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L’andragogie : utopie ou réalité Andragogy: reality or utopy J.L. Wautier*, F. Vileyn INTS, 6, rue Alexandre-Cabanel, 75739 Paris cedex 15, France Reçu le 16 juin 2004 ; accepté le 30 juin 2004 Disponible sur internet le 11 septembre 2004 Résumé L’éducation des adultes diffère de celle des enfants et les méthodes doivent prendre en compte les attentes spécifiques des adultes et leurs acquis. Les techniques d’enseignement des enfants sont connues sous le nom de pédagogie, celles de l’adulte sous celui d’andragogie. L’andragogie a mis au point différents outils pédagogiques pour améliorer l’apprentissage des adultes en particulier dans le cadre de la formation continue. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract The education of adult differs from that of children and the methods, which have to be used, should take into account that adults have specific goals and diverse knowledge. As the teaching methods for children are called pedagogy, it is now known as andragogy for adults. Andragogy has lead to the development of several approaches to improve continuous education. Several tools and methodologies have been created for adult education. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Éducation des adultes ; Évaluation ; Andragogie Keywords: Adult education; Evaluation; Andragogy 1. INTRODUCTION Si le terme de pédagogie est compréhensible par tous, celui d’andragogie n’est pas du langage commun bien que venant de la racine grecque ander signifiant « adulte ». Il s’agit donc de l’apprentissage des adultes et des méthodes qui s’y rapportent. Si cette notion a plus de 40 ans, peu d’institu- tions françaises l’ont prise en compte et l’enseignement de type magistral se perpétue devant des salles ou des amphis qui se vident et dans lesquels les quelques présents s’en- nuient considérablement. Il y a 20 ans Malcom Knowles développa le modèle d’andragogie (aide à l’apprentissage des adultes) [1]. 2. LES PARTICULARITÉS L’adulte apprenant n’a pas du tout les mêmes objectifs que l’enfant. Il n’apprend pas quelque chose qui lui servira éventuellement un jour, il apprend une technique, un do- maine dont il a besoin dans un futur immédiat dans sa profession ou pour son futur emploi ou sa future fonction. L’adulte n’a pas le temps. Il n’a pas de temps à perdre. L’adulte apprenant se trouve dans une situation humi- liante d’infériorité, de stress de risquer un échec, de la remise en cause de tous les acquis personnels qui font son positionnement social. Les techniques de mémorisation, de travail sont différen- tes de celles de l’enfant ou de l’adolescent. L’accompagne- ment de l’apprenant adulte devra donc être spécifique. L’adulte apprend souvent grâce à des associations idée– image, moyens mnémotechniques, anecdotes... Il se formera * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.L. Wautier). Transfusion Clinique et Biologique 11 (2004) 169–172 1246-7820/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/S1246-7820(04)00044-8

L'andragogie : utopie ou réalité

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L’andragogie : utopie ou réalité

Andragogy: reality or utopy

J.L. Wautier*, F. Vileyn

INTS, 6, rue Alexandre-Cabanel, 75739 Paris cedex 15, France

Reçu le 16 juin 2004 ; accepté le 30 juin 2004

Disponible sur internet le 11 septembre 2004

Résumé

L’éducation des adultes diffère de celle des enfants et les méthodes doivent prendre en compte les attentesspécifiques des adultes et leurs acquis. Les techniques d’enseignement des enfants sont connues sous le nom depédagogie, celles de l’adulte sous celui d’andragogie. L’andragogie a mis au point différents outils pédagogiques pouraméliorer l’apprentissage des adultes en particulier dans le cadre de la formation continue.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

The education of adult differs from that of children and the methods, which have to be used, should take into accountthat adults have specific goals and diverse knowledge. As the teaching methods for children are called pedagogy, it isnow known as andragogy for adults. Andragogy has lead to the development of several approaches to improvecontinuous education. Several tools and methodologies have been created for adult education.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Éducation des adultes ; Évaluation ; Andragogie

