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La théorie bergsonienne de la matière et la physique moderne

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La théorie bergsonienne de la matière et la physique moderneAuthor(s): Milič ČapekSource: Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 143 (1953), pp. 28-59, 644Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/41087917 .

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La théorie bergsonienne de la matière et la physique moderne

Omne enim corpus est mens momentanea sive carens recordatione, quia conatum simul suum et alienam contrarium non retinet ultra momentum.

G. W. Leibniz, Theoria motus abstracti seu rationes motuum universales a sensu et phae- nomenis independentes.

When memory and anticipation are completely absent, there is complete conformity to the average influence of the immediate past. There is no cons- cious confrontation of memory with possibility. Such a situation produces the activity of mere mat- ter... Thus the universe is material in proportion to the restriction of memory and anticipation.

A. N. Whitehead, Essays in Science and Phi- losophy.

I La dui.ee et l'extension

II n'y a pas beaucoup de philosophes qui ont vu aussi tôt et avec autant de clarté l'insuffisance des schemes mécaniques et visuels inventés pour comprendre la structure intime de la ma- tière qu'Henri Bergson. Déjà, en 1889, il s'est aperçu des difficultés insurmontables inhérentes aux explications purement cinétiques de la nature et il a prévu la tendance croissante de la physique au formalisme mathématique1. Sept ans plus tard, il a réaffirmé ses doutes : « Solidité et choc empruntent donc leur clarté apparente aux habitudes et nécessités de la vie pratique ; - les images de ce genre ne jettent aucune lumière sur le fond des choses2. » En même temps, il a insisté sur la nécessité de briser par un effort énergique

1. Essai sur les données immédiates de la conscience, p. 154-156. 2. Matière et Mémoire, p. 222.

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et souvent douloureux les habitudes que notre imagination a con- tractées par son commerce continuel avec le segment relativement étroit de la réalité, avec ce monde de « dimensions moyennes » qui seul est d'importance pratique pour l'organisme humain ; en créant des cadres intellectuels nouveaux plus adéquats et plus élastiqueo, nous réussirons peut-être à élargir notre imagination qui à présent est trop rigide et trop étroite pour comprendre la réalité dans toute son ampleur et surtout sa couche microphysique 1. La théorie bergsonienne de la matière consiste précisément dans cet effort difficile de réorganisation de nos habitudes intellectuelles.

Cet effort est du même genre que celui qui a inspiré le premier ouvrage de Bergson : Essai sur les données immédiates de la cons- cience; la physique bergsonienne est, pour ainsi dire, la psychologie bergsonienne prolongée. Car même en psychologie il s'agit de briser les habitudes de spatialisation involontaire que notre imagination façonnée par le contact prolongé avec le monde extérieur y trans- met et qui troublent l'observation directe de notre vie intérieure. A l'aide de l'introspection ainsi épurée, nous arrivons aux conclu- sions suivantes :

1. La nature du réel psychologique est la durée réelle, c'est-à-dire la continuité dynamique et hétérogène dont les phases successives, le passé et le présent, s'entre-pénètrent mutuellement malgré leur incommensurabilité qualitative ou plutôt grâce à elle2. « Les idées », « les sensations », « les états » de la psychologie associationniste sont inconsciemment conçus à l'image des corpuscules physiques dont ils partagent la solidité et la permanence ; elles ne sont que des découpures artificielles dans la totalité du devenir psycholo- gique dont elles masquent la continuité ininterrompue et vivante.

2. Le devenir psychologique est un fait accomplissant et non un fait accompli ; il se crée au fur et à mesure de son progrès ; son

1. Évolution créatrice, Genève, Éditions Albert Skira, p. 199, 202 ; La Pensée et le Mouvant, p. 85, 179.

2. C'est probablement le trait le plus paradoxal de « la logique de la durée » et le plus récalcitrant à la conceptualisation : que la nouveauté du présent est constituée par la survivance du passé ; car c'est la rétention du moment immé- diatement antérieur qui fait le présent plus riche à l'égard du passé. Bergson lui-même n'avait pas mis en pleine lumière cette identité foncière et « dialec- tique » de la nouveauté du présent et de la survivance du passé avant la publi- cation da Y Évolution créatrice (p. 19-20) et Y Introduction à la métaphysique (La Pensée et le Mouvant, p. 227 ; aussi p. 88).

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futur est littéralement irréel et le présent, tout en prolongeant le passé, le dépasse. C'est précisément ce trait de nouveauté irréduc- tible qui était ignoré par l'atomisme psychologique pour lequel tous les changements de la vie intérieure ne sont que des simples réarrangements des éléments préexistants. La durée psycholo- gique est par sa nature créatrice et inachevée 1.

3. Il n'y a pas de différence entre le devenir psychologique con- cret et le temps réel. Le temps et le devenir ne sont pas en rap- port de contenant à contenu, de rempli à remplissant ; ce que nous appelons le temps vide et homogène n'est que le temps verbal qui est sur tous les points essentiels équivalent à l'espace. Il ¿l'y a pas de flux temporel réel sans l'hétérogénéité des phases succes- sives ; en supprimant la différence qualitative entre le passé et le présent, on supprime aussi leur succession. La notion de la durée homogène n'est qu'un assemblage contradictoire des mots.

4. Avec l'homogénéité du temps s'évanouit sa continuité mathé- matique (la divisibilité à l'infini). Ce caractère prétendu du temps vient aussi de la confusion de la durée avec la ligne géométrique (« l'axe de succession ») sur laquelle on peut discerner un nombre illimité de points 2. La nouveauté, qui est l'essence même du mo- ment présent, n'est pas un instant ponctuel, mais une qualité con- crète et, par là même, possède une certaine épaisseur temporelle. La durée réelle ne progresse que par des pulsations épaisses, par des accroissements indivisibles de nouveauté, par des gouttes de « mémoire élémentaire ».

Par ces conclusions, YEssai, conçu d'abord comme purement psychologique, dépasse la psychologie pure parce qu'il tente d'ap- profondir la nature du temps en général. Si on en tire des conclu- sions sur la durée physique, on comprendra l'essentiel de la théorie bergsonienne de la matière. Il est vrai que dans son premier livre,

1. Essai, p. 135. Après Bergson, l'irréalité de l'avenir a été affirmée surtout par C. D. Broad.

2. Évidemment, il ne faut pas confondre « la continuité mélodique » de la durée avec la continuité mathématique, laquelle, selon Bergson, n'est qu'une discontinuité infiniment répétée, « n'étant au fond que le refus de notre esprit, devant n'importe quel système de décomposition actuellement donné, de le tenir pour le seul possible » (Évolution créatrice, p. 164). L'opinion de Bergson est au fond la même que celle de Poincaré : « De la célèbre formule, le continu est l'unité dans la multiplicité, la multiplicité seule subsiste, l'unité a disparu » (La science et V hypothèse, p. 30).

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Bergson, sans doute sous l'influence de la physique laplacienne, a été incliné à nier la réalité du temps dans le monde matériel1. Mais déjà dans Matière et Mémoire, il a insisté sur le caractère réel et effectif de « la durée des choses2 ». Cette affirmation paraît bien banale parce qu'elle est celle du sens commun et même de tous les savants qui n'ont pas suivi Laplace jusqu'au bout ; son caractère révolutionnaire n'apparaîtra que si l'on ajoute qu'il s'agit du temps bergsonien possédant essentiellement la même structure que la durée de Y Essai. Ainsi on arrive à des conclusions semblables à celles que nous venons d'énumérer :

1. Les particules matérielles, quel que soit le nom qu'on leur donne, ne sont que des découpures plus ou moins artificielles dans la totalité du devenir physique. Bien avant Whitehead, Bergson nous a mis en garde contre « le sophisme de la localisation simple ».

2. Il n'y a pas de différence absolue entre le temps physique réel et le devenir concret. Contrairement à l'opinion de Newton, le temps n'est pas une espèce de cadre vide et homogène qui ne serait rempli qu'après coup par les événements concrets. Le temps phy- sique se confond avec son contenu concret, c'est-à-dire avec les événements physiques.

3. Le temps physique, pas plus que le devenir psychologique, n'est pas divisible à l'infini. « Toute durée est épaisse; le temps réel na pas d'instants3. » La continuité mathématique est toto cœlo différente de la continuité dynamique de la durée4. Même dans le monde de la matière, le présent concret n'est jamais équivalent à l'instant infiniment mince. Cependant, les pulsations élémen- taires de la durée physique sont incomparablement plus courtes que celles de la conscience ; tandis que le minimum temporel psy- chologique, « le présent spécieux » de James, est environ de 0,002 sec, le minimum de la durée physique, le « chronon », est,

1. Essai, p. 81 : « en dehors du moi, extériorité réciproque sans succes- sion ».

2. H est difficile de croire que même un penseur aussi sérieux que Hans Driesch ignore l'affirmation bergsonienne de la durée dans le monde exté- rieur (Metaphysik der Natur, 1927, p. 88).

3. Durée et Simultanéité, p. 68. 4. L est pourquoi Whitehead même evite le mot ambigu de continuité, en

disant qu'il s'agit plutôt « du devenir de la continuité » que de cl la continuité du devenir » (article Time, in Proceedings of the Sixth International Congress of Philosophy, 1927, p. 64).

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d'après M. Robert Lévi et d'autres, de l'ordre de 10*24 sec A On dit avec Bergson que « la condensation du passé dans le présent » ou « le degré de tension » est plus intense dans la durée psycholo- gique que dans la durée matérielle. C'est pourquoi ce qui apparaît à notre conscience comme la qualité indivisible de la couleur rouge correspond dans le monde physique à la succession vertigineuse de 400 trillions de vibrations électromagnétiques2. On comprend ainsi l'illusion du temps homogène et le caractère obstiné avec lequel il s'impose à l'esprit ; du point de vue pratique, les événe- ments élémentaires physiques sont presque sans durée, c'est-à-dire presque instantanés. Ce n'est qu'à l'intérieur de l'atome que nous sommes confrontés avec des intervalles temporels très courts qu'on ne peut plus subdiviser. Le microcosmos est essentiellement le microchronos.

4. L'élément de nouveauté, qui est un attribut indispensable de toute la durée, ne peut être nul, même dans le monde matériel. Au- dessous de la surface en apparence immobile et rigide du détermi- nisme physique, il y a des indéterminations élémentaires et des nouveautés véritables.

Ainsi le monde matériel conçu de cette manière n'est qu'une

1. R. Lévi, Théorie de V action universelle et discontinue (Journal de Phy- sique et le Radium, v. VIII, 1927, p. 182). La même idée se trouve chez H. Lat- zin (Naturwissenschaf ten, 1927, p. 161), G. I. Pokrowski (¿Zeitschrift fuer Physik, 1928, p. 730, 737), G. Beck (Ibid., 1929, p. 675). A. N. Whitehead, déjà en 1920, a introduit le mot « quantum of time » (Concept of Nature, p. 162).

