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La responsabilité sociale de l'entreprise (RSE) comme discours ambigu

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Page 1: La responsabilité sociale de l'entreprise (RSE) comme discours ambigu

LA RESPONSABILITÉ SOCIALE DE L'ENTREPRISE (RSE) COMMEDISCOURS AMBIGU Yvon Pesqueux De Boeck Supérieur | Innovations 2011/1 - n°34pages 37 à 55

ISSN 1267-4982

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-innovations-2011-1-page-37.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Pesqueux Yvon, « La responsabilité sociale de l'entreprise (RSE) comme discours ambigu »,

Innovations, 2011/1 n°34, p. 37-55. DOI : 10.3917/inno.034.0037

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Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.

© De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays.

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LA RESPONSABILITÉ SOCIALEDE L’ENTREPRISE (RSE)

COMME DISCOURS AMBIGUYvon PESQUEUX

[email protected]

LE CONTEXTE : L’« ÉVIDENCE ÉTHIQUE » DE LA FIN DU 20E SIÈCLE

L’argument philosophique

« L’évidence éthique », c’est la mise en exergue de la question du sens à lasuite du triomphe des « philosophes du soupçon » (K. Marx, F. Nietzsche etS. Freud) qui nous expliquèrent que tout était devenu possible en matièred’éthique et de morale et donc que tout pouvait être fondé à exister avec :

– la critique radicale que K. Marx adresse à l’entreprise comme lieu deconfrontation des prolétaires et des bourgeois, ces derniers étant, pourdes raisons politiques, dépourvus de toute moralité,– F. Nietzsche qui fait de la morale un objet de l’impensable,– et S. Freud qui propose une conception psychologique de l’éthiqueet de la morale.

« L’évidence éthique de la fin du 20e siècle » met en évidence que la quêtedu sens revient au premier plan des préoccupations des citoyens et des pen-seurs après les « errements » éthiques issus des apports des philosophes dusoupçon qui invitaient à la critique radicale ou à la négation du sens moral deschoses. L’éthique apparaît alors comme nécessaire et problématique. L’éthiqueapparaît donc comme évidente car elle fixe les éléments nécessaires à la quêtedu sens et problématique aussi car elle échappe, en même temps, à l’obliga-tion de définir des prescriptions. Elle serait ainsi propre à fixer le cadre duchamp des représentations dans le domaine des éthiques appliquées, en parti-culier en éthique des affaires car ce serait la réflexion éthique qui permettraitd’entrer dans le questionnement du sens de l’action de et dans l’entreprise.

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L’argument historique

L’éthique des affaires puis la RSE émergent avec la « crise des lois » dans lecontexte de la mondialisation et de la déréglementation qui l’accompagne. Ilne s’agit donc pas d’une réponse à une demande sociale. C’est une « pseudo-normalisation » (qui peut, à la limite, être vue comme propagande, alibi, jus-tification idéologique, transgression discursive) de l’ordre du micro-politique(l’entreprise) et non dépourvue d’arrière-pensée publicitaire. C’est une auto-normalisation, une auto-édiction, c’est-à-dire un transfert de légitimité etune justification de la disparition des organes de législation au profit d’uneliberté d’expression des demandes des directions d’entreprises.

L’argument économique

Il s’agit aussi d’inclure des normes éthiques dans la logique du marché qui,rappelons-le, en est dépourvu. Ce n’est donc pas une production « gratuite »mais une conséquence de l’affaiblissement de la loi qui met les agents orga-nisationnels face-à-face : les dirigeants d’entreprises avec leurs salariés, lessalariés de l’entreprise avec les clients et les fournisseurs, les dirigeants del’entreprise avec les actionnaires, les salariés et les actionnaires de l’entre-prise avec les communautés qui les entourent, etc.

L’éthique des affaires et la RSE apparaissent ainsi comme une instance derégulation entre les demandes sociales qui s’expriment et comme une réponseà une demande de valeur qui ne peut s’exprimer sur le marché. Mais c’estaussi la référence constitutive du lobby et l’exclusion de ceux qui ne peuvents’exprimer. C’est donc l’expression d’un rapport de forces. C’est enfin une re-normalisation par rapport à un univers de normes « éclatées » suivant leurdomaine (qualité, environnement, etc.).

Mais l’examen des faits peut conduire au constat qu’il s’agit plus d’une« éthicité » en tant que système que d’une éthique. Et ceci va de pair avec ledéplacement de la place du juge dans la société du fait du passage de la réfé-rence de la hard law (celle de l’Etat) à la soft law (celle des normes). L’affai-blissement de la loi laisse en effet place à des références floues (comme lanotion de crime contre l’humanité, etc.). On se trouve alors face à l’émer-gence de la responsabilité du décideur : on est responsable non par rapport àdes faits, mais parce que l’on « est » décideur. La loi tend ainsi à devenir unmode de régulation pour des cas particuliers au lieu de guider les modalitésde la construction et de la réalisation du Bien Commun. Le juge devientrégulateur des équilibres sociaux, enjeu du lobbying, instance devant se posi-tionner par rapport à d’autres organes de régulation (CSA, etc.), ces organesde régulation constituant un lieu de déconcentration de la production par

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délégation à des sous-organes particuliers et soi-disant « indépendants ».Rappelons que les intérêts des entreprises concernées s’y trouvent soit direc-tement (le plus souvent) soit indirectement représentés. Le jeu du juge et deces organes conduit à légiférer dans l’éthique, à édicter des normes sans loide cadrage.

L’éthique se décline alors dans un univers d’éthiques « appliquées » 1, con-cept posant la question des liens avec les éléments de philosophie moraleapparus aux États-Unis dans la décennie 1960 avec l’explosion des champsd’interrogation éthique : la bioéthique (conséquence des pratiques techno-scientifiques en médecine), l’éthique environnementale (autour de la ques-tion des rapports entre l’homme, les animaux et la nature), l’éthique des affai-res et l’éthique professionnelle (liée aux modes d’organisation propres auxsociétés industrielles et à la représentation des risques liés à l’exercice de telleou telle profession). Une éthique appliquée propose les contours normatifsd’un comportement acceptable en construisant une instance de jugement,positive à l’égard de certains comportements et négative pour d’autres. Ellecontribue ainsi à fonder une sorte d’idéologie des mécanismes de création devaleurs.

