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Institut Royal Supérieur de Défense L’Agence européenne de défense dans le paysage européen de la coopération en matière d’équipements de défense Alain De Neve SÉCURITÉ & STRATÉGIE N° 103 VEILIGHEID & STRATEGIE Novembre 2009

L’Agence européenne de défense dans le paysage …S/v&S Nr 103.pdf · paysage européen de la coopération en matière d’équipements de défense Alain De Neve Institut Royal

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L’Agence européenne de défense dans le paysage européen

de la coopération en matière d’équipements de défense

Alain De Neve

SÉCURITÉ & STRATÉGIE N° 103

VEILIGHEID & STRATEGIE Novembre 2009

ISSN : 0770-9005

L’Agence européenne de défense dans le paysage européen de la coopération en

matière d’équipements de défense

Alain De Neve

Institut Royal Supérieur de Défense Centre d’Etudes de Sécurité et de Défense

Avenue de la Renaissance, 30

1000 Bruxelles

i

With a long history of failures to foster European cooperation on arms production and procurement, the creation of a European Defence Agency (EDA) on 12 July 2004 was received with great suspicion by observers and analysts. Yet, in five years of activity, the EDA has succeeded in showing more potentials than its predecessors. Though its results are certainly not spectacular, the EDA has proved to be a very creative institution aimed at encouraging cooperation among its participating member’s states regarding military R&D and armaments development and acquisition.

Evaluating the first five years of EDA’s work in terms of failures or successes is a very difficult – if not unproductive – exercise. One of the first accomplishments of the EDA was its firm establishment in the armament cooperation landscape. To this end, the then Agency Establishment Team had to work in order to create it own institutions and procedures but also to engage the first collaborative efforts by joining member states and industry representatives around some flagship and – to be honest – symbolic projects in a first time.

Among the more tangible achievements of the EDA figure, inter alia, the Agency’s growing involvement in technology research programs and numerous efforts towards a borderless and more competitive European defence market.

Yet, EDA’s work is still confronted to structural obstacles. One of the greater impediments to EDA’s progress lies in the diverging national interests in the field of defence procurement and industrial policies. Moreover, budgetary issues have considerably limited the possibility to develop long-term views about the organizational strategy of the EDA, even though it has always demonstrated its will to think beyond the horizon.

Needless to say, the fact most Europeans have probably never heard of the European Defence Agency is, in some respect, highly problematic. At the same time, the “low visibility” of the EDA can also be seen as strength. The institution has developed as a discrete key player, if not a genuine catalyst, in the area of European Security and Defence Policy (ESDP). As it will be explained, the EDA has become in less than five years, a cornerstone of European defence and could develop, in the future, a formidable potential of growth.

Executive Summary

ii

A

AED Agence européenne de défense

ASD AeroSpace and Defence Industries Association of Europe

ASE Agence spatiale européenne

B

BITDE Base industrielle et technologique de défense

BLOS Beyond Line of Sight

C

C4I Commandement, conduite, communications & informatique

C4ISTAR Command, conduite, communications, informatique, renseignement, surveillance & reconnaissance

CAGRE Conseil Affaires générales et relations extérieures

CapTech Capability Technologies

CESD Centre d’Etudes de Sécurité et de Défense

CMUE Comité militaire de l’Union européenne

CoC Code of Conduct

COPS Comité politique et de sécurité de l’Union européenne

COREPER Comité des Représentants permanents

D

DA Division « Armements »

DIM Division « Industrie & Marché »

DoD Department of Defense

DR&T Division « Recherche & Technologie »

Glossaire des abréviations

et acronymes

iii

E

EMPs Etats membres participants

EMUE Etat-major de l’Union européenne

EULER European Software Defined Radio for Wireless in Joint Security Operations

G

GAEO Groupement Armement de l’Europe occidentale

GEN/AEA Groupe d’experts nationaux/Agence européenne de l’armement

GMES Global Monitoring for Environment and Security

I

IED Improvised Explosive Devices

IESUE Institut d’études et de Sécurité de l’Union européenne

IRSD Institut Royal Supérieur de Défense

J

JIP-FP Joint Investment Program – Force Protection

JIP-ICET Joint Investment Program – Innovative Concepts and Emerging Technologies

L

LE-UAV Long Endurance – Unmanned Aerial Vehicles

LdI Lettre d’Intention

LOS Line of Sight

LTV Long Term Vision

M

MEED Marché européen des équipements de défense

MoD Ministry of Defence

iv

N

NEC Network-Enabled Capability

O

OAEO Organisation de l’Armement de l’Europe occidentale

OCCAR Organisation Conjointe de Coopération en matière d’Armement

OTAN Organisation du Traité de l’Atlantique Nord

P

PAEC Plan d’action européen sur les capacités

PCDC Processus complet de développement des capacités

PDC Plan de développement des capacités

PESD Politique européenne de sécurité et de défense

R

R&D Recherche & Développement

R&T Recherche & Technologie

RMES Réseau Multidisciplinaire d’Etudes Stratégiques

U

UE Union européenne

UEO Union de l’Europe occidentale

v

L’auteur du présent rapport tient à exprimer sa plus profonde gratitude à toutes les personnes qui ont accepté de consacrer une part de leur temps précieux afin de fournir des éléments d’informations essentiels à la réflexion de fond que comportent ces pages. L’auteur remercie plus particulièrement :

Le Général Major Pierre HOUGARDY, Directeur national Capacités & Armement pour l’armée belge et ancien Directeur de la Direction Capacités de l’Agence européenne de défense de novembre 2004 à décembre 2007.

Le Colonel breveté d’état-major Georges PEENE, Directeur adjoint de l’Organisation Conjointe de Coopération en matière d’Armement (Agence exécutive) ;

Le Lieutenant Colonel d’aviation breveté d’état-major, Fernand ROUVROI du Département Recherche Scientifique & Technologies de Défense (RSTD) de l’Institut Royal Supérieur de Défense ;

Monsieur Gordon SARLET, chargé de mission auprès de la Division aéronautique de Thales ;

Monsieur Burkard SCHMITT, expert défense auprès de la Commission européenne (Direction Général Marché Intérieur & Services).

Remerciements

1

INTRODUCTION …………………………………………………………..…… 4

1. LA MONTEE EN PUISSANCE D’UN CONCEPT ……………….……….…… 7

a. Genèse et maturation ……………………….…………….….. 7

b. L’épure institutionnelle ……………………………………… 9

c. Le processus d’élaboration et de mise en place ………….… 10

i. Débats en vigueur et adoptions …………………….…... 10

ii. Evaluation critique ………………………………….... . 12

d. Les objectifs de l’AED ……………………………….…….. 14

e. « Attraper les trains qui partent… » ………….…………….. 15

f. Capacités versus armements …………………………....…. 16

g. Conclusion partielle ………………………………….…….. 19

2. STRUCTURE , MISSIONS ET BUDGETS DE L’AGENCE ………….………. 21

a. Hiérarchie et organes décisionnaires ………………………. 21

b. Les structures ………………………………………………. 22

i. La Division ‘Capacités’ (DC) ……………………... 22

ii. La Division ‘Recherche & Technologie’ (DR&T)… 25

iii. La Division ‘Armements’ (DA) …………………… 30

iv. La Division ‘Industries et Marchés’ (DIM) ………...34

c. Les missions de l’Agence ………………………………..… 35

i. Le développement des politiques ………………….. 35

ii. Un rôle de régulation ‘virtuelle’ …………………… 36

d. La question des structures et du budget …………………….. 36

Table des matières

2

e. L’Agence et la coopération européenne dans le domaine

des armements ……………………………………………… 38

i. Les rapports avec le GAEO et l’OAEO …………… 39

ii. Les rapports avec l’OCCAR ………………………. 47

iii. La Lettre d’Intention/Accord Cadre ……………...... 56

f. Conclusion partielle ………………………………………… 61

3. LES TRAVAUX ET RESULTATS D ’ACTIVITES DE L ’AED …………..….. 63

a. Les ‘Flagship Programs’ …………………………………… 63

b. Le développement d’une vision prospective ……………….. 64

c. Les Joints Investment Programme (JIP) ……………………. 67

i. Le programme d’investissement conjoint sur la protection des forces et du combattant …………….. 67

ii. Le programme d’investissement conjoint sur les technologies émergentes (JIP-ICET) ……………… 69

d. Le régime intergouvernemental de soutien à la concurrence sur la marché européen des équipements de défense ………… .. 71

i. Le code de conduite sur les acquisitions en matière de défense (Code of Conduct on Defence Procurement (CoC) …………………………………………….. 72

ii. Le code des bonnes pratiques en matière de chaîne d’approvisionnement (Code of Best Practice in the Supply Chain (CoBPSC)) …………………………. 72

e. Les Stratégies européennes de coopération dans le domaine de l’armement et de R&T de défense ……………..…………... 73

f. Le Plan de développement des capacités …………….…….. 74

i. Des objectifs globaux ……………………………… 74

ii. … Aux catalogues de forces et des progrès ……….. 77

iii. La montée en puissance de l’AED ………………… 78

g. Conclusion partielle …………………………………. ..…… 79

3

4. CONCLUSION GENERALE ……………………………………………..... 81

a. Une institution toujours à la recherche de sa place

et de son rôle ……………………………….…………...….. 81

b. Une rationalisation institutionnelle nécessaire …………...… 82

5. BIBLIOGRAPHIE ……………………………………………………...…. 85

6. ANNEXES ……………………………………………………………..…. 91

- Organigramme de l’Agence européenne de défense ……...… 92

- Liste des CapTech de l’Agence européenne de défense …..... 93

- Liste des programmes de R&T de l’Agence européenne

de défense relevant de la catégorie ‘B’ ………………..….... 94

- Convention on the Establishment of the Organisation for Joint Armament Cooperation (Organisation conjointe de Cooperation en Matière d’Armement) OCCAR …………………..……… 96

- Council Joint Action 2004/551/CSFP of 12 July 2004 on the establishment of the European Defence Agency (Action commune du Conseil 2004/551/PESC du 12 juillet 2004 portant la création de l’Agence européenne de défense) …..………. 126

4

Plus de cinq ans après sa création (Action commune 2004/551/PESC du 12 juin 2004 du Conseil de l’Union européenne) et quatre ans après l’instauration de ses structures dans leur forme finalisée, l’Agence européenne de défense (AED) a indéniablement confirmé son rôle de plate-forme de concertation centrale entre les Etats de l’Union européenne (désignés, plus exactement, Etats membres participants1), les industries actives dans le secteur de la défense et de la sécurité et les organisations (européennes ou transatlantiques) en charge de la recherche et technologie (R&T) de défense ainsi que du développement et de la gestion des équipements militaires.

L’apparition de l’AED est, comme nous le verrons, principalement le fruit d’un concours extraordinaire de circonstances et, de manière plus secondaire, de la réunion de volontés politiques qui, bien que réelles, furent les mêmes qui, quelques années auparavant avaient tué dans l’œuf le projet embryonnaire d’une semblable agence développé au sein du Groupe d’experts nationaux/Agence européenne de l’armement (GEN/AEA) du Groupe Armement de l’Europe occidentale2. En effet, c’est en tout premier lieu un contexte qui a permis à l’AED de voir le jour.

L’Agence européenne de défense, dont la naissance concrète a été décidée en à peine 3 mois, puise néanmoins dans un passif européen particulièrement dense, car constitué de diverses organisations, agences et initiatives tantôt destinées à renforcer les capacités technologiques européennes, tantôt employées en vue de soutenir l’émergence d’un véritable marché européen transparent et concurrentiel des équipements de défense. De nature intergouvernementale, l’Agence européenne de défense s’inscrit, par ailleurs, dans le champ plus large d’une construction européenne permanente dans le cadre de laquelle la Commission européenne entend jouer un rôle de plus en

1 Les Etats membres participants de l’AED sont : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, Chypre,

l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Slovaquie, la Slovénie, et la Suède. Le Danemark, membre de l’Union européenne, a décidé de ne pas participer à l’Agence européenne de défense.

2 Andries Schlieper, « The Goal is The Creation of a European Armament Agency », Military Technology, Vol. 23, No. 4, April 1999, pp. 62 et ss.

Introduction

5

plus étendu, notamment en vue d’inclure dans ses activités de régulation le domaine de la sécurité et de la défense par le biais de sa compétence en matière d’industries. L’AED, comme nous aurons l’occasion de l’observer, sera amenée à traiter, au niveau intergouvernemental, de matières que la Commission a longtemps tenté de conserver dans son périmètre d’action.

Bien que bâtie selon un processus incrémental, l’AED est parvenue à constituer, avec le temps, un acteur institutionnel incontournable du projet capacitaire européen, même si d’immenses défis demeurent. Plusieurs programmes, projets et modalités de financement de recherches dans le domaine de la défense ont été entrepris qui ont associé les Etats membres participants selon des structures flexibles et des géométries de participation variables ; la logique adoptée étant celle d’un rapprochement des politiques de défense et d’acquisition de matériels. Certes, ces entreprises de coopération sont perfectibles. Elles confirment, toutefois, l’orientation nouvelle prise depuis plus de cinq ans par les Etats européens ; ce malgré des turbulences politiques et stratégiques multiples.

L’Agence européenne de défense reste, pourtant, un acteur méconnu de l’architecture institutionnelle européenne. La visibilité dont elle bénéficie auprès des médias et de l’opinion publique est plus que relative. Ce « désamour », qui, admettons-le, s’étend par ailleurs à l’ensemble des institutions politico-militaires de l’Union, s’explique dans une large mesure par la « temporalité » toute spécifique du programme de travail de l’AED. Les projets qu’elle promeut et pour lesquels elle travaille à l’adhésion des Etats membres participants (EMPs) s’élaborent de manière organique selon une méthode de gouvernance qui ne cherche précisément pas à briller de mille feux. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

Du constat qui vient d’être opéré, découle la raison d’être du présent ouvrage. Celle-ci consiste à lever une partie du voile qui, aux yeux des observateurs des affaires de défense, recouvre les activités de l’Agence européenne de défense. Bien sûr, ce livre ne saurait procéder à un passage en revue exhaustif de chacune des initiatives lancées sous les auspices de l’AED. Il cherchera, néanmoins, à livrer un examen que nous espérons utile des résultats engrangés par l’Agence, cinq ans après avoir été portée sur les fonds baptismaux.

L’ouvrage se subdivise en trois grandes parties. La première aura pour tâche de revenir sur la genèse de l’AED. Nous examinerons les débats qui ont préfiguré à son instauration et explorerons les objectifs définis par son acte de constitution (l’Action commune du 12 juillet 2004). La seconde partie de l’ouvrage abordera, plus spécifiquement, les structures de l’Agence.

7

a. Genèse et maturation

Le projet d’instauration d’une Agence européenne de l’armement a toujours figuré parmi les constantes de la coopération européenne dans le domaine des armements3. Pour Anita Roth, le processus maintes fois réitéré de développement d’une Agence européenne de défense rappelle à bien des égards le projet avorté de création d’une Communauté européenne de défense, initiative européenne avant-gardiste dans ses termes mais dont l’échec patent, en 1954, avait imposé une mise en veille du projet de défense européenne4. Divers plans avaient été élaborés par le passé qui portaient en leur sein le concept d’une Agence européenne de défense avant la lettre. Ainsi, en 1978, le rapport du Parlementaire européen Egon Klepsch, présenté devant le parlement européen, comportait-il l’idée d’une telle institution5. Inscrite dans le Traité de Maastricht de 1992, l’idée d’une Agence en charge de la coopération dans le domaine de l’armement, de la recherche et la technologie de défense avait alors été placée sous la responsabilité de l’Union de l’Europe occidentale (UEO). Le Groupe d’experts nationaux/Agence européenne de l’armement, créé en 1993 par le Groupe Armement de l’Europe occidentale (GAEO) avait précisément reçu pour mission d’examiner la faisabilité de la création d’une telle agence de l’armement. Toutefois, et compte tenu des circonstances politiques, économiques et industrielles – alors décrites comme inappropriées pour la mise en œuvre concrète dudit projet – l’idée évoluera pour prendre la forme, à partir de 1996, de l’Organisation Armement de l’Europe occidentale. Au vrai, les discussions conduites au sein du GAEO achopperont très rapidement sur les divergences de vues entre, d’une part, les Etats disposant d’une base industrielle et technologique de défense et, d’autre part, ceux qui en étaient dépourvus. Les premiers militeront pour un abandon pur et simple du principe de « juste retour », alors source de surcapacités industrielles à l’échelle européenne, tandis que les seconds défendront un principe qui devait leur permettre de sauvegarder leur tissu industriel et bassins d’emploi. Pressentant l’échec de la concertation engagée sous les auspices du GAEO, la France décidera alors de s’appuyer sur son partenaire allemand en vue du lancement d’un cadre plus restreint de coopération dans le secteur des équipements de défense. L’Organisation

3 Cédric Paulin, « L’Agence européenne d’armement : l’impulsion décisive pour l’Europe de l’armement »,

L’ENA hors des murs, mai 2004, numéro 341, pp. 2 – 4. 4 Anita Roth, « Virage vers l’avenir ou de Vénus à Mars ? », Annuaire français de relations internationales,

Paris, 2005. p. 616. 5 Martin Trybus, « The New European Defence Agency : A Contribution to a Common European Security and

Defence Policy and a Challenge to the Community Acquis? », Common Market Law Review, Vol. 43, No. 3, June 2006, pp. 667 et ss.

La montée en puissance

d’un concept

8

Conjointe pour la Coopération en matière d’Armements (OCCAR) sera sur le point de faire son apparition et parallèlement à elle, la Lettre d’Intention.

Les travaux concernant l’instauration d’une Agence européenne de l’armement (AEA) se poursuivront néanmoins au lendemain de la constitution de l’Organisation Armement de l’Europe Occidentale (OAEO) avec l’instauration d’un Groupe d’experts nationaux. L’objectif de ce groupe résidera alors dans la définition exploratoire des structures et du cadre réglementaire dans lequel pourrait venir s’inscrire une AEA. Un Plan directeur sera rédigé qui fera suite à la rencontre ministérielle d’Erfurt du mois de novembre 1997. Le GEN/AEA fera à nouveau surface au lendemain du Sommet franco-britannique de Saint-Malo de décembre 1998 et, surtout au lendemain du Conseil européen d’Helsinki des 10 et 11 décembre 1999.

Le rappel de ces événements nous permet d’affirmer que la décision qui a porté en elle le principe de la création effective de l’Agence européenne de défense aura été de nature purement politique6. Elle aura principalement découlé de l’attitude adoptée par les Etats européens dans un contexte de crise particulièrement aigüe des suites de l’intervention militaire coalisée en Irak. Face aux déchirements nés de la singularité des positions politiques nationales relatives à l’opération Iraqi Freedom, l’Union européenne se devait de réagir afin de faire montre de sa capacité, en ces temps alors difficiles, à faire avancer des projets porteurs. Ce sont, tout d’abord, la France, l’Allemagne, la Belgique et le Luxembourg qui tenteront, à l’occasion du Sommet quadripartite du 29 avril 2003 (aussi appelé « Sommet des Pralines ») de relancer la dynamique de la défense européenne, particulièrement mise à mal. Les résultats de cet événement seront illustratifs des avancées soudaines qui interviendront durant cette même année dans le domaine de la coopération européenne en matière d’équipements de défense7. Il n’est pas interdit, avec le recul dont nous disposons aujourd’hui, de qualifier l’année 2003 comme une période d’accélération soudaine et charnière des événements pour la défense européenne. Plusieurs événements, en effet, se conjugueront qui permettront de jeter les bases de la future Agence européenne de défense. L’année 2003 restera marquée, par ailleurs, par la décision de la Commission européenne de reconnaître toute la spécificité de l’industrie de défense. Ce sera toute la portée de la Communication 113 du 11 mars 2003 dans laquelle la Commission européenne indiquera, en outre, la nécessité de renforcer la base industrielle et technologique de défense, notamment en œuvrant afin de rendre cette dernière plus compétitive8. L’action préparatoire sur la recherche en matière de sécurité,

6Jacques Bayet, « L’Agence européenne de défense », Cahiers du CHEAr, 40ème session nationale, 23

septembre 2004, p. 3. 7 A noter que la grande majorité des recommandations contenues dans la déclaration issue du sommet

quadripartite ont été mises en œuvre. Cf. Adam Daniel Rotfeld, « L’Europe, un nouveau centre de pouvoir », Europe’s World, 16 avril 2008, http://www.europesworld.org/ EWSettings/Article/tabid/78/Default.aspx?Id=c16c004f-7f16-4d64-8ad1-ba7b22d0c085&language=fr-FR.

8 Communication from the Commission to the Council, the European Parliament, the European Economic and Social Committee and the Committee of the Regions, European Defence – Industrial & Market Issues,

9

lancée au printemps de la même année, traduira, un peu plus encore, la préoccupation manifeste de la Commission européenne d’investir les technologies de sécurité, comprises au sens large.

Le mois de mars 2003 sera, en outre, marqué par la décision des directeurs nationaux d’armement de confier aux institutions de l’Union européenne – chacun pense alors à la future Agence de l’Union – les compétences du GAEO. Nous savons les raisons qui permettent d’expliquer l’effet de surprise de cette décision qui ne sera aucunement précédée par un travail préparatoire spécifique sur la question. Le GAEO mettra, pratiquement, un terme définitif à sa mission.

b. L’épure institutionnelle

Les formes qu’auraient pu revêtir le projet d’Agence européenne de défense étaient fort diverses et dépendantes du niveau d’ambition développé par les Etats. Plusieurs idées circuleront quant aux contours définitifs que devait adopter l’institution. Un premier concept reposera sur la constitution d’un bureau central dont la mission aurait consisté à coordonner les organes existants. Dans ce cas de figure, la tâche principale de l’AED aurait été de s’établir comme un « courtier honnête » dans le domaine des armements. Toujours selon ce concept, les moyens qui auraient alors été confiés à l’Agence auraient été particulièrement réduits. Une piste alternative de développement résidera quant à elle dans la configuration d’un réseau lâche de plusieurs agences. Dans ce contexte, le rôle de l’AED aurait principalement consisté en la désignation, au sein de cet éventail d’agences, de responsables chargés d’assurer, selon un procédé de consultations inter-organisationnelles, la coordination des domaines d’action sur lesquels une attention plus particulière aurait dû être attachée.

Selon Burkard Schmitt, en aucun cas, l’Agence projetée n’aurait pu constituer une nouvelle institution de l’armement9. Une telle hypothèse était, en effet, synonyme de redondances et de duplications supplémentaires dans un contexte institutionnel déjà marqué par des doubles-emplois considérables. « Sa création, poursuit l’expert, aurait dû être l’occasion de réorganiser le dispositif actuel et aurait dû être destinée à instiller un workflow cohérent à travers l’ensemble du cycle d’acquisition »10.

Il semble que les Etats membres de l’Union européenne accorderont une oreille attentive à la substance des mises en garde relatives au développement

« Toward an EU Defence Equipment Policy », COM(2003) 113 Final, Brussels, 11.3.2003, cf. ftp://ftp.cordis.europa.eu/pub/era/docs/com_equip_031103_en.pdf.

9 Oliver Sutton, « Not Another Agency », Interavia, Vol. 58, No. 673, October – November 2003, p. 2. 10 Burkard Schmitt, L’Union européenne et l’armement. Quelle agence dans quel marché ?, Paris, Institut

d’Etudes et de Sécurité de l’Union européenne, Cahiers de Chaillot, numéro 63, août 2003, p. 44. Les différents scenarios de développement exposés dans ce travail émanent de l’auteur cité en référence.

10

institutionnel de la future Agence. L’avantage comparatif de l’Agence allait, en effet, se situer au niveau de l’harmonisation des besoins, c’est-à-dire en amont du processus de définition des capacités communes. En ce sens, il devait être pris soin de différencier au mieux la mission de la future Agence européenne de défense de celle remplie dans le cadre de l’OCCAR. Cette dernière était donc maintenue comme le cadre de gestion de prédilection des programmes en coopération.

La tâche de l’AED ne s’avérera pas pour autant aisée dans la mesure où les principales déficiences de la coopération européenne dans le domaine des équipements de défense concernent précisément la définition des besoins dans un contexte intergouvernemental volatile. À cette fin, les grandes missions de l’Agence seraient les suivantes :

1. chapeauter les différentes phases d’acquisition d’un équipement donné, c’est-à-dire de la définition des besoins aux services de soutien ;

2. garantir une coordination la plus optimale possible entre les besoins des forces armées et les cadres de la recherche ;

3. empêcher autant que possibles les duplications entre les outils de développement existants ;

4. travailler avec les institutions existantes tout en essayant de dépasser le seul cadre intergouvernemental, cadre qui constitue, pourtant, le niveau de référence de l’Agence en raison de son statut politique et juridique.

c. Le processus d’élaboration et de mise en place

i. Débats en vigueur et adoptions

Ce sont les déclarations bilatérales franco-allemande de novembre 2002 et franco-britannique de février 2003 qui amorceront un véritable tournant institutionnel dans le domaine de la défense européenne. La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni s’institueront, de facto, comme les nations pilotes pour la mise en place de la future Agence. Il convient d’insister de façon toute particulière sur le rôle moteur que jouera, alors, le gouvernement britannique. En juillet 2004, lors de la mise en place effective de l’Agence, le Secrétaire d’Etat à la Défense, Geoff Hoon, ira jusqu’à déclarer que :

« La création de l’Agence européenne de défense est une entreprise inaugurale

11

[…] Le gouvernement britannique est convaincu que l’Agence jouera un rôle clé dans le renforcement des acquisitions de futures capacités militaires.11 »

Sur le plan capacitaire, le début de l’année 2003 assistera à la conclusion de différents dossiers qui ne manqueront pas d’illustrer la dynamique engagée, même si celle-ci affiche, par la même occasion, des limites structurelles. On citera, entre autres, le lancement officiel du programme A400M, la ratification de l’accord cadre de la Lettre d’Intention par l’Italie et le premier élargissement de l’OCCAR (la Belgique étant conviée à figurer parmi les membres de l’Organisation en vertu de sa participation au programme A400M).

La dynamique initiée lors du Conseil européen de Thessalonique des 19 et 20 juin 2003 sera suivie, à partir du mois de septembre 2003, d’une formalisation concrète des idées injectées par le groupe des Quatre (Allemagne, Belgique, France et Luxembourg). Le 3 septembre, le Comité des représentants permanents (COREPER) conviendra de l’institution d’un groupe ad hoc chargé de préparer la création de l’Agence. Ce groupe préparatoire sera constitué de représentants des différents Etats membres ainsi que d’un représentant de la Commission européenne. Il faudra attendre la réunion du Conseil Affaires Générales et Relations Extérieures (CAGRE) du 17 novembre 2003 pour assister au vote qui portera la création officielle d’une Agence intergouvernementale dans le domaine du développement des capacités de défense, de la recherche, des acquisitions et de l’armement. La raison pour laquelle le projet imaginé à l’occasion du Conseil européen de Thessalonique n’est adopté que quelques mois plus tard relèvera de facteurs purement politiques et symboliques, la Présidence italienne de l’Union européenne ayant souhaité s’attribuer la paternité de la constitution officielle de la future AED. Soulignons encore que d’ultimes discussions au sein du COREPER interviendront encore deux heures avant l’adoption de l’Action commune constituant l’Agence !

Le principe de fonctionnement de la susdite Agence traduira la volonté des Etats membres de ne pas garantir une indépendance totale à la nouvelle structure. Il sera, en effet, prévu que l’Agence se place sous l’autorité directe du Conseil. La réunion du CAGRE permettra l’adoption du rapport confectionné par le groupe ad hoc. Elle procèdera également à la nomination d’une première équipe chargée de la mise en place du dispositif institutionnel de la future Agence12 : l’Agency Establishment Team (AET).

