III, n° 448.43 Cass. 3e civ., 30 janv. 2002 : Bull. Civ. III, n° 23, RD rur. 2002, n° 301, p. 132, obs. B. Grimonprez.

saisine du tribunal, en sorte que tout paiement – même tardif – intervenu avant l'introduction de la demande fait échec à la résiliation. Malgré une rechute en faveur de la solution classique44, la jurisprudence semble désormais se cramponner à cette analyse45 : c'est au jour de la demande en justice que doivent être réunies les conditions de la résiliation ; si bien que les paiements effectués in extremis valent absolution des fautes du preneur.

B. Manquements à la loi

Résiliation de droit. Toujours selon l'article L. 411-31 du Code rural et de la pêche maritime, le bail peut être résilié en cas d'infraction à certaines dispositions légales d'ordre public. La sanction est encourue per se, du fait de l'existence même de la contravention, sans qu'il soit nécessaire de rechercher si le manquement est de nature à compromettre la bonne exploitation du fond46. La résiliation est de droit : les juges ne peuvent en apprécier l'opportunité. Mais elle n'intervient pas de plein droit : elle doit être demandée en justice par le bailleur.

Cessions prohibées du bail. Le bail est résiliable en cas de contravention aux règles d'incessibilité (C. rur. et pêche mar., art. L. 411-31 et L. 411-35)47. Il faut en effet se rappeler, qu'à la différence des baux commerciaux, les baux ruraux ne sont pas librement cessibles. La loi pointe, d'une part, les cessions et sous-locations prohibées pratiquées par le locataire. Elles entraînent, en plus de la nullité de l'acte interdit, la possible rupture du bail principal. Il en va de même de l'apport du bail à une société agricole sans l'agrément personnel du bailleur (C. rur. et pêche mar., art. L. 411-38) ; réalisée sans l'aval du propriétaire, l'opération est traitée comme une cession prohibée du bail. D'autre part, sont concernés la mise à disposition irrégulière du bail au profit d'une société, ainsi que le non-respect des règles relatives à l'échange et l'assolement en commun (C. rur. et pêche mar., art. L. 411-37, L. 411-39 et L. 411-39-1). Pour cette seconde catégorie d'infraction, l'ordonnance du 13 juillet 2006 a subordonné la résiliation à la preuve supplémentaire d'un préjudice subi par le bailleur (C. rur. et pêche mar. ,art. L. 411-31, II, 3°)48, là où auparavant elle était automatiquement encourue49. L'ajout de cette condition est la bienvenue : le preneur qui réalise ces opérations a l'obligation d'informer le bailleur afin qu'il puisse user de son droit d'opposition ; mais l'opération n'étant pas soumise à son agrément, le bailleur ne souffre pas forcément du défaut d'information. Il convient d'éviter que le propriétaire n'invoque des irrégularités minimes pour se séparer de son locataire. Par ailleurs, des conditions spéciales de résiliation sont posées s'agissant de l'adhésion du preneur à une société. Depuis la loi du 9 juillet 1999, l'article L. 411-37 du Code rural dispose que le bail ne peut être résilié que si le preneur n'a pas communiqué les informations légales dans le délai d'un an après mise en demeure par le bailleur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. De plus, la résiliation suppose que les omissions ou irrégularités constatées aient été de nature à induire le bailleur en erreur (C. rur. et pêche mar., art. L. 411-37, al. 3). Malgré l'assouplissement de certaines dispositions, l'inobservation du formalisme légal reste une importante source de résiliation du bail, sanction en l'occurrence d'autant plus redoutable que le fermier ne peut y échapper sous aucun prétexte. La clémence dont fait preuve la jurisprudence envers les manquements contractuels n'existe pas pour les manquements légaux. Une différence de traitement de plus en plus difficile à justifier : cessions et sous-locations sont en pratique souvent très litigieuses ; le preneur négligent