Ces éthiques appliquées sont devenues le support d’enseignements dansles cursus universitaires. Ce développement des éthiques appliquées s’est ins-crit dans un épuisement du travail philosophique sur les perspectives méta-éthiques (en particulier aux États-Unis avec l’analyse logique et linguistiquedes énoncés moraux) et par la focalisation sur les éthiques substantielles liéesaux bouleversements des modes de vie. Dans cette perspective, l’attentionporte sur le contexte, l’analyse des fondements et des conséquences de la prisede décision. Elles visent à apporter des réponses à des problèmes pratiques etconcrets souvent liés à des pratiques professionnelles et sociales codifiées auregard d’un référentiel de type normatif. Les éthiques appliquées relèventdonc des disciplines d’action en contexte comme fondement de la réponse àla question de savoir ce qu’il est bon de faire dans un contexte aux modalitéspluralistes de concrétisation. Elles offrent le lieu d’un dialogue pluridiscipli-naire permettant d’échapper à l’univocité de la perspective du champ quandon se réfère à des principes (perspective axiologique) en validant l’existencede différentes facettes au problème. La perspective y est souvent de type con-séquentialiste. Elles offrent également la possibilité d’un renouveau de laréflexion éthique elle-même en offrant des possibilités de réinterprétation àpartir « d’objets » nouveaux.

1. M.-H. Parizeau, 1996, Éthique appliquée, Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, Paris,PUF, 534-540.

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Avec les éthiques appliquées, il est possible de noter, à l’origine de leurdéveloppement, l’importance accordée à l’expert pour une situation qui vientaujourd’hui confronter la production d’une norme (processus) comme based’évaluation d’une situation. Il s’agit alors d’inventer des dispositifs procédu-raux qui permettent à des partenaires de se référer à un référentiel commun.

LE « MOMENT LIBERAL » 2 OU LE PASSAGED’UNE REPRESENTATION DE LA VIE EN SOCIETE FONDEE SUR LE « VIVRE AVEC »ET SES IMPLICATIONS SUR LES FONDEMENTSETHIQUES

Le « moment libéral » pose le problème du passage du « vivre dans » le cadred’un État souverain (perspective classique à la philosophie des Lumières quicherche à articuler démocratie et liberté au travers de la référence à la loiuniverselle et à la souveraineté du peuple) au « vivre avec » les autres (pers-pective du « moment libéral » qui reprend les idées libérales de soustrairel’individu à toute soumission, d’articuler l’universalité de la loi avec le« particulier » des intérêts et de conférer un tiers pouvoir au Juge ce qui créeune tension entre les droits et la loi). L’opinion issue du « social » y trouvealors sa place à côté de principes « naturels » (car ils ne se discutent pas) etde la loi issue du pouvoir politique. C’est la référence à l’opinion qui faitentrer en scène à la fois la société civile et le jugement social, éléments quel’on retrouve au cœur de la notion de gouvernance. La RSE repose en effetsur la référence à l’expression d’un jugement social qui embrasse à la fois laforme de l’exercice du gouvernement et le fond, c’est-à-dire le résultat desactes de gouvernement. De plus, la RSE privilégie le jugement sur la forme(objet des preuves empiriques « périmétrées ») par rapport au jugement surle fond car le résultat ses actes se matérialisent plus difficilement.

Tentons de comparer les éléments du « vivre dans » et du « vivre avec » :

« Vivre dans » « Vivre avec »Philosophie des Lumières Philosophie libéraleJ.J. Rousseau & E. Kant Hobbes, LockeLa démocratie représentative La démocratie participativeet la liberté et l’expression des intérêts

des communautésLa loi, sa genèse, sa validation, La norme et l’expression

2. Y. Pesqueux, 2007, Gouvernance et privatisation, Paris, PUF.

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son application des intérêtsLa loi est universelle, territoriale, Auto-édiction, auto-et sanctionnée régulation (exemple : quel

montant de taxes verser àL’État ?)

La justice comme institution La justice commeproduction (jurisprudence)

Le sage (figure du Sénat romain) L’expertLe jugePolitique, Morale Ethique, PolitiqueCitoyenneté, pluralisme Communauté, diversité

Le « moment libéral » est en effet corrélatif d’une modification de laquestion du politique. Au thème du « vivre dans » posé par la philosophiedes Lumières dans la lignée de la pensée Grecque, en particulier avec Aris-tote, se substitue le thème du « vivre avec » (les autres) qui se trouve aucœur de la pensée libérale. On peut illustrer cette distinction en se référantaux utopies qui lui sont associées comme avec la figure de Robinson Crusoëquand il s’agit pour lui de « vivre avec » Vendredi (au service de « ses » inté-rêts) et non pas de le comprendre, comme dans une sorte de retour à uneconception autarcique de la Cité, mais d’une Cité autarcique qui « regrette »l’échange dans un interculturalisme tolérantiste. La dimension éthique estici fondamentalement liée à une dimension politique.

Le « vivre dans » s’articule autour du concept de loi vu tout autant dansle contexte de sa genèse (qui émet les lois ?), celui de sa légitimation (le votedémocratique) que celui de son application (l’État et son appareil). Le« vivre avec » prend l’individu et l’expression de sa liberté comme point dedépart. Au concept de loi correspond celui de norme, c’est-à-dire une auto-édiction de règles par un groupe social indépendamment de sa représentati-vité politique mais sur la base du critère d’efficacité, les normes allant dansle sens de l’expression de la liberté des individus au regard de leurs intérêtsdans le cadre général d’un Etat-gendarme qui vient fixer les règles du jeu del’expression de ces intérêts. La question du politique laisse place à la questionéthique. Dans sa version contemporaine, à la figure du sage matérialisée parle Sénat romain vient se substituer la figure de l’expert. À la question du« juste » vient également se substituer celle du « vivre bien » lu sous sonaspect matériel à partir de la primauté accordée à l’activité économique. Lagouvernance marque alors la tension qui opère entre la « main invisible » dumarché et la communauté reconnue au nom du critère d’efficacité commel’échelon légitime.

