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Réflexions sur le fonctionnement du système aspecto-temporel du créole haïtien Author(s): Robert Damoiseau Source: La Linguistique, Vol. 30, Fasc. 2, Langage, sujet, lien social (1994), pp. 105-120 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30249056 . Accessed: 15/06/2014 09:31 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.77.28 on Sun, 15 Jun 2014 09:31:42 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Langage, sujet, lien social || Réflexions sur le fonctionnement du système aspecto-temporel du créole haïtien

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Réflexions sur le fonctionnement du système aspecto-temporel du créole haïtienAuthor(s): Robert DamoiseauSource: La Linguistique, Vol. 30, Fasc. 2, Langage, sujet, lien social (1994), pp. 105-120Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30249056 .

Accessed: 15/06/2014 09:31

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REFLEXIONS SUR LE FONCTIONNEMENT

DU SYSTEME ASPECTO-TEMPOREL DU CREOLE HAITIEN

par Robert DAMOISEAU

GEREC, Universiti des Antilles et de la Guyane

Une des caractdristiques du systeme aspecto-temporel du creole

haitien, par rapport a celui d'autres crdoles, est que la marque de l'aspect inaccompli ap, I'un des deux termes de l'opposition centrale de ce systeme, peut exprimer le mode et le temps. Il est important d'6tudier dans quelles conditions s'opere l'exploita- tion de sa valeur premiere de marque de progressif (cf. valeur locative de ap) pour preciser le rapport du locuteur au proces qu'il relate et situer le deroulement de ce proces par rapport au moment d'enonciation.

L'analyse corrdlative des conditions de fonctionnement de la

marque z6ro de ce meme systeme (valeur << accompli >>) conduira a souligner l'importance determinante de la prise en compte des indices situationnels, qui lui confere la valeur d'un parfait rdsul- tatif. C'est precisement la notion d'ancrage situationnel du proces qui caracterise la forme d'accompli zero par rapport d'une part 'a la forme du passe avec te, d'autre part 'a la forme de << gendral >> non marque.

On notera que la stricte valeur d'accompli du present de cette forme marquee zdro, reposant sur la pertinence du lien entre deroulement du proces et situation d'6nonciation, distingue le parfait creole du parfait fourni par la forme du passe compose dans le systeme frangais, qui t c6td de sa valeur d'accompli du present, a tres souvent aussi une valeur d'accompli du passe, cette diff6- rence expliquant la difficultd constat&e chez de nombreux crdolo- La Linguistique, Vol. 30, fasc. 2/1994

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phones bilingues a reconnaitre dans le passe compose frangais une valeur de <<temps pass >>.

On soulignera enfin ce qui fonde l'originalite de la d6marche

qui conduit a la temporalisation <<futur> (exploitation de la marque aspectuelle ap dans certaines conditions d'6nonciation) par rapport a la temporalisation < pass6>> (explicit6e par une marque sp6ci- fique: te) dans la langue 6tudire.

1. LA MARQUE ap

On interprete traditionnellement la marque ap comme etant celle de l'aspect inaccompli. Alexandre, Bentolila et Fauchois1 ont notamment mis en 6vidence son utilisation dans les cas de stricte coincidence entre situation d'6nonciation et deroulement du proces (cf. <<inaccompli hic et nunc>.)

Cf. Timoun yo ap jwe nan lakou a Les enfants jouent dans la cour

(Le deroulement du proces est constatable dans le cadre meme, spatial et temporel, de la situation d'6nonciation).

La forme en ap a donc une valeur de progressif Rappelons qu'il est vraisemblable que le morpheme ap provienne de l'ancien frangais << tre

apres d faire telle chose >>, c'est-a-dire <<tre occup , &tre en train de faire telle chose >. Cf. Furetirre, Dictionnaire universel: << On dit ... il est aprks d faire telle chose pour dire qu'il y travaille actuellement.>> 2

Certains locuteurs en Haiti produisent la forme apr3":

L'apd travay Il travaille (il est en train de travailler)

1. Alexandre C., Bentolila A., Fauchois A., Les modalites en creole haitien: approche syntaxique et rhetorique, Espace

cr0ole n+5, L'Harmattan, 1983, p. 171-202. 2. De meme, selon Le grand Robert de la langue franqaise, on relive chez Montaigne

(Essais, III, 9): < Madame est encore apris d se coiffer et attifer, en son cabinet)> et chez Moliere (Les Fourberies de Scapin, II, 5): <Je suis apris a m'6quiper o.

