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Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 56 (2008) 122–126 Article original La valeur des interdits et l’internalisation du jugement moral : une perspective développementale The interdictions’ value and the moral judgment’s internalisation: A developmental perspective C. Blatier , C. Gimenez, M. Paulicand UFR sciences de l’homme et de la société université Pierre-Mendès-France, B.P. 47X, 38040 Grenoble cedex, France Résumé But de l’étude. – Cette recherche présente une approche des interdits que les enfants peuvent mentionner lorsqu’ils sont interrogés au sujet des règles sociomorales. Sujets et méthode. – L’étude a été réalisée auprès de 438 enfants franc ¸ais entre six et 11 ans à qui on demandait de compléter dix phrases commenc ¸ant par « il est interdit de » et d’ordonner leurs réponses. Résultats. – Les relations entre l’âge et le jugement moral sont étudiées. Les interdits cités sont concordants avec les théories du jugement moral de Piaget et Kohlberg. Le passage à une morale hétéronome est repérable et des résultats concernant notamment les enfants de dix ans sont intéressants pour l’analyse de l’internalisation. Conclusion. – Les implications pour de futures investigations du jugement moral et de l’internalisation des valeurs morales auprès d’échantillons d’enfants sont discutées. L’article présente une approche des interdits que des enfants peuvent évoquer. Il analyse les relations entre l’âge, le sexe et le niveau de jugement moral. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Aim. – This article presents an approach of the interdictions that children can suggest when being asked about sociomoral rules. Subjects and method. – This research was conducted on a sample of 438 French children, aged 6–11. Children were asked to complete sentences beginning by: “it is forbidden to” and to put in order considering the most important ones. Results. – The relation between age and moral judgment’s level was studied. The related interdictions are concordant as posited by Piaget and Kohlberg moral judgment theories. The results show a change to a heteronomous morality and interesting points concerning the children aged 10 for the analysis of internalisation. Conclusion. – The implications for future investigations on moral judgment and internalisation on children’s samples are discussed. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Jugement moral ; Enfant ; Piaget ; Kohlberg ; Internalisation Keywords: Moral judgment; Children; Piaget; Kohlberg; Internalisation Les auteurs remercient Estelle Bontempo, Florence Garadier, Sandrine Péni- cault, Nathalie Schmitt et tous les enseignants qui ont contribué à cette étude. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Blatier). 1. Introduction On assiste de plus en plus à des manifestations violentes et à des actes délictueux commis par des mineurs, à l’école comme dans la cité. L’étude psychologique des valeurs morales des enfants et des adolescents, constituant leur jugement sur ce qu’il est bien ou bon de faire et ce qui ne l’est pas, devient de ce fait 0222-9617/$ – see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.neurenf.2007.11.013

La valeur des interdits et l’internalisation du jugement moral : une perspective développementale

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Article original

La valeur des interdits et l’internalisation du jugement moral :une perspective développementale�

The interdictions’ value and the moral judgment’s internalisation:A developmental perspective

C. Blatier ∗, C. Gimenez, M. PaulicandUFR sciences de l’homme et de la société université Pierre-Mendès-France, B.P. 47X, 38040 Grenoble cedex, France

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ut de l’étude. – Cette recherche présente une approche des interdits que les enfants peuvent mentionner lorsqu’ils sont interrogés au sujet desègles sociomorales.ujets et méthode. – L’étude a été réalisée auprès de 438 enfants francais entre six et 11 ans à qui on demandait de compléter dix phrases commencantar « il est interdit de » et d’ordonner leurs réponses.ésultats. – Les relations entre l’âge et le jugement moral sont étudiées. Les interdits cités sont concordants avec les théories du jugement moral deiaget et Kohlberg. Le passage à une morale hétéronome est repérable et des résultats concernant notamment les enfants de dix ans sont intéressantsour l’analyse de l’internalisation.onclusion. – Les implications pour de futures investigations du jugement moral et de l’internalisation des valeurs morales auprès d’échantillons’enfants sont discutées. L’article présente une approche des interdits que des enfants peuvent évoquer. Il analyse les relations entre l’âge, le sexet le niveau de jugement moral.