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Le « moment libéral » se caractérise aussi par des recouvrements entre :

– Un libéralisme politique « traditionnel » qui met en avant le prin-cipe de liberté, c’est-à-dire l’articulation entre l’universalité de la loiet l’expression des intérêts particuliers.– Un libéralisme économique, celui formalisé par A. Smith à partird’une philosophie politique et morale construite sur la base des senti-ments moraux, qui met en avant la liberté d’expression des intérêts etqui trouve sa concrétisation actuelle dans la notion de « mondialisa-tion » mais qui tient plus du « laisser-fairisme » que du libéralisme.– Un utilitarisme formulé au 19e par J. Mill sous sa version actuelle,qui ne confère de valeur qu’à ce qui est utile et légitime la distinction« théorie » (accessoirement utile) et « pratique » (fondamentalementutile).– Un positivisme qui accorde un contenu de valeur au déterminismetechnique, et qui, du fait du soupçon de la science et de la technique(cf. la bombe atomique), a conduit à substituer sémantiquement leterme de technologie à celui de technique à partir de la référence àl’entreprise.– Un pragmatisme qui est une doctrine qui prend pour critère devérité le fait de réussir pratiquement mais envisagé ici sous l’angle dela réussite matérielle.– La légitimité accordée au capitalisme qui est une pratique économi-que ancienne, née au 14e et 15e siècle dans sa version moderne commeordre politique et s’appliquant aujourd’hui au monde entier, donc dansla perspective d’une idéologie mondialiste.

Le « moment libéral » se caractérise à la fois comme une idéologie maisaussi comme une forme de gouvernance qui fait avec une « réalité » sociale quipossède ses propres caractéristiques. C’est ainsi que le considère M. Foucault 3

qui met en avant la tension propre à l’intervention de l’État (« négative »pour « empêcher de… », « positive » pour « faire ») comme point focal desanalyses libérales. Cette « tension » quant à la conception de l’État estreprésentative d’autres tensions, de nature plus économique. Il s’agit d’abordde la tension « désintermédiation – réintermédiation » des modalités tech-niques de réalisation des transactions, matérielles ou financières, du fait del’usage des « technologies de l’information et de la communication ». Ils’agit ensuite de la tension « cloisonnement & décloisonnement » qui sematérialise par l’effacement des frontières « institutions – organisations »comme des institutions entre elles (alliances, réseaux, etc.). Il s’agit enfin de

3. M. Foucault, 1988, Dits et Écrits, NRF, Paris, Gallimard, Tome IV.

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la tension « déréglementation – re-régulation » qui se caractérise par la subs-titution de la norme (« auto-décrétée » en quelque sorte) à la loi. Ce« moment libéral » s’inscrit à la fois en continuité et en décalage avec la tra-dition libérale anglaise et américaine.

Cette tradition libérale peut en effet être considérée comme ayant été« mise à mal » par les contestations suivantes :

– Celles qui sont issues du libéralisme libertaire et du libéralisme com-munautarien, deux perspectives du libéralisme contemporain qui recon-naît la légitimité des droits des individus et des communautés et doncl’existence de « biens communs différenciés » distincts d’un « Bien Com-mun » général.– Celles qui sont issues du néo-conservatisme qui visent les excès dedémocratie liée à la « surcharge » relevant de la multiplicité des droitsnouveaux associés à l’expression libérale des communautés.– Celles qui sont issues du néo-libéralisme et qui prônent la substitutiondes catégories du marché à celle d’un État de redistribution ; comme lesouligne T. Berns 4 : « le terme de néo-libéralisme se développe bien plutôtdans une perspective constructiviste : la rationalité marchande et sa traduc-tion dans les comportements ne relèvent plus d’un donné naturel mais récla-ment d’être construites de façon incessante et expansive pour façonner toutcomportement et même tout sens moral, lesquels deviennent comme tels desobjets de délibération et de choix rationnels en fonction de leur coût, bénéficeet conséquence ».

Mais, dans les trois cas, le point focal de la critique est le même : c’est leproblème de la démocratie représentative au regard du jeu de rapportssociaux dominants considérés comme « trop » contestables.

– Celles du républicanisme civique sur la base de trois aspects : l’exis-tence d’un « Bien Commun », la vertu civique qui est fondée parréférence à la société civile et la réduction de la corruption. Le répu-blicanisme civique conduit à mettre en avant des catégories déonto-logiques pour critiquer les perspectives individualistes et utilitaristesmais sans le « contrat social ». La contestation vise ainsi l’organisa-tion vue comme l’agglomération d’individus se réunissant pour leurbénéfice commun dans le cadre d’une société. Les catégories néo-libé-rales se trouvent finalement être contestées plus radicalement au nomdu républicanisme civique qui propose de reconnaître la priorité à un

4. T. Berns, 2009, Gouverner sans gouverner – une archéologie politique de la statistique, Travaux pra-tiques, Paris, PUF, 5-6.

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« Bien Commun » au regard du caractère atomiste de la conceptionlibérale de l’individu. Il y a ainsi place aux mérites (cf. A. MacIntyre 5)et à l’idée « d’engagement constitutif » 6.

C’est le mix de tous ces éléments qui se trouvent être constitutifs du« moment libéral » dans le projet de « paix perpétuelle » que l’on retrouvechez Kant qui trace les contours d’une société d’enchaînement des passions etdes intérêts personnels où l’être ensemble se construit par l’adaptation desmodes de défense de ses intérêts à un mouvement d’ensemble. De façon géné-rale, il est donc possible d’affirmer que l’éthique des affaires et la RSE apparais-sent corrélativement au « moment libéral » dans des circonstances historiquesbien précises dont les traits dominants peuvent être résumés ainsi :

– un contexte géopolitique déstabilisé du fait de la fin de la compéti-tion politique « Est – Ouest »,– la mondialisation des échanges,– la modification du champ de la modernité (questionnement sur le sensdu « progrès technique », sur l’impact structurant de la technologie),– la montée en puissance de la légitimité politique accordée à la libertéindividuelle, les arguments écologistes et l’influence des perspectivesdu développement durable.

