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27 Revue québécoise de psychologie, vol. 20, n° 3, 199 9 LA TRANSCENDANCE DE SOI : UNE TENTATIVE DE DÉFINITION Suzanne HAMEL 1, 2 Richard LEFRANÇOIS Institut universitaire de gérontologie Institut universitaire de gérontologie et gériatrie de Sherbrooke et gériatrie de Sherbrooke Gilbert LECLERC Institut universitaire de gérontologie et gériatrie de Sherbrooke Résumé Cet article est le compte rendu d’une recherche empirique visant à clarifier le concept de transcendance de soi. Les objectifs sont les suivants : (a) spécifier les étapes qui ont mené à une définition de la transcendance de soi, (b) définir les quatre composantes du concept, (c) identifier un certain nombre de manifestations de la transcendance de soi en termes d’attitudes et de comportements. Une analyse de la documentation centrée sur l’approche transpersonnelle et la notion de transcendance a été réalisée et a mené à la sélection de trois auteurs (Assagioli, Maslow et Frankl) pour fonder le construit. Quatre composantes interdépendantes se sont révélées intrinsèques à l’actualisation transcendante : la Perception en profondeur, la Perception globale, la Présence en soi et le Dépassement de soi. Par la suite, une recherche empirique, portant sur le besoin de transcendance chez des étudiants universitaires en psychologie, a permis d’explorer ces composantes. Mots clés : transcendance de soi, transpersonnel, actualisation, dimension spirituelle Bien que présent dans la psychologie d’aujourd’hui, le concept de transcendance de soi a été peu étudié de façon empirique. L’approche scientifique, telle que préconisée dans de nombreux champs d’investigation en psychologie, se prête mal à la définition et à la mesure de ce concept. Noble (1987) attribue cette limite en recherche à l’incompatibilité de la méthode expérimentale dans l’étude du phénomène de la transcendance, à la difficulté que pose ce concept au plan de l’interprétation et à son caractère ineffable. Par contre, le concept de 1. Pour contacter les auteurs : Institut universitaire gériatrie de Sherbrooke, Pavillon d’Youville, 1036, rue Belvédère Sud, Sherbrooke (Québec), J1H 4C4. 2. Suzanne Hamel tient à remercier chaleureusement M. Charles E. Caouette pour son accompagnement dans la réflexion et la réalisation de cette étude.

LA TRANSCENDANCE DE SOI - RIM-Archivesrimarchives.com/DIVERS/Transcendance_de_Soi.pdf · 27 Revue québécoise de psychologie, vol. 20, n° 3, 1999 LA TRANSCENDANCE DE SOI : UNE TENTATIVE

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Revue québécoise de psychologie, vol. 20, n° 3, 199 9 LA TRANSCENDANCE DE SOI : UNE TENTATIVE DE DÉFINITION Suzanne HAMEL1, 2 Richard LEFRANÇOIS Institut universitaire de gérontologie Institut universitaire de gérontologie et gériatrie de Sherbrooke et gériatrie de Sherbrooke Gilbert LECLERC Institut universitaire de gérontologie et gériatrie de Sherbrooke

Résumé

Cet article est le compte rendu d’une recherche empirique visant à clarifier le concept de transcendance de soi. Les objectifs sont les suivants : (a) spécifier les étapes qui ont mené à une définition de la transcendance de soi, (b) définir les quatre composantes du concept, (c) identifier un certain nombre de manifestations de la transcendance de soi en termes d’attitudes et de comportements. Une analyse de la documentation centrée sur l’approche transpersonnelle et la notion de transcendance a été réalisée et a mené à la sélection de trois auteurs (Assagioli, Maslow et Frankl) pour fonder le construit. Quatre composantes interdépendantes se sont révélées intrinsèques à l’actualisation transcendante : la Perception en profondeur, la Perception globale, la Présence en soi et le Dépassement de soi. Par la suite, une recherche empirique, portant sur le besoin de transcendance chez des étudiants universitaires en psychologie, a permis d’explorer ces composantes.

Mots clés : transcendance de soi, transpersonnel, actualisation, dimension spirituelle

Bien que présent dans la psychologie d’aujourd’hui, le concept de

transcendance de soi a été peu étudié de façon empirique. L’approche scientifique, telle que préconisée dans de nombreux champs d’investigation en psychologie, se prête mal à la définition et à la mesure de ce concept. Noble (1987) attribue cette limite en recherche à l’incompatibilité de la méthode expérimentale dans l’étude du phénomène de la transcendance, à la difficulté que pose ce concept au plan de l’interprétation et à son caractère ineffable. Par contre, le concept de

1. Pour contacter les auteurs : Institut universitaire gériatrie de Sherbrooke, Pavillon

d’Youville, 1036, rue Belvédère Sud, Sherbrooke (Québec), J1H 4C4. 2. Suzanne Hamel tient à remercier chaleureusement M. Charles E. Caouette pour son

accompagnement dans la réflexion et la réalisation de cette étude.

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transcendance a fait l’objet de réflexions et d’observations préempiriques de plusieurs auteurs tant en psychologie qu’en philosophie (Assagioli, 1965/1991, 1973/1987, 1988/1994; Davy, 1974; Dürckheim, 1987, 1991; Frankl, 1966, 1988; Jung, 1953/1976; Maslow, 1968/1993, 1971/1993; Tart, 1975; Walsh et Vaughan, 1984, 1993; Wilber, 1980).

