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EDITORIAL L'ALTERNANCE EST-ELLE SOUHAITABLE ? ~. ROBERT, G. CHATTE, M. SIRODOT, J.M. DUBOIS, J.M. SAB Un travail concernant les modifications tomoden- sitom4triques d'opacit4s pulmonaires induites par le passage du d4cubitus dorsal au d6cubitus ventral (DV) chez le malade en ventilation m4canique est publi6 dans ce num6ro par B. Priolet. C'est sauf erreur le premier article d'origine franqaise, apr6s cinq s6ries rapport6es sous forme d'abstracts ou de lettre totalisant 41 cas (Gaussorgues et coll. Rdan. Soins Intens., 1986, 2 : 249 6tant le premier). Six s6ries 4trang6res ont 4t6 retrouv6es totalisant 42 cas (Piehl et coll., Crit. Care Med., 1976, 4 : 13-14 4rant le plus ancien). Cette pauvret6 est paradoxale rant l'int6r~t du passage en DV apparait prometteur. Nous allons tenter d'en d6gager les points essentiels avant de situer les apports et les questions que posent l'arti- cle publi4. I1 parait fondamental de comprendre que lors du d4cubitus dorsal, qui est la position de r6f4rence du malade de r6animation, les parties post4ro-inf6rieures des poumons sont comprim6es entre le dos et la par- tie post4rieure du diaphragme allant en bas et en arri6re, de la coupole aux attaches crurales. Le dia- phragme qui n'est qu'une fine membrane s4parant deux compartiments semi-fluidiques (abdomen et tho- rax) de densit~s diff6rentes supporte sur sa partie dorsale le poids des visc~res abdominaux et le trans- met au poumon sous-jacent. Ces ph6nom~nes sont major6s par l'anesth6sie et ou la curarisation [1]. La moins bonne ventilation des parties d6clives du pou- mon en position allong6 sur le dos est potentialis6e par cette compression. Ce deux ph6nom~nes joints la pr6dominance de la vascularisation des territoi- res dorsaux expliquent la tr~s fr6quente localisation dorsale des opaci.t6s (!6sions causales de la d~faillance respiratoire) ~ VA/Q nul ou bas responsables de l'hypox6mie. Dans ce contexte le passage en D V Service de R~animation M6dicale et Assistance Respiratoire. H6pital de la Croix-Rousse, 69317 Lyon cedex. homog~n~ise toujours les rapports de la ventilation et de la perfusion entra~nant l'am~lioration de la PaO2 [2, 3]. Nous avons retrouv~ 83 cas rapport~s (11 s~ries) concernant des patients pr~sentant une insuffisance respiratoire aigu~ tous intub~s (~ l'exception de 2) depuis 1 jour ~ plusieurs semaines. Parmi eux 88 % sont rdpondeurs (gain d'au moins 10 mmHg de PaO2 apr~s 30 min), la majorit~ gagnent beaucoup plus : un gain > ~ 50 mmHg est frequent. Les sujets non r~pondeurs ne sont habituellement pas aggrav~s par le DV. L'am~lioration, ou plut6t l'essentiel de l'am~- lioration, est rapide en moins de 30 minutes (parfois elle est lente et progressive). Notre experience por- tant sur plusieurs dizaines de patients et plusieurs centaines de cure nous apprend des fairs compl~men- taires importants. L'am~lioration acquise se main- tient tant que le DV est maintenu (au moins jusqu'~ concurrence de 24 heures). La remise en d6cubitus dorsal entraine une d6t~rioration immediate qui tou- tefois laisse volontiers pendant plusieurs heures des chiffres meilleurs qu'avant la mise en DV. L'am~lio- ration est reproductible au cours des cures suivan- tes. L'anciennet~ de la pathologie en cause semble faiblement diminuer l'efficacit~. Ace jour des carac- t~res pr~dictifs clairs de l'efficacit~ n'apparaissent pas. Dans la majorit6 des cas la raise en DV permet de minimiser l'agressivit~ des r~glages de la venti- lation m~canique (PEP, FIO~). La r6alisation pratique de la raise en DV m~rite une description. Une attention sp~ciale doit ~tre appor- t~e pour ~viter : toute compression de la sonde d'intu- bation, l'appui sur les yeux, les compressions nerveuses, l'hyperextension cervicale et lombaire et toute compression des voies d'abord. Pour le retour- nement nous utilisons une technique ~ quatre inter- venants, l'un s'occupant exclusivement de la t~te et de la sonde d'intubation. Le patient est d'abord plac~ en d~cubitus lateral puis ventral. Des supports sont mis sous la partie sup6rieure du tronc et sous le front.

