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A lire aussi... 403 large. Les questions relatives à la mondialisation sont traditionnellement et, pour l’es- sentiel, interprétées en termes d’ouverture commerciale et de politiques d’investisse- ment, mais l’ouverture économique n’est pas nécessairement et automatiquement bé- néfique. Se concentrer sur les chaînes de valeur mondiales montre qu’il en faut bien plus et, notamment, que les politiques doivent mieux prendre en compte les stratégies à l’échelle des entreprises, parce que ces chaînes ont des effets désagrégés sur les écono- mies nationales. Elles imposent un niveau d’analyse différent et, de ce fait, soulèvent un certain nombre de questions nécessitant une pensée différente. Par exemple, comme les activités, étapes et tâches du processus de production sont déterminées par des facteurs divers, les politiques publiques doivent être ciblées sur ces activités spécifiques pour être efficaces. Cet ouvrage nous laisse avec une quantité considérable de travaux pratiques quant aux nouvelles stratégies en matière de développement économique et de réduction de la pauvreté au XXI e siècle, à savoir: comment intégrer les pays en développement aux chaî- nes de valeur mondiales? Et qui leur offre des possibilités d’ascension? Ce rééquilibrage a aussi de sérieuses implications pour les pays de l’OCDE; bien que ce livre mette l’accent sur les pays en développement, il nous donne aussi à penser à propos du caractère durable de la croissance économique et de la compétitivité des entreprises dans les pays dévelop- pés. L’OCDE entreprend diverses activités quant aux effets des chaînes de valeur mon- diales sur les économies nationales et sur les implications pour les politiques publiques. Il faut analyser les choses plus en détail pour situer la position des pays dans les réseaux de production mondiaux et pour trouver des politiques qui permettent de tirer profit de la nouvelle organisation internationale des activités productives. Globalement, les données et les indicateurs existants manquent pour bien appréhender les effets des chaînes de va- leur mondiales, d’où la nécessité de mettre au point de meilleurs moyens d’exploration. Naomitsu Yashiro et Koen De Backer OCDE, Direction de la science, de la technologie et de l’industrie (DSTI) 1 Labour in global production networks in India. Publié sous la direction d’Anne POSTHUMA et Dev NATHAN. New Delhi, Oxford University Press, 2010. 373 pp. ISBN 978-0-1980-6413-8. Dans l’énorme quantité de travaux publiés ces dernières décennies sur la mondia- lisation, il est un aspect particulièrement riche, celui qui concerne l’évolution de l’orga- nisation de la production à l’échelle mondiale. Il en résulte la définition de plusieurs ca- dres analytiques proches les uns des autres: chaînes de produit mondiales, chaînes de valeur mondiales, réseaux de production mondiaux, etc. (Henderson et coll., 2002; Ge- reffi, Humphrey et Sturgeon, 2005; Coe, Dicken et Hess, 2008). Il n’y a pas lieu de dé- battre ici des spécificités de chacun de ces cadres, mais la plupart des travaux mettent l’accent sur la façon dont les entreprises organisent, à l’échelle mondiale, des systèmes de production dispersés, sur leurs relations avec les fournisseurs locaux et sur la réparti- tion de la production dans l’espace. On s’est beaucoup préoccupé des implications de ces relations sur la gestion de la production, sur les capacités des entreprises locales de progresser et la répartition de la valeur le long des chaînes ou au sein des réseaux de production. 1 Cette notice bibliographique n’engage que les auteurs et sa publication ne signifie pas que l’OCDE ou les gouvernements de ses pays membres souscrivent aux opinions et arguments qui y sont exprimés.

Labour in global production networks in India. Publié sous la direction d'Anne POSTHUMA et Dev NATHAN

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large. Les questions relatives à la mondialisation sont traditionnellement et, pour l’es-sentiel, interprétées en termes d’ouverture commerciale et de politiques d’investisse-ment, mais l’ouverture économique n’est pas nécessairement et automatiquement bé-néfique. Se concentrer sur les chaînes de valeur mondiales montre qu’il en faut bien pluset, notamment, que les politiques doivent mieux prendre en compte les stratégies àl’échelle des entreprises, parce que ces chaînes ont des effets désagrégés sur les écono-mies nationales. Elles imposent un niveau d’analyse différent et, de ce fait, soulèvent uncertain nombre de questions nécessitant une pensée différente. Par exemple, comme lesactivités, étapes et tâches du processus de production sont déterminées par des facteursdivers, les politiques publiques doivent être ciblées sur ces activités spécifiques pour êtreefficaces.

