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Diplômes 2016 TOUILLAUD Mickaël

Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

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Mémoire de fin d'étude / Micka Touillaud / Strate École de Design / Diplômes 2016

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Page 1: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

Diplômes 2016

T O U I L L A U D M i c k a ë l

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«Où est passée la vie Que l’on a perdueEn la vivant ?

Où est passée la sagesseQue l’on a perdueDans la connaissance ?

Où est passée la connaissanceQue l’on a perdueDans l’information ?

Où est passée l’informationQue l’on a perdueDans les datas ?»

T. S. Eloit

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5

AVANT-PROPOS A

Ce mémoire à été l’occasion de pousser encore plus

loin ma réflexion sur le numérique, ses usages ainsi que

ses débordements, au-delà des pensées communes et

stéréotypées. Le thème de la disponibilité pris dans l’écriture

vient démontrer l’importance de la considération humaine

et éthique dans le numérique. Si nos disponibilités ont été

altérées, et nous allons voir comment dans ce mémoire, par

le numérique, il y a une aspiration humaine profonde sous-

jacente qui est de donner du sens au temps. Le temps que

l’on vit nous-même, le temps que l’on laisse aux autres, le

temps que l’on transmet. Qu’importe finalement le temps

dans lequel nous nous insérons, il est le plus important

jamais vécu, car nous le vivons maintenant.

Commençons par un peu de légèreté avec le court récit

d’un mythe fictif, élaboré pour l’occasion et permettant de

contextualiser.

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6

Il était une fois le royaume d’Utempie où la technique

n’existait pas. Notre héros, Patience, fervent charpentier de la

ville de Kairos, voulait faire parvenir une nouvelle de la plus

haute importance à son ami Passe-temps à Chronos. Deux

choix se présentaient à lui : faire le chemin à pied, ce qui lui

coûterait six longues heures de marche et de la fatigue, ou

monter son vieil âne Sancho, à qui il fallait tout de même trois

heures et demi de marche, du picotin et des fers en bon état,

pour délivrer le précieux message. Dans tout les cas il devait

impérativement arriver avant dix neuf heures pour avoir une

chance de voir son hôte avant la tombée de la nuit.

Un beau jour, la technique arriva. Décontracté, Patience

décrochait le téléphone, donnait la nouvelle à Passe-temps,

bavardait un peu avec lui à propos de la météo, avant de

nourrir le chat et d’étendre son linge pour finalement aider

sa femme à faire la cuisine – la plupart du temps au four à

micro-ondes.

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7

Leur disponibilité avait changé. Dès lors, et ce peu de

temps après que la troisième révolution industrielle se soit

installée, Passe-temps quant à lui, ne s’étonnait plus de

pouvoir s’immerger dans la vie de Patience instantanément,

lui passant un petit coup de pouce en direct sur l’installation

de son nouveau chauffage intelligent, dont il avait justement

besoin pour réduire son empreinte écologique. Patience et

Passe-temps pouvaient jouir de leurs rapprochements et se

sentaient heureux ; ils savaient qu’ils pouvaient dorénavant

compter l’un sur l’autre à n’importe quel moment de la

journée grâce au numérique. Ils n’étaient plus jamais gênés

par ce pénible sentiment qu’est l’ennui, ce qui leur était

fréquemment arrivé par le passé. Patience avait enfin du

temps devant lui et pouvait consacrer son attention sur de

plus grandes choses, comme faire de la musique ou de la

philosophie, discuter avec sa femme ou lire des livres.

Cette évolution de sa disponibilité avait fait de lui un autre

homme – et d’Utempie, une autre société.

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8

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9

Il y a plus de dix ans, nous nous stupéfiions déjà des

propos tenus par Patrick Le Lay, alors président-directeur

général du groupe TF1. Laissant entendre que « ce que [TF1]

vend[ait] à Coca-Cola, [était] du temps de cerveau humain

disponible ». Il initiait alors l’idée que la télévision était

capable de prédisposer notre cerveau à l’assujettissement

et à l’écoute passive. La télévision, alors média dominant,

était donc en mesure de capter notre attention et mobiliser

notre temps à des fins commerciales. Mettant ainsi en

évidence le pouvoir d’un média sur le cerveau humain,

ses propos suscitaient déjà à l’époque la controverse

et les questionnements. Qu’en est-il alors en 2015 avec

l’avènement d’un nouveau média : Internet*?

Internet à révolutionné l’univers des médias de masses.

S’inscrivant dans une logique d’accélération sociétale et

technologique, le numérique a bousculé nos habitudes et

a entraîné de nombreux changements, notamment l’hyper-

connectivité de notre société.

INTRODUCTIONI

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10 1Usages des téléphone mobiles, Deloitte, 2014, [en ligne] URL : http://www2.deloitte.com/fr/fr/pages/presse/2014/usages-mobiles-2014.html

Selon un sondage, les Français auraient ainsi en moyenne

accès à 2,86 appareils mobiles et plus de 60% d’entre eux

consulteraient leur smartphone dès leur réveil1. Ces objets

intrusifs, tentant de délivrer des messages par tous les

moyens, notifications, alertes, permettent dorénavant

de rester en communication perpétuelle et font partie

intégrante de notre quotidien. L’information et les personnes

sont désormais accessibles partout, tout le temps. Il en

résulte une sur-représentation de notre disponibilité opérée

par le numérique et ses nouveaux usages.

Sommes-nous alors vraiment disponibles lorsque

nous sommes connectés ? Par quels moyens sommes-

nous disponibles ? Cette disponibilité numérique est-elle

similaire à notre disponibilité physique ? Quelles en sont ses

conséquences ?

Ce sont ces interrogations qui nous ont ainsi permis de

mettre en lumière la question centrale de ce mémoire :

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11

Comment la disponibilité de l’Homme s’est-elle

confrontée à l’évolution du numérique ?

Nous commencerons par étudier les différentes

composantes de notre disponibilité. Par une analyse de ces

différentes nuances linguistiques et impacts sociologiques,

nous montrerons que la disposition au ressentir est

porteur d’expériences. Nous appuierons notre analyse

principalement sur les travaux de Dominique Boullier sur

les régimes d’attention et ceux de Marc-André Barsalou

sur la place du silence dans notre disponibilité à l’autre.

Puis, nous aborderons la construction des relations au

XXIème siècle, entre moments de présence et moments

d’absence. Quelles sont les formes de relations favorables

à la création de relations  ? L’augmentation de la densité de

nos environnements relationnels nous éloigne-t-il de nos

proches ?

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12

Ce qui nous amènera à traiter de l’immédiateté

technologique dans notre société interconnectée, amenée

par les processus d’accélération technique et sociale. Il

s’agira d’axer notre réflexion sur le mythe du progrès et

l’homme face aux temps, en nous appuyant notamment

sur l’ouvrage d’Harmut Rosa – Accélération, nous attardant

ainsi non pas aux conséquences mais aux causes de

ces mécaniques infatigables. Nous nous attarderons

également sur le conditionnement qu’imposent nos modes

de communication actuels ainsi que les conséquences d’un

multitasking* omniprésent. Nous dirigeons-nous vers une

portée symbolique de la disponibilité ?

Enfin, nous évoquerons le thème du « Moi  » à l’ère

numérique, fragmenté, passant d’un « Moi introverti » à

un « Moi extraverti » qui, nous le verrons également, est

conditionné. S’appuyant principalement sur les travaux de

Kenneth Gergen – Le Soi Saturé - Dilemmes de l’Identité dans

la vie mais également l’ouvrage de Jeremy Rifkin – Nouvelle

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13

conscience pour un monde en crise. Il s’agira d’explorer les

nouvelles barrières psychologiques et tenter de démontrer

les nouvelles opportunités numériques qui s’offrent à

l’Homme aujourd’hui. Est-il envisageable de croire à de

nouvelles normes, celles de l’inattention et de la passivité ?

Ou faut-il percevoir les prémices de la fin proche d’un

modèle ?

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A -

A -

B –

C -

SOMMAIRES

I - LES DISPONIBILITÉS HUMAINES ET NOTRE

ATTENTION À L’AUTRE

AVANT PROPOS

INTRODUCTION

II - D’UNE ACCÉLÉRATION SOCIALE VERS UNE

INDISPONIBILITÉ CULTURELLE

LA DIFFÉRENCE ENTRE DISPONIBILITÉ PSYCHOLOGIQUE

ET DISPONIBILITÉ CORPORELLE. NOS DIFFÉRENTS RÉGIMES

D’ATTENTION

L’HOMME FACE AU TEMPS AU TRAVERS LE MYTHE DU

PROGRÈS ET DE L’ACCÉLÉRATION SOCIALE

LE SILENCE COMME ÉLÉMENT D’UNE PLUS GRANDE

DISPONIBILITÉ À L’AUTRE

LA RELATION CONSTRUITE ENTRE MOMENTS DE

PRÉSENCE ET MOMENTS D’ABSENCE

5

9

18

38

50

72

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A -

B –

B –

C –

C -

LA FIN D’UN MOI UNIQUE

LA RÉDUCTION DE NOS DISPOSITIFS ATTENTIONNELS,

(VERS UNE PASSIVITÉ DANS UNE SOCIÉTÉ DU SPECTACLE)

L’UBIQUITÉ PERMANENTE ET INTERCONNECTÉE DEVIENT

LA NORME ? VERS UNE PORTÉE SYMBOLIQUE DE LA

DISPONIBILITÉ

LE CONDITIONNEMENT QU’IMPOSENT NOS MODES DE

COMMUNICATIONS ACTUELS

INTERACTION HOMME-MACHINE, L’ESQUISSE D’UNE

EMPATHIE MONDIALE VERS UNE PLUS GRANDE

DISPONIBILITÉ À L’AUTRE

III - UNE DISPONIBILITÉ FRAGMENTÉE À L’ÈRE

NUMÉRIQUE

CONCLUSION

SOURCES

GLOSSAIRE

ANNEXES

90

104

130

140

152

163

186

198

208

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« Être au monde c’est être disponible pour toute forme de rencontre. C’est pouvoir utiliser ses sens pour communiquer avec l’univers qui nous entoure autrement que de manière convenue et stéréotypée. »

E. Zarifian

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« Être au monde c’est être disponible pour toute forme de rencontre. C’est pouvoir utiliser ses sens pour communiquer avec l’univers qui nous entoure autrement que de manière convenue et stéréotypée. »

E. Zarifian

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La différence entre disponibilité psychologique et disponibilité corporelle. Nos différents régimes d’attention.

A

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19 1 Bergson Henri, Essai sur les données immédiates de la conscience, PUF, 1970, p.119-122.

Parler de disponibilités humaines au pluriel présente

plusieurs avantages. Trop souvent traitée au singulier, la

disponibilité entraine avec elle une vision essentialiste,

comme une évidence universelle, – «  nous sommes agis

plutôt que nous n’agissons nous-mêmes  »1 – alors qu’elle

est composée de nombreux composites, comme l’ont mis

en évidence les travaux de sciences cognitives. En effet

nous pouvons d’ores et déjà différencier notre disponibilité

physique de notre disponibilité psychologique.

Tout d’abord, leur nature en est complètement opposée.

Être disponible physiquement signifie être présent, tandis

qu’être disponible psychologiquement signifie être attentif.

Par ailleurs, la mesure de ces deux disponibilités diffère

également. La première se quantifie en nombre d’heures

ou en temps passé, pour se dévouer à un travail de trente-

six heures par exemple. L’autre, quant à elle, se mesure par

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20 2 Merleau-Ponty, La Phénoménologie de la Perception, Gallimard, 1945, p.267.

notre capacité à nous concentrer, à résister aux distractions

comme lire un texte cursivement sans penser à autre chose.

Cette distinction est nécessaire car la valeur de chacune

d’elles apporte des choses bien différentes. Arriver à se

rendre disponible physiquement permet de prendre sa place

dans le monde, s’affirmer, mais également exister.

«  La chair est ce qui ouvre à l’ « être du monde  »,

au monde dans l’être et par-delà lui. Paroi de

l’intersubjectivité de l’être, la chair est la possibilité pour

l’être humain de vibrer de l’Être du monde. Non pas

restrictive, elle permet sa «  communication  », définie

ici comme la synchronisation, l’ouverture du sentant au

sensible. Comme pour le silence qui n’est jamais total,

l’être humain n’est jamais dans un vide communicationnel

avec le monde : par la chair, le magnétisme entretient

la relation. Le silence permet de mieux ressentir cette

tension de soi au monde. La sensation, quant à elle, fait

vibrer l’être humain du mouvement du monde, puisque

toute sensation est spatiale, espace de coexistence : elle

est « une de nos surfaces de contact avec l’être [...] »2

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21 3 Barsalou Marc-André, Silence et rencontre – La disponibilité à l’autre, Université du Québec à Montréal, 1977, p.35.

Cependant, arriver à se rendre disponible

psychologiquement nous apporte un gain d’efficience

considérable, une productivité accrue et une disponibilité

à l’autre bien plus grande comme l’énonce M. Barsalou :

«  Le silence de la conscience met l’individu au diapason

de son environnement et lui permet de se synchroniser au

mouvement de ce qui est. En avouant honnêtement «  je ne

sais pas  », ce qui oblige à suspendre ses attentes, l’individu

se dispose à se laisser imprégner de l’expérience d’être au

monde, telle qu’elle est vécue dans le moment présent »3.

La disponibilité ne doit pas être confondue avec la

vigilance, même si la disponibilité et l’attention mobilisent

des structures cérébrales qui sont aussi celles de la

vigilance. Mais alors comment se rendre plus disponible à

l’autre ?

La différence entre disponibilité psychologique et disponibilité corporelle. Nos différents régimes d’attention.A

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22 4 Berger L. & Luckmann T., La construction sociale de la réalité, Méridiens Klincksieck, 1986, p.77-82.

Tout d’abord notre influence sur celles-ci n’est que

partiellement consciente, nous avons tous en tête ces

moments où nos pensées divaguent lorsque que nous

assistons à un moment très important ou lorsque que nous

heurtons quelqu’un dans la rue parce que nous sommes

absorbés par nos pensées. De même, nous ne pouvons nous

décupler infiniment et être partout à la fois ; notre présence

physique est en cela unique. Si notre objectif est d’être

physiquement et psychologiquement disponible, vers quoi

voulons-nous nous rendre disponible ? La rencontre et l’autre

semblent être un élément de réponse.

L. Berger et T. Luckmann précisent que «  beaucoup

d’actions deviennent possibles à un faible niveau d’attention »

et que «  [l’] accoutumance implique l’importante acquisition

psychologique du rétrécissement des choix  »4. Les deux

sociologues amènent ici une notion importante qui est

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23 5 Zarifian Edouard, Le désordre de l’autre, Editions Liaisons, 1993, p.1446 ibid.

celle de l’accoutumance, habitude ou encore routine

qui serait un obstacle à la rencontre. Et c’est un autre

sociologue qui nous éclaire sur ce point, E. Zarifian, pour

qui,«  la disponibilité psychologique s’avère [être] un enjeu

crucial de la rencontre » qui quant à elle,«  tire sa singularité

des conditions nécessaires qui la rendent possible, des

mouvements psychologiques qu’elle crée et de l’inéluctable

remise en cause de l’ordre précédemment établi qu’elle

engendre »5. Il insiste en précisant que « [c’] est le désir ou la

peur du changement qui favorise ou interdit la rencontre »6.

Clarifions quelques peu les termes utilisés jusqu’ici, à

savoir «  disponibilité  »,  «  attention  »  et  «  vigilance  ». Si la

disponibilité est l’action d’être disposé à effectuer une tâche,

elle se trouve conditionnée et influençable. L’attention,

quant à elle, relève d’une dynamique de co-individuation –

La différence entre disponibilité psychologique et disponibilité corporelle. Nos différents régimes d’attention.A

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24 7 Marx Karl, Le Capital, Verlag von Otto Meisner, 1965, p.410-412.

qu’illustre par exemple le dialogue socratique. Pour rappel,

lorsque deux individus dialoguent, s’ils sont tournés vers le

même objet, c’est que chacun a réussi à faire que ses objets

d’attention deviennent des objets d’attention pour l’autre.

La différence entre attention et vigilance peut se percevoir

elle aussi  : lorsqu’un animal s’arrête tout à coup, et se

concentre, il est dans la vigilance et non dans l’attention. La

vigilance se rapproche donc bien plus de la surveillance que

de l’attention.

Par ailleurs K. Marx discute la façon dont, même avant

les années 1840, les industriels ont compris que «  l’étendue

de la vigilance et de l’attention de la part des ouvriers n’était

que très peu augmentable  »  et que le raccourcissement

des journées de travail, en sollicitant moins d’attention de

l’ouvrier, résultait en une augmentation de la productivité7.

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25 8 Simon Herbet, Designing organizations for an information-rich world, 1971, p.122-126.9 Roda C., Human Attention in Digital Environments, Cambridge University Press, 2011, p.180.

Cette préoccupation économique et productiviste de K. Marx

nous dévoile bien l’intérêt que porte la société moderne

sur notre attention et notre disponibilité au potentiel

économique gigantesque. Cette économie cérébrale porte

le nom «  d’économie de l’attention  », théorisée par Herbert

Simon dans ces mêmes années. Il écrivit ce refrain bien

connu « la valeur la plus rare, c’est l’attention », où il décréta

que dans un monde riche en informations, l’attention des

destinataires de ces informations devenait la ressource la

plus rare8.

Rare et précieuse a ajouté C. Roda en 2015, puisque

l’attention est un facteur déterminant pour toutes les

activités humaines, qu’elles soient mentales ou physiques,

individuelles ou relationnelles9. En ce sens, C. Roda

soulève une nouvelle distinction entre les disponibilités

La différence entre disponibilité psychologique et disponibilité corporelle. Nos différents régimes d’attention.A

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26 10 Barsalou Marc-André, Silence et rencontre – La disponibilité à l’autre, Université du Québec à Montréal, 1977, p.35.11 Jeffrey Boase, John Horrigan, Barry Wellman et Lee Rainie, The Strenght of Internet Ties, Pew Internet and American Life Project, 25 janvier 2006.

individuelles et relationnelles, permettant de pousser la

compréhension de nos disponibilités encore un peu plus

loin. Si les disponibilités individuelles  «  d’un individu lui

[permettent] d’entendre le monde, ou d’entendre à l’intérieur

de lui-même, un silence l’habitera. En somme, la conscience

d’«  être du monde  » suit le silence, et si l’individu sait

écouter ce mouvement de la vie, il sera disposé à l’écoute de

l’autre, en prenant appui sur le silence qui émerge de cette

rencontre  »10. Tandis que nos disponibilités relationnelles

peuvent prétendre s’agrandir grâce à nos technologies de

l’information et de la communication* (TIC* qui, selon une

étude quantitative Pew11, démontre que seulement 2% ont

répondu que leurs relations avaient rétréci). Nous sommes

aujourd’hui 7,3 milliards d’habitants de la planète pouvant

être reliés à n’importe quels autres par six connaissances

environ selon la théorie des six poignées de mains* (aussi

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27 12 Zarifian Edouard, Le désordre de l’autre, Editions Liaisons, 1993, p.144.

appelée théorie du petit monde) établie par le hongrois F.

