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Les noms des vents àLa Salvetat-sur-Agout (Hérault) Author(s): Georges Mounin Source: La Linguistique, Vol. 30, Fasc. 2, Langage, sujet, lien social (1994), pp. 49-56 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30249050 . Accessed: 14/06/2014 20:26 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.44.78.129 on Sat, 14 Jun 2014 20:26:03 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Les noms des vents àLa Salvetat-sur-Agout (Hérault)Author(s): Georges MouninSource: La Linguistique, Vol. 30, Fasc. 2, Langage, sujet, lien social (1994), pp. 49-56Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30249050 .

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LES NOMS DES VENTS A LA SALVETAT-SUR-AGOUT

(HERAULT)

par Georges MOUNIN Universiti de Provence

Les dialectologues et les linguistes ont toujours Nti tris conscients du phinomine universel de la variation, qui affecte toute langue vivante dans l'espace et dans le temps. Le concept de variation, comme aussi les descriptions qu'il a suscitees, sont bien antirieurs au concept de systime. Mais on dirait parfois que certains chercheurs sont fatigues de leurs viritis. Au lieu de les nuancer ou de les enrichir, ils les nient en bloc. A l'excis de systime, on oppose l'excis inverse. II faudra forciment corriger ces tirs.

L'Itude des noms des vents d La Salvetat ne se propose pas de remettre en question quoi que ce soit sur ces thimes, peut-itre durcis trop vite en thiories ou en dogmes, mais de dicrire, en modeste exercice de travaux pratiques, un fait de variation bien circonscrit sur le terrain.

Les dialectologues et les linguistes ont toujours 6t6 tris cons- cients du phenomene universel de la variation, qui affecte toute langue vivante dans l'espace et dans le temps. Dans notre domaine, le concept de variation, comme aussi les descriptions qu'il a susci-

t6es, sont bien ant6rieurs au concept de systeme'. C'est recem- ment que, par un de ces mouvements classiques dans toutes les sciences, la variation se voit remise au centre de maintes recher- ches, bien que la description fine des noyaux systematiques des langues soit loin d'etre achevee. Mais il 6tait naturel qu'une fois que le systeme des grandes langues bien connues soit nettement dessine, surtout dans le registre officiel de ces langues, on revienne en force 'a des etudes sur la variation: dans l'espace geographique (dialectologie proprement dite) peut-etre sous-estimee depuis un

1. Quand on lit les travaux des variationnistes actuels, toujours interessants, on a cependant plus d'une fois envie de leur dire: << Avez-vous lu Gauchat (1866-1942)? Cf. a cet 6gard, de Pierre Swiggers, << Louis Gauchat et I'idee de variation linguistique >>, in Sprachtheorie und Theorie der Sprachwissenshafl, Tiibingen, G. Narr Verlag, 1990.

La Linguistique, Vol. 30, fasc. 2/1994

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grand demi-siecle, mais jamais occult6e ni vraiment negligee; dans

l'espace social - variantes r6gionales ou parlers locaux d'une

part, et registres de langue, ainsi que dialectes sociaux - socio- lectes, voire argots, d'autre part.

II arrive meme aujourd'hui qu'on veuille dresser theorique- ment le concept de variation contre le concept de systeme: il n'y aurait finalement que des conglomdrats de -lectes: sociolectes, technolectes, familiolectes, et, au terminus, idiolectes. On abouti- rait de la sorte a un solipsisme linguistique parallele ta certain

solipsismes philosophiques ou esth6tiques - pour d'autres raisons

que ceux-ci. On peut ici parler de solipsisme, parce qu'on pergoit chez des chercheurs le desir de se ddbarrasser de la these linguis- tique essentielle depuis au moins cinquante ans: l'idde que la fonction communicative des langues est le pivot central de notre science. On dirait que certains savants sont fatigues de leurs propres veritis. Au lieu de les nuancer ou de les enrichir, ils les nient en bloc. A l'exces de systeme, on oppose l'exces inverse. II faudra forc6ment corriger ces tirs2.

Les notes qui suivent ne se proposent pas de remettre en question quoi que ce soit sur ces thames peut-htre trop vite durcis en theories ou en dogmes, mais de decrire, en modeste exercice de travaux pratiques, un fait de variation bien circonscrit sur le terrain.

