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Le communisme au Mexique : entre marginalité et avant-garde Il est clair qu’il n’est pas possible, dans un travail de cette nature, de tenter une reconstruction historique du communisme au Mexique qui aborderait, ne serait-ce qu’en première approche, tous les aspects qui la constituent. Consciente des limites inhérentes à cet écrit, j’ai choisi arbitrairement quelques thèmes que je considère comme importants pour donner une idée des particularités de ce courant dans un pays comme le Mexique, où les événements importants qui se sont passés au siècle dernier ont souvent beaucoup de poids. Les événements révolutionnaires du début et du milieu du 20 e siècle, qui fondèrent un nouvel Etat au Mexique, établirent un solide régime politique et modifièrent substanciellement la vie de la société mexicaine. Ils furent déterminants dans la constitution des aspects particuliers du communisme dans ce pays. En particulier, ces événements firent que, à la différence du communisme en Europe et d’une bonne partie de l’Amérique Latine, au Mexique ce courant ne parvint jamais à se constituer comme une force réellement ouvrière. Cela représenta, sans doute, sa plus grande fragilité et le condamna à être la majeure partie du temps un courant mineur et marginal.. Cependant, le communisme mexicain participa non seulement à tous les grands événements que vivait la classe ouvrière, mais parvint aussi à représenter la force politique la plus importante de la gauche mexicaine et qui put, pour cette raison, influer sur beaucoup de moments politiques significatifs du pays. En 1981, à un moment où il jouissait d’une assez bonne santé, après 62 ans d’une existence mouvementée, le 20 e Congrès du Parti Communiste Mexicain, de façon unitaire et en pleine connaissance de cause, décide de se dissoudre. Cet acte donnera immédiatement naissance un nouveau parti qui réunit des expressions très variées de la gauche mexicaine, allant du nationalisme révolutionnaire au trotskisme, en passant par divers autres courants. Ainsi, bien avant qu’il ne fut possible de prévoir les événements qui conduisirent à la chute des pays « du socialisme réel » et à la crise qui en découla pour de nombreux partis communistes dans diverses régions du globe, le Parti Communiste Mexicain fut le premier, et dans ces circonstances le seul, à mener son autocritique au point de disparaître comme parti communiste. Ce fait tient à sa propre histoire, mais il y a aussi le revers de la médaille. Comme nous l’avons signalé, l’histoire du communisme au Mexique est, la plupart du temps, celle d’un courant mineur et marginal qui, malgré cela, avec ses particularités propres et son activité combative et persistante, a influé, à de nombreux moments, de manière importante, sur la vie politique du pays. Ainsi, son histoire est faite de brefs printemps et de grandes et obscures périodes de marginalité et de persécution qui le conduisirent à différents moments à sa liquidation effective, le communisme mexicain oscille aussi entre retard et anticipation, entre marginalité et avant-garde 1 . En d’autres termes, la premère chose que nous voulons souligner est que, bien que le parti communiste mexicain eut pratiquement toujours un nombre faible et restreint de militants, avec de maigres outils d’analyse et qu’en de longues périodes de leur histoire, ils se soient soumis au dogmatisme le plus primitif, ils surent néanmoins, dans la réalité propre et bigarrée de leur pays, dans la lutte constante des travailleurs, apprendre de complexes éléments qui enrichirent leur perspective et les conduisirent à prendre des positions et à 1 Malgré le risque qui implique l’utilisation d’un terme paradigmatique chez les communistes, qui se sont auto- désignés comme l’avant-garde de la classe ouvrière, avec une série de conséquences que je n’ignore pas, il a pour moi au contraire, une connotation précise et détaillée, et non pas cette définition génétique qu’il a acquis au sein de ce courant qui décrit des éléments substantiels de l’histoire mexicaine que nous allons développer.

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Le communisme au Mexique : entre marginalité et avant-garde Il est clair qu’il n’est pas possible, dans un travail de cette nature, de tenter une

reconstruction historique du communisme au Mexique qui aborderait, ne serait-ce qu’en première approche, tous les aspects qui la constituent. Consciente des limites inhérentes à cet écrit, j’ai choisi arbitrairement quelques thèmes que je considère comme importants pour donner une idée des particularités de ce courant dans un pays comme le Mexique, où les événements importants qui se sont passés au siècle dernier ont souvent beaucoup de poids.

Les événements révolutionnaires du début et du milieu du 20e siècle, qui fondèrent un nouvel Etat au Mexique, établirent un solide régime politique et modifièrent substanciellement la vie de la société mexicaine. Ils furent déterminants dans la constitution des aspects particuliers du communisme dans ce pays. En particulier, ces événements firent que, à la différence du communisme en Europe et d’une bonne partie de l’Amérique Latine, au Mexique ce courant ne parvint jamais à se constituer comme une force réellement ouvrière. Cela représenta, sans doute, sa plus grande fragilité et le condamna à être la majeure partie du temps un courant mineur et marginal..

Cependant, le communisme mexicain participa non seulement à tous les grands événements que vivait la classe ouvrière, mais parvint aussi à représenter la force politique la plus importante de la gauche mexicaine et qui put, pour cette raison, influer sur beaucoup de moments politiques significatifs du pays.

En 1981, à un moment où il jouissait d’une assez bonne santé, après 62 ans d’une

existence mouvementée, le 20e Congrès du Parti Communiste Mexicain, de façon unitaire et en pleine connaissance de cause, décide de se dissoudre. Cet acte donnera immédiatement naissance un nouveau parti qui réunit des expressions très variées de la gauche mexicaine, allant du nationalisme révolutionnaire au trotskisme, en passant par divers autres courants.

Ainsi, bien avant qu’il ne fut possible de prévoir les événements qui conduisirent à la chute des pays « du socialisme réel » et à la crise qui en découla pour de nombreux partis communistes dans diverses régions du globe, le Parti Communiste Mexicain fut le premier, et dans ces circonstances le seul, à mener son autocritique au point de disparaître comme parti communiste.

Ce fait tient à sa propre histoire, mais il y a aussi le revers de la médaille. Comme nous l’avons signalé, l’histoire du communisme au Mexique est, la plupart du temps, celle d’un courant mineur et marginal qui, malgré cela, avec ses particularités propres et son activité combative et persistante, a influé, à de nombreux moments, de manière importante, sur la vie politique du pays.

Ainsi, son histoire est faite de brefs printemps et de grandes et obscures périodes de marginalité et de persécution qui le conduisirent à différents moments à sa liquidation effective, le communisme mexicain oscille aussi entre retard et anticipation, entre marginalité et avant-garde1.

En d’autres termes, la premère chose que nous voulons souligner est que, bien que le parti communiste mexicain eut pratiquement toujours un nombre faible et restreint de militants, avec de maigres outils d’analyse et qu’en de longues périodes de leur histoire, ils se soient soumis au dogmatisme le plus primitif, ils surent néanmoins, dans la réalité propre et bigarrée de leur pays, dans la lutte constante des travailleurs, apprendre de complexes éléments qui enrichirent leur perspective et les conduisirent à prendre des positions et à

1 Malgré le risque qui implique l’utilisation d’un terme paradigmatique chez les communistes, qui se sont auto-désignés comme l’avant-garde de la classe ouvrière, avec une série de conséquences que je n’ignore pas, il a pour moi au contraire, une connotation précise et détaillée, et non pas cette définition génétique qu’il a acquis au sein de ce courant qui décrit des éléments substantiels de l’histoire mexicaine que nous allons développer.

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réaliser des actions quelquefois plus avancées et audacieuses que le reste du communisme mondial.

En réalité, bien que la plus grande partie de son histoire soit la même que celle des autres partis communistes, par certains aspects, le parti communiste mexicain ne rentre dans aucun schéma. De sorte que, par exemple, si les communistes cherchèrent ardemment à être une force et un parti des ouvriers, ils ne le furent certainement pas, excepté à de brèves et difficiles périodes ; si les communistes avaient du suivre les modèles généraux déterminés en accord avec leur idéologie et les caractéristiques du mouvement international auquel ils s’inscrivirent rapidement, ils ne le firent pas toujours et ils arrivèrent, y compris, à en donner des preuves étonnantes dans un milieu comme celui du communisme ; si, en concordance avec le retard du pays, son manque de tradition théorique et analytique fut constant, ils surprirent brusquement par la créativité de leurs idées.

Pour tenter de percer la cause de ces faits, des processus contradictoires, des conduites inespérées de ses acteurs, du paradoxe de nombreux aspects de son histoire, il est nécessaire de baser l’analyse sur la complexité singulière et spécifique de la réalité mexicaine sur laquelle les communistes ont toujours essayé d’influer, mais dont la compréhension ne se révèle pas aisée.