Karinthy en 1929.

De plus, l’attention se concentre sur le cadre offert

par un lieux physique, matériel qui est toujours porteur

d’expériences pour l’individu ; sa disposition au ressentir est

favorisée par un allègement de la pression du temps. Toute

rencontre, nous dit E. Zarifian « est le point de convergence

de trois dimensions : le lieu, le temps et les conditions

psychologiques »12.

Ainsi, si nous devions résumer ce premier exposé, nous

pourrions dire que notre disponibilité est composée d’une

dimension psychologique, d’une dimension physique,

d’une dimension individuelle ainsi que d’une dimension

relationnelle. Notre attention se mesure en termes de

concentration, de résistance aux distractions ou encore

La différence entre disponibilité psychologique et disponibilité corporelle. Nos différents régimes d’attention.A

Page 30: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

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par notre capacité à sélectionner ce qui est pertinent

dans le monde qui nous entoure. Le degré de pertinence

doit cependant être conforme aux attentes de notre

environnement social (Voir Fig.1).

Fig. 1 : Les différentes composantes de la disponibilité

Page 31: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

29

La production de notre disponibilité et de notre attention à

l’autre ne peut être comprise sans les supports techniques

qui la forment et selon les «  régimes d’attention  » qui la

composent, car les composantes mobilisées sont à chaque

fois différentes. Il faut ici s’en référer aux travaux de Régis

Debray [1991] et de Daniel Bougnoux [1998] en les combinant

avec ceux de [Akrich, Calon et Latour, 2006] permettant ainsi

d’examiner, au cas par cas, les propriétés de ces régimes

d’attention. Dominique Boullier dans sa participation au

recueil [L’économie de l’attention, nouvel horizon pour le

capitalisme, Yves Citton, 2014] avec  Médiologie des régimes

d’attention dresse une boussole des mondes possibles (voir

Fig. 2) permettant de s’orienter suivant deux axes.

La différence entre disponibilité psychologique et disponibilité corporelle. Nos différents régimes d’attention.A

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30 13 Boullier Dominique, Médiologie des régimes d’attention, HAL, 2014, p.96.14 Tarde Gabriel, La logique sociale, Hachette Livre, 1895, p. 142.

Le premier axe vertical s’oriente entre régime d’Alerte et

régime de Fidélisation, tandis que l’axe horizontal oscille

entre Projection et Immersion. Concernant la Fidélisation

sur l’axe vertical, guidée par nos croyances elle détient

probablement la plus longue histoire de tous ces régimes,

car elle relève de la tradition, de la religion, de l’histoire

commune comme captation des disponibilités d’un individu.

Guidée par des concepts tels que la culture, la politique, la

routine ou encore plus récemment, le marketing, elle est

soigneusement pensée pour maintenir en permanence

l’attention à l’intérieur d’un monde.

«  L’alerte est bien différente et s’avère être le régime

d’attention le plus conquérant dans ce début de XXIème siècle.

Elle s’oppose en tout point à la fidélisation et pourtant elles

se tiennent toutes les deux dans un rapport de tension

nécessaire »13.

Page 33: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

31

Fig. 2 : Les différents régimes d’attention

La différence entre disponibilité psychologique et disponibilité corporelle. Nos différents régimes d’attention.A

Page 34: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

32

L’axe horizontal (Projection – Immersion) quant à lui est

guidé par nos désirs qui sont tout aussi «  élémentaires  »14,

et tout aussi quantifiables. La Projection se rapprochant

plus des désirs « d’avoir  » tandis que l’Immersion prône les

désirs d’ «  être eu  ». « Avoir » et « être » sont ensemble de

bien meilleures définitions des entités sociales, puisque

«  l’avoir est nécessairement relationnel, contrairement à

l’être » tel que l’avait souligné G. Tarde. Cette lecture des

mondes possibles décrivant quatre régimes d’attention nous

permet de mieux prendre en compte toutes les médiations

qui constituent l’attention, et donc la projection de nos

disponibilités.

Page 35: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

33 15 Sloterdijk Peter, Explicitations de la vie, anthropologie de l’espace, mondialisation, La Découverte, 2009, p.6.16 Boullier Dominique, Médiologie des régimes d’attention, HAL, 2014, p.91.

Enfin, la globalisation que nous connaissons actuellement

se présente de façon paradoxale car elle n’a rien d’unifié,

mais :

Cette vision sociologique de nos régimes d’attention peut

être appuyée et confirmée par une vision plus philosophique

mise en avant par E. Husserl, qui qualifie le processus

« Permet la démultiplication des connexions à travers

les réseaux pour produire de multiples mondes de

frottement constant : Sloterdijk désigne cette nouvelle

phase de sa sphérologie comme l’époque des « écumes »,

qu’il appelle « un temps de déploiement multifocal,

multiperspectiviste et hétérarchique »15. Ce temps d’une

attention multifocale nous semble bien correspondre à un

régime d’alerte permanente, nous obligeant à passer d’un

monde à l’autre, d’un sujet à l’autre, dans ce mouvement

que d’autres pourraient nommer « écume » pour le

dévaloriser, ou au contraire pour en faire un principe

stratégique, le buzz* 16»

La différence entre disponibilité psychologique et disponibilité corporelle. Nos différents régimes d’attention.A

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attentionnel comme des mises en œuvre de choses que l’on

a retenues du passé et à partir desquelles on projette des

attentes. B. Stiegler sur ces processus dans sa contribution

au même livre d’Yves Citton déclare :

«  L’attention, c’est précisément ce qui articule deux

dimensions : d’une part, mes rétentions*, c’est-à-dire

tout ce que j’ai appris dans le passé, du fait de mon

éducation, de mon expérience, etc. ; d’autre part, mes

protentions*, c’est-à-dire mes désirs, mes attentes, que

ce soient les miennes ou celles qu’on a suscitées en

moi. Or ce travail d’articulation entre les rétentions et les

protentions s’opère toujours à travers ce que j’appelle des

rétentions tertiaires, c’est-à-dire des dispositifs matériels,

des outils, des appareils techniques, qui peuvent aussi

bien être un totem, un calumet de la paix ou un missel,

qu’une photographie, une bande magnétique, une radio

ou un iPad. Ce que j’appelle les rétentions tertiaires, ce

sont tous les processus de conservation de la mémoire

collective retenus sur des supports mnémotechniques […]

Page 37: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

35 17 Stiegler Bernard, L’attention, entre économie restreinte et individuation collective, La Découverte, 2014, p.126-127.18 Krishnamurti Jiddu, La révolution du silence, Le Livre de Poche, 1994.

Notre disponibilité comprend donc quatre composantes

à part entières, celle d’une disponibilité physique (« je suis

réel donc je vis »), celle d’une disponibilité psychologique («

je pense donc je suis »), celle d’une disponibilité individuelle

(« je suis conscient d’être au monde ») et enfin celle d’une

disponibilité relationnelle (« chacun de nous n’existe qu’en

relation à l’autre »). Ces différentes disponibilités, nous

l’avons vu, crée les différents mondes possibles dans

lesquels nous choisissons de nous insérer. Ils oscillent entre

quatre différents régimes d’attentions suivant nos croyances

: alerte – fidélisation et projection – immersion. Par ailleurs,

la mondialisation et le mélange des cultures provoquent la

démultiplication des mondes possibles. Ce temps nouveau

Les rétentions tertiaires* sont un troisièmes terme,

matériel, technique, artificiel, qui fait le lien entre les

générations, qui sert de vecteur intergénérationnel ou

transgénérationnel. »17

La différence entre disponibilité psychologique et disponibilité corporelle. Nos différents régimes d’attention.A

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d’attention multifocal nous laisse principalement dans

un régime d’alerte et d’immersion permanent. Si notre

disponibilité phycologique se trouve être la plus sollicité en

ce début de XXIème siècle, la philosophie récente cherche

à comprendre les fondements d’une société en alerte

constante à travers notamment la compréhension de son

contraire, le silence.

Page 39: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

37

Page 40: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

Le silence comme élément d’une plus grande disponibilité à l’autre.

B

Page 41: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

39

Pour tout être humain, le silence fait partie intégrante

de ses premiers apprentissages. Le silence participe à la

structuration de la réalité d’un individu et de ce qu’il perçoit

du monde. Le mot « silence » est lui-même polysémique et

son interprétation dépend de son contexte.

Tout d’abord le silence n’est jamais total. Il peut au mieux

se ressentir par de légères sonorités aiguës provenant de

notre système nerveux, couplées avec les sons graves des

battements de notre cœur. L’écoute de ce bourdonnement

que nos oreilles subissent constamment, éveille chez

l’individu sa prise de conscience de sa condition d’être

vivant. C’est en cela qu’il est intéressant de s’attarder sur

l’expérience phénoménologique qu’il provoque et à ses

diverses répercutions : sur le plan social, sur nos interactions

quotidiennes ainsi que sur notre disponibilité. À cet effet,

Jiddu Krishnamurti précise que le silence de la conscience

Page 42: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

40 19 Krishnamurti Jiddu, La révolution du silence, Le Livre de Poche, 1994.

englobe les différentes natures du silence que nous allons

détailler par la suite :

« Il y a le silence d’une conscience qui n’est jamais

atteinte par aucun bruit, par aucune pensée, ni par le

passage du vent de l’expérience. […] La méditation d’un

esprit totalement silencieux est la bénédiction que

l’homme ne cesse de rechercher. En ce silence sont

toutes les différentes natures du silence. […] Ce silence de

la conscience est le véritable esprit religieux, et le silence

des dieux est le silence de la terre. L’esprit méditatif suit

son cours dans ce silence, et l’amour est sa manière

d’être »19.

C’est bien cet état de communion qui confirme cette

intuition que le silence peut, dans l’invisible et l’inaudible,

être favorable à une plus grande disponibilité à l’autre.

Page 43: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

41

Dès lors, deux silences font leurs apparitions, le premier

appelé « silence contenant », est la conséquence de la

définition de l’ordre social, déterminant la position de

chacun dans la société. Caractérisé par une ouverture au

monde, c’est le silence de la disponibilité à soi et au monde

(la conscience sensible). Il permet de lever les masques,

et d’ainsi favoriser le rapprochement avec l’autre. Il est

étroitement lié pour chacun à son désir d’intégration sociale,

que l’on peut maintenir ou le briser selon les cas.

L’autre forme de silence présente dans cette expérience

phénoménale est appelée « silence contenu » il est quant

à lui imposé et voulu selon les conditions sociales. Il

encadre de façon rigide l’échange entre les individus grâce

à des normes, coutumes, conventions ou encore diverses

politesses. C’est le silence inconscient (élocution culturelle)

et conscient pour le statut et le pouvoir (rôle social). (Voir

Fig. 3)

Le silence comme élément d’une plus grande disponibilité à l’autre.B

Page 44: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

42

Fig. 3 : Silence « contenu » versus silence « contenant ».

Page 45: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

43 20 Barsalou Marc-André, Silence et rencontre – La disponibilité à l’autre, Université du Québec à Montréal, 1977, p.60.

Cette différence nous dévoile bien les deux aspects du

silence phénoménal que l’on expérimente quotidiennement

et permet de mettre en évidence son rôle social. En effet,

un silence utilisé avec justesse est un atout, mieux encore,

son imposition est une stratégie du pouvoir qui vient

non seulement garantir le consentement de l’individu à

la structure de l’ordre social, mais favorise également le

conformisme à l’idéologie dominante qui le soutient. On

« En bref l’expérience phénoménale du silence a une

double portée  : dans l’imaginaire, le silence dynamise

la représentation et, dans le concret, il ouvre sur la

conscience de l’expérience vécue. Il est, entre autres, le

lien entre la sensibilité et l’entendement. Si le silence est

une partie intrinsèque de la structure des interactions

au sein de la réalité quotidienne et qu’il est une matrice

relationnelle, une différence marquée concernant la

disposition à la rencontre de l’autre s’impose entre le

« silence contenu » et le « silence contenant »20.

Le silence comme élément d’une plus grande disponibilité à l’autre.B

Page 46: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

44

peut faire le parallèle ici avec les réglementations pour faire

taire les individus, en restreignant leur propre liberté ou, à

l’inverse, en les assourdissant de bruits environnants, pour

les menotter par le silence et l’écoute. Car l’édification d’une

société ou d’une communauté, comme la mise en évidence

l’anthropologie politique, s’appuie sur la classification de

l’ordre et du désordre. À cet égard, le silence est entre

autre considéré comme un apport organisationnel dans la

communication lors des interactions de la vie quotidienne.

Le silence hiérarchise donc la communication, lors des

échanges au sein d’une société, tout comme entre deux

personnes.

L’utilisation du silence, dynamise également le langage,

permet d’inclure des pauses et du rythme. L’étude de la

«  pausologie*  » fut entamée par Goldman-Eisler dans

Page 47: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

45 21 Le Breton David, Du silence : Essai, Métailié, 1997.

les années soixante. Plusieurs recherches prouvent par

exemple qu’une pause précède la présentation d’une grande

quantité d’informations et d’énoncés plus complexes. Il en

est donc promoteur, porteur de sens, mais est également

influencé, parfois soumis, aux formes que prendra la

communication. Aujourd’hui au sein de notre société,

l’énoncé est maître et partout, comme si la seule présence

d’une personne ne suffisait plus pour se placer à ses côtés

: « dans la communication au sens moderne, il n’y a plus de

place pour le silence, il y a une contrainte de parole, de rendre

gorge, de faire l’aveu puisque la « communication » se donne

comme la résolution de toutes les difficultés personnelles

ou sociales »21. La nécessité du silence réside donc dans

son utilisation, permettant de dynamiser l’utilisation du

langage et de favoriser la perception directe du monde

et de la réalité de l’autre. Néanmoins, dans une culture où

Le silence comme élément d’une plus grande disponibilité à l’autre.B

Page 48: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

46 22 Barsalou Marc-André, Silence et rencontre – La disponibilité à l’autre, Université du Québec à Montréal, 1977, p.33.

l’on s’attend à une verbalisation continue, abondante, sinon

divertissante, celui qui est silencieux met à mal, voir menace,

le lien social. En effet, les instants gardés silencieux, sont

comptés comme une perte de temps pour l’individu et sont

généralement vécus dans l’ambivalence et le suspens. La

logique marchande place même le silence comme un risque

de rupture communicationnelle, entraînant parfois même

l’échec de la rencontre. C’est ce paradigme cybernétique qui

place le silence dans un contexte où la communication est

considérée comme un échange d’information « quantifiable »

et objectivable, «  le silence est nécessairement l’entropie à

laquelle l’information explicite remédie  »23. Cette dynamique

de notre système pose le silence comme un élément

intolérable dans le cours de l’échange communicationnel.

Page 49: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

47 23 Lafontaine Céline, L’empire cybernétique : des machines à penser à la pensée machine, Seuil, 2004.24 Barsalou Marc-André, Silence et rencontre – La disponibilité à l’autre, Université du Québec à Montréal, 1977, p.24.

« Ainsi, le silence qui remet en cause la « sacralisation »

de la communication informationnelle fait figure

de nouvel interdit  : la connotation de vide qui lui est

rattachée entraîne sa mise à l’écart.  […]  En outre, à l’ère

des TIC, il semble se produire un renversement qu’il

est utile d’aborder  : la quantité de «  relations  » définit

pour plusieurs la qualité de la communication qu’ils

entretiennent et leur profil relationnel. Beaucoup de gens

investissent de plus en plus de temps dans des échanges

virtuels, et ceci, au détriment des échanges en personne.

Ainsi, il s’agit davantage de se procurer de l’information

sur des faits et gestes que d’engager un échange

dynamique qui ait lieu dans un temps partagé avec un

interlocuteur. »24

La mise en évidence de ce paradigme souligne la place

qu’a pris le silence dans notre société aujourd’hui avec le

basculement d’une connotation « mystique » et porteuse de

sens à une connotation de «  vide  » pouvant même parfois

entrainer une rupture du lien social. Si le silence dans la

Le silence comme élément d’une plus grande disponibilité à l’autre.B

Page 50: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

48

communication et plus particulièrement dans la rencontre

a toujours été porteur de sens il est l’un des éléments

nécessaires à une plus grande immersion dans le monde de

l’autre. De plus, l’expérience phénoménologique qu’entraîne

le silence au travers de ses deux dimensions que l’on a

exposées auparavant (silence contenu et silence contenant)

démontre sa légitimité dans l’ordre social. Seulement

on voit bien qu’aujourd’hui sa place est bien différente,

alors qu’un silence absolu a toujours été impossible, c’est

aujourd’hui le silence tout court qui est craint et redouté.

Si certaines formes de communication sont jugées plus

favorables que d’autres à la création de relation et de sens,

la symbolisation que prend le silence diffère constamment.

Si les conversations écrites sont bien plus privilégiées

par la génération Y*, les messages vocaux et les appels

sont toujours bien plus utilisés par la génération qui les a

Page 51: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

49

précédée. La connotation du silence qui est entraînée diffère

alors complètement, alors qu’un message vocal intègre

l’intonation, le ton, le débit et les silences, un message écrit

pourra uniquement décrire une ponctuation particulière.

Le silence fait donc parti prenante de la construction d’une

relation aujourd’hui, porteur de sens, il s’adapte aux moyens

de communications et à la place que chacun souhaite lui

céder.

Le silence comme élément d’une plus grande disponibilité à l’autre.B

Page 52: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

La relation construite entre moments de présence et moments d’absence.

C

Page 53: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

51

Comme nous l’avons évoqué précédemment, la crainte

du silence dans nos communications actuelles est

l’une des preuves d’une plus grande densification de

nos communications. En effet, si au siècle dernier nous

recevions une lettre d’un proche, la succession d’actions

et de gestuelles nécessaires, allant du dialogue avec son

postier jusqu’à l’ouverture de l’enveloppe soigneusement

préparée, soulignait l’importance d’un tel message. Nous

pouvions sentir l’odeur qui s’était imprégnée dans le papier,

deviner les moments de doute dans l’écriture, les ratures,

l’usure, voire même l’émotion qu’accompagnait chacun

des ces messages. La crainte de voir sa lettre égarée par

la poste renforçait encore plus son unicité. Nous pouvions

mettre deux jours, même une semaine, avant de choisir d’y

répondre, décidant que c’était enfin le bon moment.