44 Cass. 3e civ., 31 oct. 2007 : RD rur. 2008, comm. 23, obs. S. Crevel.45 Cass. 3e civ., 26 mai 2009 : RD rur. 2009, n° 375, comm. 123, obs. S. Crevel ; Cass. 3e civ., 15 juin 2010, n° 09-15468.46 Cass. ch. Réunies, 7 mars 1960 : D. 1960, p. 349, obs. R. Savatier, RTD civ. 1960, p. 494, obs. J. Carbonnier ; Cass. 3e civ., 19 janv. 2010, n° 09-65160.47 Sans qu'ici la cessation de l'infraction avant l'instance puisse sauver le preneur de l'expulsion (Cass. 3e civ., 19 juill. 1995 : Bull. Civ. III, n° 198).48 Cass. 3e civ., 20 mars 2007 : RD rur. 2007, 274, obs. F. Roussel.49 Cass. 3e civ., 27 janv. 1999, n° 97-13323 : Bull. Civ. III, n° 23. Les dispositions de l'ordonnance du 13 juillet 2006 ne s'appliquent toutefois pas à la demande en justice antérieure à son entrée en vigueur (Cass. 3e civ., 3 mai 2011, n° 10-30114 : Bull. Civ. III, n° 443).

qui ne respecte pas à la lettre le formalisme légal ne porte pas forcément atteinte aux qualités du fonds, ni ne remet en cause l'économie du contrat. L'irrégularité sert le plus souvent de prétexte au bailleur pour rompre un bail devenu gênant. C'est pourquoi une réforme des textes serait opportune qui ne fasse plus de la résiliation une sanction automatique ; il faudrait, un peu comme en procédure civile (CPC, art. 114), conditionner la sanction à la preuve que le vice – en particulier de forme – commis par le preneur a réellement causé un grief au bailleur. Une fois franchie l'étape des motifs de rupture du bail, il reste au bailleur à parcourir le chemin – l'instance – menant au prononcé de la résiliation.

II. La course à la résiliation

La demande en justice constitue le point de départ de l'instance : certaines précautions s'imposent dans sa rédaction pour éviter les « faux départs » (A). Rien à ce stade du procès n'est pour autant gagné pour le bailleur qui veut rentrer en jouissance de son bien : parsemée d'embûches, la course à la résiliation est une véritable course d'obstacles (B).

A. Point de départ de la course

Qualité pour demander. Un élément crucial du procès est la demande en justice qui saisira le tribunal. Le plus grand soin doit lui être apporté. Il appartient au bailleur de l'administrer par lettre simple ou par acte d'huissier adressé au greffe du tribunal. Le juge n'a pas le pouvoir de relever d'office le moyen de la résolution du contrat : si dans le cadre d'un procès, le bailleur ne la sollicite pas, le tribunal n'a pas à la prononcer50. La demande peut être introduite pendant toute la durée de vie du bail51 sans formalisme ni délai particulier : notamment, elle n'a pas à être précédée d'un congé52. Pour le plaignant, il est plus qu'utile de faire appel à un huissier : seul le concours d'un auxiliaire de justice permet d'éviter tous les pièges qui minent le contentieux : certaines subtilités existent concernant la qualité de l'auteur de la demande et concernant les effets de la demande.

La situation du bien loué peut considérablement compliquer la tâche du praticien et brouiller l'identité de la personne ayant qualité pour déclencher l'action. Lorsque le bien loué fait l'objet d'un usufruit, l'usufruitier peut-il seul poursuivre la résiliation ou doit-il recevoir le concours du nu-propriétaire ? On sait que, selon l'article 595 du Code civil, le nu-propriétaire doit consentir, à peine de nullité, à la conclusion du bail rural. Mais la jurisprudence n'instaure aucun parallélisme avec la procédure de résiliation : l'usufruitier a qualité pour solliciter la destruction du contrat53.

