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LE COÛT DU TRAVAIL INTRAFAMILIAL Clotaire Mouloungui De Boeck Supérieur | Innovations 2005/2 - no 22 pages 139 à 158 ISSN 1267-4982 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-innovations-2005-2-page-139.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Mouloungui Clotaire, « Le coût du travail intrafamilial », Innovations, 2005/2 no 22, p. 139-158. DOI : 10.3917/inno.022.0139 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 13/04/2014 03h16. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 13/04/2014 03h16. © De Boeck Supérieur

Le coût du travail intrafamilial

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LE COÛT DU TRAVAIL INTRAFAMILIAL Clotaire Mouloungui De Boeck Supérieur | Innovations 2005/2 - no 22pages 139 à 158

ISSN 1267-4982

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-innovations-2005-2-page-139.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Mouloungui Clotaire, « Le coût du travail intrafamilial  »,

Innovations, 2005/2 no 22, p. 139-158. DOI : 10.3917/inno.022.0139

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Innovations, Cahiers d’économie de l’innovation n°22, 2005-2, pp.139-158.

Le coût du travail intrafamilial

Clotaire MOULOUNGUI1 Laboratoire Redéploiement Industriel et Innovation

Université du Littoral Côte d’Opale

Résumé / Abstract

L’activité des sociétés familiales et des entreprises individuelles bénéficie souvent de l’aide des membres de la famille. Il s’agit en général d’une aide purement gratuite. Mais cette situation de gratuité va progressivement s’arrêter. En voici les principaux motifs : lutte contre le travail déguisé, le travail au noir ; lutte contre le travail des enfants ; lutte contre la concurrence déloyale et le dumping social ; lutte pour le financement de la sécurité sociale au moyen des taxes sur les salaires. Les concepts juridiques utilisés par les législateurs et les juges sont ici le contrat de travail à salaire différé ; l’enrichissement sans cause ; l’amende.

The cost of intra-family work

The activity of the family and of the individual entreprises often

benefits from the assistance of the members of the family. In general, it takes the form of a purely free help. But this situation will gradually end. Here are the principal reasons: fight against disguised work; moonlighting, fight against the work of children; fight against unfair competition and social dumping; fight for the financing of the social security by means of wage taxes.

JEL K310, J490, J120

1 [email protected]

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La gratuité ou bienfaisance occupe une grande place dans la famille. Cela, malgré la multiplication et le renforcement contemporain des associations humanitaires1. En effet, c’est ré-gulièrement et gratuitement que se rendent quantité de services entre parents et alliés. Ces bienfaits comprennent pour l’essen-tiel l’hébergement, l’alimentation, le cautionnement, le prêt et la collaboration.

Sans doute l’hébergement ou l’alimentation des enfants par leurs père et mère va-t-il de soi. En réalité, d’autres membres de la famille, même plus âgés, peuvent en bénéficier. Et l’on imagine volontiers les secours procurés comme étant en natu-re. En fait, ils consistent parfois en un versement périodique d’une somme d’argent ou pension alimentaire2.

Les trois dernières de ces cinq manifestations de la solida-rité familiale abondent dans le monde des affaires. Notamment dans les petites structures où le fondateur crée un emploi auto-nome et surtout fructueux pour lui-même et/ou pour ses parents favorables au travail intrafamilial (co-familial).

Tant pour la création que pour la pérennité de son affaire (fonctionnement et développement), tout entrepreneur se félicite à coup sûr de bénéficier de cautionnements parentaux ou de prêts familiaux. À propos du cautionnement, il faut savoir que c’est le contrat par lequel une personne (la caution) s’engage par écrit envers le créancier à le payer si le débiteur lui-même s’avère défaillant3. Or, presque systématiquement, et même pour un bail commercial, les propriétaires exigent une caution des locataires dont la solvabilité leur paraît douteuse. Les banques aussi exigent qu’un tiers cautionne l’emprunteur. Pour mieux dire, le crédit consenti à une PME suppose un engagement personnel du chef d’entreprise comme caution, de même parfois que l’engagement de son conjoint et/ou des parents et beaux-parents. En l’occurrence, la banque compte alors davantage sur la pression morale parentale en vue d’une gestion sérieuse que sur une réelle capacité des cautions fami-liales à rembourser le prêt professionnel. Autrefois, la tierce personne s’engageant de la sorte était presque toujours un membre de la famille du débiteur. Pourquoi ? Parce que la cau-tion prenait le risque d’être réduite en esclavage si, le débiteur

1 A priori, il n’y a pas de dette de reconnaissance oppressante envers l’association bienfaitrice. Car l’association ne rappellera pas de temps à temps au bénéficiaire qu’elle lui avait rendu un service. 2 Cf. notre ouvrage, La solidarité familiale, L’Harmattan, coll. l’Esprit économique, Paris, 2004. 3 Pour le juriste, la caution est une personne, plutôt qu’une somme d’argent dé-posée en garantie.

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s’étant révélé mauvais payeur, elle (caution) n’arrivait pas non plus à éteindre la dette. Aujourd’hui encore, c’est surtout dans la famille que l’on rencontre les cautions, des cautions béné-voles.

Quant au prêt, il s’agit d’un contrat de mise à disposition gratuite d’un bien au profit d’une personne qui demande à en faire usage temporairement1. Peut-être parce qu’un tel contrat fait penser à l’existence de liens familiaux et au devoir de solidarité inhérent, son fonctionnement est très favorable à l’emprunteur. Par exemple, à défaut d’accord amiable, le bien ne peut être repris qu’à la date fixée. En l’absence d’échéance contractuelle, l’emprunteur doit préalablement avoir pu utiliser ce bien pour l’usage convenu. Sauf si le prêteur démontre qu’il éprouve lui-même un besoin urgent et imprévu. Autrement dit, prêter devient finalement donner quand une date de restitution n’a pas été prescrite. Or, le local et le capital social de l’entre-prise proviennent souvent d’une pareille générosité des parents2.