Page 54: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

52

L’arrivée d’internet dans les années quatre-vingt-dix a

complètement changé les formes de communications  ;

passant du physique au virtuel, du délai de livraison à

l’instantanéité et de l’émotionnel au binaire*. Aujourd’hui

l’échange relationnel n’est plus du tout le même, l’arrivée des

réseaux sociaux et des smartphones a considérablement

transformé le paysage technologique, emmenant avec

elle une nouvelle vague générationnelle aux attentes

complètement différentes. Si nos relations aujourd’hui sont

une succession de moments de présence et de moments

d’absence, l’enjeu du lien social est de tisser quelque

chose dans cette succession de moments distincts. Ce qui

compte, c’est d’être ensemble. Il s’agit donc aujourd’hui de

compenser les effets négatifs des différentes séparations.

La présence est donc quelque chose de central dans la

création ou le maintien d’une relation.

Page 55: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

53

Il apparait donc que les moments de présence sont un

luxe dans le paysage relationnel actuel. En effet, dans

une société gestionnaire avec de nombreux impératifs

managériaux, les grands décideurs se rendent comptent

que les moments de présence sont très coûteux, à la

fois en énergie et en temps. La relation en face-à-face

qui prévalait depuis toujours comme norme se voit donc

remise en question. Les nouvelles formes de présence qui

se développent, comme les vidéo-conférences, ou plus

récemment ces robots mobiles qui permettent de faire des

visioconférences et même visiter à distance, essayent de

traduire notre présence le plus fidèlement possible. Selon

une étude Sigman, nos relations numériques auraient

pris le pas sur nos relations en face-à-face en 1997 avec

depuis une très forte baisse de nos interactions physiques

(Voir Fig.4). Les modalités d’attention et de disponibilité

La relation construite entre moments de présence et moments d’absence.C

Page 56: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

54

engendrées par ces nouvelles métaphores de notre présence

sont complètement opposées à celle d’une présence en

face-à-face. L’objectif des grandes entreprises qui gèrent

nos communications quotidiennes est donc de produire

des formes de relations qui soient satisfaisantes. L’histoire,

encore très brève de l’émergence des réseaux sociaux, nous

prouve déjà qu’une lassitude de la part des utilisateurs

lors de l’apparition d’un média à l’avantage concurrentiel

suffisamment important, entraine un effet réseau*. Cet

effet provoque un basculement très rapide de la part des

utilisateurs d’un média à l’autre, nous l’avons vu récemment

avec le passage de MSN à Facebook par exemple en 2005.

Ces nouvelles formes de communications se sont également

énormément diversifiées avec l’apparition de médias

spécifiques entraînant un découpage des conversations

sous plusieurs plateformes. Nous initions le début de la

Page 57: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

55

conversation par un Snapchat, continuons l’échange via

Facebook Messenger, puis décidons de faire un Skype avant

de se quitter sur WhatsApp. Cette nouvelle configuration du

paysage technologique de la communication, à la panoplie

toujours plus complexe, toujours plus riche, toujours plus

grande, pose de nombreux problèmes de disponibilité.

Fig. 4 : Interactions Sociales vs Usage de médias numérique.

La relation construite entre moments de présence et moments d’absence.C

Page 58: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

56 25 Licoppe Christian, Congrès UNASP, Telecom Paris Tech, Octobre 2014, [en ligne] URL : https://www.youtube.com/watch?v=0lOhYuB8ZMw

« Il ne s’agit plus tant de lutter contre l’absence

mais de lutter contre le silence. C’est le silence qui est

insupportable. C’est passer une heure sans avoir eu

un signe de l’autre qui devient insupportable. Il y a un

glissement de ce vers quoi on lutte dans le tissage du lien

de l’absence dans la première conception qui reposait

sur la notion de présence en face à face comme manière

première de concevoir le lien, vers quelque chose dans

lequel le lien se tisse dans une lutte incessante vers le

silence, ce qui est assez différent. C’est aussi coûteux de

faire ça et pose des questions de disponibilité. [...] Quand

on est sur la modalité de présence connecté, tisser des

liens, devient un projet. »25

Nous nous trouvons donc dans des environnements

relationnels de plus en plus denses, composés comme

nous l’avons vu, de moments de présence et de moments

d’absence. Et plus précisément, nous assistons à la

construction d’environnements relationnels de plus en plus

denses avec les personnes absentes. A contrario, nous

construisons des environnements relationnels de moins

Page 59: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

57

en moins denses avec les personnes présentes. Nous

avons tous cette image des voyageurs dans le métro,

hyper-connectés, se cachant derrière leurs smartphones

depuis quelques années. À savoir que la suggestion la plus

répandue dans la demande de participation des voyageurs

franciliens est l’installation de bornes GSM* et 3G dans les

stations de métro. Il est cependant nécessaire de mettre

en perspective cette affirmation en relevant que bien avant

l’usage des smartphones, les voyageurs des métros avaient

toujours tendance à se cacher derrière leurs journaux

pour garder leur intimité et leur espace personnel dans

ces moyens de transports peu propices à la création de

nouvelles relations satisfaisantes.

Alors que ces nouveaux moyens de communications

s’intensifient, il semble s’affirmer que la quantité définit

désormais la qualité. En effet, l’adoption d’un système de

La relation construite entre moments de présence et moments d’absence.C

Page 60: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

58

notifications et de récompenses provoque chez l’utilisateur

une quête infinie. Niel Eyal, dans son ouvrage Hooked :

The psychology oh How Products Engage Us, développe et

détermine quatre étapes pour un service numérique pour

passer d’un faible engagement de l’utilisateur à un très grand

niveau d’engagement.

Les anglo-saxons appellent le premier d’entre eux «  The

Trigger  ». Composant la première étape, il relie le problème

que peut ressentir un utilisateur avec une solution. Il peut se

matérialiser de deux façons différentes, grâce à des External

Triggers (alarmes, e-mail avec des incitations d’actions,

magasins). La deuxième matérialisation de ce premier

composant sont les Internal Trigger (émotions, routines,

situations, lieux, personnes). Il insiste en affirmant « What to

do next is in the user’s head. You need to know the internal

Page 61: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

59 26 Eyal Niel, Hooked : The psychology of how products engage us, 2013 [en ligne] URL : https://www.youtube.com/watch?v=TDRQfGT6GtE&feature=youtu.be

trigger your customers use.  »26 Nous pourrons prendre

ici l’exemple du scroll infini mis en place par Pinterest

en 2013, qui permit à l’utilisateur d’avoir une navigation

fluide, ininterrompue et une bien plus grande immersion.

Sachant que l’Internal Trigger utilisé par Pinterest vient

d’un sentiment, capté au plus profond de nous : la

sérendipité. En effet de la même manière que Facebook

aujourd’hui, Pinterest a réussi à capter ce sentiment en

proposant toujours un contenu nouveau, intéressant pour

l’utilisateur, ne le laissant jamais indifférent dans sa quête

de découverte, et lui soufflant doucement dans l’oreille «  tu

risques de rater quelque chose… »

La seconde étape est celle de l’action. Lorsque accomplir

devient plus simple que réfléchir. L’idée derrière cette

étape est d’augmenter la capacité de l’utilisateur à avancer

La relation construite entre moments de présence et moments d’absence.C

Page 62: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

60

dans le processus grâce à de nouvelles actions, simples à

réaliser, ne demandant que très peu de réflexion pour que

l’utilisation soit la plus fluide possible. Pour arriver à une

utilisation idéale du service, le concepteur peut également

augmenter la motivation de l’individu en se servant des

motivators of behaviors, comme par exemple jouer avec le

plaisir de l’utilisateur, l’espoir ou encore son consentement.

Il est alors primordial d’éviter les phénomènes de difficulté,

de peur ou bien de rejet. Ce sont le temps, l’argent, l’effort

physique, cérébral, la déviance sociale et l’inattendu qui

doivent être pris en considération pour proposer une

expérience idéale. On voit énormément se développer dans

les services numériques l’utilisation de passerelles pour

éviter à leurs visiteurs de nombreuses étapes fastidieuses et

répétitives grâce aux log-in via Facebook ou encore via barre

de recherche intelligente.

Page 63: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

61

La troisième composante du processus permettant une

plus grande implication de l’utilisateur est le Reward, avec

la question sous-jacente, comment pouvons-nous susciter

le désir chez nos visiteurs  ? L’une des solutions mise en

avant est le recours au mystère, tout le monde sait que

l’inconnu est fascinant. De plus notre cerveau est une

machine à prédictions, nous tentons de comprendre les

liens de causes à effets constamment. B.F. Skinner, grâce à

ses travaux sur le comportementalisme radical, nous éclaire

en démontrant que l’ajout de récompenses intermédiaires

avant la récompense finale augmente la satisfaction et le

taux de réussite27. Et c’est le neurotransmetteur provoquant

le plaisir et la motivation qui en est la cause principale : la

dopamine. Sécrétée à faible dose dans notre cortex cérébral,

elle entraine cette quête de la récompense. De plus, il existe

La relation construite entre moments de présence et moments d’absence.C

Page 64: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

62 27 Skinner B. F., L’Analyse expérimentale du comportement, Editions Mardaga, 1969.

trois différents types de récompenses :

- The Tribe : S’appuyant sur la coopération, la compétition,

la reconnaissance, l’acceptation, l’empathie ou encore la joie.

- The Hunt : Focalisé sur l’argent, la nourriture ou

l’information.

- The Self : Entraînée par la recherche de sensations, de

maîtrise, de cohérence, d’aptitude et de réalisation.

De plus, il n’y a jamais d’engagement sans autonomie de

la part de l’utilisateur. La différence par exemple entre un

jeu vidéo solitaire avec un jeu vidéo multijoueurs, réside

dans le nombre de variables prise en compte. Alors que le

jeu vidéo solitaire est dans la consommation d’expériences

prévisibles, le jeu vidéo multijoueurs quant à lui, ne propose

jamais la même expérience ; il crée du contenu, propose

Page 65: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

63

différents adversaires, défis ou encore de nouvelles

communautés.

Enfin le dernier composant est l’Investment, lorsque

l’utilisateur contribue de lui-même au système. Dans l’espoir

de récompenses futures, il fait le lien avec le premier

composant. L’idée dans laquelle l’expérience et la valeur

d’un produit vont augmenter considérablement grâce à

sa plus grande utilisation est au cœur de ce composant.

«  The more we use product, the more the product inscrease

its value.  »28 Cette création de valeur peut également être

accentuée par la création de préférences d’utilisations ou

de raccourcis. Nous prendrons ici l’exemple de la demande

de contribution que Facebook nous propose chaque jour,

à savoir le «  j’aime  », qui incite le visiteur à effectuer un

seul clic, lui permettant d’obtenir par la suite de meilleurs

La relation construite entre moments de présence et moments d’absence.C

Page 66: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

64 28 Eyal Niel, Hooked : The psychology of how products engage us, 2013 [en ligne] URL https://www.youtube.com/watch?v=TDRQfGT6GtE&feature=youtu.be29 ibid.

contenus en rapport avec ses attentes. Il est cependant

notable de démontrer la dangerosité d’un tel système de

fonctionnement, aiguillonnant l’utilisateur dans ses propres

appréciations et agrémentant son fil d’actualité de contenus

réconfortant. Une chose à retenir ici : « Little investments, big

results. » (Voir Fig. 5)

La compréhension de nos comportements et de nos

attentes dans la création d’un service est donc primordiale

pour sa réussite. L’usage de stimulants, d’actions rapides

et simples à réaliser, de récompenses, pour afin arriver

jusqu’à un investissement de la part du visiteur, nous permet

donc de créer des services engageants, en comblant les

manques des utilisateurs. Cependant lorsque l’auteur

parle de «  Internal Trigger  », Niel Eyal met en avant des

comportements négatifs ou passifs de la part des usagers.

Page 67: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

65

Fig. 5 : The Hook

La relation construite entre moments de présence et moments d’absence.C

Page 68: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

66

Les solutions qu’il propose s’appuient sur leurs points

faibles sans jamais les résoudre ; il propose aux créateurs

de services d’agir sur ces derniers pour en profiter.

Il est donc primordial et urgent de proposer aux utilisateurs

un service répondant à un problème ou une crainte, par une

solution simple ne piégeant pas l’utilisateur dans une quête

de dopamine inutile et auto-réconfortante.

La construction d’expériences numériques dont

l’unique but est leur propre utilisation, au détriment d’une

implication utile et positive de l’individu, va même jusqu’à

des diagnostics de maladies, la dernière en date étant la

Nomophobie. Tout droit venu de l’anglais pour «  No Mobile

Phone Phobia  », ce nouveau diagnostic moderne d’une peur

d’être séparé de son téléphone portable, a comme premier

symptôme un sentiment que nous avons probablement

tous ressenti, celui d’avoir senti vibrer notre téléphone dans

Page 69: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

67

notre poche ou notre sac à main par erreur. Un dernier

exemple sera celui du créateur de l’application Flappy Bird,

Dong Nguyen qui a décidé de retirer son produit de toutes

les plateformes de téléchargements car avec entre deux et

trois millions de téléchargements par jours il estimait son

jeu trop addictif. Si l’essence du capitalisme est un marché

fructueux, une lutte concurrentielle acharnée où des parts

de marchés doivent être gagnées, nous voyons bien ici la

place que prend l’utilisateur. Si nos créateurs d’applications

et de contenus se justifient auprès de leurs investisseurs

par un nombre d’utilisations journalières importantes, c’est

probablement aux créateurs de smartphones et de services

d’exploitation d’offrir à leurs clients un produit ou les

contenus ne sont pas en concurrence mais en cohabitation

pour délivrer une expérience unique et personnalisée. Et non

plus une succession de sollicitations similaires allant d’un

La relation construite entre moments de présence et moments d’absence.C

Page 70: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

68

« match » Tinder à une notification du journal Le Monde sur

les derniers résultats d’une élection présidentielle.

On voit donc le volume d’alertes prédominer sur la

qualité du message délivré. Solliciter l’utilisateur d’un

système n’a jamais été aussi simple, et, alors que notre

relation avec ces applications s’intensifie, tout comme nos

conversations sur messagerie instantanée, l’importance du

face-à-face s’éloigne et s’estompe de plus en plus. Si notre

présence est devenue un luxe et notre absence un état de

fait, la création de relations en à été considérablement

changée. Baignant dans des environnements relationnels

de plus denses où notre présence numérique prédomine

notre présence physique, nous entretenons bien plus

facilement une relation virtuelle qu’une relation physique.

Si ce paradoxe s’installe depuis l’avènement des TIC, il

Page 71: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

69

est primordial de comprendre ses causes, plutôt que de

critiquer ses conséquences néfastes. L’intégralité de notre

deuxième partie traitera donc de ces causes en mettant en

avant les constantes universelles qui régissent l’innovation

et l’économie d’aujourd’hui, impactant notre disponibilité et

notre quotidien.

La relation construite entre moments de présence et moments d’absence.C

Page 72: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

« Être affame de temps ne provoque pas la mort mais, comme l’avaient observé les philosophes antiques, empêche de commencer à vivre »

J.P. Robinson et G. Godbey

Page 73: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

« Être affame de temps ne provoque pas la mort mais, comme l’avaient observé les philosophes antiques, empêche de commencer à vivre »

J.P. Robinson et G. Godbey

Page 74: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

L’Homme face au temps à travers le mythe du progrès et de l’accélération sociale.

A

Page 75: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

73 30 Pink Floyd, Time, The Dark Side Of The Moon, EMI, 1973.

«Time» :

« Ticking away the moments that make up a dull day

Fritter and waste the hours in an off-hand way

Kicking around on a piece of ground in your home town

Waiting for someone or something to show you the way

Tired of lying in the sunshine staying home to watch the rain

You are young and life is long and there is time to kill today

And then one day you find ten years have got behind you

No one told you when to run, you missed the starting gun

And you run and you run to catch up with the sun but it’s sinking

Racing around to come up behind you again

The sun is the same in a relative way, but you’re older

Shorter of breath and one day closer to death

Every year is getting shorter, never seem to find the time

Plans that either come to naught or half a page of scribbled lines

Hanging on in quiet desperation is the English way

The time is gone, the song is over, thought I’d something more to say »30

Page 76: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

74

Ces paroles des Pink Floyd reflètent bien le sentiment

d’une vie passant trop rapidement dans laquelle nous ne

cessons de courir après le grand train de la modernité. En

effet, nous avons tous dès l’école, connu le sentiment d’être

distancé après une absence dans un cours, ou bien dans la

vie, après de longs voyages loin de notre société, tentant de

rattraper ce « temps perdu » pour revenir à la réalité.

Si notre représentation du temps dépend du temps absolu

vécu dans une vie, nous pouvons mieux comprendre la

raison qui pousse les enfants à se plaindre sans cesse

par d’incessants « on arrive quand ? » alors que nos

grands-parents radotent encore que « la vie passe à une

vitesse folle !». Si quatre ans représentent le temps absolu

vécu par l’enfant assis à l’arrière de la voiture, les quatre

jours de vacances chez ses grands-parents lui paraîtront

Page 77: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

75 31 Kiener Maximilian, 2015, Time, [en ligne] URL : http://maximiliankiener.com/digitalprojects/time/

interminables. À contrario, la cent-unième année de

nos grands-parents représentera exactement la même

représentation temporelle vécue pendant quatre jours par

l’enfant . Ainsi, lorsque l’on a dix ans, une année représente

10 % de notre vie, soit une très longue durée. En revanche,

à cinquante ans, une année ne représente plus que 2 % de

notre vie, et peut sembler durer cinq fois moins longtemps.31

Nous pouvons donc formuler la thèse que notre perception

du temps diffère, en corrélation directe avec notre âge.

Cependant, aucun élément nous laisse comprendre ce

sentiment de culpabilité envers le temps. Pourquoi avons-

nous, à tout âge, cette impression de retard perpétuel et une

nécessité constante de courir après le train de la modernité ?

Nous pourrions dire que ses origines datent de l’apparition

de la première horloge indiquant heures et minutes, mais

cela remonte même au temps de l’apogée de la civilisation

L’Homme face au temps à travers le mythe du progrès et de l’accélération sociale.A

Page 78: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

76

grecque, et de l’apparition des premiers cadrans solaires.

En d’autres termes, la mesure, puis le désir de la maîtrise

du temps sont les premiers responsables directs de

notre course à la vitesse. L‘avènement des heures égales

dès l’apparition des premiers chemins de fers reliant

l’intégralité d’un pays, fût nécessaire. En effet avant

cette homogénéisation, l’homme cultivait ses champs

en « temps de soleil utile ». Cette norme nécessaire pour

le départ et l’arrivée des trains en temps et en heures

s’installa seulement au XIXème siècle. Vers 1863, Charles F.

Dowd proposa un système standard de fuseaux horaires

pour les chemins de fer américains, il imagina quatre

fuseaux idéaux aux frontières droites, le premier centré sur

Washington ; en 1872, le premier fût centré sur le méridien

75°W de Greenwich et possédait désormais des frontières

géographiques. C’est seulement quatre ans plus tard,

Page 79: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

77

en 1876, que le Canadien Sandford Fleming proposa de

généraliser le principe au monde entier, en complément de

sa proposition d’une horloge standard de 24 heures qui ne

serait liée à aucun méridien.