3. Des donnees plus pr6cises devraient permettre d'atablir si cette forme est utilisee priori- tairement par les locuteurs ag6s ou bien si elle est propre aux locuteurs de certaines regions d'Haiti.

Notons que la meme forme apparait, quelquefois avec des variantes, dans d'autres craoles. On relbve ainsi: - ape (var. ap) en creole de la Louisiane (cf. Neumann I., Le criole de Breaux Bridge, Louisiane,

Hamburg, Helmut Buske Verlag, 1985), - apri: en creole r6unionnais (cf. Chaudenson R., Le lexique du parler criole de La Riunion,

Paris, Champion, 1974), --pi: (var. ap): en creole mauricien (cf. Valdman A., Le criole: structure, statut et origine,

Paris, Editions Klincksieck, 1978) et en creole seychellois (cf. Bollee A., Le criolefranfais des Seychelles-Esquisse d'une grammaire-textes-vocabulaire, Tiibingen, Niemeyer, 1977).

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Fonctionnement du systOme aspecto-temporel du criole haitien 107

On note que c'est le sens originellement locatifde apris (cf. latin: ad pressum, de pressus = serre) qui est utilise pour installer le sujet dans le proces. Si on en croit David Cohen dans son ouvrage L'aspect verbal 4, dont sont tires les exemples suivants, le recours & des unit's de sens locatif pour l'expression de l'aspect progressif est frequent et peut etre constate dans diff:rentes langues5.

Ainsi en yoruba, on relive le recours a la locution l'dwd (< dans la main >) pour exprimer qu'un proces est en train de se realiser:

mwon 'nfo o l'dwd ils sont en train de le laver

En peul c'est l'ClCment Do (<< ici >>) qui est utilis6 comme marque du progressif:

mi-Do(e) lootude je suis en train de laver (litt. je-ici avec action de laver)

Dans les langues celtiques ce type d'aspect est exprime par une

preposition de sens << dans o + verbe : - irlandais: taim ag ithead je suis en train de manger)

(je suis dans manger) --gallois: mae yn dysgu il est en train d'apprendre

(il est dans apprendre)

En anglais, selon certains indices, le recours aux prepositions on6 (sur) + participe present ou in7 (dans) + participe present:

he is on hunting I am in learning il est a la chasse je suis en train d'etudier il est en train de chasser

a prec6dd l'utilisation de la forme actuelle : verbe etre + participe present pour l'expression du progressif8.

4. Cohen David, L'aspect verbal, Paris, PUF, 1989, 272 p. 5. Il s'agit l1 d'un instrument privilegis pour <<la mise en relief du rapport d'inh&-

rence entre le sujet et le predicat verbal: Cohen, ouvrage cite, p. 125. 6. Cf. Jespersen O., The philosophy of grammar, Londres, 1924, cit6 par Cohen, p. 126. 7. Cf. Mosse F., Histoire de la forme pbiphrastique itre + participe prisent en germanique, Paris,

1938, cite par Cohen, p. 126. 8. Dans le meme ordre d'idees, on peut formuler l'hypothese que la marque de l'inac-

compli ka en creole martiniquais soit t l'origine une marque de progressif de signifik premier

< locatif>>. Cf. le rapport possible avec une forme ka = << chez >> du creole haitien: Li ale ka dokte Il est alle chez le medecin

concurremment avec:

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L'utilisation de ap correspond donc au d6sir du locuteur de

presenter le sujet comme &tant engag6 dans le proces: du fait meme que le deroulement du proces est pose comme consta- table, le lien qui unit le sujet au proces est pergu comme un lien fort, incontestable. La responsabilit6 de l'agent dans la reali- sation du proces pr6sentant toutes les garanties de l'evidence, on reconnaitra

' la forme de progressif marqu' par ap une valeur agentive.

C'est pricisement la force agentive de cette construction qui explique son incompatibilite avec certains verbaux du creole haitien quand le sujet r6fere 'a un inanime. Cf.:

a. k6 m' grate m': mon corps me gratte (j'ai des d6mangeaisons)

b. poukisa ou ap grate k6 ou konsa? : pourquoi te grattes-tu ainsi?

En a le sujet est le siege d'un certain processus, en b il est veritablement l'agent de ce processus.

Cependant il faut bien voir qu'a la mise en evidence de la relation sujet-proces telle que l'exprime l'aspect progressif, corres-

pond, de la part de l'6nonciateur, un engagement quant au derou- lement de proces. L'utilisation de la forme progressive rend compte d'une d&marche toute naturelle selon laquelle, en affirmant la

responsabilite du sujet concernant la r6alisation d'un proces, le locuteur le prend en charge, s'y implique. A la valeur <<agen- tive >> du progressif exprime par ap est donc lide une valeur << impli- cative >>9 : autrement dit son emploi a une double pertinence, puisqu'il permet a la fois d'exprimer une relation d'un type sp6ci- fique entre sujet (agissant) et proces et de situer l'6nonciateur (sujet parlant) par rapport 'a ce type de relation.