Enfin, la collaboration familiale désigne l’assistance appor-tée au parent dans ses activités ménagères ou professionnelles. Une attitude qui permet à ce parent d’accomplir des tâches qui pouvaient lui sembler désagréables, difficiles ou impossibles. Tout naturellement, les relations de famille liant les intéressés font supposer que l’intervention est bénévole. Il y a d’ailleurs des services que personne n’imagine devoir payer, même dans les relations avec un étranger à la famille. Par exemple, si une mère bénéficie de l’aide d’un passant pour monter la poussette de son bébé dans le bus.

Qui plus est, le Code civil prévoit le devoir d’assistance comme conséquence directe du mariage, à côté du devoir de fidélité et du devoir de secours. On comprend alors qu’une

1 En cas de contrepartie financière au profit du propriétaire, il convient plutôt alors de parler de location. 2 Encore que la gratuité ne concerne que le prêt d’un bien restituable tel que reçu. Ce qui n’est pas le cas des biens consomptibles que sont notamment les denrées et l’argent. Chacun sait qu’un prêt d’argent est susceptible de rémunéra-tion au moyen d’un taux d’intérêt. Certes, l’emprunteur ne payera valablement d’intérêts que si, d’une part, les pourparlers en ont fait état. Et si, d’autre part, un écrit l’atteste. À défaut d’écrit, le prêteur n’aura droit qu’à des intérêts légaux, lesquels sont toujours plus faibles que des intérêts conventionnels. Néanmoins, les sentiments de gêne et de confiance qu’il y a entre parents empêchent bien souvent d’établir un contrat écrit. Par conséquent, ce ne sont pas seulement les intérêts qui peuvent se trouver compromis en cas de mauvaise foi du débiteur. Car, pour obtenir ne serait-ce que la restitution du capital prêté, il faut préalable-ment prouver l’avoir versé. Puis, prouver l’avoir versé à titre de prêt. En effet, une remise d’argent à une personne peut être considérée comme un rembourse-ment ou comme un cadeau, et non point nécessairement comme un prêt.

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épouse ou qu’un époux travaille sans rémunération dans l’entreprise artisanale, commerciale ou agricole de son conjoint. Dans le même sens, une gratuité du service rendu par d’autres membres de la famille se défend avec suffisamment de vraisemblance. L’idée est la suivante : s’ils ont le droit de bénéficier d’une aide de leur parent, pourquoi n’auraient-ils pas, en sens inverse, le devoir d’utiliser bénévolement leur force de travail au profit de ce parent. Sans compter que les missions exécutées ne sont pas forcément lucratives pour le parent bénéficiaire de leur concours.

Précisément, ne doit-on pas adopter le raisonnement contraire quand, cette fois, l’activité en question enrichit le parent ? Du reste, n’est-il pas proverbial que « tout travail mérite salaire » ? En fait, la gratuité habituelle des prestations de service intrafamiliales s’éclipse parfois. C’est que, en pur droit, l’éventualité d’une rémunération pour le travail fait dans sa propre famille ne souffre pas d’opposition de principe. Du moins, depuis que la Cour de cassation a précisé que les professionnels libéraux soignant des membres de leur famille doivent être remboursés par la sécurité sociale, comme leurs confrères, sans discrimination fondée sur la parenté. Il n’empê-che que l’on peut songer à dénoncer la cupidité et la mauvaise foi probables du demandeur. Car n’est-ce pas surprendre mesquinement son proche que lui réclamer après coup une indemnité dont jamais il n’avait été question à l’origine ?

Et pourtant, les problèmes sont surtout pratiques. Il se trouve en effet que la question d’une éventuelle rémunération est généralement soulevée une fois le travail effectué, et parfois après des décennies. C’est le cas si une personne divorçant demande à être payée par son conjoint pour toutes les écono-mies qu’elle lui a permis de réaliser en lui évitant de salarier une secrétaire, une comptable, une serveuse ou une cuisinière par exemple. Au moins deux soucis émergent subséquemment. D’une part, la reconstitution exacte de la carrière de l’intéressé découragera, puisque peu de documents attesteront des quali-fications et des postes qu’il aura successivement occupés dans l’affaire familiale. D’autre part, les sommes alors rétroactive-ment dues s’avéreront si importantes que leur paiement ruine-rait le débiteur. De plus, à l’époque du recours, cet employeur familial ne conservera peut-être plus grand-chose de l’activité lucrative à laquelle le demandeur aura collaboré. Au fond, le di-lemme est l’insatisfaction d’admettre soit l’enrichissement in-juste de l’un, soit la ruine certaine de l’autre.

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Cela étant, des parents ne saisissent un tribunal pour une difficulté intrafamiliale qu’en dernier recours ; quand un règle-ment amiable n’a pas été possible. Mais pour saisir ce tribunal à bon escient, il faut disposer d’une action en justice. Or le droit n’en prévoit pas systématiquement au profit des personnes serviables. En d’autres termes, prouver concrètement s’être dépensé pour autrui ne suffit pas toujours pour obtenir gain de cause. C’est afin d’éviter au travailleur intrafamilial cet obstacle de principe que les autorités politiques ont inventé le concept de contrat de travail à salaire différé, dans une loi aujourd’hui septuagénaire, ensuite étendue en 1989 puis en 1999. Confor-mément à cette fiction juridique, le tribunal devra considérer qu’un contrat avait été passé entre les protagonistes.

Toutefois, l’utilisation de cette notion de salaire différé est strictement circonscrite. Si bien que beaucoup de parents ne sont normalement pas en mesure d’empêcher la gratuité de leur travail intrafamilial. Par sollicitude pour eux, et bien avant le vote des lois précitées, les juges inventaient déjà des raison-nements juridiques fondant leur recours judiciaire lucratif. La principale de ces jurisprudences rémunératrices du travail pa-rental est l’enrichissement sans cause. Ainsi, la gratuité du tra-vail fait pour sa famille n’est qu’apparente ; une rémunération peut advenir.