En réalité toute la vie politique du Mexique au 20e siècle fut marquée par ce fait constitutif2 que fut la révolution mexicaine de 1910, qui après la chute du dictateur Porfirio Diaz, conduisit à une sanglante guerre civile pendant plus d’une dizaine d’années3. Il en fut ainsi car les moments constitutifs ou catastrophiques ont la capacité de mettre la société entière en situation de reformuler ses modèles idéologiques et aussi – comme le dit René Zavatela – « ce que l’on peut appeler le « tempérament d’une société » En d’autres termes, la manière dont les sujets sociaux se conçoivent et conçoivent les autres dépend du rôle qu’ils jouent dans ces moments marquants. De la même façon, les formes particulières que prennent la domination et les caractéristiques spécifiques des institutions et de l’Etat lui-même répondent au moment et à la manière de sa constitution. C’est donc de cette révolution que naît l’Etat le plus consolidé et le plus fort d’Amérique Latine, uni par une idéologie nationaliste puissante, génératrice d’un régime corporatif et autoritaire, d’un présidentialisme absolu, d’une politique extérieure prestigieuse mais contradictoire. Produit de cette violente et longue lutte armée dans laquelle étaient immergés les Mexicains et qui a réellement décimé le pays, les choses au Mexique sont très souvent contradictoires. L’impulsion révolutionnaire de grands contingents, surtout de paysans, laissa son empreinte sur un pouvoir qui, cherchant à les représenter, avait besoin de les contrôler et de les assujettir. Pour ce faire, il fut édifié une histoire officielle comme instrument hégémonique qui incorpora, dans la même liste des fondements de la nation et des héros de la patrie, tous les programmes et revendications satisfaites ou à satisfaire , de même que tous les participants du mouvement armé, aussi bien les vaincus que les vainqueurs.

2 Nous entendons par fait ou moment constitutif ce que le théoricien bolivien René Zavaleta signale comme cause originaire fondamentale des faits sociaux. Sur cela – dans son travail sur l’Etat en Amérique Latine – il écrit : « ce qu’il convient d’analyser est d’où vient cette façon d’être des choses : les raisons originaires. Il y a un moment où les choses commencent à être ce qu’elles sont et c’est ce que nous appelons le moment constitutif ancestral, c’est-à-dire sa cause lointaine, ce que Marc Bloch appelle « l’image des origines ». René Zavaleta, El Estado en América Latina. Ed. Los amigos del libro, Bolivia, 1990, p. 180. 3 Après la fuite de Porfirio Díaz en France, Francisco I. Madero, leader de l’insurrection civique qui mit fin à la dictature de près de trente ans, fut président mais en 1912 ce dernier fut assasiné par le général Huerta, qui avait achevé la guerre civile

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Pendant des dizaines d’années le fondement de tous les événements au Mexique fut la Révolution Mexicaine (en lettres majuscules) ; n’importe quel acte du gouvernement ou de son parti fut réalisé en son nom. Considérée comme un fait immortel, perpétuel, toutes les forces politiques du pays, y compris les communistes, en resteront prisonnières malgré de multiples essais pour définir leurs caractères à travers les années, ou pour exalter sa réalisation ou pour critiquer son non accomplissement. Tel fut la force de ce dit acte constitutif. A partir de cela, les gouvernants pouvaient parler au nom des ouvriers et des paysans, exalter leurs luttes et leurs objectifs, se prononcer y compris pour le socialisme comme but, et en même temps diviser, contrôler, corrompre et réprimer non seulement ses groupes les plus combatifs et ses leaders rebelles, mais aussi l’ensemble des travailleurs. Il faudrait signaler que cette façon d’être contradictoire de l’Etat mexicain s’est aussi exprimé au niveau international. Du discours anti-impérialiste des premiers gouvernants post-révolutionnaires, en passant par l’antifascisme, l’appui résolu à la République espagnole, l’expropriation des compagnies pétrolières nord-américaines, l’exil de Trotsky qui se produisent pendant le cardenisme (dans la seconde moitié des années trente), jusqu’à la reconnaissance de la révolution cubaine et le refus des dictatures latino-américaines, comme celle de Pinochet, pour n’en mentionner que quelques-uns, l’image du Mexique à l’étranger fut toujours celle d’un Etat progressiste et solidaire. Au point que jusque dans les rangs de la gauche mondiale, on niait l’autre face autoritaire et dépendante des Etats-Unis, de sorte que l’appui international aux luttes et défaites du peuple mexicain fut toujours très marginal.4 Un moment conflictuel pour naître

Quand, en août 1919, l’appel à une conférence socialiste fut lancé avec pour but de créer un nouveau parti unitaire avec les diverses expressions de la gauche socialiste d’alors, le pays vivait encore, en réalité, des moments de grandes instabilités et de conflits permanents. Le Mexique était encore loin d’avoir réussi la consolidation de l’Etat naissant qui émergeait de la Révolution.

Cependant, le parti qui va surgir de cette conférence, enthousiasmé par les événements russes et confiant dans ses possibilités d’obtenir encore des conquêtes révolutionnaires de fond dans ce pays convulsif, va adopter, de façon accidentelle, le nom de Parti Communiste Mexicain, lors d’une réunion qui aura lieu en novembre de la même année et tissera des liens avec l’Internationale Communiste5 récemment formée.

Durant le processus de construction du courant communiste et de la consolidation de sa structure organisationnelle, les diverses difficultés et limites qui la maintiendront comme une petite force,6 qui s’ouvrait à peine un chemin dans la vie politique du pays, ne manquèrent 4 Un cas particulièrement dramatique fut le massacre de la Place des Trois Cultures à Tlatelolco, le 2 octobre 1968, avec laquelle s’est terminée la révolte estudiantine de cette année-là, dont on entendit peu de mots de condamnation de par le monde. 5 Vers le milieu du mois d’octobre 1919 vint à Mexico Michel Borodine, révolutionnaire russe qui avait été exilé aux Etats-Unis, et à qui, à peine rapatrié, on confia la tâche de retourner sur le continent américain afin d’y établir les relations officielles de la République soviétique naissante et d’impulser l’adhésion des groupes socialistes à l’Internationale communiste. Borodine, après avoir perdu les moyens de réaliser sa tâche (vraisemblablement des bijoux de la tzarine russe) n’arriva qu’au Mexique. Là il contacta quelques dirigeants du récent Parti Socialiste du Mexique, qu’il convainquit sans difficulté de changer le nom en Parti Communiste du Mexique et dont les délégués désignés assistèrent au 2e Congrès de l’Internationale Communiste. Bien qu’un Bureau latino-américain de l’Internationale Communiste fut installé, il ne semble pas avoir eu d’existence réelle. 6 Martínez Verdugo signale que, pour l’année 1925, le nombre d’adhérents était d’environ 200, en 1928 de 1500 et en 1929 de 3000. Ce dernier nombre de membres du parti, qui dans la situation mexicaine était perçu comme considérable, était le résultat de l’activité intense des communistes sur différents fronts, parmi lesquels la lutte armée contre le soulèvement réactionnaire de cette année-là. Cf. Arnoldo Martínez Verdugo, Historia del Comunismo en México, ed. Grijalbo, México, 1983, p.74

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pas d’être présentes, malgré sa participation notable à certains mouvements sociaux importants et certains mouvements de grève.7

Comme nous l’avons signalé, durant la première décade de la fondation du Parti Communiste Mexicain, le pays connut de fréquentes situations critiques, provoquées en grande partie par la persistance de l’emploi de moyens violents et de l’assassinat politique pour résoudre les différends entre les divers courants du mouvement révolutionnaire et constituer un nouveau groupe gouvernant. Ainsi en mai 1920, peu de mois après la fondation du P.C.M., le président de la République d’alors, Venustiano Carranza, qui, une fois vaincus les courants les plus radicaux d’Emiliano Zapata et Francisco Villa8, avait réussi à prendre la tête de la majorité des forces qui assistèrent au congrès constitutif de 1917, fut destitué par le soulèvement, au nord du pays, d’un autre chef militaire et caudillo de la Révolution, le général Álvaro Obregón, et assassiné peu après.