Keywords: Adult education; Evaluation; Andragogy

1. INTRODUCTION

Si le terme de pédagogie est compréhensible par tous,celui d’andragogie n’est pas du langage commun bien quevenant de la racine grecque ander signifiant « adulte ». Il s’agitdonc de l’apprentissage des adultes et des méthodes qui s’yrapportent. Si cette notion a plus de 40 ans, peu d’institu-tions françaises l’ont prise en compte et l’enseignement detype magistral se perpétue devant des salles ou des amphisqui se vident et dans lesquels les quelques présents s’en-nuient considérablement. Il y a 20 ans Malcom Knowlesdéveloppa le modèle d’andragogie (aide à l’apprentissage desadultes) [1].

2. LES PARTICULARITÉS

L’adulte apprenant n’a pas du tout les mêmes objectifsque l’enfant. Il n’apprend pas quelque chose qui lui serviraéventuellement un jour, il apprend une technique, un do-maine dont il a besoin dans un futur immédiat dans saprofession ou pour son futur emploi ou sa future fonction.L’adulte n’a pas le temps. Il n’a pas de temps à perdre.

L’adulte apprenant se trouve dans une situation humi-liante d’infériorité, de stress de risquer un échec, de laremise en cause de tous les acquis personnels qui font sonpositionnement social.

Les techniques de mémorisation, de travail sont différen-tes de celles de l’enfant ou de l’adolescent. L’accompagne-ment de l’apprenant adulte devra donc être spécifique.L’adulte apprend souvent grâce à des associations idée–image, moyens mnémotechniques, anecdotes... Il se formera

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (J.L. Wautier).

Transfusion Clinique et Biologique 11 (2004) 169–172

1246-7820/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/S1246-7820(04)00044-8

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dans un temps défini avec un objectif précis et des outilspédagogiques appropriés [2].

L’andragogie doit être envisagée comme un systèmed’éléments qui peuvent être adoptés dans leur ensemble ouen partie. Ce n’est pas une idéologie qui doit être appliquéedans sa totalité ou sans modification. Un des traits essentielsde l’andragogie est sa flexibilité.

L’éducateur et son attitude ne doivent pas être perçusnégativement. L’éducateur doit être un facilitateur de l’ap-prentissage [3]. Certains éducateurs d’adultes ne se perçoi-vent pas comme des facilitateurs. Pour certains cette résis-tance est due à leur personnalité et leur préférence va à unstyle d’enseignement plus directif. Les adultes préfèrent lesméthodes participatives et interactives (Fig. 1).

3. LA FORMATION

La formation doit correspondre à une attente dont l’ob-jectif est préalablement défini. Elle se divise en trois phases :avant, pendant, après.

La période qui précède la formation doit servir à préciserles objectifs, à évaluer les niveaux des stagiaires, à leurfournir les documents pédagogiques, à les inciter à lesconsulter.

L’accueil, le premier jour de la formation, doit être cha-leureux et doit permettre d’établir des relations deconfiance et de sympathie entre l’enseignant et l’apprenant.

Le nombre de participants est un élément critique, lenombre idéal d’un groupe se situe entre cinq à sept person-nes mais un groupe plus important peut être fractionné.

Le début de la formation doit être l’occasion de la mise encondition des participants, c’est un peu comme dans uneréunion « il faut rompre la glace ». Le formateur doit doncavoir une attitude très ouverte et très positive, une anec-dote, une histoire, une vidéo peuvent détendre l’atmos-phère et donner le ton.

La présentation des participants les uns aux autres, ce quel’on appelle habituellement le tour de table, est souventcontre-productif. La prise de parole gêne souvent l’adultepeu préparé, la description du positionnement professionnelde chacun peut créer des barrières voire des tensions. Lapratique du Club Med des tables de 8 ou chacun ne seprésente que par son prénom et ou le tutoiement est derigueur comme le bonjour, facilite l’échange et nivelle appa-remment les différences et permet de trouver des sujetsd’intérêts communs plutôt que des divergences.

Le formateur doit exposer clairement le plan de forma-tion, faire « repréciser » les objectifs de chacun, ses attentesque l’on peut noter et inventorier à la fin de la formation.