Cet ouvrage nous laisse avec une quantité considérable de travaux pratiques quantaux nouvelles stratégies en matière de développement économique et de réduction de lapauvreté au XXIe siècle, à savoir: comment intégrer les pays en développement aux chaî-nes de valeur mondiales? Et qui leur offre des possibilités d’ascension? Ce rééquilibrage aaussi de sérieuses implications pour les pays de l’OCDE; bien que ce livre mette l’accentsur les pays en développement, il nous donne aussi à penser à propos du caractère durablede la croissance économique et de la compétitivité des entreprises dans les pays dévelop-pés. L’OCDE entreprend diverses activités quant aux effets des chaînes de valeur mon-diales sur les économies nationales et sur les implications pour les politiques publiques. Ilfaut analyser les choses plus en détail pour situer la position des pays dans les réseaux deproduction mondiaux et pour trouver des politiques qui permettent de tirer profit de lanouvelle organisation internationale des activités productives. Globalement, les donnéeset les indicateurs existants manquent pour bien appréhender les effets des chaînes de va-leur mondiales, d’où la nécessité de mettre au point de meilleurs moyens d’exploration.

Naomitsu Yashiro et Koen De BackerOCDE, Direction de la science, de la technologie et de l’industrie (DSTI) 1

Labour in global production networks in India. Publié sous la direction d’Anne POSTHUMA et Dev NATHAN. New Delhi, Oxford University Press, 2010. 373 pp.ISBN 978-0-1980-6413-8.

Dans l’énorme quantité de travaux publiés ces dernières décennies sur la mondia-lisation, il est un aspect particulièrement riche, celui qui concerne l’évolution de l’orga-nisation de la production à l’échelle mondiale. Il en résulte la définition de plusieurs ca-dres analytiques proches les uns des autres: chaînes de produit mondiales, chaînes devaleur mondiales, réseaux de production mondiaux, etc. (Henderson et coll., 2002; Ge-reffi, Humphrey et Sturgeon, 2005; Coe, Dicken et Hess, 2008). Il n’y a pas lieu de dé-battre ici des spécificités de chacun de ces cadres, mais la plupart des travaux mettentl’accent sur la façon dont les entreprises organisent, à l’échelle mondiale, des systèmesde production dispersés, sur leurs relations avec les fournisseurs locaux et sur la réparti-tion de la production dans l’espace. On s’est beaucoup préoccupé des implications deces relations sur la gestion de la production, sur les capacités des entreprises localesde progresser et la répartition de la valeur le long des chaînes ou au sein des réseaux deproduction.

1 Cette notice bibliographique n’engage que les auteurs et sa publication ne signifie pas que l’OCDE oules gouvernements de ses pays membres souscrivent aux opinions et arguments qui y sont exprimés.

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Toutefois, ces travaux présentent une grosse lacune, à savoir la faible mise en lu-mière des conséquences pour la main-d’œuvre engagée dans les réseaux de productionmondiaux (ci-après «RPM»). Il s’agit du poids des normes du travail dans la gouver-nance des RPM, des difficultés et des bénéfices potentiels pour les travailleurs engagésdans ces réseaux, du risque de répartition inégale des gains et de leur capacité d’obtenirle respect de leurs droits et l’amélioration de leur bien-être (Nadvi, 2008; Coe et Jord-hus-Lier, 2011). On observe, aujourd’hui, un intérêt croissant de la recherche pour la re-lation entre le progrès économique que connaissent les chaînes de valeur et les réseauxde production mondiaux et ses effets sociaux: croissance de l’emploi, progression des sa-laires et des compétences, amélioration des conditions de travail et, plus généralement,des conditions de vie des travailleurs (Barrientos, Gereffi et Rossi, 2010; Milberg etWinkler, 2010; Nadvi, 2011). Cette question s’est aussi inscrite sur les ordres du jour po-litiques du fait des efforts de l’Organisation internationale du Travail pour promouvoirce qu’elle dénomme «le travail décent».