LA NOTION DE RSE

La notion de RSE recouvre deux grands aspects :

– La prise en compte des demandes de ce qu’il est convenu d’appelerles « parties prenantes », la réponse à une demande sociale venantalors confondre responsabilité sociale et réceptivité sociale.– L’intégration des pratiques liées à cette notion aux logiques de ges-tion.

C’est en cela que la notion est porteuse de l’ambiguïté de savoir si l’entre-prise est « en marché » ou « en société » ? 7 Peut-on pour autant parlerd’imprécision féconde ? La RSE est posée comme étant à même de répondreà des attentes compte tenu de tendances propres aux sociétés du « momentlibéral », tendance qui la rendraient incontournable, d’une représentationmanagérialo-centrée de l’entreprise au regard de « parties prenantes » dans

5. A. MacIntyre, 1997, Après la vertu, Léviathan, Paris, PUF.6. M. Sandel, 1982, Liberalism and the Limits of Justice, Cambridge University Press.7. A.-C. Martinet, 1984, Management stratégique, organisation et politique, Paris, Mc Graw Hill.

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le contexte d’un capitalisme à la fois utopique et prédateur de la société et del’environnement, venant, au travers de cette notion, marquer les limites desa prédation. Dans la mesure où il est possible d’en mesurer concrètementl’inexistence, la notion contribue à la construction d’une idéologie collabo-rationniste de la soumission. La RSE construit ainsi une ingénierie logée dansune technologie du pouvoir, bien précise, celle du « moment « libéral ». Onpourrait même parler de surexposition de la notion.

La corrélation entre une crise alimentaire, une crise énergétique, unecrise climatique, une crise sanitaire et une crise financière est aujourd’hui lamarque d’un « pli » du capitalisme, comme ce système politique tend à lefaire de manière cyclique depuis son émergence comme système politiquegénéral à la fin du 15e siècle. Si la RSE a marqué les discours de l’entreprisemultinationale dans la décennie 2000-2010, ces crises marquent les limitesdes actes redevables de la RSE et contribuent à son « discours ambigu ». Lemonde a faim (1/5 de sa population est en état de disette), il fait face à unecrise énergétique du même type que celle de la fin du 18e siècle avec l’épui-sement des réserves pétrolières, il chauffe du fait de la prédation environne-mentale de l’activité des entreprises et du délire consumériste des sociétés du« moment libéral », il est face à des pandémies et des menaces de pandémiesliées aux circulations accrues de biens et de personnes et à la réduction de labiodiversité liée au développement incontrôlé de l’agribusiness et ses fonda-mentaux financiers se sont effondrés. Les politiques de RSE ont été fondéessur la référence au « terrain », qu’il s’agisse des actes des entreprises multina-tionales comme de ceux des ONG. Cet effondrement de leurs perspectivesconduit à devoir radicalement questionner ce « terrain ». Mais sur quels ter-rains étaient donc ces agents pour ne pas avoir vu qu’un cinquième de lapopulation du globe avait faim, qu’il chauffait, que ses ressources énergéti-ques s’épuisaient, que les menaces d’une crise sanitaire s’accumulaient et queses logiques financières étaient devenues « folles ». Les actes mis en avant parles politiques de RSE semblent corrélativement bien dérisoires aujourd’hui,voire coupables d’ignorance et de morgue face aux moyens mis par les Etatspour faire face à ces crises.

Quelques exemples :

– Les crises sanitaires (vache folle, H5N1, H1N1, etc.) se succèdentsans la moindre mise en question de l’agribusiness. C’est le citoyen quipaie à chaque fois. Pour H1N1, c’est directement au bénéfice des mem-bres du cartel de la pharmacie. Espérons que la prochaine des muta-tions virales qui opèrent dans les élevages industriels sera tout aussi« gérable ».

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– Les crises écologiques liées à la prédation sur les matières premières.Au lieu de citer la marée noire déclenchée par la rupture de la plate-forme BP dans le Golfe de Louisiane, mentionnons la transformationdu delta du Niger en un cloaque assorti de la non récupération du gazbrulé dans des torchères alors même que cette région est en manqueimportant d’énergie…

Comme il en va souvent des notions de ce type, la RSE ne peut être con-sidérée comme une idée nouvelle. Elle pourrait être rattachée à la longuehistoire de l’assistance charitable des sociétés occidentales depuis le MoyenÂge, ce qui expliquerait les innombrables efforts qui seront déployés pour enrendre compte en dehors des traditionnelles catégories des ressources humai-nes. Une des dimensions de l’ambiguïté vient de l’accent mis sur la charitéau lieu de la solidarité. Il pourrait s’agir aussi d’une « réactualité » du pater-nalisme moralisateur (le patronage de l’époque étant considéré comme unealternative socio-économique à la charité) du début du 20e siècle expriméaujourd’hui par les patrons des entreprises multinationales. Il est intéressantde rappeler le vieux débat qui la concernait et qui avait été constitutif de ladifférence entre « libéraux » et « conservateurs sociaux » au 19e siècle. Pourles « conservateurs sociaux », c’est F. Le Play 8 qui sert de référence avec lanotion de patronage qu’il définit comme « l’ensemble des idées, des mœurs etdes institutions qui tiennent plusieurs familles groupées, à leur satisfaction com-plète, sous l’autorité d’un chef nommé patron ». R. de la Tour du Pin est un desreprésentants archétypiques du conservatisme social quand il défend sonopposition farouche à la société anonyme du fait de la gouvernance libéralequ’elle induit. « Le régime corporatif est difficile à établir sur le terrain industriel.Pourquoi ? Parce que les sociétés anonymes ont envahi le régime industriel et rem-placé les patrons qui avaient personnellement l’initiative, la charge et les responsa-bilités des entreprises. Or la société anonyme a les plus graves inconvénients,d’abord pour les industriels qu’elle fait disparaître. (…) La société anonyme estincapable de remplir toutes les obligations que doit remplir le patronage complet. Etl’ouvrier pourra-t-il garder sa liberté et revendiquer ses droits légitimes vis-à-visd’une force occulte comme celle de la société anonyme ? Difficile sinon impossible.La société également doit éprouver les inconvénients de la disparition des patrons.En effet, le capital, propriétaire des instruments de travail, prélève la part la plusgrande du produit (…) Enfin, l’industrie est immobilisée, le système anonymeayant intérêt à percevoir un revenu considérable du travail sans y coopérer » 9.