Le présent article vise à clarifier le concept de transcendance de soi.

Le contexte théorique rapporte les principales théories et quelques recherches en lien avec ce construit issu de l’approche transpersonnelle en psychologie. Suivent des informations relatives à la démarche méthodologique adoptée, d’une part, pour identifier des indicateurs du concept de transcendance de soi et, d’autre part, pour classer, catégoriser et valider le construit. La section « Résultats » de cette étude met en évidence une définition de la transcendance de soi, les quatre composantes fondamentales de ce concept, les sous-unités qui les soutiennent, ainsi que des exemples de manifestations de la transcendance de soi en termes d’attitudes et de comportements. Finalement, la discussion apporte une critique des aspects théoriques et méthodologiques de l’étude. CONTEXTE THÉORIQUE Théories

Jung est considéré comme le premier auteur en Occident à avoir introduit, dans le domaine de la psychologie, la notion de spiritualité et à avoir utilisé le terme « transpersonnel » en 1917 (Frager, cité dans Valle et Halling, 1989), attirant ainsi l’attention sur la dimension transcendante de la psyché humaine. Toutefois, le concept de transcendance de soi a été initialement défini par Maslow (1968/1993, 1971/1993). Selon lui, « la transcendance réfère aux niveaux les plus élevés et englobants de la conscience humaine, amenant à traiter et à considérer comme fins plutôt que comme moyens, soi-même, ses proches, les êtres humains en général, les autres espèces, la nature et le cosmos » (Maslow, 1971/1993, p. 269)1. Après avoir établi une hiérarchie des besoins, dont les uns concernent la survie (physiologique, sécurité) et les autres l’épanouissement personnel (appartenance, estime, actualisation), Maslow (1954) a observé chez des personnes actualisées l’apparition d’un besoin de croissance qui dépasse les préoccupations égocentriques : le besoin de transcendance.

La transcendance peut être vécue à deux niveaux : personnel et transpersonnel (Assagioli, 1965/1991; Maslow, 1971/1993; Wilber, 1980). Au niveau personnel, la transcendance est synonyme de développement. Elle désigne alors l’intégration et le dépassement d’une étape ou d’un état présent dont le but est l’épanouissement de la personnalité. Au niveau

1. Traduction libre.

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transpersonnel, la transcendance signifie l’élargissement de la conscience perceptive et intentionnelle ainsi que la réalisation de motivations d’ordre spirituel. Le but de cette forme de transcendance est l’intégration et le dépassement de la simple individualité. À ce niveau, la personne est nécessairement en lien avec une dimension se manifestant en elle-même qui intègre et dépasse ses opinions et ses affects personnels. Les auteurs appellent cette dimension le centre de l’Être (Dürckheim, 1992; Maslow, 1968/1993), le Soi (Assagioli, 1965/1991; Jung, cité dans Baudouin, 1963/1993), la Réalité, l’Atma (Desjardins, 1972), l’Intuition spirituelle (Vaughan, 1984), l’Esprit (Assagioli, 1988/1994; Wilber, 1980), Dieu (Oser, Gmünder et Ridez, 1991).

La transcendance de soi, abordée dans son sens transpersonnel,

nécessite une transformation de la conscience dite ordinaire en une conscience non ordinaire (Valle et Halling, 1989). Tart (1987) rappelle la distinction faite par Gurdjieff concernant les états de conscience. La conscience ordinaire est constituée de toutes les identifications de la personne à son corps, à ses émotions et à son mental, avec l’illusion d’être dans le vrai et d’agir authentiquement. Vient ensuite le niveau de conscience authentique – correspondant à la description rapportée en psychologie humaniste – caractérisée par une perception claire des processus internes et externes (Lewin, 1960; Maslow, 1954; Rogers, 1962). Finalement, la conscience objective est un état non ordinaire de conscience caractérisé par une compréhension directe et sans distorsion de la réalité. À ce niveau de conscience, les qualités de la conscience authentique deviennent permanentes et apportent un changement profond sur les plans de l’être et de l’agir. Cet état de conscience non ordinaire s’acquiert grâce à un entraînement à l’éthique et à l’attention, à une transformation émotionnelle, à une réorientation motivationnelle, au raffinement de la conscience et au développement de la sagesse (Walsh et Vaughan, 1993).

Recherches

En psychologie, des efforts ont été déployés pour investiguer la notion de transcendance par une démarche scientifique. En effet, un lien significatif a été observé entre les expériences transpersonnelles, un changement positif durable dans la vie et la pratique de la méditation (Wilson et Spencer, 1990). Grof (1990) a élaboré un cadre théorique des états de conscience transpersonnels à partir de ses nombreuses recherches sur les états de conscience non ordinaires provoqués par différents types de psychothérapie, par l’imagerie guidée, par des phénomènes paranormaux ou par l’induction contrôlée de drogues. De plus, des recherches sur la méditation ont confirmé les modifications tant physiologiques que psychiques qu’elle provoque, notamment par un changement de l’état de conscience ordinaire vers l’état de conscience non ordinaire (recherches citées dans Mahesh Yogi, 1976). Aussi, il a été démontré que les expériences de transcendance apportent des changements positifs au niveau de l’intégration de la personnalité, de la

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signification de la vie et du bien-être psychique (Greeley, 1974; Hay et Morisy, 1978; Mathes, Zevon, Roter et Joerger, 1982; Wuthnow, 1978).