L’ouvrage présenté ici contribue à combler les lacunes en matière de recherchedans ce domaine. Cet excellent recueil vient à point nommé et devrait peser sur les dé-bats en cours. Etant désormais l’une des premières puissances émergentes et la quatriè-me économie du monde, l’Inde est devenue un fournisseur mondial essentiel dans touteune série de secteurs, qu’ils soient à forte densité de travail, comme l’agroalimentaire,l’habillement ou la chaussure, ou à forte densité de capital, comme l’automobile, ou deconnaissances, comme les logiciels. Dans certains secteurs, les entreprises indiennessont aussi passées du simple statut de fournisseurs à celui de firmes de premier rang.Bien que le pays reste relativement pauvre, avec de fortes inégalités, les consommateursindiens de la classe moyenne représentent aujourd’hui un important marché pour lesbiens de consommation, indiens ou mondiaux. Il était donc nécessaire de mener uneétude sur l’engagement de l’Inde dans les RPM. Outre trois chapitres conceptuels et uneétude comparative entre l’Inde et la Chine, cet ouvrage comprend dix études de cas sec-torielles qui portent notamment sur les implications de l’engagement dans les RPMpour la main-d’œuvre indienne.

Les auteurs identifient trois points distincts à élucider: l’engagement dans lesRPM débouche-t-il sur une progression technologique des entreprises indiennes loca-les, et cette progression bénéficie-t-elle aux petits producteurs? En découle-t-il aussiune amélioration des emplois, avec de meilleures conditions de travail et de plus fortesexigences en matière de qualifications et de connaissances? Ces bénéfices pour les tra-vailleurs indiens et les entreprises locales sont-ils plus importants dans les districts in-dustriels géographiquement circonscrits?

L’introduction et les chapitres conceptuels préparent le terrain des études empi-riques qui suivent. Dev Nathan fait une présentation générale des implications de lacroissance des inégalités mondiales pour la demande mondiale et pour les entrepriseslocales à propos des qualifications exigées pour suivre l’évolution de la demande mon-diale. Il souligne la pertinence du point d’inflexion de Lewis – déjà observé au sud de laChine avec l’augmentation des salaires et des pénuries de main-d’œuvre – qu’il met enrelation avec la notion de «grande transformation» de Polanyi. La conséquence, pourl’Inde et les autres économies émergentes, est que nous commençons à observer une tra-jectoire de la croissance économique qui n’est pas très dissemblable de celle qu’aconnue le monde développé après la seconde guerre mondiale. Toutefois, les évolutionsactuelles appellent de nouvelles formes de gouvernance mondiale pour relever les défisdécoulant de l’accentuation de divers types d’inégalités. Le chapitre rédigé par AnnePosthuma aborde la question de la gouvernance en soulignant combien les interventions

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réglementaires publiques – et aussi celles qui aujourd’hui ont une motivation et unemise en œuvre privées – ont conduit à un clivage plus net entre les zones de l’économieformelle et le secteur informel. Toutefois, en général, l’organisation de la productionmondiale ne se soucie guère de ces distinctions. En réalité, comme certains l’avancent,elle recherche systématiquement une main-d’œuvre informelle et marginalisée – sou-vent désignée comme «captive» – comme moyen de garantir la flexibilité de la produc-tion et de maximiser les avantages compétitifs (Phillips, 2011). Comme le relève Post-huma, cela demande un changement radical des dispositifs réglementaires, un nouveau«point d’inflexion», qui suppose non seulement de renforcer les réglementations publi-ques et les systèmes d’inspection, mais aussi de nouvelles approches participatives etconsultatives, conduisant à un engagement plus efficace des intérêts publics, privés et dela société civile, pour améliorer les conditions d’emploi et les droits des travailleurs.