2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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im. – This article presents an approach of the interdictions that children can suggest when being asked about sociomoral rules.ubjects and method. – This research was conducted on a sample of 438 French children, aged 6–11. Children were asked to complete sentenceseginning by: “it is forbidden to” and to put in order considering the most important ones.esults. – The relation between age and moral judgment’s level was studied. The related interdictions are concordant as posited by Piaget andohlberg moral judgment theories. The results show a change to a heteronomous morality and interesting points concerning the children aged 10

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ots clés : Jugement moral ; Enfant ; Piaget ; Kohlberg ; Internalisation

eywords: Moral judgment; Children; Piaget; Kohlberg; Internalisation

� Les auteurs remercient Estelle Bontempo, Florence Garadier, Sandrine Péni-ault, Nathalie Schmitt et tous les enseignants qui ont contribué à cette étude.∗ Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (C. Blatier).

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222-9617/$ – see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.oi:10.1016/j.neurenf.2007.11.013

. Introduction

On assiste de plus en plus à des manifestations violentes et à

es actes délictueux commis par des mineurs, à l’école commeans la cité. L’étude psychologique des valeurs morales desnfants et des adolescents, constituant leur jugement sur ce qu’ilst bien ou bon de faire et ce qui ne l’est pas, devient de ce fait
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C. Blatier et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance

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raphique 1. Fréquence d’apparition des types d’interdits selon le niveau delasse.

ne urgence. Nous avons choisi de nous intéresser ici au rappelue des enfants pouvaient réaliser des interdits qui leur étaientntimés (Graphique 1).

Au sens strict, les interdits renvoient pour partie au jugementoral et à sa définition par Piaget et Kohlberg, principalement.es chercheurs ont identifié différents stades dans le dévelop-ement du jugement moral, qui s’établissent en parallèle auéveloppement cognitif. On peut ainsi reconnaître avec Pia-et [1] une première dominance des rapports interindividuelsessentiellement les rapports parents–enfants) qui se constituentomme des rapports inégaux lors du stade de l’intelligence opé-atoire concrète. Ces rapports sont caractérisés chez l’enfantar l’obéissance et la soumission. Le conformisme moral, parffection et par crainte, et l’adhésion de l’enfant à des règlesdictées par autrui constituent la morale hétéronome. L’enfante saisit pas toujours le sens de ces règles car il reste dominéar sa propre subjectivité. Cette morale primitive est caracté-isée par le « réalisme moral », que Piaget définit comme étanta tendance de l’enfant à considérer devoirs et valeurs commexistant en soi et s’imposant obligatoirement, quelles que soientes circonstances. Dans le cadre du réalisme moral, les règlese sont pas élaborées par la conscience mais sont imposées pares adultes et doivent être observées à la lettre. Les actes sontvalués non en fonction des intentions de leur auteur mais deeur conformité avec les règles posées. Lors du stade des opé-ations intellectuelles réversibles, entre huit et dix ans, l’enfanttteint dans sa vie affective le niveau des sentiments moraux deustice et d’égalité. Le respect unilatéral cède la place au res-ect et aux valorisations mutuelles, les rapports d’obéissance ete soumission sont remplacés par des rapports d’échange et deoopération.

Peu à peu se développe une morale que Piaget qualifie’autonome, qui se traduit par une diminution de l’égocentrismet l’émergence de capacités cognitives de décentration permet-ant l’intériorisation des conduites morales et la libre acceptationes règles. Ces dernières ne sont plus respectées par soumissionl’autorité, mais dans un climat de respect mutuel, parce qu’elles

endent possible la réalisation de buts dans le cadre d’échangesaits de réciprocité.