11 Graham Jordan, Tim Williams, « Hope Deferred? The European Defence Agency After Three Years »,

RUSI Journal, Londres, June 2007, Vol. 152, Issue 3, p. 66. 12 Décision du Conseil du 17 novembre 2003 instituant une équipe chargée de préparer la mise en place de

l'Agence dans le domaine du développement des capacités de défense, de la recherche, des acquisitions et de l'armement, JO L 318 du 3.12.2003, p. 19–21.

12

Le rapport établi par le CAGRE se veut un acte réellement fondateur et de première importance. C’est lui qui fixe, en effet, les grandes lignes de la structure de la future Agence. La définition des missions confiées à ce nouvel organe de la coopération européenne en matière d’équipements de défense ne va pas sans susciter un certain malaise dès lors qu’il s’agit de cerner les objectifs poursuivis par les Etats membres. Il apparaît clairement qu’une délimitation trop stricte des futures fonctions de l’Agence ne sera pas souhaitée ou, à tout le moins, ne suscitera pas un consensus clair. L’une des principales controverses a vu s’opposer, à cette occasion, les partisans d’une Agence « conseillère » et « coordinatrice » aux tenants d’une Agence de type « exécutante ». Comme le souligne fort pertinemment Cédric Paulin, les objectifs impartis à l’Agence « s’étirent […] d’une coopération minimale à une intégration totale.13 » En effet, parmi les activités énoncées figureront :

1. le développement des capacités de défense pour la gestion de crises ;

2. l’amélioration de la coopération européenne multilatérale, le renforcement de la base industrielle et technologique de défense et le développement de la recherche en matière de défense.

L’Agence aura, également, pour vocation de contribuer à la création d’un marché européen concurrentiel et ouvert des équipements de défense.

ii. Evaluation critique

Les conditions dans lesquelles l’AED a été instituée révèlent un certain nombre de paradoxes relatifs aux avancées de la coopération européenne dans le domaine de l’armement.

Il convient, dans un premier temps, de constater que l’élaboration de ce qui ne constitue alors qu’un projet d’Agence ne semble pas avoir été conduit sur la base d’un « plan global directeur ». Les premiers débats laissaient apparaître des visions hétéroclites – voire divergentes – à l’endroit des structures, missions et ressources de la future Agence. Les Etats membres partaient ainsi de propositions très éloignées. A titre d’exemple, les premières discussions à froid relatives à la composition en personnel de l’Agence laissaient apparaître des visions très contrastées, certaines délégations évoquant une équipe de 30 personnes, tandis que d’autres représentations des Etats membres évoquaient un ensemble de 200 à 300 personnes. Parmi les principales divergences qui apparurent entre les délégations, celle relative au rôle spécifique de la future

13 Cédric Paulin, op. cit., L’ENA hors des murs, numéro 341, mai 2004, pp. 2 – 4.

13

Agence occupèrent une large part des débats. Les partisans d’une Agence « coordinatrice et conseillère » s’opposèrent aux tenants d’une institution de nature plus « exécutrice ».

Il est clair que le projet d’élaboration de l’Agence représentait, sinon le résultat d’une brusque accélération de l’histoire, à tout le moins le produit d’un activisme politique certain parmi les chefs d’Etat et de gouvernement européens. Il ne fallut pas plus de cinq mois, en effet, pour assister à la création de l’AED et à la définition de ses grands principes de fonctionnement. Ce délai extrêmement court affichait un contraste pour le moins saisissant avec les treize années stériles qui se sont écoulées depuis le Traité d’Amsterdam dans lequel figurait, pourtant, la première référence à ce projet14. L’Agence européenne de défense demeurera, au vrai, en l’état de projet en définition quasi-perpétuelle durant la première année de sa création. Si les chefs d’Etat et de gouvernement s’accordaient à considérer que l’Agence était nécessairement appelée à évoluer, il convient aussi de reconnaître que cette vision d’un organisme en « création continue » découlait, sans nul doute, de la volonté des Etats de ne pas intervenir à un niveau d’organisation qui aurait pu se révéler la source de différends entre les Etats : le diable, on le sait, se cache dans les détails. Le soin fut donc laissé à une équipe restreinte de convenir des contours de l’Agence et, en son sein, de la répartition des tâches selon les missions évoquées dans l’Action commune du 12 juillet 2004. En effet, la désignation du Directeur de l’Agence attestera des divergences, somme toute naturelles, entre les Etats quant à l’organisation interne de l’institution. Officiellement, quatre pays (la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne) étaient candidats afin de proposer un Directeur à l’AED. L’essentiel des débats autour de la désignation de ce dernier allait cependant se restreindre à une querelle entre Paris et Londres. Paris envisageait, quant à elle, de présenter la candidature de son Directeur de la coopération et des affaires industrielles au sein de la Délégation Générale à l’Armement, Laurent Giovacchini. Le Royaume-Uni, pour sa part, misait sur la possible nomination de son responsable à la politique de sécurité internationale au Ministry of Defence (MoD), Nick Witney. Le compromis qui fut réalisé consista à confier les trois premières années de direction de l’Agence au Britannique Nick Witney, jugé plus fédérateur, tandis que sa succession serait assurée par un Français15.

14 Anita Roth, op. cit., p. 622. « Conformément au protocole sur l'article J.7 du Traité sur l'Union européenne,

l'UEO élabore, en collaboration avec l'Union européenne, des arrangements visant à renforcer la coopération entre les deux organisations. À cet égard, un certain nombre de mesures, dont certaines sont déjà à l'examen à l'UEO, peuvent être développées dès maintenant, notamment : […]la coopération dans le domaine de l'armement, en tant que de besoin, dans le cadre du Groupe Armement de l'Europe occidentale, en tant qu'instance européenne de coopération en matière d'armement, de l'UE et de l'UEO dans le contexte de la rationalisation du marché européen de l'armement et de l'établissement d'une agence européenne de l'armement. » Déclaration relative à l’Union de l’Europe occidentale (art. 7) annexée au Traité d’Amsterdam modifiant le Traité sur l’Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes.

15 L’accord informel passé entre la France et le Royaume-Uni consistait à désigner un candidat britannique comme Directeur de l’Agence européenne de défense tandis qu’un Français, le Général de Corps d’Armée Jean-Paul Perruche, était appelé à siéger à la tête de l’Etat-major de l’Union européenne, poste qu’il occupa

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d. Les objectifs de l’AED

Le texte de l’Action commune 2004/551/PESC du 12 juillet 2004, qui porte la création et la définition des modalités et objectifs d’une Agence dans le domaine du développement des capacités de défense, de la recherche, des acquisitions et de l’armement, dispose que cette dernière a pour but de « développer les capacités de défense dans le domaine de la gestion des crises, [de ] promouvoir et [de] renforcer la coopération européenne en matière d’armement, [de] renforcer la base industrielle et technologique européenne dans le domaine de la défense (BITD) et [de] créer un marché européen concurrentiel des équipements de défense, ainsi [que de] favoriser la recherche, le cas échéant en liaison avec les activités de recherche communautaires, en vue d’être à la pointe des technologies stratégiques pour les futures capacités de défense et de sécurité, renforçant ainsi le potentiel industriel européen dans ce domaine. » En réalité, la mission centrale de l’Agence européenne de défense, telle qu’elle découle de la lettre et de l’esprit de l’Action commune, est de combler l’écart entre les ambitions politiques de l’Union européenne et les capacités militaires à sa disposition, que l’on sait insuffisantes. Plus encore, l’objectif de l’AED est de constituer, pour l’Union européenne – et dans les limites de sa marge de manœuvre institutionnelle – une politique européenne de l’armement, pour autant que les conditions d’une synergie interinstitutionnelle soient réunies.

Le texte du préambule ajoute, sur cet aspect, qu’il « conviendrait de disposer des politiques et stratégies en la matière, en concertation avec la Commission et l’industrie le cas échéant, en vue de développer la BITD de manière équilibrée, en tenant compte des points forts des capacités industrielles des Etats membres ». Au vrai, la Commission européenne a été, dès le démarrage de l’AED, intégralement associée aux travaux de cette dernière. Elle est, par exemple, membre (sans pour autant disposer d’un droit de vote) du Comité directeur (Steering Board) ; elle peut assister de droit au comité consultatif pour l’échange avec les pays tiers et participer aux programmes ad hoc. La capacité d’intervention de la Commission peut aller au-delà des modes de participation cités puisqu’elle dispose de la faculté de financer des activités opérationnelles de l’AED à travers une procédure d’affectation de revenus. Il convient néanmoins de souligner que la Commission européenne a longtemps préféré se limiter à une position d’attente et d’observation, craignant sans doute que l’AED ne devienne, à terme, comme l’indique Anita Roth, une Commission

à partir du 1er mars 2004. C’est, toutefois, par la suite, un candidat allemand, Alexander Weiss, qui prit la succession de Nick Witney à la Direction de l’Agence européenne de défense tandis qu’un Général français occupait depuis 2006 le poste de Président du Comité militaire de l’Union européenne (CMUE).

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du second pilier et ne porte ombrage aux récentes tentatives conduites par la Commission en vue d’investir progressivement – et prudemment – le champ de la défense par l’intermédiaire de la régulation de l’industrie et du marché de l’armement.

Ce sont donc des objectifs particulièrement ambitieux que les Etats membres définirent pour l’AED. Il apparut, cependant, très rapidement que les moyens ne seraient pas à la mesure du niveau d’ambition exprimé. Il est également frappant de constater que les rédacteurs de l’Action commune optèrent pour des termes, sinon sibyllins, à tout le moins de nature à permettre aux premiers responsables de l’Agence de disposer d’une marge certaine de manœuvre dans la définition des structures internes de cette dernière. L’organisation actuelle de l’AED découle pour l’essentiel de la formulation fonctionnelle résultant des termes de l’intitulé de l’Agence. On y retrouve, certes explicitement, les quatre piliers actuels (appelés « Divisions ») qui représentent les échafaudages essentiels de l’AED, à savoir : la Division « Capacités », la Division « Armements », la Division « Recherche & Technologie » et la Division « Industrie et Marché ». On indiquera, enfin, qu’une cinquième Division est venue s’ajouter qui prend à sa charge des missions telles que la gestion financière et budgétaire de l’Agence, les procédures et négociations de contrats au nom de l’Agence, l’appui IT et les systèmes de sécurité de l’institution.

L’AED n’a donc pas été appelée à devenir une structure figée. Sa constitution est, dans une certaine mesure, évolutive et obéira, avant tout, à la dynamique que parviendront à y instiller les Etats. Dans une certaine mesure, l’Agence se veut, avant tout, le catalyseur de dynamiques coopératives européennes dans le domaine des armements et des équipements de défense. L’adoption et la mise en œuvre des documents destinés à organiser l’Agence ont d’ailleurs été opérées selon une démarche progressive et, à certains égards, organique. Cette situation n’aura pas été sans générer quelques problèmes quant à la définition du cadre financier dans lequel elle aurait à évoluer.

e. « Attraper les trains qui partent… »

« Attraper les trains qui partent… » : c’est en ces termes que le premier Directeur de l’AED, le Britannique Nick Witney, pouvait qualifier l’un des premiers objectifs de l’institution, souhaitant, au travers de cette expression, qualifier la dynamique éclatée du contexte européen dans le domaine des capacités et équipements de défense. L’Agence s’établissait, en effet, dans un paysage européen qui, dans le domaine de la coopération en matière d’armement, était marqué par le lancement de plusieurs initiatives. L’Objectif

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global 2010 (Headline Goal 2010), le Livre vert sur les marchés publics de défense, l’Action préparatoire sur la recherche en matière de sécurité ou encore le monitoring des industries de défense et la politique spatiale européenne étaient autant de projets et/ou d’initiatives antérieures à la création de l’AED que cette dernière devait néanmoins intégrer dans un cadre global de réflexion et d’action.

En ce sens, le défi de l’AED était triple. Tout d’abord, l’Agence devait s’acculturer aux dynamiques engagées avant elles, et avec lesquelles il lui a été donnée la mission d’interagir de façon constructive tout en respectant les domaines de compétences des différents partenaires institutionnels (Commission européenne, Comité Militaire de l’Union européenne [CMUE], Comité Politique et de Sécurité [COPS], Etat-Major de l’Union européenne [EMUE], Agence spatiale européenne [ASE], etc.). Ensuite, l’AED se devait de définir ses propres modalités de fonctionnement, en d’autres termes son modus operandi. Il s’agissait là réellement d’un défi « existentiel » pour cette nouvelle structure qui, bien qu’ayant le mérite d’exister, devait encore justifier les raisons de son existence. Un troisième défi pour l’AED était d’entamer les démarches utiles en vue de tisser progressivement sa propre base de connaissance de même que son « réseau de recherche et d’innovation »16. L’AED s’insère, comme nous le soulignions, dans un paysage institutionnel déjà fortement composé. Les contraintes budgétaires des Etats n’autorisaient donc pas la mise en place d’une structure idoine faisant table rase des réseaux de politique publique existants. Il importait donc aux responsables de l’AED de non seulement s’insérer dans le cadre institutionnel préexistant mais, au-delà, de constituer des réticulations propres permettant d’établir des ponts entre les futurs travaux de l’Agence et les démarches lancées avant sa mise en place.

Ce rôle de « connecteur » entre les dynamiques passées et les entreprises à venir, l’AED l’a notamment assumé en se voyant transmettre les grands projets qui étaient alors en préparation au niveau du GAEO. Nous reviendrons, plus tard, sur les modalités – complexes à divers égards - des transferts opérés.

f. Capacités versus armements

Le caractère générique de la formulation des buts et activités de l’Agence au sein de l’Action commune qui la fonde exigeait qu’un débat puisse être posé quant aux axes prioritaires en direction desquels l’AED devait orienter son

16 Nous reprenons, ici, l’expression française du concept développé par Valérie Mérindol. Cf. sur ce sujet

Didier Kéchemair et Valérie Mérindol, « Les réseaux d’innovation : quels enjeux pour la Défense ? », Défense nationale et sécurité collective, numéro 10, 2003.

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action. L’une des principales interrogations relatives à ce nouvel organisme, expression de querelles anciennes sur les risques de duplication des institutions européennes dans le domaine des équipements de défense, tenait à l’identification des facteurs qui avaient motivé la constitution de l’AED, ceci afin d’en déduire les priorités.

Pour nombre d’observateurs et acteurs du secteur de l’armement européen, les origines de l’Agence européenne de défense se situent dans la question de la structuration complexe de la base industrielle de défense européenne17. Les principaux pays producteurs d’armement européens ont longtemps eu le réflexe de défendre leurs champions nationaux respectifs. Cette tendance s’est maintenue au lendemain de la guerre froide bien que les Etats n’aient plus été financièrement en mesure de maintenir un niveau de commande élevé, les opinions publiques et politiques européennes exigeant une redistribution des dividendes de la paix. Il a très rapidement résulté de cette situation non seulement une fragmentation des marchés de défense18 mais également une incapacité structurelle des Etats à soutenir efficacement la BITD du fait des duplications existantes en matière de développement de programmes19. Afin de résorber cette situation qualitativement déficitaire, il pouvait apparaître que l’AED s’oriente essentiellement vers l’identification de nouveaux programmes d’armements pour les besoins européens.

En marge de cette vision « armement », le Royaume-Uni a voulu privilégier une orientation « capacitaire ». Ainsi, l’ancien secrétaire d’Etat britannique à la Défense, Geoff Hoon, soutenait-il que la principale mission de l’AED ne pouvait résider dans le lancement d’équipements nouveaux mais plutôt dans l’identification des lacunes capacitaires européennes et dans la formulation des méthodes les plus appropriées en vue de combler les déficits constatés20. Il va de soi que l’approche britannique relative au développement de l’Agence européenne de défense impliquait une méthodologie de résorption des fossés capacitaires sensiblement différente. En effet, si le processus d’identification des déficits capacitaires peut être mis en œuvre par l’Agence, il n’est pas nécessairement du ressort de cette dernière d’en assurer la solution, selon la vision britannique.

Telle est la raison pour laquelle l’Agence européenne de défense avait bénéficié, à l’origine, du soutien inconditionnel de Londres. Le Royaume-Uni privilégiait une conception « pragmatique » de l’Agence en voyant cette dernière comme l’organe le mieux à même d’évaluer si les Etats européens entreprenaient ou non les actions utiles en vue d’élever leurs standards 17 Graham Jordan & Tim Williams, op. cit., pp. 66 – 70. 18 Edward O’Hara, L’acquisition d’équipements de défense en Europe, rapport présenté au nom de la

Commission technique et aérospatiale de l’Assemblée européenne de sécurité et de défense de l’Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale, Paris, Document C/2005, 6 mai 2008, p. 11.

19 Ajoutons que ce bilan se révèle d’autant plus sombre que la préparation du futur au sein des Etats européens est caractérisée par une inefficience quasi-structurelle des fonds consentis à la R&D militaire qui ne représentent qu’un sixième des montants consentis par les Etats-Unis.

20 Rt Hon Geoff Hoon MP, House of Commons, 3 november 2003.

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d’équipements mais aussi en précisant quelles restaient les mesures à adopter en vue de la résorption des lacunes constatées.

Des divergences de vues entre l’Exécutif de l’AED et le gouvernement britannique apparurent également quant à la détermination des cadres de coopération en matière de recherche et technologie en Europe. L’AED entendit convaincre ses Etats membres participants de dépenser plus et mieux dans des projets de R&T multilatéraux qui puissent aboutir à un maximum de communalités tant dans la définition des besoins que dans la détermination des solutions programmatiques à convenir. À l’inverse, le Royaume-Uni souligna, à diverses reprises son intention de privilégier, chaque fois que possible, et conformément à la Defence Technology Strategy21 dont elle s’était dotée, les coopérations sur une base bilatérale22. Ces considérations étaient de nature à relativiser d’emblée la portée des programmes d’investissement conjoints (Joint Investment Programs [JIP]) que l’Agence s’efforçait de mettre en œuvre même si l’ancien Directeur de l’AED pouvait reconnaître que, dans la pratique, il serait difficile de rassembler l’ensemble des Etats membres participants de l’Agence autour de ces JIP ; cet objectif devant plutôt être considéré comme un « idéal-type » de coopération, théoriquement recherché mais concrètement impraticable23.

Les Etats d’Europe continentale, pour leur part, avaient adopté une vision de l’AED fondée sur les origines historiques de l’institution, origines se situant pour l’essentiel dans la coopération en matière d’armements. Dans cette optique, l’AED aurait pu tout à la fois être impliquée dans des activités d’ordre capacitaire ou de lancement de programmes. Du fait de cette divergence de perspectives, l’AED hérita d’une désignation officielle particulièrement alambiquée (Agence intergouvernementale dans le domaine du développement des capacités de défense, de la recherche, des acquisitions et de l’armement). Les Etats européens hésitèrent longuement sur la dénomination finale de l’Agence : fallait-il privilégier la dimension « armements » (et considérer l’Agence comme une organisation en charge du développement de nouveaux

21 La Defence Technology Strategy indique précisément que l’engagement du Ministry of Defence dans des

programmes conduits en coopération doit assurer des bénéfices mutuels réels. Le seul principe d’un accroissement des montants consentis à la coopération multinationale dans le domaine de la R&T de défense ne représente pas, en soit, un gage de succès des entreprises conduites en matière d’équipements de défense. Ministry of Defence, Defence Technology Strategy for the Demands of the 21st Century, 2006, p. 32. Cf. http://www.mod.uk/DefenceInternet/AboutDefence/CorporatePublications/ScienceandTechnologyPublications/SITDocuments/DefenceTechnologyStrategy2006.htm.

22 La Defence Technology Strategy britannique indique par ailleurs : « It is our assessment that within Europe co-operation is best achieved bilaterally or within small groups of nations, rather than by broad multilateral programmes or by strategic coordination at a pan-European level. The likely loss of focus on national technology priorities makes the latter approach potentially counterproductive. The European Defence Agency is a potentially valuable enabler for facilitating and supporting cooperation between these smaller groups of European partners; for example the recent Franco-British initiative on lightweight radar ».

23 Ben Vogel, « EDA and UK Differ on Approach to Defence R&T », Jane’s Defence Industry Reporter, London, Vol. 43, No. 44, 1st November 2006.

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systèmes d’armes en coopération sur base des lacunes identifiées dans le processus du Plan européen d’action sur les capacités [PEAC]) ou alors placer l’emphase sur la dimension « défense » (ce qui permettait de faire évoluer l’Agence, à l’avenir, vers d’autres domaines de responsabilité) ? Le choix qui fut opéré de qualifier la susdite institution comme Agence européenne de défense exprime l’orientation qui fut adoptée, à son origine. Toutefois, cette désignation ne fut pas sans conséquence sur la participation du Danemark qui aurait préféré rejoindre une Agence en charge de l’armement (terme qui ne posait pas de difficulté majeure dans la mesure où le Danemark n’a jamais exclu la coopération pour le développement d’armements) plutôt qu’une Agence européenne en charge de la « défense » (désignation dont la portée sémantique avait généré une levée de boucliers parmi les autorités politiques danoises). Telle est la raison pour laquelle le Danemark ne figure pas parmi les Etats membres participants de l’Agence européenne de défense24.

g. Conclusion partielle

L’Agence européenne de défense, loin d’avoir réformé le paysage de la coopération européenne en matière d’armement, s’est érigée avant tout comme une interface de dialogue entre les Etats membres participants mais aussi entre les organismes compétents en matière capacitaire qui lui étaient préexistants.

Il pourrait être, par ailleurs, affirmé que l’AED constitue une « solution institutionnelle syncrétique » avant tout destinée à faire se rapprocher des logiques nationales concurrentes, voire antagonistes. L’AED s’évertue à s’ériger comme une plate-forme de dialogue entre les instances qui composent l’environnement fortement composé de la coopération dans le domaine des équipements de défense (OCCAR, Lettre d’Intention [LdI], Programme européen de recherche en matière de sécurité [PERS], European Technology Acquisition Program [ETAP], etc.). La vertu syncrétique de l’AED se retrouve, en outre, dans le mariage consensuel des visions nationales spécifiques (vision « armements » vs vision « capacitaire ») qui avaient pu, un temps, guider l’élaboration de l’Agence.

Si elle a eu le mérite d’être établie dans l’environnement institutionnel européen, il restait encore à l’Agence de se définir des structures, missions et budgets. Surtout, il convenait à l’Agency Establishment Team de déterminer, en accord avec les EMPs, des projets initiaux catalyseurs qui puissent, dans une certaine mesure et pour le temps du lancement des activités de l’Agence, justifier l’existence de cette dernière.

24 André Dumoulin (avec la collaboration de Francis Gevers), Union de l’Europe occidentale, 1998 – 2006 :

la déstructuration, Bruxelles, Bruylant, coll. Axes/Savoir, 2005, p. 123.

21

L’Action commune 2004/551/PESC ne comporte aucune obligation de forme relative aux contours de l’Agence européenne de défense dont elle porte la création. Cette absence de précisions relatives aux structures devant être adoptées par l’AED contraste singulièrement avec le niveau d’ambition exprimé par le Conseil de l’Union européenne dans le descriptif des missions imparties à l’institution. Aussi, l’AET a-t-elle eu pour principale mission – et non des moindres – d’échafauder l’ensemble du dispositif structurel, humain et financier appelé à concrétiser les objectifs contenus au sein de ladite Action. Le présent chapitre détaillera les structures, missions et moyens de l’Agence.

a. Hiérarchie et organes décisionnaires

Selon les termes de l’Action commune 2004/551/PESC, l’Agence européenne de défense opère sous l’autorité et la supervision politique du Conseil. Le Conseil définit les lignes directrices de l’Agence. Cette dernière est appelée à lui fournir des rapports réguliers sur ses activités. Plus précisément, l’AED a pour obligation de soumettre chaque mois de mai, à l’attention du Conseil, un rapport présentant un bilan des activités conduites durant l’année écoulée ainsi que de celles de l’année en cours. Obligation lui est également faite de fournir, toujours à l’attention du Conseil, chaque mois de novembre, un exposé des activités de l’année courante ainsi que des informations relatives, d’une part, au programme de travail et, d’autre part, aux prévisions budgétaires pour l’année suivante.

L’Action commune 2004/551/PESC désigne les instances responsables des activités de l’Agence. Il est ainsi créé un Chef de l’Agence dont la tâche est appelée à être assumée par le Secrétaire général/Haut Représentant (SG/HR) à la politique étrangère et de sécurité commune. Selon les termes de l’Action commune, « le Chef de l'Agence est responsable de l'organisation générale et du fonctionnement de l'Agence et assure que les orientations données par le Conseil, ainsi que les décisions arrêtées par le Comité directeur, sont mises en œuvre par le Directeur, qui lui fait rapport. »

Un Comité directeur est, également, établi. Il est composé des représentants des Etats membres participants et d’un représentant de la

Structure, missions et

budgets de l’Agence

22

Commission européenne. Ses réunions – au moins deux fois l’an – sont organisées au niveau des Ministres de la défense des EMPs. Le Comité directeur œuvre en tant qu’organe de décision de l’Agence et dans le cadre strict des orientations données par le Conseil25.

C’est au Comité directeur que revient le soin de désigner le Directeur de l’Agence et son adjoint. Et ce sur proposition du Chef de l’Agence pour un mandat d’une durée de trois ans (avec possibilité de prorogation pour une période maximale de deux ans). Selon les termes de l’Action commune, le « Directeur, assisté de son adjoint, prend toutes les mesures nécessaires pour garantir l'efficience et l'efficacité du travail de l'Agence. Il est chargé de superviser et de coordonner les unités fonctionnelles, afin d'assurer la cohérence générale de leurs travaux. Il est le chef du personnel de l'Agence.26 »

b. Les structures

i. La Division « Capacités » (DC)

La mission première de l’AED réside, comme nous l’avons observé, dans le développement des capacités aux fins de la conduite d’opérations militaires européennes. Ce choix, certes pragmatique, est également le fruit, comme il en a été fait préalablement mention, des différentiels de sensibilités politiques entre les Etats membres participants quant aux finalités mêmes de l’Agence.

La Division « Capacités » (cf. annexe a, page 92) représente, au vrai, la colonne vertébrale de l’AED dans la mesure où l’une des priorités de l’Europe de la défense réside dans la résorption des lacunes capacitaires, maintes fois identifiées, aux fins de la projection de forces. Il est indispensable de souligner que les efforts conduits par l’Agence dans le domaine des capacités ne vise pas exclusivement le renforcement des moyens européens en vue de permettre l’engagement de forces dans le seul cadre de missions européennes d’intervention. Même si elle privilégie avant tout l’amélioration des dispositifs militaires des Etats membres dans le contexte de la PESD, l’approche de l’AED se veut non-exclusive d’autres formes d’utilisation de ses apports. Les travaux de l’Agence doivent également permettre à des Etats européens de pouvoir globalement mieux se déployer, y compris dans des formats d’intervention de

25 On ajoutera que des réunions restreintes et spécifiques du Comité directeur peuvent être tenues entre, par

exemple, les directeurs nationaux de la recherche en matière de défense, les directeurs nationaux de l’armement, les responsables de la planification, etc.

26 Action commune 2004/551/PESC, article 10, paragraphe 2.

23

type OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) ou de coalitions volontaires multinationales.

