5

Click here to load reader

L’aberration sphérique : multi focalité et ... · Pratiques en Ophtalmologie • Janvier 2012 • vol. 6 • numéro 50 15 ... de 1er ordre (tilt ou effet prismatique), ... niques

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: L’aberration sphérique : multi focalité et ... · Pratiques en Ophtalmologie • Janvier 2012 • vol. 6 • numéro 50 15 ... de 1er ordre (tilt ou effet prismatique), ... niques

Pratiques en Ophtalmologie • Janvier 2012 • vol. 6 • numéro 50 15

Mise au point

Les aberrations optiques : une réaLité à ne pas ignorerLes différents milieux traversés par la lumière avant d’atteindre les photorécepteurs sont inho-mogènes, imparfaits et mobiles. Un système optique dit “parfait” est caractérisé par la convergence des rayons lumineux en un seul et même point. Les différents mi-lieux optiques (cornée et cristallin surtout) déforment le front d’onde lumineux. L’image d’un point lumineux, formée sur la rétine comporte des distorsions : c’est la fonction d’étalement du point ou PSF (Point Spread Function). Ces déformations, appelées aussi “aberrations optiques”, sont ana-

* Service d’Ophtalmologie, CHU Bretonneau, Faculté de Méde-cine François Rabelais, Tours

lysées et décomposées en unités élémentaires : les polynômes de Zernike (Fig. 1).

Les aberrations optiques géomé-triques de l’œil humain sont répar-ties :• pour 90 % d’entre elles en aberrations dites de bas ordre (d’ordre  2) : Z2-0 ou défocus cor-respondant à l’anomalie de défo-calisation (en avant de la rétine : myopie ou en arrière de la rétine : hypermétropie), et Z2-2 ou astig-matisme correspondant à la cor-rection cylindrique. • pour 10 % d’entre elles, en aberra-tions de haut ordre (3e, 4e et au-delà). Les plus influentes sur la qualité de vision sont la coma ou Z3-1, le tréfoil ou Z3-3 (toutes deux, aberrations asymétriques) et enfin l’aberration sphérique ou Z4-0 (Fig. 2).

L’analyse de la PSF et la décompo-sition des aberrations optiques est essentielle car elle est directement reliée à la qualité de vision et à la notion de pouvoir de résolution (acuité visuelle et sensibilité aux contrastes) (Fig. 3).

Comprenons dès à présent que les aberrations optiques d’un système visuel sont :• potentiellement changeantes (avec l’accommodation) ; • dépendantes du diamètre pupil-laire (plus le diaphragme pupil-laire augmente, plus la quantité d’aberrations optiques générées par l’œil augmente) ;• et surtout sont nécessaires à l’in-tégration cérébrale.

Toutes les aberrations optiques n’ont pas la même conséquence sur le pouvoir de résolution de l’œil et ne sont pas toutes péjo-ratives : elles conditionnent non seulement le réflexe de l’accom-modation par le flou qu’elles peu-vent induire mais elles permettent également de stimuler efficace-ment les photorécepteurs (1, 2).

L’aberration sphérique : descriptionL’aberration sphérique concerne tout dioptre (cornée, cristallin, lentille, ou même objectif d’un appareil photographique ou té-léscope). On parlera d’aberration

xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx

Les résultats de la chirurgie de la cataracte ne cessent de s’améliorer ces der-nières années grâce notamment aux progrès des implants et de la technologie d’analyse du front d’onde lumineux (aberrométrie). L’analyse d’un front d’onde lumineux traversant le système visuel est de mieux en mieux comprise et la chirurgie de la cataracte bénéficie des avancées communes de la contactologie et de la chirurgie réfractive. Nous verrons dans un premier temps ce qu’est une aberration optique, et plus précisément l’une d’entre elles : l’aberration sphérique. Puis, nous analyserons les conséquences théoriques de cette aberration sphérique sur la qualité de vision subjective et objective des patients pseudophaques. Enfin, nous présen-terons comment utiliser en pratique cette aberration sphérique pour restaurer qualité de vision, profondeur de champ et multifocalité.

Introduction

L’aberration sphérique : multi­focalité et profondeur de champImplications pratiques en chirurgie de la cataracteDr Yannick Nochez et Pr Pierre-Jean Pisella*

Page 2: L’aberration sphérique : multi focalité et ... · Pratiques en Ophtalmologie • Janvier 2012 • vol. 6 • numéro 50 15 ... de 1er ordre (tilt ou effet prismatique), ... niques

16� Pratiques en Ophtalmologie • Janvier 2012 • vol. 6 • numéro 50

Mise au point

sphérique positive lorsqu’à tra-vers la surface optique, les rayons périphériques sont plus réfractés et sont focalisés en avant de ceux passant par le centre : la cornée en est l’exemple parfait (Fig. 4).