2. D'après Berthelot, l'assertion de Bergson que la plus courte sensation dure 0,002 sec. implique l'emploi d'une certaine unité de mesure du temps égale pour les faits de conscience aussi bien que pour les phénomènes phy- siques ; et, par suite, le recours au temps quantitatif (Un romantisme utili- taire, II, p. 227). Cette assertion ne contredit-elle pas la thèse principale de Y Essai d'après laquelle la durée n'est pas mesurable? Mais la contradiction n'est qu'apparente. D'après Bergson, aucune durée, étant hétérogène, n'est mesurable ; seulement, la durée physique consiste dans la succession d'évé- nements extrêmement courts, presque équivalents aux instants sans dimen- sions ; donc cette succession peut être approximativement remplacée par le temps-longueur dans lequel on peut établir des relations quantitatives entre les intervalles. Alors, si on affirme que la sensation élémentaire possède une durée quantitativement déterminée^ on constate simplement qu'elle est con- temporaine (n'oublions pas que Bergson admet « la simultanéité des flux » ; Durée et Simultanéité, p. 67) d'une série d'événements physiques qui, étant presque innombrables et, individuellement, presque sans épaisseur temporel? e , sont presque équivalents à un certain segment du temps homogène et, par conséquent, mesurable.

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durée moins concentrée, ou, comme dit Bergson, plus « diluée », « éparpillée », « relâchée » ou « étendue ». Mais, si on comprend ainsi l'illusion du temps homogène comme une approximation pratique résultant de notre perspective macrochronique, il est difficile d'adhérer à la conception qui semble réduire le monde étendu de la matière à une simple succession temporelle. Il est bien naturel que notre sens commun - et la physique classique n'est, d'après une expression de M. E. Le Roy, que « le sens commun affiné » -

s'oppose violemment à une pareille élimination de l'espace im- muable et des substances corporelles qui sont pour lui des proto- types de la réalité. C'était cet inconscient géométrique et démo- critéen qui était la source de la méfiance profonde qu'on a éprouvée à l'égard de la « physique bergsonienne ». On a presque complète- ment ignoré que la négation bergsonienne de l'espace statique et vide ne signifie pas l'élimination de V extension concrète; au con- traire, elle l'affirme. Nous arrivons maintenant au point le plus délicat, le plus difficile et le moins connu du bergsonisme : à sa thèse que « l'extension apparaît seulement comme une tension qui s'interrompt » ou, avec plus de rigueur, que Vespace statique nest quune limite idéale de la durée d'étendue1.

Il n'y a pas de place ici pour une analyse détaillée que j'ai essayé de faire autre part. Bornons-nous à montrer comment, d'après l'auteur de Y Évolution créatrice, l'extension surgit par le relâchement de la tension temporelle ou, ce qui est la même chose, par l'accélération du rythme de la durée. En raison du rétrécisse- ment du moment présent, le passé immédiat, confondu d'abord avec « le présent spécieux » dans la durée tendue, s'en échappe ; le passé immédiat devient ainsi « le passé distant » en étant plutôt en dehors du présent qu'en lui, bien qu'un lien atténué persiste toujours entre eux. Car, même dans la durée la plus détendue, l'extériorité des phases successives, même les plus éloignées, est loin d'être complète comme celle des unités arithmétiques ou des points géométriques ; c'est leur succession qui, elle-même, em- pêche leur séparation complète. Mais la tendance vers V extériori- sation est là ; et c'est précisément cette tendance qui, d'après Bergson, constitue l'extension concrète, c'est-à-dire la matérialité.

1. Introduction à la Métaphysique (in La Pensée et le Mouvant, p. 237) ; Matière et Mémoire, p. 229-233 ; Évolution créatrice, p. 249 ; aussi p. 208-210, 215.

TOME CXLIII. 1953 3

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Jusqu'à quelle limite la détente temporelle peut-elle être pous- sée? A vrai dire, sa limite théorique serait V arrêt du temps, ou, à mieux dire, sa transformation complète en l'espace homogène et statique. Car les phases successives, en se séparant de plus en plus, se trouveraient à la fin entièrement extérieures les unes aux autres ; leur exclusion mutuelle équivaudrait à la juxtaposition qui ne peut être que simultanée. Le présent serait rétréci jusqu'à un point simple et sans dimensions qui, n'apportant rien de nou- veau, serait quant à la qualité égal au passé. Le passé, n'étant pas différencié du présent, ne serait que le passé verbal dont l'antério- rité serait ainsi irrémédiablement détruite ; en d'autres mots, il ne précéderait pas le présent, parce que l'essence de la succession est l'incommensurabilité qualitative du moment antérieur et du mo- ment consécutif, une incommensurabilité qui, comme on a vu, dépend du fait de la mémoire élémentaire, de la survivance au moins « infinitésimale » du passé dans le présent. Mais il n'y a pas de survivance du passé dans l'instant ponctuel ; «■ mens momenta- nea » manque de « recordatio ». Ainsi la succession des phases hété- rogènes passerait dans le cas-limite à la juxtaposition des instants - ou plutôt des points - homogènes *. Ce serait précisément le monde intemporel et géométrique de Spinoza et de Laplace dans lequel l'avenir serait non pas seulement nécessaire, mais même préexistant à côté du « présent » et du prétendu « passé ». Ce ne se- rait que l'espace, c'est-à-dire le continu mathématique des points identiques quant à leur qualité, extérieurs les uns aux autres et sans succession.

Ce cas-limite est-il réalisé dans le monde physique? Les physi- ciens du xixe siècle et Bergson lui-même dans son premier livre l'ont cru. Mais les découvertes révolutionnaires du xxe siècle ont mis en branle tout l'édifice de la physique classique, et ce n'est qu'à la lumière des faits nouveaux que la valeur des conceptions bergsoniennes peut être pleinement estimée. Il reste ainsi à mon- trer dans quelle mesure les tendances de la physique actuelle con- firment la thèse fondamentale de Bergson d'après laquelle Vexten-

1. Déjà dans V Essai. Bergson, en appliquant le principe des indiscernables, a affirmé non pas seulement que l'espace est un milieu homogène, mais aussi que tout milieu homogène est un espace (Essai, p. 73). Mais, dans cette période, Hergson croyait encore en l'existence physique de l'espace instantané (p. 81). C'est ce que Matière et Mémoire a explicitement nié en établissant la distinc- tion entre l'espace statique et abstrait et l'étendue concrète.

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sion pure et l'espace statique n'est réalisée que d'une façon ap- proximative ; en d'autres termes, que l'espace instantané et géo- métrique n'est qu'une limite idéale et irréelle dont le monde phy- sique s'approche sans cependant l'atteindre. L'extension phy- sique, elle aussi, est une tension, c'est-à-dire un processus réel qui possède la structure générale de la durée sans perdre son caractère d'étendue concrète.

II La fin de la vision laplacienne

On peut dire sans exagération que le fameux passage si fréquem- ment cité de Laplace contient virtuellement toute la physique classique et surtout son caractère corpusculaire, cinétique et dé- terministe1. Malgré l'élimination des qualités secondes, cette con- ception classique possède encore un caractère imagé, étant au fond une vision, bien qu'une vision décolorée : on s'imagine visuel- lement l'espace homogène et euclidien dans lequel les minuscules solides se déplacent sans changer leurs figures et leurs masses ; à chaque instant, l'univers tout entier peut être représenté comme une configuration géante du nombre énorme des corpuscules per- manents ; ces configurations varient (c'est-à-dire les corpuscules se déplacent) et ces variations peuvent être suivies d'une façon continue dans l'espace et dans le temps, point par point et d'un instant à l'autre, de telle sorte qu'une certaine configuration ins- tantanée détermine nécessairement toutes les autres qui vont suivre. La somme totale des atomes et de leurs masses étant cons- tante, le changement n'existe que sur la surface et ne concerne que leurs relations mutuelles (les positions et les distances rela- tives) ; bien plus, il paraît être illusoire en vertu du fait que l'état futur de l'univers préexiste actuellement dans le présent, tandis que « ce que nous appelons l'écoulement du temps n'était que le

1. Laplace, Introduction à la théorie analytique des probabilités (Œuvres complètes, vol. VII, Paris, 1886, p. vi) : « Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'Analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux. »

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glissement continu de l'écran et la vision graduellement obtenue de ce qui attendait, globalement, dans l'éternité1 ». Le temps est devenu ainsi déjà chez d'Alembert une sorte de quatrième dimen- sion dans laquelle les événements futurs préexistent actuellement ; la physique est ainsi transformée d'après l'expression de Lagrange en géométrie à quatre dimensions2.

On aboutit ainsi au concept classique du continu spatio-tempo- rel à quatre dimensions qui, on le verra, n'a rien de commun avec l'espace-temps des relativistes pourvu que celui-ci soit bien com- pris et qu'il soit dégagé de tout ce que notre « subconscient eucli- dien » y ajoute. Dans l'espace-temps classique, toutes les notions fondamentales qui y sont présentes - la matière et la causalité, aussi bien que l'espace et le temps - sont liées d'une façon bien déterminée et le caractère de cette liaison peut être graphique- ment représenté par un modèle qui contient une dimension de moins3. Dans ce modèle à trois dimensions, l'espace euclidien est représenté par un plan vertical infini à deux dimensions, tandis que « la quatrième dimension du devenir » est symbolisée par une ligne horizontale perpendiculaire au plan. A vrai dire, il y a une infinité d'espaces instantanés successifs symbolisés par les plans parallèles, tous perpendiculaires à « l'axe temporel » ; chacun de ces espaces contient une configuration instantanée des éléments matériels qui constitue « l'état du monde à l'instant donné » ou, à mieux dire, une coupe instantanée à travers le « devenir », si on peut appeler de ce nom ce qui est déjà achevé, un « fait accompli ». On voit ainsi qu'un modèle de ce genre représente adéquatement toutes les notions classiques et leurs relations mutuelles : 1) le temps homogène et continu, c'est-à-dire une succession infiniment dense des instants infiniment minces ; 2) l'espace euclidien et ho- mogène dont la divisibilité à l'infini rend possible la localisation ponctuelle des particules matérielles et la continuité de leurs tra- jectoires ; 3) le devenir spatio-temporel représenté par une série continue d'espaces successifs et instantanés avec les configura- tions momentanées des corpuscules qui s'y trouvent et dont l'une est liée à l'autre par le lien rigide et intemporel de la nécessité ; 4) la permanence des corpuscules à travers le temps et l'espace ; ce

1. Durée et simultanéité, p. 82. 2. E. Meyerson, La déduction relativiste, p. 107. 3. H. Weyl, Die Philosophie der Mathematik und N aturwissenschaft, p. 65.

