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FLASH-INFORMATIONS Le congé paternité, un an après > DRESS En 2002, environ 250 000 pères ont eu recours à leur nouveau congé, soumis au même régime que le congé maternité. Ils ont ainsi pu profiter d’une suspension de leur contrat de travail pour une durée maximale de 11 jours (18 pour les naissances multiples), qui s’ajoute aux trois jours accordés et payés par l’employeur dans le cadre du Code du travail. La rémunération du congé, plafonnée à 63 euros quotidiens, est prise en charge par la Sécurité sociale. Une révolution très tranquille Le centre de recherche pour l’étude et l’observa- tion des conditions de vie (Credoc) a mené une étude qualitative dans les quatre premiers mois d’entrée en vigueur de la mesure. Soixante-quatre couples ont été interrogés, dont la moitié avaient choisi, ou pu choisir, de profiter du congé. Rien de contre-intuitif dans les perceptions recueillies : les pères sont heureux de prendre le congé pour « aider la maman », tant matériellement que moralement, et chacun se félicite de la meilleure reconnaissance du rôle du père que traduit la réforme. Pas non plus de bouleversement radical des rôles sexués : les exceptions existent, bien sûr, mais le bain et le change sont restés globalement du ressort de la mère, quand les pères ont pris en charge des acti- vités « moins délicates » (lever nocturne, courses…) et généralement plus ludiques dans le contact avec l’enfant. Les enquêteurs du Credoc, qui ont pris soin d’interroger les conjoints séparément, ont aussi constaté qu’après l’arrêt du congé l’investis- sement des pères marquait le pas, sans modifica- tion des comportements qui soit clairement impu- table à l’expérience du congé. De nombreux pères éligibles s’abstiennent Les chiffres montrent une bonne adhésion de la population au congé, qui est le plus souvent pris dans son intégrité. Les intéressés auraient donc rapidement su intégrer la mesure comme un droit. Reste que cet enthousiasme est à relativiser : à l’échelle des 792 000 naissances de l’année 2002, la proportion du recours au congé paternité est moins impressionnante : seul un petit tiers des pères en a profité. Plusieurs facteurs sont en cause, d’ordre massivement professionnel. Les contraintes sont financières, au premier chef : les professions libé- rales, les artisans ou les commerçants sont peu indemnisés, et ont pu craindre une perte de clien- tèle. Les cadres dont les entreprises ne rembour- sent pas la part salariale supérieure au plafond ont aussi pu hésiter, une nouvelle naissance n’étant pas perçue comme compatible avec la frugalité, même relative. S’il semble que le monde du travail ac- cepte globalement assez bien ces vacances, qui ont un fort capital de sympathie, la crainte d’une mau- vaise perception dans la hiérarchie semble néan- moins avoir joué. Certains emplois atypiques en termes d’horaires, compatibles avec une présence importante auprès de l’enfant, ont aussi pu générer une attitude du « ce n’est pas pour moi ». On peut enfin être assuré qu’un déficit d’information a sub- sisté, par exemple chez certains pères chômeurs, convaincus à tort de ne pas avoir droit au congé paternité (Fig. 1, Tableau 1). Maternités en France : un réseau en mutation En 2000, la France métropolitaine comptait 700 maternités, soit 16 % de moins que quatre ans auparavant : 29 disparitions par an. Paradoxale- > Revue Études et Résultats n os 225 et 228 ; mars 2003. Adresse e-mail : [email protected] (C. Romain). Journal de pédiatrie et de puériculture 16 (2003) 381–384 www.elsevier.com/locate/pedpue DOI: 10.1016/j.jpp.2003.09.002

Le congé paternité, un an après

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FLASH-INFORMATIONS

Le congé paternité, un an après >

DRESS

En 2002, environ 250 000 pères ont eu recours à leurnouveau congé, soumis au même régime que lecongé maternité. Ils ont ainsi pu profiter d’unesuspension de leur contrat de travail pour unedurée maximale de 11 jours (18 pour les naissancesmultiples), qui s’ajoute aux trois jours accordés etpayés par l’employeur dans le cadre du Code dutravail. La rémunération du congé, plafonnée à63 euros quotidiens, est prise en charge par laSécurité sociale.