Conceptions fondamentales

En psychologie transpersonnelle, certains auteurs conçoivent la transcendance de soi comme un des éléments de la spiritualité au même titre que d’autres concepts tels que le sens à la vie, la conscience unitive, les valeurs ultimes, la sacralisation de la vie (Elkins, Hedstrom, Hughes, Leaf et Saunders, 1988; Sutich, 1968). Par exemple, Elkins et al. (1988) conçoivent la transcendance de soi comme l’une des neuf composantes de la spiritualité qu’ils ont répertoriées, attribuant à ce concept une définition large. Selon eux, la dimension transcendante est une prolongation naturelle de la conscience de soi dans les régions du supraconscient ou du Soi.

D’autres auteurs attribuent à la transcendance de soi une place

centrale dans la dimension spirituelle et la relient à l’immanence (Assagioli, 1988/1994; Dürckheim, 1987, 1991, 1992; Frankl, 1988; Maslow, 1971/1993). Ces auteurs conçoivent la transcendance de soi comme la voie menant au centre de l’Être, à la réalisation ultime du sens de la vie de toute personne et, par conséquent, au véritable bonheur. De telles allégations – ainsi que celles relevées dans la documentation relative au développement transpersonnel (Davy, 1977; Desjardins, 1972; Dhiravamsa, 1979; Krishnamurti, 1980; Lajoie et Shapiro, 1992; Oser, Gmünder et Ridez, 1991; Vaughan, 1984; Williams, 1980) – invitent à approfondir la transcendance de soi comme concept central de la dimension spirituelle (au sens séculier) de l’être humain. MÉTHODOLOGIE

L’opérationnalisation du concept de transcendance de soi a constitué la première phase d’une étude exploratoire portant sur le besoin de transcendance chez des étudiants universitaires en psychologie (n = 45), âgés de 20 à 49 ans (Hamel, 1997). La démarche a mené à la construction d’un questionnaire portant sur la transcendance de soi. Quant à la deuxième phase de cette étude exploratoire, elle a permis d’expérimenter l’instrument auprès de ces mêmes sujets et de compléter la collecte des données par une entrevue individuelle semi-structurée, dans le but de découvrir le sens donné à certains des items du questionnaire.

La démarche méthodologique décrite ci-dessous vise à mieux

comprendre la transcendance de soi en dégageant ses éléments psycho-spirituels les plus fondamentaux. À la lumière des théories transpersonnelles, des composantes (unités de sens) et des sous-unités ont été dégagées, ainsi que des items propices à la construction d’un questionnaire. Cette étude à finalité instrumentale comportait deux étapes pour opérationnaliser le concept de transcendance de soi : (a)

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l’identification des indicateurs, (b) la classification, la catégorisation et la validation du construit.

Identification des indicateurs

Le but principal de cette étape a été de répertorier un certain nombre de manifestations de la transcendance de soi à partir des éléments théoriques d’auteurs présélectionnés. Analyse de la documentation

Une recension des écrits a d’abord permis de réunir la documentation transpersonnelle en psychologie afin de circonscrire la notion de transcendance. Il est intéressant de noter que la psychologie transpersonnelle tente de relier la science et les psychologies individualistes de l’Occident à la sagesse ancienne et aux psychologies spirituelles de l’Orient traditionnel (Capra, Walsh, Vaughan, Fadiman et Korfield, cité dans Walsh et Vaughan, 1984; Elgin, 1981). Par conséquent, une exploration de reconnaissance dans les deux courants de pensée a été réalisée, éliminant les lectures à caractère nouvel-âgiste et à tendance typiquement religieuse. Étaient considérés comme nouvel-âgistes les écrits insistant sur le merveilleux, le magique, les pouvoirs psi (Pelletier, 1996) et comme religieux, les écrits avec prédominance de croyances et d’un culte rendu à la divinité.

La lecture de la documentation dans des disciplines voisines a permis de mieux comprendre le phénomène de transcendance de soi à partir du point de vue de la psychologie (Assagioli, 1973/1987, 1965/1991, 1988/1994; Fadiman et Frager, 1976; Frankl, 1966, 1969, 1988; Grof, 1990; Jung, 1953/1976; Maslow, 1962, 1976, 1968/1993, 1971/1993; Vaughan, 1984; Walsh et Shapiro, 1983; Walsh et Vaughan, 1993; Washburn, 1990), de la philosophie occidentale aussi bien qu’orientale traditionnelle (Benoit, 1961; Davy, 1966, 1974, 1977; Dürckheim, 1987, 1991, 1992; Desjardins, 1972; Dhiravamsa, 1979; Goleman, 1977; Krishnamurti, 1979, 1980; Wilber, 1980) et de l’éducation (De Coulon, Descamps, Dierkens et Fotinas, 1993; Hendricks et Fadiman, 1976; Roberts, 1975). Ce sont les théories de Maslow, Assagioli et Frankl, influencées par Jung et sa théorie du processus d’individuation, qui ont été retenues pour clarifier le concept de transcendance de soi. La similitude de leur conception, leur complémentarité, leur approche psychologique et anthropologique à la fois réaliste et réalisable, ainsi que le fait qu’ils ont été les premiers à avoir établi des fondements transpersonnels avec clarté, ont été les critères de sélection.