On sait, par ailleurs, les segments capacitaires critiques dans lesquels l’Agence se doit impérativement d’investir. D’une manière générale, ces segments ont trait aux structures communicationnelles d’appui aux missions, en d’autres termes, le C4ISTAR (Commandement, Contrôle, Communications, Information, renseignement, Surveillance, Acquisition de cible et Reconnaissance). La principale difficulté tient non pas au degré d’avancement technologique des systèmes détenus en la matière mais davantage à leur manque d’interopérabilité ; ce qui, entre Etats européens, n’est pas sans causer d’immenses difficultés en termes opérationnels.

La Division « Capacités » a pour principales missions de :

1. développer des capacités de défense à mêmes de soutenir la PESD en accord avec les objectifs fixés par le plan de développement des capacités ;

2. regrouper les efforts et les moyens pour la mise sur pied de forces armées européennes transformées, interopérables et projetables.

Afin de remplir ses missions, la Division « Capacités » peut s’appuyer sur un Processus Complet de Développement des Capacités (PCDC). Le PCDC représente la traduction concrète de la volonté de l’Agence et de ses Etats membres participants de dépasser le seul cadre de l’institution pour envisager la problématique capacitaire militaire européenne sous un angle plus large en incluant dans sa réflexion l’ensemble des parties concernées par l’opérabilité de la PESD. On citera, à ce titre, le Conseil de l’Union, le Comité politique et de sécurité, le Comité militaire, l’Etat-major de l’UE, les gouvernements nationaux et les forces multinationales.

Le PCDC repose sur quatre groupes de réflexion que sont :

1. pour les questions d’ordres stratégique et politique, le Conseil et le COPS ;

2. pour les questions de nature opérationnelle, le Comité militaire et l’EMUE ;

3. pour la recherche de solutions, l’AED et le CMUE ;

4. et, enfin, pour l’adéquation avec les plans de défense et les besoins des armées, les Etats membres de l’Union européenne.

Les travaux réalisés dans le cadre du mécanisme du PCDC sont guidés par trois principes essentiels. Le premier principe est que le PCDC apporte une contribution dans les phases de définition des besoins et de la perception des

24

apports des différents Etats membres participants à la cohésion des besoins européens27. Un second principe veut que le mécanisme du PCDC soit guidé par une stricte logique capacitaire, ceci afin de produire les effets désirés en termes de finalités opérationnelles. Enfin, un dernier principe dispose que le PCDC constitue un instrument de réflexion de rupture avec la pensée traditionnelle et s’évertue à recourir aux techniques nouvelles et à développer des idées innovantes dans l’ensemble des domaines d’activités. L’objectif étant, à terme, la constitution de forces armées flexibles, opérationnelles et crédibles.

Le mécanisme du PCDC a permis à la Division « Capacités » d’avancer de manière concrète dans la réflexion sur une pluralité de sujets. On citera, en tout premier lieu, le dossier des Network Enabled Capabilities (NEC) qui a généré un séminaire tenu les 24 et 25 avril 200628. Les réflexions en matière de NEC ont permis l’établissement d’une double coopération politique et industrielle. Récemment, l’Agence a signé un contrat avec le consortium européen EURONEC pour la réalisation d’une étude d’implémentation des capacités réseaucentrées (Network Enabled Capabilities Implementation Study). Ce contrat associe l’AED avec les principaux industriels européens investis dans ce domaine : BAE Systems, EADS Deutschland GmbH (Allemagne), INDRA Systems S.A. (Espagne), SAAB A.B. (Suède – qui sera le leader du projet), SELEX Sistemi Integrati SPA (Italie) et THALES Communications S.A. (France). Cette étude, qui débute en 2009, est appelée à s’étendre sur une durée de 18 mois au terme de laquelle un rapport sera établi sur la définition des moyens de type NEC dont l’Europe a besoin. Cette future Vision NEC aura pour objectif de définir les moyens que les Etats européens auront à mettre en œuvre afin d’unifier leurs efforts en vue de parvenir à la consolidation d’un ensemble d’instruments civils et militaires d’appui des missions conduites dans le cadre de la PESD. De même, dans le domaine des radios logicielles, le programme ad-hoc de catégorie « B » de l’AED, European Secure Software Defined Radio (ESSOR), a-t-il été transmis à l’OCCAR29. Ce programme a pris la forme d’une Joint Venture européenne en impliquant, dans sa conduite, la Finlande, la France, l’Italie, la Pologne, l’Espagne et la Suède. L’objectif de ce programme est de parvenir à la définition d’une architecture commune pour les radios logicielles militaires. L’une des particularités du programme ESSOR, qui atteste, au demeurant, de l’interaction existant entre l’Agence et l’OTAN, réside

27 Yves Pozzo di Borgo, L’Agence européenne de défense : deux ans après, rapport présenté au nom de la

Commission technique et aérospatiale de l’Assemblée interparlementaire européenne de sécurité de défense de l’Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale, C/1965, 2 mai 2007, p. 20.

28 « EDA Signs a Contract on Network Enabled Capabilities », EDA Press Release, 17 December 2008, cf. http://www.eda.europa.eu.

29 Précisons que le programme ESSOR fut, en réalité, le premier projet confié tout à la fois à l’AED et à l’OCCAR, compte tenu des compétences spécifiques de chacune de ces organisations. L’AED fut chargée d’assurer la coordination et la cohérence du programme avec d’autres projets de type SDR (notamment, le système European Software Defined Radio for Wireless in Joint Security Operations [EULER] géré par le Joint Research Center de la Commission européenne). L’OCCAR, quant à elle, se vit confiée la conduite du programme. Les attributions respectives en faveur de l’AED et de l’OCCAR n’ont point été opérées selon une démarche de type séquentiel (de l’AED vers l’OCCAR) mais furent le résultat de négociations conduites de façon concomitante avec les deux institutions par les Etats porteurs du projet.

25

dans le choix de la matrice qui servira de base au développement de l’architecture commune aux radios logicielles militaires européennes. Celle-ci s’appuiera, en effet, sur la Software Communication Architecture (SCA) développée par les Etats-Unis dans le cadre du Joint Tactical Radio System (JTRS)30.

ii. La Division « Recherche & Technologie » (DR&T)

Si une large part des activités de l’AED a précisément consisté à identifier les lacunes rencontrées lors de missions et à combler celles-ci par une démarche de transparence relative aux moyens existants, l’assurance de l’avenir de la défense européenne impose néanmoins un réinvestissement cohérent et rationnel dans la R&T militaire et de sécurité31.

Le domaine de la R&T de défense a très rapidement constitué pour l’Agence tout à la fois un segment d’activités aux potentialités de réalisation prometteuses et un cadre d’investigation marqué par des risques d’écueils importants. Il est utile de rappeler que le potentiel scientifique et technologique européen présente, d’un point de vue qualitatif, des atouts non-négligeables. Le principal obstacle à l’efficience des dépenses liées à la R&T de défense en Europe tient à la fragmentation des programmes et, plus encore, à la faible part occupée par les programmes en coopération dans l’ensemble de l’éventail des projets de recherche avancée européens. Ainsi, comme pouvait le souligner une étude récente conduite par la Direction Générale pour les Relations Extérieures de l’Union du Parlement européen, ce n’est pas tant le niveau des dépenses de défense des Etats de l’UE (estimé à la moitié du montant consacré par les Etats-Unis) qui pose problème, mais bien le « manque d’Europe » dans l’ensemble des programmes engagés par les Etats, soit seuls soit sur la base de coopérations limitées bilatérales ou trilatérales ; toute coopération plus étendue étant, dans la majorité des cas, considérée comme source de querelles et de tergiversations sur les spécificités techniques des projets concernés. Le cas européen présente, du reste, un aspect plus préoccupant encore dans la mesure où la fragmentation des programmes et des investissements révèle des écarts très importants au sein même de l’Europe. Seules deux nations – la France et le Royaume-Uni – représentent les 2/3 du montant total des investissements en faveur de la R&T de défense en Europe. Six nations (les six membres de la LdI) se partagent 90% des dépenses consacrées, dans l’Union européenne, à la R&T de défense. Il convient donc d’en déduire que, en l’absence de l’existence de toute capacité de

30 « European Secure Software Defined Radio: Contract Launched », EDA Press release, 19 December 2008,

cf. http://www.eda.europa.eu. 31 Comme a pu l’indiquer le Directeur de la DR&T, Bertrand de Cordoue, l’objectif est de « dépenser plus,

mieux et ensemble ». Cf. Aimee Turner, « EDA Kicks Off Joint Research Drive », Flight International, Vol. 170, No. 5043, July 2006, p. 15.

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financement autonome et crédible de l’AED en faveur des projets de R&T, toute perspective de coopération dans le domaine de la recherche de défense revient à évoquer les concertations et communalités des projets entre la France et le Royaume-Uni ou, dans le meilleur des cas, entre les six Etats membres de la LdI32.

On rappellera que l’inscription au sein des missions de l’AED des activités de R&T de défense s’est avérée fatale aux organismes intergouvernementaux qu’étaient le GAEO et l’OAEO. Les susdits organismes avaient, on s’en rappelle, initié au sein de l’Union de l’Europe occidentale des dynamiques non-négligeables en matière de R&T de défense, notamment à travers la création d’un vaste réseau européen, non seulement en direction des Etats membres de l’UEO et de l’UE mais aussi à l’adresse des Etats membres de l’OTAN.

La DR&T de l’AED n’a pas vocation à assurer la gestion des projets. Ceci se comprend aisément au vu de la modestie de ses moyens33 et de ses infrastructures34. Le rôle premier de la DR&T est de délivrer un certain nombre d’avis et d’indications invitant les Etats membres participants à orienter dans un sens particulier – et avant tout, commun – leurs projets de recherche et technologie nationaux. Elle a également pour missions de générer des projets nouveaux (essentiellement de « catégorie B », à travers la CapTechs) et de sensibiliser les industries de défense aux domaines qu’elle juge prioritaires en termes de capacités européennes35.

La DR&T a, en outre, pour objectif de « débusquer » les secteurs susceptibles d'offrir des synergies ou des perspectives de coopération potentielles. Leur identification doit permettre, à terme, d'éviter un maximum de duplications. L'un des premiers secteurs pour lequel la DR&T de l'AED a manifesté un intérêt très clair est la robotique militaire et les systèmes autonomes. Cet ensemble de technologies a représenté une opportunité réelle pour l’Agence. En effet, les technologies liées à la conception des systèmes robotiques et autonomes n’étant pas soumises aux mêmes restrictions et procédures de confidentialité que celles appliquées pour d’autres systèmes d’armes, l’AED a pu lancer un certain nombre d’initiatives dans ce secteur. Les UAV présentent un intérêt évident en matière de politique de surveillance des frontières, l’une des préoccupations premières des Etats de l’Union européenne en termes de sécurité globale.

32 Tim Williams, op. cit., p. 67. 33 L’AED fut dotée, lors de ses débuts, d’un fonds de quelque €5 millions, somme qui se révéla rapidement

insuffisante en vue de rencontrer les besoins capacitaires. 34 L’AED ne dispose, en effet, d’aucun centre de recherche ni même de laboratoire dédié. 35 José Mendes Bota, La recherche en matière de sécurité en Europe – Réponse au rapport annuel du Conseil,

rapport présenté au nom de la Commission technique et aérospatiale de l’Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale, Document A/1931, 21 juin 2006, p. 23.

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En résumé, deux missions essentielles sont donc à la charge de la DR&T, à savoir :

1. celle de catalyseur des coopérations européennes de R&T en vue de l’amélioration des capacités de défense ;

2. et celle visant le développement des politiques et des stratégies à mêmes de renforcer la technologie de défense en Europe.

Les activités de la DR&T ont, en outre, été au cœur de l’attention du Comité directeur de l’Agence qui, dans une décision du 22 avril 2005, a précisé le concept opérationnel de la susdite division. Sept chapitres orientent, ainsi, les démarches entreprises par la DR&T.

La poursuite des capacités. La décision du Comité directeur énumère trois domaines capacitaires majeurs vers lesquels la DR&T devra orienter prioritairement son travail : la connaissance, l’engagement et la manœuvre. Ces trois domaines capacitaires s’identifient aux trois ensembles de secteurs technologiques (aussi appelés Capability Technologies [CapTech]) identifiés par l’Agence que sont respectivement (1) le traitement et l’acquisition de l’information (IAP36), (2) le guidage, l’énergie et les matériaux (GEM) et (3) l’environnement, les systèmes et modélisation (ESM). Chacun de ces secteurs technologiques est décliné en plusieurs thématiques comme le montre le tableau repris en annexe « b » (page 93)37.

Ce ne sont donc pas moins de douze CapTech qui furent identifiés. Cette liste de priorités technologiques atteste clairement de la nécessité pour l’Agence, compte tenu des limites de ses moyens, de circonscrire précisément les secteurs de développement technologique susceptibles d’intéresser prioritairement les capacités européennes.

La gestion réseaucentrée. L’Agence et la DR&T œuvrent à la création d’un réseau ouvert d’acteurs incluant des experts des Etats membres, des représentants des industries de défense et des laboratoires de recherche. Chaque CapTech dispose de son réseau de personnalités et organise divers ateliers et séminaires.

Transparence. Cet objectif de transparence se traduit par la publication de rapports. En outre, le Comité directeur aura pour tâche d’approuver des feuilles de route sur une base régulière. Ces feuilles de route contiennent les révisions jugées utiles pour la conduite des travaux dans le domaine de la R&T. Elles s’appuient, par ailleurs, sur une vision à long terme (cf. infra).

36 Information Acquisition & Processing. 37 La taxonomie complète des CapTech de l’AED peut être consultée sur le site de l’Agence. Cf.

http://www.eda.europa.eu/webutils/downloadfile.aspx?FileID=249.

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Transfert conditionnel des coopérations et réseaux existants. L’une des principales difficultés rencontrées par l’AED et, plus spécifiquement, par la DR&T a été de s’inscrire dans un contexte institutionnel d’ores et déjà composé par des réseaux et des cadres de coopérations actifs dans son secteur d’activité : la R&T de défense. Aussi, l’AED a-t-elle invité les groupes de travail existants à transférer leurs activités au sein de son organisme. Cette procédure s’opère de manière très progressive. On se rappelle que dans la perspective du transfert des activités du GAEO et de l’OAEO vers l’AED, plusieurs travaux visant à étudier la possibilité de déférer des sous-groupes d’études du GAEO vers les instances de l’AED avaient été conduits. L’objectif était de permettre le transfert vers la nouvelle Agence des seuls projets susceptibles d’avoir des chances de réussite, ceci afin que les nouvelles structures de l’Agence puissent accueillir des dossiers solides en matière de R&T38.

Interface avec la recherche civile duale. L’une des particularités de la R&T européenne est de connaître une scission quasi-hermétique entre la R&T civile et militaire. Cette situation est le résultat d’évolutions historiques et culturelles qui expliquent aujourd’hui les contrastes forts existant entre les modèles de politique de recherche des Etats-Unis (où des processus de feed-back réguliers s’opèrent entre la recherche civile et militaire) et européen. Afin de pallier aux inconvénients de cette situation, l’Agence veut agir comme une plate-forme de rencontres et d’échanges entre la R&T de défense et la R&T civile à vocation d’usage dual. Les réseaux CapTech ont précisément pour vocation d’identifier les possibilités de synergies entre la recherche civile et duale et, plus encore, les domaines d’investigation pour lesquels un haut risque de duplication des financements peut être craint.

Participation de l’industrie . Chaque réseau CapTech intègre des experts issus du secteur de l’industrie. Les représentants de l’industrie pourront émettre des idées et propositions.

Recours à la capacité contractuelle de l’AED. L’une des principales faiblesses rencontrée par nombre des précédents organismes européens de coopération dans le domaine des équipements et de la R&T de défense résidait en l’absence de toute capacité contractuelle. L’OAEO et, après elle, l’OCCAR furent les premiers organismes à disposer d’une personnalité juridique les autorisant à s’engager au nom de leurs Etats membres. L’Agence européenne de défense dispose, elle aussi, d’une telle capacité d’établir des contrats ; ceci afin de gérer des études et projets en matière de R&T.

Il n’en reste pas moins que la marge de manœuvre de la DR&T s’avère, sur ce point, particulièrement étroite. Et ce pour deux raisons. D’une part, la Direction « Corporate Support », officiellement en charge du management

38 André Dumoulin (avec la collaboration de Francis Gevers), op. cit., Bruxelles, Bruylant, coll. Axes/Savoir,

2005, p. 149.

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contractuel au sein de l’Agence, dispose d’une équipe relativement limitée (4 à 5 personnes). Quand on sait le temps et l’énergie qui sont souvent nécessaires pour la passation d’un (bon) contrat dans les circuits nationaux, il est difficilement imaginable d’envisager la possibilité pour l’Agence de déployer à plein une telle capacité contractuelle alors que les moyens humains pour assurer idéalement un tel rôle lui manquent cruellement. Ensuite, la capacité contractuelle de l’Agence se heurte inévitablement à la réalité politique à laquelle sont soumis les programmes de R&T de défense existants en Europe. Ainsi, la DR&T et l’AED dans son ensemble « ne peuvent pas faire plus que ce que les Etats décident. Or ceux-ci formulent de nombreuses demandes mais entendent garder le contrôle des moyens budgétaires, de manière à favoriser leurs priorités, centres de recherche et industries.39 »

Sur le plan organisationnel, soulignons encore que les projets de l’AED en matière de R&T se subdivisent en deux grandes catégories. La catégorie « A » rassemble les projets de collaboration proposés par un ou plusieurs EMPs auprès du Directeur de l’Agence et pour lesquels on suppose une participation de l’ensemble des EMPs (à l’exception des Etats formulant un opting-out pour un projet spécifique). Le Joint Investment Program sur la protection des forces (JIP-FP) constitue un projet de collaboration relevant de cette catégorie.

La catégorie « B » englobe, pour sa part, des projets collaboratifs proposés par un ou plusieurs EMPs mais dont la conduite impliquera un nombre limitativement défini d’Etats, même si les programmes répertoriés dans cette catégorie sont, en principe, ouverts à des participations plus larges au sein de l’AED.

L’exposé synthétique des projets de catégorie « B » repris ci-dessus appelle à deux remarques. Tout d’abord, le tableau (cf. annexe « c », page 94) ne reflète qu’imparfaitement le travail de coordination et de cohérence de l’Agence dans la mesure où il ne recense que les programmes non-confidentiels. Un nombre tout aussi important de projets, estampillés confidentiels ou à diffusion restreinte, viennent compléter la liste « ouverte » présentée précédemment. Il convient, ensuite d’indiquer que, aux yeux de quelques observateurs, la multiplication des projets de catégorie « B » (aussi appelé projets « Quick Wins ») pourrait nuire aux perspectives de développement à long terme de l’Agence, voire affecter sa crédibilité. L’insistance placée sur ces différents projets trahirait un manque de vision d’avenir. Leur inscription dans l’agenda des activités de l’Agence résulte bien souvent d’exigences politiques de court terme quand elle ne découlerait pas tout simplement de la « volonté d’exister » de l’AED. La profusion des projets ressortant de cette catégorie risquerait ainsi d’épuiser inutilement les modestes moyens alloués à l’Agence. Pour ces mêmes observateurs, il conviendrait d’assurer la pérennité des activités de l’AED au travers du lancement de projets de catégorie « A » (les JIPs). Bien que d’un nombre plus limité, les projets de catégorie « A » révèleraient des qualités plus 39 José Mendes Bota, op. cit., p. 25.

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structurantes en termes de coopération interétatique40. Cette critique peut être, elle-même discutée, si elle n’est pas tout simplement discutable. Les catégories « A » et « B » présentent des caractéristiques spécifiques qui permettent d’associer dans une enveloppe globale de projets aux objectifs et structurations variables le plus grand nombre d’Etats membres participants. En privilégiant une catégorie de projets au détriment d’une autre, on risque de toucher, ni plus ni moins, à la dynamique participative que cherchent à créer ces deux catégories de projets selon des logiques propres mais néanmoins complémentaires.

iii. La Division « Armements » (DA)

La Division « Armements » (plus précisément désignée « Armements Cooperation » dans son acception anglaise) a pour objet d’encourager la collaboration dans le domaine du développement et de l’achat des équipements de défense en Europe. L’Agence tente, à cet égard, de favoriser l’accroissement de la part des programmes collaboratifs dans l’ensemble des portefeuilles d’acquisitions des Etats européens. Le constat de départ qui fonde la logique d’activité de cette Division repose sur la dénonciation des multiples dépassements de coûts et de délais qui ont pour habitude de survenir dans la conduite des programmes d’armements en Europe41. Cette situation est, elle-même, la résultante d’un manque de coordination et de concertation entre les Etats européens qui ont jusqu’à présent préféré, afin de préserver leurs bassins d’emploi, leurs bases industrielles ou secrets de fabrication, poursuivre des programmes d’armement à un strict niveau national ou à un niveau de coopération limité. Il apparaît que les Etats ne peuvent seuls supporter l’essentiel des coûts de R&D inhérents à de tels investissements de défense. Cette situation limite, en conséquence, les perspectives de rupture technologique dans des domaines critiques.

En vue de parfaire cet objectif, l’AED entreprend quatre types d’activités destinées à rapprocher les politiques de développement et/ou d’acquisition des Etats membres participants. Une première catégorie d’activités vise à proposer et à promouvoir de nouvelles coopérations. Une première

40 Yann Boulay, L’Agence européenne de défense : avancée décisive ou désillusion pour une Europe de la

défense en quête d’efficacité, College d’Europe, Département d’Etudes en Relations Internationales et Diplomatiques, EU Diplomacy Papers 1/2008, p. 20.

41 Il est à noter que le rôle de la Division « Armements » de l’AED ne consiste pas, contrairement à d’autres agences d’armement dans le monde (en Europe ou hors-Europe), à développer et gérer des programmes d’armement sui generis. En d’autres termes, la mission qui est, dans ce cadre, impartie à l’AED ne réside pas dans la mise sur pied d’une Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) européenne pas plus qu’elle ne supplante les agences nationales d’armement. Pour rappel, l’Agence des projets de recherche avancée de défense des Etats-Unis est une agence du Département de la Défense américain chargée de la recherche, du développement et de la validation des nouvelles technologies destinées à recevoir, à terme, une ou des applications militaires.

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approche, à cet effet, peut résider dans la mise en œuvre d’une philosophie top-down articulée autour de la formulation et de l’harmonisation entre les Etats membres participants de l’AED de nouveaux besoins en termes de capacités. Le rôle de l’Agence consistera, dans ce cas de figure, à s’assurer que les EMPs sont animés par une analyse partagée des besoins en amont.

Il est, cependant, difficile, voire impossible, d’envisager la résorption des lacunes capacitaires identifiées par la seule approche top-down. L’identification des « cibles d’opportunités » doit, en complément, permettre la réduction des déficits capacitaires identifiés. Les « cibles d’opportunité » en matière capacitaire résultent des constats opérés lors de la conduite d’opérations militaires assurées par les forces européennes sur le terrain. Plutôt que d’hériter de programmes de coopération déjà amorcés entre deux ou plusieurs Etats membres participants – programmes très souvent affectés par des pesanteurs bureaucratiques propres, des dépassements de coûts et de délais rendant le transfert de gestion périlleux -, l’Agence incite les EMPs à réfléchir, sur base des retours d’expériences, de missions, aux créneaux capacitaires dans lesquels il convient désormais d’investir (à l’instar des hélicoptères de transport lourd).

Une seconde approche mise en œuvre par la Division « Capacités » réside dans la coordination de programmes de coopération en cours. Plus risquée sur le plan de la gestion, cette démarche peut néanmoins s’avérer cruciale. Le rôle de l’Agence consistera, ici, non pas à reprendre sous son aile la gestion du programme concerné mais davantage à harmoniser le maintien, la modernisation et le cycle de vie de l’équipement considéré. L’un des principaux écueils auxquels se trouvent confrontés les gestionnaires d’un programme d’armement à haute capacité technologique tient, plus spécifiquement, à la rapide menace d’obsolescence des composants et des logiciels. À cette fin, et en vue de diminuer le niveau des coûts afférant à la mise à jour des systèmes et à leur maintien opérationnel, l’Agence s’évertue à promouvoir le développement de solutions de soutien et de maintenance communes entre les Etats coopérants.

Une troisième approche adoptée par l’AED réside dans la gestion de programmes spécifiques. C’est dans ce type d’initiatives qu’éclatent au grand jour les limites intrinsèques de l’AED et qui, par ailleurs, permettent de différencier clairement celle-ci d’une Agence nationale d’armement. Car, même si elle dispose de la personnalité juridique, l’AED ne possède ni les moyens budgétaires ni les ressources utiles en personnel pour assurer la conduite d’un nouveau programme au nom des EMPs. Toutefois, l’Agence, en vertu des dispositions de l’Action commune du Conseil qui la fonde, peut identifier des programmes qui pourront être transférés, pour leur gestion, à l’OCCAR ou à une nation-cadre.

Enfin, une quatrième et dernière approche de la Division « Armements » de l’AED est l’identification et l’extension des « bonnes méthodes ». Cette approche est à mettre en parallèle avec les activités de la Division « Industries et Marchés ». L’objectif de la Division « Armements »

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résidera, tout particulièrement, à participer au développement d’une réelle base industrielle et technologique européenne. Plusieurs axes de travail sont définis à cette fin :

Tirer les leçons du passé. Une analyse robuste des leçons extraites des programmes menés en coopération dans le passé a été conduite par l’Institut d’Etudes et de Sécurité42 de l’Union européenne (IESUE) qui a permis de dégager des critères autorisant de décrire les coopérations menées en matière d’équipements de défense. Parmi les critères de réussite d’un programme en coopération sont évoqués :

1. l’établissement de procédures d’identification commune de besoins ;

2. la promotion, chaque fois que possible, d’une convergence des éléments de doctrine militaire des Etats membres participants ;

3. l’implication le plus en amont possible du processus de l’industrie de défense ;

4. ou encore la mise en œuvre d’une approche commune qui prenne en compte toute la durée de vie d’un système ou d’un équipement43.

En matière de R&T, l’IESUE milite pour :

1. que des échanges d’information soient opérés entre Etats membres participants s’agissant de leurs planifications respectives en matière de R&T44 ;

2. l’établissement d’un Headline Goal en matière de R&T ;

3. et, enfin, une redynamisation d’ensemble des budgets consacrés à la R&T de défense.

S’agissant du secteur du marché et de l’industrie de défense, les rédacteurs de l’étude invitent à :

1. une suppression complète des justes retours sur base géographique endéans les dix ans ;

2. une extension des accords relatifs à la sécurisation des approvisionnements ;

42 Jean-Pierre Darnis, Giovanni Gasparini, Christoph Grams, Daniel Keohane, Fabio Liberti, Jean-Pierre

Maulny & May-Britt Stumbaum, Lessons Learned from European Defence Equipment Programs, Paris, The European Union Institute for Security Studies, Occasional Paper No. 69, October 2007.

43 Ibid., pp. 29 – 30. 44 Ce qui n’est pas sans rappeler les Equipment Review Schedule (ERS) du GAEO.

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3. et, enfin, un élargissement du code de conduite de l’AED sur les acquisitions à la totalité des programmes de coopération multinationaux en matière d’équipements de défense (ce qui suppose une suppression des seuils financiers en dessous desquels le code, dans l’état actuel de son dispositif, ne s’applique pas).

En ce qui a trait aux budgets, les rédacteurs de l’étude suggèrent :

1. un échange d’informations relatives aux procédures d’approbation des budgets entre les différents Etats membres participants ;

2. le recours généralisé à des programmations budgétaires multi-annuelles ;

3. et l’adoption de budgets pour des projets à risque.