On peut aisement mettre en evidence la valeur implicative de la forme en ap: ainsi, la presence, au sein de l'enonce, de formes adverbiales comme kannenm (< de toute fagon >>), ou vle pa vle (<< qu'on le veuille ou non >>), qui expriment l'engagement du locu- teur vis-a-vis du proces qu'il relate, d6clenche l'emploi de ap (aux

Li ale kay dokti II est alli chez le medecin

En cons6quence, la marque aspectuelle du creole martiniquais pourrait proceder d'un mor-

phieme ka (<< chez >>) qui n'est plus attest6 aujourd'hui dans cette langue (forme atteste : kay), mais qui se maintient en creole haitien.

9. J'emprunte ce terme ' D. Cohen (ouvrage cite, p. 131).

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depens d'une marque specifique de futur) avec le predicat nommant ce procsl'0. Cf.:

- N' ap fe travay la kanmenm

pers. 4 mod. pred. faire travail def. de toute fagon Nous ferons le travail de toute fagon - Vle pa vile eleksyon yo ap fit Qu'on le veuille ou non election plur. mod. pred. etre fait Qu'on le veuille ou non les elections auront lieu.

Les deux valeurs (agentive et implicative) de la forme pro- gressive en ap sont certes liees. Cependant, dans certains cas, la force implicative de cette forme se revdle plus clairement. Nous 6tudions ici trois de ces cas.

Prealablement il faut rappeler que le principe du fonctionne- ment de la forme de l'inaccompli progressif marque par ap repose sur ce qu'Alexandre, Bentolila et Fauchois ont appel6 <<la coinci- dence >> entre situation de communication et deroulement du

proces, c'est-ai-dire que la valeur de cette forme comme <<inac- compli hic et nunc >> est lide a la presence d'indices du deroule- ment du proces dans la situation de communication. Ex.:

L'ap vini II vient

La venue constatable de l'agent par les participants A l'acte de communication permet de decoder le message comme relatant un proces en cours de realisation.

Nous presentons trois cas oui pricisement la situation de com- munication ne livre pas d'indices du diroulement du proces en coincidence avec l'6nonce. Les deux premiers cas (A et B) rive- lent des analogies: ils relkvent de conditions d'6nonciation speci- fiques. Le troisibme (C) pr6sente un type de pr6dicat particulier au plan du signifi6.

A. Soit l'6nonc6 : Al. L'ap vini il inac. progr. venir

qui se d6codera comme < Il est en train de venir >> - << I vient>> si la situation est porteuse d'indices du d6roulement effectif du proces au moment o i l'6nonc6 est 6mis.

10. Cf. Damoiseau R., Recherche sur les notions de temps et d'aspect en criole hadtien et en franfais-Application d l'enseignement du franfais, Publications du Centre de Linguistique Appli- quie, Universite d'Etat d'Haiti, 1989, p. 33-37.

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Des lors que, dans la situation d'6nonciation, aucun indice ne permet de conclure au deroulement concomitant du proces (on parlera alors <<d'absence d'indices de coincidence >>), le pre- dicat sera d6cod6 comme nommant un proces d venir. Cf.:

A2. L'ap vini II viendra

B. Soit l'6nonc6 : B1. L'ap vini demen il inacc. progr. venir demain

au sein duquel l'e61ment lexical demen dissocie explicitement le deroulement du proces du moment d'6nonciation: on a affaire 1a a un indice de non-coincidence qui rejette le d6roulement du

proces hors de la situation d'enonciation. Or il arrive frequemment que les conditions d'6nonciation

induisent elles-mimes la non-coincidence entre deroulement du

proces et moment d'6nonciation. Soit 1'enonc6:

B2. M' ap vini

je inacc. progr. venir

Sauf exception (cas oui l'allocutaire ne serait pas en mesure de constater la venue de l'6nonciateur, hors de sa vue au moment ou celui-ci 6met l'enonc6, situation peu fr6quente), un tel 6nonc6 r+fere a un proces a venir: le sujet du predicat 6tant l'enoncia- teur, on congoit qu'il n'utilise pas la forme de l'inaccompli pro- gressif pour assurer l'allocutaire du deroulement d'un proces dont

celui-ci, dans des conditions habituelles d'6change linguistique, est a mime de constater le d6roulement au moment de l'emission.