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Repérage des indicateurs

Un certain nombre d’indicateurs (n = 115) représentant des manifestations de la transcendance de soi ont été sélectionnés (Hamel, 1997). Deux concepts reliés intrinsèquement à la transcendance de soi, et précisés par Maslow (1971/1993), ont servi de guide lors du repérage : la Métacognition (MC) et la Métamotivation (MM). Plusieurs indicateurs étaient déjà classés par Maslow lui-même dans chacune de ces deux dimensions. On pouvait constater que, sous la rubrique Métacognition (connaissance d’Être, au-delà de la connaissance ordinaire), les indicateurs faisaient appel à l’attention, à la réceptivité, au calme et à une forme de conscience liée à l’intuition1, à l’englobant et au sacré, tandis que sous la rubrique Métamotivation (motivation d’Être, au-delà de la motivation ordinaire), les indicateurs référaient à la volonté et au dépassement par la pratique des valeurs profondes tels que l’amour, le courage, l’intégrité, la simplicité et la bonté.

L’ensemble des lectures sur le thème de la transcendance a permis de

prendre le recul nécessaire pour constater que ces deux dimensions se révèlent des unités « possédant un sens complet » en elles-mêmes (L’Écuyer, 1990, p. 59). En effet, la Métacognition et la Métamotivation concernent respectivement la conscience et la pratique (praxis), deux champs complémentaires et nécessaires à la transcendance de soi. Ainsi, en jumelant les facteurs passifs de l’esprit humain tels que la concentration, la tranquillité et l’équanimité, et les facteurs actifs, comme l’énergie, l’investigation et le ravissement (Kornfield, cité dans Walsh et Vaughan, 1984), il est apparu souhaitable d’attribuer une structure à la transcendance qui tienne compte de son immanence. Catégorisation, classification et validation du con struit

Le but de cette étape a été : a) d’élaborer le construit de la transcendance de soi de façon à le rendre opérationnel, en dégageant ses principales composantes psycho-spirituelles, et cela, à la lumière des connaissances actuelles sur le phénomène; b) d’assurer une validité de contenu du construit. Formation d’un construit (unités de sens et sous-un ités)

Comme le suggère Bardin (1977), une lecture flottante a favorisé un apprivoisement des documents d’analyse en laissant émerger des impressions, des orientations. Tel que présenté dans le tableau 1, pour Tableau 1 Composantes de la transcendance de soi

1. Le terme « intuition » est ici utilisé dans le sens d’Assagioli (1965/1991) désignant un

contenu du supraconscient et également, de Vaughan (1984) quand elle parle d’intuition spirituelle. Il s’agit d’une intuition « pure », distincte des autres formes d'intuition, car elle ne dépend ni des sensations, ni des émotions, ni des pensées.

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Métacognition (MC) Métamotivation (MM)

1 Perception en profondeur (PP)

Ou Discernement

♦ Porter attention ♦ Concentration ♦ Vision au-delà des apparences

3 Présence en soi (PS) ou Volonté créatrice

♦ Se connecter à soi ♦ Se lier au Soi profond ♦ Sens de la responsabilité

2 Perception globale (PG)

ou Détachement

♦ Prendre une distance ♦ Accepter la réalité ♦ Sens du relatif et de

l’interdépendance

4 Dépassement de soi (DS)

ou Pratique des valeurs profondes

♦ Se tourner vers les autres ou une mission

♦ Action désintéressée

* Chaque composante est exercée en lien avec l’Être profond (le Soi)

chacune des dimensions, deux unités de sens (composantes) ont été dégagées à partir d’un premier regroupement des indicateurs. Pour la dimension Métacognition, les unités de sens identifiées ont été la Perception en profondeur (PP) et la Perception globale (PG). En effet, il était possible de constater que certains indicateurs renvoient à une attitude minutieuse sur le plan de la conscience des êtres et des choses, c’est-à-dire une attitude axée sur le détail, tandis que d’autres indicateurs réfèrent davantage à une attitude holiste ou axée sur une vision globale des êtres et des choses. Pour la dimension Métamotivation, les unités de sens identifiées ont été la Présence en soi (PS) et le Dépassement de soi (DS). Ces deux tendances ressortaient également à la lumière des indicateurs. Certains insistent sur une attitude minutieuse d’intégration du Moi individuel en lien avec le Soi, tandis que d’autres indicateurs mettent l’accent sur une attitude holiste, c’est-à-dire adhérant à un sens collectif sur le plan des valeurs et dans l’action.