Après un intérim bref et conflictuel, le président Obregón fut élu à la fin de 1920. Il aura aussi à affronter divers soulèvements militaires durant son mandat, parmi ceux-là, l’un d’eux aura une relative importance vers la fin de son mandat.9 Obregón, à son tour, sera assassiné en 1928 alors qu’il venait d’être réélu une seconde fois.10

De telle sorte que, aux problèmes propres de ces premiers communistes, dont la majorité n’avait qu’une formation intellectuelle précaire, il faudrait ajouter la complexité d’une situation politique où, de manière sanglante, la logique même de la construction de l’Etat naissant et du nouveau bloc dominant devait se terminer par l’élimination de ses principaux leaders. Chacun d’eux fut l’organisateur de ses propres armées populaires qui durant de nombreuses années combattirent dans tout le pays. Durant ces années-là, le Mexique connut une situation permanente d’instabilité, pendant laquelle les gouvernants sortis des rangs révolutionnaires cherchaient à tout prix à contenir les élans rebelles d’une société hétérogène à bout de souffle qui dans la confusion des événements ne savait que faire et se laissait entraîner par la confrontation entre les groupes de militaires révolutionnaires. Par contraste, dans les secteurs des travailleurs de la ville et de la campagne, il semble qu’alors, en voulant nier que leurs désirs -- qui les avaient conduits à la souffrance de la

7 Au début de cette période se détache la grève des métayers dont les communistes prirent la tête à Veracruz et à Mexico de mai à juin 1922 et qui s’étendit aux autres villes du pays. Des rangs de cette lutte sortiront peu après les organisateurs des mouvements paysans impulsés par les membres du P.C.M. 8 Zapata et Villa furent, respectivement, les chefs militaires de l’Armée Libératrice du Sud (ELS) et de la Division du Nord de l’Armée Constitutionaliste, laquelle parvint, par moments, à être la force militaire la plus puissante du mouvement révolutionnaire. Les deux leaders s’unirent à la convention d’Aguascalientes face au carrencisme, poussés par un programme agraire plus radical. Bien qu’ils réussirent à prendre la capitale du pays, ils se retirèrent rapidement. Les déroutes militaires de Villa laissèrent l’ELS isolée. Bien qu’ils ne furent assassinés qu’en 1919 pour Zapata et en 1923 pour Villa, tous deux avaient déjà été vaincus par la position la plus modérée de la Révolution. 9 En décembre 1923, face à la candidature d’un autre révolutionnaire du groupe d’Obregón, De la Huerta, qui avait assumé l’intérim à la mort de Carrenza, réussit à organiser un rassemblement militaire complexe qui se souleva, affectant plus d’un tiers du pays. Malgré la présence parmi les mutins de quelques leaders des positions les plus avancées de la démocratie révolutionnaire, les communistes décidèrent de s’opposer au soulèvement delahuertiste et de participer à la lutte armée contre celui-ci. 10 Quand Alvaro Obregón termina son premier mandat en 1924, Plutarco Elías Calles, qui avait été un de ses plus proche collaborateur et son ministre de l’Intérieur, lui succéda à la présidence. A la fin de son mandat, Calles prétendait imposer quelqu’un de son équipe, mais Obregón présenta sa candidature et gagna. Juste avant son investiture, le 17 juillet 1928, Obregón fut assassiné dans un restaurant de Mexico. Grâce à cela, Calles réussit à imposer la candidature de Portes Gil, avec lequel débuta ce qui est connu sous le nom de maximato, puisque Calles était connu alors comme le Máximo Jefe de la Revolución.

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guerre civile --s’estompent, un secteur pris la relève de l’autre, face aux persécutions continues et aux déroutes dont ils étaient tous l’objet.

Face à la situation du pays, les communistes, comme la majorité des autres forces politiques du pays, se voient fréquemment dépassés par les événements et manquent d’éléments suffisants pour toujours comprendre et agir de façon adéquate dans cette dynamique contradictoire du Mexique post révolutionnaire. Cependant, sa volonté de réaliser l’unité et l’indépendance des travailleurs, comme moyen pour atteindre ses objectifs, les a encore guidé dans les moments très confus.

Dans ces premières années d’existence, les communistes reprennent le flambeau des luttes les plus avancées de la Révolution Mexicaine et s’implantent aussi bien dans le nouveau mouvement paysan qui émerge avec difficultés dans diverses zones importantes du pays, que dans la nouvelle et plus importante expression artistique du Mexique post révolutionnaire : le muralisme.11 Organisateurs constants, lors d’une étape pendant laquelle se multiplient les luttes ouvrières dans tout le territoire, ils inspirent non seulement la création de syndicats dans les branches où ils n’existaient pas, mais ils participent à la formation des premières tentatives d’association unitaire qu’aura la classe ouvrière mexicaine après la Révolution.

Dès la création du Parti Socialiste, il y eut quelques scissions pour des raisons assez bénignes, si bien qu’au niveau local demeurèrent de nombreux partis socialistes qui ne parvinrent pas non plus à trouver une expression partisane qui aurait eu une influence au niveau national12 ; ces scissions ne perdurèrent pas dans la constitution du courant communiste mexicain puisque, depuis pratiquement son origine, celui-ci se traduisit en un parti communiste unique. Ce ne sera qu’à partir des années 40 que se créera un parti socialiste (qui s’appellera finalement Parti Populaire Socialiste) comme une nouvelle tentative d’unir toutes les expressions de la gauche mexicaine mais qui très vite dérivera en organisation soumise aux desseins du pouvoir d’Etat et qui finira sans véritable force propre.

Lors de la constitution du communisme mexicain, l’influence et la participation active de militants étrangers, dont de nombreux nord américains, 13 fut assez importante. Certains

11 Diego Rivera, (1886-1957) vécut en Europe de 1907 à 1921 et s’associa à Paris au mouvement cubiste, se liant d’amitié avec Derain, Klee, Picasso, etc. Après un bref séjour à Moscou, où il décore la Maison de l’Armée Rouge, il rentre au Mexique et devient l’un des chefs de file du mouvement artistique révolutionnaire et de la renaissance de l’art monumental du pays. Au Mexique, Rivera commence à organiser ce qui s’appellera le Groupe Solidaire du Mouvement Ouvrier (Grupo Solidario del Movimiento Obrero) et qui un an plus tard donnera naissance au Syndicat des Ouvriers techniques, Peintres et Sculpteurs (Sindicato de Obreros técnicos, Pintores y Escultores) duquel se distingueront en plus de Diego Rivera, David Alfaro Siqueiros, Xavier Guerrero et Fermín Revueltas, et avec lequel collaborait aussi l’autre grand peintre mexicain, Clemente Orozco. Ce groupe d’artistes sera engagé par le ministre de l’Education (Secretario de Educación) pour peindre de grandes fresques dans diverses institutions de l’Etat. Les nouvelles idées et techniques picturales utilisées et le contenu révolutionnaire de ses œuvres donneront naissance à l’important mouvement connu sous le nom de muralisme. 12 Certains des fondateurs du Parti Socialiste qui avait conservé ce nom à un petit parti qui, peu après, rejoignit les rangs du PCM. 13 Parmi les fondateurs du nouveau parti se trouvaient quelques slackers éminents, déserteurs du service militaire américain durant la Première Guerre Mondiale. Beaucoup franchirent la frontière mexicaine dans le but d’échapper à la justice de leur pays, guidés par l’attrait d’un pays en pleine convulsion révolutionnaire. « Alors que la majorité des slackers – écrit Paco Ignacio Taibo II – fit du Mexique une terre d’exil temporaire, quelques uns, les plus courageux, les plus militants, surmontèrent les premières impressions, les premières craintes et se joignirent au mouvement mexicain. » Certains éditèrent au Mexique diverses publications qui contribuèrent à la diffusion de la pensée socialiste et des événements qui se déroulaient alors en Europe. Parmi eux se distinguent : l’indien Manabendra Nath Roy, les nord américains Richard Francis Phillips (connu sous le nom de Frank Seeman comme militant communiste) qui édita la page anglaise du périodique El Heraldo, et Lynn A.E. Gale, éditeur de la revue Gale’s Magazine, qui se sépara rapidement du PCM pour former un éphémère Parti Communiste du Mexique tentant de le faire reconnaître par l’Internationale Communiste. De plus, le premier secrétaire général du PCM fut José Allen, lui aussi d’origine nord américaine et qui se prêta volontairement à

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d’entre eux occupèrent des postes de direction et le représentèrent dans l’Internationale Communiste.14 A d’autres moments de son histoire, le PCM put compter sur la participation importante de communistes d’autres nationalités, comme c’est le cas remarquable du jeune cubain Julio Antonio Mella, qui durant les trois dernières années de sa vie, avant d’être assassiné en janvier 1929 par des mercenaires à la solde du dictateur Machado dans le centre ville de Mexico, eut une intense activité dans les rangs du PCM dont il fut aussi secrétaire général intérimaire. 15

Une des premières crises sérieuses, où le nouveau parti fut réduit à sa plus simple expression et dont il fut sauvé grâce aux jeunes qui venaient de créer la Fédération des Jeunes Communistes, eut lieu au moment où le gouvernement d’Alvaro Obregón décida, en mai 1921, d’expulser du pays « les étrangers rouges. » Ce qui eut aussi pour effet d’affaiblir les partisans de la collaboration entre communistes et anarchistes et de faire disparaître les deux autres petits partis qui rivalisaient avec le PCM.

En conséquence, les communistes mexicains établirent des liens avec les révolutionnaires centraméricains et participèrent aux efforts qui conduiront à la formation des partis communistes dans ces pays, plus particulièrement au Guatemala et au Salvador. Outre les multiples actions solidaires avec le Nicaragua de Sandino, ainsi qu’avec d’autres luttes latino-américaines, un dirigeant du PCM participa aussi à la fondation du Parti Communiste Cubain en août 1925, de même que Rafael Ramos Pedrueza, alors ambassadeur du Mexique en Equateur, contribua à l’organisation du PC de ce pays. Une première initiative au niveau du continent, en accord avec l’I.C., fut la création de la Ligue Anti-impérialiste qui vit le jour en 1924.