Cela signifie que l'utilisation comme sujet d'un predicat a la forme d'inaccompli progressif marque par ap d'un moneme de

personne qui refere - soit a l'6nonciateur:

ce qui est le cas pour mwen (m') : personne 1

pour nou : personne 4 - soit a l'allocutaire :

ce qui est le cas pour ou : personne 2

pour nou : personne 4 mais au sens de vous&1

11. On sait en effet qu'en creole haitien la pers. 4 nou soit inclut l'enonciateur (= nous du frangais), soit I'exclut (= vous).

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induit la non-coincidence entre diroulement du proces et moment d'6nonciation, et fonctionne donc comme un element d'absence de coincidence. C'est pourquoi dans un tel enonce, qui ne comporte pas d'indice de non coincidence (comme demen...) le pr6dicat nomme avec une grande probabilite un proces futur.

Dans les deux cas (A et B) on a affaire a une operation qui consiste, pour l'6nonciateur, a presenter le proces comme etant en train de se d6rouler alors mime que la situation d'enonciation invalide ce deroulement en concordance avec l'acte de parole

12. Or c'est precisement parce qu'il a conscience d'une situation inva- lidante qu'il recourt ta une forme lourde'3 en vue de compenser la fragilite de son assertion.

C. Cette demarche de compensation est tout 'a fait remarquable quand elle concerne les predicats non processifs, c'est-a-dire ceux

qui par nature mime sont incompatibles avec une marque d'aspect dont la valeur premiere est d'6tablir une relation dynamique entre le sujet et le predicat. Ces predicats de type statif s'emploient, dans la langue 6tudide, sans le recours

' une copule. Cf.:

C . Li kontan Il est content C2. Li la Il est li C3. Li nan lakou a Il est dans la cour

Leur signifid bloque toute notion de dynamique, d'agentivitd. Or l'affectation de la marque ap a un tel signifi6 s'explique parfaite- ment si on prend en compte la volontd du locuteur de renforcer ce qu'il asserte: le paradoxe qui consiste ta utiliser la marque de l'inaccompli progressif avec un pr&dicat statif disparait quand on place cette opdration dans la strategie globale de renforce- ment de son assertion par l'Fnonciateur, constatee dans les cas A et B, mais qui culmine dans les 6noncds de type C:

C4. L'ap kontan II sera content C5. L'ap la II sera la C6. L'ap nan lakou a II sera dans la cour

12. C'est une demarche frequente, notamment en frangais : cf. le locuteur qui produit: <<Je reviens! >> l'instant meme oui il part.

13. F. Mossi a note ce ph6nomene '

propos de l'anglais: (<Le sujet parlant, qui a conscience de la fragilite de l'opinion qu'il emet, la renforce en lui donnant la forme meme par laquelle s'exprime la verite la plus frappante, celle d'une action pergue dans son devenir et sa duree... L'expression est renforcee par sa constatation dans l'actuel. > Moss~ F., 1938, p. 174-175, cit6 par D. Cohen, p. 130.

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Le blocage du proces qui est ici une donnee lexicale fait que toute la charge de la marque ap revient a la valeur implicative de l'inaccompli progressif 6voquie plus haut.

- Dans les enoncis de type A et B la non-coincidence entre proces et moment d'enonciation conduit 'a un decalage systima- tique dans le futur du deroulement du proces. Le caractere <. agentif>> de la forme en ap est diff6rS, il n'est pas annihil6. Conscient que la situation d'enonciation n'est pas porteuse d'indices de coincidence, l' nonciateur recourt a la forme progressive pour assurer l'allocutaire de la realite du deroulement du proces, c'est- a-dire de la relation dynamique qui unit sujet et predicat.

-Dans les 6nonces de type C, le materiau lexical que pre- sente le predicat exclut toute relation de type agentif entre le sujet et ce predicat. La valeur < futur >> de la forme en ap procede de la mime demarche de compensation que pour les 6nonces A et B. Cependant, le moteur de cette operation est ici non pas l'absence de coincidence entre le proces et le moment d'enoncia- tion, mais bien l'absence de proces. La combinaison pr&dicat non processif+ ap (marque d'un proces en cours de realisation) est le

timoin de la charge persuasive dont le locuteur veut affecter son message.

Pour le recepteur le risultat est le meme que dans le cas des 6nonces A et B: la realit6 ne lui livrant pas d'indices corres-

pondant au deroulement d'un proces garanti par ap, il opere un d calage de la pertinence de I'assertion hors de la situation d'6non- ciation.