Un deuxième regroupement des indicateurs a permis d’identifier trois sous-unités pour chacune des quatre composantes (n = 12, énoncées plus loin dans la section « Résultats »). La même procédure de lecture flottante proposée par Bardin (1977) a été adoptée. Finalement, le nombre d’indicateurs (n = 115) a été réduit (n = 41) en ne conservant que les phrases plus claires et spécifiques, en éliminant les énoncés redondants ou semblables et en conservant les items communs aux trois auteurs et dont le sens était univoque. La réduction des données a été réalisée en collaboration avec une candidate au doctorat et un professeur titulaire en psychologie. Les indicateurs ont été soigneusement comparés et discutés

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en fonction de la clarté de leur formulation et de leur signification. Ceux retenus ont finalement servi d’items à la première partie d’un questionnaire utilisé lors d’une étude exploratoire du besoin de transcendance (Hamel, 1997). Chaque composante de la transcendance de soi a été représentée par ses items correspondants : PP (n = 10), PG (n = 8), PS (n = 11), DS (n = 12).

Validation de contenu du construit

Pour la validation de contenu du construit, les objectifs ont été : 1) de bonifier la compréhension syntaxique des indicateurs en les formulant le plus clairement et adéquatement possible; 2) de maximiser la compréhension sémantique et transpersonnelle des indicateurs; 3) de valider la liste des indicateurs en fonction de la justesse de leur classification et de leur catégorisation.

Pour atteindre le premier objectif, 12 étudiants à la maîtrise et au

doctorat en psychologie, âgés de 23 à 54 ans, ont été rencontrés en groupe. Les 41 indicateurs leur ont été soumis. Une prise de note individuelle des réactions suivie d’une période de discussion ont permis à l’investigatrice de colliger les avis et les suggestions. Cette vérification s’est avérée efficace (a) pour reformuler certains items de façon à les rendre plus clairs et (b) pour confirmer la valeur discriminante des items selon l’âge.

Les deuxième et troisième objectifs ont été réalisés avec la

collaboration de quatre professionnels possédant une expertise en psychologie humaniste et des connaissances en psychologie transpersonnelle (trois psychologues et une psycho-éducatrice). Le contenu de chaque item a d’abord été vérifié de manière à éliminer les ambiguïtés sur le plan de l’interprétation. Autrement dit, la clarté et la justesse des items dans leur signification transpersonnelle ont été soigneusement discutées. La limite des mots pour exprimer une réalité aussi profonde que la transcendance a été reconnue, comme l’ont aussi relevé des experts internationaux en psychologie transpersonnelle (Tart, 1975; Walsh et Vaughan, 1984; Wilber, 1980).

Pour la validation de la catégorisation, chaque professionnel avait en

main une liste des 12 sous-unités dont chacune devait être associée à l’une des quatre composantes de la transcendance. C’est à l’unanimité que la validation de la catégorisation a été obtenue. Suivant la même procédure, une liste des 41 items a été présentée dans le but de les jumeler avec les sous-unités appropriées. La validation de cette classification a été obtenue par consensus des professionnels après discussion. Comme cette classification des indicateurs par rapport à leurs sous-unités était secondaire dans notre étude, nous nous sommes davantage attardés à la justesse de la catégorisation des sous-unités par rapport à leurs composantes respectives.

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RÉSULTATS

La démarche méthodologique précédemment décrite a permis de définir la transcendance de soi comme l’état d’une personne vivant en lien avec son Être profond (le Soi) par l’élargissement de sa conscience des êtres et des choses (métacognition) et par la réalisation des valeurs spirituelles dans sa vie quotidienne (métamotivation). La transcendance de soi, telle qu’étudiée dans cette recherche, présente la structure psycho-spirituelle suivante (composantes et sous-unités). Transcendance de soi Métacognition (première dimension) (1) Perception en profondeur (première composante ou unité de sens) :

En lien avec l’Être profond ou le Soi, capacité de discerner et d’approfondir les différents aspects de sa vie et de la vie en général, au-delà des apparences. Qualité fondamentale : le discernement.

Sous-unités :

• Attention vigilante révélant une concentration ou une absorption ou une fascination pour l'objet.

• Connaissance approfondie et significative, facilitée par une grande richesse des détails et par la vision sous différents angles de l'objet, qu'il s'agisse de soi-même, de son environnement ou du monde.

• Perception des réalités non perceptibles pour la conscience ordinaire exigeant une attitude réceptive et/ou un regard contemplatif de la beauté de « l'objet ».

(2) Perception globale (deuxième composante ou unité de sens) :

En lien avec l’Être profond ou le Soi, capacité d’appréhender sa vie et la vie en général dans une perspective englobante et indépendante de multiples attachements. Qualité fondamentale : le détachement.

Sous-unités :

• Appréhension de la réalité telle qu'elle est avec ses dichotomies, ses contradictions, ses incompatibilités, impliquant une capacité d'éviter la comparaison.

• Vision globale et intégrative de l'unité, non seulement de l'objet perçu, mais aussi des incohérences ou dichotomies en soi-même et dans le monde, en un tout super-ordonné; il s’agit d’une

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compréhension profonde capable de saisir l’essentiel dans les êtres et les choses.

• Perception indépendante du temps, de l'espace ou de la culture, plutôt que dépendante de l'environnement, de l'histoire ou de ses propres peurs, désirs et croyances.