Malgré de multiples difficultés traversées, on peut affirmer qu’en 1929 le communisme bénficiait d’une reconnaissance nationale au Mexique ; il comptait sur de nouveaux dirigeants qui bénéficiaient d’une grande reconnaissance dans les secteurs des luttes populaires ; il était parvenu à consolider sa petite structure organisationnelle et ses militants

devenir un informateur des services de sécurité de son pays. Un autre étranger éminent du PC fut le suisse Edgar Woog (pseudonyme Stirner) qui s’intégra lui aussi plus tard à l’Internationale Communiste. 14 Les deux délégués du récent PCM au II° Congrès de l’I.C. furent, précisément, M.N. Roy et R.F. Phillips qui, en réalité, ne parlèrent pas au nom du parti qui les avait désigné mais au nom de leur pays respectif. Roy ne retourna jamais dans le pays qui lui avait donné asile pendant plus de deux ans et resta à Moscou en tant que fonctionnaire important du Komintern. Phillips revint un an plus tard accompagné du japonais Sen Katayama en qualité de fonctionnaire de l’I.C., afin d’établir ce que l’on nomma le Bureau Panaméricain de l’I.C. Des années plus tard, en 1924, le nord américain Bertram D. Wolfe, qui sera lui aussi membre de la direction du PCM en charge de la presse, assista au V° congrès du Komintern en tant que représentant des communistes mexicains. 15 Durant les trois années qui s’écoulèrent – écrit Arnoldo Martínez Verdugo – de son arrivée au Mexique à son assassinat, Mella déploya une intense activité organisatrice, théorique et politique. Il fut l’âme de la solidarité des mexicains envers le peuple de Cuba et l’organisateur de l’ANERC (Association des Nouveaux Emigrés Révolutionnaires Cubains – Asociación de Nuevos Emigrados Revolucionarios Cubanos) ; il édita des journaux, intervint dans de nombreuses assemblées et meetings, il impulsa activement la Ligue Anti-impérialiste des Amériques et de la solidarité avec Sandino ; il s’intégra pleinement dans les rangs du PCM et entre juin et septembre 1928, quand le secrétaire général assista au VI° congrès du Komintern, il fut secrétaire général par intérim. En tant que tel il voyagea à travers le pays, participant à des réunions des comités locaux, il rédigea des circulaires sous le pseudonyme de Joan José Martínez et participa intensément à la préparation de l’assemblée d’unification ouvrière et paysanne. Mais la part la plus importante de Mella au Mexique fut son travail théorique et de propagande dans les pages de Machete. Il revenait à Mella de faire découvrir le contenu des conceptions du péruvien Víctor Raúl Haya de la Torre, fondateur de l’APRA (Alliance Populaire Révolutionnaire Américaine), et de faire le lien entre la lutte anti-impérialiste et le programme national de la classe ouvrière. « Au moment de sa mort, Mella dirigeait la formation d’un groupe expéditionnaire qui allait entreprendre la lutte armée contre la dictature de Machado… » Ce fut la raison pour laquelle le dictateur envoya au Mexique des agents pour l’assassiner. AMV, Historia del comunismo en México, ed. Grijalbo, México, 1983, p. 105

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s’étaient enracinés dans divers secteurs sociaux. Naturellement, cela ne signifie pas que dans les périodes suivantes les crises ne seront pas cycliques et persistantes tant au niveau de la direction qu’au niveau de l’ensemble de l’organisation partisane des communistes.

« Au moment où ils s’apprêtaient à combattre à mort l’ultime insurrection militaire de la période post révolutionnaire16 – écrit Martínez Verdugo – les communistes purent faire un constat optimiste des premières décades de son travail saccadé. Ils avaient organisé et dirigé, en alliance avec les démocrates révolutionnaires, la plus importante organisation paysanne surgie dans le pays depuis la déroute et l’anéantissement des armées de Villa et Zapata. Comme résultat de leur audace et du grand travail parmi les ouvriers, ils donnèrent naissance à ce qui, alors, était la seconde centrale syndicale par son nombre et la première par son prestige et son autorité parmi les travailleurs. Sous l’influence des communistes se développait le mouvement culturel le plus transcendant de l’histoire du pays : la peinture murale, ainsi que de nouvelles expressions littéraires et musicales. Les liens du PCM avec l’aile radicale issue de la révolution de 1910 étaient plus forts que jamais, bien qu’ils furent toujours contradictoires. Le prestige des communistes n’avait jamais été aussi grand parmi les travailleurs et les intellectuels. »17

Ouvriers, Anarchistes et Communistes Comme nous l’avons signalé, dans l’histoire des communistes mexicains nous

trouvons - comme premier grand paradoxe - le fait que, bien qu’en se considérant comme l’expression (la plus avancée, disait-on) de la classe ouvrière mexicaine, ils n’eurent en réalité une force effective et importante sur ce mouvement qu’en de rares et éphémères occasions. Ce fait contradictoire conduisit donc le communisme mexicain, entre autres choses, à s’allier avec d’autres secteurs de la société au sein lesquels il se régénéra et où ils eurent souvent une présence et une importance plus forte. Pour cette raison et malgré son activité acharnée au sein des travailleurs, à certains moments, le communisme au Mexique est fondamentalement une force paysanne, et à d’autres moments un courant intellectuel et artistique ; à d’autres enfin, surtout une force estudiantine. Cependant, pour les communistes ce fut une frustration permanente de ne pouvoir être un parti ouvrier. L’absence de conditions est certainement la raison de leur répression constante et de leurs nombreuses défaites.

Il faut se souvenir qu’au Mexique la lutte ouvrière commença à acquérir une importance indéniable qu’à partir seulement du moment où les forces paysannes les plus radicales, qui pendant la Révolution formèrent des armées puissantes, furent vaincues. A la différence des autres pays latino-américains – pour ne pas faire référence, naturellement, aux travailleurs européens – les travailleurs mexicains manquaient d’organisations fortes et leur programme et leur idéologie étaient encore balbutiants, bien qu’ils aient livré constamment bataille contre la dictature de Porfirio Díaz, laquelle durant le dernier tiers du XIX° siècle soumis le pays à une coûteuse politique de développement dépendant des Etats-Unis et à l’asphyxie politique.

Bien que l’activité de l’AIT et, en particulier, l’œuvre des Communards de Paris, ne passèrent pas inaperçus aux yeux de la presse ouvrière mexicaine qui publia et diffusa partiellement quelques unes des œuvres de Marx vers le dernier tiers du XIX° siècle,-- à la différence de ce qu’il advint tant aux Etats—Unis que dans différents pays du Sud du 16 En mars 1929 des généraux menés par Escobar se soulevèrent ; ils réussirent à regrouper presque 30 000 militaires et à contrôler presqu’une dizaine d’états du pays. « Cette nouvelle émeute militaire – écrit Martínez Vedugo – n’était pas un fait isolé mais l’ouverture d’un nouveau front de lutte contre le gouvernement. Si nous prenons en compte que pendant cette période se poursuivait la guerre cristera et que peu après exploserait la grève étudiante pour l’autonomie de l’université, la rébellion des 44 généraux entraînait la crise politique à une acuité jamais vue depuis l’assassinat de Venustiano Carranza » Op. cit, p. 99 17 Op. cit, pp. 102-103

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continent-- au Mexique ce ne sera qu’à partir des préludes de la lutte révolutionnaire, qui secoua le pays dès 1910, que cette dite pensée trouvera les conditions pour sa diffusion.

Le courant qui, vers la fin de la Révolution, eut un poids et une présence plus importants parmi les travailleurs fut , sans doute, l’anarchisme. Un anarchisme qui dans sa traduction mexicaine, eut des particularités majeures : surgi dans les milieux libéraux et en lutte franche contre la dictature, le magonisme18 représenta un courant puissant de pensée qui alimenta les fondements principaux du mouvement armé initié en 1910. Partisan d’une révolution sociale qui parviendrait à l’égalité matérielle, convaincu que la Révolution Française avait conquis le droit de la penser sans y être parvenu dans la vie réelle19, Flores Magón exprima la pensée la plus avancée de la lutte des artisans et du prolétariat mexicain de la fin du 19ème siècle, donnant au mouvement ouvrier naissant un programme qui se révéla être l’appui fondamental des grands secteurs de la lutte armée qui s’acheva avec le régime porfiriste, en posant comme finalité une révolution sociale qui détruirait le régime capitaliste. En plus d’organiser et de donner son appui aux détachements ouvriers qui participèrent à la révolution, le magonisme et sa lutte pour la défense du niveau de vie et de la propriété communautaire des peuples indigènes du pays, résumaient dans le slogan de Tierra y Libertad, bannière que reprendra par la suite le zapatisme, le contenu de l’insurrection paysanne qui se produisit ces années-là. Plus tard, avant la lutte fratricide pour le pouvoir qui déchira le pays et abandonna les plus importantes revendications populaires du mouvement révolutionnaire, la pensée de Flores Magón se définit de manière plus ouverte aux préceptes anarchistes, position qui le mena à être condamné à vingt ans de prison aux Etats-Unis, où il mourut assassiné en 1922.