Dès lors, la personne promotrice d’une activité entrepre-neuriale peut carrément préférer employer des personnes étrangères à sa famille. Ou bien, si nécessaire, elle emploiera clairement les parents et alliés comme salariés à part entière. De la sorte, point d’exigence financière parentale impromptue et déstabilisatrice dans l’avenir. Cette précaution n’est certaine-ment pas excessive. Surtout pas maintenant que le travail dans la famille est de plus en plus mal vu par la société française. Des sanctions sont effectivement encourues dans des cir-constances qui, jusque-là, étaient indifférentes aux autorités publiques. En fin de comptes, la gratuité du travail intrafamilial est contredite par au moins trois facteurs qu’il conviendrait d’approfondir tour à tour. À savoir : 1) la fiction légale d’un contrat (familial) de travail à salaire différé ; 2) les jurispru-dences rémunératrices du travail intrafamilial ; 3) les sanctions dissuasives du travail intrafamilial.

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LA FICTION LEGALE D’UN CONTRAT DE TRAVAIL A SALAIRE DIFFERE

Le contrat de travail à salaire différé est une présomption

d’après laquelle, en matière agricole, la loi considère a priori qu’il existe un contrat de travail entre les deux parents. Le tra-vailleur bénéficiant de cette sollicitude légale est le descendant qui a travaillé avec son père (ou avec sa mère), alors peut-être que ses frères s’installaient en ville. Ces derniers ne doivent pas recevoir la même part d’héritage que le frère paysan. Désor-mais, le même avantage est reconnu au conjoint survivant de l’agriculteur, de l’artisan et du commerçant. Mais, dans les deux hypothèses (enfants ou conjoints), le bénéfice de la pré-somption légale suppose réunies plusieurs conditions. Le cas échéant, le travailleur se voit reconnaître une créance rétroacti-ve de salaires présentant d’intéressantes caractéristiques.

Les conditions de bénéfice du salaire différé

Ce sont en premier lieu les descendants (fils, petits-fils) de

l’exploitant agricole qui peuvent prétendre à un salaire différé. Pourvu, deuxièmement, qu’ils aient participé directement et effectivement à l’exploitation. En outre, leur activité doit avoir été bénévole ; ce qui signifie qu’ils n’auront pas reçu de « salaire en argent » ou une part des bénéfices (dividendes). Enfin, ils doivent être âgés de plus de dix-huit ans ; ce qui semble con-sacrer la gratuité du travail des mineurs. Sans doute l’équité justifiera-t-elle qu’un jour cet avantage financier profite aussi aux enfants collaborateurs des chefs d’entreprises commer-ciales, artisanales, etc.

En parlant de « salaire en argent », le Code rural semble exclure d’éventuelles contreparties en nature servies à l’enfant. Seulement, comment prouver n’avoir jamais reçu de salaire ? Cette difficulté de preuve est atténuée à la fois par l’acceptation de tout moyen de preuve et par la compassion des juges. En général, il suffit de démontrer la fragilité des arguments des cohéritiers hostiles au versement du salaire différé. En vue de faciliter la preuve, le Code rural recommande de déclarer la collaboration agricole chaque année à la mairie. Cette dernière devant viser la déclaration et donner récépissé.

Une difficulté plus grande est la qualité de la participation. Car une décision récente de la Cour de cassation pose que « seule la participation directe et effective à l’exploitation agricole, exclusive de la seule exécution de tâches ménagères, fait naître au profit du descen-

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dant de l’exploitant agricole une créance de salaire différé à l’encontre de la succession de ce dernier »1. C’est un arrêt injuste et fragile juridi-quement.

Concrètement, dans cette affaire, trois enfants succédaient à leur père mort en 1995. Or l’une des filles et le garçon refu-saient un partage purement égalitaire. Ils souhaitaient que soit d’abord prélevé à leur profit un salaire différé sur la succession. La fille recevrait 546 762,66 francs et le garçon 306 744,52. Le tribunal a jugé leur exigence bien fondée ; mais pas la cour d’appel d’Amiens. La raison a été le défaut de preuve, par la fille, de sa participation directe et effective à l’exploitation. Elle aurait pu prétendre s’être occupée de l’élevage, des cultures, des productions agricoles, etc. Finalement, des tâches ména-gères, même effectuées dans l’intérêt commun et durant de longues années, ne satisfaisaient pas aux exigences légales de participation directe et effective. Du point de vue de l’équité, il est regrettable que la division du travail adoptée par les membres de la famille ait ainsi fini par pénaliser celle d’entre eux qui s’occupait d’une tâche particulière. Encore autrement dit, la femme au foyer, dont la charge n’était pas nécessaire-ment moins pénible s’est trouvée sacrifiée. Tout au plus pou-vait-elle recourir à l’action de in rem verso dont on verra l’incer-titude des résultats2.

Selon le Code rural, le conjoint du descendant (gendre ou bru de l’exploitant) est aussi présumé bénéficiaire d’un contrat de travail à salaire différé, en remplissant la condition de parti-cipation directe et effective. Toutefois, si le couple se sépare par la faute exclusive du conjoint qui n’est pas le descendant de l’exploitant agricole, le droit au salaire différé disparaît pour lui. A contrario, il sera payé du moment que le divorce n’a pas été prononcé à ses torts exclusifs. Au cas de mort du fils de l’exploitant, le conjoint de ce dernier cessera aussi d’être regardé comme créancier d’un salaire différé pour l’avenir. Il n’importe pas qu’il continue de travailler dans l’exploitation agricole de la belle-famille. Néanmoins, la règle est écartée si le couple avait un enfant mineur ou étudiant dans un établis-sement agricole. Alors, le droit au salaire différé s’arrête seu-lement à la majorité de l’enfant ou à la fin des études de celui-ci. À cet égard, les enfants et petits-enfants du descendant

1 Cass. 1re civ., 22 oct. 2002 ; Mme Lemal c/ M Larzillière et a. : Juris-Data n° 2002-015972 ; Bull. civ. I, n° 241 ; JCP G 2002, IV, 2942 ; M.-O. Gain, Le créancier du salaire différé dans la jurisprudence récente : JCP N 2003, 1231, spéc. p. 489. 2 Cf. infra.