Métamotivation (deuxième dimension) (3) Présence en soi (troisième composante ou unité de sens) :

En lien avec l’Être profond ou le Soi, capacité de se responsabiliser afin de faciliter l’unification (ou l’harmonie) entre sa personnalité et le Soi profond (noyau le plus authentique du soi dépouillé des peurs et des désirs; cette présence dont parle Jung1). Qualité fondamentale : la volonté créatrice . Sous-unités :

• Recherche intérieure d'harmonie au niveau du savoir-être au lieu du savoir-faire et du savoir uniquement.

• Raffinement de la construction de l'identité personnelle afin qu'éventuellement l'ego puisse être intégré et dépassé.

• Congruence entre l'être (ce que je suis en lien avec le Soi profond) et l'action (ce que je fais) peu importe les situations de vie.

(4) Dépassement de soi (quatrième composante ou unité de sens) :

En lien avec l’Être profond ou le Soi, capacité de laisser derrière soi ses préoccupations personnelles pour se centrer sur le monde (les autres, une mission, un but autre que soi). Qualité fondamentale : la pratique de valeurs profo ndes (comme l’amour, la compassion, le courage, l’entraide, l’honnêteté, etc.) Sous-unités :

• Dépassement de ses limites égocentriques, en se centrant sur le monde plutôt que sur soi et en évitant de rester préoccupé par soi-même.

• Identification aux valeurs d'Être comme fins en soi plutôt que moyens, en valorisant ce qu'il y a de meilleur en soi et en exprimant concrètement ses valeurs profondes dans ses attitudes et dans ses comportements.

• Sentiment d'appartenance à un tout plus grand que soi, se traduisant par des sentiments d’humanité, de gratitude, d'humilité, d’admiration, de foi et d’espoir.

1. « A conscience d'une présence qui produit un changement profond de notre être »

(Jung, cité par Morf, dans Cercle de psychologie analytique de Montréal, 1977, p. 116).

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Tel que mentionné précédemment, les 41 items représentant des manifestations de la transcendance de soi en termes d’attitudes et de comportements (quelques exemples sont présentés dans le tableau 2) ont servi à l’élaboration d’une première partie d’un questionnaire. Une épreuve de fiabilité a été réalisée avec des étudiants en psychologie (n = 45) (Hamel, 1997, 1998). Le degré de cohérence des items, estimé à l’aide du coefficient de consistance interne Alpha de Cronbach, a conduit aux résultats suivants : Perception en profondeur, 0,80; Perception globale, 0,75; Présence en soi, 0,87; Dépassement de soi, 0,89. Tout en considérant le nombre restreint de sujets pour une telle analyse, les premiers résultats de l’instrument ont permis d’observer un niveau de fiabilité satisfaisant. DISCUSSION

Cette étude a permis d’opérationnaliser le concept de transcendance de soi. La discussion porte sur les contributions et sur les lacunes de la démarche sur les plans théorique et méthodologique. Aspects théoriques

Les concepts de métacognition et de métamotivation, identifiés par Maslow (1971/1993), ont été réunis pour représenter les pôles réceptif et actif du phénomène de la transcendance. En regard de la recension des écrits dans le domaine transpersonnel, il est apparu évident que ces deux dimensions sont intrinsèques au concept, voire nécessaires quand on parle de transcendance de soi. En fait, la première dimension concerne plus spécifiquement la conscience qui est appelée à s’élargir afin de percevoir clairement et sans distorsion les êtres, les choses, les événements. Cela exige d’être réceptif à l’Être profond (le Soi), de favoriser les facteurs passifs de l’esprit humain (attention, concentration, équanimité, calme), tel que l’indiquent Maslow (1971/1993) et des auteurs qui se sont attardés à la pensée orientale traditionnelle (Goleman, 1977; Kornfield, cité dans Walsh et Vaughan, 1984).

La deuxième dimension réfère à la pratique (praxis) permettant à cette

conscience plus ouverte de porter fruit par la volonté dans l’action, tout en demeurant en lien avec le Soi profond. Cela favorise ainsi les facteurs actifs de l’esprit humain (énergie, investigation, réalisation d’un but significatif), tel que le préconisent Assagioli (1973/1987) et Frankl (1988).

Tableau 2 Quelques exemples de manifestations (atti tudes et

comportements de la transcendance de soi) • Je suis pleinement attentif, c'est-à-dire absorbé par ce qui se passe

dans l’instant présent.

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• Je perçois les qualités et la beauté intérieure dans chaque être humain, peu importe qui il est.

• Je prends les choses telles qu'elles sont, en dépit de leur imperfection, de leur finitude et même de leurs aspects parfois tragiques.

• Je prends la vie avec le sens du relatif, c'est-à-dire que je discerne l'essentiel et l'accessoire.

• Je suis créatif, c'est-à-dire que je dépasse mes façons habituelles et automatiques de fonctionner pour agir davantage à partir de mes intuitions profondes.

• J’intègre mes expériences, c'est-à-dire que je comprends, accepte et maîtrise ce qui fait obstacle à l'épanouissement de ma nature la plus profonde.

• J'apprécie la vie sous tous ses aspects, que ceux-ci soient agréables ou désagréables.

• Je me dévoue à une cause, un appel, une vocation, une mission ou un travail apprécié pour lui-même et non pour moi-même.

• Mes attitudes et mes comportements traduisent des valeurs profondes comme la bonté, l'authenticité, la générosité, la justice.