Au moment où se forme le PCM, les anarchistes ont encore une influence considérable sur le mouvement syndical qui résiste à la prédominance croissante du dit moronisme20, qui défend l’indépendance des groupements de travailleurs et soutient l’abstention dans la lutte politique électorale. Toutes ces positions étaient partagées alors par les communistes.21

18 Ricardo Flores Magón naquit le 16 septembre 1873 et mourut le 20 novembre 1922 dans la prison nord américaine de Leavenworth. En pleine domination porfiriste, le 07 août 1900, paraît le journal Regeneration fondé par Ricardo et ses frères. A partir de cette publication et de beaucoup d’autres, les Flores Magón firent la critique la plus incisive de la dictature et s’ébaucha le programme le plus radical qu’adoptera une bonne partie du mouvement armé. 19 « La Révolution française -- écrit R. Flores Magón, dans son livre Vamos hacia la vida – conquit le droit de penser, mais ne conquit pas le droit de vivre, et à prendre ce droit dont dispose les hommes conscients de tous les pays et de toutes les races. Nous avons tous le droit de vivre, disaient les penseurs, et cette doctrine humaine atteint le cœur de la glèbe comme un bienfait vigoureux. Vivre pour un homme, ne signifie pas végéter. Vivre signifie être libre et heureux. Nous avons, alors, tous droit à la liberté et au bonheur. L’inégalité sociale est morte en théorie quand est morte la métaphysique par la rébellion de la pensée. Il est nécessaire qu’elle meure dans la pratique. C’est vers cette fin que tous les hommes libres de la terre dirigent leurs efforts. Voici pourquoi nous, révolutionnaires, nous ne courons pas après une chimère. Nous ne luttons pas pour des choses abstraites mais pour du concret. Nous voulons la terre pour tous, pour tous du pain. Car forcément le sang doit couler pour que les conquêtes qui s’obtiennent bénéficient à tous et non à une couche sociale déterminée. » 20 Luis N. Morones fut le dirigeant de la Confédération Régionale Ouvrière Mexicaine (CROM – Confédéración Regional Obrera Mexicana) qui regroupait le courant modéré et possibiliste du syndicalisme mexicain, lequel tirait des expériences de participation des ouvriers au processus armé l’idée que les groupements de travailleurs devaient servir d’appui aux gouvernements révolutionnaires, (dénomination de la nouvelle bureaucratie étatique), comme façon d’obtenir des bénéfices pour les travailleurs. Rapidement le moronisme prit au syndicalisme nord américain ses pratiques de gangsters et de corruption qui se braqueront de manière violente contre les communistes et les anarchistes. 21 En 1920, face aux thèses de l’I.C. sur la participation parlementaire, le secrétaire général du PCM d’alors écrivit un article où il disait : « Nous ne croyons pas utile dans ce pays d’utiliser l’arme parlementaire, parce que nous sommes convaincus que nous ne pouvons rien faire avec cette arme (…) à quoi nous servirait d’entrer dans

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Malgré une montée évidente des grèves des ouvriers alliés aux anarchistes et aux communistes, ils impulsèrent en août 1920, la formation de la Fédération Communiste du Prolétariat Mexicain (Federación Comunista del Proletariado Mexicano) qui, quelques mois plus tard, (en février 1921) donnera naissance à la Confédération Générale des Travailleurs (CGT – Confederación General de Trabajadores), la même qui s’affilia « en principe » à l’Internationale Syndicale Rouge.

Selon la définition initiale que fit la CGT de ses objectifs, discutée de façon unitaire, on lit : « Pour pouvoir nous défendre et nous éduquer, ainsi que pour conquérir la complète émancipation des Ouvriers et Paysans, nous affirmons comme principe fondamental la LUTTE DES CLASSES, reconnaissant qu’il n’y a rien en commun entre la classe laborieuse et la classe exploiteuse, nous soutenons comme aspiration suprême le COMMUNISME LIBERTAIRE et comme tactique de lutte l’ACTION DIRECTE, exempte de toute politique bourgeoise. »

Cependant, cet effort pour regrouper les syndicalistes indépendants sera l’ultime effort important que feront ensemble ces deux courants car les désaccords, qui commençaient à exister sur la lutte politique, augmentèrent avec les conflits qu’affrontèrent les deux courants analogues au sein de la révolution russe.

Les dirigeants anarchistes de la CGT, qui avaient reconnu le PCM comme l’unique parti révolutionnaire apparenté à ses objectifs et qui en cette qualité lui donnaient le droit d’agir en son sein et d’être représenté dans ses congrès (ce qui dura un peu plus d’un an et demi), se retournèrent contre les jeunes communistes au point que ces derniers décidèrent d’abandonner la C.G.T. C’était au moment où les anarchistes menaient une campagne internationale contre les bolcheviques, ce qui se traduisit au Mexique par la scission de l’unique groupe d’ouvriers qui faisait face à l’offensive gouvernementale et au syndicalisme jaune.

Quand, lors de son II° congrès qui se tint en 1923, le PCM décide de participer aux élections présidentielles en appuyant la candidature d’un autre caudillo révolutionnaire : Plutarco Elías Calles, la séparation entre anarchistes et communistes est définitivement scellée. En 1925 l’entrée dans ses rangs de plusieurs députés lui permit d’obtenir son premier groupe parlementaire, 22 et ce n’est qu’en 1928 que le PCM présentera son propre candidat aux présidentielles.

De toute façon, dans la lutte au sein des travailleurs, la force des anarchistes diminuait. Pour sa part, une fois hors de la CGT, les communistes centrèrent leur activité dans d’autres secteurs qui, durant ces années, entrent sur la scène politique et, particulièrement, dans le mouvement paysan. En 1926 , ils réussissent à organiser le congrès d’unification paysanne, impulsé par les Ligues des Communautés Agraires (Ligas de Comunidades Agrarias) que les communistes avaient formées dans divers états de la République, d’où naîtra la Ligue Nationale Paysanne (Liga Nacional Campesina)

Dans son travail parmi les ouvriers, le PCM chercha à impulser des actions unitaires entre les deux centrales existantes, la CGT et la CROM. Cependant, l’action dans les syndicats était chaque fois plus difficile pour les communistes, particulièrement dans les groupes de cette dernière centrale. C’est seulement dans le syndicat ferroviaire, qui resta indépendant, qu’ils conservèrent une certaine force à partir de la grève que celui-ci organisa en 1921. les institutions de l’Etat, si dix ans nous ont montré la facilité avec laquelle se sont effondrées ces institutions (…) Les révoltes pour s’emparer du pouvoir politique et économique quand elles triomphent, on les doit aux masses utilisant des armes extraparlementaires. » Citation de Paco Ignacio Taibo II, Op. cit., p. 73 22 Bien qu’aucun d’eux ne fut élu comme membres du Parti communiste, Luis G. Monzón, Ursulo Galván, Francisco I. Moreno, Greforio Turrubiates et Roberto Calvo Ramirez rejoignirent ce parti en devenant députés.

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En réalité, comme on le verra clairement aussi bien dans la période cardeniste qu’immédiatement après, l’action gouvernementale, pour contrôler et soumettre à la tutelle de l’Etat les organisations ouvrières, représenta une œuvre colossale qu’aucune force ne put contrecarrer, malgré les énormes combats auxquels ils se livrèrent.

A partir de 1929, le PCM affrontera un processus complexe de réaction politique qui provoque un changement brutal de sa situation. Il devient brusquement, et pour la première fois, un parti légalement proscrit et persécuté avec l’intention clairement définie de le faire disparaître de la scène nationale. Situation qu’il récupérera cinq ans plus tard en réussissant à redevenir un fort parti de masses.

Comme préambule à la répression et comme résultat de la pression exercée par le gouvernement sur les leaders importants du PCM et des groupes que ce dernier dirigeait, pour que cesse toute opposition durant la lutte armée contre le soulèvement escobariste, il y eut une division dans les rangs communistes. Après la crise provoquée par l’assassinat de Alvaro Obregón et après avoir réussi à pacifier la rébellion cristera23, au milieu de la grande dépression le groupe gouvernemental mettra en route des processus d’institutionnalisation du régime présidentialiste à travers l’usage persistant de la force et de la violence politique contre ses adversaires. Comme première mesure, le gouvernement força au désarmement le mouvement paysan qui avait réussi à battre le soulèvement réactionnaire, il rendit illégal et poursuivit les groupements de travailleurs et leurs expressions politiques. Le 6 juin 1929, avec la saisie et la fermeture de ses bureaux, le PCM passa à la clandestinité durant les cinq années suivantes, pendant lesquelles des dizaines de ses militants furent assassinés et de nombreux autres emprisonnés. Face à l’interdiction de sa presse, il maintint clandestinement, grâce à de grands efforts, son périodique El Machete.

La politique anticommuniste du président de la République d’alors connut son apogée en janvier 1930, lorsqu’il décida de rompre ses relations avec l’Union soviétique avec pour motif l’appel de l’I.C. à protester contre le traitement infligé aux communistes mexicains.

En réalité, l’action contre les communistes n’était qu’une des expressions d’une attitude plus générale face à la lutte ouvrière. A cette période les rares grèves furent réprimées avec énergie, et une loi fédérale du Travail fut promulguée qui contraignait de manière importante le droit de grève même, en même temps que se généraient des mécanismes pour le contrôle des syndicats par l’Etat.

