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Mémoire de fin d'étude / Micka Touillaud / Strate École de Design / Diplômes 2016
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Diplômes 2016
T O U I L L A U D M i c k a ë l
«Où est passée la vie Que l’on a perdueEn la vivant ?
Où est passée la sagesseQue l’on a perdueDans la connaissance ?
Où est passée la connaissanceQue l’on a perdueDans l’information ?
Où est passée l’informationQue l’on a perdueDans les datas ?»
T. S. Eloit
4
5
AVANT-PROPOS A
Ce mémoire à été l’occasion de pousser encore plus
loin ma réflexion sur le numérique, ses usages ainsi que
ses débordements, au-delà des pensées communes et
stéréotypées. Le thème de la disponibilité pris dans l’écriture
vient démontrer l’importance de la considération humaine
et éthique dans le numérique. Si nos disponibilités ont été
altérées, et nous allons voir comment dans ce mémoire, par
le numérique, il y a une aspiration humaine profonde sous-
jacente qui est de donner du sens au temps. Le temps que
l’on vit nous-même, le temps que l’on laisse aux autres, le
temps que l’on transmet. Qu’importe finalement le temps
dans lequel nous nous insérons, il est le plus important
jamais vécu, car nous le vivons maintenant.
Commençons par un peu de légèreté avec le court récit
d’un mythe fictif, élaboré pour l’occasion et permettant de
contextualiser.
6
Il était une fois le royaume d’Utempie où la technique
n’existait pas. Notre héros, Patience, fervent charpentier de la
ville de Kairos, voulait faire parvenir une nouvelle de la plus
haute importance à son ami Passe-temps à Chronos. Deux
choix se présentaient à lui : faire le chemin à pied, ce qui lui
coûterait six longues heures de marche et de la fatigue, ou
monter son vieil âne Sancho, à qui il fallait tout de même trois
heures et demi de marche, du picotin et des fers en bon état,
pour délivrer le précieux message. Dans tout les cas il devait
impérativement arriver avant dix neuf heures pour avoir une
chance de voir son hôte avant la tombée de la nuit.
Un beau jour, la technique arriva. Décontracté, Patience
décrochait le téléphone, donnait la nouvelle à Passe-temps,
bavardait un peu avec lui à propos de la météo, avant de
nourrir le chat et d’étendre son linge pour finalement aider
sa femme à faire la cuisine – la plupart du temps au four à
micro-ondes.
7
Leur disponibilité avait changé. Dès lors, et ce peu de
temps après que la troisième révolution industrielle se soit
installée, Passe-temps quant à lui, ne s’étonnait plus de
pouvoir s’immerger dans la vie de Patience instantanément,
lui passant un petit coup de pouce en direct sur l’installation
de son nouveau chauffage intelligent, dont il avait justement
besoin pour réduire son empreinte écologique. Patience et
Passe-temps pouvaient jouir de leurs rapprochements et se
sentaient heureux ; ils savaient qu’ils pouvaient dorénavant
compter l’un sur l’autre à n’importe quel moment de la
journée grâce au numérique. Ils n’étaient plus jamais gênés
par ce pénible sentiment qu’est l’ennui, ce qui leur était
fréquemment arrivé par le passé. Patience avait enfin du
temps devant lui et pouvait consacrer son attention sur de
plus grandes choses, comme faire de la musique ou de la
philosophie, discuter avec sa femme ou lire des livres.
Cette évolution de sa disponibilité avait fait de lui un autre
homme – et d’Utempie, une autre société.
8
9
Il y a plus de dix ans, nous nous stupéfiions déjà des
propos tenus par Patrick Le Lay, alors président-directeur
général du groupe TF1. Laissant entendre que « ce que [TF1]
vend[ait] à Coca-Cola, [était] du temps de cerveau humain
disponible ». Il initiait alors l’idée que la télévision était
capable de prédisposer notre cerveau à l’assujettissement
et à l’écoute passive. La télévision, alors média dominant,
était donc en mesure de capter notre attention et mobiliser
notre temps à des fins commerciales. Mettant ainsi en
évidence le pouvoir d’un média sur le cerveau humain,
ses propos suscitaient déjà à l’époque la controverse
et les questionnements. Qu’en est-il alors en 2015 avec
l’avènement d’un nouveau média : Internet*?
Internet à révolutionné l’univers des médias de masses.
S’inscrivant dans une logique d’accélération sociétale et
technologique, le numérique a bousculé nos habitudes et
a entraîné de nombreux changements, notamment l’hyper-
connectivité de notre société.
INTRODUCTIONI
10 1Usages des téléphone mobiles, Deloitte, 2014, [en ligne] URL : http://www2.deloitte.com/fr/fr/pages/presse/2014/usages-mobiles-2014.html
Selon un sondage, les Français auraient ainsi en moyenne
accès à 2,86 appareils mobiles et plus de 60% d’entre eux
consulteraient leur smartphone dès leur réveil1. Ces objets
intrusifs, tentant de délivrer des messages par tous les
moyens, notifications, alertes, permettent dorénavant
de rester en communication perpétuelle et font partie
intégrante de notre quotidien. L’information et les personnes
sont désormais accessibles partout, tout le temps. Il en
résulte une sur-représentation de notre disponibilité opérée
par le numérique et ses nouveaux usages.
Sommes-nous alors vraiment disponibles lorsque
nous sommes connectés ? Par quels moyens sommes-
nous disponibles ? Cette disponibilité numérique est-elle
similaire à notre disponibilité physique ? Quelles en sont ses
conséquences ?
Ce sont ces interrogations qui nous ont ainsi permis de
mettre en lumière la question centrale de ce mémoire :
11
Comment la disponibilité de l’Homme s’est-elle
confrontée à l’évolution du numérique ?
Nous commencerons par étudier les différentes
composantes de notre disponibilité. Par une analyse de ces
différentes nuances linguistiques et impacts sociologiques,
nous montrerons que la disposition au ressentir est
porteur d’expériences. Nous appuierons notre analyse
principalement sur les travaux de Dominique Boullier sur
les régimes d’attention et ceux de Marc-André Barsalou
sur la place du silence dans notre disponibilité à l’autre.
Puis, nous aborderons la construction des relations au
XXIème siècle, entre moments de présence et moments
d’absence. Quelles sont les formes de relations favorables
à la création de relations ? L’augmentation de la densité de
nos environnements relationnels nous éloigne-t-il de nos
proches ?
12
Ce qui nous amènera à traiter de l’immédiateté
technologique dans notre société interconnectée, amenée
par les processus d’accélération technique et sociale. Il
s’agira d’axer notre réflexion sur le mythe du progrès et
l’homme face aux temps, en nous appuyant notamment
sur l’ouvrage d’Harmut Rosa – Accélération, nous attardant
ainsi non pas aux conséquences mais aux causes de
ces mécaniques infatigables. Nous nous attarderons
également sur le conditionnement qu’imposent nos modes
de communication actuels ainsi que les conséquences d’un
multitasking* omniprésent. Nous dirigeons-nous vers une
portée symbolique de la disponibilité ?
Enfin, nous évoquerons le thème du « Moi » à l’ère
numérique, fragmenté, passant d’un « Moi introverti » à
un « Moi extraverti » qui, nous le verrons également, est
conditionné. S’appuyant principalement sur les travaux de
Kenneth Gergen – Le Soi Saturé - Dilemmes de l’Identité dans
la vie mais également l’ouvrage de Jeremy Rifkin – Nouvelle
13
conscience pour un monde en crise. Il s’agira d’explorer les
nouvelles barrières psychologiques et tenter de démontrer
les nouvelles opportunités numériques qui s’offrent à
l’Homme aujourd’hui. Est-il envisageable de croire à de
nouvelles normes, celles de l’inattention et de la passivité ?
Ou faut-il percevoir les prémices de la fin proche d’un
modèle ?
A -
A -
B –
C -
SOMMAIRES
I - LES DISPONIBILITÉS HUMAINES ET NOTRE
ATTENTION À L’AUTRE
AVANT PROPOS
INTRODUCTION
II - D’UNE ACCÉLÉRATION SOCIALE VERS UNE
INDISPONIBILITÉ CULTURELLE
LA DIFFÉRENCE ENTRE DISPONIBILITÉ PSYCHOLOGIQUE
ET DISPONIBILITÉ CORPORELLE. NOS DIFFÉRENTS RÉGIMES
D’ATTENTION
L’HOMME FACE AU TEMPS AU TRAVERS LE MYTHE DU
PROGRÈS ET DE L’ACCÉLÉRATION SOCIALE
LE SILENCE COMME ÉLÉMENT D’UNE PLUS GRANDE
DISPONIBILITÉ À L’AUTRE
LA RELATION CONSTRUITE ENTRE MOMENTS DE
PRÉSENCE ET MOMENTS D’ABSENCE
5
9
18
38
50
72
A -
B –
B –
C –
C -
LA FIN D’UN MOI UNIQUE
LA RÉDUCTION DE NOS DISPOSITIFS ATTENTIONNELS,
(VERS UNE PASSIVITÉ DANS UNE SOCIÉTÉ DU SPECTACLE)
L’UBIQUITÉ PERMANENTE ET INTERCONNECTÉE DEVIENT
LA NORME ? VERS UNE PORTÉE SYMBOLIQUE DE LA
DISPONIBILITÉ
LE CONDITIONNEMENT QU’IMPOSENT NOS MODES DE
COMMUNICATIONS ACTUELS
INTERACTION HOMME-MACHINE, L’ESQUISSE D’UNE
EMPATHIE MONDIALE VERS UNE PLUS GRANDE
DISPONIBILITÉ À L’AUTRE
III - UNE DISPONIBILITÉ FRAGMENTÉE À L’ÈRE
NUMÉRIQUE
CONCLUSION
SOURCES
GLOSSAIRE
ANNEXES
90
104
130
140
152
163
186
198
208
« Être au monde c’est être disponible pour toute forme de rencontre. C’est pouvoir utiliser ses sens pour communiquer avec l’univers qui nous entoure autrement que de manière convenue et stéréotypée. »
E. Zarifian
« Être au monde c’est être disponible pour toute forme de rencontre. C’est pouvoir utiliser ses sens pour communiquer avec l’univers qui nous entoure autrement que de manière convenue et stéréotypée. »
E. Zarifian
La différence entre disponibilité psychologique et disponibilité corporelle. Nos différents régimes d’attention.
A
19 1 Bergson Henri, Essai sur les données immédiates de la conscience, PUF, 1970, p.119-122.
Parler de disponibilités humaines au pluriel présente
plusieurs avantages. Trop souvent traitée au singulier, la
disponibilité entraine avec elle une vision essentialiste,
comme une évidence universelle, – « nous sommes agis
plutôt que nous n’agissons nous-mêmes »1 – alors qu’elle
est composée de nombreux composites, comme l’ont mis
en évidence les travaux de sciences cognitives. En effet
nous pouvons d’ores et déjà différencier notre disponibilité
physique de notre disponibilité psychologique.
Tout d’abord, leur nature en est complètement opposée.
Être disponible physiquement signifie être présent, tandis
qu’être disponible psychologiquement signifie être attentif.
Par ailleurs, la mesure de ces deux disponibilités diffère
également. La première se quantifie en nombre d’heures
ou en temps passé, pour se dévouer à un travail de trente-
six heures par exemple. L’autre, quant à elle, se mesure par
20 2 Merleau-Ponty, La Phénoménologie de la Perception, Gallimard, 1945, p.267.
notre capacité à nous concentrer, à résister aux distractions
comme lire un texte cursivement sans penser à autre chose.
Cette distinction est nécessaire car la valeur de chacune
d’elles apporte des choses bien différentes. Arriver à se
rendre disponible physiquement permet de prendre sa place
dans le monde, s’affirmer, mais également exister.
« La chair est ce qui ouvre à l’ « être du monde »,
au monde dans l’être et par-delà lui. Paroi de
l’intersubjectivité de l’être, la chair est la possibilité pour
l’être humain de vibrer de l’Être du monde. Non pas
restrictive, elle permet sa « communication », définie
ici comme la synchronisation, l’ouverture du sentant au
sensible. Comme pour le silence qui n’est jamais total,
l’être humain n’est jamais dans un vide communicationnel
avec le monde : par la chair, le magnétisme entretient
la relation. Le silence permet de mieux ressentir cette
tension de soi au monde. La sensation, quant à elle, fait
vibrer l’être humain du mouvement du monde, puisque
toute sensation est spatiale, espace de coexistence : elle
est « une de nos surfaces de contact avec l’être [...] »2
21 3 Barsalou Marc-André, Silence et rencontre – La disponibilité à l’autre, Université du Québec à Montréal, 1977, p.35.
Cependant, arriver à se rendre disponible
psychologiquement nous apporte un gain d’efficience
considérable, une productivité accrue et une disponibilité
à l’autre bien plus grande comme l’énonce M. Barsalou :
« Le silence de la conscience met l’individu au diapason
de son environnement et lui permet de se synchroniser au
mouvement de ce qui est. En avouant honnêtement « je ne
sais pas », ce qui oblige à suspendre ses attentes, l’individu
se dispose à se laisser imprégner de l’expérience d’être au
monde, telle qu’elle est vécue dans le moment présent »3.
La disponibilité ne doit pas être confondue avec la
vigilance, même si la disponibilité et l’attention mobilisent
des structures cérébrales qui sont aussi celles de la
vigilance. Mais alors comment se rendre plus disponible à
l’autre ?
La différence entre disponibilité psychologique et disponibilité corporelle. Nos différents régimes d’attention.A
22 4 Berger L. & Luckmann T., La construction sociale de la réalité, Méridiens Klincksieck, 1986, p.77-82.
Tout d’abord notre influence sur celles-ci n’est que
partiellement consciente, nous avons tous en tête ces
moments où nos pensées divaguent lorsque que nous
assistons à un moment très important ou lorsque que nous
heurtons quelqu’un dans la rue parce que nous sommes
absorbés par nos pensées. De même, nous ne pouvons nous
décupler infiniment et être partout à la fois ; notre présence
physique est en cela unique. Si notre objectif est d’être
physiquement et psychologiquement disponible, vers quoi
voulons-nous nous rendre disponible ? La rencontre et l’autre
semblent être un élément de réponse.
L. Berger et T. Luckmann précisent que « beaucoup
d’actions deviennent possibles à un faible niveau d’attention »
et que « [l’] accoutumance implique l’importante acquisition
psychologique du rétrécissement des choix »4. Les deux
sociologues amènent ici une notion importante qui est
23 5 Zarifian Edouard, Le désordre de l’autre, Editions Liaisons, 1993, p.1446 ibid.
celle de l’accoutumance, habitude ou encore routine
qui serait un obstacle à la rencontre. Et c’est un autre
sociologue qui nous éclaire sur ce point, E. Zarifian, pour
qui,« la disponibilité psychologique s’avère [être] un enjeu
crucial de la rencontre » qui quant à elle,« tire sa singularité
des conditions nécessaires qui la rendent possible, des
mouvements psychologiques qu’elle crée et de l’inéluctable
remise en cause de l’ordre précédemment établi qu’elle
engendre »5. Il insiste en précisant que « [c’] est le désir ou la
peur du changement qui favorise ou interdit la rencontre »6.
Clarifions quelques peu les termes utilisés jusqu’ici, à
savoir « disponibilité », « attention » et « vigilance ». Si la
disponibilité est l’action d’être disposé à effectuer une tâche,
elle se trouve conditionnée et influençable. L’attention,
quant à elle, relève d’une dynamique de co-individuation –
La différence entre disponibilité psychologique et disponibilité corporelle. Nos différents régimes d’attention.A
24 7 Marx Karl, Le Capital, Verlag von Otto Meisner, 1965, p.410-412.
qu’illustre par exemple le dialogue socratique. Pour rappel,
lorsque deux individus dialoguent, s’ils sont tournés vers le
même objet, c’est que chacun a réussi à faire que ses objets
d’attention deviennent des objets d’attention pour l’autre.
La différence entre attention et vigilance peut se percevoir
elle aussi : lorsqu’un animal s’arrête tout à coup, et se
concentre, il est dans la vigilance et non dans l’attention. La
vigilance se rapproche donc bien plus de la surveillance que
de l’attention.
Par ailleurs K. Marx discute la façon dont, même avant
les années 1840, les industriels ont compris que « l’étendue
de la vigilance et de l’attention de la part des ouvriers n’était
que très peu augmentable » et que le raccourcissement
des journées de travail, en sollicitant moins d’attention de
l’ouvrier, résultait en une augmentation de la productivité7.
25 8 Simon Herbet, Designing organizations for an information-rich world, 1971, p.122-126.9 Roda C., Human Attention in Digital Environments, Cambridge University Press, 2011, p.180.
Cette préoccupation économique et productiviste de K. Marx
nous dévoile bien l’intérêt que porte la société moderne
sur notre attention et notre disponibilité au potentiel
économique gigantesque. Cette économie cérébrale porte
le nom « d’économie de l’attention », théorisée par Herbert
Simon dans ces mêmes années. Il écrivit ce refrain bien
connu « la valeur la plus rare, c’est l’attention », où il décréta
que dans un monde riche en informations, l’attention des
destinataires de ces informations devenait la ressource la
plus rare8.
Rare et précieuse a ajouté C. Roda en 2015, puisque
l’attention est un facteur déterminant pour toutes les
activités humaines, qu’elles soient mentales ou physiques,
individuelles ou relationnelles9. En ce sens, C. Roda
soulève une nouvelle distinction entre les disponibilités
La différence entre disponibilité psychologique et disponibilité corporelle. Nos différents régimes d’attention.A
26 10 Barsalou Marc-André, Silence et rencontre – La disponibilité à l’autre, Université du Québec à Montréal, 1977, p.35.11 Jeffrey Boase, John Horrigan, Barry Wellman et Lee Rainie, The Strenght of Internet Ties, Pew Internet and American Life Project, 25 janvier 2006.
individuelles et relationnelles, permettant de pousser la
compréhension de nos disponibilités encore un peu plus
loin. Si les disponibilités individuelles « d’un individu lui
[permettent] d’entendre le monde, ou d’entendre à l’intérieur
de lui-même, un silence l’habitera. En somme, la conscience
d’« être du monde » suit le silence, et si l’individu sait
écouter ce mouvement de la vie, il sera disposé à l’écoute de
l’autre, en prenant appui sur le silence qui émerge de cette
rencontre »10. Tandis que nos disponibilités relationnelles
peuvent prétendre s’agrandir grâce à nos technologies de
l’information et de la communication* (TIC* qui, selon une
étude quantitative Pew11, démontre que seulement 2% ont
répondu que leurs relations avaient rétréci). Nous sommes
aujourd’hui 7,3 milliards d’habitants de la planète pouvant
être reliés à n’importe quels autres par six connaissances
environ selon la théorie des six poignées de mains* (aussi
27 12 Zarifian Edouard, Le désordre de l’autre, Editions Liaisons, 1993, p.144.
appelée théorie du petit monde) établie par le hongrois F.