Enfin, l’étude de l’IESUE s’attarde sur les principes de management devant guider, idéalement, à l’avenir, la gestion programmatique européenne dans le domaine de la défense. Les rédacteurs invitent les acteurs publics et privés à :

1. avoir recours à des équipes intégrées de projets ;

2. privilégier la poursuite de l’objectif final qu’est la livraison du matériel (plutôt que de se concentrer sur les différentes phases de développement du système d’arme considéré) ;

3. préférer le recours à des grands maîtres d’œuvre tout en garantissant la transparence dans le choix des sous-contractants ;

4. développer un modèle européen de gestion des droits de propriété intellectuelle des innovations technologiques sur lesquelles reposent les programmes d’équipement ;

5. et enfin à veiller à la coordination des procédures d’acquisition des matériels par les Etats.

Dans nombre des aspects qui viennent d’être considérés, l’AED peut être appelée à jouer un rôle clé. Ainsi, l’Agence peut s’ériger en plate-forme de prédilection pour l’échange d’informations entre les Etats membres participants à l’endroit (1) des besoins matériels des armées (ceci, en vue d’identifier les convergences envisageables), (2) des niveaux d’investissement dans le domaine de la R&T de défense ou (3) des lignes de prévision budgétaires des Etats dans le domaine de la défense. Elle peut encore intervenir comme « interface » entre le monde industriel et les gouvernements en vue de faciliter la gestion de grands projets d’armements et éviter les ruptures de dialogue dont ont eu à pâtir certains programmes d’envergure par le passé.

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L’établissement de standards et la normalisation relative aux acquisitions en matière de défense. L’importance d’une définition claire et commune de normes en matière d’acquisition d’équipements de défense représente un atout essentiel tant pour les industriels que pour les pouvoirs publics qui seront amenés à coopérer pour le développement de nouveaux matériels de défense.

L’optimisation des infrastructures. Ce travail de la Division « Armements » permet d’identifier les centres d’excellence existants afin de permettre un emploi plus cohérent et rationnel des budgets de défense consacrés au développement de nouveaux systèmes.

iv. La Division « Industries et Marchés » (DIM)

La Division « Industries et Marché » occupe une position particulière tant dans le cadre de l’Agence que dans l’échiquier des organisations de l’Union européenne. Au niveau de l’Agence, la DIM représente la Division dont l’activité a pu susciter le plus d’attention de la part des observateurs et professionnels des questions de défense européenne, notamment en raison du travail conduit afin de favoriser l’émergence d’un Marché européen des équipements de défense (MEED). Au niveau européen, la DIM se situe au carrefour des Etats membres, du secteur industriel et de la Commission européenne. En dépit des consolidations et diverses restructurations que les secteurs aéronautique et spatial ont jusque récemment traversées, le marché européen des équipements de défense – tant au niveau de l’offre (industrielle) qu’au niveau de la demande (Etats) – s’avère trop fortement fragmenté. L’ambition de l’Agence réside dans l’établissement d’un MEED qui serait le pendant, pour le domaine de la défense, du marché européen des technologies civiles dont la régulation est assurée, dans ce dernier cas, par les services de la Commission européenne.

L’objectif de la DIM repose donc sur :

1. la mise sur pied d’un marché européen des équipements de défense qui soit caractérisé par une plus grande compétitivité, grâce, notamment, à l’élaboration d’un régime intergouvernemental pour les acquisitions dans le domaine de la défense ;

2. l’établissement des conditions favorables à la poursuite et à l’achèvement de la restructuration et du renforcement de la base industrielle et technologique européenne de défense avec l’appui des ministres européens de la Défense.

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La mission de consolidation et de renforcement de la BITDE ainsi que celle consistant à développer les briques constitutives d’un véritable MEED représentent des défis d’une grande ampleur quand on mesure les résistances nationales qui ont jusqu’à présent affecté les tentatives projetées en vue d’assurer une plus grande ouverture et une meilleure transparence du marché européen de la défense. Comme nous aurons l’occasion de l’observer, deux instruments fondamentaux confectionnés par la DIM sont le Code de conduite relatifs aux contrats gouvernementaux en matière de défense et le Code des bonnes pratiques dans la chaîne d’approvisionnements.

c. Les missions de l’Agence

La mise en place d’une Agence européenne de défense ne saurait avoir pour ambition de se substituer aux Agences nationales existantes et compétentes dans le domaine de l’armement, même si quelque méfiance a pu un temps exister entre les niveaux nationaux et européen dans ce secteur. Le rôle de l’AED consiste davantage à se placer aux côtés des agences nationales afin de les assister aux fins d’une meilleure harmonisation des besoins capacitaires à une échelle de pertinence européenne.

Les missions dévolues à l’Agence par l’Action commune 2004/551/PESC du 12 juillet 2004 peuvent être réparties en trois blocs essentiels de compétences que nous présentons plus en détails.

i. Le développement des politiques

C’est, au vrai, le bloc de missions premières de l’Agence. Produit d’une volonté politique forte, l’AED est logiquement le creuset de la formulation de politiques concertées dans le domaine de la rationalisation de la base industrielle de défense, du marché de la défense et des besoins capacitaires européens. L’article 5 de l’Action commune confère d’ailleurs à l’AED un mandat extraordinairement large. Toutefois, selon le préambule et l’article 2 de l’Action commune, toutes les activités conduites par l’Agence sont assujetties à l’autorité du Conseil ; ce qui ancre, de jure, les compétences de l’AED dans un socle intergouvernemental pur. Si quelques références existent quant aux rapports devant être entretenus entre l’AED et la Commission européenne (qui est membre du Comité directeur de l’AED mais sans droit de vote), peu d’informations, par contre, découlent du texte de l’Action commune 2004/551/PESC quant aux liens appelés à être développés entre l’AED et la

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NATO Consultation, Command and Control Agency (NC3A), l’Allied Command Transformation ou encore les diverses initiatives engrangées dans des segments capacitaires qui s’avèrent, pourtant, fondamentaux à l’exemple du European Technology Acquisition Program dans le domaine aéronautique. Enfin, nulle mention n’est faite à l’endroit des relations devant s’établir entre l’AED et les associations représentatives des milieux industriels à l’instar de l’ASD qui a, pourtant, apporté des contributions appréciées aux réflexions préparatoires sur le projet d’Agence.

ii. Un rôle de régulation « virtuelle » ?

La question du rôle potentiel de régulation que pourrait jouer l’Agence européenne de défense dans le paysage européen de la coopération dans les secteurs des équipements et du marché de la défense est régulièrement posée. D’un point de vue formel, l’AED ne dispose pas de l’autorité qui puisse lui permettre d’astreindre les Etats à adopter des politiques de défense ou industrielles qui aillent dans le sens de ses objectifs de cohérence. C’est donc plutôt d’une capacité de régulation « virtuelle » qu’est dotée l’Agence dont les principes d’action s’exprimeront, pour l’essentiel, à travers la formulation de propositions de stratégies qui tiennent compte des positions des Etats membres participants, de la Commission européenne et de l’industrie. Toute formulation de propositions de politiques émanant de l’Agence se doit donc de garantir l’expression d’un équilibre subtil entre les postures des multiples acteurs concernés45.

L’obligation pour l’AED de se restreindre à une attitude de « réserve constructive » peut s’avérer un obstacle certain lorsque l’Agence tente de solutionner les multiples contradictions qui émaillent les diverses entreprises politiques et les nombreux cadres de coopération et de concertation européens dans le domaine des équipements de défense.

d. La question des structures et du budget

Bien que sa création ait répondu à une accélération relativement soudaine de l’histoire de la politique européenne de sécurité et de défense, il est néanmoins utile de garder à l’esprit, une fois encore, que l’AED s’inscrit dans un cadre purement intergouvernemental. L’Action commune a, d’ailleurs, placé

45 Yves Pozzo di Borgo, op. cit., Document C/1965, 2 mai 2007, p. 7.

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l’Agence sous l’autorité du Conseil. L’originalité de cette subordination réside toutefois dans le fait que les décisions concernant l’Agence ne relèvent pas du Conseil Affaires Générales et Relations Extérieures mais bien du Conseil de l’Union en formation des ministres de la Défense. C’est là le seul cas de figure dans lequel on assiste à une telle réunion du Conseil de l’Union. L’Agence comporte également un Comité directeur composé des ministres de la défense ou de leurs représentants (à travers les directeurs généraux/nationaux de l’armement) et, comme nous l’avons souligné précédemment, un représentant de la Commission européenne. Le Chef de l’Agence est le Secrétaire général du Conseil/Haut représentant pour la Politique étrangère et de sécurité commune (poste actuellement occupé par Javier Solana) et d’un Directeur (actuellement l’Allemand Alexander Weiss).

Le caractère intergouvernemental de l’Agence européenne de défense aurait, en principe, voulu que seule l’unanimité soit de rigueur pour l’adoption de décisions relatives à la définition de ses priorités et activités. Or, une dose de flexibilité a été consentie en faveur de l’AED puisque la possibilité du recours à la majorité qualifiée a été prévue par les dispositions mêmes de l’Action commune. Une relative flexibilité a donc été consentie à la faveur du Comité directeur de l’Agence. L’objectif de cette mesure a été d’empêcher l’apparition de très faibles minorités de blocage et, surtout, de ne point permettre à un Etat isolé de disposer d’une capacité de veto.

Le budget de l’Agence reste l’une des principales pierres d’achoppement entre les Etats membres participants. L’Action commune 2004/551/PESC établissant l’AED intègre, pourtant, dans son texte une disposition particulièrement claire sur la définition, par le Conseil, du cadre financier. Il y est, ainsi, précisé dans l’article 4, paragraphe 4 de l’Action commune que « tous les trois ans, le Conseil, statuant à l'unanimité, approuve un cadre financier pour l'Agence pour les trois années suivantes. Ce cadre financier définit des priorités convenues et constitue un plafond juridiquement contraignant. Le premier cadre financier couvre la période 2006-2008. » De 2004 à ce jour, il n’a jamais été possible pour les Etats membres participants de s’accorder sur la définition d’un cadre financier trisannuel. Cette situation s’explique par les réticences exprimées par le Royaume-Uni à ancrer les activités de l’AED dans la longue durée. Surtout, le MoD britannique a traditionnellement craint que la définition et l’attribution d’une ligne budgétaire sur une période aussi étendue ne finisse par inciter les autorités de l’AED à vouloir gérer elles-mêmes de programmes de R&T de défense ; le MoD préférant que l’Agence œuvre plutôt comme un espace de rencontre entre Etats européens désireux d’entreprendre, dans le domaine de la R&T militaire, des collaborations sectorielles à participation limitée46. Le budget de l’AED s’est révélé, lors de sa première année d’activité, particulièrement modeste. Le budget de l’AED a, cependant,

46 Letter from Rt Hon John Reid MP, Secretary of State, Ministry of Defence to the Chairman, European

Defence Agency Steering Board Meeting, October 2005, cf. http://www.publications.parliament.uk/pa/ld200506/ldselect/ldeucom/243/243150.htm.

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connu une hausse relative mais non stabilisée puisque celui-ci est passé de €21 millions en 2005 à €23 millions en 2006 pour revenir à €22 millions en 2007. Récemment, un projet de budget sur une base trisannuelle est, depuis plus d’un an, proposé par la Direction de l’AED. Cette proposition s’était longtemps heurtée aux divergences entre les Etats membres participants. Lors du dernier Conseil d’administration de l’AED, une enveloppe de €22 millions a été prévue pour le fonctionnement de l’Agence pour l’année 2009. Un budget opérationnel de €8 millions s’est ajouté à ce premier montant. Ces chiffres peuvent se révéler appréciables. Ils se révèlent pourtant insuffisants pour permettre à l’AED d’aborder avec sérénité le moyen terme. Les Council Guidelines for the Agency’s Work in 2009 indiquent que l’Agence pourra, dans le courant de l’année 2009, préparer une proposition de cadre financier trisannuel qui sera soumis à l’approbation du Conseil47.

e. L’Agence et la coopération européenne dans le domaine des armements

Comme précisé précédemment, la décision d’établir une Agence européenne de défense s’est inscrite dans un cadre institutionnel déjà fortement composé. L’AED ne s’est donc pas implantée sur un terrain vierge. Depuis de nombreuses années, divers organismes, pour la plupart institués en dehors du cadre de l’Union européenne, ont eu pour objectifs de palier aux déficiences constatées en matière de coopération multilatérale dans les équipements de défense et la R&D militaire. Certaines de ces initiatives préexistantes ont été engagées en vue d’associer le plus grand nombre d’Etats, d’autres ont été spécifiquement conçues en vue de rapprocher les politiques d’un groupe restreint d’Etats (les principaux pays producteurs d’armements) sur des aspects strictement et limitativement définis du marché européen de la défense, de la coopération européenne en matière d’armements ou de la restructuration de la base industrielle et technologique de défense.

L’irruption de l’AED dans le paysage européen de la coopération en matière d’équipements de défense a, inévitablement, suscité des interrogations nouvelles quand à la nature et aux formes des interactions qui se devaient d’être désormais établies entre l’ensemble des institutions compétentes en cette matière. Pour mesurer les risques de duplications et comprendre les opérations de rapprochements et de transferts institutionnels opérés du fait de l’existence de l’AED, le présent point se propose, dans un premier temps, de dresser un inventaire des organismes qui ont été créés précédemment en vue de corriger les déficits et manquements de la coopération européenne dans les équipements et

47 Council of the European Union, « Council Guidelines for the Agency’s Work in 2009 », Brussels, 10

November 2008, 15442/08.

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technologies de défense. Il abordera, dans un second temps, les difficultés apparues ou risquant d’apparaître du fait de leur coexistence.

i. Les rapports avec le GAEO et l’OAEO

L’une des principales initiatives destinée à corriger les imperfections de la coopération européenne dans le secteur des armements fut le Groupe Armement de l’Europe occidentale, constitué en 1993 et dont la mise sur pied résultait du transfert des prérogatives du Groupe européen indépendant des programmes48 (GEIP) dont les compétences, autrefois détenues par l’Union de l’Europe occidentale, avaient été confiées à l’Union européenne dans la logique institutionnelle fixée à Maastricht en 199249. C’est, en effet, à cette date que les compétences du GEIP, dont l’institutionnalisation remontait à 1976, furent transmises au GAEO dans le cadre de l’UEO. De la sorte, le Groupe originel du GEIP, limité aux 13 Etats européens de l’OTAN, s’étendait à 19 Etats en incluant les pays de l’Union hors OTAN50. Tel qu’établi, le GAEO ne constituait pas pour autant un organe de l’Union européenne dans la mesure où il ne figurait point dans le « pack » des institutions transférées en 2000 vers l’Union européenne mais demeurait sous l’autorité de l’UEO (à l’instar de l’Assemblée parlementaire de l’UEO)51. Plusieurs facteurs conduirent à la cessation des activités du GAEO et au transfert des compétences de cette dernière à l’Agence européenne de défense en gestation. Parmi ces facteurs – sur lesquels nous reviendrons plus en détails dans la suite de cette analyse -, signalons plus particulièrement les limites de la coopération intergouvernementale, l’impact des réflexes de replis nationaux ou encore la

48 L’acte de naissance du GEIP remonte à la Résolution de Rome de 1976 à travers laquelle 11 pays européens

de l’Alliance atlantique (rejoints, plus tard, par l’Espagne et le Portugal) fixèrent de manière conjointe plusieurs objectifs dont (1) une utilisation plus efficace des crédits de recherche, de développement et d’acquisition, (2) la recherche d’une plus grande interopérabilité et standardisation des équipements de défense, (3) le maintien d’une base technologique adéquate (sic !) en Europe, (4) le renforcement du facteur européen dans les relations transatlantiques. Principalement focalisé sur les « aspects techniques » de la coopération dans le domaine des équipements de défense, le GEIP a progressivement mûri en vue de s’attribuer une dimension plus politique. Cette évolution avait suscité chez les Etats membres un travail d’introspection qui avait lui-même débouché sur une réorganisation du Groupe autour de trois commissions (commission de planification des développements et acquisitions d’équipements de défense, commission de recherche technologique, commission relative à l’ouverture des marchés nationaux et à la création – déjà envisagée ! – du marché européen des équipements de défense). A l’instar des multiples organismes œuvrant dans son domaine d’activités, le GEIP a donné lieu à un bilan en demi-teinte.

49 André Dumoulin, Raphaël Mathieu & Gordon Sarlet, La politique européenne de sécurité et de défense (PESD) : de l’opératoire à l’identitaire, Bruxelles, Bruylant, coll. « Organisation internationale et relations internationales », 2003, p. 644.

50 La participation des membres européens de l’OTAN au sein du GEIP ne fut jamais formellement couchée par écrit dans les textes. Toutefois, le principe d’une adhésion systématique des nouveaux membres de l’Alliance atlantique dans les structures du Groupe s’est vérifiée dans les faits, notamment à travers la venue de l’Espagne et du Portugal dès leur insertion dans l’enceinte transatlantique. Cf. André Dumoulin & Francis Gevers, L’Union de l’Europe occidentale : la déstructuration, 1998 – 2006, Bruxelles, Bruylant, coll. Axes/Savoir, 2006, p. 120.

51 André Dumoulin, Raphaël Mathieu et Gordon Sarlet, op. cit., Bruxelles, Bruylant, coll. Organisation internationale et relations internationales, 2005.

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volonté, certes longtemps timorée dans son expression, d’une rationalisation des structures européennes de coopération dans le domaine des équipements de défense.

Lors de sa constitution, le GAEO s’était vu assigné plusieurs compétences qui peuvent être énumérées comme suit52 :

- Favoriser une utilisation plus efficace des crédits de défense grâce une meilleure harmonisation des besoins opérationnels, l’interopérabilité des équipements et la politique de normalisation ;

- Rechercher l’ouverture des marchés nationaux de défense à la concurrence européenne ;

- Préserver et renforcer une base technologique et industrielle européenne dans le domaine de la défense ;

- Elargir et animer la coopération en matière de recherche et de développement.

(1) Structure et organisation du GAEO Sur le plan organisationnel, le GAEO était subdivisé en trois

commissions réparties selon la typologie des compétences confiées. Les résultats engrangés par ces commissions furent fort variables.

La Commission I, en charge de l’harmonisation des besoins en armements formulés par les Etats membres du GAEO, avait pour objectif de déceler les opportunités de coopération pouvant être établies en matière de développement et de production d’armements entre les nations signataires du GAEO. Dans le cadre de son travail, l’approche de la Commission I reposait sur le principe de la recherche du meilleur rapport coût/efficacité53. Plus prosaïquement, la principale production de la Commission I fut l’édition d’un Equipment Review Schedule (ERS), sorte de calendrier de remplacement des équipements que les Etats du GAEO étaient invités à compléter de manière régulière en y fournissant un ensemble de détails sur les matériels en fin de vie et, surtout, des indications relatives aux programmes d’acquisition et leurs dates de mise en service projetées54. Comme nous aurons l’occasion de l’observer, cet ERS aura inspiré de manière considérable le concept des Electronic Bulletins de l’AED.

52 Yves Fromion, La recherche de défense et de sécurité, rapport d’information présenté au nom de la

Commission de Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, Paris, 9 mars 2005, numéro 2150, p. 23.

53 André Dumoulin, Gordon Sarlet et Raphaël Mathieu, op. cit., Bruxelles, Bruylant, coll. Organisation internationale et relations internationales, 2003, p. 644.

54 Il convient de préciser qu’une procédure d’information similaire existait au niveau de l’OTAN. Dénomée Conventional Armaments Planning System (CAPS), elle reposait sur la constitution d’un questionnaire auquel les Etats membres de l’Alliance étaient inviter à répondre. Les résultats étaient, ensuite, pondérés sur base d’un ensemble de critères. Dans la mesure où tant les approches que les critères employés par les procédures du GAEO et de l’OTAN différaient sensiblement, les Etats étaient amenés à transmettre des informations diversement exprimées au sujet de matériels et de programmes identiques. Cf. André Dumoulin (avec la contribution de Francis Gevers), L’Union de l’Europe occidentale, …, Bruxelles, Bruylant, coll. Axes/Savoir, 2005, p. 128.

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Concrètement, le contenu d’un tel bulletin s’établissait comme suit55 :

1. Une publication de tous les achats nationaux, c’est-à-dire les commandes nationales pour le développement, la fourniture ou la maintenance d’équipements militaires (d’une valeur, appréciée à l’époque, égale ou supérieure à un million d’écus) ;

2. Une parution des commandes d’un montant inférieure à la susdite somme ;

3. Une liste de toutes les commandes envisagées ; 4. Une liste des contrats établis selon les différentes procédures nationales

comprenant la désignation des entreprises invitées, des contrats attribués sur une base restreinte ou sur une base concurrentielle ouverte56.

Des exceptions étaient, cependant, prévues qui permettaient à un État de ne pas publier des informations relatives aux biens et équipements rentrant directement dans le champ d’application communautaire, aux armes et systèmes de propulsion nucléaires, aux navires de guerre (à l’exception notable de leurs sous-systèmes), aux agents toxiques ou radioactifs ainsi qu’aux équipements de cryptographie. Des exemptions étaient également prévues pour les États qui souhaitaient faire prévaloir des motifs de sécurité nationale et/ou des « contraintes nationales indérogeables » (sic). La publication desdites informations par l’intermédiaire des bulletins était appelé à être opérée sur une base mensuelle. Toutefois, lorsque le volume d’information se révélait insuffisant, un rythme de parution plus étalé dans le temps était consenti.

Il importe, néanmoins, de souligner que seuls les programmes pour lesquels les Etats acceptaient le principe d’établissement d’une coopération multilatérale européenne étaient signalés57. Pour les programmes et équipements où une coopération apparaissait possible, les Etats concernés étaient invités à instituer un sous-groupe dont la mission visait l’harmonisation des besoins nationaux et le lancement d’études de faisabilité. Une fois ces étapes franchies58, un groupe de projet devait conduire le programme dans ses phases de développement et de production.

Réduit à sa seule expression, le principe de transparence ne pouvait, concrètement, aboutir à une amélioration des conditions concurrentielles du marché que si les critères d’attribution des contrats envisagés reposaient sur des

55 WEAG/P-III-D/39 Revised, « European Wide Competition in Armament Procurement, Announcement of

Bidding Opportunities » (bulletins), 13 février 1995. 56 Ceci afin de faciliter la concurrence entre les fournisseurs de second rang. 57 L’actuelle démarche de l’Agence européenne de défense, initiée en juillet 2006 et basée sur la publication

sur son site Internet d’un bulletin électronique sécurisé regroupant les annonces d’acquisition ouvertes à la coopération, rappelle à bien des égards l’initiative de la Commission I. Brooks Tigner, « New High for EDA Procurements But More Openness Needed », International Defence Review, Jane’s Information Group, numéro 40, volume 10, 1er octobre 2007.

58 Burkard Schmitt, L’Union européenne et l’armement. Quelle agence dans quel marché ?, Paris, Institut d’Etudes et de Sécurité (IES), Cahiers de Chaillot, numéro 63, août 2003, pp. 22 – 23.

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éléments objectifs facilitant la comparaison. Aussi, le GAEO avait-il énoncé un certain nombre de principes tels que :

1. La reconnaissance mutuelle : dès l’instant où une entreprise est habilitée par son gouvernement, elle doit bénéficier de la même reconnaissance par les autres États afin de prévenir tout risque de discrimination entre les fournisseurs établi sur base de la nationalité d’appartenance de l’entreprise ;

2. La recherche de la solution la plus économique comme critère principal en vue de procéder au choix du ou des contrats ;

3. L’évaluation du coût d’acquisition et de durée de vie, la conformité du matériel proposé aux spécificités définies par les États, la sécurité de l’approvisionnement, la qualité générale du matériel proposé ;

4. Le juste retour59 ; 5. Le soutien aux pays dont la base industrielle et technologique est en

cours de développement ; 6. Le maintien d’une base industrielle et technologique européenne.

Une procédure d’évaluation destinée à mesurer l’efficacité de l’ouverture progressive du marché européen de la défense avait été mise en place. Cette procédure reposait sur un examen annuel des contrats transfrontaliers. Les résultats issus de cet examen étaient alors acheminés vers le Secrétariat Armement du GAEO qui émettait un rapport à l’adresse de l’ensemble des directeurs nationaux d’armement (DNA) des États.

La Commission II du GAEO était, quant à elle, en charge des aspects relatifs au renforcement de la coopération dans le domaine prioritaire de la recherche et de la technologie de défense. L’identification de ces domaines prioritaires intervenait à l’occasion des conférences annuelles EUROFINDER, amorcées à partir de 1995, et dans le cadre desquelles les consortiums industriels soumettaient des propositions de recherche. On notera tout particulièrement l’originalité et l’atypicité de la démarche EUROFINDER qui permettait alors aux industriels de disposer d’un forum d’expression de propositions issues de leurs propres investigations selon une approche bottom-up.

Plus précisément, le rôle de la Commission II résidait dans l’établissement d’instruments destinés à faciliter l’échange d’informations relatives aux programmes de R&T de défense financés par les Etats dans un cadre coopératif. Telle était précisément l’objectif du programme EUropean Cooperation for the Long Term In Defence (EUCLID). Pratiquement, les États définissaient, sur la

59 Le principe dit du « juste retour » suppose que le partage des coûts d’un programme entre les différents

Etats soit égal au partage du travail réalisé par les industries nationales. Si l’application de ce principe permet aux bases industrielles et technologiques des Etats concernés de se développer et de se maintenir, elle représente également un atteinte sévère à la concurrence de même qu’elle conduit à une fragmentation tout à la fois coûteuse et contre-productive du travail industriel.

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base d’une liste de domaines prioritaires, dénommée Common European Priorities Areas (CEPA), des projets de R&T de défense faisant l’objet d’arrangements techniques entre les ministères de la Défense et de passations de contrats avec des consortiums industriels et des laboratoires de recherche60. À partir 1994, plusieurs mémorandums d’accord (MoU) aboutirent à la signature et complétèrent le dispositif-cadre du GAEO. Ce fut le cas du MoU THALES61 dont la raison d’être résidait dans la facilitation de la coopération entre les gouvernements nationaux et les centres de recherche européens, et du MoU SOCRATE qui contenait des dispositions visant à permettre aux observateurs de l’UE non membres du GAEO et les associés partenaires (Finlande et Suède) de disposer d’un droit de participation régulé dans les mécanismes institutionnels existants dans le domaine de la coopération en matière de R&T. Enfin, la création d’une véritable cellule « Recherche » au sein de la Commission II (chargée d’offrir un appui dans les domaines de la gestion et de la coordination des programmes) fut de nature à renforcer de manière notable les outils de gestion de la Commission II.

La Commission III, enfin, avait parmi ses prérogatives la gestion des aspects fondamentaux des politiques économiques en liaison avec la défense de même que les procédures de coopération en matière d’armement. La Commission III fut conduite, pour les besoins de sa mission, à instituer deux sous-groupes qui se retrouvèrent en charge, respectivement, (1) de l’ouverture du marché à la concurrence (et donc, de l’étude des conditions d’établissement d’un véritable marché européen des équipements de défense62) et (2) de la restructuration et du renforcement de la base industrielle et technologique de défense européenne. Bien que les susdites matières aient été réparties entre les deux entités, il apparaissait clairement que les avancées dans un domaine impactaient inévitablement sur l’autre en raison des liens logiques et étroits unissant les deux aspects de la problématique.