La même problématique existe lorsque le bien affermé est en indivision. Longtemps la jurisprudence a exigé pour mettre fin au bail le concours de l'ensemble des indivisaires, ou à défaut l'autorisation d'un juge54. C'était avant la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 qui a modifié le régime d'administration de l'indivision légale. Depuis, l'unanimité est cantonnée aux actes qui ne ressortissent pas à l'exploitation normale des biens indivis et aux actes de disposition (desquels font partie la conclusion et le renouvellement des baux ruraux) (C. civ., art. 815-3). Tandis que pour les actes d'administration, qui ne compromettent pas la masse indivise, la décision peut être prise par les indivisaires représentant les deux tiers des droits indivis (C. civ., art. 815-3). Tenant compte de cette nouvelle architecture, la troisième chambre civile, dans un arrêt du 29 juin 201155, a jugé que l'action en résiliation judiciaire était un acte relevant de l'exploitation normale des biens indivis et

50 S. Le Gac-Pech, « Rompre son contrat », RTD civ. 2005, p. 223, n° 6.51 Cass. 3e civ., 12 janv. 1977 : Bull. Civ. III, n° 19.52 Cass. soc., 5 mai 1959 : Bull. Civ. IV, n° 541.53 Cass. 3e civ., 4 mai 1976 : Bull. Civ. III, n° 186, RTD civ. 1976, p. 801, obs. C. Giverdon ; Cass. 3e civ., 15 mars 2000 : Bull. Civ. III, n° 57, JCP N 2001, 1043, M. Billiau.54 Cass. 3e civ., 10 mai 1989 : Bull. Civ. III, n° 106 ; Cass. 3e civ., 30 oct. 1991 : JCP N 1992, p. 112, obs. J.-P. Moreau ; Cass. 3e civ., 11 févr. 2004 : Bull. Civ. III, n° 25 ; même solution après le partage : Cass. 3e civ., 5 avr. 2006 : Bull. Civ. III, n° 95.55 Cass. 3e civ., 29 juin 2011, n° 09-70894.

pouvait par conséquent être intentée à la majorité des deux tiers des droits indivis56. La règle majoritaire s'applique quand bien même le preneur est lui-même membre de l'indivision57. A défaut d'avoir accompli régulièrement les démarches judiciaires, il est possible pour les co-indivisaires de régulariser la demande en intervenant à l'instance, même en cause d'appel58.

Un indivisaire peut néanmoins entamer seul une procédure de résiliation judiciaire dans deux hypothèses : d'une part, lorsqu'il est investi par les autres d'un mandat exprès59 (un ordre spécial semble nécessaire) ; d'autre part, lorsque le juge l'y autorise au motif que le refus des co-indivisaires met en péril l'intérêt commun (C. civ., art. 815-5)60.

Effets de la demande. La date de saisine du tribunal revêt une certaine importance dans la mesure où c'est à ce moment que se place le juge pour apprécier le bien-fondé de la résiliation61. Il ressort de ce principe des conséquences éminemment pratiques. D'abord que les manquements reprochés au preneur doivent être déjà caractérisés au jour de la demande et non seulement au jour où le juge rend sa décision62. Ensuite que les actes tardifs visant à remédier à l'infraction, s'ils sont postérieurs à l'introduction de l'instance, ne sont d'aucun effet sur la résiliation63. Par exemple, il n'est pas tenu compte lors du délibéré d'un paiement du fermier intervenu au cours de l'instance64. A contrario, les régularisations intervenues avant l'assignation sont efficaces et éloignent le spectre de la résiliation. La jurisprudence transpose, contra legem, ce raisonnement au paiement des fermages65 : la défaillance contractuelle, bien que dûment constatée, peut être régularisée par le débiteur tant que la demande n'est pas introduite. Cela dit, la solution est loin de valoir pour tous les manquements, notamment ceux à la loi : certaines infractions – telle la cession illicite du bail - sont définitives et ne peuvent être effacées66.