La commune choisie l'est parce que le descripteur y passe chaque annee plusieurs semaines, et ces dernieres annies plu- sieurs mois, depuis trente-cinq ans. Il s'agit d'un village 'a l'extreme nord-ouest des C6vennes, sur leur versant nord, a soixante-dix kilometres de B&ziers, 'a quarante kilometres de Castres. Le champ de la denomination des vents s'est impose a mesure que le des-

cripteur prenait conscience des 6carts sensibles qu'il offrait vis-?a- vis du frangais courant, de sa richesse, meme par rapport au

frangais regional du Languedoc, et surtout de la vitalit6 des emplois des termes rep6rts.

L'enquete a porte' sur dix-sept informateurs, tous Ag6s de plus de cinquante ans, sauf deux, neuf hommes et huit femmes. Il aurait 6t6 facile de doubler ce nombre, mais la poursuite de

2. Cf. de Georges Mounin, << Rflexions sur quelques fondements historiques de la Sociolinguistique de W. Labov >>: les positions de Labov sont beaucoup plus nuancbes que la presentation un peu dogmatique d'Encrevb dans la traduction frangaise, 1976 (Ethnolin- guistique: contributions thdoriques et mithodologiques, Paris, SELAF, 1981).

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l'enquete ne rivilait plus de faits nouveaux - d'ailleurs elle visait moins a decouvrir qu'a verifier. Douze de ces informateurs sont nes h La Salvetat ou dans les communes limitrophes, et y ont pratiquement toujours v6cu. Trois viennent de Saint-Chinian, gros bourg

' mi-chemin en descendant vers la plaine languedocienne, de Saint-Pons a B6ziers. L'un est originaire de Castres, un autre du Puy-en-Velay, mais ils sont tous deux bien enracines ' La Salvetat. Ce sont tous d'authentiques ruraux, tous lies a la terre

par un champ ou un prd au moins, tres jardiniers, artisans; un seul pourtant a 6te professionnellement cultivateur. Tous les hommes sont 6galement chasseurs et pecheurs. Cette physionomie de la population enquetee - qui est representative de celle du village

- explique probablement l'abondance et le caractere tou-

jours tres vivant du lexique etudi6, surtout si on tient compte aussi du fait que ce village se situe dans un micro-climat oti s'affron- tent la miteorologie miditerrandenne, la pyrineenne, et celle du sud-ouest toulousain, sans parler de celle du sud du Massif Central.

Le fait le plus frappant qu'ait fait apparaitre l'enquite est le cas paradoxal de deux termes tout a fait courants dans le fran- +ais d'usage: mistral et tramontane. Ils sont pr6sents dans tous nos dictionnaires, le Littre, le Larousse, les Robert, et toujours loca- lists dans le Midi et la vallie du Rh6ne. A La Salvetat la reponse est unanime: ces mots sont connus, disponibles a la compr6hen- sion, mais totalement inusites. Selon toute probabilite, c'est l'6cole, puis massivement la meteorologie telvisee qui en ont repandu la connaissance. Deux informateurs seulement, le natif du Puy residant les deux tiers de l'annie a Saint-Chinian, et l'artisan le plus motiv6 par l'6tude du parler local, d6clarent l'employer, vraisemblablement surtout lorsqu'ils parlent avec des estivants, hollandais, belges, allemands, <<parisiens >>. Le Castrais dit que le terme tramontane s'entend <<du c6t6 de Perpignan >>.

Le cas du vent d'autan est presqu'aussi paradoxal, dans un cadre different. Lui aussi est present dans tous les dictionnaires cou- rants du frangais officiel, atteste aussi depuis quatre siecles, et bien defini partout, dans un registre plutbt litteraire. Pour tous nos informateurs, c'est un mot vivant (vocabulaire passif, non lit- teraire ni scolaire) mais absolument inusit6, sauf par le locuteur venu de Castres. Ici, l'origine geographique du terme est toujours bien identifiee par les enquits : << C'est un mot de Castres >>, << c'est un mot tarnais >. Deux informateurs, pecheurs et v6liplanchistes,

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habitues de l'embouchure de l'Aude, indiquent que le mot est bien vivant ' Narbonne. D'autres, et peut-etre tous, connaissent sa forme occitane: aouto [auto]. Plusieurs ajoutent, pour decrire sa qualite plus que sa direction, qu'il 6quivaut au marin (plus ou

moins) que nous allons rencontrer. Le locuteur originaire de Castres

precise que <<l'autan vient de Mazamet, non de Saint-Pons >>, ce qui indique que conformement 'a sa definition classique, c'est un vent du sud-est, qu'il vient de la mer comme l'indique son

etymologie [altanus ventus, Gaffiot] et que donc il arrive ' Castres

par le Narbonnais, en remontant la vallie de l'Aude, - et non celles de l'Orb et du Jaur par B&ziers et Saint-Pons.