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n’ont droit à rien si ni eux ni leur mère n’avaient travaillé sur le fonds rural et s’ils ne sont ni mineurs, ni étudiants agricoles.

Le conjoint survivant du chef de l’exploitation prémourant s’est enfin vu reconnaître un droit au salaire différé en 1999. Bizarrement, sa participation directe et effective à l’exploitation agricole ne suffit pas : il faut que la collaboration ait duré dix ans au moins. Pour ainsi dire, après une telle période décen-nale, la gratuité des services rendus deviendrait intolérable. Dix ans plus tôt, le 31 décembre 1989, la même faveur avait été faite par une première loi à d’autres conjoints d’entrepreneurs prédécédés. En effet, dit cette loi, « le conjoint survivant du chef d’une entreprise artisanale ou commerciale qui justifie par tous moyens avoir participé directement et effectivement à l’activité de l’entreprise pen-dant au moins dix années, sans recevoir de salaire ni être associé aux bénéfices et aux pertes de l’entreprise, bénéficie d’un droit de créance »1. Toutefois, le droit salarial d’un conjoint survivant est moins important que celui des enfants (ou des descendants et con-joints de ces derniers). Les qualités de la créance de salaire différé

Il convient d’examiner, l’un après l’autre, le calcul du mon-

tant du salaire différé, puis les garanties dont le bénéficiaire est entouré en vue d’en jouir assurément.

Tout d’abord, le salaire est rétroactivement reconnu sur dix ans au descendant ou à ses enfants lui ayant survécu. Pour chacune des années, la somme exigible correspond aux deux tiers de 2080 SMIC horaire. Le SMIC de référence est celui de l’année du partage de l’héritage de l’ascendant, ou celui du par-tage anticipé de son patrimoine par ce dernier à ses descen-dants (donation-partage). Au taux de 3 euros, cela se chiffrerait à une somme de 4160 euros par an et de 41 600 euros sur 10 ans.

Mais un conjoint survivant dispose d’un droit financier quantitativement moindre de celui de chacun de ses enfants, brus ou gendres travaillant à la ferme. Il ne peut en effet réclamer que trois années de SMIC. Et la somme en question ne doit pas dépasser 25% de l’héritage laissé par son conjoint prédécédé. Ces limitations financières s’appliquent aussi au conjoint survivant d’un artisan ou d’un commerçant.

1 Loi n° 89-1008 relative au développement des entreprises commerciales et arti-sanales et à l’amélioration de leur environnement économique, juridique et social (JO 2 janv. 1990).

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On peut reprocher à ce système la tardiveté du salaire, puisqu’il faut attendre soit la mort de l’ascendant, soit sa décision de procéder à une donation-partage. Ce qui oblige le descendant à vivre chichement dans l’intervalle. Par ailleurs, le bénéficiaire de la créance de salaire différé ne peut la céder. Ni à son épouse, ni encore moins, à des tiers à la famille. Seuls ses enfants et petits enfants peuvent y prétendre.

Pour que le versement soit certain, le Code rural et la loi de décembre 1989 relative au commerce et à l’artisanat prévoient plusieurs précautions. Par exemple, si l’exploitant avait fait des donations et que l’héritage s’avère par la suite insuffisant à couvrir les dix ou trois années de salaires différés, les dona-taires rapporteront la partie de biens permettant le paiement. D’un autre côté, les salaires différés sont garantis (comme tout salaire), par un privilège portant à la fois sur les meubles et les immeubles de la succession. C’est dire que des biens de celle-ci seront vendus à son profit exclusif. Le salarié intrafamilial sera ainsi payé avant les autres créanciers de l’agriculteur, de l’arti-san ou du commerçant. Son privilège lui permet d’exiger son dû avant même le Trésor public et l’Urssaf (sécurité sociale).

En tous cas, les sommes reçues par un héritier au titre de son salaire différé pour sa participation à l’activité agricole fa-miliale ne sont pas soumises à l’impôt sur le revenu. En outre, il n’a pas à payer le droit de mutation habituellement exigible aux héritiers. La perception du salaire différé ne donne pas non plus lieu à collecte d’un droit d’enregistrement.

Il est indifférent qu’au moment de son décès l’employeur intrafamilial ait pris sa retraite. En effet, l’abandon de l’activité agricole, par exemple, n’éteint pas le droit de créance du descendant, du conjoint, de la bru ou du gendre qui aura parti-cipé à l’exploitation agricole. Un raisonnement par analogie permet de conclure à la même solution à l’égard du salaire dif-féré dû au conjoint du chef d’une entreprise artisanale ou com-merciale. Rappelons que, dans ces deux types d’entreprises, les enfants, les brus et les gendres n’ont pas droit au salaire différé. Heureusement pour eux, les juges s’efforcent de rétribuer leur contribution intrafamiliale.

LES JURISPRUDENCES REMUNERATRICES DU TRAVAIL INTRAFAMILIAL

Ici, la jurisprudence est la façon dont les juges tranchent

une question donnée chaque fois que celle-ci leur est soumise.

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Ici, la question est celle de la rémunération du membre de la famille qui a travaillé pour un parent et qui veut finalement se faire payer. La solution jurisprudentielle est l’ignorance d’un tel recours. Néanmoins, quelquefois, les juges se montrent géné-reux. En effet, et malgré l’absence de texte favorable au recours, les juges parviennent à conclure à l’existence d’un contrat de travail là où, pourtant, l’on ne devrait pas du tout en voir. Dans les cas où il apparaîtrait trop audacieux d’alléguer l’existence d’un pareil contrat, ces juges font alors appel à la théorie de l’enrichissement sans cause. La présomption jurisprudentielle de contrat de travail intrafamilial

Pour les juristes, un contrat de travail n’existe normalement

que si trois conditions sont réunies. Il faut tout d’abord produire un effort, déployer une activité ; de surcroît, une activité rémunérée. En troisième lieu, il faut agir sous l’autorité du bénéficiaire du travail. Un tel lien de subordination est essentiel dans la théorie travailliste classique. Sauf dans quel-ques professions particulières (médecin, avocat, etc.) où la liberté professionnelle est inaliénable.