L’unification de ces dimensions permet donc d’envisager la transcendance de soi dans son caractère immanent (Dürckheim, 1987, 1991). La transcendance peut alors être définie comme un état de conscience non ordinaire (métacognition) se manifestant dans l’attitude et le comportement s’appuyant sur une volonté et un agir non ordinaires (métamotivation), dont la référence fondamentale est le Soi.

Les quatre composantes (Perception en profondeur, Perception globale, Présence en soi et Dépassement de soi), issues du concept de transcendance de soi, permettent d’approfondir la compréhension psycho-spirituelle du phénomène. Cet essai théorique propose une structure dynamique dans laquelle ces quatre variables sont interdépendantes. Pour qu’il y ait actualisation dans la transcendance de soi, les quatre composantes doivent être présentes conjointement. Autrement dit, l’attitude de la personne doit témoigner du mouvement continu d'alternance entre quatre qualités d’Être fondamentales : le discernement, le détachement, la volonté créatrice et la pratique de valeurs profondes dans le quotidien. Comme l’affirme Vaughan (1985), la découverte d’une identité transpersonnelle permet à la personne d’accéder à un niveau supérieur d’organisation et d’intégration de sa vie. On peut donc penser que s’habiliter à développer au quotidien les quatre composantes de la transcendance facilite l’ouverture à soi, aux autres et aux événements et donne un sens profond à la vie (Frankl, 1988).

En fait, on peut dire que la transcendance, lorsque envisagée dans un

mouvement de croissance transpersonnelle immanente, rassemble sous un même toit des facteurs de réceptivité, comme l'attention (discernement) et le lâcher-prise (détachement), et des facteurs proactifs, comme le sens

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de la responsabilité (volonté créatrice) et l'action désintéressée (pratique de valeurs profondes). Autrement dit, les moments vécus dans la transcendance de soi unifient les polarités ou les dualités par la conscience du détail et du global en alternance (Perception en profondeur et Perception globale) et par l’intégration de l’individuel et du collectif en alternance (Présence en soi et Dépassement de soi). Ces quatre composantes ne peuvent toutefois être actualisées à un niveau transpersonnel de croissance que par le lien constant avec le Soi profond (noyau le plus authentique du soi dépouillé des peurs et des désirs).

Cet essai théorique de la transcendance de soi a mis en évidence le

caractère holistique du construit. En effet, l’actualisation d’une seule composante de la transcendance ne peut présager de l’intégralité de l’expérience. Par exemple, trouver un sens profond à sa vie (item de la Présence en soi) exige également de se sentir engagé envers les autres (item du Dépassement de soi), de percevoir les autres avec un regard neuf et au-delà des apparences (item de la Perception en profondeur) et de discerner l’essentiel de l’accessoire (item de la Perception globale). Comme la transcendance de soi est étroitement liée à une réalité englobante et universalisante (Assagioli, 1988/1994; Oser, Gmünder et Ridez, 1991), l’unification d’attitudes et de comportements reflétant chacune des quatre composantes est nécessaire pour accéder à son immanence.

Aspects méthodologiques

La méthodologie utilisée s’est révélée une stratégie efficace pour établir, sur des bases rigoureuses, la classification et la catégorisation de données reliées à la transcendance de soi. Cependant, les indicateurs font face à la limite linguistique pour exprimer une profondeur sémantique. En d’autres termes, le vocabulaire est restreint pour exprimer tout le sens transpersonnel d’une manifestation de la transcendance. Cette lacune est en partie palliée par l’importance accordée à chacun des mots utilisés pour exprimer une manifestation, par exemple, « J’apprécie la vie sous tous ses aspects, que ceux-ci soient agréables ou désagréables. ». En fait, aimer la vie même dans les moments difficiles est une caractéristique de la transcendance de soi, car elle traduit la confiance et l’intimité avec le Soi profond. Par conséquent, elle doit être considérée au même titre que l’appréciation de la vie quand tout va bien.

Actuellement, les personnes qui vivent des expériences transpersonnelles ont davantage de facilité à reconnaître les manifestations de la transcendance de soi, et cela, en dépit des mots ordinaires utilisés pour les décrire (Walsh et Vaughan, 1984). Ceci a d’ailleurs été observé grâce au volet qualitatif d’une étude exploratoire du besoin de transcendance (Hamel, 1997). Aussi, faut-il mentionner que cette étude a révélé les limites restrictives de l’usage d’un questionnaire à questions fermées sur la transcendance de soi, s’il est utilisé seul ou sans entrevue. En effet, il y a toujours un risque d’interprétation personnelle

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plutôt que transpersonnelle par rapport à certains items, par exemple, l’item « Je crois en quelque chose ou quelqu'un plus grand que moi. » Bien que cet item ait été compris dans son sens transpersonnel pour la majorité des sujets (référence au divin, au sacré ou à une énergie englobante), quelques-uns l’ont interprété dans un sens personnel (référence à une personne qu’ils admirent).

