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Actualités pharmaceutiques n° 534 mars 2014 57 juridique fiche Mots clés - internet ; médicament ; ordonnance ; réglementation ; vente en ligne © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2014.01.013 La vente en ligne des médicaments La publication des conditions d’encadrement de la vente en ligne des médicaments en France, puis celle des bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique, ont permis aux premiers sites français de voir le jour. Pour l’Autorité de la concurrence, ces règles, trop strictes, constituent un frein au développement, dans l’Hexagone, de la commercialisation de médicaments sur internet. E n décembre 2003, la Cour de Justice des Commu- nautés européennes disposait, par un arrêt passé à la postérité sous l’appellation “Doc Morris”, du nom de la pharmacie en ligne néerlandaise à l’origine du contentieux, que les médicaments de non-prescription médicale pouvaient faire l’objet d’une vente par internet en Europe. En France, il a fallu attendre la transposition de la directive 2011/83/UE sur les médicaments falsifiés de juin 2011, qui contenait un article 85 quarter sur la vente à distance des médicaments de non-prescription au public, pour que cette possibilité puisse voir le jour et qu’elle soit organisée à travers la loi [1]. En effet, même si la jurispru- dence Doc Morris s’appliquait en théorie à la France, des mesures d’adaptation, qui n’avaient jamais été adoptées par les gouvernements successifs, étaient nécessaires. Ce n’est que fin décembre 2012, à quelques jours de la date butoir de transposition de la directive, que la France a fini par publier, par ordonnance et décret d’application, les conditions d’encadrement de la vente en ligne [2,3]. Ordonnance et décret F L’officine virtuelle doit s’appuyer sur une officine physique. La création d’un site internet de commerce électronique de médicaments est donc subordonnée à l’existence d’une licence. Les officines dites pure players ne sont ainsi pas autorisées en France. Sur ce point, l’Europe se divise en deux : l’Allemagne, la Finlande, la Suède et le Danemark imposent la détention d’une offi- cine physique alors que le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Grèce autorisent les pure players. F Afin de pouvoir ouvrir une officine en ligne en France, le pharmacien doit demander une autori- sation au directeur de l’Agence régionale de santé (ARS) territorialement compétente, qui contrôle, avec l’Ordre, si le site internet proposé respecte bien les critères énoncés par la réglementation. F Tous les médicaments de non-prescription médi- cale, et pas seulement les médicaments dits de médi- cation familiale, comme l’avait initialement prévu le décret, peuvent dorénavant être vendus en ligne. Le Conseil d’État, saisi en référé, puis au fond, a obligé le Gouvernement à modifier son texte et à se conformer à la réglementation européenne, qui ne distingue que deux classes de médicaments : ceux de prescription et ceux de non-prescription, cette dernière catégorie ne pouvant faire l’objet de sous-catégories. Ce sont donc tous les médicaments de non-prescription, quel que soit leur statut au regard de l’Assurance maladie, qui peuvent être doré- navant mis en vente en ligne, soit plus de 4 000 produits. Mise en application de la réglementation F Fin juin 2013, le ministère de la Santé a publié les bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique, ce qui a permis aux candidats à la vente par internet de lancer leur site [4]. Il est possible, pour une pharmacie, de faire apparaître sur un même site internet médicaments et autres produits de santé, mais l’internaute doit pouvoir clairement distinguer la partie consacrée à la vente de médicaments de celle dédiée aux autres produits. L’encadrement prévu par les bonnes pratiques ne concerne que la vente de médi- caments. Ces bonnes pratiques sont fortement décriées. Elles encadrent de façon très stricte la vente de médi- caments et viennent, de ce fait, limiter cette possibilité pour les officines françaises, laissant le champ libre à celles qui, étant installées hors de France, ne sont pas soumises à la réglementation nationale. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Caroline MASCRET Maître de conférences en droit pharmaceutique Adresse e-mail : [email protected] (C. Mascret). Faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry, Université Paris-Sud, 5 rue Jean-Baptiste Clément, 92296 Châtenay-Malabry, France En France, l’officine virtuelle doit s’appuyer sur une officine physique. © Fotolia.com/Contrastwerkstatt

La vente en ligne des médicaments

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Actualités pharmaceutiques

• n° 534 • mars 2014 • 57

juridique

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Mots clés - internet ; médicament ; ordonnance ; réglementation ; vente en ligne

© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2014.01.013

La vente en ligne des médicamentsLa publication des conditions d’encadrement de la vente en ligne des médicaments en

France, puis celle des bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie

électronique, ont permis aux premiers sites français de voir le jour. Pour l’Autorité de la

concurrence, ces règles, trop strictes, constituent un frein au développement, dans

l’Hexagone, de la commercialisation de médicaments sur internet.