Mais un arrêt fondamental, rendu le 4 novembre 2001 par la Cour de cassation, dans un litige entre deux ex-époux, renouvelle la matière1. En l’occurrence, l’ex-mari poursuivait son épouse afin d’être reconnu comme salarié. Un salarié licencié pour faute lourde en 1995. La femme rétorquait qu’il avait été un dirigeant (non pas de droit, mais de fait). À la vérité, en 1973, M. Zanaria avait été salarié des parents de son épouse. Ensuite, il en est devenu locataire-gérant ; puis, direc-teur commercial, lorsqu’à la suite d’une donation son épouse avait pris la place des parents en 1978. Paradoxalement, son salaire était d’un montant plus élevé que les bénéfices perçus par l’épouse, la propriétaire du fonds de commerce exploité.

Or, pour la Cour de cassation, l’absence de lien de subor-dination sur le mari n’importait pas du tout. En effet, dit-elle, « dès lors qu’il est établi que M. Zanaria participait effectivement à l’acti-vité ou à l’entreprise de son épouse à titre professionnel et habituel et qu’il percevait une rémunération horaire minimale égale au salaire minimum de croissance, c’est à bon droit que la cour d’appel en a déduit que les disposi-tions du Code du travail étaient applicables à leurs relations profession-nelles ; qu’ainsi, abstraction faite des motifs tirés de l’existence d’un lien de

1 Cass. soc., 6 nov. 2001 ; Mme Bouvard et a. c/ Zanaria et a.

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subordination, qui n’est pas une condition d’application des dispositions de l’article L. 784-1 du Code du travail, l’arrêt est légalement justifié ».

Il faut noter que les dispositions de l’article L. 784-1 du Code du travail concernent la possibilité pour le conjoint du chef d’entreprise d’être salarié par celui-ci. L’enjeu étant le bénéfice, par le conjoint, des avantages sociaux et salariaux réservés aux travailleurs. Un texte particulier a été indispen-sable parce que le lien de subordination pesant normalement sur tout salarié paraissait inconciliable avec le lien conjugal, lequel suppose l’égalité des partenaires. En vérité, dès lors qu’il y a relations professionnelles, il est possible de trouver un patron. En l’occurrence, c’était l’épouse, puisqu’elle a pu licen-cier son mari, lequel, lui, ne pouvait prendre la même décision à son encontre. C’est une réforme de 1982 qui avait consacré l’éventualité pour un époux de devenir le salarié de son con-joint1. Le texte, dit féministe, car adopté en songeant aux épou-ses, a profité à un homme dans l’arrêt considéré.

En reconnaissant la possibilité de relations salariales entre les conjoints, le Code du travail n’a fait que copier le Code de la sécurité sociale. En son article L.311-6, ce dernier prévoit depuis longtemps une présomption de salariat au profit du conjoint qui participe habituellement à l’activité de l’autre moyennant rémunération. Si pour le droit de la sécurité sociale le salaire doit correspondre aux fonctions exercées, le Code du travail se satisfait du SMIC. Très floue semble néanmoins la limite entre la collaboration conjugale (ou, plus généralement, l’entraide familiale) et une participation « à titre professionnel et habituel ». Et l’on voit mal pourquoi le parent qui aura accepté un salaire plus faible que le SMIC devrait être sacrifié par le droit.

En réalité, un autre arrêt (du 22 octobre 2002) consacre l’existence d’un contrat intrafamilial dans une hypothèse où aucun salaire n’était ni versé, ni même convenu. Aussi peut-on prophétiser qu’il y aura de plus en plus de découvertes judiciai-res de contrats intrafamiliaux du moment que les conditions de subordination et de rémunération compteront moins. Ne

1) D. Martin, La coopération conjugale dans l’entreprise familiale : D. 1982, chron. p. 293 ; B. Boubli, La prestation rémunérée du conjoint salarié d’un com-merçant ou artisan : Semaine sociale Lamy 26 nov. 2001, n° 1052, p. 6 ; R. Ran-doux, Le conjoint du chef d’une entreprise artisanale ou commerciale : collabo-rateur, salarié ou associé ? : JCP G 1983, I, 3103 ; JCP CI 1983, II, 13932 ; E. Wagner, La rémunération de la collaboration professionnelle du conjoint : D. 1985, chron. p. 1. ; Corrignan-Carsin Danielle, Conditions d’application de la pré-somption de salariat en faveur de l’époux qui exerce une activité au profit de l’autre (C. trav., art. L. 784-1), JCP G 2002, 10030.

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demeurerait comme invariant que la condition de participation effective à l’activité du parent. À vrai dire, entre membres d’une famille, il faut plus rechercher le statut de salarié que le contrat de travail, lequel est rarement négocié. Comme diraient les non-juristes, en l’absence de contrat écrit, il y a « contrat moral »1.

Mais, sur combien d’années en arrière les salaires seront-ils dus, alors que l’entrepreneur aura toujours fait ses comptes prévisionnels en tenant la collaboration familiale comme gra-tuite ? Réponse : en droit, tout salaire, tout loyer ou tout intérêt est perdu quand il n’a pas été réclamé au bout de cinq ans. L’hésitation est néanmoins permise au regard de l’article L. 143-4 du Code du travail. Conformément à celui-ci, « l’accepta-tion sans protestation ni réserve d’un bulletin de paie par le travailleur ne peut valoir, de la part de celui-ci, renonciation au paiement de tout ou partie du salaire et des indemnités ou accessoires de salaire qui lui sont dus en vertu de la loi, du règlement, d’une convention ou accord collectif de travail ou d’un contrat ». Mais sans doute la prescription extinctive des salaires doit-elle quand même jouer au bout de cinq ans.