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ne sont que leurs positions et leurs vitesses qui varient et qui peuvent être suivies d'une manière continue dans tous les points et tous les instants de leurs trajectoires. De là se dégage la signifi- cation d'ensemble de cette vision : le déterminisme rigoureux en- tendu dans le sens de l'identité foncière des états prétendus suc- cessifs et de l'avenir qui, bien que caché à notre conscience aveu- glée, coexiste actuellement avec le présent et le passé. Qu'on sup- prime un des traits qu'on vient d'énumérer et on ébranle tout l'édifice de la physique classique. Sans la continuité, impossible de pratiquer dans le devenir des « coupes instantanées » à trois di- mensions ; par conséquent, impossible de parler de « l'état du monde à un instant donné » qui déterminerait les états à venir ; sans la continuité de l'espace et du temps, impossible de localiser les corpuscules et d'appliquer l'analyse infinitésimale à leurs tra- jectoires ; sans les trajectoires continues, impossible de parler de l'identité des particules dans les divers points de leurs orbites, et le concept même du corpuscule se dissout. Ainsi toute la concep- tion cinétique de l'univers est mise en question. Bref, l'édifice clas- sique de la physique laplacienne dépend de la cohésion et de la solidité de ses parties composantes ; sans elles, il perd son sens et sa justification.

C'est précisément ce que la physique nouvelle a trouvé. Tous les constituants de la vision laplacienne ont subi une transformation profonde. Ce qui apparaissait d'abord comme une crise transitoire et, plus tard, comme une impossibilité de l'interprétation concrète et mécanique de l'éther et des phénomènes subatomiques s'est montré finalement comme une transformation révolutionnaire qui atteint les habitudes intellectuelles les plus invétérées et les plus tenaces, non pas seulement du sens commun, mais aussi de l'ima- gination scientifique classique.

D'abord la notion d'espace. On a toujours espéré déceler le mou- vement absolu de la Terre, c'est-à-dire son mouvement par rap- port au milieu semi-matériel de l'éther à travers lequel les vibra- tions électromagnétiques se propagent. Malgré des difficultés crois- santes d'en concevoir un modèle mécanique satisfaisant, on a tou- jours cru qu'on pourrait lui attribuer du moins les propriétés ciné- matiques élémentaires. Cela veut dire que l'éther par son immo- bilité prétendue coïnciderait avec le repos absolu de l'espace new- tonien dont il serait pour ainsi dire une réalisation physique tan-

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gible. Malheureusement, ce repos absolu se montrait de plus en plus inaccessible aux physiciens pour s'évaporer finalement en un fantôme imaginaire. La théorie de la relativité restreinte inspirée par le résultat négatif de l'expérience de Michelson a prouvé d'une manière décisive l'impossibilité de système de référence absolu, donc de l'espace absolu, qui permettrait de discerner le mouvement absolu ou « réel » du mouvement relatif ou « apparent » et qui serait le support de la simultanéité objective des événements. Il n'y a pas d'espace conçu comme la juxtaposition simultanée de points ; admettre le contraire serait aussi admettre la simultanéité absolue ce qui est précisément exclu par la théorie einsteinienne ! En d'autres termes, le devenir spatio-temporel n'admet pas les cou- pures instantanées à trois dimensions, qui contiendraient les évé- nements simultanés ; ces coupures, qui, en mécanique classique, permettaient de séparer le temps de l'espace, n'ont aucun sens objectif dans la mécanique nouvelle pour laquelle, selon l'expres- sion d'Eddington, il n'y a pas d' « instants vastes comme le monde1 ». Si la physique classique imaginait la structure « strafiée » du devenir spatio-temporel, les couches successives étant les grou- pements d'états instantanés, il en est tout autrement en physique relativiste. Celle-ci, évidemment, ne persiste plus dans l'illusion héréditaire « qui présupfpose un instant présent défini pour lequel toute la matière est simultanément réelle2 ». On comprend alors la conclusion de Whitehead rejetant la notion de cet instant simul- tané pour toute la nature et rejoignant explicitement le refus de Bergson de considérer le devenir comme une succession de confi- gurations instantanées de la matière ou de l'éther. Cette impossibi- lité foncière d'isoler par une coupure soudaine l'ensemble des ins- tants simultanés ou, ce qui est la même chose, des points juxtapo- sés, dans la totalité du devenir, indique que, pour la physique nou- velle, l'espace et le temps s'enchevêtrent en une seule réalité indi- visible.

Il est bien évident que la fusion de ces deux notions s'opère

1. Eddington, La nature du monde physique, p. 60. 2. Ibid., p. 63 ; A. N. Whitehead, La science et le monde fnoderne, p. 159.

Sur ce point, Whitehead affirme explicitement son accord avec Bergson : « Cette localisation simple des configurations matérielles instantanées est ce contre quoi s'est élevé Bergson en ce qui concerne le temps et le fait d'y voir l'état fondamental de la nature concrète » (p. 73).

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M. CAPEK. - LA THÉORIE BERGSONIENNE DE LA MATIÈRE 39

plutôt en faveur du temps, et c'est pourquoi le terme « le temps- espace » ou « chronotope » est beaucoup plus adéquat que celui d' « espace-temps ». Mais le caractère de cette fusion est presque entièrement masqué par le prétendu scheme à quatre dimensions de Minkowski ou du moins par l'interprétation populaire qu'on en a donnée. On s'imaginait à tort que la signification de la notion du continu quadridimensionel consiste en une spatialisation du temps, de sorte que les événements futurs sont situés sur la qua- trième dimension du temps et que, par conséquent, ils n'arrivent pas ; « ils sont là, et nous les rencontrons en suivant notre ligne d'univers 1 ». M. Hermann Weyl affirme que « le monde existe sim- plement, il ne se développe pas » ; la succession est conçue par lui d'une façon toute laplacienne comme une illusion de la « cons- cience aveuglée 2 ». Il voit même dans la conception de Minkowski une confirmation de la théorie kantienne sur l'idéalité du temps. Silberstein est allé plus loin encore, car il voit un prédécesseur de la théorie de la relativité en H. G. Wells, dont le « voyageur dans le temps » se déplace le long de la « quatrième dimension » aussi bien que le long des trois autres dimensions spatiales ; ce person- nage fictif découvre le futur dans le même sens que Colomb a dé- couvert un continent qui préexistait à sa découverte3. Évidem- ment, la signification profonde de la fusion relativiste de l'espace et du temps a été singulièrement détournée grâce aux habitudes de spatialisation involontaire des physiciens. Cette interprétation fausse était justement critiquée surtout par Emile Meyerson4 et par Eddington5, qui ont montré que le temps relativiste, malgré sa connexion avec l'espace, n'a pas le même caractère que les autres dimensions spatiales, ce qui se manifeste par la nécessité

1. Eddington, Espace, temps et gravitation, trad. Rossignol, p. 59, 63. E. Meyerson, qui cite ce passage (La déduction relativiste, p. 100), le rapproche de l'opinion d'Einstein d'après laquelle « le devenir dans un espace tridimen- sionnel se transforme en un être dans un monde quadridimensionnel ». - II faut ajouter que Eddington a considérablement modifié ses vues et que, dans son livre La nature du monde physique, il a vigoureusement insisté sur la dis- tinction absolue entre le temps et l'espace, malgré leur union intime (p. 66-67) .

2. H. Weyl, Was ist Materie? 82, 87. 3. Cité par H. Bergson, Durée et Simultanéité, p. 223. 4. Meyerson, l. c. , ch. vu (Le temps). 5. Eddington, La nature du monde physique, p. 65. « La limite à la vitesse

des signaux est notre rempart contre le mélange meli-melo du passé et du futur dont on accuse quelquefois, à tort, la théorie d'Einstein ».

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de l'exprimer par des coordonnées imaginaires ; bien plus, on a montré que la dissymétrie du temps à l'égard de l'espace signifie son irréversibilité, et l'inaccessibilité du « futur absolu » reste pré- servée de sorte que, bien que « le passé absolu et le futur absolu ne soient pas séparés par le présent infiniment mince », ils ne peuvent pas être confondus grâce à la valeur finie de la vélocité des ondes électromagnétiques. Il n'y a pas de place ici pour les analyses dé- taillées ; disons seulement que c'est la vélocité finie de la lumière qui est la. clef pour la compréhension de la nature dynamique du

temps-espace. Substituons la valeur infinie à c dans les équations de Lorentz et la mécanique relativiste rejoint la mécanique new- tonienne1. La signification révolutionnaire de cette différence en apparence purement formelle a généralement échappé aux inter-

prètes de la théorie. On ne s'est pas rendu compte qua la méca- nique nouvelle, en éliminant Ja possibilité des vitesses supérieures à la vitesse des perturbations électromagnétiques et surtout des vitesses infinies, a virtuellement rejeté la notion même de l'espace instantané. Car de cette négation une conclusion d'importance capitale pour la philosophie de la nature se dégage : il n'y a pas dans la nature de vitesses infinies, c'est-à-dire d'interactions phy- siques dont toutes les phases existeraient simultanément, c'est-à-dire en dehors du temps ; il n'y a pas dans le monde réel de connexions

intemporelles qui joindraient les événements (ou plutôt les points) distants et simultanés ; il n'y a que des relations successives des interactions physiques concrètes et il est bien inutile d'étendre un espace passif et statique au-dessous des continuités tempo- relles qui sont seules réelles au sens vrai du mot. Il est évident

que cette conception est tout à fait contraire aux tendances de la

physique classique ; dans celle-ci, l'interaction physique était d'abord localisée dans l'espace qui, d'après la définition de New- ton, étant conçu comme absolument rigide dans sa structure, est in-

dépendant de son contenu physique. Par exemple, si on considère la lumière émise par Neptune et arrivant à la Terre, on s'imagine d'abord Neptune et la terre comme deux corps juxtaposés dans

l'espace statique et inerte ; la grandeur énorme de leur distance

1. A. d'Abro (Bergson ou Einstein, p. 304-305) souligne le fait que l'en- semble des événements simultanés dans le sens absolu et, classique du mot peut être conçu comme situé sur la ligne de l'univers d'un observateur se mou- vant avec une vitesse infinie ou instantanée.