Cette uniformisation du temps à nécessairement impacté

l’individu. Chacun de ses faits et gestes était dorénavant

contraint dans l’espace et inscrit dans le temps, un peu plus

qu’auparavant. Alors qu’un rendement saisonnier était la

norme dans toutes les campagnes, les paysans passèrent

petit à petit à des approximations de plus en plus précises

pour le bonheur de leur rentabilité et leurs cultures. Harmut

Rosa dans son ouvrage écrit en 2005 Accélération – Une

critique sociale du temps, nous propose un éclaircissement

des composantes de ce sentiment d’accélération. À travers

trois composantes universelles qui régissent ce phénomène

moderne, l’auteur dépeint chacune des significations des

L’Homme face au temps à travers le mythe du progrès et de l’accélération sociale.A

Page 80: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

78

mots tels que «  moderne  », «  post-moderne*  », «  fin de…  »,

comme étant uniquement des diagnostics de renouveaux,

dans la mesure où, par comparaison avec des tentatives

précédentes, ils semblent bancals ou «  amputés  ». Ce sont

des constats d’une époque de bouleversements, privée d’un

« renouveau culturel » et, par conséquent, d’un enchaînement

du passé, du présent et du futur incohérent.

L’accélération technique que décrit l’auteur dans un

premier temps est le résultat d’une accumulation de

constantes au sein de notre société. La loi de Moore est

«  Nous pouvons donc énoncer l’hypothèse centrale

de notre étude de la manière suivante : dans la société

moderne, comme « société de l’accélération », se

produit une combinaison (aux nombreux présupposés

structurels et culturels) deux formes d’accélération -

accélération technique et augmentation du rythme de

Page 81: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

79 32 Rosa H., Accélération – Une critique sociale du temps, La Découverte, 2005, p.31.

l’une de ces principales constantes. Prédisant depuis plus

de 45 ans la performance des transistors (appelé désormais

microprocesseurs). Elle énonce en effet que la puissance

de calcul des microprocesseurs double tous les dix-huit

mois. Cette loi n’a pour le moment jamais été remise en

cause et nombre de grandes entreprises fondent dessus le

pari d’innovations radicales portées majoritairement grâce

à l’appui de cette dernière. Cette loi prédit également la

date à partir de laquelle les puissances de calculs de nos

ordinateurs seront plus importantes que celles de notre

vie par la réduction des ressources temporelles - et

donc une combinaison de croissance et d’accélération.

Cela implique que le rythme de croissance moyen (défini

comme augmentation de la quantité globale de produits,

d’informations transmises, de communications, de

distance parcourues, etc.) dépasse le rythme moyen de

l’accélération. »32

L’Homme face au temps à travers le mythe du progrès et de l’accélération sociale.A

Page 82: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

80 33 Rosa H., Accélération – Une critique sociale du temps, La Découverte, 2005.

cerveau, en 2025. Ce premier élément de l’accélération est

régi par un moteur économique, présupposant un avantage

concurrentiel technologique indéniable. « Le temps, c’est de

l’argent. »

Mais si de telles constantes universelles régissent nos

paysages technologiques aussi précisément quel est donc la

menace ou bien opportunité qui se crée ?

« La conséquence de cette accélération technologique

c’est qu’on a besoin de moins en moins de temps pour

réaliser une tâche, une activité précise. La quantité de

ressources temporelles libres croit. Pour faire 10 km

ou recopier un livre ou produire une image, nous avons

besoin de beaucoup moins de temps que nos ancêtres

[…] Le rêve de la modernité c’est que la technique nous

permette d’acquérir la richesse temporelle. L’idée qui la

sous-tend est que l’accélération technique nous permette

de faire plus de choses par unité de temps. »33

Page 83: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

81

Si nous nous en tenons à la deuxième forme d’accélération

que l’auteur décrit, définit comme une augmentation de notre

rythme de vie par une réduction des ressources temporelles,

nous pouvons d’ores et déjà énoncer leurs corrélations

par un lien de cause à effet. Aussi appelée accélération du

changement social, elle est la conséquence de l’accélération

technologique. Poussée par la différentiation sociale, son

moteur est socio-culturel, elle permet cet accomplissement

de tâches plus rapidement et ainsi de réaliser un gain de

temps.

Enfin une troisième accélération se crée comme

conséquence logique des deux premières, celle de

l’accélération du rythme de vie. Si cette dernière permet

de faire plus de quantité d’actions dans une unité de

temps donnée, elle est poussée par un moteur culturel : la

promesse de l’accélération qui permet également de fermer

la boucle pour revenir à l’accélération technique (Voir Fig.6).

L’Homme face au temps à travers le mythe du progrès et de l’accélération sociale.A

Page 84: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

82

Fig. 6 : Les forces motrices externes de l’accélération

Page 85: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

83

La mise en évidence des forces motrices de

l’accélération nous permet de mieux comprendre le

fonctionnement technologique de cette modernité en

renouveau perpétuel. Si chacune de ces composantes sont

inter-reliés et interdépendantes formant ce cercle vertueux

d’une économie à la croissance infinie, la force centrifuge

qu’elle entraîne avec elle n’est pas sans conséquences sur

notre société. Nous opérons dorénavant dans une certaine

idéologie postmoderne avec une conception floue de la

société, H. Rosa décrit :

«  Le cœur de l’idéologie postmoderne dans la

philosophie aussi bien que dans la sociologie réside

à la fois dans le renoncement à une maîtrise politique

des évolutions économiques, techniques ou sociales

(« la fin de la politique »), et même à la tentative de les

comprendre (« la fin de la science de la raison »), le

renoncement à toute ambition d’une intégration narrative

L’Homme face au temps à travers le mythe du progrès et de l’accélération sociale.A

Page 86: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

84 32 Rosa H., Accélération – Une critique sociale du temps, La Découverte, 2005, p.31.

pourvue de sens entre passé, présent et futur individuels

et collectifs (« la fin des récits ») et, par conséquent,

d’une intégration du temps de la vie quotidienne, du

temps biographique et historique dans un projet d’identité

personnelle (« la fin du sujet »), l’acceptation d’un

fonctionnement désynchronisé ou désintégré de sous-

systèmes sociaux ( la « fin de la société ») et finalement,

l’acceptation de l’évolution désynchronisée et désintégrée

de groupes sociaux distincts. »32

Si ce chaos organisé et accepté dans nos économies

actuelles suggère notre évolution désynchronisée,

l’accélération est aussi synonyme de décélération. En effet,

les forces d’accélération et de décélération ne pèsent pas le

même poids : les tendances à l’inertie sont interprétées soit

comme des tendances résiduelles, soit comme des réactions

aux processus d’accélération eux-mêmes. L’idéologie des

mouvements de décélérations (lenteur, activistes slow,

humanistes) part d’un constat simple :

Page 87: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

85 33 Rosa H., Accélération – Une critique sociale du temps, La Découverte, 2005, p.31.

De plus, la manière dont les sujets ont de se rapporter au

temps, dépend, dans une large mesure, de la vitesse des

transformations sociales et culturelles engendrées par la

société. Cette vitesse ne cesse de croître dans le processus

de déploiement de la modernité tout comme la vision de

l’histoire d’une époque se voit bouleversée. «  Ce qui est

« Qu’il nous soit aujourd’hui possible de parcourir

la distance entre A et B dans un délai plus bref

qu’auparavant n’implique ni du point de vue logique, ni du

point de vue causal que nous effectuions effectivement

ce trajet plus souvent ou que nous parcourions des

distances plus longues ; de même, la possibilité de

transmettre une quantité donnée d’éléments en un temps

plus bref (sur une distance donnée) n’implique ni du point

de vue logique ni du point de vue causal l’obligation, ou

même la seule tendance, à transmettre des masses

d’informations plus grandes ou à communiquer plus

fréquemment. Même la capacité de fabriquer plus vite

une quantité déterminée de marchandises est en soi

indépendante d’un accroissement de la production .»33

L’Homme face au temps à travers le mythe du progrès et de l’accélération sociale.A

Page 88: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

86 33 Conrad P., Modern times, modern places, Knopf, 1999.

en cause quand on parle de modernité, c’est l’accélération

du temps   »33. Enfin, G. Schulze, prône que le rythme de

vie, surtout dans la société de la modernité tardive, ne se

mesure pas uniquement par le nombre d’épisodes d’actions

(délibérées et objectivement mesurables) mais aussi par la

quantité d’épisodes d’expériences vécues (y compris donc

des expériences passives, subjectives).

L’accélération du rythme de vie a des conséquences

importances sur le développement des modèles dominants

d’identité et de personnalité. Les concepts d’individualisation

et de dynamisation des perspectives de vie sont, dans une

très large mesure, interdépendants.

L’accélération du changement social, elle aussi, est

intrinsèquement liée à une transformation aussi bien

culturelle que structurelle de la société. Si l’on considère

Page 89: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

87

la différentiation fonctionnelle comme la caractéristique

principale des sociétés modernes, il n’y a que très peu de

doutes qu’elle ne soit pas interprétée comme une réaction

d’adaptation à l’apparition d’une pression temporelle. Elle

entraîne avec elle un risque de désynchronisation, car tous

les sous-systèmes ne peuvent être accélérés de la même

manière.

L’effet de l’accélération sociale le plus lourd de

conséquences est probablement celui de la «  compression

du présent  » dans une perspective culturelle. La réduction

progressive des durées pendant lesquelles nous pouvons

nous appuyer sur une quantité de connaissances, de

croyances, d’orientations pour l’accomplissement d’actions,

s’avère entraîner avec elle une dissociation de l’espace

d’attentes et d’horizons d’expériences. La temporalisation

L’Homme face au temps à travers le mythe du progrès et de l’accélération sociale.A

Page 90: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

88 34 Conrad P., Modern times, modern places, Knopf, 1999.35 Honoré Carl, Éloge de la lenteur, Marabout, 2013, p.30-31.

de l’histoire se voit donc écrasée au profit d’une

« simultanéisation hautement dynamique » 34.

Nous voyons donc que cette force centrifuge inarrêtable

de l’accélération nous entraîne, malgré nous, avec elle, dans

une folle course au temps. Les composantes d’accélération

technologique, technique et sociale, se voient au cœur de

cette dialectique moderne. Les formes de décélérations

provoquées s’énoncent alors comme les conséquences

d’un approfondissement du temps, beaucoup trop rapide,

déshumanisé. «  L’heure tourne suivant nos progrès, nous

enjoignant de ne pas prendre de retard […] dès que nous

commençons à découper le temps, les rôles s’inversent et

c’est le temps qui prend le dessus. Nous devenons esclaves

de notre emploi du temps »35. Alors que l’accélération

technologique s’est imposée dans nos sociétés comme

Page 91: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

89

vecteur dominant, nos modes d’interactions et notre

disponibilité à l’autre s’en sont vu impactées. La disponibilité

de l’Homme et le rapport à son environnement a bel et bien

évolué au travers des différentes formes de modernité et

d’innovations auxquelles ils ont été confrontés.

L’Homme face au temps à travers le mythe du progrès et de l’accélération sociale.A

Page 92: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

L’ub iqu i té permanente e t interconnectée devient-el le la norme ? Vers une portée symbolique de la disponibilité.

B

Page 93: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

91

Si l’ubiquité n’est arrivée dans l’informatique que trente

ans après sa création (aux alentours des années 1990),

son origine est bien plus lointaine. Également synonyme

d’omniprésence, l’ubiquité fût représentée dans la Bible ou

encore dans les fractales mathématiques découverts plus

récemment. Son étymologie latine « ubique » qui signifie

«  partout  » nous renseigne un peu plus sur sa nature. En

effet, nous nous intéresserons plus particulièrement à

l’ubiquité en informatique qui désigne un environnement

dans lequel les ordinateurs et réseaux sont « intégrés  »,

« enfouis » et «  omniprésents » dans le monde réel.

L’utilisateur a accès à un ensemble de services au travers

des nombreuses interfaces distribuées qui se veulent

intelligentes, et dont il est entouré. Nous voyons bien

aujourd’hui l’abondance de tels dispositifs, qu’ils soient dans

l’électronique grand public directement implantés dans nos

Page 94: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

92

foyers, dans les téléphones mobiles (GSM), smartphones,

routeurs réseaux, ordinateurs, serveurs, capteurs ou encore

projets de type JXTA*. Ces quelques exemples nous

permettent de voir que ce foisonnement d’objets intelligents

dans notre environnement s’étend de plus en plus (Voir

Fig.7). Nous voyons également les cinq composantes d’un

système intelligent évoluer au fil des années, avec tout

d’abord une augmentation de la capacité de calcul des

micro-processeurs (loi de Moore*) : une densification et

une augmentation des télécoms et des réseau ; une baisse

vertigineuse chaque année du coup de stockage et de la

capacité de mémorisation de nos appareils  ; un nombre

croissant d’innovations envers l’alimentation et la demande

de ressources en énergie de nos appareils ; ainsi qu’un

développement majeur d’interfaces intuitives, naturelles voir

invisibles.

Page 95: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

93

Ces technologies évoluent à une vitesse inédite : la taille

de la mémoire et de l’espace disponible, la puissance de

calcul et la vitesse d’échange des informations ont gagné

chacune deux ordres de grandeur en seulement dix ans.

Fig. 7 : Propagation de l’ubiquité informatique

L’ubiquité permanente et interconnectée devient-elle la norme ? Vers une portée symbolique de la disponibilité.B

Page 96: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

94

Nous voyons bien que ces innovations technologiques

amènent de nouvelles opportunités depuis leurs créations

(développement de technologies de rupture, nouvelles

manières de communiquer, d’échanger, de produire, de se

déplacer, etc..). Cette accélération technologique, mise en

évidence par H. Rosa dans le chapitre précédent, propose

deux composantes supplémentaires, celle de l’accélération

technique et celle de l’accélération sociale. Nous verrons

donc ici quelles en sont leurs répercutions aujourd’hui.

Si l’ubiquité a refait son apparition avec l’avènement des

TIC, il n’est cependant pas négligeable de voir comment,

bien avant l’ère numérique, les intellectuels prédisaient nos

modes de vie :

Page 97: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

95 40 Nordeau Max, Dégénérescence, Dietrich, 1894, p.532.41 Crary Jonathan, Le capitalisme comme crise permanente de l’attention, La Découverte, 201, p.43.

Il est intéressant en guise d’analyse de cette citation, de

voir le commentaire de J. Crary en 2015 rétorquant : « Ce

qui ni lui ni ses contemporains n’avaient saisi alors, c’est

que la modernisation n’était pas un ensemble précis de

changements ponctuels, qui ne s’interromprait jamais pour

permettre à la subjectivité individuelle de s’y accommoder

et de « combler son retard.» »41 Rejoignant donc la thèse

mise en avant par H. Rosa précédemment d’un processus

perpétuel.

« La fin du XXème siècle verra donc vraisemblablement

une génération à laquelle il ne sera pas nuisible de lire

journellement une douzaine de mètres carrés de journaux,

d’être constamment appelée au téléphone, de songer

simultanément aux cinq parties du monde, d’habiter à

moitié en wagon ou en nacelle aérienne, et de suffire

à un cercle de dix mille connaissances, camarades et

amis. Elle saura trouver ses aises au milieu d’une ville de

plusieurs millions d’habitants. »40

L’ubiquité permanente et interconnectée devient-elle la norme ? Vers une portée symbolique de la disponibilité.B

Page 98: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

96

L’une des conséquences les plus importantes de ces

accélérations technologiques est bien son immédiateté.

En effet, si auparavant nous accédions à l’information

chaque jour grâce au journal national, ou encore grâce à

l’implantation des postes télévisés dans le cœur de nos

foyers, sous formes d’émissions pré enregistrées, nous

avons dorénavant accès en un clic et une fraction de

seconde à n’importe quelle information grâce au Web*. Cette

immédiateté technologique s’est par la suite implémentée

dans chacune de nos utilisations numériques jusqu’à en

impacter nos modes de communications. Nous voyons

depuis quelques années se développer des techniques de

communication tentant de se rapprocher au mieux des

manières de communiquer en face-à-face. Qu’elles soient

sous forme de tentative d’écriture, de correction, d’hésitation,

d’accusé de réception ou même d’indication de l’heure

Page 99: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

97

précise de sa lecture par le destinataire. Tous ces indices

d’une communication immédiate et instantanée nécessitent

à l’utilisateur une quantité non négligeable de ressources

cognitives pour pouvoir y répondre ainsi qu’une certaine

prédisposition. Si notre disponibilité en a été naturellement

influencée, sa sur-représentation à travers chaque média la

pervertit un peu plus.

L’un des moments phare dans l’histoire d’internet fût

lorsque notre disponibilité numérique s’est vue dépasser

notre disponibilité physique et corporelle. Cela coïncide très

fortement avec l’apparition des réseaux de communication

et des réseaux sociaux. En effet, les boites e-mails, n’étaient

alors qu’une métaphore de nos boîtes aux lettres physiques,

contrairement aux réseaux sociaux qui ont notamment

instaurés le profiling*. Cette nouvelle idée, transformant

L’ubiquité permanente et interconnectée devient-elle la norme ? Vers une portée symbolique de la disponibilité.B

Page 100: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

98

une adresse e-mail en description personnelle a vu le jour

avec des services de messagerie instantanée tel que MSN,

Windows Live ou encore les premiers blogs personnels.

Cette première métaphore, à travers un statut, a imposé

une nouvelle disponibilité à chaque utilisateur envers le

service. La création d’un profil, par le remplissage de champ

d’informations personnelles, a permis à l’usager de se

projeter un peu mieux dans la peau du personnage qu’il allait

dorénavant devoir jouer. Cette première représentation de

notre «  disponibilité numérique  » ne fût pas la dernière. En

effet, à travers chacun des réseaux sociaux auxquels nous

choisissons d’adhérer depuis quelques années, une nouvelle

disponibilité et un nouveau profiling se créent. Qu’il soit par

une connexion via Facebook, afin d’alléger l’utilisateur de

ressources temporelles comme nous l’avons vu, ou encore

via l’implémentation de nouvelles informations personnelles

Page 101: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

99

complémentaires. Les créateurs d’applications ont bien

compris l’intérêt des informations personnelles et des

datas sur chacun de ces utilisateurs. Que ce soit à travers

Linkedin qui métaphorise notre disponibilité professionnelle,

Twitter se chargeant de notre promptitude, Facebook de

notre sociabilité ou encore Tinder pour notre excentricité

amoureuse, chacun de ces nouveaux réseaux sociaux nous

créent de nouvelles « disponibilités numériques. »

Cette représentation digitale de notre disponibilité,

métaphorisant pour la première fois notre disposition à

effectuer un tâche qui, majoritairement ici, s’avérait être

notre capacité à répondre dans l’instantanéité. Traquant

chacun des aspects de notre personnalité et de nos

caractères, chacune de ces métaphores révèlent la portée

symbolique d’une disponibilité numérique ayant perdu

L’ubiquité permanente et interconnectée devient-elle la norme ? Vers une portée symbolique de la disponibilité.B

Page 102: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

100

42 Stiegler Bernard, L’attention, entre économie restreinte et individuation collective, La Découverte, 2014.

son sens premier. La disponibilité rappelons-le, viens du

latin disponibilis signifiant «  dont on peut disposer  ». Cette

disposition n’est aujourd’hui qu’une illusion bien vide. Nous

conseillons même aux professionnels d’aujourd’hui d’écrire

« à la recherche de nouvelles opportunités » sur leur profil

Linkedin, quand bien même ils arrivent à peine dans leur

nouvel emploi.