L’aberration sphérique dépend de deux principaux dioptres oculaires qui se compensent mutuellement : la cornée et le cristallin. La cor-née est dite prolate car elle génère une aberration sphérique positive (d’une moyenne de 0,27  µm). Le cristallin du sujet jeune, génère une aberration sphérique néga-tive, car son indice de réfraction diminue du centre vers la périphé-rie.

La représentation de face et en 3D de l’aberration sphérique est illustrée sur la figure 5. Les points passant par le centre de la surface sphérique sont focalisés distincte-ment au centre (point rouge cen-tral sur l’image en 3D). Les points passant par la périphérie de la sur-face sphérique sont défocalisés en avant (anneau bleu sur l’image en 3D). On comprend aisément que l’aberration sphérique dégrade l’image d’un point, en générant no-tamment des halos concentriques.

Ceci a deux conséquences.• L’aberration sphérique dé-grade la qualité d’une image en étalant la PSF de ce point et en diminuant l’énergie lumineuse du point central. Les contrastes de l’image en ressortent amoindris (Fig. 5). • L’aberration sphérique est une déformation symétrique du front d’onde. Elle est res-ponsable d’une défocalisation en avant des rayons passant par la périphérie de la surface optique sphérique. Cette seconde “focale” peut être perçue par l’œil du su-jet : l’aberration sphérique est un

Figure 1 ­ L’ensemble des déformations (image de gauche) est décomposée en défor­

mations élémentaires ou polynômes de Zernike (images de droite).

Figure 2 ­ répartition des aberrations optiques géométriques. on décrit l’aberration

de 1er ordre (tilt ou effet prismatique), de 2nd ordre (défocus et astigmatisme), de 3e

ordre (coma et tréfoil) et de 4e ordre (aberration sphérique, astigmatisme secondaire

et tétrafoil).

Figure 3 ­ une image parfaite (e) qui traverse un système optique sera déformée par

les aberrations optiques de ce système : l’image obtenue est dégradée en termes de

qualité de vision. La fonction d’étalement d’un point ou psF caractérise donc la “qua­

lité optique” d’un système visuel.

Page 3: L’aberration sphérique : multi focalité et ... · Pratiques en Ophtalmologie • Janvier 2012 • vol. 6 • numéro 50 15 ... de 1er ordre (tilt ou effet prismatique), ... niques

L’aBeRRaTiOn SpHéRiqUe : MULTi FOCaLiTé eT pROFOndeUR de CHaMp

Pratiques en Ophtalmologie • Janvier 2012 • vol. 6 • numéro 50 17

des moyens de générer de la mul-tifocalité. En effet, le point central n’est nullement myopisé, il assure une vision de loin parfaite alors que les anneaux périphériques de l’aberration sphérique peuvent être capables d’assurer une pro-fondeur de champ suffisante pour une vision intermédiaire et une vi-sion de près.

L’aberration sphérique constitue donc un compromis entre dégra-dation de la qualité de vision (ha-los, flou et baisse de la sensibilité aux contrastes) et confort visuel en augmentant la profondeur de champ : une aberration sphérique nulle donne une focalisation pré-cise mais sans aucune tolérance au défocus, sans aucune profondeur de champ.

L’aberration sphérique (as) : son intérêt en pratique dans La chirurgie de La cataracte Depuis une dizaine d’années, Artal et al. (3) ont comparé, chez des pa-tients phakes, la valeur de l’AS cor-néenne mesurée “directement” à l’aide d’un cornéotopographe avec celle calculée par l’équation ma-thématique (AS totale mesurée par un aberromètre – AS interne mesurée par un aberromètre après immersion de la cornée dans un bain de sérum physio-logique de manière à annuler les aberrations cornéennes). Il s’agit d’une approximation inhérente à la mesure puisque le système de mesure est en transformées de Fourier. Cependant, elle est suf-fisante pour l’exercice clinique et rendue possible par la conversion en polynômes de Zernike. On peut donc considérer en pratique cli-nique, que l’AS totale est égale à la somme de l’AS cornéenne

et celle générée par le cristal-lin ou l’implant. Bien sûr, il s’agit d’effectuer les mesures à diamètre pupillaire égal.

Par ailleurs, Wang et al. ont dé-montré que l’AS cornéenne est une aberration dont la valeur possède

cornéenne est nécessaire dès lors que l’on prétend pouvoir compen-ser celle-ci avec des implants in-traoculaires asphériques.