8. F. Le Play, 1989, La méthode sociale, réédition Paris, Méridiens Klincsieck, 467-468.9. R. de la Tour du Pin, De l’organisation des classes agricoles, L’Association catholique, 15/4/1888.

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Il est en effet difficile de positionner cette notion sans références à quel-ques considérations telles que la politique menée par H. Ford aux États-Unisavec sa politique de 5 dollars par jour, le paternalisme des grands industrielsen Europe et l’emploi à vie au Japon qui constituaient en quelque sorte déjàdes dispositifs de RSE. Sur le plan conceptuel, et ceci de façon très critique,J. Allouche, I. Huault et G. Schmidt 10 parlent d’« illusion morale » et de« confusion des concepts et des pratiques ». La structuration conceptuelleest en effet redevable de courants disparates : le courant éthico-religieux detype américain, le courant écologique, le communautarisme et le néo-libéra-lisme économique. L’inspiration économique et politique se situe entre lemodèle minimaliste de l’orthodoxie libérale version « École de Chicago », lemodèle intermédiaire de l’élargissement positif (E. R. Freeman) et le modèlemaximaliste du volontarisme social. Il en découle des appréciations très dif-férenciées sur le lien entre les pratiques de RSE et la performance, notiontout aussi floue, dont le périmètre dépend de ce que l’on y ajoute au-delà dela composante financière.

La RSE pose le problème de la disjonction ou non du rentable (où l’on« volerait » nécessairement quelqu’un pour faire une marge) et du fait de« faire le bien ». C’est une réponse « pragmatique » (cf. les best practices) et« proactive » aux pressions liées aux perspectives environnementales, politi-ques et sociales adressées à l’entreprise. C’est aussi accompagner un change-ment de l’intérieur par intégration de ces perspectives et des pratiques qui ysont associées. Il y a donc à la fois recouvrements et différences avec le mana-gement par les valeurs car on édicte, on implante, on gère, on modifie aussides valeurs, mais ces valeurs sont cette fois co-construites par les directionsd’entreprise et les autres agents de et autour de l’entreprise. La RSE va doncd’abord se structurer autour de l’injonction négative d’évitement et de répa-ration des dommages sociaux et environnementaux.

Avec la notion de RSE, on se trouve confronté à un « flou conceptuel »construit sur l’idée de l’élargissement de la raison d’être de l’entreprise.Comme le signale C. Noël 11, se référer à la notion de RSE suppose l’identi-fication de l’entreprise et de la société comme agents distincts l’un de l’autreet la spécification des liens de causalité qui s’établissent entre elles. Il y auraitdonc, avec cette notion, une tentative opportuniste de soulever de la sympa-thie de l’opinion publique par la mise en exergue de l’intégration, par les

10. J. Allouche, I. Huault, G. Schmidt, 2005, La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) :discours lénifiant et intériorisation libérale, une nouvelle pression institutionnelle, in La respon-sabilité sociale de l’entreprise, F. Le Roy, M. Marchesnay (eds), Paris, Éditions EMS, 177-188.11. C. Noël, 2004, La notion de responsabilité sociale de l’entreprise : nouveau paradigme dumanagement ou mirage conceptuel, Gestion 2000, 3, septembre - octobre, 15-33.

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entreprises, des préoccupations sociales liées à leurs activités dans leurs rela-tions avec ce qu’il est convenu d’appeler les « parties prenantes », d’où lesrenvois souvent confus à la notion de développement durable. La notion deRSE repose sur le postulat que l’entreprise peut être considérée comme ayantdes intentions « propres ».

La RSE a été à l’origine d’une inflation informationnelle, marquant ainsile passage entre une « publicité – communication » (avec l’éthique des affai-res de la décennie 90) et l’expression d’un engagement à partir d’une décla-ration d’intention (un code de conduite par exemple), vers une perspectiveinformationnelle qui sert de base au « dialogue » avec les parties prenantes.Le terme de « dialogue » est ainsi mis en guillemets car il constitue à la foisun objectif de ces politiques informationnelles mais aussi une forme d’impos-sibilité car il y a en fait plus co-construction des informations de restitutionaux parties prenantes qu’un véritable dialogue. C’est ce qui vient soulever laquestion des difficiles interférences entre la RSE et la démocratie. On pour-rait même, à ce titre, parler de « libéral – bureaucratie ».

La RSE conduit à l’idée d’une certification « collective » d’entreprise àpartir de la même idée que celle de la « roue de Deming » : « je dis mesengagements » ce qui suscite « la mise en œuvre d’outils de mesure » servantde base à une « évaluation » venant constituer un reporting. C’est ce qui vaconduire à la constitution des grands enjeux de la RSE. Qu’a-t-on envie dedire et comment le rendre crédible au travers du reporting ?

La RSE va donc se référer à des normes « éthiques » et des labels dont lefoisonnement peut être le signe d’un « trop plein » voire d’une véritableboulimie car elle se caractérise par une accélération de leur production et deleur péremption. Ces normes et labels vont de la « marque » des grands cabi-nets (comme pour l’audit comptable) à un véritable marché des normes(comme pour l’hygiène alimentaire) et conduit à la multiplication de straté-gies de « différenciation » entre normes et labels, normes entre elles, labelsentre eux.