L’idée de base qui présidait aux activités de la commission III du GAEO était de promouvoir la transparence en informant au mieux les industriels des besoins formulés par les États membres en matière d’équipements de défense.

La Commission III fut sans nul doute l’une des entités les plus prolifiques du GAEO. Et sans doute aussi la plus avant-gardiste dans l’approche des thématiques qui lui avaient été assignées. L’un des principaux produits issus des travaux de la Commission III fut le Coherent Policy Document (CPD), approuvé par les ministres européens de la Défense et publié en 1990 avant de connaître une révision en 1999. Ce document pouvait être considéré comme un réel code de conduite à l’intention des États signataires qui, de la sorte,

60 Hélène Masson, « La recherche de défense : une assurance d’avenir pour la politique européenne de sécurité

et de défense », Annuaire stratégique et militaire 2002, Paris, Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) & Odile Jacob, 2002.

61 THALES : Technology Arrangement for Laboratories for European Defence Science. 62 Ce concept est le plus communément désigné par son acronyme anglais, EDEM (pour European Defence

Equipment Market).

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s’accordaient sur l’adoption d’un certains nombre de comportements en vue de permettre l’émergence d’un véritable marché européen de la défense. Plus exactement, les dispositions du CDP prévoyaient l’instauration d’un système de parution de bulletins au travers desquels les États annonçaient publiquement leurs demandes d’équipements et de matériels de défense. Le CDP avait pour objectif ultime de soutenir la concurrence transfrontalière et la coopération industrielle. L’œuvre pionnière de cette Commission résida toutefois dans la tentative d’établissement d’un marché de défense transatlantique ; tentative qui se limita, cependant, à une simple ambition sans traduction concrète dans les faits. C’est d’ailleurs au niveau de la transposition des documents dans les faits que la Commission III achoppa puisque les États ne procédèrent à aucun moment à une mise en œuvre complète des dispositions adoptées.

On précisera qu’un mécanisme de consultation structurée organisé entre les industriels, le European Defence Industries Group (EDIG), fondé la même année que le défunt GEIP [1976]) s’était donné pour mission d’établir des liaisons de travail avec les différentes commissions composant le GAEO. Le point culminant des travaux conduits sous les auspices de l’EDIG fut, à l’époque, atteint lors de la parution d’un ensemble de recommandations formulées à l’intention des commissions du GAEO en vue d’appuyer une initiative visant la rédaction, au niveau intergouvernemental, d’une stratégie du GAEO en matière de science et de technologie. Ce groupe de recommandations a débouché sur l’étude SCITEC du 13 mars 1998.

(2) GAEO : un bilan en demi-teinte En dépit des initiatives diverses lancées par les membres du GAEO en

matière de R&T de défense et de coopération dans le domaine des armements, l’observateur ne peut résister à opérer un bilan en demi-teinte des activités conduites dans le cadre des instruments susmentionnés.

Un premier ensemble d’observations, de portée générale, concerne la place et le rôle joué par le GAEO dans le domaine de la coopération en matière d’équipements de défense. Comme a pu fort justement le souligner Burkard Schmitt, « si le GAEO s’est attaqué aux véritables problèmes, il n’a disposé ni des moyens ni des structures lui permettant d’y apporter des solutions satisfaisantes63. » Un grand nombre d’initiatives et de travaux de réflexion amorcés au niveau du GAEO auraient pu déboucher, si la volonté politique de l’ensemble des États membres avait été au rendez-vous, sur un ensemble d’entreprises de réformes pionnières dans les secteurs concernés mais également en vue de l’établissement d’un véritable marché européen de la défense. D’une manière générale, le GAEO a grandement souffert du manque de personnalité juridique.

63 Burkard Schmitt, L’Union européenne et l’armement…, août 2003, p. 25.

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Il convient, de prime abord, de remarquer que la Commission II fut sans doute celle qui a eu le plus à pâtir de l’absence de personnalité juridique du GAEO. Les différents MoU conclus entre les États n’avaient pour unique objectif que d’établir un cadre informel destiné à la facilitation des rapports entre les centres nationaux de décision, les laboratoires, centres de recherche et industries. En cas de passation de contrat avec des consortiums et/ou centres de recherche, le GAEO qui ne disposait d’aucune aptitude légale habilitante pour l’établissement de tels contrats et se devait de renvoyer les industries vers les États avec lesquels les accords étaient finalement conclus. Le caractère non contraignant des engagements pris par les États au sein du GAEO hypothéquait, en outre, l’efficacité des mécanismes de contrôle existant en matière de suivi dans l’attribution des contrats. Par ailleurs, les procédures de règlement des conflits n’assuraient pas des moyens de recours à un fournisseur d’équipements lésé64.

Un second corps d’observations porte sur les objectifs mêmes poursuivis en leur temps par le GAEO. Bien que formulée explicitement par les actes fondateurs du GAEO, la transparence tant recherchée ne fut jamais réellement atteinte. Ainsi, les bulletins d’information ne furent-ils pas publiés avec la même rigueur par les pays. Les raisons qui expliquent cette situation sont diverses. La première est d’ordre juridique. Certains États, à l’instar de la Belgique, ne disposent pas d’un mécanisme aussi spécifique dans le domaine des programmes de défense. Les contrats militaires belges figurent systématiquement dans les parutions du journal officiel aux côtés des autres types de contrats découlant de secteurs d’activités non-militaires. La seconde raison relève de la volonté de certains États de protéger leur tissu industriel national. Ainsi, les pays disposant d’une base industrielle et technologique émergente ne publiaient qu’occasionnellement les bulletins d’information. D’autres États, enfin, avaient tendance à recourir de manière systématique aux clauses de sauvegarde prévues par le dispositif du GAEO, afin de contourner le principe de publication des informations relatives aux contrats militaires nationaux.

On signalera, en outre, que les modalités de confection des bulletins pouvaient grandement varier selon les États considérés. Dans certains cas, la rédaction des documents était opérée par des sociétés privées (ex. : France et Royaume-Uni) ; dans d’autres par les ministères de la Défense (selon des fréquences variables). Ensuite, faute d’harmonisation des critères en matière de désignation des programmes et armements – alors qu’il s’agissait là pourtant d’un objectif du GAEO – le contenu des bulletins rédigés aux niveaux nationaux pouvait grandement différer, certains États établissant des annonces

64 Il convient, cependant, de nuancer l’efficacité que pourrait offrir un système de contrôle et de recours

contraignant. Compte tenu de la précision extrême des spécifications techniques décrites lors de certains appels d’offre nationaux, il est fort probable qu’un fournisseur d’équipements de défense se jugeant lésé dans une transaction puisse disposer des arguments utiles à la défense de sa cause.

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publiques pour tous les types de matériels, tandis que d’autres définissaient une liste de contrats restreints.

En matière de concurrence, il est utile de remarquer que les règles établies par le GAEO furent, dans bien des cas utilisées à l’encontre même des principes du Groupe. Dans la majorité des cas, le principal critère ayant présidé au choix d’un contractant ou maître d’œuvre ne fut pas la recherche de la solution la plus économique mais bien le juste retour ou la sécurité d’approvisionnement, c’est-à-dire des considérations certes prévues par le GAEO mais qui, dans la pratique, auraient du intervenir de façon secondaire en termes d’attribution d’un contrat d’équipement. Sans doute, la dérive la plus préjudiciable aux efforts conduits par le GAEO en vue de favoriser la concurrence résida-t-il dans le contre-emploi des définitions de spécificités par les États. En effet, dans nombre de cas, les spécificités techniques des programmes étaient définies avec une précision telle qu’elles s’adressaient, de facto, à un nombre particulièrement limité d’entreprises – souvent nationales – susceptibles de répondre au cahier des charges fixé65. L’argumentaire développé par l’Etat favorisait donc, dans les faits, un industriel spécifique ou un groupe industriel préalablement défini.

(3) Le transfert des compétences du GAEO vers l’AED C’est dans le cadre du GAEO que furent dessinés les tous premiers

contours d’une agence que l’on imaginait alors devenir en charge du seul domaine de la recherche technologique en matière de défense. L’OAEO avait été créée en 1996 avec l’objectif à terme de devenir cette même Agence européenne de défense tant souhaitée. Toutefois, le renversement des logiques de développement de cette Europe de la défense, à partir de 1999, consistant à progressivement confier à l’Union européenne – et non plus à l’UEO – un programme de constitution de capacités militaires d’intervention, allait mettre un terme aux espoirs de développement de l’OAEO. Ce fut là, il est vrai, un paradoxe de l’histoire : l’amorce du processus capacitaire européen, issue de l’impulsion franco-britannique de Saint-Malo, allait précisément enterrer les projets de ceux qui pouvaient espérer l’élévation de l’UEO comme principal forum politico-militaire européen, statut auquel elle n’avait eu cesse de prétendre… avec une logique certaine, au demeurant. Sacrifice symbolique, voire œdipien, du « père institutionnel » au profit de la nouvelle dynamique capacitaire européenne tout juste née, la démarche adoptée depuis 1999 visant à développer les moyens de gestion de crise à l’intérieur du cadre de l’Union européenne compromettait définitivement tout projet de développement autonome de l’OAEO66.

65 Michel Nones et Alberto Traballesi, « Transparenza e concorrenza nelle commesse militari dei paesi

europei », Quaderni dello IAI, 1999. Cf. également WEAG P/III-D/73, 1997. 66 Rino Piscitello, La coopération en matière d’armements en Europe : les activités du GAEO et de l’UE –

Réponse au rapport annuel du Conseil, rapport présenté au nom de la Commission technique et aérospatiale de l’Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale, document A/1800, 4 décembre 2002.

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Le transfert progressif, mais inéluctable, des compétences du GAEO vers la future Agence européenne de défense (et la fermeture de l’OAEO) était en marche. La réunion des directeurs nationaux de l’armement, en date du 26 février 2004, soit moins d’un an après la décision d’établir l’AED (encore indéfinie), préfigure le processus de démantèlement du GAEO. Parmi les orientations adoptées lors de cette réunion, figurent alors : (1) le transfert des responsabilités des commissions I et III vers l’AED, (2) le transfert des compétences de la Commission II vers l’OAEO, (3) la fermeture du GAEO et (4) l’intégration de l’OAEO dans l’AED.

Avec les travaux de définition des structures accomplis par l’Agency Establishment Team, l’Agence européenne de défense laissait progressivement transparaître son architecture interne. La France et le Royaume-Uni, fervents défenseurs, à l’époque, de l’AED poussèrent à la fermeture pure et simple du GAEO et de l’OAEO afin de transférer, moyennant un inventaire préalable, quelques grands projets desdits organismes vers l’AED. De son côté, l’Agence entendait, elle aussi, reprendre le plus rapidement possible les fonctions des différentes commissions du GAEO. Le 22 novembre 2004, les ministres du GAEO (en marge de leur réunion en tant que Comité directeur de la nouvelle AED) décidèrent d’inscrire dorénavant les activités de coopération en matière d’armement dans le seul cadre de l’Union européenne. La fermeture du GAEO fut donc décidée. Les directeurs nationaux de l’armement convinrent de mettre un terme définitif aux activités du GAEO à compter du 2 mars 2005. L’AED et le GAEO/OAEO établirent un cadre de concertation afin de définir la liste des projets et activités qui pourraient être transférées dans le programme de travail de la nouvelle Agence. La date de fermeture de la Commission II fut fixée au 23 mai 2005, date à laquelle une dernière réunion des directeurs nationaux de l’armement consacra la clôture définitive du GAEO67.

ii. Les rapports avec l’OCCAR

C’est un mémorandum d’accord établi entre la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni – c’est-à-dire les principaux producteurs d’armements européens – qui jette, en 1996, les fondations de l’Organisation Conjointe de Coopération en matière d’Armement. L’approche qui préside à la mise en place de l’OCCAR répond au besoin, manifesté par les plus grandes nations de l’Union européenne, d’instituer – toujours en marge de l’Union européenne – un cadre de concertation et d’harmonisation plus restreint en matière d’acquisition d’équipements. L’un des principaux atouts de l’OCCAR sera de disposer, non pas dès son passage sur les fonds baptismaux mais au

67 André Dumoulin (avec la collaboration de Francis Gevers), op. cit., p. 148.

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terme d’un processus de ratification de près de deux ans ( !)68, d’une personnalité juridique qui autorisera l’Organisation à gérer des marchés publics et à établir des contrats en matière d’armement, compétence qui, rappelons-le, ne figurait pas dans les prérogatives du GAEO. L’OCCAR sera, cependant, la victime des dissensions intervenues entre ses initiateurs et les nations européennes tierces, placées en dehors de l’arrangement conclu entre les quatre grands. Précisément, aucun consensus en vue d’instituer l’OCCAR comme un organe subsidiaire de l’Union de l’Europe occidentale, aux côtés du GAEO et de l’OAEO, n’interviendra dans les faits. Pareillement, nul accord qui aurait pu permettre l’inclusion de l’Organisation au sein de l’Union européenne n’interviendra entre les parties.69. Plus que jamais, la coopération dans le domaine des armements aura donc été placée en dehors du cadre de l’UE. On peut, toutefois, s’interroger sur l’utilité supposée d’une telle solution. En effet, l’OCCAR est, avant tout, caractérisée par une formule de participation relativement ouverte. Conditionner le principe d’une participation aux programmes gérés par l’OCCAR à la qualité d’Etat membre de l’Union européenne aurait risqué de cadenasser les perspectives d’élargissement des bases participatives aux projets industriels concernés. Même si le projet, un temps défendu, d’un rapprochement entre l’OCCAR et l’Union européenne avait pu trouver ses défenseurs, il eut été opportun de se demander quel aurait pu être l’apport réel d’une telle solution. La formule régissant actuellement le mécanisme de participation aux projets militaires industriels au sein de l’OCCAR permet à tout pays européen (l’article 53 de la Convention de l’OCCAR ne comporte aucune autre précision70) d’adhérer aux dispositions de la Convention (moyennant un apport à l’un des programmes phares de l’Organisation).

(1) Composition, structure et compétences L’OCCAR est, aujourd’hui, composée de six Etats membres

(Allemagne, Belgique, Espagne71, France, Italie et le Royaume-Uni), de trois Etats non-membres participant à des programmes conduits par l’Organisation (le Luxembourg, les Pays-Bas et la Turquie) et d’un Etat observateur (l’Afrique du Sud qui devrait acquérir des avions de transport stratégique A-400M)72. Ce

68 La signature de la Convention établissant l’OCCAR est intervenue en 1998 tandis que la dernière

ratification requise, celle de l’Italie, n’a eu lieu qu’en 2000. 69 L’idée d’un rapatriement de l’OCCAR dans l’Union européenne est un projet qui recevra un certain écho.

Cette solution était entendue dans une approche bottom-up. Dans la mesure ou le transfert de l’Organisation vers l’Union européenne (approche top-down) avait semblé se heurter à trop de résistances, quelques observateurs militèrent très tôt en la faveur d’une solution plus pragmatique consistant en un élargissement progressif des Etats membres de l’OCCAR qui aurait permis, à terme, à consacrer cette dernière comme une coopération renforcée placée sous l’égide de l’Union européenne. Cf. à ce propos François de La Serre, « Les coopérations renforcées : quel avenir ? », Politique étrangère, volume 65, numéro 2, 2000, pp. 455 – 465.

70 L’article 53 de la Convention établissant l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement énonce : « Once this Convention has entered into force, a European State which wishes to become a Member State may be invited by the BoS to accede to this Convention. This Convention shall enter into force for such a new Member State 30 days after the deposit of its instrument of accession ».

71 Depuis 2005. 72 Lieutenant General Nazzareno Cardinali, “Is Europe a Help or an Hindrance in National Defence

Acquisition Strategies”, RUSI Defence Systems, juin 2007, cf.

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sont environ 220 personnes (réparties entre les bureaux de Bonn, Paris et Toulouse) issues de neuf pays européens qui, aujourd’hui, travaillent dans le cadre de l’OCCAR. À celles-ci s’ajoutent près de 20.000 personnes qui, au sein des industries participantes, travaillent à la conduite et à l’élaboration des projets gérés par l’OCCAR.

Sur le plan organisationnel, l’OCCAR est constitué d’un Conseil de surveillance (CS) et d’une Administration d’Exécution (AE). Le Conseil de Surveillance est composé des représentants des États membres. Il opère comme organe de direction et organise le contrôle de l’AE. C’est au CS que revient la responsabilité d’adopter les décisions concernant la mise en œuvre de la convention de l’OCCAR. L'OCCAR gère les programmes qui lui sont confiés par le truchement de Programme Boards73, constitué des représentants des Etats participants - le plus souvent les directeurs nationaux de l'armement ou les délégués ministériels. Le Programme Board définit les objectifs de haut niveau (HLO) de chaque programme, notamment en termes de coût d'acquisition, de coût global de possession, de date d'entrée en service du système. Il définit en outre la taille et l'organisation de la division de programme de l'OCCAR qui sera appelé à gérer le programme considéré, ainsi que les conventions financières et de sécurité. En d'autres termes, la décision du Programme Board est le "contrat" passé entre l'OCCAR et les pays clients ; pays devant lesquels le Directeur de l'organisation répond de la livraison du produit.

Juridiquement, l’OCCAR présentait le potentiel en vue d’évoluer, si tel en avait été le souhait exprimé par les membres et l’ensemble des Etats de l’UE, vers une agence européenne de l’armement. Ceci ne fut pas le scénario choisi par l’Union européenne qui préféra la solution visant la création d’une agence nouvelle sous la responsabilité du Conseil.

L’OCCAR est conçue comme une démarche pragmatique destinée à satisfaire une double exigence. D’une part, l’OCCAR doit permettre une réduction des coûts liés aux modalités de gestion des programmes conduits en coopération en évitant les duplications que l’on y rencontre traditionnellement. D’autre part, l’Organisation a pour but d’éviter le recours par les États au principe du juste retour et de le substituer par un mécanisme de « juste retour global » étendu sur plusieurs programmes entre partenaires. Conformément à l’article 8 de la Convention portant son établissement, il est stipulé que l’Organisation « assure les tâches de suivi, ainsi que toute autre fonction qui peut lui être confiée par les Etats membres »74.

http://www.rusi.org/downloads/assets/Cardinali,_Is_Europe_a_Help_or_a_Hindrance_in_National_Defence_Acquisition.pdf.

73 Soit un Programme Board par programme. 74 Ces fonctions sont, respectivement, selon les termes de la Convention : « (a) management of current and

future cooperative programmes, which may include configuration control and in-service support, as well as research activities; (b) management of those national programmes of Member States that are assigned to it; (c) preparation of common technical specifications for the development and procurement of jointly defined equipment; (d) coordination and planning of joint research activities as well as, in cooperation with

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Comme nous pouvons le constater, l’énoncé de l’article 8 de la Convention énumère un grand nombre de compétences. Les activités susceptibles d’être assumées et assurées par l’Organisation sont très diverses et étendues. Toutefois, le rôle de l’OCCAR est avant tout limité à la seule gestion de programmes dont il était souhaité par les Etats concernés que l’on accroisse l’efficacité. Entre 1998 et 2000, l’essentiel des tâches opérées par l’OCCAR a principalement résidé dans la définition et la rédaction des règlements et procédures internes. Ce qui, au demeurant, impliquait d’ores et déjà une charge de travail considérable. Par la suite, l’OCCAR s’est vue confier des programmes déjà existants afin de permettre à l’Organisation, dans le cadre de projets pilotes, d’éprouver et tester ses procédures. D’une manière générale, il peut être dit que la mission principale de l’OCCAR est de faciliter, selon un principe de transparence, la gestion des modalités de coopération de programmes d’armements et de démonstration technologique.

Les programmes confiés à l’Organisation sont actuellement :

1. l’avion de transport stratégique Airbus A-400M ;

2. le véhicule blindé multi-rôle germano-néerlandais Boxer ;

3. le système français de radar contrebatteries (COunter-Battery RAdar [COBRA]) ;

4. le programme d’architecture de radios logicielles European Secure Software defined Radio (ESSOR) ;

5. les frégates européennes multi-missions (FREMM) nées d’une coopération franco-italienne ;

6. la Famille des systèmes Sol-Air du Futur (FSAF) issu originellement d’une coopération franco-italienne ;

7. et l’hélicoptère de combat franco-allemand Tigre dont le projet industriel a été récemment rejoint par l’Espagne75.

On soulignera, au vu de la liste des programmes placés sous sa supervision, que l’OCCAR a eu essentiellement pour tâche de recueillir des projets industriels amorcés avant elle. Le transfert en faveur de l’Organisation de tels programmes – tantôt menés en coopération, tantôt relevant d’initiatives nationales – s’inscrit dans la volonté des Etats membres de l’OCCAR de consolider l’expérience de l’organisation dans ce qui, à la lecture des termes

appropriate military staffs, studies of technical solutions to meet future operational requirements74; (e) coordination of national decisions concerning the common industrial base and common technologies;(f) coordination of both capital investments and the use of test facilities. »

75 Une nouvelle version de l’hélicoptère Tigre verra d’ailleurs le jour qui répondra aux besoins spécifiés par l’Espagne et la France.

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mêmes de la Convention, représente son cœur de métier : la gestion. Toutefois, le fait pour l’OCCAR de prendre sous son aile des projets d’équipements qui lui sont préexistants fait qu’une large part des activités et tâches consubstantielles à l’élaboration de toutes les lignes de conception et d’administration d’un programme technologique militaire lui échappe. En effet, comme tous les programmes de coopération industrielle, les divers programmes supervisés par l’OCCAR ont été placés sous des accords intergouvernementaux. Ce sont donc les États parties aux susdits programmes, sans implication formelle de l’organisation, qui ont défini avec précision la répartition des charges de travail entre les maîtres d’œuvre et contractants76. Il est, dès lors, en l’état actuel des développements, très difficile de dresser un bilan des activités de l’OCCAR dans la mesure où il apparaît évident que l’ensemble du potentiel de cette Organisation n’a pas encore été employé de façon optimale. L’une des raisons pouvant expliquer le sous-emploi fait des mécanismes de gestion de l’Organisation a tout particulièrement trait à la compétence reconnue de l’OCCAR d’assurer l’administration de programmes nationaux qui lui seraient éventuellement transférés. En dépit des assurances données par l’Organisation à l’adresse des autorités politiques nationales, la possibilité de confier un projet d’armement national aux autorités de l’OCCAR a souvent été perçue, à tort, comme le risque d’un abandon de souveraineté, l’Etat craignant que la mise en œuvre des mécanismes de gestion de l’Organisation ne soit synonyme d’une limitation de fait des prérogatives des agences nationales d’armement et puisse créer un précédent77. En réalité, la possibilité pour l’OCCAR d’assurer la gestion d’un programme national ne s’entendait pas dans le sens d’une volonté d’ouverture d’un projet national à une possible coopération ultérieure – perspective somme toute chimérique compte tenu des résistances nationales – mais davantage comme une option destinée à sécuriser le développement d’un programme d’armement qui, initialement conçu dans le cadre d’une coopération, viendrait à souffrir ultérieurement du retrait d’un ou plusieurs partenaires ; l’OCCAR faisant office, dans ce type de scénario, de solution de continuité78.

L’élargissement du nombre de programmes placés sous la gestion de l’OCCAR est l’une des principales conditions de succès du mécanisme de « juste retour globalisé » mis en place au sein de l’Organisation. Au plus le nombre de programmes sous la responsabilité de l’OCCAR est important, au plus les industriels nationaux écartés d’un marché donné pourront espérer se rattraper sur un autre appel d’offre. L’OCCAR a donc intérêt à élargir son champ d’action afin d’intégrer le plus de programmes d’armement possible tant que cette multiplication peut s’inscrire dans le cadre de gestion et organisationnel de l’Organisation. 76 Burkard Schmitt, op. cit., p. 28 ; Jean-Paul Béchat, « L’Europe de la défense », Défense nationale et

sécurité collective, Paris, juin 2001 ; Robert Walmsley, « The UK – French Collaboration », L’Armement, numéro 72, décembre 2000, pp. 78 – 85.

77 Sandra Mezzadri, op. cit., p. 24. 78 L’OCCAR eut à remplir ce rôle avec le programme ROLAND pour lequel la France s’est retrouvée seule.

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(2) Les principes dits de « Baden-Baden » Plusieurs observations sont ensuite à réaliser en ce qui touche à l’une des principales raisons d’être de l’OCCAR, à savoir l’établissement de règles d’acquisition plus concurrentielles. C’est, plus exactement, en 1993 que la France et l’Allemagne s’accordent sur la définition d’un ensemble de cinq principes destinés à favoriser la concurrence de marché dans le domaine des équipements de défense et qui formeront, par ailleurs, la base même de la Convention de l’OCCAR. Ceux-ci sont79 :

1. la définition d’un programme sur base du critère coût/efficacité ;

2. la renonciation au calcul analytique du juste retour au bénéfice d’un équilibre pluriannuel s’appréciant sur la totalité des programmes ;

3. l’amélioration de la compétitivité de l'industrie de défense à travers (1) l’emploi de façon ciblée des pôles d'excellence industriels et (2) le développement des liens entre les sociétés ;

4. l’harmonisation des besoins, des méthodes et des technologies chaque fois que les impératifs militaires le permettent, et ce dans le cadre d'un projet commun d'investissement fondé sur les principes de complémentarité, de réciprocité et d'équilibre ;

5. l’ouverture à d’autres membres européens en vue de favoriser une politique européenne de sécurité et de défense sous réserve qu’ils acceptent les principes susmentionnés (principe de réciprocité)80.

Les principes de Baden-Baden, négociés donc dans un cadre franco-allemand, entendent favoriser le développement d’une concurrence sur la base du critère coût/efficacité dans le domaine des acquisitions. Ils visent, ensuite, à consacrer l’abandon du principe de juste retour – déterminé sur base de chaque programme établi entre le(s) Etat(s) et les industriels – pour lui substituer un mécanisme de « retour global » étendu, comme nous l’avons vu, sur une pluralité de programmes conjoints. Préparés et avalisés initialement par la France et l’Allemagne, ces principes seront ensuite acceptés par l’ensemble des membres de l’OCCAR. La raison qui pousse, à l’époque, la France et l’Allemagne à définir de telles mesures pour la définition et la mise en œuvre de programmes en coopération est à situer dans les conséquences de la fin de la guerre froide. Le début des années 1990 est marqué par des demandes émanant de toutes parts, qui visent une redistribution des dividendes de la paix. Les budgets de défense des États membres sont l’objet de pressions considérables afin d’être soumis à un processus de déflation. Les États ont pour la première

79 Stuart Fraser, « OCCAR, Five Years On », Military Technology, January 2004. 80 L’Espagne qui participe au programme A-400M a adhéré en 2005 à l’OCCAR. Cependant, dans la mesure

où Madrid exigeait de pouvoir disposer de huit voix au sein du Conseil de surveillance de l’Organisation, il lui a été demandé au préalable de contribuer à un second programme majeur de l’OCCAR, le Tigre.

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fois conscience de la nécessité de revoir les modalités d’acquisition de systèmes d’armes qui, du fait de l’intégration de nouvelles technologies – notamment issues des technologies de l’information (TIC) -, les rendent plus coûteux. Pris individuellement, il est évident que les principes de Baden Baden ne constituent pas une innovation conceptuelle dans le domaine de la conduite des programmes. C’est, en réalité, leur combinaison au sein d’une structure de gestion commune et coopérative qui confirme une véritable avancée en matière d’administration des projets d’armements81.