Autre question : le demandeur devra-t-il se contenter du SMIC malgré ses qualifications et son travail dans l’affaire fa-miliale ? Avant de répondre, il faut se souvenir que le paiement rétroactif voulu ruinera probablement le conjoint débiteur. Heureusement, les juges savent concilier les intérêts en présen-ce. Par exemple, en utilisant la théorie de l’enrichissement sans cause.

La jurisprudence sur l’enrichissement sans cause

Une présomption, soit légale, soit jurisprudentielle, con-

sacre le caractère onéreux du travail intrafamilial. Particulière-ment dans l’agriculture, le commerce ou l’artisanat. Et, seule-ment au profit des conjoints et des descendants (descendants d’agriculteurs). Même alors, il faut tant l’accomplissement du travail à titre professionnel et habituel que le décès préalable de l’employeur familial. Les juges pourraient se montrer inventifs et généreux dans les cas où le demandeur n’est pas le parent envisagé par la loi et/ou ceux dans lesquels le domaine d’activité n’est pas agricole, artisanale ou commercial. L’équité serait le fondement utilisable pour atténuer la rigueur de la loi. C’est dans cette optique que la Cour de cassation a institué l’action de in rem verso. L’hypothèse de cette théorie est que par

1 Un haut conseiller à la Cour de cassation (Boubli) parle de contrat sui-generis, de pseudo-contrat ou de fiction de contrat.

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un effet de vases communicants deux patrimoines se retrou-vent l’un appauvri et l’autre enrichi. D’où la volonté de pro-céder à un rééquilibrage, dans une certaine mesure. Cette in-vention jurisprudentielle désormais centenaire (encore dite action de in rem verso) suppose la réunion de cinq conditions1.

Pour commencer, le recours en vue de la rétribution des services rendus dans la famille survient à l’occasion du divorce. Naturellement, la prétention financière n’a pas de sens si les époux étaient mariés sous le régime de la communauté. La raison est que l’un et l’autre époux reçoivent la moitié des richesses amassées pendant le mariage2. En revanche, les profits de l’activité entrent dans le seul patrimoine du conjoint entrepreneur lorsque le couple est marié sous le régime de la séparation des biens. Même sous le régime communautaire, l’équité justifie parfois un recours à l’action de in rem verso. Car, en cas de divorce pour faute, celui chez qui le juge identifie tous les torts n’a pas droit à la prestation compensatoire (compensation de son changement de standing). Une solution qui apparaît comme particulièrement injuste quand la capacité financière actuelle du mari résulte de l’activité déployée par la femme (ou l’inverse). La loi elle-même autorise alors une prestation exceptionnelle pour la collaboration professionnelle apportée. Dès lors, une compassion similaire peut profiter aux concubins et aux partenaires de Pacs, dont le statut est hybride ; à la fois étranger et membre de la famille de l’autre.

Bien sûr, la rémunération d’un travail intrafamilial ne cho-quera pas juste parce qu’elle interviendrait ailleurs que dans le commerce, l’agriculture ou l’artisanat. En d’autres termes, malgré l’absence de texte spécifique, la jurisprudence pourrait par exemple tolérer une rétribution de l’aide profitant à un écrivain (recherche documentaire, écriture) ou au membre

1 Deux de ces cinq conditions n’exigent pas de longues explications. À leur propos, il suffit de savoir que l’enrichissement critiquable doit provenir tout droit de l’appauvrissement déploré. Deuxièmement, la personne appauvrie ne doit pas avoir commis de faute susceptible de justifier son manque. En sens inverse, et c’est la troisième condition, la personne enrichie ne doit pas être en mesure d’alléguer une cause, une justification défendable, en faveur de l’avantage qu’il a obtenu. Ainsi, tout recours en remboursement disparaît si l’enrichissement se fonde sur une loi, un contrat, une décision de justice, etc. Quatrièmement, l’action de in rem verso n’est utilisable qu’en l’absence d’autre action possible. C’est le vide juridique qui la sort de sa subsidiarité. Enfin, le recours est minimal, car il subit deux plafonds. L’un est de ne pas dépasser le montant de l’appauvrissement déploré ; l’autre est de se limiter aux valeurs qui subsistent encore dans le patrimoine de l’enrichi. On le voit bien, les résultats de ce recours sont incertains. 2 Code civil, art. 1421.

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d’une profession libérale (avocat, médecin) dont le secrétariat aurait été assuré par un parent. Mieux, pourquoi un travail intrafamilial ne donnerait-il droit à compensation que si le parent est un professionnel ? Or l’effort déployé pour autrui restera le même. Dans cet ordre d’idées, comment défendre l’a-vantage reconnu à l’enfant qui soigne le troupeau parental, sa-chant que ce même avantage serait refusé à l’enfant qui s’occuperait de la personne même du parent ? Une facilitation du droit à rémunération découlera certainement du souci compréhensible de combattre une pareille discrimination.

La Cour suprême française a consacré ce raisonnement dans le cadre de l’aide domestique. Voici l’essentiel de sa déci-sion judiciaire : « le devoir moral d’un enfant envers ses parents n’exclut pas que l’enfant puisse obtenir indemnité pour l’aide et l’assistance appor-tées dans la mesure où, ayant excédé les exigences de la piété filiale, les prestations librement fournies avaient réalisé à la fois un appauvrissement pour l’enfant et un enrichissement corrélatif des parents »1. Si la solution se comprend même au profit de l’enfant, elle se défend donc a fortiori à l’égard de l’oncle, du cousin ou de la nièce, par exemple.