La norme pose la question de l’appropriation, de l’intégration et de l’assimi-lation des normes et conduit à des problématiques différentes suivant qu’ellessont imposées de l’extérieur (normes exogènes, souvent de type « macro »social) ou de l’intérieur (normes endogènes de type « micro » social) d’où sadimension considérée comme « stratégique » qu’il s’agisse de stratégies de con-formité, d’évitement ou de manipulation.

Leur adoption par telle ou telle organisation va alors relever d’une straté-gie offensive (la norme étant alors une forme d’innovation, faisant barrière àl’entrée et justifiant des investissements importants) ou d’une stratégiedéfensive (comme masque, affichage, façade, couverture juridique, etc.). La

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norme peut également être utilisée comme un instrument d’ingérence chezle fournisseur dans la mesure où le contrat de fourniture donne lieu à l’impo-sition, par chaque donneur d’ordre, de normes et d’audits, et de l’organisationd’une surveillance technologique, organisationnelle, économique et socialeconduisant à rationaliser le prélèvement de valeur ajoutée et/ou l’externali-sation des risques. La norme conduit alors à généraliser le contractualisme àtous les niveaux. Elle va reposer aussi sur la définition et la gestion de proces-sus propres à mettre en œuvre les politiques de RSE définies par les directionsd’entreprise, qu’il s’agisse d’un « méta-processus » concernant les valeurs etorientations d’une politique de RSE, l’idée de mise en œuvre d’un dispositifde mesure de la valeur ajoutée des processus de la RSE, l’idée également d’enfaire un processus stratégique.

La notion pose le problème des fondamentaux de sa représentation. V.Paone 12 mentionne ainsi l’existence d’un axe moral (pour ne pas dire mora-liste), d’un axe de préservation et de pérennité (des capitaux de toutes sor-tes), d’un axe de demande d’approbation (le licence to operate) et d’un axe deréputation (dimension symbolique). Elle en souligne les dimensions symbo-liques, économiques et politiques avec finalement au moins deux responsa-bilités sociales de l’entreprise : une managérialiste et une académique tant lanotion a connu un succès foudroyant dans les Business Schools (mais là seule-ment). L’étude de la RSE pose donc des problèmes ontologiques (qu’est-elleréellement par rapport au reste de l’activité de l’entreprise, peut-elle en êtreséparée comme cela ?), des problèmes sémantiques et pragmatiques (avec lamultiplicité des références) des problèmes d’ordre généalogique et théoriqueet des problèmes épistémologiques, conséquences des précédents (la cons-truction d’une connaissance sur la RSE à partir de sphères de références sidifférentes est-elle possible ?). Elle est en cela susceptible de construire unedoctrine de l’entreprise qui, comme toute doctrine voit son contenu se réfé-rer à la fois à des constantes mais aussi à des variations dans le temps.

Remarquons d’abord qu’il serait possible d’avancer l’hypothèse qu’àl’actuel extraordinaire développement des cursus d’enseignement de mana-gement (une bulle spéculative ?), correspond aujourd’hui un extraordinairedéveloppement notionnel. Peut-être serait-ce à une de ses concrétisations àlaquelle nous assisterions avec l’usage généralisé de la notion de RSE. Nepourrait-on parler de véritable vulgate applicable à qualifier l’activité écono-mique de l’entreprise sur la base de la production discursive d’une bourgeoisequi « s’excite » ainsi sur le thème, vulgate assortie d’un renouveau de la pers-

12. V. Paone, 2009, La responsabilité sociale de l’entreprise à l’épreuve des faits – Contribution àl’étude d’un système de contagion – de l’épiphénomène à la contagion, Thèse de doctorat en sciencesde gestion, CNAM, Paris.

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pective systémique la plus floue ? Et pour cacher quoi ? Le fait qu’elle avancemasquée et qu’au nom de l’abandon de l’exploitation de l’épuisable ressourcenaturelle, elle puisse d’autant mieux s’en prendre à l’inépuisable ressourcehumaine ?

La RSE construit les ambiguïtés nécessaires au développement d’un« sens » :

– Elle offre le support d’une réinterprétation de la dialectique mana-gériale que souligna H. A. Simon13 quand il montra toute la difficultémanagériale du passage des valeurs entre des principes relevant d’uneperspective universaliste à des faits relevant de la perspective consé-quentialiste. On retrouve ici l’importance des raisonnements endilemmes qui marquent la Business Ethics.– Elle fonde des discours partiels et partiaux, marquant ainsi le triom-phe d’une activité communicationnelle sans permettre de dire pourautant qu’il ne s’agisse que de discours sans éléments de concrétisa-tion. La Danone Way consiste à « réellement » prendre en compte lescatégories des droits de l’homme dans les logiques managériales, maisles emballages de yaourts remplissent nos poubelles et nos désirs lesplus primaires sont flattés par une communication commerciale baséesur la stimulation de la gourmandise.– Elle conduit à l’accaparement du champ politique par les entreprisesdont la légitimité dans ce domaine reste à prouver, ce qui suscite enretour, le développement du politique…

Les pratiques des entreprises en matière de responsabilité sociale reposentsur des actes à destination des « parties prenantes » externes. L’observationdes pratiques montre des réalisations particulièrement disparates.

LA RSE COMME DISCOURS AMBIGU

Les critiques adressables à la RSE donc nombreuses :

– Qui sont les « parties prenantes » (les plus puissantes ? les plus légi-times ? celles qui posent problème ?…).– Quel est le modèle qui intégrerait l’ensemble des performances avecune moyenne lisible (problème de la triple bottom line ?) et donc com-ment s’assurer que la représentation de la performance n’est pas seule-ment une mise en scène ?

13. H. A. Simon, 1993, Administration et Processus de décision, Paris, Economica.

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– Comment crédibiliser les démarches d’audit ? Les références à lafigure de l’expert, à ses méthodes, à son indépendance sont-elles suffi-santes ?– La responsabilité sociale de l’entreprise privilégie les initiativesvolontaires (in fine auto-décrétées), l’« absence » de sanction est con-frontée au risque de faire « décoller » les discours des réalisations dansdes logiques où une communication très professionnelle prendrait lepas sur la négociation (y compris avec des « parties prenantes »).– La communication effectuée est unilatérale, univoque et présente lacaractéristique de ne pas supporter la critique externe (qui appelleraitde ses vœux une entreprise sale, inéquitable, etc.). On est donc auxantipodes de toute humilité et de toute « heuristique de la peur ».– Pour ce qui concerne la diversité, ne peut-on parler d’une contri-bution à la légitimation d’un communautarisme construit sur la basede primordialismes ethniques (âge, genre, race) et culturels (religion,mœurs) ?