L'alternance est-elle souhaitable ?

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Page 1: L'alternance est-elle souhaitable ?

EDITORIAL

L 'ALTERNANCE EST-ELLE S O U H A I T A B L E ?

~. ROBERT, G. CHATTE, M. SIRODOT, J.M. DUBOIS, J.M. SAB

Un travail concernant les modifications tomoden- sitom4triques d'opacit4s pulmonaires induites par le passage du d4cubitus dorsal au d6cubitus ventral (DV) chez le malade en ventilation m4canique est publi6 dans ce num6ro par B. Priolet. C'est sauf erreur le premier article d'origine franqaise, apr6s cinq s6ries rapport6es sous forme d'abstracts ou de lettre totalisant 41 cas (Gaussorgues et coll. Rdan. Soins Intens., 1986, 2 : 249 6tant le premier). Six s6ries 4trang6res ont 4t6 retrouv6es totalisant 42 cas (Piehl et coll., Crit. Care Med., 1976, 4 : 13-14 4rant le plus ancien). Cette pauvret6 est paradoxale rant l'int6r~t du passage en DV apparait prometteur. Nous allons tenter d'en d6gager les points essentiels avant de situer les apports et les questions que posent l'arti- cle publi4.

I1 parait fondamental de comprendre que lors du d4cubitus dorsal, qui est la position de r6f4rence du malade de r6animation, les parties post4ro-inf6rieures des poumons sont comprim6es entre le dos et la par- tie post4rieure du diaphragme allant en bas et en arri6re, de la coupole aux attaches crurales. Le dia- phragme qui n'est qu'une fine membrane s4parant deux compartiments semi-fluidiques (abdomen et tho- rax) de densit~s diff6rentes supporte sur sa partie dorsale le poids des visc~res abdominaux et le trans- met au poumon sous-jacent. Ces ph6nom~nes sont major6s par l'anesth6sie et ou la curarisation [1]. La moins bonne ventilation des parties d6clives du pou- mon en position allong6 sur le dos est potentialis6e par cette compression. Ce deux ph6nom~nes joints

la pr6dominance de la vascularisation des territoi- res dorsaux expliquent la tr~s fr6quente localisation dorsale des opaci.t6s (!6sions causales de la d~faillance respiratoire) ~ VA/Q nul ou bas responsables de l'hypox6mie. Dans ce contexte le passage en D V

Service de R~animation M6dicale et Assistance Respiratoire. H6pital de la Croix-Rousse, 69317 Lyon cedex.

homog~n~ise toujours les rapports de la ventilation et de la perfusion entra~nant l'am~lioration de la PaO2 [2, 3].

Nous avons retrouv~ 83 cas rapport~s (11 s~ries) concernant des patients pr~sentant une insuffisance respiratoire aigu~ tous intub~s (~ l'exception de 2) depuis 1 jour ~ plusieurs semaines. Parmi eux 88 % sont rdpondeurs (gain d'au moins 10 mmHg de PaO2 apr~s 30 min), la majorit~ gagnent beaucoup plus : un gain > ~ 50 mmHg est frequent. Les sujets non r~pondeurs ne sont habituellement pas aggrav~s par le DV. L'am~lioration, ou plut6t l'essentiel de l'am~- lioration, est rapide en moins de 30 minutes (parfois elle est lente et progressive). Notre experience por- tant sur plusieurs dizaines de patients et plusieurs centaines de cure nous apprend des fairs compl~men- taires importants. L'am~lioration acquise se main- tient tant que le DV est maintenu (au moins jusqu'~ concurrence de 24 heures). La remise en d6cubitus dorsal entraine une d6t~rioration immediate qui tou- tefois laisse volontiers pendant plusieurs heures des chiffres meilleurs qu'avant la mise en DV. L'am~lio- ration est reproductible au cours des cures suivan- tes. L'anciennet~ de la pathologie en cause semble faiblement diminuer l'efficacit~. Ace jour des carac- t~res pr~dictifs clairs de l'efficacit~ n'apparaissent pas. Dans la majorit6 des cas la raise en DV permet de minimiser l'agressivit~ des r~glages de la venti- lation m~canique (PEP, FIO~).