Karinthy en 1929.
De plus, l’attention se concentre sur le cadre offert
par un lieux physique, matériel qui est toujours porteur
d’expériences pour l’individu ; sa disposition au ressentir est
favorisée par un allègement de la pression du temps. Toute
rencontre, nous dit E. Zarifian « est le point de convergence
de trois dimensions : le lieu, le temps et les conditions
psychologiques »12.
Ainsi, si nous devions résumer ce premier exposé, nous
pourrions dire que notre disponibilité est composée d’une
dimension psychologique, d’une dimension physique,
d’une dimension individuelle ainsi que d’une dimension
relationnelle. Notre attention se mesure en termes de
concentration, de résistance aux distractions ou encore
La différence entre disponibilité psychologique et disponibilité corporelle. Nos différents régimes d’attention.A
28
par notre capacité à sélectionner ce qui est pertinent
dans le monde qui nous entoure. Le degré de pertinence
doit cependant être conforme aux attentes de notre
environnement social (Voir Fig.1).
Fig. 1 : Les différentes composantes de la disponibilité
29
La production de notre disponibilité et de notre attention à
l’autre ne peut être comprise sans les supports techniques
qui la forment et selon les « régimes d’attention » qui la
composent, car les composantes mobilisées sont à chaque
fois différentes. Il faut ici s’en référer aux travaux de Régis
Debray [1991] et de Daniel Bougnoux [1998] en les combinant
avec ceux de [Akrich, Calon et Latour, 2006] permettant ainsi
d’examiner, au cas par cas, les propriétés de ces régimes
d’attention. Dominique Boullier dans sa participation au
recueil [L’économie de l’attention, nouvel horizon pour le
capitalisme, Yves Citton, 2014] avec Médiologie des régimes
d’attention dresse une boussole des mondes possibles (voir
Fig. 2) permettant de s’orienter suivant deux axes.
La différence entre disponibilité psychologique et disponibilité corporelle. Nos différents régimes d’attention.A
30 13 Boullier Dominique, Médiologie des régimes d’attention, HAL, 2014, p.96.14 Tarde Gabriel, La logique sociale, Hachette Livre, 1895, p. 142.
Le premier axe vertical s’oriente entre régime d’Alerte et
régime de Fidélisation, tandis que l’axe horizontal oscille
entre Projection et Immersion. Concernant la Fidélisation
sur l’axe vertical, guidée par nos croyances elle détient
probablement la plus longue histoire de tous ces régimes,
car elle relève de la tradition, de la religion, de l’histoire
commune comme captation des disponibilités d’un individu.
Guidée par des concepts tels que la culture, la politique, la
routine ou encore plus récemment, le marketing, elle est
soigneusement pensée pour maintenir en permanence
l’attention à l’intérieur d’un monde.
« L’alerte est bien différente et s’avère être le régime
d’attention le plus conquérant dans ce début de XXIème siècle.
Elle s’oppose en tout point à la fidélisation et pourtant elles
se tiennent toutes les deux dans un rapport de tension
nécessaire »13.
31
Fig. 2 : Les différents régimes d’attention
La différence entre disponibilité psychologique et disponibilité corporelle. Nos différents régimes d’attention.A
32
L’axe horizontal (Projection – Immersion) quant à lui est
guidé par nos désirs qui sont tout aussi « élémentaires »14,
et tout aussi quantifiables. La Projection se rapprochant
plus des désirs « d’avoir » tandis que l’Immersion prône les
désirs d’ « être eu ». « Avoir » et « être » sont ensemble de
bien meilleures définitions des entités sociales, puisque
« l’avoir est nécessairement relationnel, contrairement à
l’être » tel que l’avait souligné G. Tarde. Cette lecture des
mondes possibles décrivant quatre régimes d’attention nous
permet de mieux prendre en compte toutes les médiations
qui constituent l’attention, et donc la projection de nos
disponibilités.
33 15 Sloterdijk Peter, Explicitations de la vie, anthropologie de l’espace, mondialisation, La Découverte, 2009, p.6.16 Boullier Dominique, Médiologie des régimes d’attention, HAL, 2014, p.91.
Enfin, la globalisation que nous connaissons actuellement
se présente de façon paradoxale car elle n’a rien d’unifié,
mais :
Cette vision sociologique de nos régimes d’attention peut
être appuyée et confirmée par une vision plus philosophique
mise en avant par E. Husserl, qui qualifie le processus
« Permet la démultiplication des connexions à travers
les réseaux pour produire de multiples mondes de
frottement constant : Sloterdijk désigne cette nouvelle
phase de sa sphérologie comme l’époque des « écumes »,
qu’il appelle « un temps de déploiement multifocal,
multiperspectiviste et hétérarchique »15. Ce temps d’une
attention multifocale nous semble bien correspondre à un
régime d’alerte permanente, nous obligeant à passer d’un
monde à l’autre, d’un sujet à l’autre, dans ce mouvement
que d’autres pourraient nommer « écume » pour le
dévaloriser, ou au contraire pour en faire un principe
stratégique, le buzz* 16»
La différence entre disponibilité psychologique et disponibilité corporelle. Nos différents régimes d’attention.A
34
attentionnel comme des mises en œuvre de choses que l’on
a retenues du passé et à partir desquelles on projette des
attentes. B. Stiegler sur ces processus dans sa contribution
au même livre d’Yves Citton déclare :
« L’attention, c’est précisément ce qui articule deux
dimensions : d’une part, mes rétentions*, c’est-à-dire
tout ce que j’ai appris dans le passé, du fait de mon
éducation, de mon expérience, etc. ; d’autre part, mes
protentions*, c’est-à-dire mes désirs, mes attentes, que
ce soient les miennes ou celles qu’on a suscitées en
moi. Or ce travail d’articulation entre les rétentions et les
protentions s’opère toujours à travers ce que j’appelle des
rétentions tertiaires, c’est-à-dire des dispositifs matériels,
des outils, des appareils techniques, qui peuvent aussi
bien être un totem, un calumet de la paix ou un missel,
qu’une photographie, une bande magnétique, une radio
ou un iPad. Ce que j’appelle les rétentions tertiaires, ce
sont tous les processus de conservation de la mémoire
collective retenus sur des supports mnémotechniques […]
35 17 Stiegler Bernard, L’attention, entre économie restreinte et individuation collective, La Découverte, 2014, p.126-127.18 Krishnamurti Jiddu, La révolution du silence, Le Livre de Poche, 1994.
Notre disponibilité comprend donc quatre composantes
à part entières, celle d’une disponibilité physique (« je suis
réel donc je vis »), celle d’une disponibilité psychologique («
je pense donc je suis »), celle d’une disponibilité individuelle
(« je suis conscient d’être au monde ») et enfin celle d’une
disponibilité relationnelle (« chacun de nous n’existe qu’en
relation à l’autre »). Ces différentes disponibilités, nous
l’avons vu, crée les différents mondes possibles dans
lesquels nous choisissons de nous insérer. Ils oscillent entre
quatre différents régimes d’attentions suivant nos croyances
: alerte – fidélisation et projection – immersion. Par ailleurs,
la mondialisation et le mélange des cultures provoquent la
démultiplication des mondes possibles. Ce temps nouveau
Les rétentions tertiaires* sont un troisièmes terme,
matériel, technique, artificiel, qui fait le lien entre les
générations, qui sert de vecteur intergénérationnel ou
transgénérationnel. »17
La différence entre disponibilité psychologique et disponibilité corporelle. Nos différents régimes d’attention.A
36
d’attention multifocal nous laisse principalement dans
un régime d’alerte et d’immersion permanent. Si notre
disponibilité phycologique se trouve être la plus sollicité en
ce début de XXIème siècle, la philosophie récente cherche
à comprendre les fondements d’une société en alerte
constante à travers notamment la compréhension de son
contraire, le silence.
37
Le silence comme élément d’une plus grande disponibilité à l’autre.
B
39
Pour tout être humain, le silence fait partie intégrante
de ses premiers apprentissages. Le silence participe à la
structuration de la réalité d’un individu et de ce qu’il perçoit
du monde. Le mot « silence » est lui-même polysémique et
son interprétation dépend de son contexte.
Tout d’abord le silence n’est jamais total. Il peut au mieux
se ressentir par de légères sonorités aiguës provenant de
notre système nerveux, couplées avec les sons graves des
battements de notre cœur. L’écoute de ce bourdonnement
que nos oreilles subissent constamment, éveille chez
l’individu sa prise de conscience de sa condition d’être
vivant. C’est en cela qu’il est intéressant de s’attarder sur
l’expérience phénoménologique qu’il provoque et à ses
diverses répercutions : sur le plan social, sur nos interactions
quotidiennes ainsi que sur notre disponibilité. À cet effet,
Jiddu Krishnamurti précise que le silence de la conscience
40 19 Krishnamurti Jiddu, La révolution du silence, Le Livre de Poche, 1994.
englobe les différentes natures du silence que nous allons
détailler par la suite :
« Il y a le silence d’une conscience qui n’est jamais
atteinte par aucun bruit, par aucune pensée, ni par le
passage du vent de l’expérience. […] La méditation d’un
esprit totalement silencieux est la bénédiction que
l’homme ne cesse de rechercher. En ce silence sont
toutes les différentes natures du silence. […] Ce silence de
la conscience est le véritable esprit religieux, et le silence
des dieux est le silence de la terre. L’esprit méditatif suit
son cours dans ce silence, et l’amour est sa manière
d’être »19.
C’est bien cet état de communion qui confirme cette
intuition que le silence peut, dans l’invisible et l’inaudible,
être favorable à une plus grande disponibilité à l’autre.
41
Dès lors, deux silences font leurs apparitions, le premier
appelé « silence contenant », est la conséquence de la
définition de l’ordre social, déterminant la position de
chacun dans la société. Caractérisé par une ouverture au
monde, c’est le silence de la disponibilité à soi et au monde
(la conscience sensible). Il permet de lever les masques,
et d’ainsi favoriser le rapprochement avec l’autre. Il est
étroitement lié pour chacun à son désir d’intégration sociale,
que l’on peut maintenir ou le briser selon les cas.
L’autre forme de silence présente dans cette expérience
phénoménale est appelée « silence contenu » il est quant
à lui imposé et voulu selon les conditions sociales. Il
encadre de façon rigide l’échange entre les individus grâce
à des normes, coutumes, conventions ou encore diverses
politesses. C’est le silence inconscient (élocution culturelle)
et conscient pour le statut et le pouvoir (rôle social). (Voir
Fig. 3)
Le silence comme élément d’une plus grande disponibilité à l’autre.B
42
Fig. 3 : Silence « contenu » versus silence « contenant ».
43 20 Barsalou Marc-André, Silence et rencontre – La disponibilité à l’autre, Université du Québec à Montréal, 1977, p.60.
Cette différence nous dévoile bien les deux aspects du
silence phénoménal que l’on expérimente quotidiennement
et permet de mettre en évidence son rôle social. En effet,
un silence utilisé avec justesse est un atout, mieux encore,
son imposition est une stratégie du pouvoir qui vient
non seulement garantir le consentement de l’individu à
la structure de l’ordre social, mais favorise également le
conformisme à l’idéologie dominante qui le soutient. On
« En bref l’expérience phénoménale du silence a une
double portée : dans l’imaginaire, le silence dynamise
la représentation et, dans le concret, il ouvre sur la
conscience de l’expérience vécue. Il est, entre autres, le
lien entre la sensibilité et l’entendement. Si le silence est
une partie intrinsèque de la structure des interactions
au sein de la réalité quotidienne et qu’il est une matrice
relationnelle, une différence marquée concernant la
disposition à la rencontre de l’autre s’impose entre le
« silence contenu » et le « silence contenant »20.
Le silence comme élément d’une plus grande disponibilité à l’autre.B
44
peut faire le parallèle ici avec les réglementations pour faire
taire les individus, en restreignant leur propre liberté ou, à
l’inverse, en les assourdissant de bruits environnants, pour
les menotter par le silence et l’écoute. Car l’édification d’une
société ou d’une communauté, comme la mise en évidence
l’anthropologie politique, s’appuie sur la classification de
l’ordre et du désordre. À cet égard, le silence est entre
autre considéré comme un apport organisationnel dans la
communication lors des interactions de la vie quotidienne.
Le silence hiérarchise donc la communication, lors des
échanges au sein d’une société, tout comme entre deux
personnes.
L’utilisation du silence, dynamise également le langage,
permet d’inclure des pauses et du rythme. L’étude de la
« pausologie* » fut entamée par Goldman-Eisler dans
45 21 Le Breton David, Du silence : Essai, Métailié, 1997.
les années soixante. Plusieurs recherches prouvent par
exemple qu’une pause précède la présentation d’une grande
quantité d’informations et d’énoncés plus complexes. Il en
est donc promoteur, porteur de sens, mais est également
influencé, parfois soumis, aux formes que prendra la
communication. Aujourd’hui au sein de notre société,
l’énoncé est maître et partout, comme si la seule présence
d’une personne ne suffisait plus pour se placer à ses côtés
: « dans la communication au sens moderne, il n’y a plus de
place pour le silence, il y a une contrainte de parole, de rendre
gorge, de faire l’aveu puisque la « communication » se donne
comme la résolution de toutes les difficultés personnelles
ou sociales »21. La nécessité du silence réside donc dans
son utilisation, permettant de dynamiser l’utilisation du
langage et de favoriser la perception directe du monde
et de la réalité de l’autre. Néanmoins, dans une culture où
Le silence comme élément d’une plus grande disponibilité à l’autre.B
46 22 Barsalou Marc-André, Silence et rencontre – La disponibilité à l’autre, Université du Québec à Montréal, 1977, p.33.
l’on s’attend à une verbalisation continue, abondante, sinon
divertissante, celui qui est silencieux met à mal, voir menace,
le lien social. En effet, les instants gardés silencieux, sont
comptés comme une perte de temps pour l’individu et sont
généralement vécus dans l’ambivalence et le suspens. La
logique marchande place même le silence comme un risque
de rupture communicationnelle, entraînant parfois même
l’échec de la rencontre. C’est ce paradigme cybernétique qui
place le silence dans un contexte où la communication est
considérée comme un échange d’information « quantifiable »
et objectivable, « le silence est nécessairement l’entropie à
laquelle l’information explicite remédie »23. Cette dynamique
de notre système pose le silence comme un élément
intolérable dans le cours de l’échange communicationnel.
47 23 Lafontaine Céline, L’empire cybernétique : des machines à penser à la pensée machine, Seuil, 2004.24 Barsalou Marc-André, Silence et rencontre – La disponibilité à l’autre, Université du Québec à Montréal, 1977, p.24.
« Ainsi, le silence qui remet en cause la « sacralisation »
de la communication informationnelle fait figure
de nouvel interdit : la connotation de vide qui lui est
rattachée entraîne sa mise à l’écart. […] En outre, à l’ère
des TIC, il semble se produire un renversement qu’il
est utile d’aborder : la quantité de « relations » définit
pour plusieurs la qualité de la communication qu’ils
entretiennent et leur profil relationnel. Beaucoup de gens
investissent de plus en plus de temps dans des échanges
virtuels, et ceci, au détriment des échanges en personne.
Ainsi, il s’agit davantage de se procurer de l’information
sur des faits et gestes que d’engager un échange
dynamique qui ait lieu dans un temps partagé avec un
interlocuteur. »24
La mise en évidence de ce paradigme souligne la place
qu’a pris le silence dans notre société aujourd’hui avec le
basculement d’une connotation « mystique » et porteuse de
sens à une connotation de « vide » pouvant même parfois
entrainer une rupture du lien social. Si le silence dans la
Le silence comme élément d’une plus grande disponibilité à l’autre.B
48
communication et plus particulièrement dans la rencontre
a toujours été porteur de sens il est l’un des éléments
nécessaires à une plus grande immersion dans le monde de
l’autre. De plus, l’expérience phénoménologique qu’entraîne
le silence au travers de ses deux dimensions que l’on a
exposées auparavant (silence contenu et silence contenant)
démontre sa légitimité dans l’ordre social. Seulement
on voit bien qu’aujourd’hui sa place est bien différente,
alors qu’un silence absolu a toujours été impossible, c’est
aujourd’hui le silence tout court qui est craint et redouté.
Si certaines formes de communication sont jugées plus
favorables que d’autres à la création de relation et de sens,
la symbolisation que prend le silence diffère constamment.
Si les conversations écrites sont bien plus privilégiées
par la génération Y*, les messages vocaux et les appels
sont toujours bien plus utilisés par la génération qui les a
49
précédée. La connotation du silence qui est entraînée diffère
alors complètement, alors qu’un message vocal intègre
l’intonation, le ton, le débit et les silences, un message écrit
pourra uniquement décrire une ponctuation particulière.
Le silence fait donc parti prenante de la construction d’une
relation aujourd’hui, porteur de sens, il s’adapte aux moyens
de communications et à la place que chacun souhaite lui
céder.
Le silence comme élément d’une plus grande disponibilité à l’autre.B
La relation construite entre moments de présence et moments d’absence.
C
51
Comme nous l’avons évoqué précédemment, la crainte
du silence dans nos communications actuelles est
l’une des preuves d’une plus grande densification de
nos communications. En effet, si au siècle dernier nous
recevions une lettre d’un proche, la succession d’actions
et de gestuelles nécessaires, allant du dialogue avec son
postier jusqu’à l’ouverture de l’enveloppe soigneusement
préparée, soulignait l’importance d’un tel message. Nous
pouvions sentir l’odeur qui s’était imprégnée dans le papier,
deviner les moments de doute dans l’écriture, les ratures,
l’usure, voire même l’émotion qu’accompagnait chacun
des ces messages. La crainte de voir sa lettre égarée par
la poste renforçait encore plus son unicité. Nous pouvions
mettre deux jours, même une semaine, avant de choisir d’y
répondre, décidant que c’était enfin le bon moment.