A ce moment-là, l’événement le plus transcendant politiquement fut la constitution du Parti National Révolutionnaire (Partido Nacional Revolucionario), en mars 1929, qui établit le principal mécanisme de contrôle corporatif qu’eut, à partir de ce moment, le régime politique au Mexique.

Durant ces moments difficiles, le PCM subit sa première scission importante et entama son processus de « bolchévisation », ce qui signifia immédiatement l’application de mécanismes sectaires « d’épuration »24, qui seront communs et très chers aux communistes du monde entier.

Ce ne sera qu’à partir de 1934, au début d’une des périodes les plus complexes et prometteuses du Mexique postrévolutionnaire, le cardernisme, lorqu’on commence à observer une nouvelle poussée de la lutte des travailleurs des villes et des campagnes. C’est alors qu’en 23 Le mouvement cristero, qui doit son nom à son slogan « Viva Cristo Rey », fut un soulèvement politico-religieux qui débuta en 1926 contre les mesures anticléricales du président d’alors, Elías Calles. Bien que le président suivant, Portes Gil parvint à certains accords avec la hiérarchie ecclésiastique, en lui accordant certaines concessions, le mouvement se maintiendra jusqu’en 1936. 24 Après l’exclusion du PCM du principal dirigeant de la Ligue Nationale Paysanne, Ursulo Galván et du peintre Diego Rivera, entre autres, le PCM entreprit une série d’exclusions dans le but « d’épurer le Parti des opportunistes de droite »

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plus de mouvements grévistes, se forment quelques importants syndicats tels que le Syndicat National des Mineurs et Métallurgistes (Sindicato Nacional de Mineros y Metalúrgicos). Dans cet environnement, le PCM décide de présenter comme candidat à la présidentielle celui qui était alors son plus grand dirigeant, Hernán Laborde, face à Lázaro Cárdenas, candidat du PNR dont il avait été le dirigeant pratiquement depuis son origine. Avec cet acte, sans aucune répercussion électorale, les communistes initièrent une complexe relation d’opposition/collaboration avec un gouvernement qui, devant la poussée de la lutte ouvrière et paysanne, répondit d’une façon par moments surprenante et dont les agissements marquèrent profondément la société mexicaine.

On a beaucoup écrit sur cette période complexe et passionnante de l’histoire du Mexique qui va de l’hagiographie officielle jusqu’aux études historiques critiques et rigoureuses. Cependant, l’action des communistes durant cette période a été peu analysée.

La politique suivie par Cardenas par rapport aux mouvements grévistes, se convertit rapidement en action ouverte d’encouragement à l’organisation syndicale unitaire. Dans cette situation les communistes impulsèrent la formation d’un projet unitaire le plus important qu’il y ait eu au Mexique, la Centrale des Travailleurs du Mexique (CTM) surgit en 1936 dont le programme laissa apparaître le socialisme comme objectif et dont le slogan proclamait « pour une société sans classes ». Des mois après la formation de la CTM, la grève des travailleurs agricoles de la région de la Laguna, au centre du pays, dirigée par les communistes, obligea Cardenas à commencer la grande réforme agraire pour laquelle plus d’un million de personnes avait perdu la vie lors de la Révolution de 1910, dont la majorité était des paysans.

Durant cette période de grande mobilisation des travailleurs et où le PCM accrut rapidement sa force une forte discorde eut lieu au sein du PCM qui se conclut par l’exclusion des communistes de la direction de cette Centrale, laquelle resta sous le contrôle ferme d’un groupe syndical rénové soumis, depuis lors et par-dessus tout, aux gouvernants en place, avec une politique corruptrice qui causa, et cause depuis cette date, les plus grands ravages à la lutte des travailleurs.

Dans ces conditions, l’organisation syndicale ouvrière comme celle des paysans, jointe aux militaires, furent incorporées par Cardenas à la structure du parti gouvernant qui, à son initiative, se réforma et changea son nom, fin 1937, pour celui de Parti de la Révolution Mexicaine (PRM)25

Cette même année, face à une explosion sociale croissante, si riche en événements26 et avec des résultats si contradictoires, le PCM, qui avait récemment rompu ses liens avec la direction de la CTM, commença un processus erratique, au cours duquel il perd sa position indépendante et développa une politique qui le conduira à la perte de son influence sur les masses et à une grave crise interne.

Entre autres choses, de sa position critique face à Cardenas et de la confiance entière dans le fait que ce ne serait seulement qu’avec la mobilisation des travailleurs de la ville et de la campagne que les réformes posées seraient atteintes, le PCM prend comme position de s’intégrer au parti étatique commandé par le président de la Réplublique, au moment où, bien qu’ils aient été expulsés de la direction syndical, il appelle ses adhérents à « l’unité à tout

25 Le Parti de la Révolution Mexicaine adoptera en 1947 le nom de Parti de la Révolution Institutionnelle, PRI, nom qui se maintiendra jusqu’à aujourd’hui. Il est intéressant d’observer que les noms successifs qu’adopta ce parti – dans lequel, comme nous l’avons signalé, fut le pilier essentiel du régime autoritairedu Mexique jusqu’en 2000—reflétèrent, entre autres choses, l’appropriation étatique du fait révolutionnaire de 1910. 26 En plus de la réforme agraire, qui a ouvert la voie à la propriété paysanne collective, et de la réforme éducative, qui proclama sa condition socialiste, en 1938 se réalisa l’expropriation des compagnies pétrolières, alors aux mains du capitalisme nord américain, il en va de même pour les chemins de fer.

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prix », avec lequel il abandonnait sa longue lutte contre le courant qui soumettra les ouvriers et les livrera au contrôle corporatif.

A partir de ce moment, le PCM se divise et entre dans une grave crise qui perdurera durant les deux décades suivantes. Avec l’exclusion, effectuée au 8e Congrès extraordinaire de mars 1940, des principaux dirigeants communistes accusés de trotskisme, , ce parti resta aux mains d’un groupe imprégné du dogmatisme le plus puissant, soumis complètement à la politique des communistes soviétiques (qui interviendront directement dans ce congrès) au moment le plus sordide du stalinisme. De cette façon, le PCM fut incapable, pendant les années obscures qui suivirent le cardenisme, de retrouver son influence dans les rangs du syndicalisme ouvrier et d’empêcher le démembrement des organisations indépendantes des travailleurs des villes et des campagnes, quelques-unes restèrent sous sa direction ou son influence.

Ce ne sera qu’à la fin des années 50, avec les révélations du 20e Congrès du PCUS qui frappèrent le monde communiste et avec la réapparition d’importants mouvements ouvriers et enseignants contre le contrôle corporatif et le gangstérisme des directions syndicales, apparaît qu’au PCM une nouvelle génération de militants qui déploya une importante lutte interne contre la vieille direction fossilisée de ce parti.

Avec le nouveau groupe dirigeant, mené par Arnoldo Martínez Verdugo et après la réunification des forces communistes, 27 le PCM commence lentement une profonde transformation qui le mènera à la recherche de chemins propres à son action. Après les positions sectaires et dogmatiques qu’avait conservé longtemps le PCM, ce parti, convaincu qu’il y avait une profonde dévalorisation de la lutte démocratique, commença une grande analyse qui lui permettra au fil du temps, d’intégrer l’objectif de parvenir à la démocratie non seulement comme élément fondamental à la transformation du pays, mais aussi comme la forme même de la lutte et de l’organisation. A partir là, le PCM abandonne beaucoup des schémas avant-gardistes et sectaires du communisme et commence une nouvelle ère qui lui permettra de s’intégrer de façon renouvelée aux mouvements sociaux qui se produisirent tout au long des années 60 au Mexique. D’importance particulière fut la participation résolue du PCM à la lutte estudiantine de 1968, au cours de laquelle ce parti fut l’objet direct de la répression gouvernementale : outre le fait que ses bureaux et son imprimerie furent attaqués et que beaucoup de ses dirigeants furent emprisonnés, le PCM fut accusé d’inciter le mouvement de jeunesse à déclencher une explosion révolutionnaire.

Simultanément, à travers les fronts électoraux qui unifieront une partie de la gauche, le PCM projette alors de reconquérir sa reconnaissance légale, ce qui lui manquait depuis les années 40, et qu´il n’obtiendra qu’après 1978, en organisant la dite Coalition de Gauche.

L’ouverture politique qui commençait à se répandre dans les rangs du PCM fit, entre autres choses, que ce parti, en dépit du fait qu’il ne partageait pas cette forme de lutte, fut de ce peu de partis communistes d’Amérique Latine qui ne condamnèrent pas l’activité guérilla qui émergeait avec force avec la révolution cubaine et, ensuite, avec la répression qui s’installa dans le pays après le massacre et la persécution des leaders étudiants de 1968. Cette attitude permit que plus tard, quand les groupes armés entrèrent dans une réflexion critique de leurs propres actes et méthodes, bon nombre de ses membres intégrèrent les rangs du PCM.