Si le thème de l’instauration d’un marché concurrentiel dans le domaine des équipements de défense figure, aujourd’hui, parmi les dossiers les plus débattus dans le cadre de la PESD, il importe, néanmoins, de rappeler que, pour l’époque, les principes de Baden-Baden entrent véritablement en rupture avec un ensemble de pratiques majoritairement admises et communément mises en œuvre par la plupart des Etats européens. Les principes de Baden-Baden modifient, en outre, les règles de passation des marchés afin de garantir une plus grande concurrence entre les candidats contractants. Les contrats de maîtrise d’œuvre des systèmes, de même que la distribution des tâches de conception des sous-systèmes entre les contractants de second rang seront mis en concurrence. Le ou les industriel(s) évincé(s) d’un appel d’offre serai(en)t informés sur les raisons qui ont motivé le choix opéré par le(s) Etat(s)82. Enfin – et c’est là sans doute l’une des mesures les plus avant-gardistes développées entre les Etats de l’OCCAR -, la mise en concurrence n’a pas été restreinte aux seuls Etats membres de l’OCCAR. Autrement dit, les appels d’offre émis par un ou plusieurs Etats membres de l’OCCAR ne permettront pas seulement aux industries de ces Etats membres de concourir mais seront ouvertes aux industries des pays membres du GAEO83.

(3) Atouts et limites de la coopération en cadre restreint L’instauration des principes de Baden-Baden, suivie de la création de

l’OCCAR en 1996, bien qu’elles semblent avoir généré la production de règles consacrant la rupture avec certaines pratiques, ont aussi résulté de la volonté de quelques États (en l’occurrence, les pays européens disposant des principales industries de défense) de concevoir une coopération en format restreint, jugée, a priori, plus efficace que les modes de coopérations multilatérales du type GAEO et OAEO. Le pari qui fut à la base de la conception de l’OCCAR était qu’il pouvait apparaître plus aisé de faire s’accorder un nombre plus limité de pays autour de règles de conduite plus rigoureuses et plus ambitieuses en matière de

81 Stuart Fraser, op. cit., p. 20. 82 Convention OCCAR, articles 23, 25, 26, 27 et 30 du chapitre IV. 83 Les programmes ont pu, d’ailleurs, comprendre des membres de l’OCCAR, du GAEO et des pays extérieurs

au GAEO. Dans cette hypothèse, deux conditions ont du, cependant, être réunies. Tout d’abord, les Etats de l’OCCAR devaient donner leur accord unanime sur la réalisation d’un tel schéma participatif de coopération. Ensuite, les Etats contributeurs qui se situent hors du champ du GAEO devaient observer le principe de réciprocité. Cf. Convention de l’OCCAR, article 5 du chapitre II et Annexe III – Dispositions transitoires.

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passation de marchés. Toutefois, pour relever ce pari, il était essentiel que les États observent de manière stricte les principes de conduite convenus entre eux.

Il reste que si la gestion de programmes menés entre un nombre plus restreint de pays facilite les modalités de gestion, les États semblent, aujourd’hui encore, réticents à abandonner toutes leurs considérations traditionnelles afin de protéger leurs bases industrielle et technologique nationales. L’établissement entre partenaires, même en nombre restreint, d’un « juste retour globalisé » se heurte encore à des réflexes nationaux.84 D’une manière générale, l’expérience de coopération au sein de l’OCCAR tend à démontrer qu’il s’avère encore difficile pour les États membres de l’Organisation d’étendre leurs perspectives de dotation en équipements sur le long terme. Or, cette démarche d’anticipation constitue un processus réflexif essentiel si l’Europe veut être capable de développer les technologies militaires les plus appropriées au moment le plus opportun.

Soulignons encore que, compte tenu du segment spécifique dans lequel l’OCCAR mène ses activités de coordination des programmes (c’est-à-dire dans les phases de production, d’acquisition et de soutien logistique), un nombre important de tâches continuent de relever des autorités nationales. Il s’agit, plus exactement, des opérations de budgétisation et de contrôle du suivi des programmes. On a pu également constater la persistance de méthodes de gestion instituant un Etat comme nation pilote d’un programme mené en coopération. Il semble, toutefois, que l’on assiste à une réduction progressive des équipes nationales après que les programmes pour lesquels de telles équipes de travail avaient été instituées soient passés sous la responsabilité de gestion de l’OCCAR85.

Bien que la gestion du programme de transporteur stratégique A-400M ait été directement confiée à l’OCCAR – qui se voit ainsi détenir la responsabilité managériale d’un programme qui ne lui était pas préexistant -, le processus qui a conduit les Etats à désigner l’OCCAR comme administrateur du projet s’avère des moins heureux et se révèle, au demeurant, une illustration parfaite du caractère pour le moins abscond des critères qui ont prévalu aux attributions de l’ensemble des programmes susmentionnés à cette Organisation. C’est, en effet, de manière spontanée que les Etats ont le plus souvent confié à l’OCCAR la conduite de programmes militaires. Cet état de fait découle, précisément, de l’absence en amont du cycle de développement d’un programme, d’une instance européenne qui aurait la charge d’assurer la préparation des travaux de l’OCCAR. L’établissement d’un tel système permettrait, en effet, des attributions plus informées et, surtout, plus nombreuses

84 Keith Hayward, « Vers un système européen d’acquisition des armements », Cahiers de Chaillot, numéro

27, Institut d’Etudes et de Sécurité de l’UEO, Paris, juin 1997. 85« OCCAR, « An Organisation With Growth Potential », MilTech Interview with Dr. Klaus von Sperber,

Military Technology, volume 28, 2004, p. 11.

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de nouveaux projets qui emploieraient l’ensemble du potentiel disponible de l’Organisation. L’AED a, depuis lors, comblé ce vide.

(4) Futuribles de l’OCCAR Avec, à partir de l’année 2003, l’inscription de la future « Agence

européenne d’armement et de recherche stratégique » au sein du projet constitutionnel européen, des interrogations sont apparues qui ont porté sur les rapports devant à l’avenir être établis entre les diverses instances européennes ayant parmi leurs compétences des aspects généraux ou spécifiques de la coopération dans le domaine des équipements de défense. L’OCCAR sera, sans nul doute, l’un des principaux acteurs institutionnels à conduire une réflexion et un débat sur l’avenir des relations à établir avec la future Agence. Ainsi que l’a reconnu le Général Nazzareno Cardinali, autrefois Directeur de l’Administration exécutive de l’OCCAR, la question des relations entre l’OCCAR et l’EDA ne peut manquer de se poser.

Un examen attentif des compétences respectives de l’Agence et de l’OCCAR laisse apparaître la possibilité qu’un regroupement futur des fonctions de la seconde au sein des prérogatives de la première est incontestable. Comme nous l’avons précédemment indiqué, les compétences du GAEO et de l’OAEO ont déjà été placées entre les mains de l’Agence, conduisant, de fait, à la mort programmée des deux institutions de l’UEO. Toutefois, l’intégration de l’OCCAR au sein de l’EDA ne pourra intervenir qu’à plus long terme. Il est permis de penser qu’une telle perspective ne verra pas le jour avant 2015, voire 2020. Et ce pour quatre raisons essentielles, selon nous :

1. D’une part, une différence importante entre les missions des deux organisations existe. En effet, les termes mêmes de la Convention de l’OCCAR et de l’Action commune qui définit les prérogatives de l’Agence laissent apparaître une division relativement claire des tâches imparties à chacune des institutions. Les deux « agences » n’interviennent pas à la même étape du processus de définition des programmes d’armement. Le « Core Business » de l’Agence européenne de défense se situe davantage dans l’harmonisation de la définition des besoins, l’identification des lacunes et les orientations en matière de génération et de capacités communes. Pour sa part, l’OCCAR a, comme principal métier, la gestion des programmes (qu’il s’agisse de la supervision des phases de démonstration technologique ou de la responsabilité en matière de production). En d’autres termes, l’OCCAR intervient en aval du processus ;

2. D’autre part, c’est avec une certaine prudence, quand il ne s’agit pas d’une réelle réticence, que les Etats envisagent une intégration de l’OCCAR au sein de l’AED. L’un des principaux atouts de l’OCCAR réside dans le constat qu’il est actuellement plus facile de prendre des décisions et des orientations communes à six qu’à vingt-sept. L’OCCAR, cependant, reste une organisation ouverte à l’adhésion de

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nouveaux membres pour autant que ceux-ci participent à l’un au moins des programmes majeurs de l’Organisation ;

3. ensuite, toute assimilation par « osmose » de l’OCCAR avec l’AED risquerait de compromettre l’acquis et l’expérience engrangés par l’agence exécutive de l’Organisation ;

4. enfin, une fusion entre les deux organismes aurait risqué de perturber gravement la structure à peine naissante de l’Agence.

iii. La Lettre d’Intention/Accord Cadre

Si la démarche qui a conduit à l’instauration de l’OCCAR a visé à mieux organiser le secteur de la demande dans le domaine des équipements de défense, la Lettre d’Intention (LdI) relève, pour sa part, de la volonté exprimée par les six principaux pays producteurs européens d’armement d’organiser l’offre industrielle en favorisant les coopérations transfrontalières entre les sociétés industrielles de défense. C’est, plus exactement, au mois de juillet 1998 que la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne et la Suède décident de lancer officiellement une initiative destinée à procéder à une vaste restructuration de l’industrie de défense européenne et de permettre à celle-ci d’atteindre une taille critique qui puisse la faire figurer parmi les plus compétitives dans l’espace transatlantique. La LdI, bien qu’elle ne réunisse que six pays, constitue cependant un ensemble lourd dans le domaine industriel. À eux seuls, les membres de la LdI représentent 90% de la capacité industrielle de défense au sein de l’Union et pas moins de 85% des dépenses militaires de l’UE. Ils sont également les États qui réalisent 98% des investissements de R&T de défense au sein de l’UE86. L’exposé de ces chiffres atteste, il est vrai, de l’importance de l’initiative entreprise par les six grands. Paradoxalement, il révèle également l’extraordinaire éclatement des niveaux de dépenses militaires au sein de l’UE et confirme un peu plus l’existence d’un risque réel de décrochage industriel et technologique au sein de l’Union.

Si la LdI, comme l’indique son nom, exprime la volonté des Etats concernés de marcher vers une profonde réforme du secteur de l’offre industrielle, l’Accord Cadre signé à Farnborough87 en date du 27 juillet 2000 (soit avec un semestre de retard sur le calendrier initialement prévu), qui aboutira donc au terme de deux années de consultations et de négociations entre les six pays concernés, contient des mesures spécifiques à travers lesquelles, d’une part, les États s’engagent à lever les barrières administratives auxquelles se heurtent

86 Anita Roth, op. cit., Annuaire français des relations internationales, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 619. 87 L’Accord Cadre est également appelé Accord de Farnborough.

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traditionnellement les tentatives de rapprochement industriels et, d’autre part, s’assurent que leurs intérêts légitimes soient préservés. La philosophie qui sous-tend les mesures contenues au sein de l’Accord Cadre a pour dessein de créer un environnement favorable à l’édification d’une industrie européenne compétitive et solide qui puisse rivaliser sur le plan mondial avec les principaux compétiteurs, notamment outre-Atlantique. La méthode passe donc par l’établissement d’un cadre juridique et réglementaire commun aux six États membres de la LdI. Précisément, l’Accord Cadre, qui a valeur de traité international, prévoit la prise en charge de six domaines d’intervention88 :

1. Un premier domaine d’intervention, confié à l’Italie, concerne la sécurité d’approvisionnement. Il découle de la préoccupation légitime des États de la LdI de s’assurer que la restructuration industrielle n’entraînera aucune conséquence sur la doctrine militaire des États et les équipements qui auront été déterminés en conséquence. Chaque pays dispose du droit de considérer que certaines technologies et/ou méthodes de fabrication dont il a la maîtrise sont à ce point importantes pour sa sécurité et sa stratégie qu’il peut refuser de voir les structures nécessaires au développement de celles-ci être délocalisées ;

2. Un second domaine d’intervention, placé sous responsabilité française, réside dans le contrôle des exportations d’armement et vise la définition des procédures d’exportation. En matière de transferts internes aux pays membres de la LdI, puis intra-communautaires, la LdI spécifie que les parties « rechercheront des moyens de simplifier la circulation des Biens et Services de Défense entre elles, […] en aspirant à une réduction progressive et le moment venu à une suppression […] des procédures de contrôle pour les transferts entre elles » ;

3. Un troisième domaine, confié à l’Espagne, concerne la sécurité de l’information et la mise en place des procédures nécessaires en vue de garantir la compatibilité des systèmes de restriction et de secret relatifs à certains armements et à la gestion internationale des sociétés qui en assurent la fabrication ;

4. Un quatrième domaine d’intervention prévu par la LdI, qui a été confié à la Suède, est relatif à la recherche et technologie. L’objectif poursuivi par la LdI est d’instituer des méthodes qui puissent permettre d’harmoniser les programmes existants afin, d’une part, d’éviter toute forme de redondances inutiles et, d’autre part, de prévenir la survenance de toute lacune majeure dans des technologies critiques. A cette fin, une agence exécutive pour la conduite des programmes de recherche et

88 Martine Lignières-Cassou, La recherche et technologie de défense : une stratégie à redéfinir, rapport

d’information déposé par la Commission de Défense nationale et des forces armées sur les études en amont des programmes d’armement dans les domaines de la défense et de l’aéronautique, Paris, Assemblée nationale, onzième législature, numéro 2793, pp. 106 – 107.

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technologie a été instituée. Son instauration a cependant suscité des interrogations à l’endroit du risque de duplication qu’elle pouvait entraîner du fait de l’existence, au niveau de l’OCCAR et, autrefois, au niveau de l’OAEO, d’entités aux prérogatives similaires ;

5. Un cinquième domaine d’intervention repose sur la propriété et le traitement des informations techniques. Ce domaine a été confié au Royaume-Uni. L’objectif poursuivi par le groupe de travail spécifiquement institué en la matière est de parvenir à un allégement des exigences en cas de restructurations. Le groupe de travail entend également harmoniser les clauses des contrats de défense et les procédures de mise au secret des inventions classifiées ;

6. Enfin, un sixième domaine d’intervention prévu par l’Accord Cadre est celui de l’harmonisation des besoins opérationnels et des procédures d’acquisition. Il s’agit, en réalité, du domaine d’intervention dans lequel peu d’avancées seront opérées en raison, d’une part, de l’ampleur de la problématique et, d’autre part, du caractère éminemment régalien des politiques d’acquisition d’équipements militaires.

La lecture des six domaines couverts par la LdI/Accord Cadre concerne, en réalité, un ensemble de préoccupations dont le suivi était déjà assuré, à l’époque, par l’OAEO. Ce n’est pas peu dire que le processus de la LdI s’était largement inspiré des travaux conduits au sein même de cette dernière organisation89. Au vrai, la signature de la Lettre d’Intention par les six principaux pays producteurs d’armement signifia ni plus ni moins la mise au pilori du GAEO/OAEO et constitua, dès le moment où l’Agence européenne de défense fut portée sur les fonds baptismaux, le prélude – confirmée plus tard en 2005 (pour le GAEO) et en 2006 (pour l’OAEO) – d’un transfert définitif de ces instances vers cette dernière. La signature de la Lettre d’Intention, perçue par quelques observateurs comme une avancée majeure dans le processus de rationalisation et d’harmonisation de l’offre industrielle en matière d’armement, a pourtant contribué à rendre plus complexe la lecture des rapports entre les divers organes en charge de la coopération européenne dans le domaine des armements. En effet, les États à la fois membres de l’OAEO et de la LdI refuseront, à partir de 1998, de débattre au sein de l’OAEO des questions relevant de la LdI. L’idée des États membres de la LdI était qu’il semblait plus facile de prendre des décisions à six plutôt qu’à 19 États ; espoir que les expériences ultérieures allaient très rapidement infirmer. Il reste que tant l’OAEO que la Commission III du GAEO pâtirent grandement de l’établissement entre les seuls six grands. Dans un dernier sursaut, la Commission III du GAEO tenta d’orienter ses activités résiduelles autour de trois champs d’action spécifiques qu’étaient alors (1) l’établissement de contacts étroits avec les groupes de travail institués au sein de la LdI, (2) la

89 Anita Roth, op. cit., p. 619.

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finalisation de documents dans des matières non prises en charge par la LdI et, enfin, le suivi de la mise en œuvre du code de conduite qui avait été approuvé par les Ministres.

(1) Les résistances nationales aux mécanismes de la LdI Dix ans après son instauration, la LdI affiche un bilan mitigé. Certes,

l’idée de procéder à une harmonisation des règles nationales disparates qui régissent le marché européen de la défense et les rapports entre les industries de même qu’entre les États et les industries de défense était plus que louable. La création de véritables entreprises européennes d’armement avait, en outre, obligé les pouvoirs publics nationaux européens à faire converger leurs cadres réglementaires avec comme objectif d’accroître l’efficacité économique du secteur. Toutefois, et bien que la LdI/Accord Cadre ait été accompagnée des arrangements techniques nécessaires à sa mise en œuvre, les résultats du processus se sont avérés décevants. Quelques observateurs tendent même à considérer que la LdI/Accord Cadre n’est, au final, qu’une « coquille vide » défendue par quelques États soucieux de soustraire le secteur de l’offre industrielle de défense des prérogatives de l’Union européenne. Comme à l’accoutumée, il convient de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain et d’examiner plus en avant les parts relatives de succès et d’échec de la LdI. Parmi les réussites engrangées par les États de la LdI, sans doute y a-t-il lieu d’indiquer que les mécanismes institués dans son cadre ont permis le développement d’une connaissance mutuelle des procédures nationales régissant le secteur des industries de défense. Peut-être, la LdI a-t-elle permis aux États de mieux comprendre les sensibilités nationales spécifiques entretenues par les pouvoirs publics dans ce domaine d’activités régalien. Des travaux ont, certes, été menés afin de mettre au point des licences globales de projet et un code de conduite relatif à la gestion des priorités des commandes en cas de crise, de conflit ou d’urgence. Les rapprochements opérés entre les États, sous les auspices du processus de la LdI, ont également donné l’occasion aux autorités nationales concernées de réduire notablement les délais requis pour l’obtention d’autorisations de visites dans les sites étatiques ou industriels.

Des difficultés considérables subsistent toutefois pour la circulation des composants des programmes et l’exportation de matériels. Celles-ci sont dues, essentiellement, à la persistance d’une trop grande hétérogénéité des procédures d’application dans les États de la LdI. Ainsi, selon la législation britannique en vigueur, un ingénieur anglais ne peut venir en France avec son ordinateur portable (qui contient des données sécurisées) sans agrément préalable donné par les pouvoirs publics de son pays. Et ce, même si cet ingénieur britannique se déplace afin de travailler dans une succursale de son entreprise à l’étranger (la France, en l’occurrence). Le maintien de tels contrôles semble peu justifié entre des États qui ont signés un ensemble d’engagements juridiques précisément destinés à supprimer de telles barrières à la coopération entre les industries et les États partenaires. Surtout, la préservation de telles contraintes – qui pourrait s’expliquer, en dehors de toute structure formelle de coopération, par des motifs

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de lutte contre la prolifération – cadre mal avec le développement et l’implantation un peu partout en Europe de centres d’essais et de production. Cette situation n’est rien comparativement au paradoxe auquel a conduit la LdI/Accord Cadre, à savoir le renforcement des procédures de contrôle et de vérification des États dans le secteur des armements. En effet, les dispositions négociées et adoptées par les partenaires de la LdI/Accord Cadre ont, à certains égards, permis aux États de découvrir ou de mesurer l’ampleur des failles qui pouvaient exister dans leurs dispositifs de surveillance et d’agrément nationaux. Ce constat a conduit certains États de la LdI à accroître le niveau de restriction de leurs procédures d’agrémentation, soit l’effet inverse de l’objectif initialement recherché.

Il apparaît clairement au vu de ces éléments que ni la LdI ni l’Accord Cadre n’ont été en mesure d’établir ce que certains commentateurs des affaires de défense entrevoyaient déjà comme un futur « Schengen de la défense ». Ceci s’explique dans une large mesure par le manque évident de volonté politique de la part des États pourtant liés au travers de ces accords.

(2) Perspectives de transfert de la LdI au sein de l’Agence Si la LdI subsiste aujourd’hui encore, des questions existentielles lui

sont désormais posées à l’aune de l’émergence et de la montée en puissance – certes progressive et organique – de l’Agence européenne de défense. Si la perspective d’une intégration complète de la LdI au sein de l’Agence semble prématurée, sans doute pourrait-il être question de mieux organiser la répartition des tâches entre les deux entités. À mesure que l’Agence étaye son expertise dans un nombre croissant de domaines autrefois prioritairement gérés par la LdI, cette dernière pourrait subsister en évoluant en une sorte d’instance de concertation ou de think tank dont la mission première serait de préparer et d’établir des positions communes et de conduire des actions concertées au sein de l’Agence. Plus encore, des pistes de réflexion pourraient être explorées en vue de mieux insérer, si cela s’avérait utile, la LdI au sein de l’Agence. Par exemple, à travers l’extension – ne serait-ce que temporaire et de façon spécifiquement régulée – du processus de la LdI à d’autres États européens participant aux activités de l’Agence. Il pourrait être envisagé un dispositif permettant à des entreprises européennes de défense, certifiées sur une base annuelle au regard de critères de responsabilité prédéfinis, de faire circuler des composants ou des éléments de programmes d’armement d’un pays à l’autre sur la base d’une démarche déclaratoire aux administrations compétentes. On comprendra, toutefois, les difficultés administratives auxquelles pourrait se heurter une telle solution.

On ajoutera, toutefois, que l’insertion de la LdI dans l’Agence pourrait conduire à l’établissement, de facto, d’un directoire restreint de six États ; ceci alors que les principes de fonctionnement en son sein ont été définis sur la base d’un équilibre subtil entre vote à la majorité qualifiée et unanimité. Dans les faits, cependant, il convient d’observer que les orientations majeures de l’AED

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sont principalement le fait des principaux pays producteurs d’armements réunis au sein de la LdI. Leur influence sur l’agenda et le fonctionnement quotidien de l’AED est d’ores et déjà avéré.

f. Conclusion partielle

Il est un truisme d’indiquer que la « lettre de créance » contenue dans les termes de l’Action commune fondant l’AED a non seulement exigé de la part de l’Agency Establishment Team qu’elle opère des approches prudentes mais qu’elle fasse preuve, en outre, de créativité pour la définition de ses missions, structures et budgets. Fondée sur quatre Divisions principales, l’AED est parvenue à répartir un cahier des charges programmatique et institutionnel qui, bien que caractérisé par des intersections évidentes, s’avère relativement hétéroclite.

Parmi les incertitudes relatives à l’avenir de l’Agence, figurent le budget et les missions. C’est en premier lieu la question de l’avenir des perspectives budgétaires de l’AED qui se doit d’être débattue. L’une des prouesses de l’Agence fut de parvenir à se définir un programme de travail de moyen terme (appuyé, notamment, par la Long Term Vision) qui fasse fi des échéances budgétaires annuelles auxquelles est soumise l’institution. Il n’est pas sûr que les recettes du passé puissent garantir une pleine et durable efficacité pour l’avenir. Aussi, des travaux actuellement conduits en vue de permettre à l’AED d’opérer dans le cadre d’un financement pluriannuel (on songe, plus spécifiquement, à l’établissement d’un calendrier budgétaire établi sur trois annuités) dépendra la crédibilité future de l’Agence.

C’est, en second lieu, l’avenir des missions de l’AED qui mérite un examen plus détaillé. L’exposé des missions contenues au sein du texte de l’Action commune révèle une formulation tout à la fois ambitieuse et souple qui ne manque pas de susciter quelque débat quant à l’avenir du rôle de l’AED dans l’architecture institutionnelle européenne de défense. Des interrogations persistent à l’endroit de l’avenir des rôles de « régulation » et « fédération » de l’Agence. Le modus operandi actuel permet aux autorités de l’AED d’amener les Etats membres à infléchir leurs positions respectives en vue du développement de communalités nouvelles entre les logiques capacitaires nationales. Il serait néanmoins un leurre d’imaginer qu’une véritable régulation supranationale puisse être placée entre les mains de l’Agence à moyen terme. Ceci pour deux raisons. La première tient au fait que l’AED n’a pas été structurellement édifiée à cette fin (la désignation officielle de l’AED insiste sur la dimension intergouvernementale de cette dernière). La seconde raison a trait à la concurrence contreproductive que pourrait générer l’activité régulatrice de

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l’AED avec celle, établie de longue date, de la Commission européenne (même si le champ de la Défense européenne ne s’inscrit pas formellement dans les domaines de compétences de la Commission européenne).

C’est, enfin, le rôle « fédérateur » de l’AED qui sera, à l’avenir, au centre des exercices de prospective sur la Défense européenne. On sait les facteurs qui ont conduit les Etats membres à choisir la dénomination officielle de l’Agence (l’Action commune la présentant comme l’Agence intergouvernementale dans le domaine du développement des capacités de défense, de la recherche, des acquisitions et de l’armement). Il reste que cette désignation sibylline ouvre de nouvelles fenêtres d’opportunité pour l’Agence. Les Etats membres de l’UE ont, en effet, renoncé à qualifier l’AED « d’Agence européenne de l’armement », ceci afin de ne point restreindre par trop les missions qui lui seraient dévolues. Le qualificatif communément véhiculé d’« Agence européenne de défense » avait le mérite de ne pas exclure l’idée selon laquelle d’autres missions et responsabilités puissent être, à l’avenir, confiées à l’Agence. Sur la base de ce constat, il peut être utile d’envisager les formes nouvelles que pourraient éventuellement, demain, revêtir l’AED. Et de nous interroger : l’AED pourra-t-elle être amenée à devenir le creuset organisationnel futur de l’ensemble des compétences en matière de PESD, au-delà du seul volet capacitaire ? Ne serait-il pas, sur un plan purement institutionnel, envisageable d’opérer un transfert des institutions politico-militaires de l’UE (COPS, CMUE et EMUE) vers l’Agence ? Pour autant qu’elle puisse s’inscrire dans un scénario de rapprochements et de synergie croissants entre l’UE et l’Alliance atlantique en matière de défense, une telle hypothèse ne saurait, a priori, être écartée sans autre forme de procès.

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La logique d’action de l’Agence s’inscrit, nous l’avons dit, dans une démarche « capacitaire ». L’Agence ne représente donc pas un cadre nouveau de gestion des programmes d’armements et ne dispose d’aucune autorité exécutive autonome tant pour la gestion de systèmes que pour la conduite de projets de recherche. L’apport de l’AED se situe, plus exactement, à l’intersection de quatre grands ensembles d’activités, à savoir : le lancement d’initiatives visant à encourager des démarches communes (les flagships programs »), la prospection stratégique, le soutien au développement d’outils de régulation et le rôle de plate-forme d’échanges et de support aux fins de la recherche de communalités programmatiques.

a. Les « Flagship Programs »

Soucieuse de s’établir en véritable acteur de la coopération européenne dans le domaine des équipements de défense, l’AED a, dès le début de son mandat, choisi de s’investir dans un ensemble limité de programmes choisis pour leur symbolique forte. Le projet de conception d’un véhicule blindé de combat (VBC) européen a constitué le premier Flagship Program de l’Agence. Il apparaissait, en effet, que trop de travaux portant sur l’élaboration conceptuelle d’une nouvelle génération de VBC avaient été menés sur des bases exclusivement nationales. Plus d’une vingtaine de travaux prospectifs en la matière étaient, ainsi, répertoriés en Europe. L’AED fut donc chargée de conduire un projet d’harmonisation axé autour du principe d’interopérabilité ou, pour reprendre les termes de Guy Tessier, d’« europérabilité ». L’objectif ultime est de contribuer à l’émergence d’une famille européenne de véhicules dont les VBC seraient les fers de lance. Pour l’heure, l’AED préconise la réalisation d’une série de cinq études conjointes de faisabilité portant sur les technologies critiques pour la prochaine génération de plates-formes.