Dans la lignée de Piaget, Kohlberg [2] a développé unepproche cognitive et comportementale du jugement moral. Il aroposé une conception graduelle de la moralité qui s’établit enarallèle avec le développement cognitif et qui trouve son ori-

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et de l’adolescence 56 (2008) 122–126 123

ine dans le dépassement des obligations et de l’égocentrisme,uis des règles de la conventionnalité, pour donner lieu à laestion cognitive de grands principes universels. Il définit alorsrois niveaux de développement moral, chaque niveau étantubdivisé en deux stades. Le premier niveau, de moralité pré-onventionnelle, est marqué par l’orientation vers la punitiont l’obéissance. La soumission à l’autorité garantit ce qui estien et permet d’éviter la punition. Puis, la satisfaction desésirs de l’individu constitue ce qui est jugé comme étantien ; l’échange peut être intégré sur le principe du donnant-onnant. Le deuxième niveau, de moralité conventionnelle, estarqué dans un premier temps par la recherche de la confor-ité aux attentes, l’accord avec les règles sociales et familiales

our devenir un « bon » enfant, puis par l’orientation vers laoi et les devoirs : pour un bénéfice personnel et pour le main-ien de l’ordre social, des règles fixes doivent être respectées.e troisième niveau, de moralité postconventionnelle, atteint à

’adolescence, est dominé dans un premier temps par la notione contrat et de règles pouvant être changés en fonction de leurtilité sociale. Les principes moraux sont reconnus comme résul-ant d’une commune décision. Dans un second temps, les actionsont guidées par des principes choisis par l’adolescent lui-même,nspirés par des fondements éthiques universels de justice, deéciprocité, d’égalité et de dignité, auxquels il adhère.

À la suite de Piaget, des auteurs ont mis en évidence quees facteurs en cause dans la genèse de la morale dépassentes facteurs cognitifs et qu’ils doivent intégrer des facteursociocognitifs [3–5]. Turiel [6] a avancé que les enfants neonsidèrent pas de la même facon la transgression des règlesonventionnelles que des règles morales, jugeant ces dernièreslus importantes. En effet, les règles morales ont, selon cetuteur, un caractère obligatoire, non modifiable, universel etoncernent des conduites qui ont des effets intrinsèques sur’intégrité de l’autre, alors que les règles conventionnelles sontes décisions par rapport à des comportements souhaités (ellesont modifiables et relatives au contexte social et n’ont pas’effet intrinsèque sur autrui).

Ainsi Naudet et Mullet [7], comparant la gravité percue pares adolescents délinquants et non délinquants et par des pro-essionnels (juges, policiers, travailleurs sociaux) au sujet deifférentes infractions, ont montré que les actes intégrant uneiolence contre les personnes, sont jugés par tous les répon-ants comme étant des actes plus importants. Il s’agit ici, dans leegistre des valeurs morales, d’infractions concernant l’intégritéhysique d’autrui.

Les positions théoriques de Piaget et Kohlberg rendent plusxplicite le passage des règles imposées aux règles adoptées.ans cette optique, nous avons souhaité comparer la produc-

ion spontanée d’enfants en matière d’interdits pour analyser,n fonction de leur âge, le rapport que les enfants entretiennentvec le système des règles établies et éclairer la construction deeur jugement moral.

Sur la base de ces travaux, nous avons supposé d’une

art, que les enfants de CP et CE1 (appartenant au cycle II)iteraient principalement des interdits contextualisés relatifsla famille et à l’intégrité physique et d’autre part, que les

nfants plus âgés (CM2) évoqueraient plus d’interdits relatifs

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124 C. Blatier et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 56 (2008) 122–126

Tableau 1Répartition de la population étudiée

CP CE1 CE2 CM1 CM2 Total

N % N % N % N % N % N %

Filles 23 47,9 38 48,1 46 48,9 66 52,8 52 56,5 225 51,4Garcons 25 52,1 41 51,9 48 51,1 59 47,2 40 43,5 213 48,6Total 48 100 79 100 94 100