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respective n'a qu'une importance secondaire, parce qu'elle ne change rien au caractère simultané de la distance. Le long de cette distance, c'est-à-dire le long de la ligne qui joint les positions simultanées de Neptune et de la Terre, on imagine les vibrations lumineuses qui se propagent d'un point à un autre. La continuité statique et simultanée de l'espace est remplie graduellement et après coup par la continuité successive de l'interaction physique. Il n'y a pas ce doublement de la relation concrète et causale par une. autre relation, intemporelle, géométrique et sous-jacente, dans la théorie de la relativité. Il est entièrement inexact de se représen- ter Neptune et la Terre comme deux objets coexistant dans l'espace instantané ; on sait que le moment présent sur la Terre correspond à un temps décalé de neuf heures sur Neptune et que la seule continuité réelle qui les joint n'est pas une distance géométrique et instantanée, mais la continuité concrète et temporelle des signaux lumineux et des actions gravifiques. De ce point de vue, on com- prend la tentative de Reichenbach de renverser le procédé habituel de notre pensée et de considérer la causalité comme un fait pri- maire par lequel la notion de la distance peut être définie1. C'était le même mobile qui a inspiré à Whitehead la pensée de formuler d'une manière nouvelle la loi de gravitation, la loi classique de Newton ayant été fondée sur la supposition tacite d'après laquelle on peut concevoir deux parcelles distantes de matière qui s'attirent comme localisées dans un espace instantané, ce qui permet de con- sidérer leur simultanéité comme absolue et leur distance comme ayant une signification unique 2.

On voit maintenant la justesse de l'anticipation bergsonienne qui, déjà en 1896, a considéré l'espace comme un simple scheme conceptuel de la divisibilité à l'infini qui ne s'applique qu'approxi- mativement au devenir du monde matériel. On comprend aussi pourquoi Bergson a tellement protesté contre la spatialisation du temps dans la conception de Minkowski et comment cette protes- tation était justifiée. Mais il semble que la méfiance profonde à l'égard de l'assimilation du temps à la quatrième dimension de l'espace a caché à Bergson la signification profonde et véritable de la théorie de la relativité. Il ne s'est pas rendu compte du fait

1. H. Reichenbach, Philosophie der Raum-Zeit Lehre, Berlin, 1928, p. 181. 2. A. N. Whitehead, La science et le monde modernei p. 164.

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que la fusion des deu* notions ne s'opère pas nécessairement en fa- veur de l'espace ; qu'au contraire les formules de Lorentz, bien in- terprétées, révèlent une opération en sens inverse et que la préten- due spatialisation du temps n'est en fait qu'une temporalisation de l'espace. Nous sommes ici en présence d'une contradiction étrange ; comment Bergson, qui, dans Matière et Mémoire, a considéré l'es- pace comme une « coupe instantanée » et, par conséquent, irréelle dans le devenir du monde matériel est-il arrivé en 1923 à défendre l'idée de « l'étendue indépendante du devenir1 »? A-t-il oublié les résultats de sa brillante analyse dans Y Évolution créatrice dans laquelle il a démonté « le mécanisme cinématographique de la pensée » dont le concept de l'espace instantané n'est qu'un pro- duit? Est-ce qu'il a oublié ses affirmations précédentes d'après les- quelles la matière ne coïncide jamais avec l'espace pur? Il est diffi- cile de le croire parce que, même dans Durée et Simultanéité, il a insisté sur le caractère fictif de l'instant. Il en a même tiré cette conclusion toute relativiste ; que dans le monde réel il n'y a que « la simultanéité des flux », jamais celle des instants2. Évidem- ment, il s'agit ici d'une certaine distraction de la pensée bergso- nienne qui n'est pas sans analogie avec telle autre qui concernait sa philosophie de l'histoire et de la religion3. Une distraction sans doute naturelle, surgie du fait que la méfiance à la lettre de la con- ception de Minkowski lui en a masqué le véritable esprit et la signi- fication profonde.

De là, certaines faiblesses du livre Durée et Simultanéité, bien

que l'attitude fondamentale de l'auteur soit favorable à l'égard des idées nouvelles : à la différence des autres critiques de la théorie de la relativité, comme par exemple de Driesch et de Maritain,

1. Matière et Mémoire, p. 150, 244 ; Durée et Simultanéité, p. 33. 2. Durée et Simultanéité, p. 68-69. 3. Je pense au contraste étrange entre sa critique de la « société close » et

de la « religion close » dans Les deux sources de la morale et de la religion, et son a adhésion morale » au catholicisme plusieurs années plus tard. Le catho- licisme romain étant fondé sur l'autorité et la tradition immuable, s'ap- proche-t-il vraiment de l'idéal de la « société ouverte » et de la « religion dynamique »? Mais il ne faut pas oublier que Bergson, malgré la pression prolongée et subtile de certains de ses visiteurs, n'a donné finalement au ca- tholicisme qu'une adhésion « morale » ; aussi que tous les livres où l'on peut trouver l'essence du bergsonisme, et sans lesquels la signification et l'origi- nalité des Deux sources de la morale et de la religion ne peuvent pas être comprises, sont à Y Index depuis le 1er juin 1914.

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Bergson ne prêche pas le retour déguisé aux conceptions surannées de Newton1.

1. Bergson dit lui-même : « En somme, il n'y a rien à changer à l'expression mathématique de la théorie de la relativité. Mais le physicien rendrait service à la philosophie en abandonnant certaines manières de parler qui induisent le philosophe en erreur et qui risquent de tromper le physicien lui-même sur la portée métaphysique de ses vues » (Durée et Simultanéité, p. 278-279). Contrai- rement à Driesch, Maritain et René Berthelot, Bergson accepte le fait de la vitesse invariante de la lumière, indépendante du mouvement de l'observa- teur, ce qui détruit la notion du système immobile privilégié. (« Mais il n'y a plus d'éther, plus de fixité absolue nulle part. » Ibid., p. 36). Mais il croit que la relativisa tio n du mouvement, au lieu de détruire le caractère absolu de la durée cosmique, au contraire l'affermit ; en d'autres termes, « qu'une récipro^ cité de déplacement est la manifestation à nos yeux d'un changement interne et absolu, se produisant quelque part dans l'espace » (p. 38). C'est pour cette seule raison que Bergson a évoqué la boutade de Morus contre Descartes dans Matière et Mémoire aussi bien que dans Durée et Simultanéité en soulignant le caractère absolu de la mobilité ou du changement opposé à la relativité foncière des déplacements spatiaux. M. d'Abro, égaré probablement par le fait que Bergson employait les expressions « changement », « mobilité » et « mouve- ment » sans discrimination, a conclu avec une indignation tout à fait natu- relle que le livre Durée et Simultanéité défend la notion newtonienne de l'espace absolu. Une lecture attentive de Matière et Mémoire ou du moins du chapitre quatrième de ce livre lui aurait probablement épargné un pareil malentendu. En effet, l'affirmation du caractère absolu de la durée est chez Bergson étroi- tement liée à la négation du caractère absolu de l'espace (Matière et Mémoire, p. 213-218; Durée et Simultanéité, p. 35-48). Ce caractère absolu du change- ment trouve son expression dans l'invariance des temps locaux ou des « temps propres » dont l'égalité dans tous les systèmes de référence ne peut pas être niée même par M. d'Abro (Bergson ou Einstein, p. 138). La pluralité des temps, c'est-à-dire leur allongement, aussi bien que la dislocation de la simultanéité et la contraction des longueurs, est d'après Bergson un effet de la perspective changeante qui est appelée par lui, d'un terme très approprié, « la perspective de vitesse ». Sur ce point, il y a une coïncidence remarquable entre la vue de Bergson et celle de Whitehead. Celui-ci aussi a établi une distinction entre « l'avance créatrice de la nature » et la pluralité des temps sériaux, ceux-ci n'étant qu'autant de perspectives spatio-temporelles du même « passage de la nature ». Rien d'étonnant que les deux penseurs soulignent également la com- munauté de leurs vues sur ce point (The Concepì of Nature, p. 54, 178 ; Durée et Simultanéité, p. 83).

Beaucoup plus discutable est l'opinion de Bergson d'après laquelle l'allonge- ment de la durée et la dislocation de la simultanéité de» événements distants est tout idéal et résulte du dédoublement imaginé de l'obâervateur réel. M. d'Abro a raison en insistant sur le caractère réel et physique de toutes les perspectives spatio-temporelles qui sont des parties intégrantes de la réalité : l'allongement des durées et la dislocation de la simultanéité des événements distants sont aussi réels et, en principe du moins, aussi observables et percep- tibles que l'accroissement de la masse de l'électron qui, elle aussi, résulte effec- tivement du mouvement relatif de l'observateur. Il a raison de dire que l'ex- périence de Fizeau confirme la dilatation de la durée du moins indirectement

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Une étude plus approfondie de la théorie de la relativité généra- lisée aurait apporté à Bergson une preuve de plus pour r affirmation que, dans la conception de Minkowski, il s'agit plutôt d'une dyna- misation et « temporalisation » de l'espace que d'une spatialisa- tion du temps K Cette théorie, en identifiant le champ de gravita- tion et, eo ipso, la matière même avec la courbure locale de l'espace, ou plutôt du temps-espace non-euclidien, a effacé la distinction classique et démocritienne entre l'espace et son contenu matériel. Il n'y a pas d'espace à la façon du cadre homogène, vide et indiffé- rent, et il n'y a pas de matière comme remplissage surajouté ; il n'y a que de l'espace ou plutôt du temps-espace hétérogène dont la courbure varie d'un point à un autre et d'un instant à un autre,

et que la découverte de rallongement de la période de vibration des atomes solaires ou stejlaires apporterait une vérification directe. Mais M. d'Abro va trop loin en mettant les durées propres des événements au même rang que les durées allongées par la « perspective de vitesse ». Pourquoi préférons-nous la durée propre de la vibration atomique tout en admettant qu'elle apparaît dilatée à un observateur se mouvant avec une vitesse considérable par rapport à lui? Pourquoi croyons-nous que la masse de l'électron mesurée par un obser- vateur associé avec lui représente quelque chose de plus essentiel que les effets de la même masse grossie par la perspective de vitesse? Bien que ce grossisse- ment de la masse soit observable et réel pour un observateur mobile, il reste, pour ainsi dire, en dehors de la nature intrinsèque du phénomène.

Sans doute lés hyperrelativistes, comme M. d'Abro, objecteront (l. c, p. 214) que les distinctions de ce genre sont contraires à l'esprit de la théorie d'Eins- tein. Si on attribue le caractère « plus réel » à la durée propre du phénomène ; on accepte en même temps un système privilégié qui est en repos par rapport à l'atome vibrant ; on glissera ainsi inévitablement dans la mécanique absolu- tiste de Newton. Mais cette conclusion est tout à fait injustifiée. Même le rela- tivist e ne doute pas qu'un observateur soit en repos par rapport à lui-même sans identifier ce repos relatif, mais indubitablement réel avec l'immobilité absolue de l'espace fictif newtonien. Ce rapport unique « d'être immobile par rapport à lui-même », qui n'est qu'une expression physique de la loi de contra- diction, a été justement reconnu par Bergson comme un élément absolutiste du relativisme; le caractère privilégié de la durée propre aussi bien que de la « masse en repos » de l'électron en découlent naturellement.