Une révolution très tranquille

Le centre de recherche pour l’étude et l’observa-tion des conditions de vie (Credoc) a mené uneétude qualitative dans les quatre premiers moisd’entrée en vigueur de la mesure. Soixante-quatrecouples ont été interrogés, dont la moitié avaientchoisi, ou pu choisir, de profiter du congé. Rien decontre-intuitif dans les perceptions recueillies : lespères sont heureux de prendre le congé pour « aiderla maman », tant matériellement que moralement,et chacun se félicite de la meilleure reconnaissancedu rôle du père que traduit la réforme. Pas non plusde bouleversement radical des rôles sexués : lesexceptions existent, bien sûr, mais le bain et lechange sont restés globalement du ressort de lamère, quand les pères ont pris en charge des acti-vités « moins délicates » (lever nocturne, courses…)et généralement plus ludiques dans le contact avecl’enfant. Les enquêteurs du Credoc, qui ont prissoin d’interroger les conjoints séparément, ontaussi constaté qu’après l’arrêt du congé l’investis-sement des pères marquait le pas, sans modifica-tion des comportements qui soit clairement impu-table à l’expérience du congé.

De nombreux pères éligibless’abstiennent

Les chiffres montrent une bonne adhésion de lapopulation au congé, qui est le plus souvent prisdans son intégrité. Les intéressés auraient doncrapidement su intégrer la mesure comme un droit.Reste que cet enthousiasme est à relativiser : àl’échelle des 792 000 naissances de l’année 2002, laproportion du recours au congé paternité est moinsimpressionnante : seul un petit tiers des pères en aprofité. Plusieurs facteurs sont en cause, d’ordremassivement professionnel. Les contraintes sontfinancières, au premier chef : les professions libé-rales, les artisans ou les commerçants sont peuindemnisés, et ont pu craindre une perte de clien-tèle. Les cadres dont les entreprises ne rembour-sent pas la part salariale supérieure au plafond ontaussi pu hésiter, une nouvelle naissance n’étant pasperçue comme compatible avec la frugalité, mêmerelative. S’il semble que le monde du travail ac-cepte globalement assez bien ces vacances, qui ontun fort capital de sympathie, la crainte d’une mau-vaise perception dans la hiérarchie semble néan-moins avoir joué. Certains emplois atypiques entermes d’horaires, compatibles avec une présenceimportante auprès de l’enfant, ont aussi pu générerune attitude du « ce n’est pas pour moi ». On peutenfin être assuré qu’un déficit d’information a sub-sisté, par exemple chez certains pères chômeurs,convaincus à tort de ne pas avoir droit au congépaternité (Fig. 1, Tableau 1).

Maternités en France : un réseau enmutation

En 2000, la France métropolitaine comptait 700maternités, soit 16 % de moins que quatre ansauparavant : 29 disparitions par an. Paradoxale-

> Revue Études et Résultats nos 225 et 228 ; mars 2003.Adresse e-mail : [email protected] (C. Romain).

Journal de pédiatrie et de puériculture 16 (2003) 381–384

www.elsevier.com/locate/pedpue

DOI: 10.1016/j.jpp.2003.09.002

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ment, le pays faisait face à une augmentationconjoncturelle de sa natalité.

L’encadrement des restructurations

Cette dynamique de concentration n’est pas neuve,la restructuration est à l’œuvre depuis le milieu des

années 1970, mais elle s’est sensiblement accélérée.Une étape récente et marquante a été le décretpérinatalité du 9 octobre 1998. En échelonnant surtrois niveaux les établissements habilités à pratiquerles activités d’obstétrique, le législateur a vouludonner un cadre à l’orientation des grossesses àrisque. Une maternité de niveau 3 est dotée d’un

Figure 1 Estimation du nombre de bénéficiaires du congé paternité pour les trois régimes de sécurité sociale (CNAMTS, CANAM, MSA)et nombre de naissances en 2002.