Rappelons aussi une mise en garde face à l’utilisation du questionnaire

composé des 41 items (Hamel, 1997). En effet, considérés un à un, les items ne traduisent pas nécessairement l’état de conscience non ordinaire, spécifique à la transcendance de soi. Certains indicateurs réfèrent davantage à la conscience authentique, c’est-à-dire reliée à la croissance personnelle plutôt que transpersonnelle, par exemple, « Je prends conscience de mes lacunes ou des côtés plus sombres de ma personnalité. ». C’est plutôt la fréquence de son application qui donnera à cette attitude sa valeur transpersonnelle (Davy, 1966). Par contre, considéré dans sa globalité, le questionnaire semble avoir une valeur discriminante et refléte la transcendance de soi. Cependant, les items du questionnaire devront tout de même être soigneusement révisés afin que chacun puisse traduire le plus simplement, clairement et exactement possible une manifestation transcendante. À notre avis, cela constitue la condition nécessaire à l’utilisation du questionnaire sans le recours d’entrevue individuelle réalisée par un investigateur spécialisé dans le domaine transpersonnel.

Le travail de classification et de catégorisation a également rencontré

la limite suivante : l’absence de ressources financières permettant de demander l’avis d’experts internationaux dans le domaine transpersonnel, tel que le suggère Tart (cité dans Walsh et Vaughan, 1984). Selon lui, il est préférable que ce soit des observateurs spécialisés qui assurent l’investigation dans cette sphère en psychologie. Par contre, cette contrainte a été compensée de façon satisfaisante par (a) une recension des écrits rapportant des éléments fondamentaux du concept de transcendance reconnus universellement1, (b) une méthode rigoureuse pour catégoriser et classer les indicateurs et (c) une vérification par des professionnels ayant une expertise en psychologie humaniste et des connaissances en psychologie transpersonnelle. Ainsi, la méthodologie utilisée visait à satisfaire aux critères d’exclusivité dans la formation des composantes, d’homogénéité dans la façon de classer le matériel, de pertinence dans le lien avec l’objet de recherche et d’objectivité dans la validation des catégories par l’aide de juges de contenu (Bardin, 1977).

Développer une méthodologie permettant d’articuler un concept aussi

abstrait que celui de la transcendance, malgré son caractère ineffable, est essentiel pour approfondir cette réalité humaine aux plans théorique et

1. La recension des écrits a réuni la documentation traduisant les pensées des cultures

occidentale et orientale traditionnelle. Les auteurs sélectionnés, c’est-à-dire Assagioli, Frankl et Maslow, ont une conception de la transcendance de soi largement influencée par l’apport des deux cultures.

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pratique. Comme elle est rattachée aux grandes questions sur le sens à la vie, la dimension transcendante constitue une réalité humaine fondamentale et universelle (Paloutzian et Kirkpatrick, 1995) qui vaut la peine d’être investiguée et développée par la création de nouvelles méthodes (Tart, cité dans Walsh et Vaughan, 1984). Néanmoins, cette réalité encore mystérieuse, souvent considérée comme réservée aux initiés (Goleman, 1977), devra être traduite en termes psychologiques et pragmatiques (perceptions, attitudes, comportements), ce qui facilitera l’accès de toute personne à l’expérience de transcendance de soi. CONCLUSION

La définition de la transcendance de soi proposée ici mérite d’être approfondie afin d’affiner le caractère opératoire du construit. La recherche fondamentale sur les états de conscience et les études comparatives sur les expériences de transcendance pourraient être enrichies en tentant de répondre à des questions concernant le processus et le contexte de la transcendance immanente, c’est-à-dire cet état d’être que l’on peut vivre au quotidien. Existe-t-il un processus facilitant l’actualisation transcendante? Comment peut-on satisfaire un tel besoin d’actualisation sans vivre retranché du monde moderne? Peut-on s’actualiser dans la transcendance de façon soutenue malgré des besoins de survie et de sécurité?

L’élaboration des quatre composantes de la transcendance de soi

constitue un premier essai de développement de ce concept en psychologie. Il apparaît tout à fait pertinent de s’y intéresser dans le contexte psycho-socio-économique actuel. En effet, un nombre grandissant de personnes s’interrogent sur le sens de leur vie dans un contexte de vie quotidienne de plus en plus compétitif, exigeant une performance individualisante et menaçant la sécurité, voire la survie. Déjà, le mot « transcendant » est un qualificatif populaire fortement médiatisé, alors que sa signification profonde demeure encore au stade des définitions plutôt abstraites dans différentes sphères de la connaissance (psychologie, théologie, philosophie, éducation). Par conséquent, on peut penser que le zeitgeist (esprit de l’époque) devance la recherche et presse les chercheurs en psychologie transpersonnelle à découvrir des aspects théoriques et pratiques de la transcendance de soi, aspects qui faciliteraient son actualisation dans la vie courante de tout être humain en quête de sens à la vie. Abstract

This article attempts to clarify the self-transcendence concept. The objectives are : a) to specify the stages to identify a definition of self-transcendence concept, b) to bring out the four components of this concept, c) to recognize some attitudes and behaviors of self-transcendence. An analysis of documentation on the transpersonal approach and the transcendence notion was realised and lead to the selection of three authors (Assagioli, Maslow, Frankl) for the theorical construct. Four interdependent components were founded intrinsics at the actualization of the self-transcendence : Impregnated Perception, Holistic Perception, Presence of Being and Beyond self Orientation.

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Key words : self-transcendence, transpersonal approach, actualization

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