Par ailleurs, l’influence de nos rétentions tertiaires42,

c’est-à-dire notre externalisation par des objets, rites,

supports mnémotechniques, a également bouleversé nos

disponibilités. En effet, nous avons produit, stocké, élaboré,

échangé et exploité plus de données cette dernière année

que dans toute l’histoire de l’humanité. L’augmentation

de notre capacité de stockage, des différents supports

de rétention bouleverse la manière dont nous retenons

Page 103: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

101

l’information. Lors de la consultation d‘un article sur

internet, nous ne retenons désormais ni la date de parution,

ni le contexte de l’écriture, ni même l’entièreté de la thèse

de l’auteur, mais nous privilégions la manière de pouvoir

accéder de nouveau à cet article, sous forme d’hyperlien

ou de successions de mots clef à l’intérieur d’un moteur

de recherche. Plus inquiétant encore, lors d’une discussion

avec un ami à propos de cet article, faisant l’apologie de la

thèse de l’auteur, nous ne proposons plus dorénavant une

exposition critique de sa réflexion, mais soumettons à notre

ami de se faire sa propre idée en lui fournissant le chemin

pour y accéder. Les prémices de cet « effet Google » bien

connus seront plus détaillés dans la troisième partie de ce

mémoire.

L’ubiquité permanente et interconnectée devient-elle la norme ? Vers une portée symbolique de la disponibilité.B

Page 104: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

102

Cette influence de nos rétentions tertiaires, sur nos

modes de communication et notre disponibilité, n’est

qu’une illustration parmi une infinité d’exemples possibles.

Cette culture du « tout, tout de suite » que nous vivons

actuellement dans un besoin addictif de changement et de

renouvellement, n’est qu’une des conséquences de cette

accélération technologique. La vitesse de circulation des flux

d’idées, d’objets, d’informations, induit une obsolescence

inévitable. La sur-représentation de notre disponibilité,

à travers chacun des médias numériques d’aujourd’hui,

renforce l’écart entre notre disponibilité physique et notre

disponibilité numérique.

Page 105: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

C’est ainsi que l’ubiquité permanente et interconnectée

devient la norme comportementale. Le temps immédiat et

instantané, remplace le temps long et méditatif. Le lien social

n’est toléré que s’il est fluide. Ces nouvelles caractéristiques

induites par ces transformations numériques conditionnent

nos modes de communications et définissent, dans un

renouveau perpétuel, les nouvelles normes à suivre.

L’ubiquité permanente et interconnectée devient-elle la norme ? Vers une portée symbolique de la disponibilité.B

Page 106: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

L e c o n d i t i o n n e m e n t qu’imposent nos modes de communication actuels.

C

Page 107: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

105

L’époque n’est pas si lointaine où certains espéraient que

l’évolution technique allait permettre d’alléger le travail et

de nous rendre plus disponible en libérant du temps libre.

Puissante en Occident durant les années de croissance

de l’après-guerre ainsi que ces dernières années, cette

promesse ne s’est jamais réalisée. C’est même l’inverse

qui s’est produit. Nous avons le sentiment de manquer de

temps, tout en étant équipé de toujours plus d’appareils qui

effectuent des tâches à notre place. De façon sournoise,

les nouvelles technologies exigent en réalité du temps

supplémentaire. De cette manière, elles accroissent aussi le

rythme de la vie. Nous rendant de plus en plus dépendant

d’elles, chacune des modalités et des comportements

souhaités nous conditionnent un peu plus dans leur manière

de fonctionner. Chacune des applications, habitudes, que

nous leur apportons est analysé, optimisé pour nous rendre

Page 108: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

106

encore un peu plus dépendant. Ce formatage, imposé par la

société indirectement, nous pervertit vers de nombreuses

dérives narcissiques, parfois égoïstes, mais surtout tentant

de flatter notre ego encore un peu plus. Si les likes, followers

et autres « amis numériques » ont envahi notre quotidien

depuis quelques temps, nous avons fini par rentrer dans le

jeu, qu’on le veuille ou non. Dorénavant, entreprises, hommes

politiques, célébrités, et internautes se sont adonnés à ce

spectacle, nourrissant la machine, chacun y trouvant son

compte. Que ce soit à travers une communication ciblée,

des datas apportés sur un plateau ou encore une influence

mondiale, ces nouvelles modalités de participations

numériques ne cessent de nous contraindre. Si Facebook

n’implémentera jamais un bouton « je n’aime pas » c’est

simplement qu’il ne souhaite nullement voir son réseau

social dériver vers de la participation négative de la part de

ses utilisateurs.

Page 109: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

107

L’autre exemple que l’on pourrait citer ici est le

fonctionnement de Wikipédia aujourd’hui, utilisé partout

dans le monde, il a permis de créer cette encyclopédie

mondiale du savoir, agrémentable et étayable par n’importe

quel utilisateur, sous vérification de sa pertinence. Le savoir

est donc ici traité uniquement sous forme d’une seule image,

modifiable suivant les circonstances, l’histoire et les progrès

scientifiques. Cette photo instantanée du savoir ne reflète

que sa dernière version, mise à jour, ne nous informant

en rien des conflits, idéologies et croyances divergentes,

contradictions avec la définition précédente ou mise en

relation historique pouvant expliquer cette représentation.

Ce sont l’histoire de ces désaccords, leur enchaînement,

leur mise en relation, qui créent du sens et du savoir à sa

signification propre. Le savoir n’est fait que de controverses,

c’est-à-dire, suivant l’une de ces définitions « Par manière

Le conditionnement qu’imposent nos modes de communication actuels.C

Page 110: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

108

de doute et d’interrogation » - alors que Wikipédia est

aujourd’hui utilisé par un nombre croissant d’écoles ou

d’universités mondiales.

Nous voyons bien que les nouveaux réflexes numériques,

en perpétuels changements, nous obligent à approuver leurs

fonctionnements, ne prenant alors presque plus la peine de

les remettre en question.

Par ailleurs, de nombreux intellectuels du monde entier

tentent de tirer les leçons de vingt-trois ans de Web en

proposant de nombreuses alternatives. L’une des plus

importantes qui semble se dessiner est une architecture

basée sur la certification collective. Non plus simplement

via l’« html* », qui s’avérait n’être qu’une intention de son

fondateur, il s’agit ici de créer des dispositifs de contributions,

basés sur les nouveaux réseaux sociaux. Inspiré des

Page 111: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

109

modèles de G. Simondon et crée par Satochi Nakamoto

en 2009, cette architecture est appelée Blockchain*. La

Blockchain, c’est en fait l’architecture sous-jacente aux

Bitcoins*. Le Bitcoin, est une monnaie virtuelle apparue en

2009 permettant de générer des transactions monétaires

sans aucune autorité centrale. Mais ce n’est pas le Bitcoin

qui nous intéresse mais son architecture réseau. En effet

il n’est qu’une application de cette nouvelle architecture.

Seulement il pourrait y voir énormément d’autre applications

que celle appliquée à la transaction monétaire. Mais qu’a

de si particulier le Bitcoin et la Blockchain pour bouleverser

l’économie mondiale ainsi que le « html » ? C’est une sorte de

livre de comptes ouvert et distribué, dans lequel l’ensemble

des transactions est consultable par tout le monde. C’est

un enchaînement de blocs, qui retracent, l’ensemble des

transactions depuis le tout début de sa création. C’est ce

Le conditionnement qu’imposent nos modes de communication actuels.C

Page 112: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

110

43 Christian Fauré – Hypnomenta : supports de mémoire, [en ligne] URL http://www.christian-faure.net/2015/09/13/la-blockchain-et-lemergence-des-distributed-consensus-engines/

que l’on qualifie d’architecture distribuée. (Le web a quant à

lui une architecture décentralisée). On parle d’architecture

distribuée quand il y a des échanges peer-to-peer*, torrents*

etc. La Blockchain est particulièrement politique avec la

plupart des techno-libertariens*. L’ambition initiale de Paypal

était de supprimer le dollar. S’appuyer sur cette technologie

pour liquider toute la puissance publique monétaire n’est

donc plus quelque chose d’utopique. « Nous proposons

une solution aux problèmes de dépenses en utilisant un

serveur …  »43 - Satochi Nakamoto.

La force de la Blockchain est d’avoir un système qui

prend une décision même dans un contexte qui n’est pas

forcément sécurisé. Il peut y avoir plein d’espions, mais tant

que 51% des serveurs sont honnêtes, le système arrive a

prendre des décisions dans un environnement non sécurisé

à 100% comme peuvent l’être les environnements « https* »

aujourd’hui.

Page 113: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

111

Chaque bloc qui s’ajoute à la Blockchain est le fruit d’un

consensus algorithmique et machinique. C’est en ce sens

là que la machine est parfaite. (Il y a un nouveau bloc

toutes les dix secondes). Le Web est une technologie de

transfert. (http*, FTP* où « t » signifie transfert). Le Web a

permis l’automatisation de la mise en relation des idées, des

textes, des internautes. La Blockchain, quant à elle, permet

l’automatisation de la transaction et n’a aucune asymétrie

d’information. (Il n’y a pas d’acteur qui ne voit plus que les

autres). Aucun point de vue diverge, chaque utilisateur voit

la même chose - ce qui n’est plus le cas aujourd’hui avec le

profiling. Il n’existe plus « d’espace public » sur le web. Il est

totalement fragmenté. Ce qui perturbe énormément la mise

en place d’idées communes, ou de débats.

Le conditionnement qu’imposent nos modes de communication actuels.C

Page 114: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

112

44 Christian Fauré, Ateliers préparatoire de l’ENMI : Réinventer le web, 2015.

« Si le Web est un système de publications décentralisé,

la Blockchain est un système de consensus distribué.

On passe d’une infrastructure de publications à une

infrastructure de certifications.»44

La réflexion autour de ces nouvelles manières de penser

le Web, pourrait permettre à l’Homme d’avoir un rapport au

numérique bien plus sain. Il n’y aurait alors plus de «  Dark

Web*  », mais plein de terrains d’explorations ou le savoir et

les idées peuvent s’infuser paisiblement. Redonnant alors au

Web et à notre disponibilité digitale leurs valeurs ajoutées

initiales.

Mais revenons en au Web et aux outils digitaux

actuels. Ces derniers nous plongent dans une demande

d’attention et de disponibilité telle que le principe même

de charge cognitive44 ne semble plus pris en compte

dans leur élaboration. En effet, le cerveau humain et plus

Page 115: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

113

45 Sweller John, Charge cognitive et apprentissage, Une présentation des travaux de John Sweller, 2011.46 Wikipédia, Charge cognitive, 2015 [en ligne] URL https://fr.wikipedia.org/wiki/Charge_cognitive

particulièrement la mémoire de travail est capable de traiter

uniquement trois à quatre informations en même temps, « si

un trop grand nombre d’informations demande à être traité

simultanément, la charge cognitive est alors trop élevée :

la mémoire de travail surcharge, ce qui entraine l’échec de

la tâche ou une mauvaise mémorisation dans la mémoire à

long terme. »46 De plus, la charge cognitive présente deux

composantes. La charge intrinsèque, liée à la tâche elle-

même, ne pouvant être allégée qu’au prix de suppression

d’éléments de la tâche et la charge extrinsèque, liée à la

façon dont la tâche est présentée, pouvant être modifiée par

la suppression d’éléments inutiles ou répétitifs. Enfin, une

dernière composante de la charge cognitive est la charge

essentielle, permettant l’intégration de connaissances à long

terme, généralement sous forme de schémas mentaux. Ces

trois composantes permettent de mettre en évidence, la

Le conditionnement qu’imposent nos modes de communication actuels.C

Page 116: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

114

47 Raskin Jef, The Human Interface, Addison-Wesley Professional, 2000.

manière dont nous prêtons attention à l’information qui nous

est proposée et la manière dont nous pouvons la retenir et

la traiter. Le développement d’outils digitaux, au service de

cette théorie, ne semble pourtant pas avoir le vent en poupe

aujourd’hui.

Bien au contraire même, nos appareils numériques, au

dédoublement croissant, nous laissent dans un océan

d’informations, de boutons, gestuelles ou encore actions

à apprendre et à réaliser simultanément. Si nos systèmes

d’exploitations prévalent de nombreuses métaphores

pour faciliter leur compréhension, il ne réside pourtant

aucun comportement intuitif derrière ces écrans ou autres

souris.47 Réfléchissant dans une dimension mathématique

avec de nombreuses lignes de codes et divers tableaux de

commandes, leur habillage se fait dans un second temps

pour laisser à l’utilisateur une meilleure compréhension.

Page 117: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

115

Elle permet d’améliorer par la suite l’interface avec de

nombreux tests utilisateurs, A-B tests ou encore bêta tests.

Les conséquences chez l’utilisateur de ces comportements

oscillent entre incompréhensions, doutes ou encore

questionnements pour n’en citer que quelques uns. Cette

demande de compréhension multimodale et multitâche

n’est pas innée pour tout le monde ni même à toutes les

situations. Apparu avec le numérique, ce fonctionnement

est omniprésent dans nos systèmes d’exploitation et séduit

la majeure partie des usagers. Cet appât conditionne à la

fois notre manière de réaliser des actions et notre manière

de réfléchir. Notre disponibilité numérique en est ainsi

grandement influencée.

Le multitasking n’est en effet pas forcément une qualité.

La Harvard Medical School a en effet démontré que

Le conditionnement qu’imposent nos modes de communication actuels.C

Page 118: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

116

48 Cognitive control in media multitaskers, 2009, [en ligne] URL http://www.pnas.org/content/106/37/15583.full49 Generation Z defined, 2015, [en ligne] URL http://mccrindle.com.au/resources/GenZGenAlpha.pdf

l’accomplissement de plusieurs tâches à la fois augmentait

le nombre d’erreurs commises par ses participants. Ophir

Nassb et Wagner ont même par ailleurs démontré que

le multitasking était moins productif que la réalisation

d’une seule tâche à la fois48. Ils démontrent également que

les personnes réalisant plusieurs tâches simultanément

avaient plus de problèmes pour focaliser leur attention,

se souvenir d’informations ou encore changer de travail.

Ils réussissent moins bien que les personnes réalisant

une tâche à la fois. Alors que nos futurs professionnels

prévoient jusqu’à dix-sept emplois différents dans une seule

carrière49 alors que nos modes de communication s’appuient

sur un accomplissement croissant de tâches différentes

simultanément. Le multitasking peut se référer à trois

différents types d’activités :

Page 119: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

117

50 Brain scans reveal ‘gray matter’ differences in media multitaskers, 2014, [en ligne], URL http://www.eurekalert.org/pub_releases/2014-09/uos-bsr092314.php

- Réaliser deux ou trois tâches simultanément,

- Passer d’une tâche à une autre rapidement,

- Réaliser un nombre de tâches successives important.

D’autres études montrent les mêmes conclusions.

Joshua Rubinstein, Jeffrey Evans et David Meyer, dans une

étude conduite en 2001, démontrèrent que les participants

perdaient énormément de temps à passer d’une tâche à

l’autre, et bien plus encore lorsque ces tâches devenaient

plus complexes.

« Adding fuel to the anti-multitasking fire, a study from

the University of Sussex in the UK indicates, it might

actually be physically harming our brains. When the

researchers compared the amount of time people spend

on multiple devices to MRI scans of their brains, those

who pursue a lot of multitasking activities exhibited less

brain density in the anterior cingulate cortex, which is a

region that encourages empathy as well as cognitive and

emotional control. Moreover, this brain damage is not

temporary ! »50

Le conditionnement qu’imposent nos modes de communication actuels.C

Page 120: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

118

Il n’est cependant pas encore prouvé que les personnes

engageant de nombreuses tâches numériques

simultanément sont nées avec cette incapacité à se

concentrer et sont susceptibles d’endommager leurs

capacités cérébrales en prenant autant d’informations à

la fois. Une chose est sûre, les cerveaux des multitâches

ne fonctionnent pas aussi bien qu’ils le pourraient. Le

multitasking est problématique car il résulte en un surplus

d’informations et une surcharge cognitive réduisant nos

capacités cérébrales à penser, effectuer et mémoriser. Par

ailleurs, plus nous réalisons de tâches simultanément,

plus nous avons besoin d’options et moins nous sommes

capables de choisir. Il est alors peut-être temps d’arrêter

de téléphoner, de paramétrer son GPS tout en conduisant

Page 121: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

119

51 Barkley, R. A. Attention Deficit Hyperactivity Disorder: A Handbook for Diagnosis and Treatment, Guilford Press, 1999.

ou de répondre à des e-mails au milieu de la lecture d’un

rapport au travail. En faisant moins, nous pouvons tous

probablement accomplir plus.

L’une des populations les plus concernées par ces

préoccupations est bien l’ensemble des personnes sujettes

aux TDA* (Troubles Déficitaire de l’Attention). En effet, la

concentration étant leur plus grosse défaillance, d’autres

symptômes font également leur apparition comme la

montée de l’impulsivité, les nombreuses sautes d’humeurs,

une procrastination croissante, une mauvaise gestion du

temps, une impulsivité comportementale et verbale, la

bougeotte ou encore une mauvaise estime de soi freinant

l’accomplissement de ces tâches.

« Une récente étude sur les TDA déclare que « ce qui

est déficient, c’est le contrôle exercé par les règles sur

le comportement », rendant par là explicite que la vraie

inquiétude concerne les comportements dirigés par les

règles. »51

Le conditionnement qu’imposent nos modes de communication actuels.C

Page 122: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

120

52 Wallis D., Attention-deficit/hyperactivity disorder and comorbid disruptive behavior disorders: evidence of pleiotropy and new susceptibility loci, 2007.

« Les enfants sujets aux TDA sont ainsi ceux qui « ne

se concentrent pas, n’écoutent pas, refusent de prêter

attention et ne suivent pas les règles. […] Ils ne peuvent

pas tenir en place, ils parlent excessivement, à tort et à

travers, gigotent et jettent des non sequiturs dans la

conversation. »52

Seulement, ces personnes là n’ont pas uniquement

des lacunes pour se concentrer ou des symptômes

d’hyperactivité. Ils ont bien plus que ça, cette maladie existe

bien et concerne 5 à 8% des enfants en âge d’aller à l’école.

R. A. Barkley déclare qu’au moins un ou deux enfants avec

des TDA sont présents dans les classes aux États-Unis.