52
L’arrivée d’internet dans les années quatre-vingt-dix a
complètement changé les formes de communications ;
passant du physique au virtuel, du délai de livraison à
l’instantanéité et de l’émotionnel au binaire*. Aujourd’hui
l’échange relationnel n’est plus du tout le même, l’arrivée des
réseaux sociaux et des smartphones a considérablement
transformé le paysage technologique, emmenant avec
elle une nouvelle vague générationnelle aux attentes
complètement différentes. Si nos relations aujourd’hui sont
une succession de moments de présence et de moments
d’absence, l’enjeu du lien social est de tisser quelque
chose dans cette succession de moments distincts. Ce qui
compte, c’est d’être ensemble. Il s’agit donc aujourd’hui de
compenser les effets négatifs des différentes séparations.
La présence est donc quelque chose de central dans la
création ou le maintien d’une relation.
53
Il apparait donc que les moments de présence sont un
luxe dans le paysage relationnel actuel. En effet, dans
une société gestionnaire avec de nombreux impératifs
managériaux, les grands décideurs se rendent comptent
que les moments de présence sont très coûteux, à la
fois en énergie et en temps. La relation en face-à-face
qui prévalait depuis toujours comme norme se voit donc
remise en question. Les nouvelles formes de présence qui
se développent, comme les vidéo-conférences, ou plus
récemment ces robots mobiles qui permettent de faire des
visioconférences et même visiter à distance, essayent de
traduire notre présence le plus fidèlement possible. Selon
une étude Sigman, nos relations numériques auraient
pris le pas sur nos relations en face-à-face en 1997 avec
depuis une très forte baisse de nos interactions physiques
(Voir Fig.4). Les modalités d’attention et de disponibilité
La relation construite entre moments de présence et moments d’absence.C
54
engendrées par ces nouvelles métaphores de notre présence
sont complètement opposées à celle d’une présence en
face-à-face. L’objectif des grandes entreprises qui gèrent
nos communications quotidiennes est donc de produire
des formes de relations qui soient satisfaisantes. L’histoire,
encore très brève de l’émergence des réseaux sociaux, nous
prouve déjà qu’une lassitude de la part des utilisateurs
lors de l’apparition d’un média à l’avantage concurrentiel
suffisamment important, entraine un effet réseau*. Cet
effet provoque un basculement très rapide de la part des
utilisateurs d’un média à l’autre, nous l’avons vu récemment
avec le passage de MSN à Facebook par exemple en 2005.
Ces nouvelles formes de communications se sont également
énormément diversifiées avec l’apparition de médias
spécifiques entraînant un découpage des conversations
sous plusieurs plateformes. Nous initions le début de la
55
conversation par un Snapchat, continuons l’échange via
Facebook Messenger, puis décidons de faire un Skype avant
de se quitter sur WhatsApp. Cette nouvelle configuration du
paysage technologique de la communication, à la panoplie
toujours plus complexe, toujours plus riche, toujours plus
grande, pose de nombreux problèmes de disponibilité.
Fig. 4 : Interactions Sociales vs Usage de médias numérique.
La relation construite entre moments de présence et moments d’absence.C
56 25 Licoppe Christian, Congrès UNASP, Telecom Paris Tech, Octobre 2014, [en ligne] URL : https://www.youtube.com/watch?v=0lOhYuB8ZMw
« Il ne s’agit plus tant de lutter contre l’absence
mais de lutter contre le silence. C’est le silence qui est
insupportable. C’est passer une heure sans avoir eu
un signe de l’autre qui devient insupportable. Il y a un
glissement de ce vers quoi on lutte dans le tissage du lien
de l’absence dans la première conception qui reposait
sur la notion de présence en face à face comme manière
première de concevoir le lien, vers quelque chose dans
lequel le lien se tisse dans une lutte incessante vers le
silence, ce qui est assez différent. C’est aussi coûteux de
faire ça et pose des questions de disponibilité. [...] Quand
on est sur la modalité de présence connecté, tisser des
liens, devient un projet. »25
Nous nous trouvons donc dans des environnements
relationnels de plus en plus denses, composés comme
nous l’avons vu, de moments de présence et de moments
d’absence. Et plus précisément, nous assistons à la
construction d’environnements relationnels de plus en plus
denses avec les personnes absentes. A contrario, nous
construisons des environnements relationnels de moins
57
en moins denses avec les personnes présentes. Nous
avons tous cette image des voyageurs dans le métro,
hyper-connectés, se cachant derrière leurs smartphones
depuis quelques années. À savoir que la suggestion la plus
répandue dans la demande de participation des voyageurs
franciliens est l’installation de bornes GSM* et 3G dans les
stations de métro. Il est cependant nécessaire de mettre
en perspective cette affirmation en relevant que bien avant
l’usage des smartphones, les voyageurs des métros avaient
toujours tendance à se cacher derrière leurs journaux
pour garder leur intimité et leur espace personnel dans
ces moyens de transports peu propices à la création de
nouvelles relations satisfaisantes.
Alors que ces nouveaux moyens de communications
s’intensifient, il semble s’affirmer que la quantité définit
désormais la qualité. En effet, l’adoption d’un système de
La relation construite entre moments de présence et moments d’absence.C
58
notifications et de récompenses provoque chez l’utilisateur
une quête infinie. Niel Eyal, dans son ouvrage Hooked :
The psychology oh How Products Engage Us, développe et
détermine quatre étapes pour un service numérique pour
passer d’un faible engagement de l’utilisateur à un très grand
niveau d’engagement.
Les anglo-saxons appellent le premier d’entre eux « The
Trigger ». Composant la première étape, il relie le problème
que peut ressentir un utilisateur avec une solution. Il peut se
matérialiser de deux façons différentes, grâce à des External
Triggers (alarmes, e-mail avec des incitations d’actions,
magasins). La deuxième matérialisation de ce premier
composant sont les Internal Trigger (émotions, routines,
situations, lieux, personnes). Il insiste en affirmant « What to
do next is in the user’s head. You need to know the internal
59 26 Eyal Niel, Hooked : The psychology of how products engage us, 2013 [en ligne] URL : https://www.youtube.com/watch?v=TDRQfGT6GtE&feature=youtu.be
trigger your customers use. »26 Nous pourrons prendre
ici l’exemple du scroll infini mis en place par Pinterest
en 2013, qui permit à l’utilisateur d’avoir une navigation
fluide, ininterrompue et une bien plus grande immersion.
Sachant que l’Internal Trigger utilisé par Pinterest vient
d’un sentiment, capté au plus profond de nous : la
sérendipité. En effet de la même manière que Facebook
aujourd’hui, Pinterest a réussi à capter ce sentiment en
proposant toujours un contenu nouveau, intéressant pour
l’utilisateur, ne le laissant jamais indifférent dans sa quête
de découverte, et lui soufflant doucement dans l’oreille « tu
risques de rater quelque chose… »
La seconde étape est celle de l’action. Lorsque accomplir
devient plus simple que réfléchir. L’idée derrière cette
étape est d’augmenter la capacité de l’utilisateur à avancer
La relation construite entre moments de présence et moments d’absence.C
60
dans le processus grâce à de nouvelles actions, simples à
réaliser, ne demandant que très peu de réflexion pour que
l’utilisation soit la plus fluide possible. Pour arriver à une
utilisation idéale du service, le concepteur peut également
augmenter la motivation de l’individu en se servant des
motivators of behaviors, comme par exemple jouer avec le
plaisir de l’utilisateur, l’espoir ou encore son consentement.
Il est alors primordial d’éviter les phénomènes de difficulté,
de peur ou bien de rejet. Ce sont le temps, l’argent, l’effort
physique, cérébral, la déviance sociale et l’inattendu qui
doivent être pris en considération pour proposer une
expérience idéale. On voit énormément se développer dans
les services numériques l’utilisation de passerelles pour
éviter à leurs visiteurs de nombreuses étapes fastidieuses et
répétitives grâce aux log-in via Facebook ou encore via barre
de recherche intelligente.
61
La troisième composante du processus permettant une
plus grande implication de l’utilisateur est le Reward, avec
la question sous-jacente, comment pouvons-nous susciter
le désir chez nos visiteurs ? L’une des solutions mise en
avant est le recours au mystère, tout le monde sait que
l’inconnu est fascinant. De plus notre cerveau est une
machine à prédictions, nous tentons de comprendre les
liens de causes à effets constamment. B.F. Skinner, grâce à
ses travaux sur le comportementalisme radical, nous éclaire
en démontrant que l’ajout de récompenses intermédiaires
avant la récompense finale augmente la satisfaction et le
taux de réussite27. Et c’est le neurotransmetteur provoquant
le plaisir et la motivation qui en est la cause principale : la
dopamine. Sécrétée à faible dose dans notre cortex cérébral,
elle entraine cette quête de la récompense. De plus, il existe
La relation construite entre moments de présence et moments d’absence.C
62 27 Skinner B. F., L’Analyse expérimentale du comportement, Editions Mardaga, 1969.
trois différents types de récompenses :
- The Tribe : S’appuyant sur la coopération, la compétition,
la reconnaissance, l’acceptation, l’empathie ou encore la joie.
- The Hunt : Focalisé sur l’argent, la nourriture ou
l’information.
- The Self : Entraînée par la recherche de sensations, de
maîtrise, de cohérence, d’aptitude et de réalisation.
De plus, il n’y a jamais d’engagement sans autonomie de
la part de l’utilisateur. La différence par exemple entre un
jeu vidéo solitaire avec un jeu vidéo multijoueurs, réside
dans le nombre de variables prise en compte. Alors que le
jeu vidéo solitaire est dans la consommation d’expériences
prévisibles, le jeu vidéo multijoueurs quant à lui, ne propose
jamais la même expérience ; il crée du contenu, propose
63
différents adversaires, défis ou encore de nouvelles
communautés.
Enfin le dernier composant est l’Investment, lorsque
l’utilisateur contribue de lui-même au système. Dans l’espoir
de récompenses futures, il fait le lien avec le premier
composant. L’idée dans laquelle l’expérience et la valeur
d’un produit vont augmenter considérablement grâce à
sa plus grande utilisation est au cœur de ce composant.
« The more we use product, the more the product inscrease
its value. »28 Cette création de valeur peut également être
accentuée par la création de préférences d’utilisations ou
de raccourcis. Nous prendrons ici l’exemple de la demande
de contribution que Facebook nous propose chaque jour,
à savoir le « j’aime », qui incite le visiteur à effectuer un
seul clic, lui permettant d’obtenir par la suite de meilleurs
La relation construite entre moments de présence et moments d’absence.C
64 28 Eyal Niel, Hooked : The psychology of how products engage us, 2013 [en ligne] URL https://www.youtube.com/watch?v=TDRQfGT6GtE&feature=youtu.be29 ibid.
contenus en rapport avec ses attentes. Il est cependant
notable de démontrer la dangerosité d’un tel système de
fonctionnement, aiguillonnant l’utilisateur dans ses propres
appréciations et agrémentant son fil d’actualité de contenus
réconfortant. Une chose à retenir ici : « Little investments, big
results. » (Voir Fig. 5)
La compréhension de nos comportements et de nos
attentes dans la création d’un service est donc primordiale
pour sa réussite. L’usage de stimulants, d’actions rapides
et simples à réaliser, de récompenses, pour afin arriver
jusqu’à un investissement de la part du visiteur, nous permet
donc de créer des services engageants, en comblant les
manques des utilisateurs. Cependant lorsque l’auteur
parle de « Internal Trigger », Niel Eyal met en avant des
comportements négatifs ou passifs de la part des usagers.
65
Fig. 5 : The Hook
La relation construite entre moments de présence et moments d’absence.C
66
Les solutions qu’il propose s’appuient sur leurs points
faibles sans jamais les résoudre ; il propose aux créateurs
de services d’agir sur ces derniers pour en profiter.
Il est donc primordial et urgent de proposer aux utilisateurs
un service répondant à un problème ou une crainte, par une
solution simple ne piégeant pas l’utilisateur dans une quête
de dopamine inutile et auto-réconfortante.
La construction d’expériences numériques dont
l’unique but est leur propre utilisation, au détriment d’une
implication utile et positive de l’individu, va même jusqu’à
des diagnostics de maladies, la dernière en date étant la
Nomophobie. Tout droit venu de l’anglais pour « No Mobile
Phone Phobia », ce nouveau diagnostic moderne d’une peur
d’être séparé de son téléphone portable, a comme premier
symptôme un sentiment que nous avons probablement
tous ressenti, celui d’avoir senti vibrer notre téléphone dans
67
notre poche ou notre sac à main par erreur. Un dernier
exemple sera celui du créateur de l’application Flappy Bird,
Dong Nguyen qui a décidé de retirer son produit de toutes
les plateformes de téléchargements car avec entre deux et
trois millions de téléchargements par jours il estimait son
jeu trop addictif. Si l’essence du capitalisme est un marché
fructueux, une lutte concurrentielle acharnée où des parts
de marchés doivent être gagnées, nous voyons bien ici la
place que prend l’utilisateur. Si nos créateurs d’applications
et de contenus se justifient auprès de leurs investisseurs
par un nombre d’utilisations journalières importantes, c’est
probablement aux créateurs de smartphones et de services
d’exploitation d’offrir à leurs clients un produit ou les
contenus ne sont pas en concurrence mais en cohabitation
pour délivrer une expérience unique et personnalisée. Et non
plus une succession de sollicitations similaires allant d’un
La relation construite entre moments de présence et moments d’absence.C
68
« match » Tinder à une notification du journal Le Monde sur
les derniers résultats d’une élection présidentielle.
On voit donc le volume d’alertes prédominer sur la
qualité du message délivré. Solliciter l’utilisateur d’un
système n’a jamais été aussi simple, et, alors que notre
relation avec ces applications s’intensifie, tout comme nos
conversations sur messagerie instantanée, l’importance du
face-à-face s’éloigne et s’estompe de plus en plus. Si notre
présence est devenue un luxe et notre absence un état de
fait, la création de relations en à été considérablement
changée. Baignant dans des environnements relationnels
de plus denses où notre présence numérique prédomine
notre présence physique, nous entretenons bien plus
facilement une relation virtuelle qu’une relation physique.
Si ce paradoxe s’installe depuis l’avènement des TIC, il
69
est primordial de comprendre ses causes, plutôt que de
critiquer ses conséquences néfastes. L’intégralité de notre
deuxième partie traitera donc de ces causes en mettant en
avant les constantes universelles qui régissent l’innovation
et l’économie d’aujourd’hui, impactant notre disponibilité et
notre quotidien.
La relation construite entre moments de présence et moments d’absence.C
« Être affame de temps ne provoque pas la mort mais, comme l’avaient observé les philosophes antiques, empêche de commencer à vivre »
J.P. Robinson et G. Godbey
« Être affame de temps ne provoque pas la mort mais, comme l’avaient observé les philosophes antiques, empêche de commencer à vivre »
J.P. Robinson et G. Godbey
L’Homme face au temps à travers le mythe du progrès et de l’accélération sociale.
A
73 30 Pink Floyd, Time, The Dark Side Of The Moon, EMI, 1973.
«Time» :
« Ticking away the moments that make up a dull day
Fritter and waste the hours in an off-hand way
Kicking around on a piece of ground in your home town
Waiting for someone or something to show you the way
Tired of lying in the sunshine staying home to watch the rain
You are young and life is long and there is time to kill today
And then one day you find ten years have got behind you
No one told you when to run, you missed the starting gun
And you run and you run to catch up with the sun but it’s sinking
Racing around to come up behind you again
The sun is the same in a relative way, but you’re older
Shorter of breath and one day closer to death
Every year is getting shorter, never seem to find the time
Plans that either come to naught or half a page of scribbled lines
Hanging on in quiet desperation is the English way
The time is gone, the song is over, thought I’d something more to say »30
74
Ces paroles des Pink Floyd reflètent bien le sentiment
d’une vie passant trop rapidement dans laquelle nous ne
cessons de courir après le grand train de la modernité. En
effet, nous avons tous dès l’école, connu le sentiment d’être
distancé après une absence dans un cours, ou bien dans la
vie, après de longs voyages loin de notre société, tentant de
rattraper ce « temps perdu » pour revenir à la réalité.
Si notre représentation du temps dépend du temps absolu
vécu dans une vie, nous pouvons mieux comprendre la
raison qui pousse les enfants à se plaindre sans cesse
par d’incessants « on arrive quand ? » alors que nos
grands-parents radotent encore que « la vie passe à une
vitesse folle !». Si quatre ans représentent le temps absolu
vécu par l’enfant assis à l’arrière de la voiture, les quatre
jours de vacances chez ses grands-parents lui paraîtront
75 31 Kiener Maximilian, 2015, Time, [en ligne] URL : http://maximiliankiener.com/digitalprojects/time/
interminables. À contrario, la cent-unième année de
nos grands-parents représentera exactement la même
représentation temporelle vécue pendant quatre jours par
l’enfant . Ainsi, lorsque l’on a dix ans, une année représente
10 % de notre vie, soit une très longue durée. En revanche,
à cinquante ans, une année ne représente plus que 2 % de
notre vie, et peut sembler durer cinq fois moins longtemps.31
Nous pouvons donc formuler la thèse que notre perception
du temps diffère, en corrélation directe avec notre âge.
Cependant, aucun élément nous laisse comprendre ce
sentiment de culpabilité envers le temps. Pourquoi avons-
nous, à tout âge, cette impression de retard perpétuel et une
nécessité constante de courir après le train de la modernité ?
Nous pourrions dire que ses origines datent de l’apparition
de la première horloge indiquant heures et minutes, mais
cela remonte même au temps de l’apogée de la civilisation
L’Homme face au temps à travers le mythe du progrès et de l’accélération sociale.A
76
grecque, et de l’apparition des premiers cadrans solaires.
En d’autres termes, la mesure, puis le désir de la maîtrise
du temps sont les premiers responsables directs de
notre course à la vitesse. L‘avènement des heures égales
dès l’apparition des premiers chemins de fers reliant
l’intégralité d’un pays, fût nécessaire. En effet avant
cette homogénéisation, l’homme cultivait ses champs
en « temps de soleil utile ». Cette norme nécessaire pour
le départ et l’arrivée des trains en temps et en heures
s’installa seulement au XIXème siècle. Vers 1863, Charles F.
Dowd proposa un système standard de fuseaux horaires
pour les chemins de fer américains, il imagina quatre
fuseaux idéaux aux frontières droites, le premier centré sur
Washington ; en 1872, le premier fût centré sur le méridien
75°W de Greenwich et possédait désormais des frontières
géographiques. C’est seulement quatre ans plus tard,
77
en 1876, que le Canadien Sandford Fleming proposa de
généraliser le principe au monde entier, en complément de
sa proposition d’une horloge standard de 24 heures qui ne
serait liée à aucun méridien.