Un second groupe de vocables se situe a l'oppose du prece- dent, car ils sont usites par tous ou presque tous. Le plus frequent est le marin [lu mari], vent qui souffle du sud. Les dictionnaires

classiques l'ignorent, sauf le Petit Robert. Un seul informateur, qui connait le mot, dit ne pas l'utiliser: c'est le Castrais, bien qu'il reside 'a La Salvetat depuis plus de dix ans. Le marinas, decrit aussi comme le vent du sud, mais plus humide, se voit couramment utilise par presque tous les locuteurs. La marinade est consideree comme le doublet frangais du marinas, terme occitan, - avec le suffixe -as, augmentatif et souvent pejoratif, plus qu'en frangais courant: ces deux termes designent un marin qui dure plusieurs jours (trois, six, neuf), tres humide. On l'appelle aussi le marin gras, terme qui n'est usite que par la moitid des enquetes, mais connu de tous, au moins par les Salvetois d'origine. Le marin blanc, qui souffle aussi du sud, est caracterisd comme le << contraire du marin >> : < il est sec >, < il brflle tout >, < il seche tout >, <<il vient d'Afrique >>. Les enquteis qui l'emploient semblent partag6s - mais pour eviter

d'etre directif ou meme de gener la spontandite des reponses, je n'ai jamais et6 insistant. Je suis stir d'avoir entendu aussi marin sec, mais aucun informateur ne croit jamais s'en Wtre servi, ni l'avoir entendu. Par contre, seul un des informateurs saint-chinianais a mentionne la marinette, inconnue de tous les autres, meme de l'autre originaire de Saint-Chinian, qui en est parti en 1940. J'ai suppose qu'il s'agissait d'un emploi ludique, peut-&tre ephemere, m me s'il est bien vivant ces annees-ci. << C'est Marinette qui souffle +, donne- t-il comme exemple3.

3. I1 n'entrait pas dans mon propos d'etudier le lexique des vents a La Salvetat d'un point de vue diachronique, soit par comparaison avec les donnies de 1'Atlas linguistique

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La bise est un vent qui souffle du nord. Le mot est utilise par quinze des locuteurs sur dix-sept. Il est beaucoup plus vivant

qu'en franqais courant, oui il est plut6t litte'raire; ou regional; et il figure dans tous les dictionnaires. Pour le Castrais, la bise <vient de Gaillac >> (un peu NW). L'informatrice qui pense ne

jamais l'employer, ajoute que << c'est froid>>, et que <<+

a me dit >>. Elle donne aussi la forme occitane: bijo, qu'elle entend donc.

La bise molle (biso muolo, bijo muolo) est definie comme un vent W-NW (<< le contraire de la bise >> qui est un vent sec et piquant), lequel << vient du barrage>> (de la Raviege, t

l'ouest du village); elle apporte un temps gris; <<elle est froide et elle est mouillee >>. Les trois quarts des informateurs utilisent le terme ou le connais- sent; trois disent qu'il est peu usite, rare meme; l'informatrice djat cit6e <<l'a entendu dire ,; trois autres disent que c'est le meme vent que le cers.

Ce dernier fait aussi partie du groupe des mots les plus employes, toujours bien d6fini comme un vent du nord, ou du nord-est. Pour les deux tiers des informateurs, il fait partie du vocabulaire actif, <<tres usite ici >>. Pour l'informatrice ci-dessus, authentique Salvetoise, <<cers, c'est un mot patois >>; beJ, ero cers << aujourd'hui, c'5tait le cers>>. Le Castrais l'ignore. Un des origi- naires de Saint-Chinian dit que c'est plus ou moins la tramon- tane; mais le meilleur observateur du parler local le nomme aussi < lou tarral>>, qui est bien atteste dans 1'ALELEO; << I vient du Massif Central >>. Les dictionnaires fran+ais ne connaissent pas le terme, sauf le Petit Larousse Illustre (1972) qui le d6finit comme un mot du Languedoc.