Les messages doivent être clairs et simples, les exposéscourts. En effet, l’attention est maximum pendant 15 minu-tes puis fléchit rapidement et est presque nulle au bout de45 minutes. Des pauses, des minipauses permettent derestaurer un niveau d’attention convenable. L’acquisition desapprenants est meilleure s’ils participent, on doit donc favo-riser l’apprentissage par groupes de travail, l’apprentissagepar problèmes (APP), par cas, par mode de raisonnement.Les documents pédagogiques sont fournis progressivementet au lieu d’apparaître comme une masse ingérable, ils sontreçus comme une récompense « vous avez bien travaillé surle sujet, on vous procure les documents de réponse oud’approfondissement ». La formation se fait par étape, unbilan est fait à chacune d’elles. Un bilan par interrogationorale de ce qui a été le mieux retenu, ce qui doit êtreprécisé, ce qui doit être revu.

En fin de journée, un nouveau point peut être effectuéprécisant ce qui va bien et ce qui devrait être amélioré. Lesjours suivants, la formation commence par une revue de ceque chacun a retenu comme important de la formation dujour précédent. Ces évaluations permettent de mieux dis-cerner les points forts des points faibles et d’apporter lesmesures correctives. Elles ont aussi l’avantage de montrerque le formateur est à l’écoute des apprenants et qu’iltiendra compte du point de vue de chacun. Elles facilitent laprise de parole, chacun ayant l’occasion de s’exprimer sansretenue, sans angoisse, sans la peur de se faire juger.

Le formateur doit par son attitude encourager les prisesde parole, se donner le temps, les remarques viendront petità petit.

La formation se déroule et chaque jour le point est fait surl’état d’avancement par rapport aux objectifs. Des anecdo-tes, des expériences émaillent les sessions de formation,elles permettent une détente, une mémorisation aisée [4].

Fig. 1. Schéma comparatif des modes d’apprentissage du jeune et del’adulte.

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4. L’ÉVALUATION

Les apprenants peuvent faire l’objet d’une évaluationcelle-ci peut prendre diverses formes.

4.1. L’évaluation formative

Elle a comme objectif que tous les apprenants atteignentle niveau fixé. C’est « l’évaluation intervenant, en principe auterme de chaque tâche d’apprentissage et ayant pour objetd’informer élève et maître du degré de maîtrise atteint et,éventuellement, de découvrir où et en quoi un élèveéprouve des difficultés d’apprentissage, en vue de lui propo-ser ou de lui faire découvrir des stratégies qui lui permettentde progresser [5] ».

Elle permet aussi de déterminer si un élève possède lesprérequis nécessaires pour aborder la tâche suivante, dansun ensemble séquentiel. En évaluation de programme, ellesert à déceler et à corriger les imperfections en cours deconstruction. Si un apprenant n’atteint pas le niveau, il doitfaire l’objet d’une formation complémentaire et ne pourraen tout état de cause atteindre la meilleure évaluation (parexemple A dans une évaluation de A à E).

4.2. L’évaluation sommative

Elle revêt le caractère d’un bilan. Elle intervient doncaprès un ensemble de tâches d’apprentissage constituant untout, correspondant, par exemple, à un chapitre de cours, àl’ensemble du cours d’un trimestre, etc.

Elle intervient au moment des examens et permet de diresi tel élève est digne de tel grade ou s’il peut accéder à laclasse supérieure. Par conséquent, l’évaluation sommative apour but de fournir un bilan (où l’élève se situe-t-il ?) et depermettre une décision (l’élève obtient-il ou non tel di-plôme, accède-t-il ou non à la classe supérieure ?) [5].

Elle vise à prendre une décision d’orientation ou desélection en fonction des acquis. Elle permet de situer lesélèves les uns par rapport aux autres.