Cette uniformisation du temps à nécessairement impacté
l’individu. Chacun de ses faits et gestes était dorénavant
contraint dans l’espace et inscrit dans le temps, un peu plus
qu’auparavant. Alors qu’un rendement saisonnier était la
norme dans toutes les campagnes, les paysans passèrent
petit à petit à des approximations de plus en plus précises
pour le bonheur de leur rentabilité et leurs cultures. Harmut
Rosa dans son ouvrage écrit en 2005 Accélération – Une
critique sociale du temps, nous propose un éclaircissement
des composantes de ce sentiment d’accélération. À travers
trois composantes universelles qui régissent ce phénomène
moderne, l’auteur dépeint chacune des significations des
L’Homme face au temps à travers le mythe du progrès et de l’accélération sociale.A
78
mots tels que « moderne », « post-moderne* », « fin de… »,
comme étant uniquement des diagnostics de renouveaux,
dans la mesure où, par comparaison avec des tentatives
précédentes, ils semblent bancals ou « amputés ». Ce sont
des constats d’une époque de bouleversements, privée d’un
« renouveau culturel » et, par conséquent, d’un enchaînement
du passé, du présent et du futur incohérent.
L’accélération technique que décrit l’auteur dans un
premier temps est le résultat d’une accumulation de
constantes au sein de notre société. La loi de Moore est
« Nous pouvons donc énoncer l’hypothèse centrale
de notre étude de la manière suivante : dans la société
moderne, comme « société de l’accélération », se
produit une combinaison (aux nombreux présupposés
structurels et culturels) deux formes d’accélération -
accélération technique et augmentation du rythme de
79 32 Rosa H., Accélération – Une critique sociale du temps, La Découverte, 2005, p.31.
l’une de ces principales constantes. Prédisant depuis plus
de 45 ans la performance des transistors (appelé désormais
microprocesseurs). Elle énonce en effet que la puissance
de calcul des microprocesseurs double tous les dix-huit
mois. Cette loi n’a pour le moment jamais été remise en
cause et nombre de grandes entreprises fondent dessus le
pari d’innovations radicales portées majoritairement grâce
à l’appui de cette dernière. Cette loi prédit également la
date à partir de laquelle les puissances de calculs de nos
ordinateurs seront plus importantes que celles de notre
vie par la réduction des ressources temporelles - et
donc une combinaison de croissance et d’accélération.
Cela implique que le rythme de croissance moyen (défini
comme augmentation de la quantité globale de produits,
d’informations transmises, de communications, de
distance parcourues, etc.) dépasse le rythme moyen de
l’accélération. »32
L’Homme face au temps à travers le mythe du progrès et de l’accélération sociale.A
80 33 Rosa H., Accélération – Une critique sociale du temps, La Découverte, 2005.
cerveau, en 2025. Ce premier élément de l’accélération est
régi par un moteur économique, présupposant un avantage
concurrentiel technologique indéniable. « Le temps, c’est de
l’argent. »
Mais si de telles constantes universelles régissent nos
paysages technologiques aussi précisément quel est donc la
menace ou bien opportunité qui se crée ?
« La conséquence de cette accélération technologique
c’est qu’on a besoin de moins en moins de temps pour
réaliser une tâche, une activité précise. La quantité de
ressources temporelles libres croit. Pour faire 10 km
ou recopier un livre ou produire une image, nous avons
besoin de beaucoup moins de temps que nos ancêtres
[…] Le rêve de la modernité c’est que la technique nous
permette d’acquérir la richesse temporelle. L’idée qui la
sous-tend est que l’accélération technique nous permette
de faire plus de choses par unité de temps. »33
81
Si nous nous en tenons à la deuxième forme d’accélération
que l’auteur décrit, définit comme une augmentation de notre
rythme de vie par une réduction des ressources temporelles,
nous pouvons d’ores et déjà énoncer leurs corrélations
par un lien de cause à effet. Aussi appelée accélération du
changement social, elle est la conséquence de l’accélération
technologique. Poussée par la différentiation sociale, son
moteur est socio-culturel, elle permet cet accomplissement
de tâches plus rapidement et ainsi de réaliser un gain de
temps.
Enfin une troisième accélération se crée comme
conséquence logique des deux premières, celle de
l’accélération du rythme de vie. Si cette dernière permet
de faire plus de quantité d’actions dans une unité de
temps donnée, elle est poussée par un moteur culturel : la
promesse de l’accélération qui permet également de fermer
la boucle pour revenir à l’accélération technique (Voir Fig.6).
L’Homme face au temps à travers le mythe du progrès et de l’accélération sociale.A
82
Fig. 6 : Les forces motrices externes de l’accélération
83
La mise en évidence des forces motrices de
l’accélération nous permet de mieux comprendre le
fonctionnement technologique de cette modernité en
renouveau perpétuel. Si chacune de ces composantes sont
inter-reliés et interdépendantes formant ce cercle vertueux
d’une économie à la croissance infinie, la force centrifuge
qu’elle entraîne avec elle n’est pas sans conséquences sur
notre société. Nous opérons dorénavant dans une certaine
idéologie postmoderne avec une conception floue de la
société, H. Rosa décrit :
« Le cœur de l’idéologie postmoderne dans la
philosophie aussi bien que dans la sociologie réside
à la fois dans le renoncement à une maîtrise politique
des évolutions économiques, techniques ou sociales
(« la fin de la politique »), et même à la tentative de les
comprendre (« la fin de la science de la raison »), le
renoncement à toute ambition d’une intégration narrative
L’Homme face au temps à travers le mythe du progrès et de l’accélération sociale.A
84 32 Rosa H., Accélération – Une critique sociale du temps, La Découverte, 2005, p.31.
pourvue de sens entre passé, présent et futur individuels
et collectifs (« la fin des récits ») et, par conséquent,
d’une intégration du temps de la vie quotidienne, du
temps biographique et historique dans un projet d’identité
personnelle (« la fin du sujet »), l’acceptation d’un
fonctionnement désynchronisé ou désintégré de sous-
systèmes sociaux ( la « fin de la société ») et finalement,
l’acceptation de l’évolution désynchronisée et désintégrée
de groupes sociaux distincts. »32
Si ce chaos organisé et accepté dans nos économies
actuelles suggère notre évolution désynchronisée,
l’accélération est aussi synonyme de décélération. En effet,
les forces d’accélération et de décélération ne pèsent pas le
même poids : les tendances à l’inertie sont interprétées soit
comme des tendances résiduelles, soit comme des réactions
aux processus d’accélération eux-mêmes. L’idéologie des
mouvements de décélérations (lenteur, activistes slow,
humanistes) part d’un constat simple :
85 33 Rosa H., Accélération – Une critique sociale du temps, La Découverte, 2005, p.31.
De plus, la manière dont les sujets ont de se rapporter au
temps, dépend, dans une large mesure, de la vitesse des
transformations sociales et culturelles engendrées par la
société. Cette vitesse ne cesse de croître dans le processus
de déploiement de la modernité tout comme la vision de
l’histoire d’une époque se voit bouleversée. « Ce qui est
« Qu’il nous soit aujourd’hui possible de parcourir
la distance entre A et B dans un délai plus bref
qu’auparavant n’implique ni du point de vue logique, ni du
point de vue causal que nous effectuions effectivement
ce trajet plus souvent ou que nous parcourions des
distances plus longues ; de même, la possibilité de
transmettre une quantité donnée d’éléments en un temps
plus bref (sur une distance donnée) n’implique ni du point
de vue logique ni du point de vue causal l’obligation, ou
même la seule tendance, à transmettre des masses
d’informations plus grandes ou à communiquer plus
fréquemment. Même la capacité de fabriquer plus vite
une quantité déterminée de marchandises est en soi
indépendante d’un accroissement de la production .»33
L’Homme face au temps à travers le mythe du progrès et de l’accélération sociale.A
86 33 Conrad P., Modern times, modern places, Knopf, 1999.
en cause quand on parle de modernité, c’est l’accélération
du temps »33. Enfin, G. Schulze, prône que le rythme de
vie, surtout dans la société de la modernité tardive, ne se
mesure pas uniquement par le nombre d’épisodes d’actions
(délibérées et objectivement mesurables) mais aussi par la
quantité d’épisodes d’expériences vécues (y compris donc
des expériences passives, subjectives).
L’accélération du rythme de vie a des conséquences
importances sur le développement des modèles dominants
d’identité et de personnalité. Les concepts d’individualisation
et de dynamisation des perspectives de vie sont, dans une
très large mesure, interdépendants.
L’accélération du changement social, elle aussi, est
intrinsèquement liée à une transformation aussi bien
culturelle que structurelle de la société. Si l’on considère
87
la différentiation fonctionnelle comme la caractéristique
principale des sociétés modernes, il n’y a que très peu de
doutes qu’elle ne soit pas interprétée comme une réaction
d’adaptation à l’apparition d’une pression temporelle. Elle
entraîne avec elle un risque de désynchronisation, car tous
les sous-systèmes ne peuvent être accélérés de la même
manière.
L’effet de l’accélération sociale le plus lourd de
conséquences est probablement celui de la « compression
du présent » dans une perspective culturelle. La réduction
progressive des durées pendant lesquelles nous pouvons
nous appuyer sur une quantité de connaissances, de
croyances, d’orientations pour l’accomplissement d’actions,
s’avère entraîner avec elle une dissociation de l’espace
d’attentes et d’horizons d’expériences. La temporalisation
L’Homme face au temps à travers le mythe du progrès et de l’accélération sociale.A
88 34 Conrad P., Modern times, modern places, Knopf, 1999.35 Honoré Carl, Éloge de la lenteur, Marabout, 2013, p.30-31.
de l’histoire se voit donc écrasée au profit d’une
« simultanéisation hautement dynamique » 34.
Nous voyons donc que cette force centrifuge inarrêtable
de l’accélération nous entraîne, malgré nous, avec elle, dans
une folle course au temps. Les composantes d’accélération
technologique, technique et sociale, se voient au cœur de
cette dialectique moderne. Les formes de décélérations
provoquées s’énoncent alors comme les conséquences
d’un approfondissement du temps, beaucoup trop rapide,
déshumanisé. « L’heure tourne suivant nos progrès, nous
enjoignant de ne pas prendre de retard […] dès que nous
commençons à découper le temps, les rôles s’inversent et
c’est le temps qui prend le dessus. Nous devenons esclaves
de notre emploi du temps »35. Alors que l’accélération
technologique s’est imposée dans nos sociétés comme
89
vecteur dominant, nos modes d’interactions et notre
disponibilité à l’autre s’en sont vu impactées. La disponibilité
de l’Homme et le rapport à son environnement a bel et bien
évolué au travers des différentes formes de modernité et
d’innovations auxquelles ils ont été confrontés.
L’Homme face au temps à travers le mythe du progrès et de l’accélération sociale.A
L’ub iqu i té permanente e t interconnectée devient-el le la norme ? Vers une portée symbolique de la disponibilité.
B
91
Si l’ubiquité n’est arrivée dans l’informatique que trente
ans après sa création (aux alentours des années 1990),
son origine est bien plus lointaine. Également synonyme
d’omniprésence, l’ubiquité fût représentée dans la Bible ou
encore dans les fractales mathématiques découverts plus
récemment. Son étymologie latine « ubique » qui signifie
« partout » nous renseigne un peu plus sur sa nature. En
effet, nous nous intéresserons plus particulièrement à
l’ubiquité en informatique qui désigne un environnement
dans lequel les ordinateurs et réseaux sont « intégrés »,
« enfouis » et « omniprésents » dans le monde réel.
L’utilisateur a accès à un ensemble de services au travers
des nombreuses interfaces distribuées qui se veulent
intelligentes, et dont il est entouré. Nous voyons bien
aujourd’hui l’abondance de tels dispositifs, qu’ils soient dans
l’électronique grand public directement implantés dans nos
92
foyers, dans les téléphones mobiles (GSM), smartphones,
routeurs réseaux, ordinateurs, serveurs, capteurs ou encore
projets de type JXTA*. Ces quelques exemples nous
permettent de voir que ce foisonnement d’objets intelligents
dans notre environnement s’étend de plus en plus (Voir
Fig.7). Nous voyons également les cinq composantes d’un
système intelligent évoluer au fil des années, avec tout
d’abord une augmentation de la capacité de calcul des
micro-processeurs (loi de Moore*) : une densification et
une augmentation des télécoms et des réseau ; une baisse
vertigineuse chaque année du coup de stockage et de la
capacité de mémorisation de nos appareils ; un nombre
croissant d’innovations envers l’alimentation et la demande
de ressources en énergie de nos appareils ; ainsi qu’un
développement majeur d’interfaces intuitives, naturelles voir
invisibles.
93
Ces technologies évoluent à une vitesse inédite : la taille
de la mémoire et de l’espace disponible, la puissance de
calcul et la vitesse d’échange des informations ont gagné
chacune deux ordres de grandeur en seulement dix ans.
Fig. 7 : Propagation de l’ubiquité informatique
L’ubiquité permanente et interconnectée devient-elle la norme ? Vers une portée symbolique de la disponibilité.B
94
Nous voyons bien que ces innovations technologiques
amènent de nouvelles opportunités depuis leurs créations
(développement de technologies de rupture, nouvelles
manières de communiquer, d’échanger, de produire, de se
déplacer, etc..). Cette accélération technologique, mise en
évidence par H. Rosa dans le chapitre précédent, propose
deux composantes supplémentaires, celle de l’accélération
technique et celle de l’accélération sociale. Nous verrons
donc ici quelles en sont leurs répercutions aujourd’hui.
Si l’ubiquité a refait son apparition avec l’avènement des
TIC, il n’est cependant pas négligeable de voir comment,
bien avant l’ère numérique, les intellectuels prédisaient nos
modes de vie :
95 40 Nordeau Max, Dégénérescence, Dietrich, 1894, p.532.41 Crary Jonathan, Le capitalisme comme crise permanente de l’attention, La Découverte, 201, p.43.
Il est intéressant en guise d’analyse de cette citation, de
voir le commentaire de J. Crary en 2015 rétorquant : « Ce
qui ni lui ni ses contemporains n’avaient saisi alors, c’est
que la modernisation n’était pas un ensemble précis de
changements ponctuels, qui ne s’interromprait jamais pour
permettre à la subjectivité individuelle de s’y accommoder
et de « combler son retard.» »41 Rejoignant donc la thèse
mise en avant par H. Rosa précédemment d’un processus
perpétuel.
« La fin du XXème siècle verra donc vraisemblablement
une génération à laquelle il ne sera pas nuisible de lire
journellement une douzaine de mètres carrés de journaux,
d’être constamment appelée au téléphone, de songer
simultanément aux cinq parties du monde, d’habiter à
moitié en wagon ou en nacelle aérienne, et de suffire
à un cercle de dix mille connaissances, camarades et
amis. Elle saura trouver ses aises au milieu d’une ville de
plusieurs millions d’habitants. »40
L’ubiquité permanente et interconnectée devient-elle la norme ? Vers une portée symbolique de la disponibilité.B
96
L’une des conséquences les plus importantes de ces
accélérations technologiques est bien son immédiateté.
En effet, si auparavant nous accédions à l’information
chaque jour grâce au journal national, ou encore grâce à
l’implantation des postes télévisés dans le cœur de nos
foyers, sous formes d’émissions pré enregistrées, nous
avons dorénavant accès en un clic et une fraction de
seconde à n’importe quelle information grâce au Web*. Cette
immédiateté technologique s’est par la suite implémentée
dans chacune de nos utilisations numériques jusqu’à en
impacter nos modes de communications. Nous voyons
depuis quelques années se développer des techniques de
communication tentant de se rapprocher au mieux des
manières de communiquer en face-à-face. Qu’elles soient
sous forme de tentative d’écriture, de correction, d’hésitation,
d’accusé de réception ou même d’indication de l’heure
97
précise de sa lecture par le destinataire. Tous ces indices
d’une communication immédiate et instantanée nécessitent
à l’utilisateur une quantité non négligeable de ressources
cognitives pour pouvoir y répondre ainsi qu’une certaine
prédisposition. Si notre disponibilité en a été naturellement
influencée, sa sur-représentation à travers chaque média la
pervertit un peu plus.
L’un des moments phare dans l’histoire d’internet fût
lorsque notre disponibilité numérique s’est vue dépasser
notre disponibilité physique et corporelle. Cela coïncide très
fortement avec l’apparition des réseaux de communication
et des réseaux sociaux. En effet, les boites e-mails, n’étaient
alors qu’une métaphore de nos boîtes aux lettres physiques,
contrairement aux réseaux sociaux qui ont notamment
instaurés le profiling*. Cette nouvelle idée, transformant
L’ubiquité permanente et interconnectée devient-elle la norme ? Vers une portée symbolique de la disponibilité.B
98
une adresse e-mail en description personnelle a vu le jour
avec des services de messagerie instantanée tel que MSN,
Windows Live ou encore les premiers blogs personnels.
Cette première métaphore, à travers un statut, a imposé
une nouvelle disponibilité à chaque utilisateur envers le
service. La création d’un profil, par le remplissage de champ
d’informations personnelles, a permis à l’usager de se
projeter un peu mieux dans la peau du personnage qu’il allait
dorénavant devoir jouer. Cette première représentation de
notre « disponibilité numérique » ne fût pas la dernière. En
effet, à travers chacun des réseaux sociaux auxquels nous
choisissons d’adhérer depuis quelques années, une nouvelle
disponibilité et un nouveau profiling se créent. Qu’il soit par
une connexion via Facebook, afin d’alléger l’utilisateur de
ressources temporelles comme nous l’avons vu, ou encore
via l’implémentation de nouvelles informations personnelles
99
complémentaires. Les créateurs d’applications ont bien
compris l’intérêt des informations personnelles et des
datas sur chacun de ces utilisateurs. Que ce soit à travers
Linkedin qui métaphorise notre disponibilité professionnelle,
Twitter se chargeant de notre promptitude, Facebook de
notre sociabilité ou encore Tinder pour notre excentricité
amoureuse, chacun de ces nouveaux réseaux sociaux nous
créent de nouvelles « disponibilités numériques. »
Cette représentation digitale de notre disponibilité,
métaphorisant pour la première fois notre disposition à
effectuer un tâche qui, majoritairement ici, s’avérait être
notre capacité à répondre dans l’instantanéité. Traquant
chacun des aspects de notre personnalité et de nos
caractères, chacune de ces métaphores révèlent la portée
symbolique d’une disponibilité numérique ayant perdu
L’ubiquité permanente et interconnectée devient-elle la norme ? Vers une portée symbolique de la disponibilité.B
100
42 Stiegler Bernard, L’attention, entre économie restreinte et individuation collective, La Découverte, 2014.
son sens premier. La disponibilité rappelons-le, viens du
latin disponibilis signifiant « dont on peut disposer ». Cette
disposition n’est aujourd’hui qu’une illusion bien vide. Nous
conseillons même aux professionnels d’aujourd’hui d’écrire
« à la recherche de nouvelles opportunités » sur leur profil
Linkedin, quand bien même ils arrivent à peine dans leur
nouvel emploi.