Pour l'6nonciateur l'opdration qui consiste ta combiner la

marque d'un proces en diroulement avec un predicat non pro- cessif correspond a une implication, un engagement incontesta- blement plus forts que pour la production des 6noncis A et B. Moins la realite l'aide dans son entreprise de transmission de l'information (ici le signifie non processif du predicat fait que cette realite est defavorable par essence 14), plus il doit s'engager quant a ce qu'il relate: la marque ap est le rivelateur de la force de son engagement.

II faut rappeler en effet la valeur originellement deictique de la construction avec ap (Li ap vini: Il est apres a venir = Il est

14. On a ici un cas de degr6 absolu de non coincidence 6nonce-proces.

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Fonctionnement du systene aspecto-temporel du creole haitien 113

dans le proces de venir). De cette origine la forme en ap garde une forte valeur de testimonial1"): en presentant le proces dans sa realite constatable l'enonciateur se porte garant de la relation

qui unit agent et proces. Mais il invite egalement l'allocutaire a partager le constat de cette relation: la valeur implicative de cette construction concerne donc non seulement I'6nonciateur, mais aussi l'allocataire.

On voit en tout cas que la force expressive de la marque ap - qui se revdle particulierement dans le cas de sa combinaison avec un pr6dicat non processif - procede de sa fonction premiere, qui consiste a presenter la dynamique d'une relation sujet-proc&s comme concomitante 'a l'acte d'6nonciation. Dans certaines conditions d'6nonciation, caract6risee par l'impossibilite physique d'une telle

presentation (< physique > au sens large du terme puisqu'il peut s'agir : cf. (C.) d'incompatibilit6 lexicale), l'utilisation de la valeur originelle de cette forme conduit i un effet de temporalisation <<futur >>.

Cette d6marche fait de la marque ap un instrument de moda- lisation, l'nonciateur devant compenser par son implication ce

que la realite physique ne lui accorde pas. Ii s'agit 1a d'un cheminement naturel qui consiste, pour une

procedure relevant fondamentalement de l'aspect (cf. valeur agen- tive du progressif), a servir la demarche de temporalisation, dans des conditions objectives qui exigent du locuteur un mouvement d'engagement vis-a-vis de ce qu'il asserte, mouvement sp6cifique de la modalisation (cf. valeur implicative du progressif).

2. LA FORMI ZERO (0) A VALEUR D'ACCOMPLI

Le deuxieme terme de l'opposition centrale dans le systeme aspecto-temporel du creole haitien est constitu6 par la forme zero (o), marque de l'accompli. Cf. Li 0 vini

Il est venu -- il est arriv6

Cette forme a fondamentalement une valeur de parfait: le locu- teur constate un fait qui constitue l'aboutissement d'un proc&s.

15. Cette valeur est conservie dans le cas de la temporalisation <<futur : la forme en ap (L'ap vini) correspond

' un futur certain, par opposition

' un futur 6ventuel en a - ou va-- (L va vini).

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114 Robert Damoiseau

Le lien entre ce fait et le proces dont il est le terme correspond au trait < resultatif>>, caracteristique essentielle du parfait. II convient lia d'insister sur plusieurs points.

- La forme zero (valeur de parfait) se diff6rencie d'une forme a valeur de statif precisement parce que cette derniere ne pre- sente pas le trait < resultatif>>. Ainsi, des prddicats comme:

kontan (etre content) ou bouke (etre fatigue)

ne portent pas dans leur signifie la notion d'aboutissement d'un

proces, de sorte que dans les enonces:

Li kontan anpil Elle etre content beaucoup - Elle est ravie M' bouke

Je &tre fatigue -- Je suis fatigue

le locuteur se borne au constat d'un 6tat de fait sans le concevoir comme le resultat d'un proces. Sur ce point precis ces predicats ne se distinguent pas de predicats valeur locative du type:

Li la -- Il est l1t Li nan lakou a -- II est dans la cour

Par contre ils doivent etre distingues d'un predicat comme mi (mfirir)

Mango yo O mi

mangue plur. acc. muirir - Les mangues sont muires

qui, dans un tel enonce, nomme un 6tat (la maturite des fruits) envisage comme le resultat d'un procks, proces qui peut etre pre- sente par ailleurs dans son deroulement.