Toujours dans ce groupe des noms de vents encore bien vivants, nous devons ajouter le grec. C'est un vent d'est ou de sud-est, < il vient de Montpellier >. IL apporte la pluie : < Lou grec, la pleje al bec >> (la pluie au bec); en hiver, parfois la neige. Le Castrais connait le mot, qu'il n'emploie pas. Notre Salvetoise atypique (vraie cultivatrice d'origine) << l'a entendu dire >. Au total, le mot est connu de tous, avec deux tiers de locuteurs actifs. Il est absent des dictionnaires franqais, sauf le Littrt qui dit: <<terme de marine; il d6signe un vent du nord-est en Mediterranee >>. A Narbonne,

de la France Jules Gillieron, 1898-1912) (ALF), soit avec celles de l'Atlas linguistique et ethnogra- phique de Jacques Boisgontier (vol. 1, 1981) (ALELO). Cependant la consultation de ce dernier atteste (en 1972) la presence isolee de marinette dans l'aire de Paulhan, 'a 50 km dans l'est de Saint-Chinian.

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c'est encore le gregal. Personnellement, je l'entendais couramment

I'te a la Ciotat, sous la forme : lou grigaou, mais non 'a Aix. Il est vivant aussi en italien, sur les c6tes de la Toscane et du golfe de Genes (il grecale).

Le reliquat des denominations vise des termes beaucoup moins usitis, mais attestes. Par exemple, le sidobre, qui semble peu fami- lier, connu de dix locuteurs au moins, difficile ta d6finir, autant un temps qu'un vent, sorte de brouillard givrant, <<qui vient de Castres (ouest), <<qui sort de la V6gende >>, un hameau de La Salvetat, au nord, et d6fini aussi comme <<un vent rasant, froid, redoutd >>; dit egalement <<vent de Lacaune >> (NE).

Le <<vent du Nord >>, atteste par quinze locuteurs, semble une traduction frangaise de la bise, mais aussi un terme equivalent occitan de cette bijo; c'est un vocable courant sous la forme <<es Nort >> en occitan, avec l'assourdissement classique de la sonore finale en sourde (d> t).

Le <<ben del miejour >>, le vent du Midi, est donne comme vieux et rare, << patois >>, avec le j reproduit soit comme [z], soit comme [dz] ou [ts]; c'est le marin, <<traduit du frangais >>, dit le locuteur observateur de son parler.

<<Le vent de Lacaune >>, peu utilis6, semble le <<vrai Nord >>, 6quivalent de <<es Nort >> en occitan, pour trois ou quatre infor- mateurs.

Le <<vent de la Souque >>, rare, semble une denomination fran- cisee du cers, ou de la bise molle.

Enfin, le narbonnais, qui souffle du sw et de l'ouest, est surtout connu dans sa forme occitane, lou narbounds, mais l'usage du terme est rare, au moins en frangais. C'est la meme chose pour quel- ques mots de pur occitan, que je n'ai jamais entendus, eux non

plus: la rimo, <<petit air du matin sur la gelee blanche >>; la ben- torro, la bourrasque <<qui balaie le ciel >>; lou ciroun, <<le vent du nord qui a passe sur la neige >>, qui la fait tourbillonner, et qui << agace >>: << a ciroune >> (ou siroune?).

On garde le terme de variation pour l'ensemble des phino- menes qui viennent d'&tre d6crits. Des phonologues4 ont propos6 de parler de fluctuation, ou variation <<intra-individuelle >> lorsqu'un locuteur alterne deux realisations diff6rentes dans un meme contexte

4. Cf. Pierre Martin, Revue qudbicoise de linguistique thiorique et appliquie. Quebec, Universite de Laval, 1989, p. 107-116.