La jurisprudence évoquée est apparue à l’occasion d’un partage d’héritage où M. Fouret avait demandé à bénéficier d’un prélèvement sur l’actif successoral. Cela, compte tenu des sacrifices qu’il avait consenti pour ses vieux parents, contraire-ment à sa sœur cohéritière. C’est vrai qu’il avait sacrifié son avenir professionnel et avait permis par ce sacrifice que les parents fassent une économie de dépenses nécessaires. Or s’il appartient aux parents de se sacrifier pour leurs enfants, ces derniers n’ont pas à le faire pour eux. L’idée est que tout enfant doit pouvoir bénéficier d’une existence harmonieuse sur le plan professionnel et conjugal, malgré l’existence de vieux parents. Sa demande d’indemnité peut donc se défendre. Surtout quand cette exigence s’adresse aux autres héritiers, lors du partage des biens du parent prédécédé.

D’un point de vue strictement juridique, une difficulté pouvait contrecarrer la rémunération. C’est l’idée qu’une libéra-lité est gratuite dès l’origine et ne saurait changer de nature après coup. À cet égard, un auteur pense que les nobles sen-timents de l’enfant sont salis par son éventuel recours lucratif. Plus précisément, demande-t-il « même s’il est excessif, le dévoue-ment envers ses parents ne doit-il pas par nature s’abîmer dans les sphères insondables du don et du pardon ? »2. Mais, lui donner raison contri-

1 Cass. 1re civ., 12 juill. 1994 ; Fouret c/ Mme Courtois. 2 Alain Sériaux, JCP G, 1995, 22425.

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bue à décourager certaines bonnes volontés dont le désintérêt financier n’est pas forcément total. Il est vrai que pour l’heure le découragement frappe plutôt le bénéficiaire du travail, à cau-se de probables sanctions pénales.

LES AMENDES DISSUASIVES DU TRAVAIL INTRAFAMILIAL

Le recours à un parent comme travailleur s’explique surtout

par la perspective de réaliser des économies. De plus en plus, ce calcul souffrira des amendes encourues lorsque le travail effectué peut constituer un délit pénal. On peut notamment songer à la qualification de travail dissimulé. Accessoirement, le délit de maltraitance surgira, s’agissant du travail des enfants. Les amendes pour délit de travail dissimulé

Le délit de travail dissimulé ou de travail clandestin résulte

du défaut d’accomplissement de certaines formalités prévues par les articles L.143-3 et L.320 du Code du travail1. Ces textes concernent l’inscription aux registres professionnels ; ensuite les déclarations aux administrations fiscales ou aux organismes de protection sociale ; puis les formalités inhérentes aux emplois salariés. Ainsi, l’activité répréhensible doit viser l’ob-tention de profits ; le travail dans une association à but non lucratif ne semble donc pas être concerné. En revanche, l’ac-tivité commerciale, artisanale ou agricole réalisée soumet à la sanction pénale même si elle revêt un caractère temporaire et passager.

Les peines encourues sont deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. La règle est ici le non-cumul des sanctions. Cela signifie que la pluralité du nombre de salariés dissimulés ne multiplie ni la peine d’emprisonnement, ni la peine d’amende2. Quant à la violation de l’obligation de déclaration, elle entraîne une pénalité dont le montant est égal à trois cents fois le taux horaire du minimum garanti. S’agissant d’une contravention (peine d’amende seulement), l’entreprise

1 Cathy Pomart, Travail dissimulé : critères d’existence d’un contrat de travail entre conjoints, JCP G, 2003, 10 176 ; V. J. Revel, Collaboration professionnelle entre époux : Rép. trav. Dalloz, 1998, n° 36 ; P. Fadeuilhe, note ss Cass. soc., 6 nov. 2001, inutilité d’un lien de subordination conjoint salarié : Dr. famille 2002, comm. 52. 2 Code du travail, art. L362-3.

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paiera autant de fois qu’il y aura de salariés non déclarés. Par exemple, le conjoint, trois enfants, deux neveux, etc.

C’est un arrêt récent, auquel la Cour de cassation a entendu donner la plus grande publicité juridique, qui illustre l’éven-tualité nouvelle de la condamnation pénale du travail intrafa-milial. Dans l’affaire en question, l’exploitant d’un fonds de commerce de restauration employait son épouse quotidienne-ment et depuis longtemps comme cuisinière. Celle-ci se trou-vait dans un rapport de subordination ; elle n’était donc pas co-dirigeante du restaurant. Mais jamais son conjoint ne l’a décla-rée aux organismes sociaux, ne l’a inscrite sur le registre unique du personnel ou ne lui a remis de bulletins de paie1. En con-séquence de quoi il a été condamné. Pour la Cour, l’épouse exerçait son activité de cuisinière dans le cadre d’un contrat de travail. Or, poursuit-elle, les articles L. 143-3 et L. 320 du Code du travail s’appliquent quel que soit le titre auquel la personne travaille et quelle que soit sa rémunération. Le restaurateur ne pouvait donc, pour échapper à la sanction pénale, s’abriter derrière son lien de famille ou derrière l’absence consécutive de salaire.

La condamnation du restaurateur se rattache probablement à la volonté des autorités publiques de lutter contre le déficit financier de la sécurité sociale2. Étant entendu que plus il y a de salariés pour lesquels des employeurs paient des cotisations, moins ce déficit est grand3. La lutte contre les distorsions de concurrence y trouve aussi son compte. C’est ainsi que la chambre criminelle de la Cour de cassation a vu un contrat de travail là où pourtant aucun salaire n’était versé. Dès lors, comment donc les cotisations dues seront-elles calculées, en l’absence de l’assiette qu’est le salaire ? Certes, un salaire peut être dissimulé ! Nul doute cependant que cet arrêt bouleverse le droit social (droit du travail et droit de la sécurité sociale). D’une part, en effet, il y a exigence de cotisations en l’absence du fait générateur qu’est le versement d’un salaire. D’autre part, il y a reconnaissance d’un contrat de travail en l’absence de salaire prévu. De plus, c’est normalement au salarié d’alléguer l’existence d’un contrat pour sa protection, et non pas aux institutions publiques (qui chercherait à le pénaliser plus ou moins directement).