Cf. Mango yo ap mi Les mangues mirissent - On sait qu'il existe, en creole haitien, une catigorie de

pr6dicats a signifie resultatif: ces pridicats referent 'a un fait qui n'est jamais envisage autrement que comme l'aboutissement d'un

proces. C'est le cas par exemple de:

blye (oublier) jwenn (trouver) konprann (comprendre) we (voir)

Le trait < resultatif> est inherent au semantisme de ces predi- cats: le procks auquel ils rdferent ne peut etre saisi dans son deroulement, il ne peut etre presente que dans son terme, dans

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Fonctionnement du systhne aspecto-temporel du criole haftien 115

son aboutissement. Ces predicats se diff~rencient donc des predi- cats de type statif (kontan, bouke) qui n'expriment en aucune fagon l'aboutissement d'un proces, mais ils se distinguent aussi des pri- dicats du type: vini (venir), mi (miirir) qui peuvent refirer (si le locuteur, en usant des moyens syntaxiques appropriis, c'est-ia-dire des marques o et ap, en decide ainsi), soit au terme du proces, soit 6galement (et c'est la diff6rence fondamentale avec les pr6di- cats ta signifie resultatif), au proces en cours.

En consequence, la valeur de parfait vehiculke par un prd- dicat < resultatif>>, correspondant

' un donne lexical, et non '

un choix de la part du locuteur, n'est pas marquee par zero (o), ceci contrairement aux predicats entrant dans l'opposition inaccompli-accompli 16).

Cf. Li o vini. Mwen we li. Il est venu. Je l'ai vu.

- La forme d'accompli ' valeur de parfait resultatif (marqud

par o), dans la mesure oii elle correspond a l'expression d'un constat, de la part du locuteur, de l'achevement d'un proces a partir d'indices releves dans la situation d'6nonciation, met en

jeu sa capacite a temoigner. Cette forme se caractdrise donc par sa valeur testimoniale. Il faut insister, comme pour l'inaccompli marque par ap, sur le fait que cette demarche s'opere a partir de la situation d'Cnonciation : le proces se lit, dans la situation d'6nonciation, at partir des traces de sa realisation. La demarche de timoignage se fonde tout naturellement sur une operation de constat: le locuteur atteste du diroulement du proces a partir des preuves concretes qu'il en relive.

C'est precisement la notion de persistance du proces dans la situation d'enonciation qui fait que l'aspect accompli se diffi- rencie du temps passe. Quand il formule l'enonce : Py 0o vini le locuteur n'exprime pas que la venue du sujet <<Pierre>> est un fait <<passi >>, donc loigne du moment d'enonciation, mais

qu'au contraire elle se prolonge dans la situation d'enonciation: << Pye vini>> sera donc decod : <<Pierre est 1 >>.

16. Sur ce point, cf. Damoiseau R., Eliments pour une classification des verbaux en creole haitien, Etudes crioles, vol. XI, n' 1, 1988, p. 41-63.

17. C'est, selon A. Bentolila, le propre de l'aspectualisation. Cf.: Bentolila Alain, Aspect et temps en frangais : une absence de marque, le o present >>, Cahiers du iAcrro, 2, CNRS, 1987, p. 83-127.

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116 Robert Damoiseau

De meme un 6nonc6 du type:

Mari 0 al achte Marie est allhe faire des courses

outre qu'il exprime qu'un certain type de proces a 6te r6alis6, permet ta l'allocutaire d'6tablir le lien entre ce proces et l'absence du sujet

dans le cadre de la situation d'6nonciation (= << Marie n'est pas l +>>). L'importance que reconnait D. Cohen'8 au non-dit dans le

fonctionnement du parfait en g6n6ral est manifeste dans le cas du creole haitien: I'attention de l'allocutaire est focalis6e sur le r6sultat du proces, ses prolongements significatifs, sa persistance, bref sa pertinence dans la situation d'6nonciation19

C'est pr6cis6ment ce lien entre le terme du proces et la situa- tion d'6nonciation qui est aboli dans le cas de l'utilisation de la marque te du passe. Dans l'6nonc6 : Pye te 0 vini le predicat comporte d'une part la marque zero (valeur d'accompli), d'autre

part la marque te (valeur de passe) : l'utilisation de cette marque du passe correspond au d6sir du locuteur de signifier que l'ache- vement du proces <<venir> se situe anterieurement au moment d'6nonciation et qu'en consequence il ne se prolonge pas dans la situation d''nonciation. L'allocutaire interpretera un tel enonce comme signifiant : <<Pierre n'est plus l+a (< Il est venu et il est

reparti >>). Inversement, le te dans l'enonc :

Mari t(e) al achte

lui permettra de conclure a la presence de <<Marie >>, le proces << aller faire des courses ne se manifestant pas dans la situation d'5nonciation (= Marie est all6e faire des courses mais elle est revenue >>).