E n décembre 2003, la Cour de Justice des Commu-nautés européennes disposait, par un arrêt passé à la postérité sous l’appellation “Doc Morris”, du

nom de la pharmacie en ligne néerlandaise à l’origine du contentieux, que les médicaments de non-prescription médicale pouvaient faire l’objet d’une vente par internet en Europe. En France, il a fallu attendre la transposition de la directive 2011/83/UE sur les médicaments falsifiés de juin 2011, qui contenait un article 85 quarter sur la vente à distance des médicaments de non-prescription au public, pour que cette possibilité puisse voir le jour et qu’elle soit organisée à travers la loi [1]. En effet, même si la jurispru-dence Doc Morris s’appliquait en théorie à la France, des mesures d’adaptation, qui n’avaient jamais été adoptées par les gouvernements successifs, étaient nécessaires. Ce n’est que fin décembre 2012, à quelques jours de la date butoir de transposition de la directive, que la France a fini par publier, par ordonnance et décret d’application, les conditions d’encadrement de la vente en ligne [2,3].

Ordonnance et décret F L’officine virtuelle doit s’appuyer sur une officine

physique. La création d’un site internet de commerce électronique de médicaments est donc subordonnée à l’existence d’une licence. Les officines dites pure players ne sont ainsi pas autorisées en France. Sur ce point, l’Europe se divise en deux : l’Allemagne, la Finlande, la Suède et le Danemark imposent la détention d’une offi-cine physique alors que le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Grèce autorisent les pure players.

F Afin de pouvoir ouvrir une officine en ligne en

France, le pharmacien doit demander une autori-

sation au directeur de l’Agence régionale de santé (ARS) territorialement compétente, qui contrôle, avec l’Ordre, si le site internet proposé respecte bien les critères énoncés par la réglementation.

F Tous les médicaments de non-prescription médi-

cale, et pas seulement les médicaments dits de médi-cation familiale, comme l’avait initialement prévu le décret, peuvent dorénavant être vendus en ligne. Le Conseil d’État, saisi en référé, puis au fond, a obligé le

Gouvernement à modifier son texte et à se conformer à la réglementation européenne, qui ne distingue que deux classes de médicaments : ceux de prescription et ceux de non-prescription, cette dernière catégorie ne pouvant faire l’objet de sous-catégories. Ce sont donc tous les médicaments de non-prescription, quel que soit leur statut au regard de l’Assurance maladie, qui peuvent être doré-navant mis en vente en ligne, soit plus de 4 000 produits.

Mise en application de la réglementation F Fin juin 2013, le ministère de la Santé a publié les

bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique, ce qui a permis aux candidats à la vente par internet de lancer leur site [4]. Il est possible, pour une pharmacie, de faire apparaître sur un même site internet médicaments et autres produits de santé, mais l’internaute doit pouvoir clairement distinguer la partie consacrée à la vente de médicaments de celle dédiée aux autres produits. L’encadrement prévu par les bonnes pratiques ne concerne que la vente de médi-caments.Ces bonnes pratiques sont fortement décriées. Elles encadrent de façon très stricte la vente de médi-caments et viennent, de ce fait, limiter cette possibilité pour les officines françaises, laissant le champ libre à celles qui, étant installées hors de France, ne sont pas soumises à la réglementation nationale.

© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Caroline MASCRETMaître de conférences en droit pharmaceutique

Adresse e-mail : [email protected] (C. Mascret).

Faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry, Université Paris-Sud, 5 rue Jean-Baptiste Clément, 92296 Châtenay-Malabry, France

En France, l’offi cine virtuelle doit s’appuyer sur une offi cine physique.

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Actualités pharmaceutiques

• n° 534 • mars 2014 •58

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F Toute l’activité liée à la vente via internet doit être

gérée au sein de l’officine physique (le stockage, la préparation des commandes, etc.) : « Le site internet de la pharmacie est considéré comme le prolongement virtuel d’une officine de pharmacie autorisée et ouverte au public et cette activité peut être mise en œuvre à distance au sein des locaux de l’officine. » .La sous-traitance est interdite, excepté en ce qui concerne la conception et la maintenance du site. C’est le pharma-cien qui s’assure personnellement de la délivrance, c’est-à-dire qu’il contrôle « effectivement et personnel-lement » que le médicament commandé est bien celui délivré. Pourtant, l’Autorité de la concurrence avait bien spécifié, dès décembre 2012, lors de son premier avis, son attachement à la possibilité laissée aux pharma-ciens de vendre en ligne des produits qui ne faisaient pas partie du stock de leur officine et de contracter, pour ce faire, avec d’autres acheteurs de la chaîne d’appro-visionnement. Cette disposition sur le stockage au sein de l’officine limite donc le développement des pharma-cies en ligne. En effet, il semble difficile pour une officine de taille moyenne de mobiliser de l’espace dédié à cette activité en ligne dans ses propres locaux. Cette dispo-sition crée donc un obstacle artificiel à l’accès à des outils logistiques appropriés.De même, en interdisant la sous-traitance, cette disposi-tion apparaît disproportionnée. En effet, si au niveau de la dispensation, le Code de la santé publique dispose bien que celle-ci doit être effectuée par un pharmacien, au niveau de l’approvisionnement, les grossistes font l’objet de mesures d’encadrement par la loi, garantissant des compétences et une sécurité suffisantes pour assurer des prestations logistiques plus que correctes.