De la même façon, la nouvelle position du PCM lui permit dans la dernière décade de son existence, de réintégrer dans ses rangs une partie importante des intellectuels de gauche et à influer sur d’autres secteurs, comme les ouvriers agricoles et les indigènes pour lesquels ce parti aida à leur organisation propre et indépendante.

27 Après l’exlusion des principaux dirigeants du PCM, ceux-ci formèrent le Parti Ouvrier et Paysan du Mexique (POCM), auquel s’ajouteront les autres courants exclus du PCM. Au début des années 60, certains des principaux dirigeants de ce parti réintègreront les rangs du PCM.

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Le PCM et L’Internationale Communiste Bien qu’il n’existe pas une seule valorisation de l’importance de l’impact et du degré

de connaissance que le Mexique eut des événements russes de 1917, il est clair que ceux-ci ne passeront pas inaperçus et joueront un rôle important dans la constitution du nouveau courant communiste et dans la pensée d’un mouvement ouvrier qui, après la déroute des armées paysannes d’Emiliano Zapata et Francisco Villa, commençait à avoir une présence plus importante dans les luttes sociales du pays, bien que celui-ci resta jusqu’à la moitié du XX° siècle un pays essentiellement agricole.

Deux des plus importants représentants des positions les plus radicales du pays à l’époque révolutionnaire exprimèrent à ce moment-là leur sympathie pour les actions des révolutionnaires russes. Emiliano Zapata déclarait en février 1918 : « Nous gagnerions beaucoup, beaucoup y gagnerait la justice humaine, si tous les peuples de notre Amérique et toutes les nations de la vieille Europe comprenaient que la cause du Mexique révolutionnaire et la cause de la Russie invincible, sont et représentent la cause de l’humanité, l’intérêt suprême de tous les peuples opprimés. » Pour sa part, Ricardo Flores Magón exprimait depuis sa prison nord-américaine où il sera peu de temps après assassiné : « Nikolai Lénine, leader russe, est aujourd’hui la figure révolutionnaire qui brille le plus dans le chaos des conditions existantes du monde entier, parce qu’il se trouve à la tête d’un mouvement qui doit provoquer, que le veuillent ou non les vaniteux du système actuel d’exploitation et de crime, la grande révolution mondiale qui frappe déjà aux portes de tous les peuples ; la grande révolution mondiale qui opèrera des changements très importants dans le mode de cohabitation des êtres humains. »28

Les idées essentielles du socialisme, bien que rudimentaires et balbutiantes, étaient présentes dans les débats du Congrès Constituant de 1917, au cours desquels l’aile la plus radicale des députés révolutionnaires, beaucoup de ceux qui parlaient au nom du socialisme, impulsèrent les parties les plus avancées de la grande loi qui régira les Mexicains jusqu’à aujourd’hui, dans lesquelles les droits sociaux et ceux des travailleurs des campagnes et des villes resteront inscrits. De telle sorte que lorsque, deux ans plus tard, l’appel à la formation d’un parti unitaire des socialistes est lancé, les nouvelles vagues parvenues sur les événements survenus en Europe sont comprises comme actions pratiques de réalisation d’un projet que ce noyau de socialistes considérait comme sien.29

Quoi qu’il en soit, parmi les fondateurs du Parti Communiste Mexicain, les informations confuses que donnait la presse du pays sur les événements russes et ceux des autres pays européens ne firent qu’accroître leur enthousiasme et leurs espérances de faire revivre un mouvement populaire qui leur permettrait d’atteindre leurs utopies libertaires.

En ce qui concerne son programme et son idéologie, le communisme surgit dans le pays comme la partie de l’évolution du processus même qui secouait le pays jusqu’à ses fondements, mais tant dans la dénomination comme parti communiste que dans la définition

28 Cf. Arnoldo Martínez Verdugo, op. cit., pp. 18-19 29 Dans la convocation du Congrès Socialiste, qui devait se tenir du 25 août au 4 septembre 1919, nous lisons : « Nous espérons que les groupements des travailleurs syndicalistes et socialistes convergeront à ce congrès car il va se traiter de leur avenir, aujourd’hui que les idées socialistes sont mises en pratique par les bolcheviks russes, les communistes hongrois et les spartakistes allemands. » Malgré ceci, sûrement par ignorance de la grandeur du processus de division du mouvement ouvrier européen, le Congrès des socialistes mexicains décida d’envoyer des délégués au Congrès International qui aura lieu à Genève pour rétablir ce que nous connaissons sous le nom de Seconde Internationale. Des événements immédiatement postérieurs conduiront à changer cette décision et à ce que ces mêmes délégués aillent à Moscou et rattachent le nouveau parti à l’I.C. Cité dans AMV, p. 22

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face à la division des travailleurs européens en faveur du courant que dirigeaient les bolcheviks, l’intervention directe d’un envoyé de l’Internationale Communiste récemment formée est déjà présente comme nous l’avons signalé.

Cependant, le peu de connaissance et d’intérêt de l’IC pour l’Amérique Latine en général, et en particulier pour le Mexique, contribua de manière importante à ce qu’au moins pendant la première décennie de l’existence du PCM le groupement international auquel il s’était inscrit fut une référence lointaine, sans incidence majeur dans les affaires de ce parti.

Le représentant des communistes mexicains dans les discussions du III° Congrès de l’Internationale Communiste (qui comme nous l’avons déjà dit, est le premier congrès auquel ait assisté un délégué mexicain intervenant au nom du PCM), essaya d’attirer l’attention de l’IC sur la réalité latino-américaine. Les discussions furent centrées sur deux aspects importants dans le contexte politique et idéologique du mouvement syndical dans lequel agissaient alors les communistes : d’une part, la persécution dont furent l’objet les anarchistes de la part des bolcheviks russes, aspect qui fut discuté personnellement avec Lénine par une délégation de sept partis, dont le représentant mexicain, et d’autre part la question de la participation parlementaire des nouveaux communistes, sur laquelle le leader bolchevik avait centré sa discussion avec la gauche européenne et qui sera pour cette raison un des débats centraux de ce congrès international.30

Comme nous l’avons dit, il est certain que durant cette première décade d’existence, les relations du PCM avec l’organisme international furent très sporadiques et sans grandes répercussions, ce dû principalement à la distance et à la méconnaissance de l’Internationale de la réalité latinoamériciane. Pour sa part, il ne semble pas que les communistes mexicains aient suivi de près la lutte interne qui se déroulait au sein du parti bolchevique après la mort de Lénine. Ce ne sera qu’à partir de 1929, quand l’intervention de l’IC dans les affaires mexicaines commença à se révéler sous une forme franche et avec des effets négatifs.

En juin de cette même année eut lieu à Buenos Aires, sous les auspices de l’Internationale Communiste, la première conférence latinoaméricaine qui réunit les représentants de quatorze partis communistes. Sur cette réunion, Martínez Verdugo écrit :

« Ses travaux montreront l’impulsion qu’avait pris le mouvement communiste en Amérique Latine et dans le même temps son immaturité. Les représentants du Komintern, le suisse J. Humbert-Droz (qui apparaît dans les actes sous le pseudonyme de Luis), l’argentino-italien Victorio Codovilla, dirigeant de l’Internationale des Jeunes Communistes, Ghitor et d’autres, s’efforceront de transmettre aux partis latinoaméricains l’orientation du 6e Congrès de l’IC, spécialement la préoccupation pour le dit danger de droite, qui donnait à ses orientations une inclinaison sectaire très marquée, et la tare d’accrocher des étiquettes sans lien avec la réalité, comme d’appeler « fascistes » le gouvernement de Portes Gil et d’autres du continent.31

Un mois plus tard, dans les conditions difficiles que vivait alors le pays et la persécution dont faisaient l’objet les communistes mexicains, les envoyés de l’IC intervinrent directement dans le bilan que fit la direction du PCM, imposant la position sectaire et

30 Dans ses mémoires, Manuel Díaz Ramírez, qui en sa qualité de secrétaire national du PCM fut délégué au III° Congrès de l’IC, raconte que lors de cette réunion du groupe de délégués qui traitèrent avec Lénine du sujet de la persécution des anarchistes, le leader bolchevik interrogea le mexicain sur l’attitude adoptée au Mexique face à la participation parlementaire. Face à la réponse de Díaz Ramírez, où il expliquait la tradition dans le mouvement ouvrier des idées anarchistes, Lénine (selon Díaz Ramírez) répondit : « Je ne sais pas grand chose sur le Mexique, mais vu sa condition de pays dépendant, peu développé industriellement et avec un faible prolétariat, on peut peut-être accepter temporairement comme tactique, cette position antiparlementaire… » Cité dans Paco Ignacio Taibo II, Bolshevikis, Ed. Joaquín Mortiz, Mexico, 1986, p.134 31 Arnoldo Martínez Verdugo, op.cit., p.93

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gauchiste que maintiendra alors cette organisation. A partir de ce moment et avec la consigne de « bolcheviser » le PCM, ce parti exclut des militants remarquables perdant la force et l’influence qu’avait réussi à dévélopper en grande partie les intellectuels et les organisations de masse.