On n'insistera pas ici sur les diff6rents facteurs qui peuvent conduire le locuteur ' introduire la temporalisation <<pass >> sous la forme de la marque te avec un predicat a l'accompli, l'essentiel est le principe de cette op6ration : en posant le terme du proces comme ant6rieur ia l'acte de parole, le locuteur veut produire

18. Ouvrage cite, p. 113. 19. On peut faire la mime remarque a propos du creole martiniquais. Cf. les enoncs :

Plonby6 a o vini le plombier est venu (= le robinet ne fuit plus)

oppos a:

Plonby6 a td 0 vini: le plombier est venu mais ii n'a pas fait son travail (= le robinet fuit toujours).

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Fonctionnement du systnme aspecto-temporel du crdole haftien 117

un effet de sens qui vise ' affaiblir, voire detruire le resultat de

ce proces dans la situation d'enonciation. Autrement dit, la valeur de te est par nature inverse a celle d'un resultatif exprime par la marque zero: te peut etre interpret6 comme un anti-resultatif. La combinaison des deux marques 0 et te, pourtant extremement

friquente, correspond au desir du locuteur d'exprimer que le proces a atteint son terme, mais qu'il ne se prolonge pas dans la situa- tion d'6nonciation.

II faut rappeler, sur ce point, l'originalite du systeme creole par rapport a celui du frangais. A la forme zero (0) de l'accompli du creole correspond certes une forme de passe compose (a valeur de parfait resultatif) en frangais. Cf.:

Pye 0 vini (Pierre est venu = Pierre est arrive)

Or le passe compose frangais peut avoir igalement la valeur d'un

accompli du passe. Cf.:

Pierre est venu tout a l'heure mais tu n'&tais pas 1l (il est reparti)

L')quivalent d'une telle forme, en creole, fait systimatiquement intervenir la marque te, qui prend en charge la temporalisation <<pass >> de l'accompli:

Pye te o vini talk a men ou pa t'la Pierre passe acc. venir tout t l'heure mais pers. 2 nig passe trela'

Ceci n'est evidemment pas sans consequences sur l'utilisation du systeme frangais par le creolophone: on relkve tres friquemment20 une nette tendance a exclure le passe compose dies lors que la situation d' nonciation n'atteste pas du resultat du proces. Pour le creolophone, le passe compose <<Pierre est venu>> ne peut avoir qu'une valeur de parfait resultatif: l'emploi de cette forme exclut I'absence de Pierre dans la situation d'6non- ciation.

Tres logiquement, il effectue en frangais la mime operation qu'en creole, c'est-a-dire qu'il introduit le passe au sein du syntagme verbal, ce qui se traduit par 1'emploi du plus-que-parfait : o Pierre itait venu tout a l'heure >>.

20. Cf. Damoiseau R., 1989, ouvrage cite, p. 21-24.

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118 Robert Damoiseau

On a 1l un exemple de phenomines caracteristiques des rap- ports complexes qu'entretiennent deux langues dont la parente lexicale est 6vidente, mais qui revelent dans de nombreux cas des systemes syntaxiques autonomes.

- Enfin, en relation avec la valeur de parfait resultatif marque par z6ro en creole haitien, nous revenons sur la notion de testi- monialite dejit voqu6e.

Soit les deux inonc6s:

a. Abitan plante kann

paysan planter canne

b. Abitan yo plante kann

paysan plur. planter canne

Formellement, le deuxieme enonc6 (b) ne se distingue du premier (a) que par la presence de la modalit6 nominale < d6fini pluriel +

yo qui affecte le nominal sujet abitan. Mais la presence de cette unit6 est capitale dans la mesure oii elle fonctionne comme un revelateur de la valeur d'accompli du predicat plante, cf. le sens de l'6nonc6 :

<<Les paysans ont planti de la canne+

Le m me pr6dicat a une valeur < g6ndrale+ dans l'6nonc6 (a), oi% le signifie de abitan, non sp'cifid, a lui-m me une valeur < g1n-

rique- , d'ofi le sens pour (a):

<<Les paysans (en gentral) plantent de la canne>>.

Il est remarquable que la valeur testimoniale du pr&dicat (la forme est celle d'un parfait resultatif) se relive dans un 6nonc6 oii le locuteur, en localisant le ref6rent dans le cadre de la situation

d'6nonciation (abitan yo = les paysans qui sont 1l, ou que nous

connaissons), ancre le proces (plus exactement son resultat, puisqu'il s'agit d'un accompli) dans le domaine de la realite constatable21.