Tableau 1Les conjoints interrogés par le Credoc

Les entretiens concernent des naissances intervenues au début de l’année 2002 et donnant droit à des congés paternité entre janvieret avril 2002.L’échantillon a été construit en deux temps :• 10 maternités ont été sélectionnées de manière à constituer un échantillon diversifié, en matière de statut (public/privé), delocalisation (petite/grande ville), de territoire (urbanisé/rural) et de taille. Les pères en visite ont été contactés ; une demande derendez-vous était adressée à ceux qui souhaitaient prendre le congé paternité, un court questionnaire était administré à ceux quidéclaraient ne pas envisager de le prendre ;

• parmi ceux prenant le congé a été sélectionné un échantillon de pères, diversifié en matière de nombre d’enfants (premierenfant/existence d’aîné(s)), de catégorie socioprofessionnelle, de type d’employeur, d’âge (moins de 30 ans, 30 à 35 ans, plus de35 ans). D’autres éléments qualitatifs ont été retenus : naissance multiple, profession de la mère{ À l’issue du congé paternité, unentretien approfondi auprès des pères et des mères a été mené, si possible séparément, généralement à leur domicile.Au total, l’analyse qualitative repose sur des entretiens passés auprès de 32 pères ayant pris leur congé paternité et leurs conjoin-tes et de 32 pères n’ayant pas pris de congé paternité.Ainsi, ont été interrogés :

Ayant pris le congé Père n’ayant pas pris le congéPère Mère

Catégorie socialeCadre 9 3 14Profession intermédiaire 7 9 2Employé 7 14 0Artisan, commerçant 1 0 6Agriculteur 0 0 3Ouvrier 8 2 2Au chômage 0 4 4« au noir » 0 0 1Âge30 ans au moins 10 18 1131 à 35 ans 15 9 8Plus de 35 ans 7 5 13Nombre d’enfantsPremier enfant 16 18Deux ou plus 13 14Jumeaux 3 0

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service de néonatalogie et de réanimation néona-tale, le niveau 2 implique l’un ou l’autre de cesservices, et le niveau 1 signale leur absence. En2000, 52,3 % des accouchements ont eu lieu dans lesmaternités de niveaux 2 et 3, soit une augmentationde près de neuf points depuis 1996. En effet, labaisse globale du nombre de sites et de lits s’est faitedans le contingent des maternités du niveau 1. C’estplus précisément le secteur privé sous OQN (objectif

quantifié national) qui a accusé la diminution de sonactivité obstétrique. Les maternités des niveaux su-périeurs sont très majoritairement sous dotation glo-bale.

À chaque grossesse sa maternité ?

Le décret de 1998 appelait à la collaboration régio-nale des maternités pour l’orientation des grossesses

Figure 2 Comparaison de la répartition des naissances des bébésde moins de 1500 g par niveau de classement des maternités.

Figure 3 Nombre de lits de niveaux 2 et 3 pour 1000accouchements par région en 2000.

Figure 4. Part des enfants nés de naissance multiple ou de poids de naissance insuffisant en maternité de niveau 1 par région.

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vers les structures les mieux adaptées. Dans l’inter-valle 1996–2000, l’adéquation entre les risques(naissances multiples, poids à la naissance, préma-turité{) et le type de maternité s’est globalementaméliorée. Cependant, un autre phénomène a étérelevé : près des deux tiers des femmes dont lesgrossesses étaient a priori sans risque accouchaientdans des maternités de niveaux 2 (33,5 %) et 3 (13 %).Ces chiffres peuvent être imputés au fait que patien-tes et médecins considèrent qu’un niveau élevé ap-porte des garanties, quels que soient les risquesréellement encourus (Fig. 2).

Inégalités territoriales

Un autre problème important réside dans lesdisparités régionales de la prise en charge des

grossesses à risque. Ainsi, si 34 % des naissancesmultiples qui ont eu lieu dans l’hexagone en 2000 sesont déroulés dans des maternités sans environne-ment de néonatalogie, la proportion variait trèsfortement d’une région à l’autre : de 3,4 % enAlsace à 45 % en Picardie. L’inégalité de la dotationen lits de niveaux 2 et 3 intervient évidemment enpremier lieu, ainsi que les problèmes d’accessibi-lité liés à la densité des maternités sur le territoirerégional. Passés ces éléments très concrets, l’effi-cacité des réseaux de collaboration entre les ma-ternités et la coordination générale de la pratiquepérinatale pourrait expliquer que malgré leur sous-équipement, des régions comme le Languedoc-Roussillon conservent des taux modérés d’enfants àrisque nés en niveau 1 (Figs. 3 et 4).

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