4.3. Évaluation normative et évaluation critériée

On distingue aussi évaluation normative et évaluationcritériée :• une évaluation est dite normative quand elle réfère la

performance d’un apprenant aux performances desautres apprenants ;

• une évaluation est dite critériée quand on ne compare pasl’apprenant aux autres mais qu’on détermine par la réfé-rence à des critères, si, ayant atteint les objectifs, il est enmesure de passer aux apprentissages ultérieurs.Les apprenants sont évalués mais le formateur et la

formation sont aussi évalués. Les évaluations à chaque étape,les évaluations par des évaluateurs désignés, l’évaluation parles questionnaires de satisfaction sont autant de moyens desituer le niveau de conformité de la formation à l’attente desapprenants.

5. LA POSTFORMATION

Le formateur et l’organisme de formation maintiennentun contact avec le formé grâce à des courriers le plussouvent électroniques, l’envoi de mise à jour de documentscomplémentaires, d’annonces de formation pouvant intéres-ser le formé.

6. LES OUTILS DE FORMATION

• Le questionnaire préalable à la formation permet auformateur et au candidat à la formation de situer sonniveau.

• Les documents envoyés ou remis à l’apprenant devraientaujourd’hui être le plus souvent sous forme de médiasélectroniques (téléchargeables ou interactifs) plutôt quede polycopiés ou de photocopies.

• Le CDrom contenant le diaporama (sous PowerPoint) duformateur est un outil très utile en particulier pourl’entretien des connaissances et la mémorisation.

• Les problèmes, les questions sont utiles à chaque étapede l’apprentissage, ils permettent une meilleure appro-priation du savoir.

• Les anecdotes, les expériences vécues rendent plusconcret le domaine enseigné et renforce, par la créationde liens, l’acquisition.

7. LE FORMATEUR

Le rôle du formateur est capital, un apprenant qui a unerelation négative avec le formateur n’apprend pas. Cela estvrai à tous les stades de la vie, mais est renforcé chezl’adulte. Le formateur se doit d’être un acteur, un animateurinfatigable, positivant et encourageant les apprenants.

L’expérience du formateur est irremplaçable. Si l’appren-tissage par problème peut minimiser l’impact du formateur,son expérience fera une différence sur la performance dugroupe.

Le E-learning ou apprentissage à distance grâce au médiaélectronique est un moyen commode, performant, écono-mique mais il ne peut se substituer complètement à laformation en direct. Une solution intermédiaire associant laformation dans un lieu adapté et l’enseignement à distancemérite d’être évaluée.

8. LES SALLES DE FORMATION

L’idéal est de disposer de salles modulaires au mobiliernon fixé au sol. On peut alors faire varier la taille et ladisposition des tables et chaises en fonction du nombre departicipants. L’amphithéâtre à sièges fixes est mal adapté àl’enseignement par groupe : on peut tenter si la salle est trèsgrande de disposer quelques groupes au sein de la salle.

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9. L’AUDIOVISUEL

Toute économie dans ce domaine est contre productive,la vidéo-projection doit être de qualité, les microphonesdisponibles et opérationnels.

10. CONCLUSION

Les différentes études scientifiquement menées démon-trent que la majorité des formations ne prennent pas encompte les principes permettant une optimisation de l’ap-prentissage en particulier lorsqu’il s’agit d’adulte. L’instilla-tion homéopathique de notions d’andragogie apparaîtcomme une véritable révolution culturelle, mais il ne faut pasdésespérer. Connaît-on quelque chose de plus difficile que

d’envoyer une balle de 43 mm de diamètre dans un trou de108 mm à plus de 450 m, pourtant cela passionne desmillions d’adeptes du golf.

RÉFÉRENCES

[1] Malcom S, Knowles. Andragogy in actionSan Francisco: Jossey-Bass;1984.

[2] Roger Mucchielli. Les méthodes actives dans la pédagogie des adultes.ESF; 1991.

[3] Robert W, Talbot. Pédagogie ou andragogie médicale ? 42003 1.

[4] Dominique Chalvin. Les méthodes pédagogiques et les méthodesandragogiques... ESF; 1996.

[5] De Landsheere G. Dictionnaire de l’évaluation et de la recherche enéducation. PUF; 1979.

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