Cela signifie également que cette maladie est l’une des plus

répandue dans les maladies enfantines. Par ailleurs, près de

40% des diagnostiqués deviennent par la suite dépendants

au tabac et à l’alcool et plus de 25% n’atteignent pas

l’université à cause de leurs problèmes de comportements.

Page 123: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

121

Il semble donc nécessaire, voir évident, de développer

des prises en charges éducatives et médicales de ces

enfants-patients dès leur plus jeune âge. De même, nous

voyons bien que les grandes tendances qui régissent les

systèmes d’information et de communication actuellement

vont complètement à l’encontre de leurs besoins. D’autres

mouvements philosophiques et sociaux tentent de

changer ces grandes tendances numériques, posant de

nombreux problèmes comme nous l’avons mis en évidence

précédemment.

Philippe Bihouix, l’un des grands activistes de la

philosophie low-tech* met à bas nos dernières illusions.

La thèse soutenue par ce mouvement tente d’explorer les

voies possibles vers un système économique et industriel

soutenable dans une planète finie. Préconisant une remise

Le conditionnement qu’imposent nos modes de communication actuels.C

Page 124: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

122

Fig. 8 : La matrice « écolo-liberticide »

Page 125: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

123

en question quotidienne de nos besoins et interactions

numériques, il nous interroge sur leurs pertinences, en

mettant en perspective la finitude de nos ressources, et la

consommation de plus en plus importante de matières rares

pour leurs élaborations (Fig.8).

« Mais ce développement a la face sombre, […]

consommation de ressources, d’énergie et déchets

engendrés bien réels, loin des mirages de l’économie

dématérialisée ou du green IT : impacts sociaux de

l’ « ultraconnectivité », de la « technodépendance » :

atomisation de la société, impact cognitif sur les enfants,

violence des jeux informatiques… ; saturation des services

à « utilité » nulle, voire négative : publicités, spams,

multiplication des virus, contenus accablant d’inepties

sur les réseaux sociaux ou les sites de partage vidéo… […]

stratégie de prise de contrôle et de concentration toujours

plus grande des grands groupes Internet, et surveillance

généralisée.

Et les évolutions à venir ne laissent rien présager de

bon : obsolescence toujours plus rapide des équipements,

émergence du big data et son corollaire, l’explosion des

serveurs et des centres de données, Internet des objets

Le conditionnement qu’imposent nos modes de communication actuels.C

Page 126: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

124

53 Bihioux P., L’âge des low-tech – Vers une civilisation techniquement soutenable, Anthropocène, 2010, p.233.

Ce conditionnement qu’impose nos modes de

communication actuels nous est donc soumis

quotidiennement (entre mises à jour d’applications de

systèmes d’exploitation ou encore changement de supports)

sans même prendre en considération les nouveaux usages,

les modalités d’utilisations et les nouvelles disponibilités

engendrées. Claudia Roda témoigne :

« D’abord, pour pouvoir s’adapter à l’état attentionnel

de l’utilisateur, les SBA* doivent collecter et élaborer une

grande quantité de données personnelles. Par exemple,

pour décrire si l’utilisateur peut être interrompu, le

système nécessite un certain niveau de compréhension

avec un monde entièrement « pucé » par RFID* (Radio

Frequency Identification Device), arbres, brebis, humains,

ou courses achetées en supermarché… pratique pour

passer rapidement en caisse, mais terriblement orwellien

dans ses conséquences possibles. » 53

Page 127: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

125

54 Roda C., Économiser l’attention dans l’interaction homme-machine, La Découverte, 2015, p.188-189.

du message devant être livré (pour évaluer son urgence)

ainsi que de l’activité de l’utilisateur (est-il seul ou en

réunion ?) .

Toutes ces données doivent impérativement rester

privées, ce qui n’est pas le cas pour beaucoup de

systèmes actuels.

Les solutions à ces problèmes doivent inclure une

réglementation appropriée, accompagnée d’une

conception du contrôle de l’accès à l’information (du

filtrage d’État effectué par les outils de recherche) risque

d’être exacerbé. Les SBA pourraient sélectionner de façon

partielle l’information qu’ils nous présentent (ou non) ; leur

utilisation peut en effet revenir à une délégation de nos

choix attentionnels à nos outils, ce qui est clairement peu

désirable quoique cela soit déjà courant (pensez au choix

de lire tel quotidien plutôt qu’un autre). Les SBA doivent

alors non seulement assurer le soutien de l’attention,

mais assurer également une complète transparence

de leur collecte et de leur gestion des données, ainsi

que des modalités de choix de l’information présentée,

leur contrôle revenant toujours à l’utilisateur. On le

voit, l’économie de l’attention régissant les interactions

homme-machine débouche rapidement sur des questions

d’ordre éthique, voir anthropologique et politique.»54

Le conditionnement qu’imposent nos modes de communication actuels.C

Page 128: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

126

C’est ainsi, ou de manière analogue, que nous pouvons

entrevoir la fin d’un modèle techno-centrique basé sur

l’innovation technologique pour laisser place, espérons-

le, à une vision humaniste, écologique et respectueuse

des usages de chacun. Si l’innovation sociale, alors

réintroduite comme vecteur principal de l’accélération

technologique, nous permet de développer des usages et

services innovants, alors nous pourrions voir un paysage

technologique bien changé entre technologies disruptives*

et applications pertinentes. Ainsi, qu’il soit à travers le

multitasking, la surcharge cognitive imposée par les outils

digitaux actuels ou encore le high-tech* comme seule

solution de création technologique, l’adoption de contre-

pieds pourraient bien laisser place à une vague d’innovations

sociales sans précédent que le numérique nous a permis

d’introduire depuis quelques années en « [Tirant] les

Page 129: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

127

55 Stiegler B., Atelier préaparatoire de l’ENMI : Réinventer le web, 2015.

leçons de vingt-trois ans de Web, et de carences du Web

d’aujourd’hui. »55

La conception même d’appropriation du service et de

la technologie par une proactivité de l’utilisateur ou un

profiling croissant, laisse le « Moi » numérique dans une

toute nouvelle place. Entre fragmentation de sa personnalité

ou extraversion conditionnée, l’utilisateur d’aujourd’hui,

tracé, segmenté, puis mis aux enchères, se trouve dans

un système numérique perversif dont il ne peut même pas

changer les règles.

Le conditionnement qu’imposent nos modes de communication actuels.C

Page 130: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

« L’ndividu comme réalité unique s’estompe ; les individus sont considérés comme les produits d’une construction sociale »

Kenneth J. Gergen

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« L’ndividu comme réalité unique s’estompe ; les individus sont considérés comme les produits d’une construction sociale »

Kenneth J. Gergen

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La fin d’un Moi unique.A

Page 133: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

131

57 Gergen Kenneth J., Le Soi Saturé - Dilemmes de l’Identité dans la vie contemporaine, Satas, 2006.

Cette philosophie récente du XXème siècle, en totale

opposition avec celle méthodologiquement décrite par

Descartes trois siècles plus tôt par son cogito ergo sum, a

permis de passer du romantisme au postmodernisme. Nous

avons en effet hérité d’une vision du soi unique attribuant

à chaque personne des caractéristiques personnelles

profondes comme la passion, la créativité ou encore

la sensibilité morale. Concernant les modernistes, les

caractéristiques principales du soi «  ne résident pas dans

leur profondeur mais dans leur capacité de raisonner – dans

nos croyances, nos opinions et nos intentions conscientes. »

« [...] Nous pouvons dire pratiquement qu’il y a autant

de moi sociaux différents qu’il y a de groupes distincts

de personnes dont l’opinion lui importe. Il montre en

général une face différente de lui-même à chacun de ces

groupes. »57

Page 134: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

132

L’un des principaux facteurs de ce changement réside

dans la manipulation du soi avec l’apparition de la radio,

du cinéma, du livre imprimé, et qui, en phase de grande

diffusion, s’est mis en place avec la télévision. Nous

avons pu nous identifier à des héros de mille contes, tenir

des conversations imaginaires avec les invités de débats

télévisés ou s’immerger aux côtés des athlètes du monde

entier. C’est ainsi que nous ne sommes ni un, ni quelques-

uns, mais, comme le dit Walt Whitman, nous « abritons des

multiples ».

Page 135: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

133

58 Gergen Kenneth J., Le Soi Saturé - Dilemmes de l’Identité dans la vie contemporaine, Satas, 2006.

« Chaque soi que nous acquérons d’autrui peut susciter

de nouveaux dialogues internes, des discussions privées

avec nous-mêmes sur toutes sortes de personnes,

d’événements et de problèmes. Ces voix internes,

ces vestiges de relations, qui sont à la fois réels et

imaginaires, ont reçu des définitions variées : Mary

Watkins les appelle hôtes invisibles, Eric Klinger parle

d’imagerie sociale et Mary Gergen, qui a découvert que

pratiquement tous les jeunes qu’elle a étudiés parlaient

de ces expériences avec facilité, leur a donné le nom de

fantômes sociaux. »58

Il en réside donc une appropriation et un apprentissage à

travers nos relations sociales. Si notre Moi était à l’époque

de Descartes unique, il n’en était pas moins introverti. En

effet, la réception d’un courrier, mettait son destinataire

dans un imaginaire sans précédent, attendant d’ouvrir sa

précieuse lettre soigneusement préparée par sa chère et

tendre à l’autre bout de la France. Notre époque est bien

éloignée de cette histoire, la démultiplication du Moi et son

La fin d’un Moi unique.A

Page 136: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

134

extraversion récente nous ont plongé, volontairement ou

pas, dans ce qu’on l’on appellera ici des «  extraversions de

nos personnalités conditionnées  ». C’est ainsi que Tinder,

Adopte un mec ou encore Happn externalisent notre

situation amoureuse du moment dans un conditionnement

sans précédent à travers divers profils, ou points d’intérêts

communs piochés sur Facebook - qui, par ailleurs

externalise de son côté notre sociabilité. Cette liste pourrait

ne jamais s’arrêter, englobant la quasi totalité de nos traits

de caractères ou de notre personnalité, auparavant enfouie

et propre à chaque personne.

«  Dans le domaine de la vie courante, on croyait

comme partout en un soi connaissable. Chaque individu

possédait une personnalité de base ou un caractère et,

dans la plupart des relations normales, ce soi essentiel

apparaissait. Celui qui n’était pas lui-même passait

pour un tricheur futile, éventuellement un névrosé

(tentant désespérément d’être quelqu’un d’autre) ou tout

simplement un malhonnête. »

Page 137: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

135

59 Gergen Kenneth J., Le Soi Saturé - Dilemmes de l’Identité dans la vie contemporaine, Satas, 2006.

Kenneth J. Gergen interroge alors cette vision cartésienne :

«Dans ce monde, il n’y a pas d’essence individuelle

véridique à laquelle il convient de rester fidèle. Notre

identité ne cesse de renaître, d’être reformée et

recomposée à mesure de notre voyage dans l’océan

toujours changeant des relations. La question « qui

suis-je ? » ouvre sur un monde fourmillant de possibles.

[…] L’individu est progressivement privé des repères

traditionnels qui définissent l’identité : la rationalité,

l’intentionnalité, la connaissance de soi et la cohérence.

[…] Une nouvelle réalité apparait - la réalité relationnelle.»59

Dans le monde d’aujourd’hui, cette fragmentation du

soi dans la réalité relationnelle ne cesse de grandir et

de s’élargir, avec une population particulière au cœur de

ces problématiques actuelles - la génération Y* ou digital

natives. Prochaine grande génération, elle est la première

génération numérique. À l’aube de la troisième révolution

anthropologique majeure de l’histoire de l’Humanité, il

La fin d’un Moi unique.A

Page 138: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

136

60 Emmanuelle Duez - Positive Economy Forum - Le Havre, 2015 [en ligne] URL  : https://www.youtube.com/watch?v=gkdvEg1kwnY&list=PLr6dNpAJpH7kuS--oXLS63G47zaPtzIZe&feature=share

est nécessaire de remettre en cause les fondements

économiques, financiers, sociétaux, environnementaux qui

ont sous-tendu la création et la conception de notre société

jusqu’à présent. Chaque partie prenante se doit d’être

réinventée. Kofi Annan parle de la génération Y comme

des « héritiers sans héritage » avec une mission, celle de

réinventer ses nouveaux modèles.

Avec le savoir à portée de clics et l’intégralité de la

connaissance mondiale dans sa poche de jeans elle est la

première génération omnisciente. L’amiral Olivier Lajous

parle même d’un deux-cent-septième os, notre smartphone.

C’est ainsi que des valeurs telles que la transparence, l’inter-

connectivité, la transversalité, l’ouverture, l’agilité, la fluidité

sont prédominantes à cette nouvelle génération. Première

génération mondiale donc, symptomatique d’un changement

du monde et d’une prise de conscience qui la dépasse bien

largement.60

Page 139: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

137

Mais il faut également regarder deux autres choses,

bien plus essentielles aux sociologues ou philosophes

de la modernité : tout d’abord le rapport à l’image qui est

capital, peu importe la génération concernée. Ce rapport

a par contre largement évolué dans la mesure où l’image

permettait aux générations précédentes de fantasmer et

de rêver en les oralisant, alors que la génération actuelle a

perdu cette faculté de transcrire les images par le langage.

La surabondance des images provoque un affaiblissement

de la psyché des individus : l’addiction provoquée par cet

afflux, la durée de vie de l’image, pratiquement nulle, et

l’absence d’oralisation ne permettent plus à l’individu de

bâtir sa psyché. Il semble alors que l’on soit passé d’une

image-miroir (véhicule d’une histoire ou d’un affect dans

lesquels un individu pouvait se reconnaître et se construire)

à une image-mirage (image éphémère qui véhicule une

La fin d’un Moi unique.A

Page 140: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

138

fausse représentation, voire aucune représentation du

tout, de l’individu). «  La gloire du visuel signe le trépas

du symbolique  », dit Samuel Dock, «  alors que celui-ci

est essentiel pour la construction psychologique, c’est en

cela qu’il crée et érige nos propres barrières sociales  ». La

transposition de l’image en langage est pourtant ce qui

permet de passer d’une représentation désincarnée à une

représentation emblématique personnelle et propre à chacun

qui permet de nous définir dans cette symbolique et donc de

créer notre identité.

L’autre caractéristique intéressante à regarder est le

rapport au temps, il en est donc une notion fondamentale

qui fait largement défaut à la génération actuelle. Le culte

de l’instantanéité se manifeste, entre autre, mais pas

exclusivement, à travers le caractère éphémère des statuts

Page 141: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

139

61 Castarède Marie-France, Le nouveau choc des générations, Plon, 2015.

Facebook et Tweeter. Le traitement de l’image sur-vitaminée

et sur-accélérée dans les productions cinématographiques

modernes, ne laisse plus le temps de saisir ni l’intrigue ni

ses implications et a d’ores et déjà provoqué la perte des

repères temporels : seul le présent existe encore, le passé

n’existe déjà plus et le futur existe déjà. C’est un référentiel

de plus qui s’estompe. « Le présent est notre propre horizon,

il contient à la fois son passé et son futur »61 : il est auto-

suffisant mais ne permet plus de se projeter et l’individu

reste prisonnier de son narcissisme sans pouvoir construire

dessus sa personnalité.

C’est donc part une perte de repères temporels sensé,

un culture de l’image sur-vitaminée qu’un «Moi» fragmenté

survient au cœur de la génération Y. Pris entre narcissisme

accru et la greffe d’un nouvel os, nous assistons bien à la fin

d’un «Moi» unique.

La fin d’un Moi unique.A

Page 142: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

La réduction de nos dispositifs attentionnels, (vers une passivité dans une société du spectacle)

B

Page 143: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

141

C’est au cœur de ce paradigme sociétal que ces deux

générations que tout oppose, sont vouées à cohabiter. Si

notre rapport à l’image et au temps ainsi que nos relations

numériques s’accélèrent, la troisième composante de

l’accélération, pour reprendre le schéma de H. Rosa, s’en

voit affectée également. En effet, ce sont bien plus que de

simples mouvances sociales ou que des comportements

minoritaires qui se mettent en place face au pourcentage

de la population concernée par ces nouveaux usages

et ces nouvelles normes sociales. L’accoutumance et

l’ingestion de toutes ces nouvelles pratiques provoquent

chez l’utilisateur une réduction massive de ses dispositions

à l’autre et de ses régimes d’attentions. Les dispositifs

projettent l’usager dans un régime d’immersion ou d’alerte,

parfois total. Caché derrière nos smartphones, insociable

par nos écouteurs, le citoyen d’aujourd’hui ne dispose plus

La réduction de nos dispositifs attentionnels, (vers une passivité dans une société du spectacle)B

Page 144: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

142

62 Voir Annexes.

d’inaltéré son odorat et son goût ; vue, ouïe et toucher étant

inhibés par ces extensions numériques. Chacune de ces

augmentations nous renferment un peu plus dans notre

isolement numérique. Préconisant les rencontres digitales

aux contacts physiques ou aux hasards de la vie, nous

préférons parcourir cet écosystème infini au détriment de

notre propre réalité physique. Ce constat nouveau d’une

période narcissique et égocentrique nous rend de moins

en moins proactif. Dans une étude réalisée sur deux cent

cinquante personnes au cours de ce mémoire62, les réponses

à la question « comment qualifieriez-vous votre relation aux

contenus numériques ? », 72% des participants répondent

« plutôt passif, je regarde, m’informe et like de temps en

temps.. » Contre uniquement 16% la décrivant comme

« plutôt acti[ve], je like souvent » figurant en deuxième place.

Face à une agrémentation de contenus juteux, triés et

Page 145: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

143

63 Lafargue Paul, Le droit à la paresse, La Découverte, 1880.

infusés dans nos fils d’actualités grâce aux big data et à

des profiling de plus en plus précis, notre passivité est telle

que nous sommes dans une demande constante de ce

divertissement. Télé-réalité, jeux nécessitant des ressources

attentionnelles sans précédent, immersions de plus en plus

grandes dans les jeux vidéos ou encore développement de la

réalité augmentée.

« Pour tuer le temps qui nous tue seconde par seconde,

il y aura des spectacles et des représentations théâtrales

toujours et toujours.»63

Le constat de P. Lafargue, véritable reflet d’une société

théâtralisée, nous révèle que ce sont les médias qui

influencent notre manière de percevoir ce qui existe, et

non plus notre perception sensorielle intrinsèque. Notre

sphère privée a cessé d’être le lieu où se joue le spectacle

La réduction de nos dispositifs attentionnels, (vers une passivité dans une société du spectacle)B

Page 146: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

144

64 Rifkin Jérémy - Nouvelle conscience pour un monde en crise, vers une civilisation de l’empathie, Actes Sud, 2004.

du sujet opposé à son objet. Nous ne sommes plus des

dramaturges ou des acteurs, nous somme devenus les

terminaux de réseaux multiples, assujettis à ces torrents

de divertissements. Une autre vision s’est cependant

démocratisée depuis l’avènement des réseaux sociaux, celle

du « consom’acteur » ou encore de l’« éco-citoyen ». J. Rifkin

nous en fait le montre :

«  On sait bien que « le monde entier est un théâtre »,

mais au XXème siècle la plupart des gens étaient dans le

public. Au XXIème, en revanche, tout le monde est sur

scène et sous les projecteurs [...]»64

Ce changement de place dans cette immense pièce de

théâtre qu’est notre vie en société aujourd’hui, nous met

donc sous le feu de la rampe, illuminant chacun de nos petits

désirs, comblant notre ego, dans un marketing individuel et

des services hyper-personnalisés. Nous nous prostituons

Page 147: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

145

à cette technologie, status, tweets, photos démontrant les

bons moments de notre vie, scénarisant notre histoire dans

une démultiplication de nos rôles et nos Moi sociaux.