Tableau 2Âge moyen des sujets en fonction de la classe

CP CE1 CE2 CM1 CM2 Total

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dits a été recensée sans réaliser une véritable catégorisation (voirTableau 3). Par ordre décroissant d’importance, les enfants ontcité les interdits signifiés par la loi (cités par 82 % des sujets)et parmi eux, principalement les vols et les agressions (res-

Tableau 3Fréquence d’apparition des interdits pour l’ensemble de la population

Catégories d’interdits %

Interdits signifiés par la loi 82,0Vols (simples, sur une personne, avec effraction) 56,3Agressions/homicides/viols 45,6Consommation et vente de drogue 27,0Vandalisme, attentats 26,9Infractions au Code de la route 22,6Infractions aux lois de l’état 20,7Maltraitance envers les enfants 18,2Autres 11,2

Interdits concernant les « passages à l’acte » de l’enfant 70,5Comportements violents 44,7Détérioration d’objets 28,5Comportements discriminatoires 11,6Agressions verbales 11,4Petits vols 5,7Autres 3,0

Règles de conduite générale 70,3Règles de politesse et de bonne conduite 58,4Interdits concernant les désagréments causés à autrui 23,9Autres 14,7

Interdits familiaux et pour la maison 61,4Interdits visant la sécurité de l’enfant 51,3Règles de conduite à la maison 17,5Interdits visant le respect des parents et de la fratrie 12,5

Interdits fixés par l’école 56,4Règles de conduite à l’école 47,7Interdits visant le respect des pairs 17,1

ge moyen (années) M 6,5 7,7 8,6 9,7 10,7 8,6cart-type (SD) 2 2 4 2 2 2,4

la loi, qu’ils placeraient aux premières positions dans leurlassement.

. Méthode

.1. Sujets

La population était constituée de 438 enfants, 213 garcons et25 filles (soit respectivement 48,6 et 51,4 %) fréquentant descoles primaires de la région grenobloise et répartis par niveaue classe (voir Tableau 1).

Les sujets de notre échantillon étaient âgés en moyenne de,6 ans (ET = 2,4) (voir Tableau 2).

Les informations sur la catégorie socioprofessionnelle desarents de ces enfants indiquent que plus de la moitié des pères63 %) appartient aux catégories des professions intermédiaires,mployés et ouvriers. Les informations concernant la situationamiliale (8 % d’informations manquent) établissent que 75 %es enfants de l’échantillon ont des parents qui vivent ensemble.nfin, 50 % des enfants interrogés sont soit enfant unique, soit

ssus d’une famille comportant deux enfants ; 39 % sont les aînése la fratrie, 30 % sont les seconds, 20 % sont les troisièmes et1 % sont répartis du quatrième au septième rang.

.2. Procédure

Les enfants étaient invités par leur enseignant à « écrire ceu’on n’a pas le droit de faire, ce qui est interdit ». Cette pre-ière consigne était accompagnée d’une feuille comportant

ix lignes commencant par « il est interdit de. . . » que l’enfantevait compléter. L’instituteur expliquait ensuite aux enfants laeconde partie de la passation dont la consigne était la suivante :maintenant, découpe chaque réponse de la page précédente.ur la table, utilise les bandes que tu as découpées pour mettreans l’ordre ce que tu as écrit, en commencant par le plus impor-

ant. Quand tu as fini, colle sur une feuille les bandes dans l’ordreù tu les as placées sur la table ». La passation a été effectuéeollectivement dans les classes, à la même période de l’annéecolaire pour tous les sujets. I

125 100 92 100 438 100

. Résultats

Les résultats ont été examinés d’abord en fonction de la nomi-ation des interdits, puis du nombre de réponses données, de laiversité des catégories en fonction de l’âge des enfants identifiéar le cycle (les enfants des classes de CP et CE1 appartenant auycle II, ceux de CE2, CM1 et CM2 appartenant au cycle III).