B. Course d'obstacles

Le procès en résiliation, une fois engagé, réserve bien des difficultés au bailleur. Le preneur dispose d’un certain nombre de moyens de défense pouvant conduire au rejet de la demande et à son maintien dans les lieux (1). Il est aussi fréquent que l'exploitant déclenche ou subisse l'ouverture d'une procédure de règlement de passif dont l'effet perturbe l'issue du contentieux de la résiliation (2).

1°) Panoplie des moyens de défenseExcuses légales : raisons « sérieuses et légitimes ». Selon l'article L. 411-31 du Code rural et de la pêche maritime, la résiliation ne peut aboutir lorsque le preneur fait état d'un cas de force majeure ou de raisons « sérieuses et légitimes ». La législation rurale s'écarte ici du droit commun et de la théorie des risques selon laquelle l'inexécution des obligations, même due la force majeure, permet d'obtenir la destruction du contrat. Il s'agit au contraire pour le preneur rural d'excuses privant le

56 Il n'en est sûrement pas de même pour l'action fondée sur un changement de destination du bien loué dans la mesure où elle suppose l'engagement du propriétaire de modifier, dans les trois ans, l'affectation du terrain (C. rur. et pêche mar., art. L. 411-32).57 Cass. 3e civ., 29 mars 1995 : Bull. Civ. III, n° 91.58 Cass. 3e civ., 30 juin 1999 : Bull. Civ. III, n° 158.59 Celui-ci ne saurait être tacite : Cass. 3e civ., 17 juill. 1991 : Bull. civ. III, no 213 ; Cass. 1re civ., 25 oct. 2005 : Bull. Civ. I, n° 387. Il semble qu'il doive aussi être spécial : Cass. 3e civ., 24 mars 1993 : Bull. Civ. III, n° 44.60 Il est aussi possible que le juge désigne un des indivisaires comme administrateur pour effectuer les mesures urgentes que requiert l'intérêt commun (C. civ., art. 815-6).61 Cass. 3e civ., 30 avr. 1969 : Bull. civ. III, n° 341 ; Cass. 3e civ., 21 févr. 1996 : Bull. Civ. III, n° 54 ; Cass. 3e civ., 15 juin 2010, n° 09-15468.62 Cass. 3e civ., 1er févr. 1972 : Bull. Civ., III, n° 71.63 Cass. 3e civ., 9 déc. 1975 : Bull. Civ. III, n° 366.64 Cass. soc., 11 juill. 1952 : JCP G 1953, II, 7465, note P. Ourliac et M. De Juglart.65 Cass. 3e civ., 26 mai 2009 : RD rur. 2009, n° 375, comm. 123, obs. S. Crevel.66 Cass. 3e civ., 19 juill. 1995 : Bull. Civ. III, n° 198. Sauf le régime de régularisation prévu spécialement par l'article L. 411-37 du Code rural en cas de mise à disposition du bien loué au profit d'une société agricole.

bailleur de son droit de résilier. Elles ne sont efficaces que pour les manquements contractuels (mauvaise exploitation du fonds ; défaut de paiement du fermage ; non-respect des clauses environnementales) et non pour les contraventions légales – impardonnables ! Ainsi, lors d'un contentieux pour cession prohibée du bail, la seule ligne de défense pour le successeur dans le fonds (prétendu cessionnaire) est de démontrer que le bail originaire avait été résilié et qu'un bail distinct lui a été directement consenti.

Tandis que la force majeure obéit au triptyque traditionnel de l'évènement imprévisible, insurmontable et irrésistible, les raisons sérieuses et légitimes ont des contours beaucoup plus flous. Elle sont souverainement appréciées par les juges du fond qui peuvent, en fonction des circonstances, sauver le bail67. Parmi les excuses admises, on retrouve, d'une part, des faits imputables au bailleur : comme le non-respect de sa part du contrat (exception d'inexécution)68, l'inexactitude des comptes dressés dans la mise en demeure69, ou la privation par le bailleur de la jouissance d'une partie du bien loué70. D'autre part, exonèrent le fermier les évènements fortuits l'empêchant de remplir correctement ses obligations, qu'ils touchent le bien lui-même (intempéries, inondations71, maladie du cheptel72) ou la personne de l'exploitant (maladie grave et prolongée73). Bien plus que le Code civil, le Code rural fait donc de la rupture du contrat la sanction ultime des manquements du débiteur exploitant. La liberté du juge dans la caractérisation de la mauvaise exploitation du fonds et la faculté – surtout quant au paiement des fermages – de prendre en compte des raisons sérieuses et légitimes sont autant de moyens, pour le juge, de rejeter la demande d'interruption du bail.