En effet, trois conditions sont nécessaires à une sélection op-timale de l’asphéricité de l’im-

Figure 4 ­ surface optique générant une aberration sphérique positive.

Figure 5 ­ représentation spatiale en 3d de l’aberration sphérique. représentation

spatiale de face de la fonction de dispersion d’un point lumineux. image dégradée par

de l’aberration sphérique.

une distribution statistique gaus-sienne centrée sur une valeur de 0,27 µm en moyenne (4). Néan-moins, 15,4 % de la population pré-sente une AS cornéenne inférieure à 0,20 µm alors que 43 % seulement de la population présente une AS cornéenne comprise entre 0,20 et 0,30 µm et 40 % au-delà. Ainsi, une mesure de l’aberration sphérique

plant lors de la chirurgie de la cataracte. • La mesure pré-opératoire de l’AS cornéenne doit être comparable à celle mesurée en post-opéra-toire. Ceci est rendu possible par l’utilisation de la micro-incision (<  2,2 mm), modifiant peu la ré-partition des aberrations optiques cornéennes centrales (5).

Une mesure de l’aberration sphérique cornéenne est nécessaire dès lors que l’on prétend pouvoir compenser celle-ci avec des implants intraoculaires asphériques.

Page 4: L’aberration sphérique : multi focalité et ... · Pratiques en Ophtalmologie • Janvier 2012 • vol. 6 • numéro 50 15 ... de 1er ordre (tilt ou effet prismatique), ... niques

18� Pratiques en Ophtalmologie • Janvier 2012 • vol. 6 • numéro 50

Mise au point

• L’analyse mathématique (AS cornéenne + AS interne = AS to-tale) doit être possible en pratique clinique courante (6).• Enfin, une modification de l’AS totale doit être utile et pertinente en termes de qualité subjective et objective de vision. En effet, à acui-té visuelle identique, un œil dont l’aberration sphérique finale sera proche de 0 présentera des quali-tés optiques objectives meilleures (moindre fonction de dispersion du point et meilleure sensibilité aux contrastes) (7).

Ainsi, en raison d’une AS cor-néenne moyenne positive de 0,27 µm, implanter un implant as-phérique négatif (visant à compen-ser 0,18 µm d’AS cornéenne) ou un implant asphérique neutre (ne gé-nérant aucune AS) améliore signi-ficativement la qualité de vision et la sensibilité aux constrastes des patients pseudophaques par rap-port à un implant sphérique (8).

queLLe aberration sphérique cibLe viser en post­opératoire ? Comme nous l’avons vu précédem-ment, minimiser l’aberration sphé-rique totale d’un système visuel revient à maximiser la qualité objec-tive de vision, mais en diminuant la profondeur de champ (Fig. 6). Par ailleurs, l’aberration sphé-rique est comprise dans un profil complexe d’autres aberrations op-tiques. La coma, ou le tréfoil sont des aberrations optiques capables également d’augmenter la profon-deur de champ subjective des pa-tients pseudophaques (Fig. 7).

En pratique, les besoins visuels sont différents d’un patient à l’autre. Il n’existe donc pas une AS cible mais plusieurs options en fonction de la multifocalité que l’on veut obtenir.

Si la qualité de viSion veut être privilégiée au détriment d’une profondeur de champIl conviendra de cibler 0 µm d’AS finale : • préférable chez les patients avec large diamètre pupillaire ; • chez les patients demandeurs d’une vision mésopique très bonne ; • lors de l’utilisation d’implants de puissance réfractive élevée ;• en l’absence de rupture capsu-laire, de risque de tilt ou décentre-ment d’implant.

Ainsi, en cas d’AS cornéenne pré-opératoire comprise entre 0,15 et 0,30 µm, un implant asphérique négatif sera privilégié. En cas d’AS cornéenne comprise entre 0 et 0,10 µm, un implant asphérique neutre sera proposé. Enfin, en cas d’AS cornéenne négative (kérato-cone, post-chirurgie réfractive hy-permétropique), un implant sphé-rique sera conseillé.

Si la profondeur de champ Subjective et l’effet multifocal eSt recherchéIl conviendra de cibler une AS fi-nale soit faiblement positive (0,10 à 0,15 µm) soit faiblement négative (-0,10 à -0,15 µm). Des études cli-niques sont encore en cours pour déterminer le meilleur compro-mis restaurant le maximum d’effet multifocal sans dégrader la qualité de vision subjective ou objective.