De nombreuses politiques de RSE se caractérisent par un abus d’affirma-tions. C’est en particulier le cas de celles qui prennent le pas sur des politi-ques publiques comme, par exemple, dans le domaine sanitaire, opérationsqui sont à la fois le signe de leur institutionnalisation mais qui ont aussi poureffet de rendre encore plus difficiles les modalités de constitution de l’État(en particulier dans les pays en développement), dans la mesure où les entre-prises concernées tendent à faire « à la place » de ce dernier. Les conséquen-ces finales vont alors à l’inverse du volet « développement » inhérent à lanotion de développement durable alors même que ces entreprises s’y réfè-rent. À ce titre, on pourrait parler de politiques de RSE comme étant faitespour empêcher la mise en place de lois.

On pourrait aussi qualifier la RSE de sorte de monologue adressé aux agentssociaux comme s’il s’agissait d’un dialogue alors qu’ils n’ont rien demandé. LaRSE constitue à ce titre une infra-pensée de l’équité dans les contours du« moment libéral » (et qui plus est dans un micro-territoire politique – l’orga-nisation) qui met au premier plan le principe de liberté dans un monde orphe-lin d’une pensée de l’équité, celle du communisme, du fait de son échec inconcreto.

La RSE vient poser, mais avec finalement peu de débats, la question d’unconsensus apparent sur ses corrélats : solidarité, responsabilité, équité, etc.Elle tend à fonder une acception protéiforme de la responsabilité de l’entre-prise, en particulier les plus grandes : responsabilité économique (évaluationde l’apport de l’entreprise au développement par allocation de ressources,d’impôts, de transferts de technologie, d’emploi local, etc.), responsabilité

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sociale vis-à-vis des salariés (normes sociales, droits de l’homme, droit du tra-vail, protection sociale), responsabilité sociétale (vis-à-vis de l’environne-ment et de la société), responsabilité politique (rôle des entreprises dans lapolitique locale, gouvernance des filiales, lutte contre la corruption, etc.),responsabilité extraordinaire (en cas de catastrophe naturelle, de conflit, desituation d’urgence venant remettre en cause le respect des droits del’homme) et responsabilité charitable (donations aux populations locales).Elle conduit également à un discours le plus souvent optimiste qui contrasteavec l’eschatologie dont elle est porteuse.

La contestation la plus radicale est en fait réalisée, non pas de façondirecte, c’est-à-dire sur ses catégories mêmes, mais sur l’absence d’effets glo-baux probants, en particulier en matière de lutte contre le réchauffement dela planète.

La dimension nettement politique que tend à prendre aujourd’hui lanotion de développement durable, une des dimensions de la RSE, possèdedes conséquences importantes sur son usage. C’est ce qui se matérialise autravers de la remise en cause des initiatives volontaires (celles des dirigeantsdes entreprises multinationales) en faveur de normes internationales dont ladimension politique et coercitive est de plus en plus importante dans lamesure où elles bénéficient de la légitimité politique des organismes qui lesconstruisent (ONU, Union Européenne, par exemple) et le relais des États.Le développement de ces normes internationales marque aussi, pour la thé-matique de la RSE, la focalisation majeure actuelle et à venir sur les problè-mes environnementaux. À ce titre, la RSE comme thème de gestion de ladécennie 2000-2010 aurait servi d’occurrence d’apprentissage par les Sociétésde la prise en compte des impacts de l’activité économique. Cet apprentissagesusciterait le développement de normes environnementales coercitives sur letriple registre de l’interdiction, du rationnement et de la réutilisation, regis-tres par rapport auxquels les grandes entreprises sont totalement allergiques.La dimension soi-disant « éthique » du thème perd bel et bien sa dimensionde premier rang au profit de la dimension politique. À ce titre, l’environne-mental (et sans doute bientôt le « sociétal ») tend à échapper de plus en plusau lobbying. Mais avec le développement durable, c’est bien aussi la questiondu mode de vie qui est en question.

Il est en fait possible de qualifier la RSE comme étant un « thème degestion » aujourd’hui en voie d’épuisement pour les raisons suivantes :

– D’abord, un thème de gestion se distingue d’une mode par sa durée :une décennie environ. Il apparaît au début de la décennie 2000 ets’épuise à ce jour : c’est donc plus qu’une mode.

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– Il a offert le support d’une vision managériale fédératrice (pour nepas dire « stratégique », notion trop vague car qu’est-ce qui n’est passtratégique ?). Et la RSE fédère des pratiques disparates en leur don-nant une cohérence formelle (commerce équitable, commerce éthi-que, marketing éthique, fonds de placements éthiques, investissementssocialement responsables, stakeholders report, audit éthique, etc.).– Des méthodes de gestion qui existaient en dehors de son champ s’ysont trouvées réinterprétées comme le reporting qui, outre son originefinancière, devient environnemental et sociétal). Des « outils » degestion qui existaient avant l’émergence du thème ont pris une dimen-sion nouvelle (les chartes éthiques par exemple). De « nouvelles »méthodes sont apparues comme pour tout ce qui tourne autour de lanotation sociétale.– La RSE comme thème de gestion a comporté des dimensions venantfonder la réinterprétation de la genèse de la performance, la référenceà un jeu social, à des procédures et à des valeurs, etc. comme avec latripple bottom line. Mais, en y regardant de plus près, on s’est le plussouvent trouvé face à une « réinterprétation – emphase » de quelquechose qui existait déjà avec les emprunts aux techniques de mesure dela performance financière ou à celles de la gestion de la qualité. Desméthodes de gestion qui existaient s’y sont donc trouvées donc réin-terprétées.– Il a interagi avec des logiques managériales telles que la gouver-nance marquée par le passage d’une corporate governance à une globalgovernance du fait de la référence à la RSE.– Il a convoqué des concepts disponibles pour le fonder comme lanotion de « parties prenantes ».– Il en existe des concrétisations symboliques (comme la Danone Way,par exemple).– … Il en restera certainement quelque chose après son épuisement,au regard de l’énorme développement des pratiques de gestion qu’il asuscité.