L'indulgence de la législation trouve ses limites dans les propres comportements du preneur. Celui-ci doit assumer, jusqu'à perdre son titre, les situations dont il est responsable : les négligences qu'il a pu commettre ne peuvent servir à excuser ses manquements74. Dans ce sens, les tribunaux refusent catégoriquement de considérer les difficultés financières de l'exploitant comme des raisons sérieuses et légitimes de nature à éviter la résiliation du bail75.

Excuse prétorienne : le caractère excessif du fermage. L'un des réflexes du preneur attrait en justice est de contre-attaquer sur le terrain du montant du fermage, autrement dit de justifier sa défaillance par le caractère excessif des loyers réclamés. La jurisprudence posait autrefois, pour admettre cette excuse, des conditions strictes et en particulier que le fermier ait déjà critiqué le prix dans les règles de l'art. On sait que lorsque le fermage dépasse d'au moins 1/10eme les maximas prévus par l'arrêté préfectoral, le preneur dispose d'une action en révision du prix qu'il peut intenter au cours de la troisième année de jouissance (C. rur. et pêche mar., art. L. 411-13). Dès lors, seul le fermier qui avait introduit une telle action pouvait arguer du montant du fermage dans l'instance en résiliation76 ; alors que celui qui n'avait pas préalablement agi sur le fondement du prix ne pouvait pas, soudain, invoquer son excessivité pour faire obstacle à la rupture du bail77.

67 Cass. 1re civ., 20 févr. 1991 : JCP 1991, II, p. 434, obs. P. Ourliac ; Cass. 3e civ., 27 févr. 1991 : Bull. Civ. III, n° 64.68 Travaux ou réparations promis mais non effectués : Cass. 3e civ., 28 mars 1995 : Rev. Loyers 1995, p. 398, obs. Le Petit ; Cass. 3e civ., 11 mai 1995 : D. 1996, somm. 124, obs. E.-N. Martine.69 Cass. soc., 7 nov. 1963 : JCP 1964, II, n° 13810.70 Cass. 3e civ., 8 déc. 1971 : Bull. Civ. III, n° 607, RD rur. 1972, p. 19.71 Cass. soc., 16 avr. 1959 : Bull. Civ. IV, n° 470.72 Cass. 3e civ., 16 oct. 1970 : Bull. civ. III, n° 525. Contra, si la période de la maladie a été trop courte : Cass. 3e civ., 25 juin 1991, n° 90-15596 : RD rur. 1991, p. 398.73 Cass. soc., 20 avr. 1967 : Bull. Civ. IV, n° 316. Contra, Cass. 3e civ., 13 juin 1972 : Bull. Civ. III, n° 383.74 Défaut d'assurance du cheptel : Cass. 3e civ., 18 mars 1980 : JCP G 1980, IV, p. 212. Manque de personnel : Cass. 3e civ., 27 avr. 1979 : JCP N 1980, prat. 7447, p. 97, obs. J.-P. Moreau.75 Cass. 3e civ., 12 mars 1970 : Bull. Civ. III, n° 190 ; Cass. 3e civ., 6 mars 1991 : RD rur. 1991, p. 312.76 Cass. 3e civ., 29 janv. 1971 : Bull. civ. III, n° 69 ; Cass. 3e civ., 19 nov. 1980 : Bull. civ. III, n° 181 ; Cass. 3e civ., 20 mai 1985 : JCP éd. N 1986, II, p. 43, obs. J.-P. Moreau ; Cass. 3e civ., 10 mai 1989, n° 87-18.487 : Bull. civ. III, n° 108, D. 1990, somm. 33, obs. E.-N. Martine. Sachant que l'action ne peut être intentée durant les deux premières années de jouissance et est dépourvue d'effet rétroactif (Cass. 3e civ., 5 mars 1986 : JCP N 1986, II, p. 213, n° 16, obs. J.-P. Moreau).77 Cass. 3e civ., 18 févr. 1981 : Bull. civ. III, n° 35 ; Cass. 3e civ., 4 janv. 1985 : Bull. Civ. III, n° 54, JCP N 1985, II, p.