Une étude récente a été effectuée dans le service d’ophtalmologie du CHU de Tours, visant à ana-lyser l’intérêt d’une bascule d’AS optimisée en fonction de la domi-nance oculaire afin d’obtenir une meilleure profondeur de champ binoculaire. Le groupe “optimisé” bénéficiait d’un implant asphé-rique négatif sur l’œil dominant afin d’obtenir une AS finale proche de 0 µm alors que l’œil dominé recevait un implant asphérique neutre.

Figure 6 ­ compromis entre sensibilité aux contrastes (courbe bleue) et profondeur de

champ (courbe rouge) en fonction de l’aberration sphérique totale chez des patients

pseudophaques porteurs d’implants asphériques.

Figure 7 ­ profondeur de champ subjective calculée comme l’écart en dioptries au

cours de laquelle l’image est perçue comme acceptable par le patient.

Page 5: L’aberration sphérique : multi focalité et ... · Pratiques en Ophtalmologie • Janvier 2012 • vol. 6 • numéro 50 15 ... de 1er ordre (tilt ou effet prismatique), ... niques

L’aBeRRaTiOn SpHéRiqUe : MULTi FOCaLiTé eT pROFOndeUR de CHaMp

Pratiques en Ophtalmologie • Janvier 2012 • vol. 6 • numéro 50 19

A acuité visuelle de loin non dif-férente (supérieure à 10/10e) et à équivalent sphérique identique, le groupe porteur d’implants as-phériques négatifs aux deux yeux semble présenter une profondeur de champ binoculaire inférieure au groupe “optimisé”. La capacité de lecture de près sans correction optique du groupe “optimisé” était supérieure de deux lignes au groupe témoin porteur d’implants asphériques négatifs bilatéraux (Fig. 8). n

Figure 8 ­ courbe de défocus binoculaire présentant l’évolution de l’acuité visuelle

chez le groupe témoin (porteur d’implants asphériques négatifs acrismart 36a®

bilatéraux) et chez le groupe “optimisé” (porteur d’implant asphérique négatif sur l’œil

dominant et d’implant asphérique neutre acrismart 46Lc® sur l’œil dominé).

1. Applegate RA, Sarver EJ, Khemsara V. Are all aberrations equal? J Refract Surg 2002 ; 18 : 556-62.2. Applegate RA, Ballentine C, Gross H et al. Visual acuity as a function of Zernike mode and level of root mean square error. Optom Vis Sci 2003 ; 80 : 97-105.3. Artal P, Guirao A, Berrio E, Williams DR. Compensation of corneal aberra-tions by the internal optics of the human eye. J Vis 2001 ; 1 : 1-8.4. Wang L, Dai E, Koch DD, Nathoo A. Optical aberrations of the human anterior cornea. J Cataract Refract Surg 2003 ; 29 : 1514-21.5. Nochez Y, Majzoub S, Pisella PJ. Corneal aberrations integrity after mi-croincision cataract surgery: prerequisite condition for prediction of total

ocular aberrations. Br J Ophthalmol 2010 ; 94 : 661-3.6. Nochez Y, Favard A, Majzoub S, Pisella PJ. Measurement of corneal aber-rations for customization of intraocular lens asphericity: impact on quality of vision after microincision cataract surgery. Br J Ophthalmol 2010 ; 94 : 440-4.7. Nochez Y, Majzoub S, Pisella PJ. Analyse objective de la qualité de vision en fonction de l’asphéricité postopératoire d’une chirurgie micro-inci-sionnelle de la cataracte. J Fr Ophtalmol 2010 ; 33 : 16-22.8. Montes-Mico R, Ferrer-Blasco T, Cervino A. Analysis of the possible benefits of aspheric intraocular lenses: review of the literature. J Cataract Refract Surg 2009 ; 35 : 172-81.

BiBliographie

mots-clés : aberration sphérique, Multifocalité,

profondeur de champ, implant

Motricité et sensorialité oculaire : l’exaMenMartine SANTALLIER S - éditions320 pages - 20 x 26 cm Date de parution : 25 novembre 2011 Prix public : 79.00 € TTC - Collection : Orthoptie

Sommaire Partie 1 • Physique du prisme et ses actions oculairesRappels de cours de physique appliqués à l’oculomotricité.Partie 2 • Rappels de physiologie et de pathologie sur la vision binoculaireRappels de cours de physiopathologie de la vision binoculaire.Partie 3 • Bilan oculomoteur et son intérêt pour l’ophtalmologiste

Détails des étapes du bilan oculomoteur selon les attentes de l’oph-talmologiste.Partie 4 • Instruments classiquesDescription des instruments incontournables et mise en application par de nombreux cas cliniques.Partie 5 • Autres instrumentsDescription des instruments complémentaires et mise en application par de nombreux cas cliniques.

kiosque