Tout comme un modèle organisationnel, un thème de gestion bénéficie,des attributs du discours avec les aspects suivants :

– Locutoire (ce qu’exprime le discours au premier degré). Le discoursde la RSE a reposé ainsi sur de nombreuses perspectives déclaratives.Ainsi en va-t-il a minima pour tout ce qui concerne les chartes devaleurs.– Illocutoire (ce qu’il empêche de dire). Et le fait qu’il succède authème de la valeur financière n’est pas neutre à cet égard, permettant

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Yvon Pesqueux

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à la bourgeoisie de continuer à pouvoir avancer masquée. Qui en effetappellerait de ses vœux des entreprises « sales » !– Perlocutoire (« éléments de réalité » produits par le discours et allantdans son sens).

Mais un thème de gestion, justement parce que c’est un thème et non unmodèle, tend à posséder un contenu plus clairement idéologique :

– Simplification et incantation, donc aveuglement dans le déclasse-ment des catégories du politique (la vie politique de la cité avec sesconcrétisations politiques et politiciennes). Mais que fait donc l’Étatpour protéger les espèces en disparitions alors que le WWF, grâce auxmillions qui lui sont versés par Lafarge le fait si bien !– Distinction entre des facteurs « amis » et des facteurs « ennemis »donc construction d’une partialité, et la RSE est bien partiale. Mieuxvaut jouer sur les panneaux de baskets installés par Auchan qu’y êtrecaissière !– Phagocytose (du développement durable compris au sens « macro »politique).

Un thème de gestion ne « tombe » pas du ciel :

– Les concrétisations de l’éthique des affaires avec son outil privilégié,les codes d’éthique, autoédiction formulée par les directions des plusgrandes entreprises existaient auparavant tout en ayant cumulé l’expé-rience des difficultés de leur concrétisation au quotidien.– La force catalytique d’aspects tel que le charity business, par exemple,ont tenu lieu de situation d’apprentissage.– Les interactions avec la société le légitiment (les réactions citoyennesde l’altermondialisation, les disparités géographiques, les problèmesécologiques comme le réchauffement de la planète, l’« éthicisation »des représentations du politique avec la montée en légitimité de l’appelaux vertus civiques, etc.).

La RSE comme thème de gestion a donc épuisé sa dynamique. Les prin-cipaux bénéfices des politiques de RSE ont sans doute été une remise encause des pratiques de corruption, mais ses concrétisations ont considérable-ment alourdi le versant procédural du fonctionnement de l’entreprise. Cetaspect est entré en combinaison multiplicative avec les autres tensions pro-cédurales (par exemple avec les perspectives de la QSE – qualité, sécurité,environnement). Or l’alourdissement du versant procédural entre en ten-sion avec l’efficience. Et c’est sans doute ce qui marque le plus clairementl’épuisement interne du thème, épuisement qui conduit à la mise en exergue

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La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE)

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d’un autre thème (le risque ?), comme thème alternatif. Et c’est sans doute ledéfaut l’institutionnalisation de l’entreprise que valide l’épuisement duthème de la RSE. Cette institutionnalisation peut être définie comme opé-rant sur le plan des mentalités (avec les représentations du rôle de l’entre-prise et de ses liens avec la société), celui des discours (avec la manière deparler de la RSE) 14 celui des pratiques (spécifiques à la RSE) et des institu-tions (celles qui participent à la formation des managers, celles qui fontémerger et celles qui légitiment les normes de la RSE) et celui des savoirs(sur la compréhension de la RSE).

CONCLUSION

Du fait de l’intervention de l’entreprise dans la définition du « Bien Com-mun », le volontarisme managérial s’est trouvé en quelque sorte « dépassé »par lui-même dans sa vocation à proposer de substituer une omniscience dela règle établie par les directions d’entreprise (donc sans aucune preuve dereprésentativité) à l’omniscience des Pouvoirs Publics sur la base d’un dou-ble argument d’utilité et d’efficience. La taille de l’entreprise multinationaleet le pouvoir qui est le sien (de même que le pouvoir cumulé du groupe cons-titué par ces entreprises) ont conduit, au travers des politiques de RSE, àintervenir sur la définition des règles de vie en société. Mais, en retour, cesmêmes entreprises se sont trouvées interpellées parce qu’elles ne peuventplus faire autrement. S’étant « substituées » aux Pouvoirs Publics (parfoisdéfaillants, certes, comme dans telles ou telles situations dans des pays endéveloppement, par exemple), elles y ont d’autant laminé les conditions deconstitution d’un État qui fait aujourd’hui cruellement défaut. D’une perspec-tive « micro » politique (avec la RSE), on est passé, sans s’en rendre compte,à une perspective « macro » politique de la définition du « Bien Commun ».Le développement durable (de dimension « macro » politique) s’est trouvérelayer la RSE (de dimension « micro » politique). Mais le déclenchementdes crises dont il a été question plus haut n’a pu trouver de commencementde résolution qu’au travers des interventions massives des États, ramenantainsi le thème de la RSE à la dimension de la question qu’il était auparavant.

La RSE est donc marquée par une survalorisation symbolique au regard desa dimension politique qui permettrait de la caractériser comme une réponseapportée à la montée en puissance du mouvement consumériste et du mou-vement écologiste.

14. A. Hatchuel, 2000, Quel horizon pour les sciences de gestion ? Vers une théorie de l’actioncollective, in A. David, A. Hatchuel, R. Laufer (eds), Les nouvelles fondations des sciences de gestion– Éléments d’épistémologie de la recherche en management, FNEGE, Paris, Vuibert.

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