.1. Fréquence d’apparition des interdits

Dans un premier temps, la fréquence de nomination des inter-

Interdits visant le respect de la maîtresse 13,4Détérioration d’objets et de matériel 9,8Vols 3,8

nterdits liés à l’environnement (nature, animaux) 34,7

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nfance et de l’adolescence 56 (2008) 122–126 125

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Tableau 4Fréquence par cycle et par catégorie

Catégoried’interdits

Fréquenceau cycle 2

Fréquenceau cycle 3

Khi 2 Fréquence dansla populationtotale

La maison 74,8a 55,9 13,52a 61,4La conduite

générale75,5a 68,1 2,38 70,3

Les passages àl’acte

80,3a 66,5 8,21a 70,5

La loi 70 86,8a 17,08a 82L’école 66,9a 52 8,07a 56,4L

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C. Blatier et al. / Neuropsychiatrie de l’e

ectivement 56,3 et 45,6 %). Ont ensuite été cités, les interditsoncernant les passages à l’acte de l’enfant, cités par 70,5 % desnfants, particulièrement les comportements violents (44,7 %).es enfants ont évoqué des règles de conduite générales presqueutant que des interdits concernant les passages à l’acte (70,3 %es enfants) ; les règles de politesse et de bonne conduite ontté les plus fréquemment citées (58,4 %). Ensuite, les interditsamiliaux ont été évoqués par 61,4 % des enfants, notammentes interdits visant leur sécurité (51,3 %). Les interdits fixés par’école ont été mentionnés par 56,4 % des sujets et parmi eux,es règles de conduite à l’école ont été les plus représentées47,7 %). Enfin, le respect de l’environnement est apparu chez4,7 % des enfants.

.2. Nombre de réponses données et diversité desous-catégories

Comme on pouvait s’y attendre en fonction de l’âge desujets, 75 % des enfants ont donné dix réponses. Il est pos-ible d’examiner la diversité des sous-catégories utilisées.our l’ensemble des sujets, la médiane se situe à six sous-atégories sur les 26 répertoriées. La diversité en fonction duycle et du niveau de classe a été calculée pour les valeursnférieures ou égales à la médiane et pour les valeurs supé-ieures à la médiane. Il n’y a pas de différence significativeu niveau de la diversité en fonction du sexe. En revanche,’analyse de la variance indique une différence significativeour les cycles et les niveaux de classe. En effet, la diver-ité des sous-catégories citées est moins importante chez lesnfants du cycle II (qui utilisent majoritairement six sous-atégories ou moins), contrairement à ceux du cycle III, quitilisent plus de six sous-catégories (F(437,1) = 6,98 ; p = 0,009).es enfants de CM1 et CM2 sont donc sensibles à des

ypes d’interdits beaucoup plus variés que les enfants du CPu CE2.

.3. Fréquence d’apparition des catégories regroupées parycle

Un regroupement de la population a été effectué en fonc-ion des cycles mis en place à l’école primaire par le ministèree l’Éducation nationale : le cycle II est représenté dans notrechantillon par 127 élèves et le cycle III par 311 élèves.

La principale séparation a été effectuée autour de la notion’interdits à la maison et en dehors de la maison, que nousouvons identifier comme étant contextualisés (famille, école,nvironnement) ou non contextualisés (interdits généraux ou loise la société). Les enfants du cycle III citent moins les inter-its relatifs à la maison, à la conduite générale, aux passagesl’acte, à l’école ; en revanche, ils invoquent plus d’interdits

elatifs à la loi et à l’environnement (Tableau 4). On constateur ce tableau que la catégorie des interdits familiaux et à laaison apparaît plus fréquemment chez les enfants du cycle II

74,8 %) que chez les enfants de cycle III (55,9 %) par rapportla population totale (61,4 %), et ce, de facon significative (x2

437,1) = 13,5 ; p = 0,002). Cette distinction au niveau des cyclese retrouve au niveau des classes. En effet, l’analyse de la fré-

ppdr

’environnement 11,8 44,05a 41,3a 34,7

a p < 0,01.

uence d’apparition des interdits en fonction du niveau de classeontre que les CM1 diversifient encore plus que les CM2 les

nterdits cités.