Par contre l'absence de determination nominale affectant abitan

(6nonc6 a) libere22 le predicat de tout ancrage par rapport 'a la

21. A propos de ces phenomenes et de leur interpretation, voir l'analyse de A. Bento- lila: Marques aspecto-temporelles en creole haitien, de l'analyse synchronique A la formu- lation d'hypothbses diachroniques, La linguistique, vol. 23, fasc. 1, 1987, p. 103-122.

22. Cf. la relation, fondamentale selon D. Cohen, entre l'aspect et la notion de dilimita- tion de la relation predicative. Ouvrage cite, p. 66.

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Fonctionnement du systime aspecto-temporel du crdole haftien 119

situation d'enonciation, d'oui sa valeur a-temporelle et a-aspectuelle. La modalite nominale fonctionne donc ici comme un indice de testimonialite.

Ces faits conduisent, au plan theorique, A distinguer les deux formes du predicat plante: dans la mesure obu, dans l'6nonce (b), on a affaire A un aspect accompli, plante s'oppose, au sein du

systeme, A la forme applante. En cons6quence, il s'agit d'une forme

comportant la marque zero:

b. Abitan yo o plante kann

Par contre, dans l'enonc6 (a), la forme plante est une forme qui n'entre pas dans le systeme inaccompli-accompli: elle se caracti- rise par une absence de marque:

a. Abitan plante kann

Il convient de rappeler l'originaliti, sur ce point, du systeme aspecto-temporel du haitien par rapport A celui d'autres creoles, de la Caraibe, en particulier le martiniquais. Alors qu'en haitien, on l'a vu, la langue utilise la forme non marquee dans les 6nonces a valeur gendrale:

Creole haitien : Bale nef bale byen Balais neuf balaie bien (Tout nouveau tout beau)

en martiniquais c'est la forme de l'inaccompli23, marquee par ka, qui apparait dans ce type d'inonce:

Creole martiniquais : Bale nef ka bale byen

II s'agit la, c'est clair, de deux systemes possedant des regles de fonctionnement specifiques.

Nous soulignerons, pour conclure ces remarques, l'importance d6cisive, dans le fonctionnement du systime du creole haitien,

23. II apparait clairement que la forme en ka du martiniquais a une valeur progressive moins marquee que la forme en ap du creole haitien.

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120 Robert Damoiseau

de l'exploitation des donnees d'ordre pragmatique constitutives de la situation d'6nonciation, ce qui correspond A la notion de << non-dit>> presentfe par D. Cohen dans son analyse24.

Il faut distinguer, aussi bien pour l'inaccompli que pour l'accompli, entre la forme du predicat et l'utilisation qui en est faite pour la transmission de l'information. Ap est fondamentale- ment une marque de progressif, mais, dans certaines conditions de fonctionnement de la langue (domaine du <<non-dit >>), cette valeur originelle est refractde vers une valeur <<futur >>.

Cet effet de sens <<futur >>, qui est une resultante objective des conditions particulieres dans lesquelles s'opere l'enonciation, necessite l'exploitation de la force implicative (cf. activit6 modali- satrice : domaine du << dit >) inherente A la forme aspectuelle en ap.

L'accompli dit que le proces est arrive a son terme. La persis- tance du proces dans la situation de communication et ses effets relkvent du << non-dit >>. Le <<dit>> correspond au temoignage de

l'6nonciateur. Le <<non-dit>> concerne les d6ductions que fait l'allo- cutaire A partir de ce timoignage.

C'est pricisement cette liaison entre le terme du proces et la situation de communication qui fonde la valeur resultative (= pr6sent de l'accompli) de la forme marquee par zero et l'oppose d'une part A la forme non marquee A valeur gendrale, d'autre

part A la forme de <pass >> marquee par te. On rappellera enfin que cette demarche de temporalisation

<< pass >>, relevant du domaine du <<dit>> (cf. valeur sp6cifique de l'unite te), se distingue de la temporalisation <<futur>> qui, puisant sa force dans la mise en oeuvre de la forme en ap dans des condi- tions donnees, est une demarche plus fondamentalement prag- matique

24. Cf. notamment l'analyse du r6sultatif en anglais, en arabe du Maroc et en grec. Ouvrage cite, p. 113.

25. Cette diff6rence essentielle explique que l'utilisation de la langue a l'crit favorise la temporalisation pass >> exprimue par te (cf. fragilit6 du lien entre acheivement du proces et situation d'6nonciation) mais contrarie l'utilisation de ap pour la temporalisation < futur >> (difficultes

' ancrer cette d6marche dans la situation d'6nonciation). Cf. Damoiseau R., 1989, ouvrage cite, p. 53-54.

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