Par ailleurs, l’influence de nos rétentions tertiaires42,
c’est-à-dire notre externalisation par des objets, rites,
supports mnémotechniques, a également bouleversé nos
disponibilités. En effet, nous avons produit, stocké, élaboré,
échangé et exploité plus de données cette dernière année
que dans toute l’histoire de l’humanité. L’augmentation
de notre capacité de stockage, des différents supports
de rétention bouleverse la manière dont nous retenons
101
l’information. Lors de la consultation d‘un article sur
internet, nous ne retenons désormais ni la date de parution,
ni le contexte de l’écriture, ni même l’entièreté de la thèse
de l’auteur, mais nous privilégions la manière de pouvoir
accéder de nouveau à cet article, sous forme d’hyperlien
ou de successions de mots clef à l’intérieur d’un moteur
de recherche. Plus inquiétant encore, lors d’une discussion
avec un ami à propos de cet article, faisant l’apologie de la
thèse de l’auteur, nous ne proposons plus dorénavant une
exposition critique de sa réflexion, mais soumettons à notre
ami de se faire sa propre idée en lui fournissant le chemin
pour y accéder. Les prémices de cet « effet Google » bien
connus seront plus détaillés dans la troisième partie de ce
mémoire.
L’ubiquité permanente et interconnectée devient-elle la norme ? Vers une portée symbolique de la disponibilité.B
102
Cette influence de nos rétentions tertiaires, sur nos
modes de communication et notre disponibilité, n’est
qu’une illustration parmi une infinité d’exemples possibles.
Cette culture du « tout, tout de suite » que nous vivons
actuellement dans un besoin addictif de changement et de
renouvellement, n’est qu’une des conséquences de cette
accélération technologique. La vitesse de circulation des flux
d’idées, d’objets, d’informations, induit une obsolescence
inévitable. La sur-représentation de notre disponibilité,
à travers chacun des médias numériques d’aujourd’hui,
renforce l’écart entre notre disponibilité physique et notre
disponibilité numérique.
C’est ainsi que l’ubiquité permanente et interconnectée
devient la norme comportementale. Le temps immédiat et
instantané, remplace le temps long et méditatif. Le lien social
n’est toléré que s’il est fluide. Ces nouvelles caractéristiques
induites par ces transformations numériques conditionnent
nos modes de communications et définissent, dans un
renouveau perpétuel, les nouvelles normes à suivre.
L’ubiquité permanente et interconnectée devient-elle la norme ? Vers une portée symbolique de la disponibilité.B
L e c o n d i t i o n n e m e n t qu’imposent nos modes de communication actuels.
C
105
L’époque n’est pas si lointaine où certains espéraient que
l’évolution technique allait permettre d’alléger le travail et
de nous rendre plus disponible en libérant du temps libre.
Puissante en Occident durant les années de croissance
de l’après-guerre ainsi que ces dernières années, cette
promesse ne s’est jamais réalisée. C’est même l’inverse
qui s’est produit. Nous avons le sentiment de manquer de
temps, tout en étant équipé de toujours plus d’appareils qui
effectuent des tâches à notre place. De façon sournoise,
les nouvelles technologies exigent en réalité du temps
supplémentaire. De cette manière, elles accroissent aussi le
rythme de la vie. Nous rendant de plus en plus dépendant
d’elles, chacune des modalités et des comportements
souhaités nous conditionnent un peu plus dans leur manière
de fonctionner. Chacune des applications, habitudes, que
nous leur apportons est analysé, optimisé pour nous rendre
106
encore un peu plus dépendant. Ce formatage, imposé par la
société indirectement, nous pervertit vers de nombreuses
dérives narcissiques, parfois égoïstes, mais surtout tentant
de flatter notre ego encore un peu plus. Si les likes, followers
et autres « amis numériques » ont envahi notre quotidien
depuis quelques temps, nous avons fini par rentrer dans le
jeu, qu’on le veuille ou non. Dorénavant, entreprises, hommes
politiques, célébrités, et internautes se sont adonnés à ce
spectacle, nourrissant la machine, chacun y trouvant son
compte. Que ce soit à travers une communication ciblée,
des datas apportés sur un plateau ou encore une influence
mondiale, ces nouvelles modalités de participations
numériques ne cessent de nous contraindre. Si Facebook
n’implémentera jamais un bouton « je n’aime pas » c’est
simplement qu’il ne souhaite nullement voir son réseau
social dériver vers de la participation négative de la part de
ses utilisateurs.
107
L’autre exemple que l’on pourrait citer ici est le
fonctionnement de Wikipédia aujourd’hui, utilisé partout
dans le monde, il a permis de créer cette encyclopédie
mondiale du savoir, agrémentable et étayable par n’importe
quel utilisateur, sous vérification de sa pertinence. Le savoir
est donc ici traité uniquement sous forme d’une seule image,
modifiable suivant les circonstances, l’histoire et les progrès
scientifiques. Cette photo instantanée du savoir ne reflète
que sa dernière version, mise à jour, ne nous informant
en rien des conflits, idéologies et croyances divergentes,
contradictions avec la définition précédente ou mise en
relation historique pouvant expliquer cette représentation.
Ce sont l’histoire de ces désaccords, leur enchaînement,
leur mise en relation, qui créent du sens et du savoir à sa
signification propre. Le savoir n’est fait que de controverses,
c’est-à-dire, suivant l’une de ces définitions « Par manière
Le conditionnement qu’imposent nos modes de communication actuels.C
108
de doute et d’interrogation » - alors que Wikipédia est
aujourd’hui utilisé par un nombre croissant d’écoles ou
d’universités mondiales.
Nous voyons bien que les nouveaux réflexes numériques,
en perpétuels changements, nous obligent à approuver leurs
fonctionnements, ne prenant alors presque plus la peine de
les remettre en question.
Par ailleurs, de nombreux intellectuels du monde entier
tentent de tirer les leçons de vingt-trois ans de Web en
proposant de nombreuses alternatives. L’une des plus
importantes qui semble se dessiner est une architecture
basée sur la certification collective. Non plus simplement
via l’« html* », qui s’avérait n’être qu’une intention de son
fondateur, il s’agit ici de créer des dispositifs de contributions,
basés sur les nouveaux réseaux sociaux. Inspiré des
109
modèles de G. Simondon et crée par Satochi Nakamoto
en 2009, cette architecture est appelée Blockchain*. La
Blockchain, c’est en fait l’architecture sous-jacente aux
Bitcoins*. Le Bitcoin, est une monnaie virtuelle apparue en
2009 permettant de générer des transactions monétaires
sans aucune autorité centrale. Mais ce n’est pas le Bitcoin
qui nous intéresse mais son architecture réseau. En effet
il n’est qu’une application de cette nouvelle architecture.
Seulement il pourrait y voir énormément d’autre applications
que celle appliquée à la transaction monétaire. Mais qu’a
de si particulier le Bitcoin et la Blockchain pour bouleverser
l’économie mondiale ainsi que le « html » ? C’est une sorte de
livre de comptes ouvert et distribué, dans lequel l’ensemble
des transactions est consultable par tout le monde. C’est
un enchaînement de blocs, qui retracent, l’ensemble des
transactions depuis le tout début de sa création. C’est ce
Le conditionnement qu’imposent nos modes de communication actuels.C
110
43 Christian Fauré – Hypnomenta : supports de mémoire, [en ligne] URL http://www.christian-faure.net/2015/09/13/la-blockchain-et-lemergence-des-distributed-consensus-engines/
que l’on qualifie d’architecture distribuée. (Le web a quant à
lui une architecture décentralisée). On parle d’architecture
distribuée quand il y a des échanges peer-to-peer*, torrents*
etc. La Blockchain est particulièrement politique avec la
plupart des techno-libertariens*. L’ambition initiale de Paypal
était de supprimer le dollar. S’appuyer sur cette technologie
pour liquider toute la puissance publique monétaire n’est
donc plus quelque chose d’utopique. « Nous proposons
une solution aux problèmes de dépenses en utilisant un
serveur … »43 - Satochi Nakamoto.
La force de la Blockchain est d’avoir un système qui
prend une décision même dans un contexte qui n’est pas
forcément sécurisé. Il peut y avoir plein d’espions, mais tant
que 51% des serveurs sont honnêtes, le système arrive a
prendre des décisions dans un environnement non sécurisé
à 100% comme peuvent l’être les environnements « https* »
aujourd’hui.
111
Chaque bloc qui s’ajoute à la Blockchain est le fruit d’un
consensus algorithmique et machinique. C’est en ce sens
là que la machine est parfaite. (Il y a un nouveau bloc
toutes les dix secondes). Le Web est une technologie de
transfert. (http*, FTP* où « t » signifie transfert). Le Web a
permis l’automatisation de la mise en relation des idées, des
textes, des internautes. La Blockchain, quant à elle, permet
l’automatisation de la transaction et n’a aucune asymétrie
d’information. (Il n’y a pas d’acteur qui ne voit plus que les
autres). Aucun point de vue diverge, chaque utilisateur voit
la même chose - ce qui n’est plus le cas aujourd’hui avec le
profiling. Il n’existe plus « d’espace public » sur le web. Il est
totalement fragmenté. Ce qui perturbe énormément la mise
en place d’idées communes, ou de débats.
Le conditionnement qu’imposent nos modes de communication actuels.C
112
44 Christian Fauré, Ateliers préparatoire de l’ENMI : Réinventer le web, 2015.
« Si le Web est un système de publications décentralisé,
la Blockchain est un système de consensus distribué.
On passe d’une infrastructure de publications à une
infrastructure de certifications.»44
La réflexion autour de ces nouvelles manières de penser
le Web, pourrait permettre à l’Homme d’avoir un rapport au
numérique bien plus sain. Il n’y aurait alors plus de « Dark
Web* », mais plein de terrains d’explorations ou le savoir et
les idées peuvent s’infuser paisiblement. Redonnant alors au
Web et à notre disponibilité digitale leurs valeurs ajoutées
initiales.
Mais revenons en au Web et aux outils digitaux
actuels. Ces derniers nous plongent dans une demande
d’attention et de disponibilité telle que le principe même
de charge cognitive44 ne semble plus pris en compte
dans leur élaboration. En effet, le cerveau humain et plus
113
45 Sweller John, Charge cognitive et apprentissage, Une présentation des travaux de John Sweller, 2011.46 Wikipédia, Charge cognitive, 2015 [en ligne] URL https://fr.wikipedia.org/wiki/Charge_cognitive
particulièrement la mémoire de travail est capable de traiter
uniquement trois à quatre informations en même temps, « si
un trop grand nombre d’informations demande à être traité
simultanément, la charge cognitive est alors trop élevée :
la mémoire de travail surcharge, ce qui entraine l’échec de
la tâche ou une mauvaise mémorisation dans la mémoire à
long terme. »46 De plus, la charge cognitive présente deux
composantes. La charge intrinsèque, liée à la tâche elle-
même, ne pouvant être allégée qu’au prix de suppression
d’éléments de la tâche et la charge extrinsèque, liée à la
façon dont la tâche est présentée, pouvant être modifiée par
la suppression d’éléments inutiles ou répétitifs. Enfin, une
dernière composante de la charge cognitive est la charge
essentielle, permettant l’intégration de connaissances à long
terme, généralement sous forme de schémas mentaux. Ces
trois composantes permettent de mettre en évidence, la
Le conditionnement qu’imposent nos modes de communication actuels.C
114
47 Raskin Jef, The Human Interface, Addison-Wesley Professional, 2000.
manière dont nous prêtons attention à l’information qui nous
est proposée et la manière dont nous pouvons la retenir et
la traiter. Le développement d’outils digitaux, au service de
cette théorie, ne semble pourtant pas avoir le vent en poupe
aujourd’hui.
Bien au contraire même, nos appareils numériques, au
dédoublement croissant, nous laissent dans un océan
d’informations, de boutons, gestuelles ou encore actions
à apprendre et à réaliser simultanément. Si nos systèmes
d’exploitations prévalent de nombreuses métaphores
pour faciliter leur compréhension, il ne réside pourtant
aucun comportement intuitif derrière ces écrans ou autres
souris.47 Réfléchissant dans une dimension mathématique
avec de nombreuses lignes de codes et divers tableaux de
commandes, leur habillage se fait dans un second temps
pour laisser à l’utilisateur une meilleure compréhension.
115
Elle permet d’améliorer par la suite l’interface avec de
nombreux tests utilisateurs, A-B tests ou encore bêta tests.
Les conséquences chez l’utilisateur de ces comportements
oscillent entre incompréhensions, doutes ou encore
questionnements pour n’en citer que quelques uns. Cette
demande de compréhension multimodale et multitâche
n’est pas innée pour tout le monde ni même à toutes les
situations. Apparu avec le numérique, ce fonctionnement
est omniprésent dans nos systèmes d’exploitation et séduit
la majeure partie des usagers. Cet appât conditionne à la
fois notre manière de réaliser des actions et notre manière
de réfléchir. Notre disponibilité numérique en est ainsi
grandement influencée.
Le multitasking n’est en effet pas forcément une qualité.
La Harvard Medical School a en effet démontré que
Le conditionnement qu’imposent nos modes de communication actuels.C
116
48 Cognitive control in media multitaskers, 2009, [en ligne] URL http://www.pnas.org/content/106/37/15583.full49 Generation Z defined, 2015, [en ligne] URL http://mccrindle.com.au/resources/GenZGenAlpha.pdf
l’accomplissement de plusieurs tâches à la fois augmentait
le nombre d’erreurs commises par ses participants. Ophir
Nassb et Wagner ont même par ailleurs démontré que
le multitasking était moins productif que la réalisation
d’une seule tâche à la fois48. Ils démontrent également que
les personnes réalisant plusieurs tâches simultanément
avaient plus de problèmes pour focaliser leur attention,
se souvenir d’informations ou encore changer de travail.
Ils réussissent moins bien que les personnes réalisant
une tâche à la fois. Alors que nos futurs professionnels
prévoient jusqu’à dix-sept emplois différents dans une seule
carrière49 alors que nos modes de communication s’appuient
sur un accomplissement croissant de tâches différentes
simultanément. Le multitasking peut se référer à trois
différents types d’activités :
117
50 Brain scans reveal ‘gray matter’ differences in media multitaskers, 2014, [en ligne], URL http://www.eurekalert.org/pub_releases/2014-09/uos-bsr092314.php
- Réaliser deux ou trois tâches simultanément,
- Passer d’une tâche à une autre rapidement,
- Réaliser un nombre de tâches successives important.
D’autres études montrent les mêmes conclusions.
Joshua Rubinstein, Jeffrey Evans et David Meyer, dans une
étude conduite en 2001, démontrèrent que les participants
perdaient énormément de temps à passer d’une tâche à
l’autre, et bien plus encore lorsque ces tâches devenaient
plus complexes.
« Adding fuel to the anti-multitasking fire, a study from
the University of Sussex in the UK indicates, it might
actually be physically harming our brains. When the
researchers compared the amount of time people spend
on multiple devices to MRI scans of their brains, those
who pursue a lot of multitasking activities exhibited less
brain density in the anterior cingulate cortex, which is a
region that encourages empathy as well as cognitive and
emotional control. Moreover, this brain damage is not
temporary ! »50
Le conditionnement qu’imposent nos modes de communication actuels.C
118
Il n’est cependant pas encore prouvé que les personnes
engageant de nombreuses tâches numériques
simultanément sont nées avec cette incapacité à se
concentrer et sont susceptibles d’endommager leurs
capacités cérébrales en prenant autant d’informations à
la fois. Une chose est sûre, les cerveaux des multitâches
ne fonctionnent pas aussi bien qu’ils le pourraient. Le
multitasking est problématique car il résulte en un surplus
d’informations et une surcharge cognitive réduisant nos
capacités cérébrales à penser, effectuer et mémoriser. Par
ailleurs, plus nous réalisons de tâches simultanément,
plus nous avons besoin d’options et moins nous sommes
capables de choisir. Il est alors peut-être temps d’arrêter
de téléphoner, de paramétrer son GPS tout en conduisant
119
51 Barkley, R. A. Attention Deficit Hyperactivity Disorder: A Handbook for Diagnosis and Treatment, Guilford Press, 1999.
ou de répondre à des e-mails au milieu de la lecture d’un
rapport au travail. En faisant moins, nous pouvons tous
probablement accomplir plus.
L’une des populations les plus concernées par ces
préoccupations est bien l’ensemble des personnes sujettes
aux TDA* (Troubles Déficitaire de l’Attention). En effet, la
concentration étant leur plus grosse défaillance, d’autres
symptômes font également leur apparition comme la
montée de l’impulsivité, les nombreuses sautes d’humeurs,
une procrastination croissante, une mauvaise gestion du
temps, une impulsivité comportementale et verbale, la
bougeotte ou encore une mauvaise estime de soi freinant
l’accomplissement de ces tâches.
« Une récente étude sur les TDA déclare que « ce qui
est déficient, c’est le contrôle exercé par les règles sur
le comportement », rendant par là explicite que la vraie
inquiétude concerne les comportements dirigés par les
règles. »51
Le conditionnement qu’imposent nos modes de communication actuels.C
120
52 Wallis D., Attention-deficit/hyperactivity disorder and comorbid disruptive behavior disorders: evidence of pleiotropy and new susceptibility loci, 2007.
« Les enfants sujets aux TDA sont ainsi ceux qui « ne
se concentrent pas, n’écoutent pas, refusent de prêter
attention et ne suivent pas les règles. […] Ils ne peuvent
pas tenir en place, ils parlent excessivement, à tort et à
travers, gigotent et jettent des non sequiturs dans la
conversation. »52
Seulement, ces personnes là n’ont pas uniquement
des lacunes pour se concentrer ou des symptômes
d’hyperactivité. Ils ont bien plus que ça, cette maladie existe
bien et concerne 5 à 8% des enfants en âge d’aller à l’école.
R. A. Barkley déclare qu’au moins un ou deux enfants avec
des TDA sont présents dans les classes aux États-Unis.