1 Cass. crim., 22 oct. 2002 ; R. [arrêt n° 6111 F-P+F] [Juris-Data n° 2002-016572]. 2 Cathy Pomart, précité. 3 Il faut néanmoins espérer que les nouveaux affiliés ne soient pas des malades chroniques, proches de la retraite, bientôt au chômage.

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A priori, la cuisinière ne pouvait s’attendre qu’à trois ans de salaires différés, versables seulement après la mort de son mari. Or en l’espèce, même si la prescription des salaires s’applique, ses droits remonteront jusqu’à cinq ans en arrière. Les juges améliorent par conséquent sa situation par rapport à la loi de décembre 1989 quant au montant exigible et quant au moment d’exiger. D’autres questions sont suscitées par l’arrêt. Notam-ment, savoir si le super-privilège des salaires jouerait en vue de protéger le conjoint en cas de faillite de l’entreprise familiale. Et avant, si les créanciers personnels de l’épouse solliciteraient valablement la saisie de ses salaires virtuels. Les doutes s’inten-sifient si se trouve en cause le travail des enfants. Les amendes pour maltraitance en cas de travail des enfants

Les pays du tiers monde sont souvent montrés du doigt

parce qu’ils recourent volontiers au travail des enfants. Pour-tant, le phénomène s’observe aussi en occident. Or, exception faite des domaines du cinéma, du mannequinât et de la publi-cité, les enfants travaillent gratuitement. C’est qu’ils œuvrent au sein et au profit de leur famille. En conséquence, l’employeur n’a pas à supporter de charge particulière. Il s’agit véritable-ment d’un « dumping social ». Voilà pourquoi les PME concur-rentes, qui en souffriraient, s’en plaindraient à juste titre. C’est essentiellement dans l’agriculture et l’artisanat que la famille tout entière est conviée à offrir sa force de travail à l’affaire familiale. Mais cette participation forcée peut se pratiquer aussi dans une quelconque PME familiale.

Outre les questions éthiques posées par le travail des enfants, il faut se demander si le parent employeur ne risque pas la condamnation pour exploitation de sa progéniture. En effet, il est courant d’entendre que l’enfant doit vivre dans l’innocence et l’insouciance ; qu’il ne doit pas trop vite grandir. De fil en aiguille, le parent qui met son enfant au travail risque d’être accusé de manquer au devoir de veiller au bien-être physique et psychique de cet enfant. Si ce manquement est analysable en mise en péril des mineurs, l’article 227-17 du Code pénal s’appliquerait. Selon ce texte, « le fait, par le père ou la mère légitime, naturel ou adoptif, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre gravement la santé, la sécu-rité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende ».

Néanmoins, le parent pourra convaincre les juges de ne point le condamner en mettant en avant divers motifs.

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D’abord, en matière agricole, où un salaire différé est reconnu à l’enfant, ce droit n’est prévu que pour l’enfant de plus de dix huit ans. Autrement dit, la loi conçoit que l’enfant mineur tra-vaille, et gratuitement. D’ailleurs, les contrats d’apprentissage sont ouverts aux mineurs de 16 ans. Et le Code des débits de boissons envisage le mineur comme collaborateur possible de sa famille, puisque l’interdiction de travailler dans un café n’est faite qu’aux mineurs étrangers à la famille. Et puis, il n’est interdit aux père et mère exerçant les professions d’acrobate saltimbanque, montreur d’animaux, directeur de cirque ou d’attraction foraine, d’employer leurs enfants surdoués que si ces derniers sont âgés de moins de douze ans1. C’est finale-ment du seul travail des mineurs d’école primaire dont l’affaire familiale ne peut profiter.

Le parent poursuivi pour exploitation de son enfant pour-rait même invoquer l’état de nécessité. Il dira avoir dû choisir entre permettre à son enfant de ramener du pain et lui per-mettre d’aller jouer. De façon anecdotique, il rappellera que les vacances scolaires avaient été prévues pour l’été de façon que les enfants d’agriculteurs, la grande majorité à l’époque, partici-pent aux moissons. Naturellement, l’éventuel travail de l’enfant doit toujours s’effectuer dans un secteur d’activité licite, et non point dans la drogue, la mendicité, le vol ou la prostitution, par exemple. Car alors les sanctions devraient cette fois s’abattre sans pitié sur le parent indigne.

Le travail du parent ne doit plus systématiquement être

regardé comme gratuit. Certes, pendant longtemps, une pré-somption de bienfaisance a pesé sur le concours apporté par les conjoints et les enfants, voire par les autres parents et alliés. Mais aujourd’hui, hormis le salariat de droit, il y a possibilité d’un salariat de fait entre époux. Pratiquement, l’action de in rem verso permet la reconnaissance rétroactive d’une créance de salaires au profit de tout parent. Bref, l’obligation d’assistance prévue par le Code civil, d’ailleurs entre les seuls époux, ne s’applique guère qu’à la collaboration purement passagère à l’activité du conjoint.

Cette évolution a son histoire… ses étapes marquantes. En 1930, le salaire différé des descendants d’agriculteurs. En 1982, la possibilité d’un contrat de travail entre le chef de l’entreprise familiale et son conjoint. En 1989, le salaire différé au profit du conjoint survivant du chef de l’entreprise artisanale ou com-

1 Code du travail, art. L.211-11, 3°.

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merciale. En 1994, l’indemnisation pour piété filiale débor-dante. En 1997, le droit à remboursement des soins prodigués aux siens. En 1999, le salaire différé pour le conjoint survivant du chef de l’exploitation agricole. En 2001, la consécration du contrat de travail entre conjoints malgré le défaut de subor-dination. En 2002, la reconnaissance du contrat entre conjoints en l’absence de la moindre rémunération.

Néanmoins, une période de reflux se profile. Car la solida-rité familiale regagne quelques lettres de noblesse en France. Au demeurant, les défenseurs d’un autre monde ne se battent-ils pas aussi pour une économie solidaire ?

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François Daumerie

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