1. L'absence d'intérêt pour la théorie généralisée est probablement la plus sérieuse lacune du livre Durée et Simultanéité. Les erreurs de Bergson étaient de méconnaître la connexion étroite entre la théorie restreinte et la théorie généralisée ; de ne voir dans celle-ci qu'une continuation des tendances car- tésiennes à réduire la matière à l'espace géométrique, bien qu'Einstein l'ait remplacé par le chronotope dynamique ; de ne pas voir que le ralentissement des durées dans le champ de gravitation n'est pas réciproque ; de ne pas voir que son refus de reconnaître les divers rythmes de la durée demandés par la théorie einsteinienne de la gravitation est contraire à l'esprit de Matière et Mémoire.

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produisant le phénomène du champ de gravitation et de ses chan- gements. La matière est, selon l'expression suggestive de Meyer- son, « résorbée » dans l'espace, c'est-à-dire géométrisée ; mais il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'une géométrisation tout à fait diffé- rente de celle proposée par Descartes et qu'il est également juste d'affirmer avec Eddington qu'il s'agit de la « géométrie mécani- sée1 ». Une chose est certaine : la structure rigide de l'espace, c'est-à-dire indépendante du temps, est explicitement abandonnée par la théorie de la relativité généralisée. Celle-ci, au contraire, accentue la temporalisation de Vespace, ce qui, d'ailleurs, était vir- tuellement présent déjà dans la théorie restreinte. Bien que la ten- tative de M. Weyl d'étendre cette géométrisation de la matière aux phénomènes électromagnétiques et d'expliquer l'existence même des électrons par la structure lacunaire du contenu non euclidien n'eût pas le même succès, il est impossible de se tromper mainte- nant sur la tendance de la physique nouvelle vers l'effacement de la distinction entre le temps-espace et son contenu matériel, entre le devenir et la substance. La prépondérance du temps dans sa fusion avec l'espace est encore plus évidente dans les théories de Lemaître et de Sitter sur « l'univers en expansion » : on suppose que même « le rayon de courbure » de l'espace fini non euclidien varie. Est-ce qu'on peut imaginer incorporation plus radicale de l'espace dans le devenir? Qu'est-ce qui reste donc dans une conception pa- reille de l'idée ancienne de l'espace conçu comme « une juxtaposi- tion simultanée des points »? Rien que le mot.

Mais, d'un autre côté, en créant la notion nouvelle du temps- espace, nous modifions aussi sensiblement le concept classique du temps. La distinction entre le temps-espace et son remplissage concret étant effacée, la frontière nette entre le temps et le devenir disparaît. Le temps aussi bien que l'espace perd son caractère de cadre vide et homogène et se confond avec son contenu, c'est-à-dire avec les événements concrets. Il devient même hétérogène dans le sens que ses mesures dépendent de l'intensité du champ de gravi- tation ; de là la possibilité de rythmes temporels qui, tout en étant contemporains, restent différents. Déjà en 1896 Bergson a montré dans Matière et Mémoire que la différence des rythmes temporels

1. E. Meyerson, La déduction relativ iste, p. 135 ; Eddington, La nature du monde physique, p. 146.

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est parfaitement compatible avec l'irréversibilité du devenir1. D'après Whitehead, qui, sur ce point, souligne son accord avec Bergson, les diverses séries temporelles ne sont que les aspects différents et complémentaires d'une seule « avance créatrice de la nature2 ». C'est le seul sens qu'on puisse à bon droit donner à la notion bergsonienne du « Temps réel et universel », si on la dégage d'une inconséquence sérieuse, c'est-à-dire de la croyance erro- née en la simultanéité absolue. Celle-ci, inutile de le répéter, est contraire non seulement à l'esprit, mais même à la lettre du berg- sonisme.

Un seul trait classique de l'espace et du temps est resté intact dans la théorie de la relativité : celui de leur continuité mathéma- tique. Le temps-espace einsteinien est fait de points-instants ; en d'autres termes, on ne met pas en question sa divisibilité infinie. On a même essayé de faire de l'idée de coïncidence précise des évé- nements ponctuels une des notions indispensables de la théorie. D'ailleurs, c'était tout à fait naturel ; la théorie de la relativité était une théorie macroscopique et entre les faits qu'elle a essayé d'expli- quer on n'a pas rencontré ceux qui menaçaient directement le con- cept de la continuité mathématique. N'oublions pas, cependant, qu'il y avait là pour ainsi dire une menace virtuelle : si les cou- pures instantanées dans le temps-espace n'ont aucun sens objectif ; ou si, en parlant avec Eddington, il n'y a pas d' « instant vaste comme le monde », ou si, selon l'expression de Whitehead, l'état de la nature à l'instant donné n'est qu'une fiction irréelle, la notion de la continuité mathématique et la notion de l'instant (car celle-ci n'est qu'une autre expression de celle-là) ne deviennent-elles pas douteuses? Les doutes de ce genre s'accentuent encore si nous con- sidérons dans le monde atomique les phénomènes quantiques aux- quels le concept de la continuité spatio-temporelle est manifeste- ment inapplicable. Inutile de rappeler les faits bien connus de quantification des orbites planétaires, de quantification de l'éner- gie rayonnante et, finalement, la quantification de l'énergie in-

1. S. Zawirski a justement remarqué que l'opposition de Bergson dans son livre Durée et Simultanéité à la notion de la pluralité des rythmes temporels postulés par la théorie einsteinienne de la gravitation est contraire à l'esprit de Matière et Mémoire (Évolution de la notion du temps, p. 305-306).

2. Voir, p. 59, la note 1 ; aussi La science et le monde moderne, p. 167 : « II n'est pas nécessaire que le processus temporel, dans ce sens, soit constitué par une seule série de successions linéaires. »

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terne de la matière par laquelle on est arrivé à la conception sur- prenante du caractère « vibratoire » ou ondulatoire des particules ultimes matérielles sans la possibilité d'ailleurs de donner une image cohérente de ce dualisme étrange. Depuis le temps de Niels Bohr, il était de plus en plus clair qu'on ne pouvait suivre d'une façon continue les passages des électrons d'une orbite à l'autre et même sur une seule orbite ; finalement, on a abouti à l'impossibi- lité radicale de la localisation précise, exprimée dans le principe d'indétermination. Ainsi le concept de « coïncidence », si chère encore aux relativistes, est devenu flou et les tentatives d'intro- duire une sorte d'espace « cellulaire » et de temps « atomique »

(chronon) sont bien significatives à cet égard. On comprend alors la conclusion de Louis de Broglie d'après laquelle les théories nou- velles ont introduit « la discontinuité du devenir » et que, par con- séquent, l'idée de la continuité du temps est une illusion, « le temps macroscopique continu n'étant que le résultat d'une sorte de moyenne sur un nombre immense de phénomènes élémentaires essentiellement discontinus1 ».

On voit que la transformation profonde de nos idées habituelles sur l'espace et le temps atteint aussi le concept classique de la matière, ce qui est d'autant plus naturel si on se rappelle que, d'après la théorie de la relativité, on ne reconnaît plus la distinc- tion tranchée entre elle et le devenir spatio-temporel. La dissolu-

1. Louis de Broglie, L'espace et le temps dans la physique quantique, R. M. M., 1949, p. 115, 117. Sur la révision de la notion relativiste de la coïn- cidence spatio-temporelle par la théorie de quanta, S. Zawirski, L'évolution de la notion du temps, p. 195 sq. Le même auteur nous avertit (p. 331) que la négation bergsonienne de la continuité mathématique du temps ne signifie pas « l'atomisme de la durée », conçue comme une succession de segments au lieu d'une succession de points-instants. L'indivisibilité dynamique de l'évé- nement temporel est tout à fait différente de l'insécabilité de l'atome rigide ; tandis que la première tient à son caractère passager et unique (on ne peut subdiviser le processus temporel qu'en rétrospective), la seconde résulte de la permanence statique du corpuscule. On peut encore employer le mot « atome » temporel seulement si on se met en garde contre toutes les associations vi- suelles et tactiles qui s'y joignent ; c'est bien le cas de Whitehead, qui parle de la « temporalisation atomique » (La science et le monde moderne, p. 170). - D'autre part, M. Lovejoy, tout en rejetant l'idée du temps purement ob- jectif et uniforme, a été évidemment fourvoyé par une autre image spatiale en regardant le temps comme une succession de moments contigus et discrets (The Problem of Time in Recent French Philosophy, Phil. Reu., XXI, 1912, p. 533).

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tion de la matière dans la modification locale non euclidienne du temps-espace montre comment l'étoffe primordiale de Démocrite et de Lucrèce qui possédait les « qualités primaires » est déconcrétisée par la physique moderne. La loi de la conservation de la masse et celle de l'énergie cessent d'être valables comme des lois séparées ; c'est seulement en identifiant la masse avec l'énergie que nous pouvons sauver le trait traditionnel de la permanence de la ma- tière qui paraît si claire, si intuitive et si évidente pour la phy- sique classique. Mais, en associant la notion de la masse avec celle de l'énergie, nous l'attribuons à toute forme de l'énergie et nous la dépouillons ainsi de son caractère imagé primitif. Comment conce- voir d'une manière intuitive, par exemple, l'accroissement de la masse avec la vitesse qui est une des conséquences expérimentale- ment vérifiées de l'équation fondamentale E = me2? Comment s'imaginer la masse du photon, c'est-à-dire d'une particule qui n'a pas de position précise, qui n'existe qu'en mouvement et disparaît complètement à l'intérieur de l'atome, bien qu'elle y laisse des effets énergétiques? En particulier, comment réconcilier son pré- tendu caractère corpusculaire avec son caractère vibratoire? Car on se méprend complètement sur la signification de la théorie des quantas, si on la considère comme un simple retour à la théorie cor- pusculaire ifewtonienne. On est alors en présence d'un phénomène bien étrange : tandis que notre esprit est capable par des procédés abstraits d'arriver à l'identification de la masse avec l'énergie, notre imagination obstinément refuse de le suivre.