La Cour de cassation a semblé, dans un arrêt78, relâcher son contrôle et reconnaître aux juges du fond le pouvoir d'apprécier souverainement les raisons du preneur de ne pas régler la totalité des fermages. La décision reste toutefois isolée et sa portée incertaine. La rigueur voudrait que le prix anormal du fermage ne puisse excuser le preneur que si celui-ci a respecté la procédure visant à le contester ; on risque sinon de voir systématiquement l'excessivité du fermage opposée à la demande de résiliation (pour non-paiement du fermage), et ce en dehors des mécanismes légaux de régulation du prix. En revanche, l'illicéité du loyer, fixé contrairement aux prescriptions de l'arrêté préfectoral, devrait toujours pouvoir être une raison sérieuse et légitime du non-paiement du fermage79.

Purge des inexécutions ? Certains évènements sont susceptibles de purger les fautes commises par le fermier et peuvent lui servir à déjouer l'action en résiliation. Il s'agit, en premier lieu, du renouvellement du bail rural80. En effet, le bail qui s'est renouvelé constitue un nouveau contrat, lequel ne peut théoriquement être anéanti pour des manquements relatifs à l'ancien. La solution n'est toutefois pas aussi simple, la Cour de cassation ne fermant pas totalement, dans ce cas, l'accès à la résiliation. Ainsi une jurisprudence ancienne et constante confère au bailleur le droit de mettre fin à la relation lorsque les faits motivant la demande perdurent après le renouvellement ou continuent de produire leurs effets81.

La vente du bien loué est, en second lieu, de nature à paralyser l'action du bailleur. Traditionnellement, défense est faite à l'acquéreur de se prévaloir de manquements survenus antérieurement au transfert de propriété pour demander la rupture du bail. Seule la partie victime de l'inexécution est en principe titulaire de l'action en résolution. D'où l'immunité dont peut bénéficier le locataire en cas de changement de propriétaire. La jurisprudence réduit toutefois à peau de chagrin cette possibilité. Il est admis que conserve le droit d'agir en résiliation l'acquéreur qui a été, au sein de l'acte de vente, expressément subrogé dans les droits et actions du vendeur82. De plus, on a tendance aujourd'hui à considérer que la transmission à l'acheteur de l'action en résiliation s'opère intuitu rei, sans besoin de clause particulière, en tant qu'accessoire du bien cédé83.

2°) Jeu dangereux des procédures collectives

Arrêt des poursuites. L'action en résiliation peut pâtir de l'ouverture d'une procédure collective en faveur du fermier. La rupture du bail rural, à l'instar de celle des autres contrats en cours, est particulièrement limitée. En vertu de l'article L. 622-21 du Code de commerce posant le principe de l'arrêt des poursuites individuelles, sont paralysées ou interrompues les actions en résolution pour défaut de paiement de sommes d'argent antérieures à l'ouverture de la procédure84. Il n'en va autrement que si l'action avait été introduite, et la décision devenue définitive, avant le jugement d'ouverture85. La question s'est posée de savoir si le bailleur perdait le droit d'agir en résolution lorsque le bien loué avait été mis à la disposition d'une société agricole atteinte par une procédure collective. La réponse est négative : la mise à disposition de l'article L. 411-37 du Code rural n'entraînant aucune modification des droits du propriétaire à l'égard du preneur, le redressement