Nathan et Posthuma posent donc chacun des questions critiques pour le sujet trai-té dans cet ouvrage, tout en résumant utilement les débats en cours. Knorringa va plusloin en proposant un nouvel ordre du jour pour la recherche. Se situant dans la perspec-tive de la responsabilité sociale des entreprises, il se demande quels sont les moteursd’une production responsable qui, à son tour, donne de meilleurs résultats pour les tra-vailleurs. A cet effet, il considère le rôle de l’Etat, des organisations de la société civileet des entreprises privées, et se demande aussi quels pouvoirs émergents à l’échellemondiale pourraient affecter l’évolution des choses. Cela demande une compréhensionplus approfondie du comportement des entreprises des économies émergentes (spécia-lement en Chine et en Inde) dans leur intégration avec les valeurs des RPM aux systè-mes d’organisation productive de ces économies. Cela demande aussi de mettre davan-tage l’accent sur le comportement des consommateurs des économies émergentes, avecles implications de leurs choix sur un projet de production responsable. Le chapitre deKnorringa est donc particulièrement utile parce qu’il commence à baliser le chemin denouvelles recherches sur la façon dont la montée des pouvoirs émergents d’aujourd’hui(surtout, mais pas seulement, en Asie) affectera les débats politiques sur les normes dutravail et les conséquences en matière de travail dans les RPM.

L’apport le plus important de cet ouvrage et donc le retentissement que l’on peuten attendre tiennent à la grande richesse de ses études empiriques: la main-d’œuvre desRPM dans l’habillement en Inde (Barrientos, Mathur et Sood; Tewari; Hirwa; Gereffiet Güler); le secteur de l’agroalimentaire et des activités forestières hors bois d’œuvre(Singh; Kelkar, Alhuwalia et Kumar); les tanneries (Damodaran); l’automobile (Su-resh; Awasthi, Pal et Yagnik; Gereffi et Güler); les logiciels et les technologies de l’in-formation (Upadhya; Sarkar et Mehta; Gerreffi et Güler). Plutôt que de traiter indivi-duellement chacune de ces contributions, nous présenterons ici leurs résultats les plusgénéraux et nous nous concentrerons sur quelques chapitres pour souligner les implica-tions de cet ouvrage sur un point essentiel: l’engagement dans les RPM améliore-t-il lasituation des travailleurs, et si oui, comment?

Le livre rassemble diverses études sectorielles, allant des activités à bas salaire – ha-billement et exploitation forestière hors bois d’œuvre – aux activités à salaire élevé – logi-ciels –, mais un trait commun se dégage: les bénéfices que les travailleurs tirent de leur en-gagement dans les RPM sont souvent bien moindres que ceux que l’on attendrait. Enoutre, certaines catégories de travailleurs engagés dans ces réseaux peuvent être particu-lièrement désavantagées ou vulnérables. Se fondant sur leur étude relative à la mise enœuvre du code de base ETI chez les fournisseurs de l’industrie de l’habillement de Delhi,Barrientos, Mathur et Sood plaident pour que l’on mette plus l’accent sur les travailleursvulnérables, spécialement sur les travailleurs temporaires ou pseudo-indépendants qui

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sont dans l’incapacité d’obtenir les avantages réglementaires, et sont souvent employéspour contenir les coûts de production. Les pseudo-indépendants se situent au bas de lahiérarchie du travail en termes d’accès aux droits et ils sont en plus forte proportion issusde catégories marginalisées: «castes recensées», minorités religieuses, migrants et fem-mes. L’étude de Hirway sur les travailleuses de l’habillement met plus encore l’accent surle fossé qui se creuse entre les travailleurs des secteurs avec ou sans syndicats. Cela se tra-duit par des polarités et des écarts salariaux nets entre les sexes; les femmes non syndi-quées travaillant à la maison étant les moins bien rémunérées. Ces inégalités sont égale-ment aiguës dans l’agriculture et l’agroalimentaire. Kelkar, Alhuwalia et Kumar montrentque l’engagement de femmes indigènes très pauvres dans les RPM pour la production decaoutchouc destiné à l’exportation ne se traduit pas par de réels gains économiques, ycompris un meilleur régime alimentaire familial; ils soulignent aussi des disparités entreles sexes à l’intérieur des ménages et la vulnérabilité de ces femmes. Damodaran observeque, en dépit du rôle majeur de l’Inde sur le marché mondial du cuir, les gains pour les tra-vailleurs sont limités. En outre, la précarisation et les inégalités entre les sexes entretien-nent les entreprises dans des stratégies à faible valeur ajoutée, sans progression dans lesecteur, et donc sans amélioration de la situation des travailleurs.