L'évolution de la notion du corpuscule est de la même nature. Comment s'en étonner si elle est fondée sur la distinction du plein et du vide qui est définitivement abolie par la théorie d'Einstein? Les corpuscules élémentaires, les électrons, et a fortiori les photons, perdent de plus en plus le caractère de minuscules solides sem- blables aux corps macroscopiques. La masse de l'électron a cessé d'être constante et elle est devenue une fonction de la vitesse, ce qui a montré sa connexion étroite avec le milieu électromagnétique environnant. Ce fait était pressenti déjà par la physique classique et surtout par Faraday, qui a affirmé que, à proprement parler, l'atome est présent partout où son action physique s'étend ; ou par William Thomson, qui a conçu l'atome comme une formation gy- rostatique à l'intérieur de l'éther ; H. Weyl a exprimé la même idée d'une façon plus abstraite et sans modèles mécaniques naïfs quand

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il a essayé d'expliquer le phénomène de 1' « impénétrabilité » de l'électron par une structure lacunaire du continu non euclidien1. En s'appuyant sur les vues de Faraday et Thomson, mais en même temps en rejetant leurs modèles mécaniques et visuels, Bergson a insisté déjà en 1896 sur le fait que « toute division de la matière en corps indépendants aux contours absolument déterminés est une division artificielle2 », une division qui n'est qu'un résultat du caractère sélectif de notre perception. La distinction établie par notre perception spontanée entre la chose bien délimitée et des actions qui en sortent et se propagent à travers l'espace est pure- ment pratique et utilitaire ; cependant, elle est retenue par la phy- sique classique qui n'est, selon l'expression de Whitehead, que « le sens commun organisé ». La substantialité des corpuscules s'es- tompe ainsi dans l'interaction universelle : « (les physiciens) nous montrent, cheminant à travers l'étendue concrète, des modifica- tions, des perturbations, des changements de tension ou à! énergie et rien autre chose 8 ». Ce caractère anticorpusculaire et même anti- substantialiste de la physique est encore plus accusé aujourd'hui; en montrant la transformation corpusculaire des électrons en éner- gie rayonnante et le processus inverse, les faits de dématérialisa- tion et de matérialisation des électrons démontrent d'une façon plus expressive encore qu'il ne s'agit pas de corpuscules rigides et permanents de la physique classique4. On ne peut même plus parler de leurs positions précises et de leurs vitesses bien définies en raison du principe d'indétermination de Heisenberg qui, on le verra, au lieu d'être un résultat de notre limitation technique et

purement humaine qui isole tous les antécédents du phénomène, n'est qu'une manifestation de l'indétermination objective du réel

1. H. Weyl, Was ist Materie? p. 57 sq. 2. Matière et Mémoire, p. 218. 3. Ibid., p. 224. 4. Ces phénomènes, d'ailleurs, sont moins exceptionnels qu'on n'a d'abord

supposé. D'après M. Niels Bohr, il est impossible de concevoir les électrons à l'intérieur des noyaux atomiques comme possédant une existence indépen- dante. « L'expulsion des électrons positifs et négatifs dans les processus radioactifs doit donc être considérée comme une création de ces particules lors du processus même d'expulsion d'une manière analogue à l'émission d'un photon par atome » (N. Bohr, Quantum d'action et noyaux atomiques, p. 12). Rappelons aussi l'idée de M. Bialobrzeski d'après lequel les particules n'existent à l'intérieur de l'atome et surtout dans les noyaux, en acte, mais « en puissance, au sens aristotélicien du mot » (C. Bialobrzeski, Sur V interprétation concrète de la mécanique quantique, fì. M. M., 1934, p. 97-98.

tome cxr.m. - 1953 4

4 *

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microphysique. On comprend ainsi pourquoi M. Louis de Broglie conclut que « l'hypothèse physique tend à se réduire à cette simple affirmation arithmétique : le nombre des particules élémentaires d'une espèce déterminée, qui peut êtr( variable, est toujours entier1 ». Mais, s'il on est ainsi, pourquoi employer encore le terme « corpuscule » qui est tellement chargé d'associations inadéquates? Si, comme M. de Broglie y a justement insisté, on a formé le con- cept du corpuscule en s'appuyant d'abord sur l'image grossière d'un grain de sable ou d'une spherule de plomb en la dégageant des qualités secondes 2, n'est-il pas vrai que la seule chose que la phy- sique classique a retenue de cette image était un résidu tout à fait schématique appelé « le point matériel », c'est-à-dire une association de la vitesse avec une certaine position? Enfin, si on admet aujourd'hui avec la majorité des physiciens « qu'on ne peut jamais découvrir l'association d'une position exacte avec une quantité de mouvement exacte parce que pareille chose n'existe pas dans la nature 3 », n'aboutit-on pas à une négation radicale de la réalité des corpuscules? Et ne peut-on pas plutôt interpréter l'individualité des « particules » comme une individualité des événements, en évi- tant ainsi les contradictions du langage corpusculaire, donc ma- croscopique?

C'est ce qui est suggéré par la mécanique ondulatoire qui cons- titue une synthèse magnifique, bien qu'encore non complète, de la théorie de la relativité et de l'ancienne théorie des quantas. Hâtons-nous de dire que les premiers espoirs de Schrödinger de concevoir « les ondes matérielles » de la théorie nouvelle comme des vibrations concrètes du milieu semi-matériel d'un « sub-éther » hypothétique sont aujourd'hui entièrement abandonnés. On s'en doutait parce que la faillite des modèles hydrodynamiques de l'éther était encore plus complète et plus ancienne que celle des modèles corpusculaires de l'atome. Confirmant l'anticipation berg- sonienne que le changement n'a pas besoin de support, la micro- physique refuse de parler de vibrations de quelque chose, mais parle simplement d' « ondes de probabilité », c'est-à-dire d'événements purs, de changements n'impliquant pas des choses qui changent.

1. L. de Broglie, Continu et discontinu en physique moderne, p. 106. 2. L. de Broglie, /. c, p. 67. 3. Eddington, La nature du monde physique, p. 229.

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On comprendrait alors mieux la conclusion de M. Bachelard que, en ce qui concerne la nature de l'électron, « il y a des événements au fond même de son être l ». Ainsi les dernières traces de la con- ception lucrétienne de la nature disparaissent : l'identité des parti- cules et la continuité de leurs trajectoires qui ne sont qu'une exten- sion illégitime des concepts macroscopiques au monde des atomes et des photons. Évidemment, ce qui a été désigné par la physique classique comn^ « corpuscule » n'est autre chose qu'une perturba- tion souvent fugitive du milieu chronotopique ; de là la connexion étroite du « corpuscule » avec le milieu environnant ; de là aussi sa capacité de s'y dissoudre complètement. Il n'y a pas d'éléments permanents comme chez Lucrèce et Gassendi ; il n'y a même pas le liquide subtil de Descartes et de Huyghens remplissant tout l'espace ; bien plus encore, il ny a pas de V espace, du moins dans le sens newtonien ; il ne reste qu'une seule « chose », une continuité mouvante et étendue d'événements qui possèdent encore une cer- taine épaisseur temporelle et pour laquelle l'expression de White- head, « l'éther des événements », est relativement la plus adéquate 2.

Toutes les parties composantes de la vision laplacienne sont ainsi profondément et essentiellement transformées : les notions de l'espace, du temps, du mouvement et de la matière. Faut-il s'étonner que la signification même de cette vision, le détermi- nisme absolu classique, pour lequel l'avenir préexiste et le devenir n'existe qu'en apparence, est aujourd'hui moins sûre? Cette incer- titude s'exprime nettement dans le principe de Heisenberg, déjà mentionné. Il y a, il est vrai, des auteurs (MM. Brunschvicg, E. Le Roy, R. Berthelot, G. Matisse, D. Parodi, etc.) qui refusent « la réification » de l'indéterminisme en regardant la prétendue indé- termination comme l'impossibilité purement humaine de connaître toutes les conditions nécessaires pour la prédiction exacte de l'ave- nir. Cette impossibilité, d'après eux, est purement technique, étant au fond l'impossibilité d'éviter la perturbation du phénomène ob- servé par l'observation même ; ce qui n'entraîne pas la rupture du déterminisme parce que le déterminisme complet du phénomène, y compris le déterminisme de l'observation, reste intact3. Il est vrai

1. G. Bachelard, Le nouvel esprit ¿cientifique, p. 85-86. 2. The Concept of Nature, p 78 ; M Hier e et Mémoire, p. 219 : « Une continuité

mouvante nous est donnée où tout change et demeure à la fois. » 3. L. Brunschvicg, La Science tt la prise de conscience, Scientia, An-

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que la manière de s'exprimer de M. Heisenberg suggère facilement cette interprétation. Mais si nous regardons de plus près les autres phénomènes où l'intervention de l'observateur n'a aucun effet perturbateur, comme les explosions radioactives et l'émission lumi- neuse, nous sommes amenés à la conclusion que l' arrière-fond de la réalité microphysique consiste en événements spontanés et con- tingents, en vraies « variations élémentaires » dans le sens de Bou- troux, dont l'interaction mutuelle sommaire produit l'épiphéno- mène macroscopique de la causalité classique1. En supprimant toutes les composantes de la vision laplacienne, on en enlève son essence même ; la vision de Laplace n'est qu'une illusion résultant de l'extrapolation naturelle, mais injustifiable du point de vue épistémologique, de notre conception cinétique macroscopique. C'est cette liaison étroite du déterminisme rigide avec les concepts macroscopiques de l'espace, du temps, de la matière et du mouve- ment qui, aux yeux des physiciens les plus éminents, rend son retour si improbable. Rien d'étonnant d'ailleurs que l'abandon d'une illusion tellement invétérée et tellement chère aux philo- sophes rencontre des résistances presque émotionnelles même dans les esprits d'une honnêteté intellectuelle indiscutable ; M. Des- touches a bien reconnu les mobiles philosophiques que cache l'op- position à l'idée de l'indétermination objective des événements microphysiques2. Mais il faut se rendre compte du fait que cette

nus XXVIII, vol. LV (1934), p. 334; E. Le Roy, R. M. M., XLII (1S35), p. 345, 347 ; R. Berthelot, Bulletin de la Société française de Philosophie, 34e année, n° 5, p. 172-183 ; G. Matisse, Le mécanisme du déterminisme, Rev. ph., LU (1937), p. 190 ; D. Parodi, En quête d'une philosophie, p. 36. Ce qui est surprenant, c'est que même le bergsonien Edouard Le Roy considère « la reification » de l'indétermination quantique comme « insoutenable » (Ce que la microphysique apporte et suggère à la philosophie, R. M. M., vol. 42, p. 345-347).