Cela signifie également que cette maladie est l’une des plus
répandue dans les maladies enfantines. Par ailleurs, près de
40% des diagnostiqués deviennent par la suite dépendants
au tabac et à l’alcool et plus de 25% n’atteignent pas
l’université à cause de leurs problèmes de comportements.
121
Il semble donc nécessaire, voir évident, de développer
des prises en charges éducatives et médicales de ces
enfants-patients dès leur plus jeune âge. De même, nous
voyons bien que les grandes tendances qui régissent les
systèmes d’information et de communication actuellement
vont complètement à l’encontre de leurs besoins. D’autres
mouvements philosophiques et sociaux tentent de
changer ces grandes tendances numériques, posant de
nombreux problèmes comme nous l’avons mis en évidence
précédemment.
Philippe Bihouix, l’un des grands activistes de la
philosophie low-tech* met à bas nos dernières illusions.
La thèse soutenue par ce mouvement tente d’explorer les
voies possibles vers un système économique et industriel
soutenable dans une planète finie. Préconisant une remise
Le conditionnement qu’imposent nos modes de communication actuels.C
122
Fig. 8 : La matrice « écolo-liberticide »
123
en question quotidienne de nos besoins et interactions
numériques, il nous interroge sur leurs pertinences, en
mettant en perspective la finitude de nos ressources, et la
consommation de plus en plus importante de matières rares
pour leurs élaborations (Fig.8).
« Mais ce développement a la face sombre, […]
consommation de ressources, d’énergie et déchets
engendrés bien réels, loin des mirages de l’économie
dématérialisée ou du green IT : impacts sociaux de
l’ « ultraconnectivité », de la « technodépendance » :
atomisation de la société, impact cognitif sur les enfants,
violence des jeux informatiques… ; saturation des services
à « utilité » nulle, voire négative : publicités, spams,
multiplication des virus, contenus accablant d’inepties
sur les réseaux sociaux ou les sites de partage vidéo… […]
stratégie de prise de contrôle et de concentration toujours
plus grande des grands groupes Internet, et surveillance
généralisée.
Et les évolutions à venir ne laissent rien présager de
bon : obsolescence toujours plus rapide des équipements,
émergence du big data et son corollaire, l’explosion des
serveurs et des centres de données, Internet des objets
Le conditionnement qu’imposent nos modes de communication actuels.C
124
53 Bihioux P., L’âge des low-tech – Vers une civilisation techniquement soutenable, Anthropocène, 2010, p.233.
Ce conditionnement qu’impose nos modes de
communication actuels nous est donc soumis
quotidiennement (entre mises à jour d’applications de
systèmes d’exploitation ou encore changement de supports)
sans même prendre en considération les nouveaux usages,
les modalités d’utilisations et les nouvelles disponibilités
engendrées. Claudia Roda témoigne :
« D’abord, pour pouvoir s’adapter à l’état attentionnel
de l’utilisateur, les SBA* doivent collecter et élaborer une
grande quantité de données personnelles. Par exemple,
pour décrire si l’utilisateur peut être interrompu, le
système nécessite un certain niveau de compréhension
avec un monde entièrement « pucé » par RFID* (Radio
Frequency Identification Device), arbres, brebis, humains,
ou courses achetées en supermarché… pratique pour
passer rapidement en caisse, mais terriblement orwellien
dans ses conséquences possibles. » 53
125
54 Roda C., Économiser l’attention dans l’interaction homme-machine, La Découverte, 2015, p.188-189.
du message devant être livré (pour évaluer son urgence)
ainsi que de l’activité de l’utilisateur (est-il seul ou en
réunion ?) .
Toutes ces données doivent impérativement rester
privées, ce qui n’est pas le cas pour beaucoup de
systèmes actuels.
Les solutions à ces problèmes doivent inclure une
réglementation appropriée, accompagnée d’une
conception du contrôle de l’accès à l’information (du
filtrage d’État effectué par les outils de recherche) risque
d’être exacerbé. Les SBA pourraient sélectionner de façon
partielle l’information qu’ils nous présentent (ou non) ; leur
utilisation peut en effet revenir à une délégation de nos
choix attentionnels à nos outils, ce qui est clairement peu
désirable quoique cela soit déjà courant (pensez au choix
de lire tel quotidien plutôt qu’un autre). Les SBA doivent
alors non seulement assurer le soutien de l’attention,
mais assurer également une complète transparence
de leur collecte et de leur gestion des données, ainsi
que des modalités de choix de l’information présentée,
leur contrôle revenant toujours à l’utilisateur. On le
voit, l’économie de l’attention régissant les interactions
homme-machine débouche rapidement sur des questions
d’ordre éthique, voir anthropologique et politique.»54
Le conditionnement qu’imposent nos modes de communication actuels.C
126
C’est ainsi, ou de manière analogue, que nous pouvons
entrevoir la fin d’un modèle techno-centrique basé sur
l’innovation technologique pour laisser place, espérons-
le, à une vision humaniste, écologique et respectueuse
des usages de chacun. Si l’innovation sociale, alors
réintroduite comme vecteur principal de l’accélération
technologique, nous permet de développer des usages et
services innovants, alors nous pourrions voir un paysage
technologique bien changé entre technologies disruptives*
et applications pertinentes. Ainsi, qu’il soit à travers le
multitasking, la surcharge cognitive imposée par les outils
digitaux actuels ou encore le high-tech* comme seule
solution de création technologique, l’adoption de contre-
pieds pourraient bien laisser place à une vague d’innovations
sociales sans précédent que le numérique nous a permis
d’introduire depuis quelques années en « [Tirant] les
127
55 Stiegler B., Atelier préaparatoire de l’ENMI : Réinventer le web, 2015.
leçons de vingt-trois ans de Web, et de carences du Web
d’aujourd’hui. »55
La conception même d’appropriation du service et de
la technologie par une proactivité de l’utilisateur ou un
profiling croissant, laisse le « Moi » numérique dans une
toute nouvelle place. Entre fragmentation de sa personnalité
ou extraversion conditionnée, l’utilisateur d’aujourd’hui,
tracé, segmenté, puis mis aux enchères, se trouve dans
un système numérique perversif dont il ne peut même pas
changer les règles.
Le conditionnement qu’imposent nos modes de communication actuels.C
« L’ndividu comme réalité unique s’estompe ; les individus sont considérés comme les produits d’une construction sociale »
Kenneth J. Gergen
« L’ndividu comme réalité unique s’estompe ; les individus sont considérés comme les produits d’une construction sociale »
Kenneth J. Gergen
La fin d’un Moi unique.A
131
57 Gergen Kenneth J., Le Soi Saturé - Dilemmes de l’Identité dans la vie contemporaine, Satas, 2006.
Cette philosophie récente du XXème siècle, en totale
opposition avec celle méthodologiquement décrite par
Descartes trois siècles plus tôt par son cogito ergo sum, a
permis de passer du romantisme au postmodernisme. Nous
avons en effet hérité d’une vision du soi unique attribuant
à chaque personne des caractéristiques personnelles
profondes comme la passion, la créativité ou encore
la sensibilité morale. Concernant les modernistes, les
caractéristiques principales du soi « ne résident pas dans
leur profondeur mais dans leur capacité de raisonner – dans
nos croyances, nos opinions et nos intentions conscientes. »
« [...] Nous pouvons dire pratiquement qu’il y a autant
de moi sociaux différents qu’il y a de groupes distincts
de personnes dont l’opinion lui importe. Il montre en
général une face différente de lui-même à chacun de ces
groupes. »57
132
L’un des principaux facteurs de ce changement réside
dans la manipulation du soi avec l’apparition de la radio,
du cinéma, du livre imprimé, et qui, en phase de grande
diffusion, s’est mis en place avec la télévision. Nous
avons pu nous identifier à des héros de mille contes, tenir
des conversations imaginaires avec les invités de débats
télévisés ou s’immerger aux côtés des athlètes du monde
entier. C’est ainsi que nous ne sommes ni un, ni quelques-
uns, mais, comme le dit Walt Whitman, nous « abritons des
multiples ».
133
58 Gergen Kenneth J., Le Soi Saturé - Dilemmes de l’Identité dans la vie contemporaine, Satas, 2006.
« Chaque soi que nous acquérons d’autrui peut susciter
de nouveaux dialogues internes, des discussions privées
avec nous-mêmes sur toutes sortes de personnes,
d’événements et de problèmes. Ces voix internes,
ces vestiges de relations, qui sont à la fois réels et
imaginaires, ont reçu des définitions variées : Mary
Watkins les appelle hôtes invisibles, Eric Klinger parle
d’imagerie sociale et Mary Gergen, qui a découvert que
pratiquement tous les jeunes qu’elle a étudiés parlaient
de ces expériences avec facilité, leur a donné le nom de
fantômes sociaux. »58
Il en réside donc une appropriation et un apprentissage à
travers nos relations sociales. Si notre Moi était à l’époque
de Descartes unique, il n’en était pas moins introverti. En
effet, la réception d’un courrier, mettait son destinataire
dans un imaginaire sans précédent, attendant d’ouvrir sa
précieuse lettre soigneusement préparée par sa chère et
tendre à l’autre bout de la France. Notre époque est bien
éloignée de cette histoire, la démultiplication du Moi et son
La fin d’un Moi unique.A
134
extraversion récente nous ont plongé, volontairement ou
pas, dans ce qu’on l’on appellera ici des « extraversions de
nos personnalités conditionnées ». C’est ainsi que Tinder,
Adopte un mec ou encore Happn externalisent notre
situation amoureuse du moment dans un conditionnement
sans précédent à travers divers profils, ou points d’intérêts
communs piochés sur Facebook - qui, par ailleurs
externalise de son côté notre sociabilité. Cette liste pourrait
ne jamais s’arrêter, englobant la quasi totalité de nos traits
de caractères ou de notre personnalité, auparavant enfouie
et propre à chaque personne.
« Dans le domaine de la vie courante, on croyait
comme partout en un soi connaissable. Chaque individu
possédait une personnalité de base ou un caractère et,
dans la plupart des relations normales, ce soi essentiel
apparaissait. Celui qui n’était pas lui-même passait
pour un tricheur futile, éventuellement un névrosé
(tentant désespérément d’être quelqu’un d’autre) ou tout
simplement un malhonnête. »
135
59 Gergen Kenneth J., Le Soi Saturé - Dilemmes de l’Identité dans la vie contemporaine, Satas, 2006.
Kenneth J. Gergen interroge alors cette vision cartésienne :
«Dans ce monde, il n’y a pas d’essence individuelle
véridique à laquelle il convient de rester fidèle. Notre
identité ne cesse de renaître, d’être reformée et
recomposée à mesure de notre voyage dans l’océan
toujours changeant des relations. La question « qui
suis-je ? » ouvre sur un monde fourmillant de possibles.
[…] L’individu est progressivement privé des repères
traditionnels qui définissent l’identité : la rationalité,
l’intentionnalité, la connaissance de soi et la cohérence.
[…] Une nouvelle réalité apparait - la réalité relationnelle.»59
Dans le monde d’aujourd’hui, cette fragmentation du
soi dans la réalité relationnelle ne cesse de grandir et
de s’élargir, avec une population particulière au cœur de
ces problématiques actuelles - la génération Y* ou digital
natives. Prochaine grande génération, elle est la première
génération numérique. À l’aube de la troisième révolution
anthropologique majeure de l’histoire de l’Humanité, il
La fin d’un Moi unique.A
136
60 Emmanuelle Duez - Positive Economy Forum - Le Havre, 2015 [en ligne] URL : https://www.youtube.com/watch?v=gkdvEg1kwnY&list=PLr6dNpAJpH7kuS--oXLS63G47zaPtzIZe&feature=share
est nécessaire de remettre en cause les fondements
économiques, financiers, sociétaux, environnementaux qui
ont sous-tendu la création et la conception de notre société
jusqu’à présent. Chaque partie prenante se doit d’être
réinventée. Kofi Annan parle de la génération Y comme
des « héritiers sans héritage » avec une mission, celle de
réinventer ses nouveaux modèles.
Avec le savoir à portée de clics et l’intégralité de la
connaissance mondiale dans sa poche de jeans elle est la
première génération omnisciente. L’amiral Olivier Lajous
parle même d’un deux-cent-septième os, notre smartphone.
C’est ainsi que des valeurs telles que la transparence, l’inter-
connectivité, la transversalité, l’ouverture, l’agilité, la fluidité
sont prédominantes à cette nouvelle génération. Première
génération mondiale donc, symptomatique d’un changement
du monde et d’une prise de conscience qui la dépasse bien
largement.60
137
Mais il faut également regarder deux autres choses,
bien plus essentielles aux sociologues ou philosophes
de la modernité : tout d’abord le rapport à l’image qui est
capital, peu importe la génération concernée. Ce rapport
a par contre largement évolué dans la mesure où l’image
permettait aux générations précédentes de fantasmer et
de rêver en les oralisant, alors que la génération actuelle a
perdu cette faculté de transcrire les images par le langage.
La surabondance des images provoque un affaiblissement
de la psyché des individus : l’addiction provoquée par cet
afflux, la durée de vie de l’image, pratiquement nulle, et
l’absence d’oralisation ne permettent plus à l’individu de
bâtir sa psyché. Il semble alors que l’on soit passé d’une
image-miroir (véhicule d’une histoire ou d’un affect dans
lesquels un individu pouvait se reconnaître et se construire)
à une image-mirage (image éphémère qui véhicule une
La fin d’un Moi unique.A
138
fausse représentation, voire aucune représentation du
tout, de l’individu). « La gloire du visuel signe le trépas
du symbolique », dit Samuel Dock, « alors que celui-ci
est essentiel pour la construction psychologique, c’est en
cela qu’il crée et érige nos propres barrières sociales ». La
transposition de l’image en langage est pourtant ce qui
permet de passer d’une représentation désincarnée à une
représentation emblématique personnelle et propre à chacun
qui permet de nous définir dans cette symbolique et donc de
créer notre identité.
L’autre caractéristique intéressante à regarder est le
rapport au temps, il en est donc une notion fondamentale
qui fait largement défaut à la génération actuelle. Le culte
de l’instantanéité se manifeste, entre autre, mais pas
exclusivement, à travers le caractère éphémère des statuts
139
61 Castarède Marie-France, Le nouveau choc des générations, Plon, 2015.
Facebook et Tweeter. Le traitement de l’image sur-vitaminée
et sur-accélérée dans les productions cinématographiques
modernes, ne laisse plus le temps de saisir ni l’intrigue ni
ses implications et a d’ores et déjà provoqué la perte des
repères temporels : seul le présent existe encore, le passé
n’existe déjà plus et le futur existe déjà. C’est un référentiel
de plus qui s’estompe. « Le présent est notre propre horizon,
il contient à la fois son passé et son futur »61 : il est auto-
suffisant mais ne permet plus de se projeter et l’individu
reste prisonnier de son narcissisme sans pouvoir construire
dessus sa personnalité.
C’est donc part une perte de repères temporels sensé,
un culture de l’image sur-vitaminée qu’un «Moi» fragmenté
survient au cœur de la génération Y. Pris entre narcissisme
accru et la greffe d’un nouvel os, nous assistons bien à la fin
d’un «Moi» unique.
La fin d’un Moi unique.A
La réduction de nos dispositifs attentionnels, (vers une passivité dans une société du spectacle)
B
141
C’est au cœur de ce paradigme sociétal que ces deux
générations que tout oppose, sont vouées à cohabiter. Si
notre rapport à l’image et au temps ainsi que nos relations
numériques s’accélèrent, la troisième composante de
l’accélération, pour reprendre le schéma de H. Rosa, s’en
voit affectée également. En effet, ce sont bien plus que de
simples mouvances sociales ou que des comportements
minoritaires qui se mettent en place face au pourcentage
de la population concernée par ces nouveaux usages
et ces nouvelles normes sociales. L’accoutumance et
l’ingestion de toutes ces nouvelles pratiques provoquent
chez l’utilisateur une réduction massive de ses dispositions
à l’autre et de ses régimes d’attentions. Les dispositifs
projettent l’usager dans un régime d’immersion ou d’alerte,
parfois total. Caché derrière nos smartphones, insociable
par nos écouteurs, le citoyen d’aujourd’hui ne dispose plus
La réduction de nos dispositifs attentionnels, (vers une passivité dans une société du spectacle)B
142
62 Voir Annexes.
d’inaltéré son odorat et son goût ; vue, ouïe et toucher étant
inhibés par ces extensions numériques. Chacune de ces
augmentations nous renferment un peu plus dans notre
isolement numérique. Préconisant les rencontres digitales
aux contacts physiques ou aux hasards de la vie, nous
préférons parcourir cet écosystème infini au détriment de
notre propre réalité physique. Ce constat nouveau d’une
période narcissique et égocentrique nous rend de moins
en moins proactif. Dans une étude réalisée sur deux cent
cinquante personnes au cours de ce mémoire62, les réponses
à la question « comment qualifieriez-vous votre relation aux
contenus numériques ? », 72% des participants répondent
« plutôt passif, je regarde, m’informe et like de temps en
temps.. » Contre uniquement 16% la décrivant comme
« plutôt acti[ve], je like souvent » figurant en deuxième place.
Face à une agrémentation de contenus juteux, triés et
143
63 Lafargue Paul, Le droit à la paresse, La Découverte, 1880.
infusés dans nos fils d’actualités grâce aux big data et à
des profiling de plus en plus précis, notre passivité est telle
que nous sommes dans une demande constante de ce
divertissement. Télé-réalité, jeux nécessitant des ressources
attentionnelles sans précédent, immersions de plus en plus
grandes dans les jeux vidéos ou encore développement de la
réalité augmentée.
« Pour tuer le temps qui nous tue seconde par seconde,
il y aura des spectacles et des représentations théâtrales
toujours et toujours.»63
Le constat de P. Lafargue, véritable reflet d’une société
théâtralisée, nous révèle que ce sont les médias qui
influencent notre manière de percevoir ce qui existe, et
non plus notre perception sensorielle intrinsèque. Notre
sphère privée a cessé d’être le lieu où se joue le spectacle
La réduction de nos dispositifs attentionnels, (vers une passivité dans une société du spectacle)B
144
64 Rifkin Jérémy - Nouvelle conscience pour un monde en crise, vers une civilisation de l’empathie, Actes Sud, 2004.
du sujet opposé à son objet. Nous ne sommes plus des
dramaturges ou des acteurs, nous somme devenus les
terminaux de réseaux multiples, assujettis à ces torrents
de divertissements. Une autre vision s’est cependant
démocratisée depuis l’avènement des réseaux sociaux, celle
du « consom’acteur » ou encore de l’« éco-citoyen ». J. Rifkin
nous en fait le montre :
« On sait bien que « le monde entier est un théâtre »,
mais au XXème siècle la plupart des gens étaient dans le
public. Au XXIème, en revanche, tout le monde est sur
scène et sous les projecteurs [...]»64
Ce changement de place dans cette immense pièce de
théâtre qu’est notre vie en société aujourd’hui, nous met
donc sous le feu de la rampe, illuminant chacun de nos petits
désirs, comblant notre ego, dans un marketing individuel et
des services hyper-personnalisés. Nous nous prostituons
145
à cette technologie, status, tweets, photos démontrant les
bons moments de notre vie, scénarisant notre histoire dans
une démultiplication de nos rôles et nos Moi sociaux.