Autre Flagship Program de l’Agence, le programme de drones européens demeure, dans l’état actuel des développements, à un stade liminaire. Ce programme est, en réalité, articulé autour de deux projets de sous-technologies (Sense and Avoid [S&A] et Line-of-Sight/Beyond Line of Sight [LOS/BLOS]). Confié à l’industriel SAGEM (Groupe SAFRAN), ce projet a reçu pour l’année 2008 une enveloppe budgétaire de €6 millions. Il se concentre, pour l’heure, sur la réalisation d’études technologiques en matière de capacités de longue endurance.

Les travaux et résultats

d’activités de l’AED

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Notons, enfin, parmi les projets de catégorie « B », le programme ESSOR visant la conception de radios logicielles pour les forces armées européennes. Il est à regretter que ce programme, d’initiative française, ne concerne qu’un nombre limité d’Etats participants. L’ambition affichée dans le cadre de ce programme est de parvenir à établir une coordination des efforts de recherche en vue d’accroître l’interopérabilité des systèmes de radio-transmission européens tout en accroissant leur sécurisation.

b. Le développement d’une vision prospective

La démarche « capacitaire » développée par l’Union européenne au profit de l’élaboration de la PESD a très rapidement souffert de l’absence d’une approche de l’environnement de sécurité qui puisse servir d’échelle de mesure des efforts qualitatifs et quantitatifs engagés. L’une des premières nécessités à laquelle dut répondre l’AED était la confection de scénarios sécuritaires de moyen et long termes. C’est la Direction « Capacités » de l’AED, à l’époque dirigée par le Général belge Pierre Hougardy, qui se vit confier la mission d’élaborer une Long Term Vision (LTV)90. La LTV avait pour ambition de dresser un ensemble d’hypothèses sur les conditions stratégiques futures dans lesquelles les armées européennes auraient à devoir engager à l’avenir les hommes et le matériel. C’est en des termes relativement lacunaires que le Conseil décrit les objectifs qui doivent alors être poursuivis par l’AED dans le cadre de ce travail prospectif. Les termes du Council Guidelines for EDA’s Work in 2006 invitent l’Agence à coopérer avec les Etats membres participants en vue de générer une vision de long terme qui puisse assister la définition des besoins en matière de capacités et de programmes pour l’Union européenne. Il est ajouté que le Comité militaire de l’Union européenne est appelé à jouer un rôle fondamental dans ce processus d’élaboration91.

Les réflexions préalables à la rédaction de la LTV ont été l’occasion pour les Etats membres participants de mettre en avant leurs sensibilités propres quant à la perception de l’avenir du contexte sécuritaire mondial. Il peut être dit que, même si le processus de la LTV a expressément cherché à rapprocher les points de vue nationaux, des différences assez spécifiques pouvaient séparer les priorités mises en avant par les Etats tant sur la forme que devait revêtir, in fine, la LTV que sur le fond des tendances qu’elle se devait d’établir.

Du point de vue formel, deux options s’offraient aux Etats membres participants. La première résidait dans la formulation de plusieurs hypothèses de

90 « European Defence Agency Takes the Long View », Interavia, No. 686, Winter 2006, p. 30. 91 Council Guidelines for EDA’s Work in 2006, Brussels, 23 November 2005, 14804/05, p. 3.

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tendances auxquelles auraient été associées diverses postures stratégiques. Cette méthode de travail présentait le mérite d’intégrer des « ruptures » éventuelles (classées selon le degré de probabilité de leurs occurrences) dans le cours des événements. À côté de la « simple » extrapolation de la situation contemporaine, auraient été dessinées des perspectives d’évolutions parallèles basées sur la survenance de facteurs nouveaux ou inédits. Une seconde option de travail résidait dans l’examen de scénarios d’extrapolation basés sur les transformations dans les relations internationales et stratégiques. C’est cette démarche de travail qui fut choisie. Si elle présentait des avantages didactiques évidents (le lecteur évite de se perdre dans une pluralité d’itérations et de conjectures), elle comportait un risque plus important en termes de validité dans le temps long.

La LTV sur la capacité de défense et les besoins capacitaires européens constitua un travail de première importance dans la mesure où elle fixait l’horizon de développement des initiatives prises au sein de l’AED. La LTV fut adoptée en date du 3 octobre 2006. Si elle fut conçue principalement par l’Agence, son texte fut également le produit d’une collaboration étroite avec l’Institut d’Etudes et de Sécurité de l’Union européenne, le Comité militaire de l’UE et les ministères de la défense des Etats de l’Union. Soulignons, en outre, les contributions appréciables et appréciées de l’ASD et du Commandement allié pour la Transformation (ACT) de l’OTAN, ainsi que celles émanant de divers chercheurs de la communauté scientifique.

Un nombre considérable de discussions et d’échanges permirent le développement de la LTV. Les conclusions des débats engagés insistèrent sur le fait que la LTV devait, avant tout, développer une approche globale des questions de sécurité et de défense internationales et, donc, rester ouverte aux dimensions connexes de la sécurité. Les rédacteurs de la LTV revinrent, en outre, sur le caractère itératif de l’exercice et soulignèrent le fait que le document produit ne pouvait en aucun cas être considéré comme un plan de développement mais abordé davantage comme une vision du futur appelée à identifier les actions à mener dans le domaine capacitaire.

Le développement de la LTV s’opéra, après discussions entre l’AED et les Etats membres, selon une répartition en trois piliers (aussi appelés Strands). Le premier pilier (Strand 1) se concentra sur l’étude du contexte sécuritaire global. L’Institut d’Etudes et de Sécurité de l’Union européenne fut en charge de l’examen de l’environnement international et de l’influence de ce dernier sur les capacités à développer. Ce ne sont pas moins de sept domaines clés qui furent traités92 :

92 Nicole Gnesotto, Nurkard Schmitt, Giovanni Grevi, Gustav Lindstrom, Stéphane Delory, Bastien Nivet,

Daniel Steinvorth, Sophie de Laboulaye, patrizia Pompili, Nathalie Stanus et Andreas Roth, Long Term Vision Strand 1, Global Context Study for an Initial ESDP Long term Vision (LTV).

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1. L’environnement ;

2. La démographie ;

3. L’économie ;

4. L’énergie ;

5. La science et la technologie ;

6. Les dimensions sociale et culturelle ;

7. La gouvernance.

Les réflexions relatives au second pilier (Strand 2) furent conduites par le Comité militaire de l’Union européenne, les Etats membres, l’Etat-major de l’Union européenne et la Présidence tournante de l’UE. Constitué de trois Workshop (WS), le second pilier aborda des thématiques aussi diverses que le rôle futur des opérations d’appui militaire pour l’Union européenne (WS1), la conduite future des opérations (WS2) ou encore la définition des futures capacités militaires (WS3).

Enfin, le troisième pilier (Strand 3) eut pour objectif d’identifier les tendances en matière de R&T. Le travail d’examen fut assuré par la DR&T avec l’appui d’experts extérieurs à l’AED.

Le résultat final des travaux de la LTV aboutit à la publication d’un document subdivisé en cinq chapitres portant l’élaboration de scénarios à l’horizon des 25 années. Les auteurs du document définirent quatre caractéristiques principales des futures opérations qui auront à être conduites dans le cadre de la PESD. Six domaines d’action prioritaires furent ainsi définis qui portent sur :

1. L’exploitation des connaissances dans un environnement d’intervention réseaucentré ;

2. L’interopérabilité (à travers la communalité des équipements et la mise en commun des capacités) ;

3. L’équilibre des effectifs (une augmentation des investissements pouvant passer par une réduction du nombre de soldats) ;

4. L’acquisition et l’exploitation rapide des nouvelles technologies ;

5. Le développement d’une politique industrielle à même d’empêcher la contraction de l’industrie de défense européenne, notamment à travers une augmentation des investissements et l’exploitation de toutes les potentialités présentes en Europe ;

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6. La flexibilité face aux imprévus.

La LTV fut adoptée par l’ensemble des Ministres de la Défense des Etats membres de l’UE lors de la réunion du Comité directeur de l’Agence à Levi, en Finlande, au mois d’octobre 2006.

c. Les Joint Investment Programme (JIP)

Comme nous avons eu l’occasion de l’exposer préalablement, les programmes d’investissement conjoint de l’Agence regroupent les projets de R&T pour lesquels l’ensemble des Etats membres participants apportent une contribution (à l’exception éventuelle des EMPs qui manifestent le souhait de se dégager d’une coopération donnée). L’Agence européenne de défense compte, actuellement, à son bilan, deux grands JIP. Le premier – le Joint Investment Program – Force Protection (JIP-FP) est consacré à la protection des forces et du combattant, le second – le Joint Investment Program – Innovative Concepts and Emerging Technologies – est relatif aux technologies émergentes.

i. Le programme d’investissement conjoint sur la protection des forces et du combattant

Les récents conflits ayant impliqué la participation de troupes occidentales (Afghanistan, Irak, Liban) attestèrent de la nécessité d’accroître les dispositifs de protection des troupes déployées sur les théâtres face aux actions suicides ou aux attaques non-conventionnelles, asymétriques (du type Improvised Explosive Devices93). La thématique de la protection des forces en vint, très rapidement, à acquérir le statut de programme emblématique pour l’Agence européenne de défense. Son inscription à l’agenda de l’Agence, avec le plein soutien de la majorité des EMPs, attestait du cheminement parcouru par l’AED. La protection des forces devint ainsi, en 2007, le premier programme coordonné de l’AED.

Ce ne sont, en effet, pas moins de 19 pays qui, dès le mois de novembre 2006, répondirent favorablement à la proposition faite par l’Agence de fédérer les efforts nationaux en vue de l’amorce d’une réflexion globale sur les axes de R&T à développer pour aboutir à la confection d’une programme conjoint pour la protection du combattant. Le JIP-FP n’incarnait pas seulement un projet de R&T en matière de défense. Il était, surtout, pour l’Agence l’occasion de tester 93 Généralement qualifiés d’IED.

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un certain nombre d’initiatives dont celle de l’action collaborative et de procédures de participation et de décision.

Le JIP-FP fut appelé à s’étendre sur une période de trois ans à partir du 1er janvier 2007. Au final, le niveau d’investissement consenti atteignit les €54,93 millions. Le JIP-FP fédère, en outre, dix-neuf Etats européens parmi lesquels on compte18 Etats membres participants (Allemagne, Autriche, Belgique, Chypre, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Slovaquie, Slovénie, Suède) et un Etat non membre (Norvège).

Le JIP-FP couvre un ensemble de 18 thèmes de recherche répartis en cinq domaines capacitaires principaux :

1. les capacités de survivabilité collective (unités, plates-formes et infrastructures) articulées autour de dispositifs de détection, d’identification et de réaction améliorés ;

2. la protection individuelle du combattant (stricto sensu) ;

3. l’analyse de l’information et la fusion des données en provenance de différentes sources ;

4. les systèmes de télécommunications tactiques sécurisés en milieu urbain ;

5. la planification des missions dans un environnement asymétrique et la formation du personnel à ces missions.

La gestion du JIP-FP est assurée par une structure de management volontairement souple qui associe le pouvoir régulateur des Etats membres participants au programme et le rôle de coordination de l’Agence. Plus prosaïquement, le programme conjoint sur la protection des forces et du combattant est géré par les Etats participants dans le cadre d’un Management Committee, présidé par l’AED. C’est la DR&T qui s’est vue confier le suivi du JIP-FP94.

Le JIP-FP a fait l’objet de quatre appels d’offre :

1. Le premier appel d’offres, consacré aux capacités de « survie collective » a fut publié en date du 15 mai 2007. Il a généra des réponses de la part de près de 30 consortiums et aboutit à la signature

94 Elvira Cortajarena Iturrioz, Le soldat du futur : initiatives européennes, rapport présenté au nom de la

Commission technique et aérospatiale de l’Assemblée interparlementaire européenne de sécurité et de défense de l’Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale, Document A/1990, 5 décembre 2007, pp. 21 et ss.

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des premiers contrats en date du 14 décembre 2007. Ces premiers contrats portèrent sur un investissement global de €13,1 millions95 ;

2. Le second appel d’offres, publié en date du 16 mai 2007, porta quant à lui sur le développement des communications tactiques sans-fil sécurisées. Les consortiums furent sélectionnés par le Management Committee en date du 29 avril 2008 ;

3. Le troisième appel d’offres dédié à l’analyse et à la fusion des données fut publié en date du 16 mai 2008 et orienté vers quelque 155 contractants potentiels ;

4. Le quatrième appel d’offres fut, enfin, consacré aux capacités de planification des missions/entraînement dans un environnement asymétrique ainsi qu’aux communications tactiques sécurisées96.

Le JIP-FP dépasse le seul cadre des projets nationaux européens en matière de soldat du futur. Il doit être évalué à l’aune de l’ensemble des divers maillons technologiques soutenus par l’AED qui visent à constituer, au final, une capacité européenne réseaucentrée pleine et entière. Le JIP-FP doit donc être placé aux côtés des programmes conduits, selon des modalités qui leur sont spécifiques, dans le domaine des drones97, des radios logicielles98 et des architectures C4I. Il importe, en outre, de remarquer que le programme JIP-FP n’entend pas représenter un substitut aux efforts propres développés par les Etats dans le secteur de la définition des technologies futures du combattant. Le JIP-FP s’inscrit davantage comme une interface synergétique entre les différents programmes nationaux conduits et vise à encourager le partage des expériences, des technologies et à réduire, chaque fois que possible, les duplications. L’objectif à terme est de permettre l’interopérabilité des différents efforts nationaux99.

ii. Le programme d’investissement conjoint sur les technologies émergentes (JIP-ICET)

Le lancement d’un deuxième programme d’investissement conjoint sur

les technologies émergentes et les concepts innovants atteste, indéniablement, de la dynamique engagée par l’AED. Il nous faut, en effet, mettre en exergue

95 « EDA Signs First Contracts Under R&T Joint Investment Programme on Force Protection », Bruxelles, 14

décembre 2007, communiqué de presse, cf. http://www.eda.europa.eu/newsitem.aspx?id=301. 96 « Fourth Call for Proposals Under the JIP-FP – Registration of Potential Contractors », Bruxelles, 1er juillet

2007, cf. http://www.eda.europa.eu/genericitem.aspx?id=379. 97 Nicholas Fiorenza, « EDA Discusses Use of UAVs in European Airspace », Jane’s Defence Weekly, Vol.

44, No. 14, 4 April 2007. 98 Adam Baddeley, « EDA Programmes Seek to Achieve SDR interoperability », Jane’s Defence Weekly, Vol.

44, No. 1, 3 January 2007. 99 Elvira Cortajarena Iturrioz, op. cit., p. 23.

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toute l’importance que revêtiront les démarches prospectives et exploratoires qui seront très certainement incluses dans ce JIP. Il est particulièrement heureux de constater que l’AED amorce un processus de réflexion similaire à celui qui a été lancé 6 ans plus tôt aux Etats-Unis dans le domaine des technologies convergentes, aussi désignées NBIC (pour Nano, Bio, Info & Cogno100). Ce nouveau JIP est, enfin, le résultat des réflexions conduites au travers de la LTV.

Onze Etats (Allemagne, Chypre, Espagne, France, Grèce, Hongrie, Italie, Norvège, Pologne, Slovaquie, Slovénie) participent à ce JIP-ICET qui est appelé à s’étendre sur une période de deux ans. Ici encore, le JIP-ICET sera géré par un Management Committee constitué des représentants des pays contributeurs. Le JIP-ICET couvrira un ensemble de 8 objectifs spécifiques en matière de R&T, eux-mêmes répartis en trois grands clusters : (1) l’autonomie accrue (Improved Autonomy), (2) les nouvelles solutions pour les matériaux et les structures (New Solutions for Materials and Structures) et (3) l’acquisition et l’exploitation de données (Data Capture and exploitation).

On peut, certes, regretter qu’un budget de seulement €15,58 millions ait été attribué à ce programme conjoint. Le 7ème programme-cadre de l’Union européenne prévoit, pour sa part, de dépenser sur 7 années un montant global de €3.475 millions en faveur du volet Nanotechnologies, nanosciences, matériaux et nouvelles technologies de production, tandis que le volet Sécurité & Espace de ce même programme se voit affecté d’un financement total de €2.830 millions.

Il convient néanmoins d’insister tout spécifiquement sur ce que pourront être les deux atouts essentiels de ce JIP :

1. La mise en œuvre d’une réflexion ambitieuse sur les technologies émergentes aura le mérite de projeter les travaux de l’AED dans une perspective résolument de long terme. L’objectif ne résiderait donc plus uniquement à dégager des solutions capacitaires en vue de répondre à des besoins immédiats (qu’ils soient de court ou de moyen termes), même si cette dernière démarche revêt une importance majeure compte tenu des insuffisances identifiées sur le terrain des déploiements. Cette évolution de l’agenda est le résultat logique des succès rencontrés par l’AED dans les travaux qu’elle a conduit jusqu’à présent. Au travers d’une JIP en matière de « technologies émergentes », l’AED et les Etats membres participants auront pour mission de préparer un avenir plus lointain mais dont les fondements se dressent déjà sous nos yeux et qui

100 Nanotechnologies, biotechnologies, technologies de l’information & sciences cognitives. Le rapport NBIC,

officiellement intitulé Converging Technologies for Improving Human Performance – Nanotechnology, Biotechnology, Information Technology and Cognitive Science, paru en juin 2002, consacre l’engagement de la National Science Foundation, appuyée par la Maison Blanche, dans l’étude des apports conceptuels et des applications possibles qui pourraient ressortir de la rencontre et de la symbiose des technologies énoncées. Le rapport NBIC comporte, d’ailleurs, un chapitre entier dédié à l’examen des réalisations potentielles des NBIC dans le domaine de la sécurité nationale et du champ militaire.

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sont d’ores et déjà l’objet de débats nourris, notamment outre-Atlantique.

2. L’amorce d’un programme conjoint d’investissement dans le domaine des technologies émergentes permettra, il nous faut l’espérer, d’envisager des perspectives de synergies croissantes entre l’AED et certains volets du 7ème programme cadre de la Commission européenne, dans le respect des spécificités et des compétences des organisations. Un travail de rapprochement reste encore, cependant, à réaliser.

Un premier appel d’offres a été approuvé en date du 10 juillet 2008. Il porte sur les technologies relatives au suivi et au contrôle et s’articule autour de quatre ensembles de recherches : (1) Non Linear Control Design, (2) les architectures de navigation intégrées, (3) les nanotechnologies et, enfin, (4) le monitoring médical structurel. Ce premier appel d’offres a été publié le 17 novembre 2008 à l’intention de contractants potentiels désignés par les Etats contributeurs.

Un second appel d’offres est prévu pour l’année 2009 même si sa portée matérielle précise n’a pas encore été définie. Il portera, d’une manière générique, sur l’acquisition et l’exploitation des données et devrait s’articuler autour de quatre ensembles de technologies : (1) la détection à distance d’objets dissimulés, (2) les nanostructures et l’électro-optique, (3) les processings et (4) les composants de technologies radar101.

d. Le régime intergouvernemental de soutien à la concurrence sur le marché européen des équipements de défense

La question de la rationalisation du marché européen des équipements de défense est, depuis nombre d’années, au cœur d’initiatives, tantôt communautaires, tantôt intergouvernementales. Rappelons, au passage, le rôle joué dans cette matière par le GEIP, la Commission III du GAEO ou encore les initiatives contenues au sein de LdI. Les demi-échecs essuyés, sur le plan communautaire, par la Commission européenne ont progressivement incité les Etats à reprendre l’initiative. Aussi, est-ce le cadre de l’Agence qui fut choisi par les Etats en vue d’établir un nouveau régime intergouvernemental en soutien de la concurrence sur le marché des équipements de défense. Ce régime fut instauré en date du 1er juillet 2006 avec la contribution, à l’époque, de 22 des 24 EMP. Actuellement, 25 des 26 Etats membres participants de l’Agence européenne de défense – la Roumanie ayant souhaité ne pas intégrer ledit

101 http://www.eda.europa.eu/genericitem.aspx?id=368.

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régime (soulignons que la Norvège, qui n’est membre ni de l’Union européenne et ni de l’AED, contribue au Régime). Ce Régime est constitué de plusieurs initiatives réglementaires et de solutions techniques.

i. Le code de conduite sur les acquisitions en matière de défense (Code of Conduct on Defence Procurement [CoC])

Un premier ensemble de mesures relevant du Régime intergouvernemental est inclus dans le Code de conduite sur les acquisitions en matière de défense.102 Adopté en date du 21 novembre 2005 par les Ministres de la Défense des Etats membres de l’Union européenne, ledit code énumère un certain nombre de principes et de modalités sur la base desquels les Etats sont invités, sur une base volontaire, leurs politiques. Ces mesures comprennent : la diffusion à l’intention des partenaires des informations sur les appels d’offre et l’attribution des marchés (pour les contrats supérieurs à €1 million) ; la diffusion des référentiels réglementaires nationaux et des processus de passation des marchés ; la création d’un système de vérification et de contrôle ; la transparence des critères d’admissibilité et la recherche de la compétition sur l’ensemble de la chaîne contractuelle, en ce compris la sous-traitance. Ce code de conduite fut appuyé par la mise en place d’un instrument spécifiquement dédié, le bulletin électronique pour les contrats gouvernementaux (Electronic Bulletin Board – Government Contracts) dont le lancement officiel intervint en date du 1er juillet 2006, marquant ainsi le lancement officiel et concret du régime intergouvernemental103.

ii. Le code des bonnes pratiques en matière de chaîne d’approvisionnement (Code of Best Practice in the Supply Chain [CoBPSC])

Parce que l’établissement d’un véritable marché européen des équipements de défense implique une participation pleine et entière des consortiums mais, aussi, des petites et moyennes entreprises dépendantes pour leur survie des appels d’offres dans le domaine de la défense, un code des bonnes pratiques sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement a été défini par l’AED. En effet, afin d’étendre l’ouverture des marchés de défense à l’ensemble des acteurs industriels européens, en ce compris les petites et

102 « A “Code of Conduct” On European Defence Procurement », Military Technology, Vol. 30, No. 6, p. 139; 103 Aimee Turner, « EU Turns to Web in Drive to Open Up Defence Procurement Markets », Flight

International, Vol. 169, No. 5032, April 2004, p. 6.

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moyennes entreprises ne disposant pas de la possibilité de répondre aux appels d’offre lancés mais de contribuer aux programmes au titre de sous-traitants, le CoBPSC, adopté en date du 15 mai 2007, dispose d’un bulletin électronique dédié (Electronic Bulletin Board – Industry Contracts, mis en ligne à partir du 29 mars 2007) par l’intermédiaire duquel les entreprises souhaitant œuvrer au titre de sous-traitants dans le cadre de programmes remportés par les principaux maîtres d’œuvre peuvent concourir104.

Enfin, une dernière mesure phare du projet d’établissement progressif d’un marché européen des équipements de défense repose sur les initiatives adoptées en vue de garantir la sécurité des approvisionnements et de l’information. Ce dispositif, précédemment initié dans le cadre de la LdI, a pour objectif de sécuriser les Etats dont les commandes d’équipements de défense ont été réalisées auprès d’un industriel étranger.

e. Les Stratégies européennes de coopération dans le domaine de l’armement et de R&T de défense

Toujours dans le domaine du renforcement de la base industrielle et technologique de défense, l’AED a publié deux stratégies, approuvées par le Comité directeur, en matière de (1) coopération européenne dans le domaine des armements et (2) de R&T européenne de défense. Selon les propos du Directeur de l’AED, Alexander Weiss, l’objectif de ces textes est d’inciter les Etats européens à maximiser les opportunités de coopération et à inscrire le principe même de coopération au cœur des planifications nationales en matière de défense.

La Stratégie européenne de coopération dans le secteur de l’armement est axée autour de trois « Objectifs stratégiques » (Strategic Aims). Le premier a pour but de générer, de promouvoir et de faciliter la coopération programmatique afin de rencontrer les besoins capacitaires. L’AED insiste, tout particulièrement, sur la nécessité pour les Etats membres participants de sélectionner leurs stratégies d’acquisition à l’aune de la recherche d’un meilleur emploi des moyens de R&T. Elle évoque, au-delà, l’importance d’une concertation étroite entre les EMPs en matière de formulation des besoins. Un second Objectif stratégique vise à mieux assurer la BITDE ainsi que les investissements qui lui sont dédiés afin de soutenir les futurs programmes conduits en coopération. Ceci implique le développement entre les Etats, mais

104 Hélène Masson et Cédric Paulin, Le marché de défense : concept et réalité, Paris, Fondation pour la

Recherche Stratégique, Notes de la FRS, 29 novembre 2005 ; Brooks Tigner, « New High for EDA Procurements But More Openess Needed », International Defence Review, Vol. 40, No. 10, 1st October 2007 ; Nicholas Fiorenza, « EDA Prepares for Code of Conduct », Jane’s Defence Weekly, Vol. 43, No. 16, 19 April 2006.

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aussi entre les Etats et l’industrie, d’une plus grande transparence en matière de politique d’acquisition, de passation de marché et de définition des cahiers des charges. Enfin, un troisième et dernier Objectif stratégique se propose de renforcer l’efficacité et l’efficience de la coopération en matière d’armements. Ainsi, les opportunités de coopération doivent être identifiées le plus en amont possible dans le cycle de conception d’un matériel.

Une structure similaire, mais néanmoins originale, se situe au cœur de la Stratégie en matière de R&T européenne de défense. Le texte de la Stratégie énumère trois grands Objectifs stratégiques : (1) les finalités (Ends), (2) les moyens (Means) et (3) les méthodes (Ways). La finalité consiste, bien entendu, à définir une liste de technologies clés et prioritaires dans le domaine de la défense européenne. Plusieurs critères de sélection sont évoqués comme la conformité des technologies clés avec les objectifs capacitaires ainsi que les perspectives de ruptures technologiques. Les moyens, pour leur part, regroupent les exigences en matière de cadres, de procédures et de structures devant être rencontrées en vue d’accroître l’efficacité des programmes. Parmi les pistes de réflexion proposées par l’AED figurent l’intégration de la base industrielle et technologique de défense et des acteurs pouvant contribuer à la R&T européenne (industrie, centres de recherche civils, etc.), la promotion du Technological Push (à travers l’instauration de mécanismes de veille technologique) et l’accroissement de l’efficacité des mécanismes collaboratifs au niveau de la R&T européenne en matière de défense. Enfin, les méthodes renvoient à l’élaboration de feuilles de route dont l’objectif est d’aviser les Etats dans leurs choix technologiques tout en réduisant chaque fois que possible les risques en matière d’investissement.

f. Le Plan de développement des capacités

i. Des objectifs globaux…

Comme nous avons eu l’occasion de l’indiquer préalablement, l’une des principales missions de l’AED est d’appuyer le Conseil dans ses démarches visant à améliorer les capacités des Etats membres en matière d’engagement militaire. Lors du Conseil européen de Cologne des 3 et 4 juin 1999, les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres de l’Union européenne avaient, en effet, indiqué leur volonté de « voir l’Union européenne jouer pleinement son rôle sur la scène internationale. » A cette fin, ils avaient souhaité « doter l’Union européenne des moyens et des capacités nécessaires pour assumer ses responsabilités concernant une politique européenne commune en matière de sécurité et de défense. » Par conséquent, l’Union se devait de « disposer d’une

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capacité d’action autonome soutenue par des forces militaires crédibles, avoir les moyens de décider d’y recourir et être prête à le faire avant de réagir face aux crises internationales, sans préjudice des actions entreprises par l’OTAN. »105

Suite à ces déclarations d’intention, les Etats membres de l’UE ont décidé de procéder à un passage en revue régulier de leurs ambitions, des moyens devant être réunis en vue de répondre aux objectifs politico-militaires ainsi que des lacunes existantes devant être comblées dans cette optique. Lors du Conseil européen d’Helsinki, en dates des 9 et 10 décembre 1999, les Etats de l’UE se sont donc fixés un objectif militaire, dit « Objectif global d’Helsinki », en convenant de mettre à la disposition de l’Union, à l’horizon 2003, des forces capables de conduire des missions ressortant de celles définies à l’article 17, paragraphe 2, du Traité sur l’Union européenne, soit des opérations pouvant impliquer un niveau de forces allant jusqu’à celui d’un corps d’armée (50.000 à 60.000 hommes)106. Ces forces devront être dotées des capacités appropriées en matière de commandement, de contrôle et de renseignement. Elles devront, en outre, être équipées des moyens logistiques nécessaires et pourront recevoir l’appui, selon le théâtre d’opération considéré, d’éléments navals et aériens. Ces forces devront, enfin, pouvoir être déployées rapidement en 60 jours et être soutenues pendant une année.