« Les TIC sont non seulement conçues pour produire,

plutôt qu’absorber, de l’information, mais elles sont

aussi devenues un outil privilégié de médiation des

relations sociales (qu’elles soient professionnelles ou

personnelles). Pourtant, ces outils ne sont pas conçus

pour communiquer avec nous selon les codes de la

communication humaine : en les utilisant comme

médiateurs de nos échanges, nous sommes conduits

à contourner quelques-unes des règles qui nous ont

permis pendant longtemps de communiquer tout en

limitant la surcharge cognitive. Pour extraire le sens des

phrases d’un dialogue, par exemple, nous supposons

que celui qui parle prononcera des phrases pertinentes

: c’est la « maxime de pertinence » [Grice, 1989], ou la

« théorie de la pertinence » [Wilson et Sperber, 1986].

Cette pertinence est toutefois interne à la conversation.

Lorsque la conversation est fragmentée par l’utilisation de

dispositifs de communication asynchrone, des fragments

La réduction de nos dispositifs attentionnels, (vers une passivité dans une société du spectacle)B

Page 148: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

146

65 Roda C., Économiser l’attention dans l’interaction homme-machine, La Découverte, 2015.

de conversations, pertinents à l’intérieur d’un dialogue,

sont présentés à celui qui écoute dans des situations où

ils ne le sont plus. Alors que, dans des situations de face-

à-face, nous minimisons naturellement la fragmentation

de dialogues, les outils numériques multiplient cette

fragmentation . »65

Il existe de rares études qui se sont penchées sur la

génération de contenus adaptés à la situation [Wickens,

2002] nous donnant des critères pour choisir la modalité

(sonore, visuelle, etc.) de façon à produire des notifications

moins perturbantes. Et de nombreux chercheurs ont analysé

comment le moment précis de livraison de la notification

influence la tâche principale. Si nos régimes d’attention

s’en trouvent changés et impactés, nos passivités et notre

inaction semblent donc dominer nos comportements. Pour

contrecarrer ce problème, Claudia Roda nous apporte un

élément de réponse :

Page 149: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

147

« D’abord, pour pouvoir s’adapter à l’état attentionnel

de l’utilisateur les TIC doivent collecter et élaborer une

grande quantité de données personnelles. Par exemple,

pour décrire si l’utilisateur peut être interrompu, le

système nécessite un certain niveau de compréhension

du message devant être livré (pour évaluer son urgence)

ainsi que de l’activité de l’utilisateur (est-il seul ou en

réunion ?).

Toutes ces données doivent impérativement rester

privées, ce qui n’est pas le cas pour beaucoup de

systèmes actuels.

Les solutions à ces problèmes doivent inclure une

règlementation appropriée, accompagnée d’une

conception du contrôle de l’accès à l’information (du

filtrage d’État effectué par les outils de recherche) risque

d’être exacerbé. Les TIC pourraient sélectionner de façon

partielle l’information qu’ils nous présentent (ou non) ; leur

utilisation peut en effet revenir à une délégation de nos

choix attentionnels à nos outils, ce qui est clairement peu

désirable quoique cela soit déjà courant (pensez au choix

de lire tel quotidien plutôt qu’un autre). Les TIC doivent

alors non seulement assurer le soutien de l’attention,

mais assurer également une complète transparence

de leur collecte et de leur gestion des données, ainsi

La réduction de nos dispositifs attentionnels, (vers une passivité dans une société du spectacle)B

Page 150: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

148

66 Roda C., Économiser l’attention dans l’interaction homme-machine, La Découverte, 2015.67 Voir Annexes.

que des modalités de choix de l’information présentée,

leur contrôle revenant toujours à l’utilisateur. On le

voit, l’économie de l’attention régissant les interactions

homme-machine débouche rapidement sur des questions

d’ordre éthique, voir anthropologique et politique . »66

Enfin, l’un des résultats de notre analyse67 menée au cours

de ce mémoire, vient aussi bien soutenir les propos de C.

Roda que de P. Lafarge et J. Rifkin, avec comme question  :

«  Vos notifications sont-elles pertinentes dans la gestion de

vos priorités ? Ou avez-vous l’impression qu’elles deviennent

intrusives ?  » Leurs première réponses sont, avec 29% « Ça

me permet de faire une pause ». Révélant une soif insatiable

de divertissements, d’informations et de relations sociales.

La seconde réponse à cette question avec 27% est « ça me

perturbe plus qu’autre chose ! » Démontrant, quant à elle,

la nécessité de s’adapter à l’activité et à l’état attentionnel

de chaque utilisateur. Enfin, J. Rifkin, au sujet des relations

sociales insiste en précisant que :

Page 151: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

149

« L’études des sociétés de chasseurs-cueilleurs encore

existantes indique qu’hommes et femmes passent

en moyenne 25% de leurs journées à entretenir leurs

relations, ce qui correspond, en gros, au temps dévolu

à la toilette mutuelle chez certains de nos parents

primates. Mais les humains qui vivaient dans des clans

pouvant compter jusqu’a cent-cinquante membres

auraient dû passer au moins 40% du temps social à se

nettoyer mutuellement pour maintenir une certaine

cohésion du groupe. Dunbar suppose alors que, lorsque

les groupes humains ont grossi au point que la durée de

la toilette mutuelle a dépassé 30% de leurs temps - ce

qui n’en laissait peut-être plus assez pour la cueillette,

la chasse et d’autres activités nécessaires à la survie

-, une forme de toilette vocale et non plus physique est

apparue pour faciliter l’extension des liens sociaux. Il

suggère donc que l’origine du langage est le papotage

: c’était une façon de vocaliser la toilette mutuelle

et de créer des relations sociales plus étendues. Le

développement du langage oral, puis de l’écriture, de

l’imprimerie et aujourd’hui des connexions électroniques

a permis aux humains d’étendre immensément leurs

réseaux sociaux et de vivre dans des environnements

relationnels plus denses et plus complexes.

La réduction de nos dispositifs attentionnels, (vers une passivité dans une société du spectacle)B

Page 152: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

150

68 Rifkin Jérémy - Nouvelle conscience pour un monde en crise, vers une civilisation de l’empathie, Actes Sud, 2004.

Ce que J. Rifkin tente alors ici de démontrer est la

nécessité humaine de socialiser, principale influence entre

notre disponibilité psychologique et notre disponibilité

relationnelle. Malgré la qualité de la socialisation, l’Homme a

ce besoin (définit à 25% puis jusqu’à un plafond de 30%) de

donner son temps à l’autre. L’influence du numérique n’est ici

qu’à travers le canal utilisé, auparavant physique, puis écrit,

vocal, vidéo et désormais virtuel. Cette disponibilité à l’autre

s’avère être l’une des plus importante aujourd’hui.

A tous les stades de leur évolution, l’objectif premier de

la communication est resté le même : que ce soit en

se toilettant mutuellement ou en chattant sur Internet,

il s’agit d’élargir le champ de l’empathie pour pouvoir

exprimer notre convivialité naturelle et notre aspiration

profonde à la compagnie de nos semblables.»68

Page 153: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

151

La fragmentation du Moi dans cette disponibilité

numérique, dispersée dans chacun des canaux utilisé

reflète à la fois notre extraversion et chacun des rôles que

nous jouons quotidiennement. Il s’avérerait donc que nous

baignions dans des environnements relationnels de plus en

plus étendus et complexes à travers un nombre croissant de

fragmentations de notre identité.

C’est ainsi que nous pouvons faire le lien avec notre

dernière partie consacrée à la disponibilité à l’autre dans

l’interaction homme-machine, en tentant d’esquisser les

prémices d’une empathie mondiale apparue depuis quelques

années maintenant.

La réduction de nos dispositifs attentionnels, (vers une passivité dans une société du spectacle)B

Page 154: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

Interaction homme-machine, l ’esquisse d’une empathie mondiale vers une plus grande disponibilité à l’autre.

C

Page 155: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

153

Nous l’avons vu, la disponibilité à l’autre fait partie

intégrante de notre quotidien ; le passage du physique

au digital esquisse désormais les principes de présence

connectée et de disponibilité numérique fragmentée. Cette

interaction homme-machine, dorénavant incontournable,

présuppose l’extension de notre disponibilité vers une

empathie mondiale.

Les données suggèrent que la nouvelle conscience

dramaturgique, apparue aux tout premiers stades du

passage à une troisième révolution industrielle, permettrait

le développement d’un nouveau capitalisme distribué, à

double effet : renforçant tout d’abord le sens de la relation

aux autres et de l’élan empathique, puis conduisant à un

sens encore plus accru du Moi fragmenté comme à un

narcissisme accru.

Page 156: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

154

Si le premier suggère une habileté à se projeter dans

la vie d’un autre, son terme « empathie » vient à la base

du mot allemand fühlung (contact), introduit par Robert

Visher en 1872 et il est tout d’abord utilisé dans l’esthétique

allemande. On parlait d’Einfühlung (identification) quand les

observateurs projetaient leur propre sensibilité sur l’objet de

leur adoration ou de leur contemplation ; c’était un moyen

d’expliquer comment on en vient à apprécier la beauté

d’une œuvre d’art, par exemple, et à en jouir. Le mot même

d’empathie n’est entré dans le vocabulaire qu’en 1909, à peu

près au moment de la psychologie moderne. « Empathie »

suggère l’engagement actif : la volonté de prendre part à

l’expérience d’un autre, de partager son vécu. L’empathie se

rapproche donc de la disponibilité qui est, rappelons-le, un

engagement actif, permettant également de se disposer à

effectuer une tâche, une action. Nous en voyons aujourd’hui

Page 157: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

155

69 Rifkin Jérémy - Nouvelle conscience pour un monde en crise, vers une civilisation de l’empathie, Actes Sud, 2004.

les répercutions dans des systèmes tels que l’économie

solidaire ou collaborative, le crowdfunding ou encore les

systèmes d’échanges locaux.

Le deuxième effet de ce nouveau capitalisme naissant est

la croissance d’un « Moi fragmenté » et d’un narcissisme

accru. L’empathie décrite par J. Rifkin propose une

vision du monde interconnectée, élargissant notre vision

empathique à travers les siècles. Si pour lui, plus on est

empathique, plus on avance dans son développement

personnel, c’est bien grâce à cette dernière «  que nous

créons la vie sociale et faisons progresser la civilisation  ».69

Son développement narcissique n’est qu’une conséquence

logique d’un changement de rapport avec les autres, grâce

aux récents réseaux sociaux, ayant permis d’élargir le reflet

de sa personne, non plus à la personne en elle même, mais

Interaction homme-machine, l’esquisse d’une empathie mondiale vers une plus grande disponibilité à l’autre.C

Page 158: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

156

70 Suttie, Ian D., The Origins of Love and Hate, 1952.71 Rifkin Jérémy - Nouvelle conscience pour un monde en crise, vers une civilisation de l’empathie, Actes Sud, 2004.

jusqu’à un reflet semi-public de sa silhouette, comme nous

pouvons le voir sur nos « murs Facebook ». S’agirait-il donc

de modérer nos critiques envers les tentatives, parfois

insensées, d’explorations de notre Moi étendu ?

Selon I. Suttie « le besoin inné de compagnie »70 est le

moyen principal dont dispose le bébé pour assurer son

auto-conservation et conclu que ce besoin est au cœur de

la nature humaine. I. Suttie prend en effet le contre-pied

de T. Hobbes et des penseurs des Lumières qui voyaient,

en la possession matérielle, la motivation première des

êtres humains. « L’attention à l’autre ne peut que stimuler

les «  facultés créatrices  » d’un individu, ce qui n’est qu’une

façon différente de dire son « auto-développement  »71. Par

ailleurs, trois adolescents sur dix affirment qu’ils peuvent

en dire davantage à un ami en ligne et 29 % qu’ils sont plus

Page 159: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

157

honnêtes quand ils parlent à des amis numériques.

Ces statistiques nous démontrent deux choses, la

première étant que le média d’internet et de la messagerie

instantanée sont de bons médiums de communication

personnelle, véritable journal intime, dont l’ouverture est plus

facile face à un inconnu. Créant donc de nouvelles normes

à la «théorie de la pertinence» évoquée précédemment.

En faisant disparaitre certaines de nos imperfections

physiques gênantes ou bien inadaptées pour faire apparaître

une nouvelle tentative d’extension du Soi. Cette extension

numérique du Soi nous permettra par exemple de plus

facilement se confier à l’autre, d’essayer de nouveaux rôles,

ou encore de plus aisément trouver sa place dans le monde.

L’autre constat que l’on peut tirer des statistiques

précédentes est que la construction de l’intimité, telle que

nous la connaissions, avec des influences romantiques,

Interaction homme-machine, l’esquisse d’une empathie mondiale vers une plus grande disponibilité à l’autre.C

Page 160: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

158

n’existe plus. En effet, la catégorisation imposée par les

réseaux sociaux, tels que Facebook ou Linkedin, restreignent

la représentation personnelle de notre situation amoureuse

à 4 cases : «Célibataire», «en couple», «en relation

libre» ou «c’est compliqué». Cette étiquetage, digne des

supermarchés, biaise la vision romantique des siècle passés.

La disponibilité aux autres par l’empathie laisserait donc

entrevoir à la fois, les prémices d’une plus grande ouverture

à l’autre et une création de l’intimité et du développement

sentimental biaisé. Internet permettrait-t-il alors une

recherche de définition du Soi simplifié où nos attentes

seraient segmentées et réductionnistes ?

Dans l’usage d’internet, précédemment décrit comme le

deux-centièmes os, nous voyons que 77,8% des Français

affirment utiliser internet comme une extension de

leur cerveau, un chiffre qui dépasse même 83% chez la

Page 161: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

génération Y. Cette augmentation à première vue positive -

puisqu’elle ajoute sans rien enlever - nous restreindrait-elle

finalement ?

C’est donc dans un monde où l’empathie grandit et la

disponibilité à l’autre s’étend que chaque partie de notre

«  Moi  » s’essaye pour prendre sa place dans le monde. Un

monde dorénavant unifié, où l’état de droit planétaire tente

de se s’implanter par des organismes non-gouvernementaux

ou encore via des institutions internationales. Là où la

détresse d’une population émeut jusqu’au plus profond de

nos campagnes, où 1% de la population mondiale détient

50% des richesses mondiales, où Facebook a passé le

cap du milliard de connexions simultanées sur son réseau

social en 2015, où l’amnésie numérique, les TDA et la

nomophobie nous guettent, se dévoilent les premières

Interaction homme-machine, l’esquisse d’une empathie mondiale vers une plus grande disponibilité à l’autre.C

Page 162: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

160

72 Rifkin, Jérémy, L’âge de l’accès : La nouvelle culture du capitalisme, La Découverte, 2001.73 Doueihi Milad, Pour un humanisme numérique, Seuil, 2011.

conséquences d’un numérique perversif. Là où nos relations

numériques écrasent désormais nos relations physiques, où

la propriété n’est plus une fin mais où l’ère de l’accès72 un

nouvel eldorado, où chaque minute cent heures de vidéos

sont téléchargés sur Youtube, où dorénavant huit milliards

et demi d’appareils intelligents sont connectés à internet,

où 19% des couples mariés se rencontrent sur la toile :

Serait-t-on en passe de développer plus de disponibilité à

l’autre ? La réponse est délicate, car c’est par un humanisme

numérique73 et un objectif commun à chaque habitant de

notre planète de s’auto-responsabiliser, s’éduquer par-delà

les pratiques déviantes du numérique, d’apprendre de ces

leçons et de créer ce mythe commun. Les anciens avaient

leurs mythes, les civilisations sans écriture leur oralité. Dans

les deux cas, ces sociétés anciennes ont développé des

techniques de transmission et de préservation de l’histoire.

Page 163: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

161

74 Doueihi Milad, Pour un humanisme numérique, Seuil, 2011.

C’est en ce sens qu’il nous faut trouver une mythologie

du numérique, une sorte de rappel de ce qui échappe

aujourd’hui à cette accélération technique et à sa culture. «

Pour devenir humain, l’avatar* modifie l’humanité elle-même.

Et l’homme, grâce à ses oublis, ne fait que rappeler à la

technique sa faille et ses utopies »74.

Interaction homme-machine, l’esquisse d’une empathie mondiale vers une plus grande disponibilité à l’autre.C

Page 164: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?
Page 165: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

163

La meilleure façon de comprendre le tout est d’analyser

individuellement les éléments qui le composent. Voilà

une idée indissociable de la Science des Lumières. Cette

méthode analytique est en réalité réductionniste. Réduire

chaque phénomène à leurs propriétés de base pour

comprendre leurs fonctionnements dans l’espoir de mieux

comprendre la construction du tout, n’est qu’une partie du

travail d’analyse. Les scientifiques voyaient bien que, pour

examiner la nature, l’Homme ou la société, il fallait s’attarder

sur les relations entre chaque phénomène et pas restreindre

la recherche aux propriétés de leurs éléments.

CONCLUSIONC

Page 166: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

164

Comment comprendre l’Homme sans ses interactions avec

le monde ? Savoir sa taille, son poids, son lieu de naissance

ou même ses caractéristiques physiques et affectives ne

nous diront pas grand chose de ce qu’il est vraiment. C’est

seulement en comprenant son rapport avec l’environnement

global et chacune des relations qu’il partage que nous

arrivons à le cerner un peu plus. Dans le vieux schéma,

l’Homme était la somme de toutes ses composantes

individuelles. Dans le nouveau, il est une image instantanée

de la structure d’activité à laquelle il participe.

Si la disponibilité de l’Homme se construit à travers

la disponibilité physique, psychologique, individuelle et

relationnelle, l’image de la disponibilité (cf. Fig. 1) ne

démontre en rien chacun des rapports qui la sous-tendent.

C’est en cela qu’il est intéressant de confronter cette vision

Page 167: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

165

avec une vision basée sur la « théorie des systèmes »

énonçant que la nature du tout est supérieure à la somme

de ses parties. (Voir Fig. 9)

Fig. 9 : Vision systémique de nos Disponibilités

Page 168: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

166

Chacune des composantes de notre disponibilité se voit

influencée par une autre : cette vision systémique* de notre

disposition à effectuer une tâche n’est pas sans rappeler

l’influence que peut avoir notre environnement sur chacune

d’elles.