« Les TIC sont non seulement conçues pour produire,
plutôt qu’absorber, de l’information, mais elles sont
aussi devenues un outil privilégié de médiation des
relations sociales (qu’elles soient professionnelles ou
personnelles). Pourtant, ces outils ne sont pas conçus
pour communiquer avec nous selon les codes de la
communication humaine : en les utilisant comme
médiateurs de nos échanges, nous sommes conduits
à contourner quelques-unes des règles qui nous ont
permis pendant longtemps de communiquer tout en
limitant la surcharge cognitive. Pour extraire le sens des
phrases d’un dialogue, par exemple, nous supposons
que celui qui parle prononcera des phrases pertinentes
: c’est la « maxime de pertinence » [Grice, 1989], ou la
« théorie de la pertinence » [Wilson et Sperber, 1986].
Cette pertinence est toutefois interne à la conversation.
Lorsque la conversation est fragmentée par l’utilisation de
dispositifs de communication asynchrone, des fragments
La réduction de nos dispositifs attentionnels, (vers une passivité dans une société du spectacle)B
146
65 Roda C., Économiser l’attention dans l’interaction homme-machine, La Découverte, 2015.
de conversations, pertinents à l’intérieur d’un dialogue,
sont présentés à celui qui écoute dans des situations où
ils ne le sont plus. Alors que, dans des situations de face-
à-face, nous minimisons naturellement la fragmentation
de dialogues, les outils numériques multiplient cette
fragmentation . »65
Il existe de rares études qui se sont penchées sur la
génération de contenus adaptés à la situation [Wickens,
2002] nous donnant des critères pour choisir la modalité
(sonore, visuelle, etc.) de façon à produire des notifications
moins perturbantes. Et de nombreux chercheurs ont analysé
comment le moment précis de livraison de la notification
influence la tâche principale. Si nos régimes d’attention
s’en trouvent changés et impactés, nos passivités et notre
inaction semblent donc dominer nos comportements. Pour
contrecarrer ce problème, Claudia Roda nous apporte un
élément de réponse :
147
« D’abord, pour pouvoir s’adapter à l’état attentionnel
de l’utilisateur les TIC doivent collecter et élaborer une
grande quantité de données personnelles. Par exemple,
pour décrire si l’utilisateur peut être interrompu, le
système nécessite un certain niveau de compréhension
du message devant être livré (pour évaluer son urgence)
ainsi que de l’activité de l’utilisateur (est-il seul ou en
réunion ?).
Toutes ces données doivent impérativement rester
privées, ce qui n’est pas le cas pour beaucoup de
systèmes actuels.
Les solutions à ces problèmes doivent inclure une
règlementation appropriée, accompagnée d’une
conception du contrôle de l’accès à l’information (du
filtrage d’État effectué par les outils de recherche) risque
d’être exacerbé. Les TIC pourraient sélectionner de façon
partielle l’information qu’ils nous présentent (ou non) ; leur
utilisation peut en effet revenir à une délégation de nos
choix attentionnels à nos outils, ce qui est clairement peu
désirable quoique cela soit déjà courant (pensez au choix
de lire tel quotidien plutôt qu’un autre). Les TIC doivent
alors non seulement assurer le soutien de l’attention,
mais assurer également une complète transparence
de leur collecte et de leur gestion des données, ainsi
La réduction de nos dispositifs attentionnels, (vers une passivité dans une société du spectacle)B
148
66 Roda C., Économiser l’attention dans l’interaction homme-machine, La Découverte, 2015.67 Voir Annexes.
que des modalités de choix de l’information présentée,
leur contrôle revenant toujours à l’utilisateur. On le
voit, l’économie de l’attention régissant les interactions
homme-machine débouche rapidement sur des questions
d’ordre éthique, voir anthropologique et politique . »66
Enfin, l’un des résultats de notre analyse67 menée au cours
de ce mémoire, vient aussi bien soutenir les propos de C.
Roda que de P. Lafarge et J. Rifkin, avec comme question :
« Vos notifications sont-elles pertinentes dans la gestion de
vos priorités ? Ou avez-vous l’impression qu’elles deviennent
intrusives ? » Leurs première réponses sont, avec 29% « Ça
me permet de faire une pause ». Révélant une soif insatiable
de divertissements, d’informations et de relations sociales.
La seconde réponse à cette question avec 27% est « ça me
perturbe plus qu’autre chose ! » Démontrant, quant à elle,
la nécessité de s’adapter à l’activité et à l’état attentionnel
de chaque utilisateur. Enfin, J. Rifkin, au sujet des relations
sociales insiste en précisant que :
149
« L’études des sociétés de chasseurs-cueilleurs encore
existantes indique qu’hommes et femmes passent
en moyenne 25% de leurs journées à entretenir leurs
relations, ce qui correspond, en gros, au temps dévolu
à la toilette mutuelle chez certains de nos parents
primates. Mais les humains qui vivaient dans des clans
pouvant compter jusqu’a cent-cinquante membres
auraient dû passer au moins 40% du temps social à se
nettoyer mutuellement pour maintenir une certaine
cohésion du groupe. Dunbar suppose alors que, lorsque
les groupes humains ont grossi au point que la durée de
la toilette mutuelle a dépassé 30% de leurs temps - ce
qui n’en laissait peut-être plus assez pour la cueillette,
la chasse et d’autres activités nécessaires à la survie
-, une forme de toilette vocale et non plus physique est
apparue pour faciliter l’extension des liens sociaux. Il
suggère donc que l’origine du langage est le papotage
: c’était une façon de vocaliser la toilette mutuelle
et de créer des relations sociales plus étendues. Le
développement du langage oral, puis de l’écriture, de
l’imprimerie et aujourd’hui des connexions électroniques
a permis aux humains d’étendre immensément leurs
réseaux sociaux et de vivre dans des environnements
relationnels plus denses et plus complexes.
La réduction de nos dispositifs attentionnels, (vers une passivité dans une société du spectacle)B
150
68 Rifkin Jérémy - Nouvelle conscience pour un monde en crise, vers une civilisation de l’empathie, Actes Sud, 2004.
Ce que J. Rifkin tente alors ici de démontrer est la
nécessité humaine de socialiser, principale influence entre
notre disponibilité psychologique et notre disponibilité
relationnelle. Malgré la qualité de la socialisation, l’Homme a
ce besoin (définit à 25% puis jusqu’à un plafond de 30%) de
donner son temps à l’autre. L’influence du numérique n’est ici
qu’à travers le canal utilisé, auparavant physique, puis écrit,
vocal, vidéo et désormais virtuel. Cette disponibilité à l’autre
s’avère être l’une des plus importante aujourd’hui.
A tous les stades de leur évolution, l’objectif premier de
la communication est resté le même : que ce soit en
se toilettant mutuellement ou en chattant sur Internet,
il s’agit d’élargir le champ de l’empathie pour pouvoir
exprimer notre convivialité naturelle et notre aspiration
profonde à la compagnie de nos semblables.»68
151
La fragmentation du Moi dans cette disponibilité
numérique, dispersée dans chacun des canaux utilisé
reflète à la fois notre extraversion et chacun des rôles que
nous jouons quotidiennement. Il s’avérerait donc que nous
baignions dans des environnements relationnels de plus en
plus étendus et complexes à travers un nombre croissant de
fragmentations de notre identité.
C’est ainsi que nous pouvons faire le lien avec notre
dernière partie consacrée à la disponibilité à l’autre dans
l’interaction homme-machine, en tentant d’esquisser les
prémices d’une empathie mondiale apparue depuis quelques
années maintenant.
La réduction de nos dispositifs attentionnels, (vers une passivité dans une société du spectacle)B
Interaction homme-machine, l ’esquisse d’une empathie mondiale vers une plus grande disponibilité à l’autre.
C
153
Nous l’avons vu, la disponibilité à l’autre fait partie
intégrante de notre quotidien ; le passage du physique
au digital esquisse désormais les principes de présence
connectée et de disponibilité numérique fragmentée. Cette
interaction homme-machine, dorénavant incontournable,
présuppose l’extension de notre disponibilité vers une
empathie mondiale.
Les données suggèrent que la nouvelle conscience
dramaturgique, apparue aux tout premiers stades du
passage à une troisième révolution industrielle, permettrait
le développement d’un nouveau capitalisme distribué, à
double effet : renforçant tout d’abord le sens de la relation
aux autres et de l’élan empathique, puis conduisant à un
sens encore plus accru du Moi fragmenté comme à un
narcissisme accru.
154
Si le premier suggère une habileté à se projeter dans
la vie d’un autre, son terme « empathie » vient à la base
du mot allemand fühlung (contact), introduit par Robert
Visher en 1872 et il est tout d’abord utilisé dans l’esthétique
allemande. On parlait d’Einfühlung (identification) quand les
observateurs projetaient leur propre sensibilité sur l’objet de
leur adoration ou de leur contemplation ; c’était un moyen
d’expliquer comment on en vient à apprécier la beauté
d’une œuvre d’art, par exemple, et à en jouir. Le mot même
d’empathie n’est entré dans le vocabulaire qu’en 1909, à peu
près au moment de la psychologie moderne. « Empathie »
suggère l’engagement actif : la volonté de prendre part à
l’expérience d’un autre, de partager son vécu. L’empathie se
rapproche donc de la disponibilité qui est, rappelons-le, un
engagement actif, permettant également de se disposer à
effectuer une tâche, une action. Nous en voyons aujourd’hui
155
69 Rifkin Jérémy - Nouvelle conscience pour un monde en crise, vers une civilisation de l’empathie, Actes Sud, 2004.
les répercutions dans des systèmes tels que l’économie
solidaire ou collaborative, le crowdfunding ou encore les
systèmes d’échanges locaux.
Le deuxième effet de ce nouveau capitalisme naissant est
la croissance d’un « Moi fragmenté » et d’un narcissisme
accru. L’empathie décrite par J. Rifkin propose une
vision du monde interconnectée, élargissant notre vision
empathique à travers les siècles. Si pour lui, plus on est
empathique, plus on avance dans son développement
personnel, c’est bien grâce à cette dernière « que nous
créons la vie sociale et faisons progresser la civilisation ».69
Son développement narcissique n’est qu’une conséquence
logique d’un changement de rapport avec les autres, grâce
aux récents réseaux sociaux, ayant permis d’élargir le reflet
de sa personne, non plus à la personne en elle même, mais
Interaction homme-machine, l’esquisse d’une empathie mondiale vers une plus grande disponibilité à l’autre.C
156
70 Suttie, Ian D., The Origins of Love and Hate, 1952.71 Rifkin Jérémy - Nouvelle conscience pour un monde en crise, vers une civilisation de l’empathie, Actes Sud, 2004.
jusqu’à un reflet semi-public de sa silhouette, comme nous
pouvons le voir sur nos « murs Facebook ». S’agirait-il donc
de modérer nos critiques envers les tentatives, parfois
insensées, d’explorations de notre Moi étendu ?
Selon I. Suttie « le besoin inné de compagnie »70 est le
moyen principal dont dispose le bébé pour assurer son
auto-conservation et conclu que ce besoin est au cœur de
la nature humaine. I. Suttie prend en effet le contre-pied
de T. Hobbes et des penseurs des Lumières qui voyaient,
en la possession matérielle, la motivation première des
êtres humains. « L’attention à l’autre ne peut que stimuler
les « facultés créatrices » d’un individu, ce qui n’est qu’une
façon différente de dire son « auto-développement »71. Par
ailleurs, trois adolescents sur dix affirment qu’ils peuvent
en dire davantage à un ami en ligne et 29 % qu’ils sont plus
157
honnêtes quand ils parlent à des amis numériques.
Ces statistiques nous démontrent deux choses, la
première étant que le média d’internet et de la messagerie
instantanée sont de bons médiums de communication
personnelle, véritable journal intime, dont l’ouverture est plus
facile face à un inconnu. Créant donc de nouvelles normes
à la «théorie de la pertinence» évoquée précédemment.
En faisant disparaitre certaines de nos imperfections
physiques gênantes ou bien inadaptées pour faire apparaître
une nouvelle tentative d’extension du Soi. Cette extension
numérique du Soi nous permettra par exemple de plus
facilement se confier à l’autre, d’essayer de nouveaux rôles,
ou encore de plus aisément trouver sa place dans le monde.
L’autre constat que l’on peut tirer des statistiques
précédentes est que la construction de l’intimité, telle que
nous la connaissions, avec des influences romantiques,
Interaction homme-machine, l’esquisse d’une empathie mondiale vers une plus grande disponibilité à l’autre.C
158
n’existe plus. En effet, la catégorisation imposée par les
réseaux sociaux, tels que Facebook ou Linkedin, restreignent
la représentation personnelle de notre situation amoureuse
à 4 cases : «Célibataire», «en couple», «en relation
libre» ou «c’est compliqué». Cette étiquetage, digne des
supermarchés, biaise la vision romantique des siècle passés.
La disponibilité aux autres par l’empathie laisserait donc
entrevoir à la fois, les prémices d’une plus grande ouverture
à l’autre et une création de l’intimité et du développement
sentimental biaisé. Internet permettrait-t-il alors une
recherche de définition du Soi simplifié où nos attentes
seraient segmentées et réductionnistes ?
Dans l’usage d’internet, précédemment décrit comme le
deux-centièmes os, nous voyons que 77,8% des Français
affirment utiliser internet comme une extension de
leur cerveau, un chiffre qui dépasse même 83% chez la
génération Y. Cette augmentation à première vue positive -
puisqu’elle ajoute sans rien enlever - nous restreindrait-elle
finalement ?
C’est donc dans un monde où l’empathie grandit et la
disponibilité à l’autre s’étend que chaque partie de notre
« Moi » s’essaye pour prendre sa place dans le monde. Un
monde dorénavant unifié, où l’état de droit planétaire tente
de se s’implanter par des organismes non-gouvernementaux
ou encore via des institutions internationales. Là où la
détresse d’une population émeut jusqu’au plus profond de
nos campagnes, où 1% de la population mondiale détient
50% des richesses mondiales, où Facebook a passé le
cap du milliard de connexions simultanées sur son réseau
social en 2015, où l’amnésie numérique, les TDA et la
nomophobie nous guettent, se dévoilent les premières
Interaction homme-machine, l’esquisse d’une empathie mondiale vers une plus grande disponibilité à l’autre.C
160
72 Rifkin, Jérémy, L’âge de l’accès : La nouvelle culture du capitalisme, La Découverte, 2001.73 Doueihi Milad, Pour un humanisme numérique, Seuil, 2011.
conséquences d’un numérique perversif. Là où nos relations
numériques écrasent désormais nos relations physiques, où
la propriété n’est plus une fin mais où l’ère de l’accès72 un
nouvel eldorado, où chaque minute cent heures de vidéos
sont téléchargés sur Youtube, où dorénavant huit milliards
et demi d’appareils intelligents sont connectés à internet,
où 19% des couples mariés se rencontrent sur la toile :
Serait-t-on en passe de développer plus de disponibilité à
l’autre ? La réponse est délicate, car c’est par un humanisme
numérique73 et un objectif commun à chaque habitant de
notre planète de s’auto-responsabiliser, s’éduquer par-delà
les pratiques déviantes du numérique, d’apprendre de ces
leçons et de créer ce mythe commun. Les anciens avaient
leurs mythes, les civilisations sans écriture leur oralité. Dans
les deux cas, ces sociétés anciennes ont développé des
techniques de transmission et de préservation de l’histoire.
161
74 Doueihi Milad, Pour un humanisme numérique, Seuil, 2011.
C’est en ce sens qu’il nous faut trouver une mythologie
du numérique, une sorte de rappel de ce qui échappe
aujourd’hui à cette accélération technique et à sa culture. «
Pour devenir humain, l’avatar* modifie l’humanité elle-même.
Et l’homme, grâce à ses oublis, ne fait que rappeler à la
technique sa faille et ses utopies »74.
Interaction homme-machine, l’esquisse d’une empathie mondiale vers une plus grande disponibilité à l’autre.C
163
La meilleure façon de comprendre le tout est d’analyser
individuellement les éléments qui le composent. Voilà
une idée indissociable de la Science des Lumières. Cette
méthode analytique est en réalité réductionniste. Réduire
chaque phénomène à leurs propriétés de base pour
comprendre leurs fonctionnements dans l’espoir de mieux
comprendre la construction du tout, n’est qu’une partie du
travail d’analyse. Les scientifiques voyaient bien que, pour
examiner la nature, l’Homme ou la société, il fallait s’attarder
sur les relations entre chaque phénomène et pas restreindre
la recherche aux propriétés de leurs éléments.
CONCLUSIONC
164
Comment comprendre l’Homme sans ses interactions avec
le monde ? Savoir sa taille, son poids, son lieu de naissance
ou même ses caractéristiques physiques et affectives ne
nous diront pas grand chose de ce qu’il est vraiment. C’est
seulement en comprenant son rapport avec l’environnement
global et chacune des relations qu’il partage que nous
arrivons à le cerner un peu plus. Dans le vieux schéma,
l’Homme était la somme de toutes ses composantes
individuelles. Dans le nouveau, il est une image instantanée
de la structure d’activité à laquelle il participe.
Si la disponibilité de l’Homme se construit à travers
la disponibilité physique, psychologique, individuelle et
relationnelle, l’image de la disponibilité (cf. Fig. 1) ne
démontre en rien chacun des rapports qui la sous-tendent.
C’est en cela qu’il est intéressant de confronter cette vision
165
avec une vision basée sur la « théorie des systèmes »
énonçant que la nature du tout est supérieure à la somme
de ses parties. (Voir Fig. 9)
Fig. 9 : Vision systémique de nos Disponibilités
166
Chacune des composantes de notre disponibilité se voit
influencée par une autre : cette vision systémique* de notre
disposition à effectuer une tâche n’est pas sans rappeler
l’influence que peut avoir notre environnement sur chacune
d’elles.