.4. Fréquences d’apparition des interdits contextualisés eton contextualisés

On peut se demander si les enfants intègrent mieux desnterdits dans un cadre particulier (interdits contextualisés) quees interdits dont l’application s’étend dans tous les domainese leur vie (interdits non contextualisés). La quasi-totalité desujets (98 %) cite prioritairement, quel que soit l’âge, des inter-its non contextualisés, qui comprennent les règles de bonneonduite générales, les interdits concernant les passages à l’actegénéraux) et les interdits signifiés par la loi. Les interdits contex-ualisés, ciblés dans un domaine (81 %) : interdits familiaux,nterdits fixés par l’école et règles de respect de l’environnementont cependant plus cités par les enfants du cycle II (92,9 %) quear les enfants du cycle III (75,8 %) et ce de facon significative,ar rapport à la population totale (80,8 %), (x2 (437,1) = 16,87 ;< 0,0001).

En revanche, on observe une nette différence, (x2

437,4) = 46,17 ; p < 0,0001), entre les enfants de CP (87,5 %),e CE1 (96,2 %) et de CE2 (91,4 %) d’une part et ceux de CM163,2 %) et de CM2 (77,1 %) d’autre part. Ce résultat montre quees enfants de CE2 se rapprochent beaucoup plus des enfants duycle II dans leur détermination morale concernant les interditsontextualisés. Aucune différence n’est observée concernant lesnterdits non contextualisés.

.5. Ordre d’apparition des interdits

Les quatre premiers types d’interdits avancés par les enfantsont majoritairement des interdits concernant la loi, et ce, princi-alement pour les enfants de CM, puis les interdits à la maison,uis à l’école et ceux relatifs à la conduite générale. Nous avonsgalement vu apparaître une catégorie d’interdits liésé au res-ect de l’environnement, qui est une préoccupation de plus en

lus actuelle mais à laquelle les enfants font référence assez tar-ivement, à partir du CE2 et qu’ils ne rangent pas au premierang dans les interdits.
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[6] Turiel E. The development of social knowledge : Morality and convention.

26 C. Blatier et al. / Neuropsychiatrie de l’e

. Discussion

Globalement, l’intégration des interdits semblent donc passerans un premier temps par des règles de socialisation, puis pare que dit la loi. Les premières sont constituées des règles deonne conduite et sont signifiées par des interdits protégeantrincipalement l’intégrité physique de l’enfant.

Les interdits contextualisés, formulés dans un contexte pré-is relatif à la famille, à l’école sont plus cités par les enfantse cycle II que par ceux de cycle III. Nous avons noté que lesE2 se rapprochaient alors des CP et CE1 (qui citent plus fré-uemment les interdits spécifiques). Nos hypothèses sont doncérifiées. Cependant, il faut noter deux éléments qui paraissentrès importants. Premièrement, les interdits signifiés par la loiont présents à tous les âges, mais ils diffèrent dans leur formu-ation et dans la plus grande importance que leur accordent lesnfants de Cycle III. Deuxièmement, l’aspect le plus sympto-atique est sans doute relatif aux enfants de CM1. Le constat

uivant mériterait un approfondissement : ces enfants de CM1,gés en moyenne de neuf ans sept mois dans la populationtudiée, ont évoqué peu d’interdits fixés par l’école compara-ivement aux autres enfants, ils ont fait appel plus largement quees autres à la diversité des interdits et surtout, ils ont essentiel-ement fait référence aux interdits signifiés par la loi. Lorsquees enfants de CM1 comme ceux de CM2 ordonnent les diffé-ents registres d’interdits, ils accordent une plus grande valeurux lois de la société par rapport aux règles plus spécifiques à laonduite de l’enfant, traduisant ainsi une capacité de décentra-ion qui peut caractériser une morale plus autonome. Les élèvese CM1 et CM2 accordent une plus grande valeur aux règlesorales au travers des interdits qui renvoient à des conduites

elatives à l’intégrité physique d’autrui (« interdits signifiés para loi », sous-catégorie des « agressions/homicides/viols ») et, deacon moindre, à l’intégrité des biens d’autrui (sous-catégoriees « vols »), ce qui rejoint les travaux de Turiel, ainsi que Naudett Mullet.