231, n° 19, obs. J.-P. Moreau.78 Cass. 3e civ., 20 févr. 1991 : Bull. Civ. III, n° 64, Gaz. Pal. 1991, 2, p. 625, obs. J. Lachaud, JCP N 1992, p. 294, note P. Ourliac et M. De Juglart.79 En effet, l'action en régularisation du fermage « illicite » (ne respectant pas les prescriptions de l'arrêté) peut être engagée à tout moment sur le fondement de l'article L. 411-11 du Code rural et a un effet rétroactif.80 G. Martel, « Peut-on résilier pour fautes antérieures un bail rural renouvelé ? », JCP N 1961, I, 1606.81 Cass. soc., 11 févr. 1965 : Bull. Civ. IV, n° 127 ; Cass. 3e civ., 22 mai 1986 : Bull. civ. III, n° 75 ; Cass. 3e civ., 10 mars 2004, n° 02-16246, Defrénois 2004, 38042, obs. B. Gelot.82 Cass. 3e civ., 9 janv. 1979 : RD rur. 1979, p. 258, obs. P. Ourliac ; CA Rennes, 31 mars 1960 : JCP éd. N 1961, II, 12300. De même que l'acheteur des terres qui se contente de reprendre l'instance engagée par son prédécesseur pour des faits subsistants lors de la vente est recevable à agir en résiliation.83 Cass. 3e civ., 25 janv. 2006 : Bull. Civ. III, n° 21.84 Cass. com., 7 nov. 2006 : JCP E 2007, 1479, p. 13, obs. G. Serra ; CA Lyon, 21 mai 2008 : RD rur. 2009, comm. 38, note S. Crevel.85 Ce qui suppose que toutes les voies de recours aient été épuisées.

judiciaire de la personne morale ne fait pas obstacle à l'action en résiliation pour défaut de paiement des fermages86.

Le bailleur conserve le droit d'agir en résiliation judiciaire sur la base de défauts de paiement de loyers et de charges « afférents à une occupation postérieure » au jugement d'ouverture (C. com., art. L. 622-14 et L. 631-14, al. 1). Cela dit, la loi laisse au locataire un certain répit dans la mesure où l'action ne peut être intentée, après le jugement, qu'au terme d'un délai de trois mois ; elle devient aussi caduque si le paiement des sommes réclamées intervient avant l'expiration de ce délai (C. com., art. L. 622-14, 2°). On s'accorde également à dire que la demande doit observer les conditions énoncées par le Code rural, à savoir le constat d'une double défaillance persistant pendant trois mois après mise en demeure (C. rur. et pêche mar., art. L. 411-31)87.

L'action en résiliation fondée sur une cause autre que le non-paiement des fermages connaît un sort plus enviable88. Tendant à faire sanctionner l'inexécution d'une obligation de faire, elle ne tombe pas sous le coup de l'arrêt des poursuites individuelles89. Il est par exemple arrivé aux tribunaux de prononcer la rupture du bail pour non-respect par le preneur de son obligation d'assurance ou de l'engagement qu'il avait pris d'adhérer à un GIE. La jurisprudence accepte aussi de valider la résiliation fondée sur un défaut d'entretien du fonds antérieur au jugement d'ouverture90

; en effet, ce type d'action n'est pas remis en cause par la faculté dont dispose l'administrateur d'exiger la poursuite du contrat en cours. En revanche, les défauts d'exploitation intervenus pendant la période d'observation ne sauraient entraîner la résiliation du bail (C. rur. et pêche mar., art. L. 622-14, in fine).