Malgré tout, il se peut que l’intervention stalinienne plus franche et nocive pour le PCM fut celle qui se produisit au Congrès de 1940 quand, à la façon avec laquelle les envoyés de Staline agissaient dans le reste des partis communistes, furent limogés les plus grands dirigeants du PCM et que fut désigné comme Secrétaire Général un obscur mais fidèle prosoviétique. Les causes de cette intervention n’étaient pas tant liées à l’attitude propre et de compromis avec les mouvements qui se développaient au Mexique de la direction destituée, laquelle était loin d’être indépendante ou critique face à l’autorité internationale des communistes, mais plutôt par l’intérêt que Staline avait porté au Mexique depuis que le gouvernement de Cardenas avait donné asile à Trotski. A ce moment-là les Soviétiques ne faisaient pas confiance à la direction du PCM. Selon le témoignage de Valentin Campa, un des plus importants dirigeants communistes exclus, l’action d’alors de l’IC était due au refus de la direction, menée par Hernán Laborde, de participer à l’assassinat du vieux bolchevique. 32

Après vingt ans de crise, plongé dans le plus grand dogmatisme et marginalité, le PCM récupéra, avec le nouveau groupe dirigeant surgi des principes des années 60, une position propre qui peu à peu se définit avec un sens critique clair face à la politique soviétique et à la situation du monde socialiste d’alors.

Quand se produisit la Révolution Cubaine, le PCM exprima toujours une position d’appui et de sympathie malgré d’importantes différences d’approche sur la façon de comprendre la réalité latino-américaine et, particulièrement sur l’idée qu’impulsèrent alors les dirigeants cubains, et qui trouva un grand écho dans la gauche du Continent, de développer des feux guérilleros comme le chemin ouvert à la transformation révolutionnaire de la région.

En 1968, le PCM suivit de très près les événements de Tchécoslovaquierr, face auxquels, premièrement, il exprima son identification avec les réformes initiées par Dubcek et, en suite, condamna ouvertement l’intervention des troupes du Pacte de Varsovie, qui, à son sens, avait pour but de stopper la démocratisation du régime. De la même façon, les communistes mexicains exprimèrent leur refus de l’intervention militaire soviétique en Afghanistan. Lors de ses dernières années, le PCM, en accord avec une attitude chaque fois plus critique de la situation du dit « socialisme réel » et avec le processus propre du rapprochement avec les diverses forces de gauche et progressistes su pays, il établit des relations avec des partis sociaux-démocrates européens ainsi qu’avec diverses gauches latinoaméricaines, au moment où il accroissait ses liens avec les partis eurocommunistes.

Avec toutes ces positions, qui dans le concert communiste et, particulièrement, en Amérique Latine étaient alors complètement extravagantes, le PCM fut considéré avec beaucoup de réserves par le PCUS.

A mon avis, le courant communiste au Mexique donna deux contributions parmi les plus importantes. D’une part, sa conception et sa position démocratiques qui lui permettront d’abandonner de nombreux schémas très négatifs de ce courant et de contribuer, de cette façon, aux transformations que le pays vivait ces dernières décades ; et, d’autre part, sa lutte persistante pour l’unité des gauches mexicaines, qui fut d’un apport substantiel.

32 Bien que le PCM considéra clairement Trotski comme un ennemi acharné et exigea son expulsion au moment même de son arrivée au Mexique. Ce parti exprima son rejet à tout moyen ou tentative d’élimination physique de Trotski, quand à titre personnel, un des plus remarquables dirigeants du PCM le peintre David Alfaro Siquieros, tenta, en mai 1940, un assaut raté de sa maison dans le but de l’assassiner. Comme nous le savons, l’assassinat du vieux leader russe fut commis par des agents directs du NKVD, le 20 août de la même année.

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Quand le PCM proposa en 1980 la création d’un parti unitaire, il avait déjà une pleine reconnaissance légale et un groupe parlementaire qui, bien que restreint, arrivait à ce que ses actions législatives aient une grande répercussion dans une société qui réclamait des changements démocratiques, et qu’il était parvenu à des alliances avec les trois autres partis de gauche et une présence croissante dans le milieu politique national. Pour arriver à cela, le PCM avait eu à livrer des grandes luttes aussi bien contre le gouvernement que contre son propre sectarisme et celui du reste de la gauche radicale du pays.

Il est important de souligner que, finalement, la construction de deux formations partisanes successives, juqu’à la création en 1989 de l’actuel Parti de la Révolution Mexicain qu’impulsa le courant communiste et auxquels il procura son registro électoral33, n’eut jamais la prétention de créer un parti unique de la gauche parce que le projet partait de la reconnaissance du pluralisme démocratique, aussi bien comme programme pour la société mexicaine que comme norme d’action et d’organisation de cette gauche. La mémoire du communisme mexicain L’étude du communisme mexicain est réellement précaire au point que, jusqu’à

aujourd’hui, de nombreux aspects demeurent obscurs et restent à déchiffrer et beaucoup d’autres simplement à étudier. Nous pouvons dire que trois auteurs ont donné les contributions les plus substantielles dans la sauvegarde de la mémoire de ce courant : en premier lieu, Arnoldo Martínez Verdugo, qui fut secrétaire général du PCM durant ces vingt dernières années, et qui, évitant toute tentation pour établir une histoire officielle (qui a toujours manqué à ce parti), initia et impulsa il y a plus de trente ans un courageux processus de révision et de récupération critique du communisme mexicain, tâche qu’il poursuit aujourd’hui encore.34 Le second est sans aucun doute, l’historien australien Barry Carr qui, tant avec son œuvre Marxist, communist and anarchist in the Mexican labour movement, qu’avec son livre le plus récent, Marxism and communism in Twentieth century in Mexico a donné une vision globale et aiguë du communisme mexicain depuis sa création jusqu’à sa transformation en partis successifs de la gauche unitaire. Le troisième est l’historien et romancier Paco Ignacio Taibo II à qui nous devons divers travaux importants qui le conduisirent à son rigoureux ouvrage Bolshevikis. Historia narrativa de los origenes del comunismo en México (1919-1925) dans lequel il montre son extraordinaire capacité à humaniser ces efficaces récits historiques.

Nommer ces trois auteurs ne signifie pas ignorer les multiples efforts qu’ont fait une quantité considérable d’analystes et d’historiens, militants ou non de ce courant, qui ont abordé des aspects ou des moments spécifiques concernant notre sujet, contribuant de cette manière à reconstruire une mémoire nécessaire.

Une bonne partie des efforts les plus importants se sont appliqués jusqu’à aujourd’hui à dégager le moment constitutif du communisme mexicain du sûrement à ce que, à cause des situations particulières de l’histoire du PCM, à laquelle n’échappèrent pas les autres petites expressions de ce courant, cette période soit restée dans l’oubli complet.

« L’histoire des premières années du communisme mexicain – écrit Paco Ignacio Taibo II – sombra peu à peu dans l’oubli. Le parti lui-même en rénovant son équipe dirigeante perdit les hommes de la génération 19-25. Pour servir le schéma communiste, on se souvient

33 Pour pouvoir participer aux élections, un parti politique doit remplir certaines conditions légales très strictes. 34 Certains des résultats les plus importants des recherches de Martínez Verdugo sont concrétisés dans deux écrits qu’il publia dans le livre Historia del comunismo en México, Ed. Grijalbo, Mexico, 1983, qu’il coordonna lui-même. Il avait publié auparavant un grand essai intitulé Partido Comunista Mexicano. Trayectoria y perspectivas, Ed. de Cultura Popular, Mexico, 1971.

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de cette étape comme « excessivement anarchiste » ou « pré bolchevique », et même la date de fondation du PC se dilua dans la mémoire collective du communisme mexicain. »35

De sorte que, lorsque dans les années 70 l’intérêt pour l’étude du parti communiste ressurgit, il fallut repartir à zéro. La création au début des années 80 du Centre d’Etudes du Mouvement Ouvrier et Socialiste (CEMOS), à l’initiative de Martínez Verdugo, une fois disparu en tant que tel le Parti Communiste Mexicain, où fut déposé les archives complètes de ce dit parti, contribua à enrichir et à alimenter, avec une plus grande précision, les travaux historiques sur le communisme mexicain.

Cependant, comme dans beaucoup d’histoires de ce courant, au Mexique nous n’avons pas été et ne sommes pas encore exempt des excès qui, dans une ou l’autre position, se commettent en racontant les faits qui ont forgé ce courant. Tant des positions militantes que de celles qui ne le sont pas, la charge idéologique est prédominante. Une date suscite de vifs débats, un événement est omis ; un autre souligné… C’est ainsi que se construit trop fréquemment une histoire adéquate aux idées préconçues d’un auteur.

D’où, dans un sens large, il reste une tâche en cours pour la connaissance rigoureuse de ce courant qui, sans aucun doute, fut présent dans la majeure partie de l’histoire sociale du Mexique au XX° siècle.

35 Taibo II, Paco Ignacio , Bolchevikis, Ed. Joaquín Mortiz, Mexico, 1986, p.298