La diversité des réponses des enfants de CM1 sembleaire apparaître une période spécifique dans le traitement desilemmes moraux où la loi devient le principal promoteur desnterdits, tandis que les interdits relatifs à l’école perdent de leurmportance.

Si les enfants du Cycle III citent de facon prioritaire desnterdits relatifs à la loi, on peut supposer que la loi concourtl’intériorisation des autres interdits. On peut également pen-

er que les interdits les plus fréquemment cités sont aussi leslus « activés », c’est-à-dire qu’on les rappelle plus souventux enfants. Est-ce que cela facilite leur internalisation ? Laéponse est négative, car même dans les petites classes, lesnterdits les plus fréquemment cités ne sont pas toujours pla-és aux premières places c’est-à-dire ne sont pas forcémentonsidérés comme étant les plus importants. Dans certains cas,

omme souvent pour les interdits familiaux (notamment lesègles concernant la sécurité de l’enfant, dont on peut supposeru’elles sont fréquemment répétées), la corrélation est négative.n revanche, en CM2 par exemple, les interdits les plus fréquem-

[

e et de l’adolescence 56 (2008) 122–126

ent cités sont aussi ceux jugés les plus importants. On constateême qu’au CE1, certains interdits fréquemment cités ne sont

as pour autant placés dans les interdits les plus importants. Lesnfants font très tôt la différence entre fréquence de rappel etravité. Cette différence est plus manifeste chez les enfants plusgés (CM1, CM2).

Nous avons ainsi créé un indice d’internalisation sociale quiorrespond au fait de donner un des interdits les plus fréquem-ent cités et l’estimer comme étant le plus important (il ne s’agit

as de l’internalisation par un individu d’un interdit qu’il jugemportant, mais d’un interdit qu’une majorité d’enfants jugemportant). On constate que ce n’est qu’au cycle III que lesnterdits les plus fréquemment cités par les enfants sont aussionsidérés comme les plus importants (on pourrait les considéreromme les plus graves).

. Conclusion

L’objectif de cette étude était d’avancer dans la connais-ance du développement du jugement moral en considérantes interdits formulés par les enfants et la valeur accordée àes interdits plus que sur la nature des raisonnements morauxtudiés par Piaget (1932) ou Kohlberg (1971). Toutefois, en réfé-ence à ces auteurs, nous avons pu constater le passage d’uneorale primitive à une morale autonome dans l’intériorisation

es conduites morales et l’acceptation des règles que manifestentarticulièrement les enfants de CM1 et de CM2. Le confor-isme moral constitue donc un premier temps avant la création

’un système moral personnel. L’instauration de ces stadesasse par le respect de règles souvent présentées sous forme’interdits.

Toutefois, l’étude présentée montre que la valeur accordéeux interdits, sur la base de catégories établies à partir deifférentes sphères, varie en fonction de l’âge et surtout, que’importance qui leur est accordée par les enfants n’évolueas de facon linéaire. Ces éléments peuvent servir de base àne réflexion sur la valeur des interdits en fonction de l’âge.ls peuvent aussi renseigner sur le moment le plus propice à’intégration de certaines valeurs sociomorales.

éférences

1] Piaget J. Le jugement moral chez l’enfant. Paris: Presses Universitaires deFrance; 1932.

2] Kohlberg L. Moral development and moral education. Psychology and Edu-cational Practice. London: Scott Foresman and Company; 1971.

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