Au fil de ce mémoire nous avons tenté de démontrer
que la disposition au ressentir est porteur d’expériences
(Disponibilité psychologique et individuelle). Que le silence
est un élément essentiel à prendre en considération pour
avoir une meilleure disponibilité à l’autre (Disponibilité
individuelle et relationnelle). Nous avons également
démontré que la construction de relations s’opérait
dorénavant entre moments de présence et moments
d’absence, (Disponibilité relationnelle et individuelle) dans
lesquels ce qui est important de tisser un fil conducteur
permettant de compenser les effets négatifs de la
séparation.
167
On assiste également à une accélération continuelle
de nos modes de vie, amenant à une « compression du
présent » sans précédent, où le nombre d’actions différentes
dans une unité de temps donnée ne fait que croître, (impact
de l’environnement sur la disponibilité et introduction de la
disponibilité numérique). L’accélération de ce rythme de vie,
nous l’avons vu, s’opère par une accélération socioculturelle,
où la différentiation fonctionnelle prend tout son sens.
Régit par l’accélération technologique, le conditionnement
qu’impose ces nouveaux modes de vie est sans précédent.
Baigné dans des environnements de multitasking où nous ne
savons plus où donner de la tête, nous déléguons de plus
en plus de prises de décisions à nos machines dans l’espoir
vain, de voir un allègement de temps s’opérer.
Nous pouvons noter qu’il ne s’opère qu’une seule
168
Il est alors intéressant d’essayer de comprendre
l’influence qu’a pu avoir le numérique sur nos disponibilités
fondamentales. Il ne s’agit pas là de donner une réponse à
notre problématique initiale
Comment la disponibilité de l’Homme s’est-elle confrontée
à l’évolution du numérique ?, mais plutôt d’interroger la
pertinence d’un tel changement. (Voir Fig. 10)
169
Fig. 10 : L’influence du numérique sur nos Disponibilités
170
C’est donc au travers d’une nouvelle disponibilité
« augmentée » que nous nous disposons dorénavant à
effectuer une tâche. Cette nouvelle disponibilité vient donc
alourdir et complexifier notre vision systémique précédente,
où l’influence du numérique n’était pas représentée. Prenons
le temps de comprendre les influences qu’a le numérique sur
nos disponibilités fondamentales. (Voir Fig. 11)
171
Fig. 11 : Vision systémique de l’influence du numérique sur nos Disponibilités
172
double influence, exercée entre notre disponibilité
physique et notre disponibilité numérique. En effet, si
nous ne sommes pas présents physiquement, nous ne
sommes pas présents numériquement, et inversement.
Or, que ce soit à travers notre disposition à se concentrer
(disponibilité psychologique), notre disposition à sociabiliser
(disponibilité relationnelle) ou encore notre disposition
à prendre conscience de notre appartenance au monde
(disponibilité individuelle), nous voyons bien que chacune
d’elles n’influence en rien notre disponibilité numérique.
Et c’est bien à travers ces influences unilatérales que nous
percevons l’incohérence entre nos disponibilités physiques
et numériques. La réponse se trouverait donc ici, lorsque
l’envahissement du numérique s’opère sur les composantes
fondamentales de notre disponibilité, elle provoque en nous
à la fois ce sentiment d’être « sur-disponible » de part leurs
173
métaphores mais également celui des différentes gênes
provoquées par les sollicitations numériques actuelles
(notifications).
C’est ici que le terme de « conditionnement » prend tout son
sens. Défini comme une technique permettant à un stimulus
neutre il permet d’induire une réponse réflexe que l’utilisateur
n’induirait pas naturellement. Alors imposé comme des
stimulus conditionnés, le passage du « Moi introverti » au
« Moi extraverti »(disponibilité augmentée), comme nous
l’avons vu, détermine pour beaucoup la nouvelle norme à
respecter. Alors que notre relation aux contenus numériques
est majoritairement passive, l’inaction et la passivité
des utilisateurs deviendrait-elle la norme à suivre ? Cette
dangereuse accoutumance à ce conditionnement fait de
nous des êtres non plus « consom’acteurs », « éco-citoyens »
174
ou encore « techno-libertariens » mais bien ce qu’on pourrait
appeler des « solutionnistes-numériques ».
Alors que de nouvelles formes du Web semblent
se construire tel que la Blockchain avec sa première
formalisation qu’est le Bitcoin pour la transaction monétaire,
pouvons-nous entrevoir en elle la création d’applications
pour le transport communautaire comme La’Zooz qui
est l’équivalent d’Uber arrivé au début de l’année 2015,
l’apparition de nouveaux réseaux sociaux décentralisés
comme Twister - un équivalent de Facebook - (Lorsque
la disponibilité relationnelle influence notre disponibilité
numérique) ou encore celle d’un support de mémoire
numérique comme Storage, qui est quant à lui, un équivalent
de Dropbox (lorsque notre disponibilité physique influence
notre disponibilité numérique). De nouveaux champs
175
d’opportunités semblent se dessiner et nous voyons ici
que les influences de nos disponibilités fondamentales sur
notre disponibilité numérique n’en sont encore qu’à leurs
prémices.
Si l’introduction de nouveaux modes de fonctionnement
comme celui de la Blockchain apparaissent et que le
rapports aux « parts de marchés », c’est-à-dire aux
utilisateurs, évolue d’une dimension économique vers une
dimension humaine et sociale, est-il alors envisageable de
croire en un humanisme numérique ? Où l’Innovation serait
tirée par de nouvelles forces motrices, comme le respect de
la vie privée, la liberté d’expression, le développement d’un
« espace public » où à la fois, la mise en place de débats et
d’idées communes pourrait prendre sa place et où le respect
des disponibilités humaines de chacun prévaudrait sur la
sollicitation instantanée.
176
L’énoncé de Descartes, « Je pense, donc je suis », et celui
du psychologue humaniste, « Je participe, donc je suis »,
peuvent donc être aujourd’hui remplacés par une nouvelle
formule : « Je suis connecté, donc j’existe . » Laissons donc
la chance à ce nouveau Moi numérique de s’épanouir dans
un numérique non plus perversif et conditionné mais bel et
bien dans un numérique humaniste où nos disponibilités à
l’autre sont dorénavant augmentées.
177
C’est ainsi que nous pouvons ouvrir ce mémoire sur trois
questionnements légitimes. Le premier sous-tend ce que
nous venons d’évoquer, à savoir le respect des disponibilités
humaines de chacun. Là où les notifications provoquent
en nous une gêne incessante et où nos disponibilités
numériques ne reflètent plus notre disponibilité physique, il
est intéressant de se demander :
Comment en tant que designer, puis-je crée un système
d’exploitation respectant les disponibilités humaines de
chacun ?
178
Le second questionnement qui se pose, suite à l’étude de
ce mémoire concerne la population la plus touchée par les
problématiques que l’on a soulevées comme la dispersion de
notre attention, la passivité face aux contenus numériques
ou encore les différentes sollicitations des contenus
numériques invasifs. Il s’agira donc de questionner ici :
Comment en tant que designer, puis-je permmettre
aux personnes sujettes aux TDA (Troubles Déficitaire
de l’Attention) d’avoir une expérience numérique non
intrusive ?
179
Enfin, le troisième champ de réflexion se consacre quant
à lui à répondre à l’une des questions les plus centrales
de ce mémoire. À savoir, vers quoi voulons-nous être plus
disponible ? L’un des éléments de réponse infusé au fil de
ce mémoire se trouve dans nos aspirations profondes.
En effet, au cours de l’étude menée pendant ce mémoire
sur deux cent cinquante personnes, l’une des questions
était : « Si vous aviez deux fois plus de temps dans votre
journée, à quoi dédieriez-vous votre temps ? » Les réponses
étaient alors « découvrir », « apprendre », « entretenir mes
relations », « aimer » ou encore « rêver ». C’est dans cette
continuité là que notre dernière question s’oriente énonçant :
Comment en tant que designer, puis-je permettre à
l’Homme d’être plus disponible à l’accomplissement de ses
aspirations profondes ?
180
181
« L’utopie est à l’horizon. Je fais deux pas en avant, elle s’éloigne de deux pas. Je fais dix pas de plus, elle s’éloigne de dix pas. Aussi loin que je puisse marcher, je ne l'atteindrai jamais.À quoi sert l’utopie ?
À cela : elle sert à avancer. »
Howard Zinn
185
MERCI MERCI MERCIM
Je tiens à remercier toute l’équipe diplôme 2015/16 de Strate,
notamment Gildas Lemoigne et Antoine Dufeu pour leur soutien
pendant les mois de travail à leur côté.
Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont (re)lu, corrigé,
lisent, ou lieront mon mémoire. Pour leur soutien et leur contribution,
même pour un mot ou une phrase.
Je tiens à remercier toutes les personnes ayant répondu à mon
questionnaire en annexe, ayant permis de certifier ou valider certaines
de mes intuitions.
Je tiens également à remercier toutes les personnes que j’ai
rencontrées pendant ces mois, qui m’ont permis d’avancer, d’échanger,
de m’ouvrir sur de nouvelles pistes. Merci à eux, merci à vous.
186
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A/B TESTING (BETA TESTING) : Le test A/B (ou A/B testing) est une technique de marketing qui consiste à proposer plusieurs variantes d’un même objet qui diffèrent selon un seul critère (par exemple, la couleur d’un emballage) afin de déterminer la version qui donne les meilleurs résultats auprès des consommateurs.
AVATAR : Le terme avatar trouve son origine en Inde (du sanskrit avatāra: descente, ava-TR : descendre) et signifie « descente, incarnation divine ». Depuis la fin du XIXème siècle, avatar s’emploie aussi au sens figuré de métamorphose, transformation d’un objet ou d’un individu.
BINAIRE : En mathématiques et en informatiques, le système binaire est un système de numération en base 2. En l’occurence une succession de «0» et de «1»
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BITCOIN : Le terme bitcoin (de l’anglais « bit » : unité d’information binaire et « coin » : pièce de monnaie) désigne à la fois un système de paiement à travers le réseau Internet et l’unité de compte utilisée par ce système de paiement.
BLOCKCHAIN : La chaîne de blocs (en français) est une base de données distribuée qui gère une liste d’enregistrement protégés contre la falsification ou la modification par les nœuds de stockage. À proprement parler, une blockchain est un historique décentralisé des transactions effectuées depuis le démarrage du système réparti.
BUZZ : Le buzz (terme anglais signifiant « bourdonnement » d’insecte) est une technique marketing consistant à susciter du bouche à oreille autour d’un événement, d’un produit ou d’une offre commerciale et, ce faisant, des retombées dans les médias.
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DARK WEB : Le web profond ou web invisible ou encore web caché (en anglais deep web) est la partie de la Toile accessible en ligne, mais non indexée par des moteurs de recherche classiques généralistes ; certains moteurs, tels que BASE, prennent cependant en compte cette partie du réseau. La terminologie « web profond » est opposée à web
surfacique.
DISTRUPTIVE : (Anglicisme) Perturbateur, perturbant.
EFFET RÉSEAU : (Marketing Stratégique) Si une technologie ou une entreprise qui exploite un réseau existant commence à perdre des parts de marché à l’avantage d’un concurrent qui dispose d’une autre technologie ou d’un standard ouvert, les avancées profiteront au nouvel entrant. À partir du point de rupture, dès que les effets réseaux du premier sont dominés par ceux du second, le basculement est inévitable.
FTP : File Transfer Protocol (protocole de transfert de fichiers), ou FTP, est un protocole de communication destiné à l’échange informatique de fichiers sur un réseau.
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GÉNÉRATION Y : La génération Y regroupe des personnes nées approximativement entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990
GSM : (Global System for Mobile Communications) est une norme numérique de seconde génération pour la téléphonie mobile.
HIGH-TECH : Les techniques de pointe ou, abusivement, hautes technologies ou technologies de pointe, aussi connues sous l’anglicisme high-tech (pour high technology), sont des techniques considérées comme les plus avancées à une époque donnée. Faiblement employé avant les années 1970, l’usage de cette notion est partiale et cette définition permet aujourd’hui aux départements marketing de décrire tous les nouveaux produits comme de la high-tech.
HTML : L’Hypertext Markup Language, généralement abrégé HTML, est le format de données conçu pour représenter les pages web.
HTTPS : HTTPS (avec S pour secured, soit « sécurisé ») est la variante du HTTP sécurisée par l’usage des protocoles SSL.
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INTERNET : (Abréviation de INTERnational NETwork, réseau international) Réseau télématique international, qui résulte de l’interconnexion des ordinateurs du monde entier utilisant un protocole commun d’échanges de données.
JXTA : Est un projet Open Source lancé par Sun Microsystems en avril 2001. Le but de JXTA est de pouvoir interconnecter n’importe quel système sur n’importe quel réseau. JXTA permet de créer une sorte de réseau au-dessus des autres
LOW-TECH : L’anglicisme low-tech ou basse technologie, par opposition à high-tech, est attribué à des techniques apparemment simples, économiques et populaires. Elles peuvent faire appel au recyclage de machines récemment tombées en désuétude.
MULTITASKING : Multitâche (en français) Se dit d’un système informatique permettant la multiprogrammation. S’étend également aux pratiques physiques multiples.
PAUSOLOGIE : Doctrine regroupant des études qui traitent des pauses, des signaux de la parole, et les sons musicaux ou autres sons similaires.
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PEER-TO-PEER : (traduction de l’anglicisme peer-to-peer, souvent abrégé « P2P ») est un modèle de réseau informatique proche du modèle client-serveur mais où chaque client est aussi un serveur. On parle de nœud.
POST-MODERNISME : Concept de sociologie historique qui désigne selon plusieurs auteurs la dissolution, survenue dans les sociétés contemporaines occidentales à la fin du XXe siècle, de la référence à la raison comme totalité première. De cette fin de la transcendance résulte un rapport au temps centré sur le présent, un mode inédit de régulation, et une fragilisation des identités collectives et individuelles.
PROFILING : Processus qui consiste à récolter les données dans les différentes sources de données existantes (bases de données, fichiers,...) et à collecter des statistiques et des informations sur ces données. C’est ainsi très proche de l’analyse des données.
PROTENTION : La protention est le désir (et l’attente) de l’à venir, elle est ce qui dans le devenir constitue la possibilité de l’avenir – étant entendu que le devenir peut n’engager aucun avenir.
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RÉTENTION : Terme emprunté à Husserl Les rétentions sont des sélections : dans le flux de conscience que vous êtes vous ne pouvez pas tout retenir, ce que vous retenez est ce que vous êtes, mais ce que vous retenez dépend ce que vous avez déjà retenu.
RÉTENTIONS TERTIAIRES : Ce sont les sédimentations (conscientes et inconscientes) qui se sont accumulées au cours des générations, et qui constitue de ce fait un processus d’individuation collective.
RFID : La radio-identification, le plus souvent désignée par le sigle RFID (de l’anglais radio frequency identification), est une méthode pour mémoriser et récupérer des données à distance en utilisant des marqueurs appelés « radio-étiquettes »
SBA : Une application orientée recherche (ou SBA pour Search-Based Application) est une application logicielle dans laquelle la recherche l’information a un rôle central.
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SIX-POIGNÉES DE MAIN : Théorie établie par le hongrois Frigyes Karinthy en 1929 qui évoque la possibilité que toute personne sur le globe peut être reliée à n’importe quelle autre, au travers d’une chaîne de relations individuelles comprenant au plus six maillons.
SYSTÉMIQUE / THÉORIE DES SYSTÈMES : La systémique est une méthode d’étude ou façon de penser les objets complexes. Forgée sémantiquement à partir du mot en grec ancien systema, signifiant « ensemble organisé », elle privilégie une approche globale, holiste, la pluralité des perspectives selon différentes dimensions ou à différents niveaux d’organisation, et surtout la prise en compte des relations et interactions entre composants.
TDA/TDAH : Le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA ; en anglais : attention-deficit disorder, ADD) est un trouble pédopsychiatrique caractérisé par des difficultés de concentration. On l’appelle trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité
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TECHNO-LIBERTARIENS : Se dit d’une personne prônant le développement de la science et de la technologie pour augmenter les capacités et la liberté des individus
TIC : Couvre un large éventail de services, applications, technologies, équipements et logiciels, c’est-à-dire les outils comme la téléphonie et l’Internet, l’apprentissage à distance, les télévisions, les ordinateurs, les réseaux et les logiciels nécessaires pour employer ces technologies.
TORRENT : Le protocole Torrent part du constat suivant :Quand une information se trouve sur un serveur informatique unique, plus elle est demandée, moins elle est accessible (par saturation du serveur).Cette tendance est renversée si chaque client informatique en train de télécharger l’information devient aussitôt serveur à son tour de ce qu’il a déjà téléchargé.Une façon de procéder est de découper l’information à partager en segments, et de distribuer des segments différents à des interlocuteurs différents afin qu’ils aient eux-mêmes quelque chose à échanger
WEB : Est l’abréviation de l’anglais World Wide Web, signifiant toile d’araignée mondiale.
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ANNEXESACOMPILATION D’INFOGRAPHIES RÉALISÉE SUR 250 PERSONNES
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Crédit image : Mickaël Touillaud
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Behance : mickatouillaud
Portfolio Professionnel : mickatouillaud.com
Il y a plus de dix ans, nous nous stupéfions déjà des propos tenus par Patrick Le Lay, alors président-directeur général du groupe TF1. Laissant entendre que « ce que [TF1] vend[ait] à Coca-Cola, [était] du temps de cerveau humain disponible », il initiait alors l’idée que la télévision était capable de prédisposer notre cerveau à l’assujettissement et à l’écoute passive. La télévision, alors média dominant était donc en mesure de capter notre attention et mobiliser notre temps à des fins commerciales. Mettant ainsi en évidence le pouvoir d’un média sur le cerveau humain, ces propos suscitait déjà la controverse et les questionnements à l’époque. Qu’en est il alors en 2015 avec l’avènement d’un nouveau média : Internet.
Si nos disponibilités ont été altérées par le numérique, et nous allons voir comment dans ce mémoire, une aspiration humaine profonde s’installe, celle de donner du sens au temps. Le temps que l’on vit nous-même, le temps qu’on laisse aux autres, le temps qu’on transmet.
Qu’importe le temps dans lequel nous évoluons, il est le plus important jamais vécu, car nous le vivons maintenant.
LE CULTE DE LA DISPONIBILITÉ : Je suis connecté donc j’existe
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