F Le prix de vente du médicament en ligne peut être différent de celui pratiqué en officine. Le coût de livraison doit être clairement affiché, en dehors de la présentation du prix.

F Les bonnes pratiques intègrent le chiffre d’affaires

réalisé en ligne pour l’application des règles relatives au nombre de pharmaciens adjoints devant être embauchés.

F Le site est conçu de façon à ce qu’aucun médica-

ment ne puisse être vendu sans qu’un échange inter-

actif ne soit rendu possible avant validation de la commande. Lors de la première commande, le patient doit remplir un questionnaire (poids, âge, sexe, traitements en cours, antécédents allergiques) et indiquer, s’il s’agit d’une patiente, si elle est enceinte. Le pharmacien doit procéder à une validation de ce questionnaire avant envoi et son actualisation est proposée à chaque nouvelle commande. Un dialogue interactif peut s’établir en cas de besoin entre le patient et le pharmacien, le premier pouvant interroger le second et inversement.

F Les médicaments doivent être classés par indi-

cation, puis par ordre alphabétique. Il est, bien entendu, impossible de valoriser un produit par rapport

à un autre. Les lettres d’information ne peuvent comporter que des données émanant des autorités sanitaires. Les newsletters sont donc proscrites, ainsi que les forums de discussion. Si l’interdiction des forums est compréhensible, celle des newsletters peut surprendre, ces dernières étant autorisées au sein de l’officine. Le référencement payant par des moteurs de recherche ou par des comparateurs de prix est interdit, alors que ces systèmes sont en général un facteur important d’animation de la concurrence. Seule la notice du médicament peut être publiée sur le site, un lien hypertexte renvoyant au résumé des caractéris-tiques du produit (RCP) sur le site de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Les fiches simplifiées sont interdites.

F Les quantités délivrées doivent respecter la dose d’exonération indiquée pour chaque substance activée concernée. Un dispositif doit être prévu sur le site internet pour permettre le blocage de quantités supérieures. Mais il existe d’autres limitations : la quantité maximale à déli-vrer doit être conforme à la durée du traitement indiquée dans le RCP, ne pouvant excéder un mois de traitement à posologie usuelle ou la quantité maximale nécessaire pour les traitements d’épisode aigu. L’achat dit de “pré-caution” semble donc être difficile avec de telles exi-gences, ce qui impose au patient de recommander dès lors qu’un nouveau problème de santé fait son apparition.La livraison a lieu obligatoirement au domicile du patient. Les bonnes pratiques prévoient également que ce dernier peut se rendre à l’officine pour aller chercher sa commande. Se pose alors la question de l’intérêt de pas-ser sa commande via internet…

Impossible concurrence« Les “bonnes pratiques” proposées retirent tout intérêt à la commercialisation de médicaments par internet, tant pour le patient-consommateur que pour les pharmaciens, et apparaissent dissuasives. Elles limitent donc fortement, voire interdisent la possibilité, pour les titulaires français d’officine, de développer leur activité et de concurrencer efficacement les sites de vente en ligne situés dans d’autres États membres de l’Union européenne, obérant ainsi la compétitivité des sites en ligne localisés sur le territoire français. » C’est par ces mots que l’Autorité de la concur-rence a qualifié le projet relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique. Au final, l’avis de l’Autorité n’étant pas contraignant, le Gouvernement n’a modifié que quelques mesures mineures suite aux remarques des sages, les points consi-dérés comme bloquants n’ayant pas été revus.L’avenir proche nous dira si l’application française de la vente en ligne aura été à la hauteur des espérances européennes, à savoir une réelle concurrence sur ces produits particuliers. w

Références[1] Directive 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 modifi ant la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, en ce qui concerne la prévention de l’introduction dans la chaîne d’approvisionnement légale de médicaments falsifi és. http://ec.europa.eu/health/fi les/eudralex/vol-1/dir_2011_62/dir_2011_62_fr.pdf

[2] Ordonnance n° 2012-1427 du 19 décembre 2012 relative au renforcement de la sécurité de la chaîne d’approvisionnement des médicaments, à l’encadrement de la vente de médicaments sur internet et à la lutte contre la falsifi cation de médicaments. Journal Offi ciel de la République Française. 2012;0297. www.legifrance.gouv.fr/affi chTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000026805101&dateTexte=&categorieLien=id

[3] Décret n° 2012-1562 du 31 décembre 2012 relatif au renforcement de la sécurité de la chaîne d’approvisionnement et à l’encadrement de la vente de médicaments sur internet. Journal Offi ciel de la République Française. 2013;0001. http://legifrance.gouv.fr/affi chTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000026871417&categorieLien=id

[4] Arrêté du 20 juin 2013 relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique. Journal Offi ciel de la République Française. 2013;0144. www.legifrance.gouv.fr/affi chTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000027592947&fastPos=1&fastReqId=899136277&categorieLien=id&oldAction=rechTexte

Déclaration d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir

de confl it d’intérêts en relation

avec cet article.