Liquidation : tout ne disparaît pas. Le prononcé de la liquidation judiciaire de l'entreprise agricole n'a pas pour effet de stopper net l'activité, ni de résilier automatiquement les baux ruraux (C. com., art. L. 641-12). Le sort du contrat est entre les mains du liquidateur qui peut décider de son maintien, de sa cession ou de son interruption. Cette dernière prend dans ce cas effet au jour où le bailleur reçoit notification du liquidateur d'arrêter le cours du bail (C. com., art. L. 641-12). Nonobstant, le bailleur est également en droit de demander la résiliation ou de la faire constater pour des causes antérieures à la liquidation, à condition d'introduire sa demande dans les trois mois de la publication du jugement de liquidation (C. com., art. L. 641-12, al. 4)91 ; il peut également agir pour défaut de paiement des loyers et des charges ayant trait à une occupation postérieure à la liquidation, en laissant passer cette fois au moins trois mois depuis le jugement (C. com., art. L. 641-12 renvoyant à l'article L. 622-14) et en respectant de surcroît les dispositions de l'article L. 411-31 du Code rural (double mise en demeure)92.

Deux difficultés pratiques de résilier peuvent, au stade de la liquidation, être pointées. S'agissant en premier des actes que le preneur est amené à accomplir – comme mettre la parcelle louée à disposition d'une société - en violation de la règle du dessaisissement inhérente au jugement de liquidation (C. com., art. L. 641-9), le propriétaire est forcément tenté de s'en emparer pour obtenir la rupture du contrat. C'est une fausse piste : la Cour de cassation juge que de tels actes accomplis par le preneur dessaisi sont inopposables au bailleur et ne sauraient fonder une action en résiliation93.

Le second point concerne la délivrance des commandements de payer les fermages pendant

86 Cass. 3e civ., 8 oct. 1997 : Bull. civ. 1997, III, n° 183 ; RD rur. 1997, p. 514 ; même sens : Cass. 3e civ., 6 janv. 2010 : Bull. Civ. III, n° 3, RD rur. 2010, n° 381, comm. 30, obs. J.-J. Barbiéri.87 C. Dupeyron, Droit agraire, vol. 1, Economica, 1994, n° 941. CA Dijon, 6 juin 2003 : Juris-Data n° 2003-215521 ; CA Nancy, 4 mars 2005 : Juris-Data n° 2005-290228.88 J.-P. Moreau, Les dispositions de la loi n° 88-1202 du 30 décembre 1988 relative aux baux ruraux : JCP N 1989, I, p. 201, n° 42.89 J. Valensan, J.-Cl. Proc. coll. Fasc. 2336, n° 31.90 Cass. 3e civ., 21 juill. 1999 : JCP E 2000, n° 4, p. 126, obs. P. Petel.91 Le délai est de forclusion.92 Il semble qu'en raison du caractère strictement personnel du bail rural, le preneur ait encore, malgré la liquidation judiciaire, qualité pour défendre à l'action en résiliation intentée par le bailleur (CA Douai, 21 oct. 1999 : Juris-Data n° 1999-1333368 ; contra CA Riom, 28 nov. 2000 : Juris-Data n° 2000-147754).93 Cass. com. 9 janv. 2001 : RD rur. 2001, p. 128, obs. B. Grimonprez, JCP N 2001, p. 1078, note J.-A. Gravillou.

la phase de liquidation judiciaire. Dans la mesure où le jugement de liquidation dessaisit le débiteur de l'administration de ses biens, ce n'est plus à lui que le bailleur doit adresser les mises en demeure, mais au liquidateur, à défaut de quoi l'interpellation n'est pas valable et ne peut ouvrir une action en résiliation94.

Au final, la résiliation judiciaire du bail rural apparaît comme un contentieux original, à bien des égards singulier par rapport à la procédure de droit commun. Les intérêts en jeu - occupation du foncier, production agricole, préservation de la nature - sont tels que la cessation du fermage n'est admise que dans des conditions particulières ; ce à quoi s'ajoutent de nombreuses précautions formelles à prendre pour parvenir, à l'issue du procès, à faire détruire le lien contractuel. Chemin vers la résiliation faisant, l'auxiliaire de justice peut assurément être un guide permettant d'éviter de se perdre dans la jungle des textes.

94 Cass. com., 1er oct. 2002, n° 99-14775.