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situationnel, - et de flottement lorsque la variation est inter- individuelle, dans une meme langue. Lorsque les locuteurs d'une

mime communaut6 disposent de deux systemes linguistiques dif- f6rents, ou plus, il y a oscillation. L'adaptation de cette termino-

logie a une description du lexique ne peut sans doute avoir la rigueur qu'elle a en phonologie. Surtout dans le cas qui nous

occupe, la fluctuation suppose l'existence de synonymes chez un meme locuteur, dans un meme systime; et le flottement serait

l'alternance de ces synonymes chez les locuteurs de la commu- naute. Mais ici, nous sommes toujours en pr6sence d'un oscilla- tion entre deux, et peut- tre trois systemes disponibles: le fran-

gais, l'occitan, et le << francitan >, defini comme un dialecte du

frangais a substrat phonologique, morphologique et lexical occitan 6.

L'aouta, la rima, la bentorro, lou ciroun, lou ben tarral, n'ont pas d'alternant dans l'usage observe. Le cers et le grec sont phonique- ment semblables en contextes occitans et franqais: leur forme en contexte franqais serait du francitan. Il en va de mime pour la marinade, forme francisee du marinas, avec le suffixe -ade, qui est commun aux deux langues, mais largement plus productif en franqais m6ridional qu'il ne l'est dans le frangais standard (cf. galejade, farcejade, pagnolade, passejade, etc.). Et l'on dira la mime chose pour la bise, et surtout la bise molle, inconnue et calque de l'expression occitane. Il n'a pas 6te possible d'assurer que sidobre a, dans la prononciation, un trait phonique occitan, meme en contexte occitan : lou sidobre a peut- tre parfois un [e] final tres faible... Le vent du Nord, le narbonnais, le vent de Lacaune, et celui de la Souque sont tous des faits d'oscillation de l'occitan au frangais; lou ben del miejour presente l'oscillation inverse, du frangais i l'occitan.

Quiconque a 6tudid un frangais regional ou local (surtout dans des zones oui survit 'a des degres divers un vrai dialecte aujourd'hui souvent residuel) a rencontri des faits analogues, qui sont bien 6tablis, scientifiquement banals. Leur seul inter&t ici, c'est d'observer comment fonctionne la variation. Ainsi les substituts tris locaux

5. Cf. Henri Boyer, ClGs sociolinguistiques pour le ,<francitan

), Montpellier, cRDP, p. 24 [s.d.]. 6. Cf. Robert Lafont, << Praxematique et parole diglossique >, Cahiers de linguistique sociale,

Rouen, 1983, p. 117. 7. La recherche linguistique comparative dans son rapport aux differntes phases du diveloppemnent

du langage, trad. de P. Caussat, in Introduction at l'ceuvre sur le kavi et autres essais, 1974, Paris, Seuil, p. 65 sq.).

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de noms de vents bien frangais connus, vent de Lacaune, vent de la Souque, narbonnais; ou bien la resistance aux formes fran- +aises pourtant tres diffusfes (mistral et tramontane) ou tres voi- sines (l'autan pour Castres, la tramontane pour Perpignan); ou bien aussi la resistance du substrat dialectal, irriguliere selon les locuteurs, mais certaine, et meme bien vivante. On voit par l1 la complexit6 des oscillations dans un cas de diglossie attardce, sans doute en voie d'extinction mais fort lente. Apres un siecle ou presque, Louis Gauchat pourrait etre content de voir les neo- variationnistes redecouvrir des faits qu'il avait deja bien decrits: << Comme contre-partie de l'6tude que je viens de publier sur les limites dialectales, c'est-a-dire sur le degre d'unite qui relie entre eux les parlers d'une region determin&e, j'offre ici un essai de description du type linguistique tel qu'il est constitu6 par les habitants d'un seul village. A l'unite de l'ensemble, j'oppose la diversite du detail, au dialecte le langage individuel, "a la macro- scopie de mon premier travail la microscopie du deuxieme >> (crit en 1905).

Ce qu'on verifie, aujourd'hui encore, c'est que, fluctuation, ou flottement, ou oscillation, la variation n'empeche jamais l'inter- comprehension dans le groupe. Tous les locuteurs ont au moins l'usage passif de tout le vocabulaire qui a 6te recolt6. Les deux ou trois systemes cohabitent et ne se genent pas. Il n'y a pas de barriere linguistique ni sociologique dans leur usage par la communaute. Il n'y a que des situations distinctes, toutes maitrisees.

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