1. P. Jordan, Die Erfahrungsgrundlagen der Quantentheorie (Naturwis- senschaften, XVII, 1929, p. 504 : « Der rein statistisch Charakter der radioakti- ven Substanzen ist experimentell gesichert ; mit der Schwergewicht einer em- pirischen Tatsache zwingt er uns zum Verzicht auf jede Hoffnung künftig ein- mal vorausbestimmende Ursachen fur das Zerfallen eines Atoms gerade zu einer Zeit aufzufinden »). Il conclut que les désintégrations radioactives sont des événements foncièrement statistiques et indéterminés (« grundsätzlich statistische, undeterminierte Ereignisse »). D'après Reichenbach (Atom und Kosmos, Berlin, 1930, p. 297), une limite objective est imposée à la prédiction de l'avenir dans ce sens que même l'intelligence omnisciente de Laplace serait incapable de la dépasser. « La nature n'est pas entièrement déterminée » (« Die Natur ist eben nicht restlos bestimmt »).

2. L. Desto t> ches, La physique moderne et la philosophie (Actualités seien-

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opposition philosophique n'est au fond qu'une résistance psycho- logique déguisée ; ce n'est pas seulement toute notre expérience individuelle, mais aussi tout notre héritage phylogénétique qui s'y oppose. Les influences du milieu macroscopique agissant pendant les périodes géologiques ont mis leur empreinte presque ineffaçable sur l'esprit de l'homme. M. Bachelard n'exagère pas quand il affirme qu'une transformation aussi radicale des notions habituelles que le développement récent de la physique exige de nous serait une vraie mutation intellectuelle1 ; il faut seulement ajouter avec Berg- son qu'une transformation pareille ne peut s'opérer sans un effort énorme et souvent douloureux. Mais on peut faciliter cet effort en montrant comment le monde paradoxal des atomes et des photons rejoint naturellement cette zone macrophysique que notre intérêt biologique et la structure de notre corps ont découpée dans l'uni- vers pour la mettre en contact direct avec notre perception.

Il est facile de comprendre pourquoi le devenir spatiortemporel apparaissait continu dans le sens mathématique du mot même aux physiciens relativistes. Les pulsations élémentaires du monde mi- crophysique possèdent une durée tellement évanouissante par com- paraison avec les intervalles habituels de notre conscience que pratiquement elles peuvent être considérées comme instantanées. C'est pourquoi le temps-espace nous apparaît comme divisible à l'infini au niveau macroscopique et, ajoutons-le aussi, macrochro- nique. Si on accepte une perspective pratiquement justifiée, c'est-à- dire pour les vitesses comparablement petites par rapport à la vélocité de la lumière et aussi pour les petites distances, on peut scinder la totalité du dynamisme chronotopique en espace continu,

tifique et industrielles), p. 39-40, 45. L'auteur montre l'impossibilité foncière de concevoir l'hypothèse « d'une apparence d'indéterminisme dû aux rela- tions d'incertitude avec mécanique ponctuelle sous-jacente ». M. L. de Broglio a montré auparavant l'improbabilité extrême d'un retour éventuel au déter- minisme rigide parce que l'indétermination microphysique est un résultat iné- vitable de l'existence de l'action de Planck h. Celle-ci, à son tour, est irrécon- ciliablement opposée à l'idée de la continuité spatio-temporelle qui constitue le fond nécessaire du déterminisme cinétique de Laplace (La crise du détermi- nisme, in Matière et Lumière, p. 273-274 ; Réflexion sur V indéterminisme en physique quantique, in Continu et discontinu en physique moderne, p. 61-66). Dans un article plus récent, M. L. de Broglie a réfuté l'interprétation subjecti- viste de l'indétermination microphysique (Léon Brunschvicg et l'évolution des sciences, R. M. M., 1945, p. 73-77).

1. G. Bachelard. Le nouvel esprit scientifique, p. 178-179.

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indépendant de la durée, et en temps continu, tout à fait étranger à l'extension. En même temps, l'indétermination élémentaire, trop exiguë du point de vue microscopique, peut être considérée comme négligeable ; par conséquent, la matière s'insère avec une impréci- sion qui ne trouble pas nos calculs techniques dans les cadres du déterminisme rigide. Car, une fois en possession de l'espace continu et du temps continu, rien ne nous empêche de considérer tous les changements physiques comme infiniment divisibles, bien qu'ils consistent en réalité en pulsations fines ; leur continuité mathéma- tique n'est qu'apparente et masque leur individualité de la même façon que l'individualité apparente des gouttes d'eau disparaît dans la continuité toute spécieuse de leur écoulement. Avec la notion de la continuité spatio-temporelle des changements, nous introduisons aussi la possibilité d'appliquer les équations différen- tielles par lesquelles les états futurs sont liés aux états passés. Si par une approximation pareille nous formons le concept de corps isolé (en négligeant tous les liens ténus qui le joignent à la totalité de l'univers), et, par une idéalisation encore plus avancée, le con- cept de point matériel, nous possédons finalement toutes les parties constituantes de la vision laplacienne, y compris sa signification - c'est-à-dire le déterminisme rigoureux et une négation virtuelle du devenir. Cette conception cinétique et déterministe de l'univers est virtuellement présente dans le double travail de morcelage et de solidification qui caractérise notre perception spontanée ; nos organes sensoriels et, plus tard aussi notre pensée, ignorent toutes les relations déliées et complexes qui joignent chaque élément ma- tériel avec le reste du monde physique ; on aboutit ainsi au concept du vide séparant les corps. Mais en même temps la même percep- tion sensorielle néglige toute la complexité du prétendu « élément » et tous les changements réels qui, pour ainsi dire, le produisent ; alors on forme le concept du plein homogène, indifférent à la durée, toujours identique et sans structure interne. Mais une analyse plus profonde dissipe l'illusion : « Qu'est-ce que le « mobile » auquel notre œil attache le mouvement, comme à un véhicule? Simple- ment une tache colorée, dont nous savons bien qu'elle se réduit, en elle-même, à une série d'oscillations extrêmement rapides. Ce prétendu mouvement d'une chose n'est en réalité qu'un mouve- ment des mouvements1. « C'est ce que Bergson a écrit en 1911 ;

1. La Pensée et le Mouvant, p. 187.

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dans ce temps-là, le physicien aurait pu objecter qu'on pourrait considérer les vibrations lumineuses sous-jacentes comme des dé- placements périodiques de quelque chose, c'est-à-dire des parti- cules d'éther. Inutile de répéter qu'une hypothèse pareille est in- soutenable aujourd'hui ; inutile aussi de répéter ce qu'on a déjà dit sur la crise du concept de corpuscule et sa fusion paradoxale avec le concept d'onde. Une apparente immutabilité de l'atome n'est, en effet, qu'une immobilité de la qualité sensorielle du toucher qui persiste, bien que d'une façon atténuée, même dans la conception abstraite du « point matériel » ; mais on sait que l'immobilité appa- rente de toutes les qualités sensorielles condense un nombre ex- trêmement grand d'événements successifs ; par exemple, la plus simple et la plus fugace sensation du toucher cache une succession vertigineuse d'innombrables chocs moléculaires. « Percevoir signifie immobiliser1. » Par conséquent, on comprendra la conclusion de Bergson qui a rempli d'admiration justifiée M. Louis de Broglie :

Ainsi que nous le suggérons ci-dessus, on peut se demander si ce n'est précisément pour couler la matière dans ce déterminisme, pour obtenir, dans les phénomènes qui nous entourent, une régularité de succession nous permettant d'agir sur eux que notre perception s'arrête à un cer- tain degré particulier de condensation des événements élémentaires. Plus généralement, l'activité de l'être vivant s'adosserait à la nécessité qui vient servir de support aux choses, par une condensation de lei:r durée 2.

1. Matière et Mémoire, p. 232. 2. Louis de Broglie, Les conceptions de la physique contemporaine et íes

idées de Bergson sur le Temps et le Mouvement, R. M. M., 1941, p. 257. Le pas- sage cité est parmi les derniers qui ont été écrits par Bergson, De la position des problèmes (La Pensée et le Mouvant, p. 73, note). Cet essai a été terminé en 1922, mais les pages relatives aux théories physiques actuelles ont été ajoutées plus tard, certainement après la formation du principe d'incertitude. Mais ce serait une erreur profonde de croire que Bergson ait abouti à l'affirmation de l'indétermination microphysique seulement après les découvertes théoriques récentes. On peut trouver un passage presque identique à celui cité par M. L. de Broglie dans Matière et Mémoire, p. 248, et L'énergie spirituelle, p. 17. La conclusion du premier livre ne laisse pas d'ailleurs aucun doute sur la véritable pensée de Bergson :

« La nécessité absolue serait représentée par l'équivalence parfaite des mo- ments successifs de la durée les uns aux autres. En est-il ainsi de la durée de l'univers matériel? Chacun de ses moments pourrait-il se déduire mathémati- quement du précédent? Nous avons supposé dans ce travail pour la commodité de l 'étude qu'il en était bien ainsi ; et telle est, en effet, la distance entre le rythme de notre durée et celui de l'écoulement des choses que la contingence du cours de* la nature, si profondément étudiée par une philosophie récente,

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Comment ne pas rappeler l'idée profónde d'Eugène Guye que c'est l'échelle de grandeur qui crée le phénomène? Le déterminisme est essentiellement l'effet d'une perspective macroscopique et ma- crochronique; son règne au monde inorganique des dimensions moyennes est pratiquement absolu. Mais, bien qu'il soit commode et utile de considérer le réel physique comme rigoureusement déter- miné, il ne faut jamais confondre l'approximation pratique avec la structure intime du réel ; l'indétermination des événements mi- crophysiques reste un fait fondamental.

Nous revenons ainsi par un long détour à la théorie biologique de la connaissance sans laquelle, évidemment, une compréhension vraie et complète du bergsonisme est impossible. Mais, si le déter- minisme macroscopique reste intact, n'est-il pas vrai que les modi- fications de nos idées sur la structure intime de la matière sont dénuées de toute significado» pratique pour l'homme? L'homme étant un animal macroscopique, tout la réalité humaine et sociale continue à être dominée par les lois pratiquement inéluctables. Mais une pareille conclusion serait hâtive parce qu'elle ignore le fait le plus certain de la continuité et du passage graduel du réel microphysique à la réalité macrophysique, y compris l'organisme et le milieu humain. Déjà Emile Boutroux a remarqué qu'il y a des cas « où il suffit de variations insignifiantes et imperceptibles en elles-mêmes pour déterminer, en définitive, par une suite de contre- coups purement mécaniques, des résultats considérables x ». Berg- son a adopté cette vue dans son livre V Évolution créatrice où l'ac- tion psycho-physique est conçue comme une rupture explosive de

l'équilibre instable des complexes tissus organiques, déclenchée par une initiative presque infinitésimale. Il n'y a pas dé place ici pour une analyse plus détaillée ; disons seulement que l'échelle des

doit équivaloir pratiquement à la nécessité » (Matière et Mémoire, p. 277-278. Les italiques sont miennes). D'ailleurs, toute la logique de la durée exige impérieusement l'émergence de la nouveauté réelle partout où le processus temporel existe.