Ces formes d’entrée néfastes dans les RPM ne se limitent pas aux industries àforte intensité de main-d’œuvre et faible qualification. Au Tamil Nadu, dans le secteurde l’automobile et des pièces détachées, les pressions pour réduire les coûts ont, selonSuresh, induit une plus forte propension à la sous-traitance, au recours à des apprentisou «stagiaires» faiblement rémunérés ou à des contrats irréguliers avec des pseudo-in-dépendants, au nom d’un «régime de main-d’œuvre flexible» pour accroître la compéti-tivité des entreprises. Même dans le secteur à haute technologie et à forte densité deconnaissances des technologies de l’information, la flexibilisation de la main-d’œuvreest au centre du modèle économique. Comme le montre Upadhya, cela comprend le re-cours à un grand nombre de contrats temporaires (spécialement à travers la pratique dela location de personnel), de longues heures de travail et des conditions de travail extrê-mement stressantes.

Ces études empiriques, détaillées et découlant de recherches approfondies, mon-trent que, si l’engagement dans les RPM peut donner de meilleurs niveaux d’emploi, dessalaires plus élevés et des conditions de vie meilleures pour certaines catégories de tra-vailleurs, il est également de plus en plus marqué par une différenciation entre les grou-pes de travailleurs. La flexibilité de la main-d’œuvre est le revers de la médaille de l’en-gagement dans les RPM, surtout par un recours croissant à des travailleurs temporaires,non syndiqués et très «flexibles», dont beaucoup proviennent des segments les plus mar-ginalisés et les plus vulnérables de la société indienne. La nécessité de se concentrer surles engagements néfastes dans les RPM est une préoccupation croissante des chercheursqui travaillent sur ce sujet (voir Phillips, 2011), et c’est l’une des grandes conclusions quiressort de cet ouvrage.

Mais ce n’est pas la seule conclusion. Une autre observation importante des étudesempiriques est la nécessité de savoir comment les travailleurs peuvent agir, notammentpar diverses formes d’actions collectives, menées par eux-mêmes ou par d’autres. A cetégard, l’un des chapitres les plus intéressants est celui de Tewari; il note que le progrès so-cial, soit une amélioration des salaires et des conditions de travail, ne découle pas néces-sairement du progrès économique des producteurs locaux intégrés dans des RPM. De fa-çon plus significative, sa contribution – sur le rôle des capitaux mobiles dans le textile etl’habillement à forte intensité de main-d’œuvre et à faible salaire – met en évidence deuxpoints. Le premier est que les tentatives des entreprises de progresser et de trouver de

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nouveaux créneaux peuvent conduire à des «améliorations des conditions de travail par larecherche de productivité», surtout lorsque ces entreprises opèrent sur des marchés ten-dus avec des pressions sur la disponibilité de main-d’œuvre qualifiée. L’importance desmarchés du travail «tendus» apparaît aussi dans le secteur des logiciels et des technologiesde la communication (voir les chapitres d’Upadhya, et Sarkar et Mehta) où les pénuries demain-d’œuvre sur certains segments du marché ont conduit à des hausses de salairessignificatives. Bien évidemment, le point d’inflexion de Lewis auquel fait référence Na-than pourrait bien être proche sur certains segments du marché du travail indien. Ledeuxième point soulevé par Tewari est que les nouvelles formes d’organisation des tra-vailleurs – qu’elle dénomme «nouvelles formes d’institutions hybrides» – peuvent jouerun rôle critique à la fois pour canaliser l’action des travailleurs et pour promouvoir leurbien-être, et celui de leurs communautés, grâce à des approches innovantes de la «négo-ciation collective». Elle donne en exemple la New Trade Union Initiative, intersectorielle,qui suggère que, lorsque l’organisation collective des travailleurs vise à l’amélioration desconditions de vie en général plutôt qu’aux seuls droits du travail, elle peut produire des ini-tiatives plus fortes, fondées sur la communauté, avec un engagement plus efficace desentreprises, et donnant de meilleurs résultats pour les travailleurs, les ménages et la com-munauté dans son ensemble. L’importance de l’organisation de la main-d’œuvre est éga-lement relevée dans le chapitre de Suresh sur le secteur des pièces détachées automobilesau Tamil Nadu. L’exemple du différend du travail de Visteon montre que les formes tra-ditionnelles d’action syndicale peuvent aussi, après une forte mobilisation, donner des ré-sultats positifs pour les travailleurs.