Au fil de ce mémoire nous avons tenté de démontrer

que la disposition au ressentir est porteur d’expériences

(Disponibilité psychologique et individuelle). Que le silence

est un élément essentiel à prendre en considération pour

avoir une meilleure disponibilité à l’autre (Disponibilité

individuelle et relationnelle). Nous avons également

démontré que la construction de relations s’opérait

dorénavant entre moments de présence et moments

d’absence, (Disponibilité relationnelle et individuelle) dans

lesquels ce qui est important de tisser un fil conducteur

permettant de compenser les effets négatifs de la

séparation.

Page 169: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

167

On assiste également à une accélération continuelle

de nos modes de vie, amenant à une « compression du

présent » sans précédent, où le nombre d’actions différentes

dans une unité de temps donnée ne fait que croître, (impact

de l’environnement sur la disponibilité et introduction de la

disponibilité numérique). L’accélération de ce rythme de vie,

nous l’avons vu, s’opère par une accélération socioculturelle,

où la différentiation fonctionnelle prend tout son sens.

Régit par l’accélération technologique, le conditionnement

qu’impose ces nouveaux modes de vie est sans précédent.

Baigné dans des environnements de multitasking où nous ne

savons plus où donner de la tête, nous déléguons de plus

en plus de prises de décisions à nos machines dans l’espoir

vain, de voir un allègement de temps s’opérer.

Nous pouvons noter qu’il ne s’opère qu’une seule

Page 170: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

168

Il est alors intéressant d’essayer de comprendre

l’influence qu’a pu avoir le numérique sur nos disponibilités

fondamentales. Il ne s’agit pas là de donner une réponse à

notre problématique initiale

Comment la disponibilité de l’Homme s’est-elle confrontée

à l’évolution du numérique ?, mais plutôt d’interroger la

pertinence d’un tel changement. (Voir Fig. 10)

Page 171: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

169

Fig. 10 : L’influence du numérique sur nos Disponibilités

Page 172: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

170

C’est donc au travers d’une nouvelle disponibilité

«  augmentée  » que nous nous disposons dorénavant à

effectuer une tâche. Cette nouvelle disponibilité vient donc

alourdir et complexifier notre vision systémique précédente,

où l’influence du numérique n’était pas représentée. Prenons

le temps de comprendre les influences qu’a le numérique sur

nos disponibilités fondamentales. (Voir Fig. 11)

Page 173: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

171

Fig. 11 : Vision systémique de l’influence du numérique sur nos Disponibilités

Page 174: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

172

double influence, exercée entre notre disponibilité

physique et notre disponibilité numérique. En effet, si

nous ne sommes pas présents physiquement, nous ne

sommes pas présents numériquement, et inversement.

Or, que ce soit à travers notre disposition à se concentrer

(disponibilité psychologique), notre disposition à sociabiliser

(disponibilité relationnelle) ou encore notre disposition

à prendre conscience de notre appartenance au monde

(disponibilité individuelle), nous voyons bien que chacune

d’elles n’influence en rien notre disponibilité numérique.

Et c’est bien à travers ces influences unilatérales que nous

percevons l’incohérence entre nos disponibilités physiques

et numériques. La réponse se trouverait donc ici, lorsque

l’envahissement du numérique s’opère sur les composantes

fondamentales de notre disponibilité, elle provoque en nous

à la fois ce sentiment d’être « sur-disponible » de part leurs

Page 175: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

173

métaphores mais également celui des différentes gênes

provoquées par les sollicitations numériques actuelles

(notifications).

C’est ici que le terme de « conditionnement » prend tout son

sens. Défini comme une technique permettant à un stimulus

neutre il permet d’induire une réponse réflexe que l’utilisateur

n’induirait pas naturellement. Alors imposé comme des

stimulus conditionnés, le passage du « Moi introverti » au

« Moi extraverti »(disponibilité augmentée), comme nous

l’avons vu, détermine pour beaucoup la nouvelle norme à

respecter. Alors que notre relation aux contenus numériques

est majoritairement passive, l’inaction et la passivité

des utilisateurs deviendrait-elle la norme à suivre ? Cette

dangereuse accoutumance à ce conditionnement fait de

nous des êtres non plus « consom’acteurs », « éco-citoyens »

Page 176: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

174

ou encore « techno-libertariens » mais bien ce qu’on pourrait

appeler des « solutionnistes-numériques ».

Alors que de nouvelles formes du Web semblent

se construire tel que la Blockchain avec sa première

formalisation qu’est le Bitcoin pour la transaction monétaire,

pouvons-nous entrevoir en elle la création d’applications

pour le transport communautaire comme La’Zooz qui

est l’équivalent d’Uber arrivé au début de l’année 2015,

l’apparition de nouveaux réseaux sociaux décentralisés

comme Twister - un équivalent de Facebook - (Lorsque

la disponibilité relationnelle influence notre disponibilité

numérique) ou encore celle d’un support de mémoire

numérique comme Storage, qui est quant à lui, un équivalent

de Dropbox (lorsque notre disponibilité physique influence

notre disponibilité numérique). De nouveaux champs

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175

d’opportunités semblent se dessiner et nous voyons ici

que les influences de nos disponibilités fondamentales sur

notre disponibilité numérique n’en sont encore qu’à leurs

prémices.

Si l’introduction de nouveaux modes de fonctionnement

comme celui de la Blockchain apparaissent et que le

rapports aux « parts de marchés », c’est-à-dire aux

utilisateurs, évolue d’une dimension économique vers une

dimension humaine et sociale, est-il alors envisageable de

croire en un humanisme numérique ? Où l’Innovation serait

tirée par de nouvelles forces motrices, comme le respect de

la vie privée, la liberté d’expression, le développement d’un

« espace public » où à la fois, la mise en place de débats et

d’idées communes pourrait prendre sa place et où le respect

des disponibilités humaines de chacun prévaudrait sur la

sollicitation instantanée.

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176

L’énoncé de Descartes, « Je pense, donc je suis », et celui

du psychologue humaniste, « Je participe, donc je suis »,

peuvent donc être aujourd’hui remplacés par une nouvelle

formule : « Je suis connecté, donc j’existe . » Laissons donc

la chance à ce nouveau Moi numérique de s’épanouir dans

un numérique non plus perversif et conditionné mais bel et

bien dans un numérique humaniste où nos disponibilités à

l’autre sont dorénavant augmentées.

Page 179: Le Culte de la Disponibilité : Je suis connecté donc j'existe ?

177

C’est ainsi que nous pouvons ouvrir ce mémoire sur trois

questionnements légitimes. Le premier sous-tend ce que

nous venons d’évoquer, à savoir le respect des disponibilités

humaines de chacun. Là où les notifications provoquent

en nous une gêne incessante et où nos disponibilités

numériques ne reflètent plus notre disponibilité physique, il

est intéressant de se demander :

Comment en tant que designer, puis-je crée un système

d’exploitation respectant les disponibilités humaines de

chacun ?

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178

Le second questionnement qui se pose, suite à l’étude de

ce mémoire concerne la population la plus touchée par les

problématiques que l’on a soulevées comme la dispersion de

notre attention, la passivité face aux contenus numériques

ou encore les différentes sollicitations des contenus

numériques invasifs. Il s’agira donc de questionner ici :

Comment en tant que designer, puis-je permmettre

aux personnes sujettes aux TDA (Troubles Déficitaire

de l’Attention) d’avoir une expérience numérique non

intrusive ?

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179

Enfin, le troisième champ de réflexion se consacre quant

à lui à répondre à l’une des questions les plus centrales

de ce mémoire. À savoir, vers quoi voulons-nous être plus

disponible ? L’un des éléments de réponse infusé au fil de

ce mémoire se trouve dans nos aspirations profondes.

En effet, au cours de l’étude menée pendant ce mémoire

sur deux cent cinquante personnes, l’une des questions

était : « Si vous aviez deux fois plus de temps dans votre

journée, à quoi dédieriez-vous votre temps ? » Les réponses

étaient alors « découvrir », « apprendre », «  entretenir mes

relations  », « aimer » ou encore « rêver ». C’est dans cette

continuité là que notre dernière question s’oriente énonçant :

Comment en tant que designer, puis-je permettre à

l’Homme d’être plus disponible à l’accomplissement de ses

aspirations profondes ?

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180

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181

« L’utopie est à l’horizon. Je fais deux pas en avant, elle s’éloigne de deux pas. Je fais dix pas de plus, elle s’éloigne de dix pas. Aussi loin que je puisse marcher, je ne l'atteindrai jamais.À quoi sert l’utopie ?

À cela : elle sert à avancer. »

Howard Zinn

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185

MERCI MERCI MERCIM

Je tiens à remercier toute l’équipe diplôme 2015/16 de Strate,

notamment Gildas Lemoigne et Antoine Dufeu pour leur soutien

pendant les mois de travail à leur côté.

Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont (re)lu, corrigé,

lisent, ou lieront mon mémoire. Pour leur soutien et leur contribution,

même pour un mot ou une phrase.

Je tiens à remercier toutes les personnes ayant répondu à mon

questionnaire en annexe, ayant permis de certifier ou valider certaines

de mes intuitions.

Je tiens également à remercier toutes les personnes que j’ai

rencontrées pendant ces mois, qui m’ont permis d’avancer, d’échanger,

de m’ouvrir sur de nouvelles pistes. Merci à eux, merci à vous.

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186

SOURCESS

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O

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AUTRES SOURCESA

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198

GLOSSAIREG

A/B TESTING (BETA TESTING) : Le test A/B (ou A/B testing) est une technique de marketing qui consiste à proposer plusieurs variantes d’un même objet qui diffèrent selon un seul critère (par exemple, la couleur d’un emballage) afin de déterminer la version qui donne les meilleurs résultats auprès des consommateurs.

AVATAR : Le terme avatar trouve son origine en Inde (du sanskrit avatāra: descente, ava-TR : descendre) et signifie « descente, incarnation divine ». Depuis la fin du XIXème siècle, avatar s’emploie aussi au sens figuré de métamorphose, transformation d’un objet ou d’un individu.

BINAIRE : En mathématiques et en informatiques, le système binaire est un système de numération en base 2. En l’occurence une succession de «0» et de «1»

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199

BITCOIN : Le terme bitcoin (de l’anglais « bit » : unité d’information binaire et « coin » : pièce de monnaie) désigne à la fois un système de paiement à travers le réseau Internet et l’unité de compte utilisée par ce système de paiement.

BLOCKCHAIN : La chaîne de blocs (en français) est une base de données distribuée qui gère une liste d’enregistrement protégés contre la falsification ou la modification par les nœuds de stockage. À proprement parler, une blockchain est un historique décentralisé des transactions effectuées depuis le démarrage du système réparti.

BUZZ : Le buzz (terme anglais signifiant «  bourdonnement  » d’insecte) est une technique marketing consistant à susciter du bouche à oreille autour d’un événement, d’un produit ou d’une offre commerciale et, ce faisant, des retombées dans les médias.

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DARK WEB : Le web profond ou web invisible ou encore web caché (en anglais deep web) est la partie de la Toile accessible en ligne, mais non indexée par des moteurs de recherche classiques généralistes ; certains moteurs, tels que BASE, prennent cependant en compte cette partie du réseau. La terminologie « web profond » est opposée à web

surfacique.

DISTRUPTIVE : (Anglicisme) Perturbateur, perturbant.

EFFET RÉSEAU : (Marketing Stratégique) Si une technologie ou une entreprise qui exploite un réseau existant commence à perdre des parts de marché à l’avantage d’un concurrent qui dispose d’une autre technologie ou d’un standard ouvert, les avancées profiteront au nouvel entrant. À partir du point de rupture, dès que les effets réseaux du premier sont dominés par ceux du second, le basculement est inévitable.

FTP : File Transfer Protocol (protocole de transfert de fichiers), ou FTP, est un protocole de communication destiné à l’échange informatique de fichiers sur un réseau.

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GÉNÉRATION Y : La génération Y regroupe des personnes nées approximativement entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990

GSM : (Global System for Mobile Communications) est une norme numérique de seconde génération pour la téléphonie mobile.

HIGH-TECH : Les techniques de pointe ou, abusivement, hautes technologies ou technologies de pointe, aussi connues sous l’anglicisme high-tech (pour high technology), sont des techniques considérées comme les plus avancées à une époque donnée. Faiblement employé avant les années 1970, l’usage de cette notion est partiale et cette définition permet aujourd’hui aux départements marketing de décrire tous les nouveaux produits comme de la high-tech.

HTML : L’Hypertext Markup Language, généralement abrégé HTML, est le format de données conçu pour représenter les pages web.

HTTPS : HTTPS (avec S pour secured, soit « sécurisé ») est la variante du HTTP sécurisée par l’usage des protocoles SSL.

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INTERNET : (Abréviation de INTERnational NETwork, réseau international) Réseau télématique international, qui résulte de l’interconnexion des ordinateurs du monde entier utilisant un protocole commun d’échanges de données.

JXTA : Est un projet Open Source lancé par Sun Microsystems en avril 2001. Le but de JXTA est de pouvoir interconnecter n’importe quel système sur n’importe quel réseau. JXTA permet de créer une sorte de réseau au-dessus des autres

LOW-TECH : L’anglicisme low-tech ou basse technologie, par opposition à high-tech, est attribué à des techniques apparemment simples, économiques et populaires. Elles peuvent faire appel au recyclage de machines récemment tombées en désuétude.

MULTITASKING : Multitâche (en français) Se dit d’un système informatique permettant la multiprogrammation. S’étend également aux pratiques physiques multiples.

PAUSOLOGIE : Doctrine regroupant des études qui traitent des pauses, des signaux de la parole, et les sons musicaux ou autres sons similaires.

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PEER-TO-PEER : (traduction de l’anglicisme peer-to-peer, souvent abrégé « P2P ») est un modèle de réseau informatique proche du modèle client-serveur mais où chaque client est aussi un serveur. On parle de nœud.

POST-MODERNISME : Concept de sociologie historique qui désigne selon plusieurs auteurs la dissolution, survenue dans les sociétés contemporaines occidentales à la fin du XXe siècle, de la référence à la raison comme totalité première. De cette fin de la transcendance résulte un rapport au temps centré sur le présent, un mode inédit de régulation, et une fragilisation des identités collectives et individuelles.

PROFILING : Processus qui consiste à récolter les données dans les différentes sources de données existantes (bases de données, fichiers,...) et à collecter des statistiques et des informations sur ces données. C’est ainsi très proche de l’analyse des données.

PROTENTION : La protention est le désir (et l’attente) de l’à venir, elle est ce qui dans le devenir constitue la possibilité de l’avenir – étant entendu que le devenir peut n’engager aucun avenir.

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RÉTENTION : Terme emprunté à Husserl Les rétentions sont des sélections : dans le flux de conscience que vous êtes vous ne pouvez pas tout retenir, ce que vous retenez est ce que vous êtes, mais ce que vous retenez dépend ce que vous avez déjà retenu.

RÉTENTIONS TERTIAIRES : Ce sont les sédimentations (conscientes et inconscientes) qui se sont accumulées au cours des générations, et qui constitue de ce fait un processus d’individuation collective.

RFID : La radio-identification, le plus souvent désignée par le sigle RFID (de l’anglais radio frequency identification), est une méthode pour mémoriser et récupérer des données à distance en utilisant des marqueurs appelés « radio-étiquettes »

SBA : Une application orientée recherche (ou SBA pour Search-Based Application) est une application logicielle dans laquelle la recherche l’information a un rôle central.

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SIX-POIGNÉES DE MAIN : Théorie établie par le hongrois Frigyes Karinthy en 1929 qui évoque la possibilité que toute personne sur le globe peut être reliée à n’importe quelle autre, au travers d’une chaîne de relations individuelles comprenant au plus six maillons.

SYSTÉMIQUE / THÉORIE DES SYSTÈMES : La systémique est une méthode d’étude ou façon de penser les objets complexes. Forgée sémantiquement à partir du mot en grec ancien systema, signifiant « ensemble organisé », elle privilégie une approche globale, holiste, la pluralité des perspectives selon différentes dimensions ou à différents niveaux d’organisation, et surtout la prise en compte des relations et interactions entre composants.

TDA/TDAH : Le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA ; en anglais : attention-deficit disorder, ADD) est un trouble pédopsychiatrique caractérisé par des difficultés de concentration. On l’appelle trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité

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TECHNO-LIBERTARIENS : Se dit d’une personne prônant le développement de la science et de la technologie pour augmenter les capacités et la liberté des individus

TIC : Couvre un large éventail de services, applications, technologies, équipements et logiciels, c’est-à-dire les outils comme la téléphonie et l’Internet, l’apprentissage à distance, les télévisions, les ordinateurs, les réseaux et les logiciels nécessaires pour employer ces technologies.

TORRENT : Le protocole Torrent part du constat suivant :Quand une information se trouve sur un serveur informatique unique, plus elle est demandée, moins elle est accessible (par saturation du serveur).Cette tendance est renversée si chaque client informatique en train de télécharger l’information devient aussitôt serveur à son tour de ce qu’il a déjà téléchargé.Une façon de procéder est de découper l’information à partager en segments, et de distribuer des segments différents à des interlocuteurs différents afin qu’ils aient eux-mêmes quelque chose à échanger

WEB : Est l’abréviation de l’anglais World Wide Web, signifiant toile d’araignée mondiale.

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ANNEXESACOMPILATION D’INFOGRAPHIES RÉALISÉE SUR 250 PERSONNES

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Crédit image : Mickaël Touillaud

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Dribbble : mickatouillaud

Behance : mickatouillaud

Portfolio Professionnel : mickatouillaud.com

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Il y a plus de dix ans, nous nous stupéfions déjà des propos tenus par Patrick Le Lay, alors président-directeur général du groupe TF1. Laissant entendre que « ce que [TF1] vend[ait] à Coca-Cola, [était] du temps de cerveau humain disponible », il initiait alors l’idée que la télévision était capable de prédisposer notre cerveau à l’assujettissement et à l’écoute passive. La télévision, alors média dominant était donc en mesure de capter notre attention et mobiliser notre temps à des fins commerciales. Mettant ainsi en évidence le pouvoir d’un média sur le cerveau humain, ces propos suscitait déjà la controverse et les questionnements à l’époque. Qu’en est il alors en 2015 avec l’avènement d’un nouveau média : Internet.

Si nos disponibilités ont été altérées par le numérique, et nous allons voir comment dans ce mémoire, une aspiration humaine profonde s’installe, celle de donner du sens au temps. Le temps que l’on vit nous-même, le temps qu’on laisse aux autres, le temps qu’on transmet.

Qu’importe le temps dans lequel nous évoluons, il est le plus important jamais vécu, car nous le vivons maintenant.

LE CULTE DE LA DISPONIBILITÉ : Je suis connecté donc j’existe

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