On voit que le résumé très exact de la position actuelle de la physique quan- tique contient plus qu'un « certain parfum de bergsonisme » dont la présence est admise par M. L. de Broglie ; il s'agit d'une anticipation précise et spéci- fique. Il est vrai que cette anticipation n'était ni isolée, ni la première : avant Bergson aussi, Peirce, Boutroux, Renouvier et Cournot l'ont annoncée. D'ail- leurs, Bergson lui-même s'en rend compte quand il se réfère à la « philosophie de la contingence ».

1. De la contingence des lois de la nature , p. 60-61.

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processus les plus fondamentaux de la vie organique comme de ceux qui se passent à l'intérieur des cellules et surtout à l'intérieur du noyau cellulaire s'approche de l'échelle microphysique et que la biologie, malgré quelques protestations indignées, ne pourra pas indéfiniment ignorer la révision du déterminisme physique. Une chose est certaine : affirmer que le monde matériel de la physique du xxe siècle est aussi imperméable à la nouveauté réelle que le monde rigide de Spinoza et Laplace serait un dogmatisme à ou- trance. Les nouveautés microphysiques existent au fond de toute matière, organique aussi bien qu'inorganique ; dans celle-ci, elles s'estompent par le jeu des moyennes dans un déterminisme ma- croscopique. Mais est-ce que nous sommes sûrs qu'il en soit ainsi aussi à l'intérieur des cellules cérébrales où les réactions macrosco- piques des corps animaux ont leur sources mystérieuses? N'est-il pas plutôt vrai qu'il y a entre la durée de la conscience et celle des choses « une telle différence de tension que d'innombrables ins- tants du monde matériel puissent tenir dans un instant unique de la vie consciente, de sorte que l'action voulue, accomplie par la conscience en un de ses moments, pourrait se répartir sur un nombre énorme de moments de la matière et sommer ainsi en elle les indéterminations quasi infinitésimales que chacun d'eux com- porte1 »? Il est possible que les mots de Leibniz d'après lesquels la relation du corps et de l'esprit doit être conçue en fonction du temps trouvent une signification nouvelle à la lumière des faits récents de la physique et de la psychologie 2. D'ailleurs, Matière et Mémoire représente l'effort le plus sérieux dans la direction indi- quée par Leibniz.

Conclusion

« Ainsi la manière dont se sont développées les idées de Bergson sur la physique peut contribuer à nous faire comprendre les incer- titudes de sa pensée comme les bizarreries de ses résultats3. » Tel

1. L'énergie spirituelle, p. 17. 2. « ... hic aperitur porta prosecuturo ad veram corporis mentisque dis-

criminationem hactenus a nemine explicatam. Omne enim corpus est mens momentanea sive carens recorda tione, quia donatum simul suum et alienum contrarium... non retinet ultra momentum : ergo caret memoria, caret sensu actionum passionumque suarum, caret cogitatione » (Theoria motis abstracti seu rationes motuum universales, a sensu et phaenomenis independentes) .

3. Un romantisme utilitaire, vol. II, p. 250.

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était le jugement final* de M. René Berthelot sur Bergson en 1913. Bergson lui-même en a indiqué les raisons et les motifs : «... mes vues sur la question, émises à l'époque où l'on considérait comme évident que les éléments ultimes de la matière doivent être conçus à l'image du tout, déroutèrent les lecteurs et furent le plus souvent laissées de côté comme étant la partie incompréhensible de mon œuvre1. » II est vrai que même aujourd'hui il y a des penseurs qui croient « que les éléments ultimes de la matière doivent être conçus à l'image du tout ». Mais cette attitude est invariablement associée avec l'attitude négative à l'égard des théories nouvelles de la rela- tivité, des quantas et de la mécanique ondulatoire. Ce que dit M. René Berthelot est très instructif à cet égard2. Celui-ci a été vé- ritablement choqué par la négation bergsonienne du temps ho- mogène et continu ; aujourd'hui, un physicien eminent comme M. Louis de Broglie parle de « la discontinuité du devenir », tandis que A. N. Whitehead affirme que certains paradoxes de la méca- nique ondulatoire disparaissent « si nous consentons à appliquer à la durée indifférenciée et apparemment constante de la matière les mêmes principes que ceux acceptés pour le son et la lumière... Si nous expliquons la permanence constante de la matière suivant le même principe, nous concevons chaque élément primordial comme un flux et reflux de l'énergie ou activité sous-jacente3 ». Évidemment, Whitehead accepte la théorie vibratoire de la matière qui est sur tous les points essentiels identique à celle de Matière et Mémoire. On sait que celle-ci définit la matérialité comme « une succession des événements élémentaires » possédant une durée

1. Lettre de Bergson à l'auteur de cet article, le 3 juillet 1938. 2. A la séance de la Société française de Philosophie du 17 novembre 1934,

M. René Berthelot a précisé ses vues sur les problèmes actuels de la physique. Selon lui, l'impossibilité d'établir la simultanéité des événements distants est purement technique, aussi bien que celle de découvrir la vitesse et la position précise de l'électron. Ce qui est inobservable aujourd'hui peut être observé demain (Bulletin de la Société française de Philosophie, 34e année, n° 5, octobre- décembre 1934, p. 172-183). Évidemment, Berthelot croit à l'existence de la simultanéité absolue et eo ipso à celle de l'espace absolu, aussi bien qu'il ne met pas en question la nature purement corpusculaire de l'électron possédant une localisation précise et une vitesse bien définie. Cela veut dire qu'il reste exclusivement sur le terrain de la physique newtonienne. Si les vingt années de l'évolution de la physique n'ont pas ébranlé son adhésion à la simplicité visuelle de la physique classique, comment s'étonner qu'il ait été tellement hostile à l'égard d'une anticipation isolée des tendances nouvelles?

3. La science et le monde moderne, p. 56 sq.

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M. CAPEE. - LA THÉORIE BERGSONIENNE DE LA MATIÈRE 59

presque évanouissante, c'est-à-dire des événements qui n'ont pas besoin d'un support statique substantiel et qui ne sont pas logés dans les milieux homogènes de l'espace inerte et du temps vide. Selon Whitehead aussi bien que selon Bergson, il n'y a que du deve- nir extensif différencié plutôt que divisé en événements ou pulsations élémentaires.

Évidemment, à présent, quand toutes les notions fondamentales de la physique ont été profondément transformées, on est en état de juger les idées de Bergson plus justement et avec moins d'indi- gnation qu'en 1913. Cependant, même aujourd'hui, l'essence de la philosophie bergsonienne - et ceci est surtout vrai de sa philoso- phie de la matière - restera toujours dans l'effort intellectuel, dans « le schéma dynamique » dépassant des liaisons automatisées et paresseuses de l'imagination spontanée. C'est pourquoi elle res- tera « pénible pour notre esprit » et « fatigante pour notre imagi- nation1 ». Philosopher consiste à invertir la direction habituelle de travail de la pensée2. C'est cette exigence presque morale de l'effort intellectuel que l'école néo-positiviste a essayé d'éliminer au nom du « principe d'économie ». Mais la science d'aujourd'hui l'exige plus impérieusement que jamais.

Milic Capek.

1. Matière et Mémoire, p. 231, 232. 2. La Pensée et le Mouvant, p. 241.

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nique par celui du charbon et du fer, la phase néotechnique par celui de l'électricité et des alliages. Signalons également d'intéressants déve- loppements sur le rôle du verre dans l'histoire de la civilisation (p. 118 et suiv.) ; sur le fait que, jusqu'au xvine siècle, on cherche à rendre la vie plus intense plutôt qu'à accroître la puissance (p. 138-139) ; sur ce fait aussi que la mécanisation du travail entraîna une déshumanisation de l'homme. Il y a là des idées qui peuvent paraître aujourd'hui banales, mais sur lesquelles il n'est pas inutile d'insister. Les trois périodes sont examinées d'une façon vivante, concrète et suggestive, mais parfois sommaire et simplifiée à l'excès ; à côté de formules heureuses, il en est qui nous déconcertent ; certains points de détail pourraient être contestés ou complétés, et l'exposé prend trop souvent une allure de vulgarisation journalistique.

La deuxième partie reprend avec vigueur et non sans justesse le procès des multiples inconvénients de la routine mécanique (voir notam- ment p. 242), de son matérialisme sans but, qui prend les moyens pour des fins et méconnaît les seules vraies richesses humaines ; elle indique les possibilités de retour à l'humain qu'offrent les nouvelles formes de la technique. Ceci encore ne saurait être trop souvent répété1.

Le volume est suivi d'une bibliographie critique, abondante et sou- vent utile, mais à laquelle devraient être ajoutés les noms et les œuvres de Marc Bloch, Daniel Faucher, Forbes, Fourastié, Georges Friedmann, Lefebvre des Noëttes, Leroi-Gourhan, etc. Ici encore, certaines formules surprennent - notamment celles qui concernent Descartes et Végèce.

Quant à la traduction, elle est trop rapide et les fautes sont par trop nombreuses. Il est des phrases strictement inintelligibles ; il est d'étranges contresens : p. 317, une note du traducteur nous révèle que c'est le mot téléologique qu'il traduit par « éloigné de la logique » ! p. 378, on lit : 1575 - Opéra de Héro (traduction). S'agit-il donc déjà d'un opéra sur les malheurs de Héro et Léandre? Non évidemment. Il s'agit d'une traduction des œuvres de Héron d'Alexandrie ! - Ces quelques exemples pris au hasard entre des quantités d'autres suffisent à montrer qu'une revision très attentive s'impose.

Pierre-Maxime Schuhl.

1. Dans une lettre publiée dans le New-York Herald Tribune du 16 juillet 1949 (édition de Paris, 4), l'auteur avait montré avec force les graves objec- tions morales que soulève l'emploi de l'arme atomique (Moral Implications of Atomic War).

Errata au numéro de Janvier-Mars 1953

Page 41, ligne 12, «au lieu de « le moment présent sur la Terre correspond à un temps décalé de neuf heures sur Neptune », lire « le moment présent sur la Terre correspond au moment déjà passé depuis quatre heures sur Neptune ».

P. '*5. 1. 14, au lieu de « contenu non euclidien », lire « continu non euclidien ». P. 54, 1. 3, au lieu de « du point de vue microphysique », lire « du point de

vue macrophysique ».

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