Ces deux points – la tension sur les marchés du travail et les nouvelles formes d’ac-tions syndicales – peuvent être décisifs pour que la main-d’œuvre tire des gains plus impor-tants du progrès économique et de l’insertion dans les RPM; ils appellent donc des recher-ches plus approfondies. Une autre question qui n’est pas traitée d’aussi près dans cetouvrage et demande plus de recherches est le rôle de l’Etat dans la réglementation et l’ins-pection du travail (un point abordé par Posthuma). En Asie du Sud, l’inspection et la ré-glementation du travail ont fait l’objet de nombreux rapports signalant une gouvernancepublique marquée par l’ineffectivité et la corruption. Toutefois, des études sur l’Améri-que latine ont montré que les régimes d’inspection du travail peuvent être efficaces pourprotéger les droits des travailleurs et renforcer la base du progrès économique (Piore etSchrank, 2008). Certains de ces travaux montrent que les approches fondées sur la produc-tivité, qui visent une trajectoire à forte valeur ajoutée de la spécialisation flexible, peuventengendrer des gains tant économiques que sociaux, donc des améliorations pour les tra-vailleurs.

Où cela nous conduit-il? Au départ, cet ouvrage posait trois questions essentielles:premièrement, l’engagement de l’Inde dans les RPM s’est-il traduit par un progrès écono-mique avéré? Deuxièmement, ce progrès économique se traduit-il par des gains pour lestravailleurs et par un certain progrès social? Troisièmement, la localisation dans les dis-tricts facilite-t-elle cette évolution? Les études empiriques sont largement centrées sur lesdeux premières questions, surtout la deuxième. Sur la première, le progrès économiquesemble avéré, bien qu’inégal, dans toute une série de secteurs de l’Inde. Sur la deuxièmequestion, la conclusion est que le progrès économique en Inde suit largement une stratégieà faible valeur ajoutée qui se reflète par la tendance à choisir une plus forte flexibilité dela main-d’œuvre comme fondement de la compétitivité. Le recours à la main-d’œuvre pré-caire est croissant, de même que la vulnérabilité des segments marginalisés de la main-d’œuvre rurale et urbaine, avec des résultats très différenciés. En revanche, les stratégiesaxées sur la productivité sont rares, mais elles existent. En outre, les gains de productivité

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ne se traduisent pas automatiquement en gains sur le salaire réel. De façon significative,lorsque les marchés du travail sont tendus, les approches axées sur la productivité donnentdes résultats positifs en termes d’efficacité et de progrès sociaux. Par ailleurs, lorsque lestravailleurs sont à même d’agir, surtout grâce à de nouvelles formes d’actions collectives àbase communautaire et intersectorielle, la probabilité de tels gains augmente. La questiondes districts reste une question ouverte. Avec la notable exception du chapitre d’Awasthi,Pal et Yagnik, peu de contributions mettent l’accent sur l’évolution des districts et sur lafaçon dont une gouvernance fondée sur les districts (y compris les réseaux sociaux et l’in-tégration) peut aider à formuler un ordre du jour qui combine progrès économique et pro-grès social. Cela demande d’approfondir la recherche de même que la question plus largede l’intégration spatiale et de la gouvernance locale dans l’organisation de la revendica-tion de meilleurs gains pour la main-d’œuvre engagée dans les RPM.

A une époque où, à l’échelle internationale, l’attention des médias et le travailuniversitaire se focalisent sur les «puissances émergentes», et notamment la montée del’Inde, cet excellent recueil offre des éclairages empiriques sur la façon dont ce pays estengagé dans les RPM, avec des résultats fort différenciés pour les travailleurs, les petitesentreprises et les petits agriculteurs du pays. Il s’ensuit des défis importants pour les dé-cideurs indiens et internationaux soucieux du travail décent. Il en découle aussi desquestions critiques sur les puissances émergentes comme l’Inde (mais aussi la Chine etle Brésil), et leur capacité de formuler les «règles» qui gouverneront la production mon-diale à l’avenir, avec les implications que cela aura pour les travailleurs et les petits pro-ducteurs en Inde et dans le monde en développement en général (Henderson et Nadvi,2011).

Khalid NadviSchool of Environment and Development

Université de Manchester

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Piore, Michael J.; Schrank, Andrew. 2008: «Le renouveau de l’inspection du travail dans lemonde latin», Revue internationale du Travail, vol. 148, no 1, pp. 1-27.