La r6alisation pratique de la raise en DV m~rite une description. Une attention sp~ciale doit ~tre appor- t~e pour ~viter : toute compression de la sonde d'intu- bation, l'appui sur les yeux, les compressions nerveuses, l'hyperextension cervicale et lombaire et toute compression des voies d'abord. Pour le retour- nement nous utilisons une technique ~ quatre inter- venants, l'un s'occupant exclusivement de la t~te et de la sonde d'intubation. Le patient est d'abord plac~ en d~cubitus lateral puis ventral. Des supports sont mis sous la partie sup6rieure du tronc et sous le front.

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- 80 - L 'a l ternance est-elle souhai table ?

La tete est tournde latfralement. Nous n'utilisons pas de support pelvien. L'aspiration endotrach6ale doit etre r6guli~rement rfalis6e en DV du fait de l'aug- mentation du drainage bronchique. Une sddation est en r~gle pratiqude du fait de la gravit6 de l'insuffi- sance respiratoire. Dans notre expfrience, les acci- dents attribuables au DV sont peu nombreux, mais certains sont graves : extubation, compression ou dfplacement de cathfter, atflectasies apicales, induc- tion de TPSV. Des escarres labiaux, linguaux, prf- thoraciques, des oed~mes de la face, des paupiSres et de la langue peuvent etre observds d'autant plus que le DV est prolong6. Les modes de ventilation mdcanique habituels sont utilisables en DV sans rfglage sp6cifique ~ recommander. La VC est la plus fr6quemment rapport6e, sans modification des Pimax. La PC r6clame la v6rification r6guli~re du VT. I1 peut chuter ~ l'occasion d'un encombrement de la sonde trachdale ou d'une modification des com- pliances pariftales si l'appui de l'abdomen se fait sur un plan trop dur. I1 peut s'~lever apr~s correction d'une atflectasie. La mise en DV des patients sous assistance extracorporelle est possible.

L'6tude de B. Priolet se propose d'objectiver l'amG lioration des opacit6s tomodensitom6triques apr~s 2 heures en DV. Globalement, il apporte la confir- mation de la localisation post6rieure des images et leur tendance f~ l'amdlioration par le DV sans d6t6- rioration dans les territoires ant6rieurs. Les limites de ce travail nous semble etre les suivantes. La r6a- lisation de la deuxi~me TDM apr~s remise en dfcu- bitus dorsal minimise probablement ce qui est recherch6, les modifications pouvant apparaitre en quelques minutes. La m6thode d'appr6ciation reste tr~s subjective sans que l'on connaisse sa variabilit6 intra et interindividuelle. Un seul lecteur, par ailleurs

partie prenante de l'6tude, a r6alis6 l'interprdtation. Des mesures de densit6 auraient 6t6 plus convain- cantes. Une interpr6tation plus s6v~re, du fair de ces incertitudes, qui retiendrait comme significative une am61ioration minimum de deux degr6s de score (sco- res initiaux 3 et 2) ne trouverait que 6 segments am6- lior6s sur 34 (18 %) au lieu des 35 sur 56 (scores initiaux 3, 2, 1) rapportds dans l'article (56 %). Enfin les am61iorations constat6es par les auteurs sont beaucoup plus fr~quentes ~ gauche qu'f~ droite sans que ce fait soit discut6 (r61e du coeur ?).

En r6sum~, la ventilation en DV n'est pas encore une approche banalis6e alors que des tentatives agressives pour diminuer le barotraumatisme (ECCO2R, hypoventilation permissive) sont volontiers admises. Compte tenu de l'efficacit6 de la ventilation en DV, de sa bonne maniabilit~ d~s que l'habitude est acquise, de ses risques mod6r6s on ne peut que souhaiter et prdvoir sa g~n~ralisation comme alterna- tive ~ la position en d6cubitus dorsal d~s que la ven- tilation devient difficile.

R6f6rences

[1] KRAYER S., REHDER K., VE'I-rERMANN J., DIDIER E.P., R/TMAN E.L. - - Position and motion of the human diaphragm during anesthesia-paralysis. Anesthesiology, 1989, 70, 891-898.

[ 2 ] SCHUSTER D.P., HALLER J. ~ Effects of body position on regional pulmonary blood flow during acute pulmonary edema in dogs : a positron emission tomography study. J. Crit. Care, 1991, 6, 19-28.

[3] PAPPERT D., ROSSAIHT R., LOPEZ F., GRUNING T., LEWANDOWSKI K., FALKE K. - - Prone position in severe ARDS influences ventilation/perfusion relationship of the lung. Int. Care Med., 1992, 18(suppl. 2) § 42.

= I l l ==

R~an. Urg., 1993, 2 (2), 79-80