Le Conseil européen de Laeken de décembre 2001, sous Présidence belge de l’Union européenne, confirmera la dynamique amorcée par les Etats européens dans le domaine capacitaire puisqu’ils conviendront que « l’Union est désormais capable de conduire des opérations de gestion de crise. ». La réunion du CAGRE du mois de mars 2003 confortera cette annonce en précisant que « l’Union dispose maintenant d’une capacité opérationnelle couvrant tout l’éventail des missions de Petersberg. » Le CAGRE ajoutera cependant que cette capacité opérationnelle est néanmoins « limitée et restreinte par des lacunes identifiées. »

L’adoption, au mois de décembre 2003, de la Stratégie européenne de sécurité (SES) a conduit les Etats membres à réexaminer le niveau des ambitions politico-stratégiques de l’Union européenne. Il était, en effet, nécessaire d’adapter au mieux les systèmes de forces de l’Union européenne aux objectifs contenus au sein de la SES. Une nouvelle édition de l’Objectif global allait donc voir le jour. L’Objectif global 2010, fondé sur l’Objectif global d’Helsinki, indique que les Etats membres de l’UE seront en mesure, d’ici 2010, « de réagir par une action rapide et décisive, en appliquant une approche totalement cohérente à tout l’éventail des opérations de gestion de

105 Déclaration du Conseil européen réuni à Cologne les 3 et 4 juin 1999. 106 Il importe, cependant, de préciser que l’objectif des 60.000 hommes vise uniquement les troupes déployées.

En d’autres termes, et si nous tenons compte des procédures de rotation des forces, il convient de multiplier par trois le nombre d’hommes réellement concerné par l’Objectif global ; nombre total qui s’établit à près de 180.000 hommes. Ce raisonnement peut, par ailleurs, être appliqué aux moyens d’appui terrestres, navals et aériens envisagés dans le cadre de l’Objectif global.

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crise relevant du Traité sur l’Union européenne. » L’Objectif global 2010 se veut néanmoins plus exigeant et minutieux que sa précédente édition puisqu’il définit cinq scénarios d’opérations militaires dans lesquelles les Etats membres doivent pouvoir intervenir :

1. La séparation des parties par la force ;

2. La stabilisation, la reconstruction et le conseil militaire aux pays tiers ;

3. La prévention des conflits ;

4. Les opérations d’évacuation de ressortissants ;

5. L’assistance aux opérations humanitaires.

Nous sommes donc, désormais, en présence de catégories opératoires beaucoup plus larges mais surtout caractérisées par un degré d’exigence supérieur de même que par une définition plus précise des types d’interventions devant être conduites par les forces européennes.

Figure 1 : Plan de développement des capacités de l ’Union européenne

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ii. …Aux catalogues de forces et des progrès

Compte tenu des niveaux d’ambition des Etats européens, un processus d’identification des besoins et de délimitation des lacunes se devait d’être conduit pour évaluer l’aptitude globale des Etats européens à intégrer l’importance et la nature des missions développées tant au sein de l’ex-UEO (missions de Petersberg) que dans le cadre de la SES.

Les scénarios développés par l’Union européenne servirent de base de travail et d’évaluation aux exigences capacitaires. Les options définies conduirent à l’élaboration d’un cadre de planification en vue d’établir une liste précise des capacités dont l’UE aurait besoin afin de rencontrer les objectifs politico-stratégiques qu’elle s’est fixés. Une liste d’unités de références a donc été définie. Les données issues de cet exercice ont été versées dans un Catalogue de besoins qui, pour sa part, procède à une analyse minutieuse et détaillée des ressources et types de moyens nécessaires.

Une fois le Catalogue des besoins défini, l’UE transmit aux capitales européennes des demandes relatives à leurs possibilités de contributions. Les Etats membres de l’UE étaient donc invités à se prononcer sur les moyens et les ressources qu’ils pouvaient éventuellement dégager pour répondre à l’ensemble des besoins du Catalogue. Aussi, un questionnaire relatif à l’Objectif global fut-il adressé aux Etats membres de l’UE. À ce questionnaire, s’ajouta une méthode d’étude et un manuel d’étude ayant pour objectif de permettre aux Etats de l’UE d’apprécier leur niveau de participation à la réalisation de l’Objectif global.

Le processus de consultation donna ensuite lieu à la rédaction d’un Catalogue des forces de l’Union européenne. Celui-ci a pour tâche de décrire les capacités mises à la disposition de l’Union européenne par les Etats membres qui avaient choisi d’y répondre. Ce Catalogue présentait les capacités militaires disponibles à l’horizon 2010107.

C’est sur la base du Catalogue des forces qu’une évaluation des lacunes rencontrées par l’Union européenne a pu être conduite. Cette analyse eut, en outre, pour mérite de dresser une liste des risques opérationnels auxquels pourraient être confrontées à l’avenir les forces armées des Etats de l’UE dans le cadre de missions communes. Cette évaluation permit aux Etats de l’UE d’élaborer un Catalogue des progrès que le Conseil de l’UE approuva en novembre 2007. Ce Catalogue contient un ensemble de recommandations à l’adresse des Etats membres sur la gestion des lacunes qui restent à combler. Y furent adjoints les travaux conduits par le Comité militaire de l’UE, dont l’objectif fut de définir un ordre de priorités parmi les différentes lacunes

107 On soulignera qu’en marge de ce Catalogue, un « supplément » au Catalogue des forces existe et intègre

les contributions additionnelles des pays membres de l’OTAN non membres de l’Union européenne ainsi que les apports d’autres Etats candidats à l’adhésion à l’UE.

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identifiées. C’est cet ensemble – le Catalogue des forces et les priorités déterminées par le CMUE – qui forme actuellement le Plan de développement des capacités élaboré, d’une part, par les Etats membres à travers l’Agence européenne de défense et, d’autre part, par le CMUE.

iii. La montée en puissance de l’AED

C’est la réunion du Comité directeur de l’AED du 28 juin 2007 qui acta l’approbation de la méthodologie ainsi que de la feuille de route à suivre pour la réalisation du Plan de développement des capacités (PDC). Le PDC a pour objectif de délivrer aux Etats membres des éléments à mêmes de faciliter leurs décisions dans le domaine capacitaire. Il entend, en outre, stimuler la coopération et permettre le lancement de nouveaux programmes fédérateurs susceptibles de répondre aux lacunes de l’UE.

Il importe, toutefois, d’indiquer qu’en aucune façon le PDC ne saurait constituer un plan supranational. Le PDC est construit « par » et « pour » les Etats membres de l’UE. L’objectif final du PDC est bien de parvenir à faire converger les visions nationales des Etats en matière de capacités.

Une première version du PDC fut présentée au mois de juillet 2008 au Comité directeur de l’Agence européenne de défense. Celui-ci réunissait les directeurs capacités et les directeurs nationaux de l’armement approuvèrent les conclusions générales et décidèrent du lancement, à cette même occasion, de nouveaux travaux sur un premier groupe de douze domaines capacitaires jugés prioritaires sur un ensemble de vingt-quatre domaines préalablement identifiés. Ces domaines d’action sont : (1) les mesures contre les systèmes anti-aériens portables (MANPADS), (2), les opérations de réseaux informatiques, (3), les mesures anti-mines dans les zones maritimes littorales, (4) l’approche globale et ses incidences militaires, (5) les renseignements humains militaires et la formation culturelle/linguistique, (6) l’architecture du renseignement, de la surveillance, de l’acquisition de cibles et de la reconnaissance, (7) le soutien médical, (8) la défense contre les attaques chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires, (9) le soutien logistique par des prestataires tiers, (10) les mesures contre les engins explosifs improvisés, (11) la meilleure disponibilité des hélicoptères et (12) les capacités réseaucentrées (Network-Enabled Capability – NEC).

En coopération étroite avec les Etats membres, le CMUE, l’EMUE et le Secrétariat général du Conseil, l’Agence européenne de défense entama un processus d’identification des acteurs impliqués pour chacun des douze domaines et définit l’entité appelée à se charger de leur coordination. Un

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calendrier des travaux ainsi qu’une estimation rigoureuse des coûts fut prévue pour la poursuite des travaux.

g. Conclusion partielle

En l’espace de quelque cinq années d’activités, l’Agence européenne de défense sera parvenue à se doter d’un agenda institutionnel et programmatique propre. Etrangement, les principales avancées seront intervenues dans le champ des de la « régulation virtuelle ». Même si de réelles percées semblent avoir été opérées sur le plan programmatique, on regrettera que seuls deux JIP aient été lancés. L’avenir dira si de nouveaux programmes d’investissement conjoints structurants parviendront à être inaugurés alors que des divergences de plus en plus profondes semblent affecter les rapports entre les EMPs quant aux perspectives de montée en puissance de l’AED.

Les réalisations de l’AED apparaissent, cependant, modestes au regard du potentiel de l’institution. L’Agence est, en réalité, confrontée à un nombre croissant de divergences apparues entre ses Etats membres participants. Les quelques tiraillements observés ne semblent pas seulement résulter de désaccords en matière programmatique. Ils tendent à indiquer que des lézardes bien plus critiques pourraient, à l’avenir, affecter l’ensemble de l’édifice capacitaire européen. A titre d’illustration, des programmes engagés sous les auspices de l’AED restent au cœur de polémiques quant au niveau de participation des EMPs. S’agissant du programme ESSOR (radios logicielles), le Royaume-Uni a fait savoir qu’il entendait prendre ses distances par rapport au projet, arguant que son MoD avait déjà initié deux programmes nationaux dans ce même domaine – indiquant ainsi que sa participation au programme de l’AED ne conduirait qu’à une duplication des efforts qu’elle avait préalablement engagé. En réalité, l’une des principales craintes du Royaume-Uni est de devoir partager un certain nombre de « secrets de fabrication » de son tout récent système de communication militaire Skynet 5 avec d’autres EMPs. Des arguments similaires ont été développés par le Royaume-Uni qui fut à plusieurs reprises invité à prendre part au JIP-FP sur la protection du soldat ; Londres soulignant que ses forces armées disposaient déjà des technologies suffisantes pour la protection de ses troupes en opération. Il semble, au vu de ces éléments, que les dissensions qui avaient pu apparaître dans le cadre de l’AET, loin de s’être dissipées, marquent leur retour dès lors que l’AED établit des orientations claires et précises en matière programmatique.

De telles dissensions doivent-elles être perçues comme la marque d’une crise en puissance ou comme la marque de la maturité nouvelle de l’AED ? Une transition assez claire fut, il est vrai, opérée avec la venue du nouveau Directeur,

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Alexander Weiss. Tandis que son prédécesseur, Nick Witney, avait essentiellement pour tâche – ô combien complexe – d’asseoir l’existence d’une AED à peine posée sur les fonds baptismaux. Ceci dans des conditions matérielles et humaines particulièrement difficiles. La mission principale de son Directeur était alors de consolider l’existant. Les objectifs qu’entend poursuivre Alexander Weiss, dans les limites du mandat confié par les termes de l’Action commune et des attentes des Etats membres participants, sont autres dans la mesure où il s’agit désormais de pérenniser le travail de l’AED sur le long terme. À cette fin, il est évident que les équipes de l’Agence tentent de faire bouger les lignes et infléchir les postures des EMPs. Les dissensions récemment apparues ne signifient donc pas nécessairement que l’édifice se lézarde, elles peuvent tout autant être interprétées comme les signes extérieurs d’une marche vers des ambitions nouvelles.

81

Le parcours des activités de l’AED que nous venons de réaliser aboutit à un constat constitué de multiples contrastes. Nous avons eu l’occasion de relever, pour chaque point développé, tout à la fois les atouts et limites des exercices conduits par ou dans le cadre de l’Agence en vue de l’amélioration du processus capacitaire européen.

Cet exposé nous amène, à présent, à émettre des pistes de réflexion sur l’avenir de l’Agence dans le contexte institutionnel européen et transatlantique. Plusieurs aspects sont ici à souligner.

a. Une institution toujours à la recherche de sa place et

de son rôle

L’Agence européenne de défense reste encore perçue comme la « nouvelle née » du paysage institutionnel de la coopération dans les domaines de la recherche de défense et des armements. Nombre des programmes engagés entre un nombre limité d’Etats membres participants, notamment dans la catégorie B, trahissent la quête permanente d’une institution voulant continuellement prouver son existence. Cette motivation, quoi que louable et néanmoins porteuse d’avancées en termes d’interdépendance des Etats, doit être dépassée si l’AED souhaite inscrire durablement son action. L’Agence reste, pour l’heure, une organisation en construction perpétuelle. Cette situation ne saurait cependant perdurer. Les organismes précédents et accords passés en matière de coopération dans le domaine des équipements de défense semblent avoir atteint leurs limites structurelles. Ainsi, n’est-il pas étonnant de constater que la demande (par les Etats) de biens de défense reste fortement dispersée tandis que l’industrie, chargée de formuler des offres de R&D, d’équipements et de services attend qu’une rationalisation institutionnelle plus poussée voie le jour afin d’achever le processus de consolidation démarrée dans la seconde moitié des années 1990.

Dans l’absolu, les termes de la mission dévolue par l’Action commune à l’AED pourrait permettre à cette dernière de disposer d’une marge de manœuvre relativement considérable pour guider sa propre évolution. Bien sûr,

Conclusion générale

82

le rôle régulateur des Etats membres participants explique, dans une large mesure, pourquoi l’AED n’a pu, pour l’heure, tirer le maximum du mandat qui lui a été confié.

b. Une rationalisation institutionnelle nécessaire

Une rationalisation plus poussée des instances européennes en charge de segments spécifiques de la coopération dans le domaine des équipements de défense et des capacités devra être trouvée si l’on veut parvenir à une meilleure coordination entre les efforts. La perspective d’un transfert de certains aspects du projet MUSIS vers l’Agence européenne de défense confirme la nécessité de permettre à celle-ci de guider et conseiller les Etats afin de parvenir à un meilleur emploi des financements pour certains programmes spatiaux critiques dans le secteur de la défense.

Il importera d’œuvrer à la levée des obstacles juridiques, institutionnels et de représentativité qui s’opposent à l’établissement de synergies plus développées entre l’AED, l’Agence spatiale européenne et les autorités compétentes de la Commission européenne alors même que ces dernières semblent persister – dans ce qui ressemble de plus en plus à une lutte d’arrière-garde – à éviter la possible utilisation militaire de systèmes satellitaires.

On s’interrogera, ensuite, sur l’évolution possible des rapports entre l’Agence européenne de défense et la Commission européenne. Nous le savons, l’Action conjointe portant la création de l’AED dispose que la Commission européenne représente l’un des partenaires, au même titre que l’industrie de défense, avec lesquels l’Agence est invitée à se concerter en vue de la mise sur pied à terme d’une base industrielle et technologique de défense européenne. Les termes sibyllins de l’Action commune laissent la porte ouverte à des perspectives de développement tout à la fois larges et difficilement identifiables. Il n’en demeure pas moins qu’une meilleure cohérence entre les deux institutions – sans préjudice des différences juridiques existant entre celles-ci – s’avère indispensable.

Depuis 1997, la Commission œuvre méthodiquement afin de s’investir, par le truchement d’une action régulatrice dans le domaine de l’industrie, dans les secteurs des équipements de défense et de l’armement européen, jusque là soumis à une logique intergouvernementale en matière de prise de décision et de coopération. À titre de rappel, dès 1997, la Commission européenne avait saisi le Conseil d’un projet de position commune relatif aux transferts intracommunautaires, aux marchés publics et à un régime douanier commun pour les biens et matériels militaires. Cet ensemble d’initiatives se solda, alors, par une fin de non-recevoir. Plus tard, guidée par une réflexion sur la « sécurité

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globale » dans le cadre de consultations amorcées par la DG Recherche & Entreprises avec plusieurs acteurs industriels et de défense, la Commission européenne engagea une Action préparatoire de recherche en matière de sécurité qui devait aboutir, trois ans plus tard, à l’insertion, au sein du 7ème programme-cadre, d’un volet « Sécurité et Espace » spécifiquement dédié et auquel est associé un financement annuel structurant de €200 millions pendant sept ans. Ce volet a rencontré un appui et un succès certain auprès des industriels.

Récemment, la Commission européenne, jugeant sans doute les temps plus propices et les Etats majoritairement plus mûrs, est revenue sur ces différents dossiers. C’est plus précisément en date du 5 décembre 2007 que la Commission européenne a déposé un ensemble de propositions de mesures, aussi appelé de manière quelque peu expéditive « Paquet Défense », destiné à « renforcer le marché européen de la défense » tout en prenant soin de rappeler le cadre particulier dans lequel évoluent, aujourd’hui, les industries de défense européenne. Ce « Paquet » intègre, plus exactement, une communication de portée générale présentant une (1) Stratégie pour une industrie européenne de défense plus forte et plus compétitive, (2) une directive relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fourniture et de services dans le domaine de la défense et de la sécurité ainsi qu’une (3) directive simplifiant les conditions de transferts des produits liés à la défense dans la Communauté. Les dispositions contenues au sein des directives du « Paquet Défense » comportent une grave lacune car elles n’attribuent en aucun endroit un rôle précis pour l’Agence européenne de défense qui pourrait, pourtant, faire figure d’organe expert européen sur les questions de défense et d’acquisitions de biens de défense. Cette absence de mention de l’Agence s’avère regrettable car contraire aux tendances qui devraient, demain, s’établir pour garantir l’existence d’une base capacitaire forte et cohérente pour la future PSDC108.

Il est à espérer que cette initiative de la Commission européenne, qui tente de palier aux impasses des mécanismes intergouvernementaux qui ont jusqu’alors chapeauté la matière, ne constitue que la première étape d’une démarche plus globale. Un deuxième acte de la Commission pourrait, par exemple, porter sur la définition de standards communs européens, l’établissement de règles de compétition saines qui aboliraient le principe des offsets ou encore un renforcement de la sécurité des informations et un meilleur contrôle des investissements étrangers, pour ne citer que quelques matières109. Il serait également heureux que l’Agence soit plus systématiquement associées sur

108 Bien que les craintes originellement manifestées par la France n’aient pas été reconnues comme appuyées

par des arguments juridiques solides, la dénonciation des dérives ou manquements du « Paquet Défense » ont permis d’évoquer des pistes intéressantes pour le développement de rôles innovants pour l’Agence. Ainsi, Didier Boulaud, dans une communication relative aux susdites dispositions de la Commission, a-t-il défendu l’idée selon laquelle l’Agence pourrait, demain, jouer le rôle d’une autorité responsable du contrôle des certifications ou d’autorité édictant les critères communs de certification des entreprises.

109 François Gayet, « Towards the Creation of A European Defence Market », Défense nationale et sécurité collective, Hors-série 12 « Les marchés publics de défense », p. 105 ;

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ces thématiques dont elle a, comme nous l’avons indiqué, préparé les fondements.

L’établissement d’une Agence européenne de défense représente, à lui seul, une démarche d’envergure pour l’Europe de la défense. Certes, des dossiers essentiels de la coopération européenne dans le domaine des armements échappe à l’AED. On citera, tout particulièrement, les questions relatives aux politiques d’exportations ainsi que celles portant sur les centres d’essai. Bien que nul doute réel ne soit en aucun instant apparu sur la viabilité de l’Agence – la coexistence et la juxtaposition des structures et cadres étant l’une des principales caractéristiques de la coopération européenne de défense – des craintes légitimes sont apparues tant sur la capacité réelle de l’AED à se définir un agenda propre que sur son aptitude à guider la convergence programmatique. Or, l’Agence a su démontrer toute sa capacité à faire se rencontrer et se confronter les points de vue des Etats ; elle a préféré se concentrer sur la méthode plutôt que sur des objectifs déraisonnablement ambitieux compte tenu des difficultés structurelles de la coopération européenne dans le domaine des armements.

Quoi que limités pour la plupart à des formes de coopérations limitées (les programmes de catégorie A étant seulement au nombre de deux), les projets de coopération engagés sous les auspices de l’AED n’ont pas pour unique vocation d’aboutir à un objectif capacitaire défini et concret (même si un tel résultat est éminemment souhaitable). L’une des principales finalités de tels exercices est le développement d’un « terreau nutritif de concertation » sur lequel, espère-t-on, pourront venir s’établir les racines de futures coopérations plus larges et plus ambitieuses. Et c’est là, sans nul doute, la principale mission de l’Agence. Toute tentative d’évaluation définitive de l’AED qui négligerait cette échelle de pertinence que représente la constitution à terme d’une culture stratégique et technologique militaire commune se révélerait prématurée et partielle.

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91

Annexes

92

Organigramme de l’Agence

européenne de défense

Source : http://www.eda.europa.eu

93

Connaissance

(Acquisition et traitement

de l’information)

Engagement (Guidage,

énergie et matériaux)

Manœuvre

(Environnement, systèmes

et modélisation)

Composants

Systèmes de détection

Traitement du signal et

calcul

Systèmes de

commandement et

d’information (CIS) et

réseaux

Matériaux

Energie et systèmes de

propulsion

Létalité et protection

Guidage et contrôle

Conception

Simulation

Milieu opérationnel

Facteurs humains

Liste des CapTech de

l’Agence européenne de

défense

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EDA Funded Studies Relating to Research & Technology

Technology Demonstration Study On Sense & Avoid Technologies For Long Endurance Unmanned Aerial Vehicles [LE-UAVs] The Study was launched in March 2006, and after 16.5 months the project was completed in August 2007, and results of the Study were presented to the participating Member States at the Final Presentation on 13 November 2007....

Technology Demonstration Study - LE-UAV Datalink Study The Study on Digital Line-of-Sight (LOS) and Beyond-Line-of-Sight (BLOS) Data Links for Long-Endurance Unmanned Aerial Vehicles (LE-UAVs) was the first EDA-funded R&T study contracted by the European Defence Agency to address one of its “flagship” priorities....

Collaborative Research & Technology Projects

R&T Project on Next generation Space Based military SAR systems and technologies (SPACBaSAR) Military institutions have increasing demand for high and very high resolution Earth Observation imagery. SAR technology can provide capabilities largely independent of day-light and weather conditions and therefore plays a central role in future reconnaissance and surveillance applications....

R&T Project on Submarine Motions in Confined Waters (SUBMOTION) The main objective of the SUBMOTION project was to provide a prediction method for submarine manoeuvres in confined water, which may be implemented in national simulation packages. ...

R&T Project on Layered Architecture for Realtime Applications (LARA) The LARA project aimed at improving radio networking technology by demonstrating how modern networking technology and protocols, such as IP, could enable distributed real-time applications in a joint military context....

R&T project on on Duct Mapping The main objective of the Duct Mapping Contract, hosted under the IAP2 CapTech, was to propose improvement methods for 3D Duct Mapping on large areas (a few hundred kms). The study aimed to establish the feasibility of robust & accurate localisation and

Liste des programmes de

R&T de l'Agence européenne

de défense relevant de la

catégorie « B »

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characterisation of propagation ducts....

R&T project on Functional Integration of Electro-Magnetic Sensors (FIEMS II) The objective of the FIEMS II project, hosted within the IAP2 CapTech was to demonstrate the military benefits of the concept of functional integration in V/UHF between Radar and COMINT/ECM by using existing experimental equipment....

R&T project on European Theatre Network Architecture (ETNA) The objective of the ETNA project hosted within the IAP3 CapTech was to define the conditions of the implementation of the IP interconnection, for network, user services and general management. The project aimed at defining technical solutions based on the analysis of operational needs and linked to the wide deployment of IP technology in tactical networks....

R&T Project on Piezo electric Transformers in Power converters for Space and Military systems (PIETRA) The main objective of PIETRA Project, hosted within the IAP1 CapTech, was to study, define and evaluate the application of Piezo electric Transformers in Power converters for Space and Military systems....

Research and Technology Project on Micro-satellite Cluster Technology This project hosted within the ESM3 CapTech established a basis for further work on micro-satellite cluster systems for military surveillance. ...

Modular Approach for Combat Management Systems The Modula project, hosted by the ESM3 CapTech on Operating Environment, was a collaborative effort of DATAMAT from Italy and INDRA from Spain. The project ran for 24 months with one of the main objectives being to define an Open Standard Architecture for Combat Management Systems based on commercially available middleware....

LOI-NEC Study - Network Enabled Capabilities This project run within the IAP4 CapTech was designed to initiate co-operation on network enabled capabilities (NEC), focusing on the key element of “Shared Situational Awareness” in a European Context....

Source : http://www.eda.europa.eu/rtstudiesprojects.aspx.

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Convention on the Establishment of the Organisation for Joint Armament Cooperation (Organisation conjointe de Cooperation en Matière d’Armement) OCCAR

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Council Joint Action 2004/551/CSFP of 12

July 2004 on the establishment of the

European Defence Agency (Action

commune du Conseil 2004/551/PESC du

12 juillet 2004 portant la creation de

l’Agence européenne de defense)

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L’Agence européenne de défense dans le paysage européen de la coopération en

matière d’équipements de défense

Alain De Neve est attaché de recherche au Centre d’Etudes de Sécurité et de Défense de l’Institut Royal Supérieur de

Défense et doctorant en sciences politiques de l’Université catholique de Louvain. Il est également cofondateur du

Réseau Multidisciplinaire d’Etudes Stratégiques (RMES).

Instituée en juin 2004, l’Agence européenne de défense (AED) figure parmi les principales innovations organisationnelles qui auront marqué la seconde phase d’accélération de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Ses cinq années d’activités ont abouti à des résultats que nombre d’observateurs pensaient inespérés lors de sa fondation. En dépit d’un bilan globalement positif, l’Agence reste néanmoins confrontée à des défis de taille, dont certains revêtent une dimension existentielle. Des interrogations demeurent sur l’avenir de son catalogue de programmes, sur l’évolution de ses rapports avec la Commission européenne ou encore, plus généralement, sur le devenir de la nature même de l’institution.

L’exposé de ces éléments suffit à comprendre qu’une évaluation des activités de l’AED peut être, dès à présent, opportune. C’est à cet exercice qu’a voulu se consacrer, en toute humilité, l’auteur du présent rapport.

Pour cette publication et les suivantes:

www.mil.be/rdc